Et
voici NOS RÉACTIONS sur le livre
Lors de ce 15 janvier 2023, nous étions 13
à nous retrouver pour Monsieur Vénus
: ce nombre fatidique a-t-il ou non porté chance à Rachilde
?
- en chair et en os (10) :
Agnès, Aurore, Brigitte, Claire, Felina,
Flora, Joëlle L, Muriel, Patricia, Véronique
- en visio (3) : Laetitia,
Nelly, Sandra
N'étaient pas avec nous (7) : Joëlle
M, Lucie, Marie-Claire, Marion,
Nathalie, Sophie, Stéphanie.
Les rejetantes ou/et ayant sombré
dans l'ennui, voire ayant quitté le navire avant l'arrivée
: Aurore,
Flora, Muriel,
Nelly,
Sandra
Les mitigées, pondérées
: Brigitte,
Joëlle L,
Laetitia,Véronique
Les
séduites : Agnès,
Claire,
Felina,
Patricia
Ouvrons une parenthèse : nous
n'avons pas toutes lu la même version, ce qui a pu jouer parfois,
partiellement, sur la lecture :
les unes ont lu la version
numérique qui est la version remaniée (par Rachilde
elle-même pour pouvoir être publiée en France) de
1889, rééditée pendant plus d'un siècle
sous cette forme :
=> avec une préface
de Maurice Barrès qui se voulait élogieuse et a eu
un effet misogyne de repoussoir (la préface doit-elle se lire
avant ?...)
les autres ont lu la récente
publication
de la version originale dans la collection Imaginaire Gallimard,
dirigée depuis 2021 par la (belle) Margot Gallimard (lire ici
un article ou un entretien
ici qui permettent de comprendre l'évolution de la collection
dans un sens qui ne peut que plaire à LIRELLES,). Les
préfacières sont :
=> d'une part Victoire
Tuaillon, auteure du podcast
Les couilles sur la table publié aussi en livre
Les couilles sur la table qui synthétise les 50 épisodes
du podcast
=> d'autre part Martine
Reid, universitaire spécialiste de l'histoire et la place
des femmes dans la littérature.
Entre les préfaciers, y a pas
photo ! Et pourtant Maurice Barrès et Rachilde ont eu une amitié
"passionnée, parfois houleuse" (dont rend compte leur
correspondance qu'a commentée Michael R. Finn, avec très
intéressante biographie de Rachilde).
La
succession des prises de parole
|
Nelly
Je n'étais pas sûre de pouvoir venir... et finalement je
l'ai quand même lu mais à toute vitesse. Je n'ai pas été
intéressée, dès le début. J'ai ressenti un
rejet des personnages qui ne me donnaient pas envie de fournir un effort
pour me concentrer. Au-delà de ces personnages aucunement attachants,
j'ai aussi ressenti un rejet du sujet, sans parler des passages pas ragoûtants...
Je préfère des romans où les personnages inspirent
un minimum de sympathie, sinon je m'en désintéresse....
Laetitia
Je ne connaissais pas du tout : ni ce titre, ni cette auteure et c'est
donc une totale découverte.
J'ai éprouvé un intérêt tout en n'ayant pas
vraiment aimé le livre.
1884, année de la publication, fait de ce roman un témoin
d'une époque littéraire, avec la décadence de fin
de siècle. Je ne connaissais pas de femme qui avait écrit
à cette période. C'est l'année d'À
rebours de Huysmans que j'ai lu pendant mes études et
à quoi j'ai pensé dès le premier chapitre, avec des
fleurs - un thème cher à Huysmans. On trouve aussi des bijoux,
l'orientalisme, le rococo (p. 40 : "Le plafond, gondolé
aux corniches, était peint de vieux motifs rococos sur fond azur-vert.")
et l'Antiquité, avec p. 160 la description de la chambre et l'évocation
de la mythologie concernant "la couche nuptiale avait les contours
du vaisseau primitif qui portait Vénus à Cythère".
Et l'écriture, elle, est faite de phrases longues, d'énumérations,
de nombreux adjectifs, de mots rares (majolique, hanap, faix de roses
),
d'oxymores (atroce joie, agréable monstre).
Quant à la thématique - le genre - je suis très curieuse
de ce que vous allez en dire. En effet, en dépit de l'époque
où le livre a été écrit, on peut y voir un
aspect moderne.
Je ne suis pas du tout fan du coté SM. Et moi aussi je trouve que
les personnages ne sont pas assez attachants.
Mon intérêt concerne plutôt l'histoire de la littérature
à travers ce livre que je n'aurais pas lu sans LIRELLES.
Sandra
Je ne connaissais pas moi non plus. Si la quatrième de couverture
m'a tentée, la préface
de Maurice Barrès ne m'a pas convaincue. Et il en a été
de même des premiers chapitres.
Le personnage principal est décrit comme une personne intelligente,
avec un certain caractère, or elle est trop rapidement déconcertée,
sous l'emprise de Jacques ; cette passion m'a semblé incompréhensible,
trop rapide : j'ai été bloquée par le fait que je
n'y croyais pas. L'homme n'a rien de charismatique, et pour moi ni talent,
ni beauté : ça va donc bien trop vite !
Bref, j'ai abandonné au chapitre 6, ne rentrant pas du tout dans
le livre.
Je n'ai pas non plus adhéré à l'écriture qui
pour moi n'a rien non plus d'exceptionnel.
Quant à l'inversement du pronom "il" et "elle",
je n'ai pas trouvé cela pertinent. Pourquoi le terme d'homme/amant
pour Raoule et de femme pour Jacques ? Le genre pouvait être maintenu.
Les appétits sexuels, les sentiments passionnels et de dépendance
amoureuses, ne sont pas inhérents au genre.
Certes, Rachilde était peut-être une autrice intéressante,
par la tenue de son salon, son succès à l'époque
etc., mais bon, pas d'emballement pour cet ouvrage.
Joëlle L
J'ai lu ce livre dans la mauvaise
version (avec la préface
de Maurice Barrès - qui vaut le détour !). Quand je
me suis aperçue de mon erreur, j'avais déjà lu le
livre en entier. Je me suis alors procuré la bonne version et j'en
ai lu à peu près la moitié.
Même si la version
non expurgée me semble mieux, je suis globalement déçue.
Ce n'est pas très bon. Style ampoulé, trop de clichés,
pas très subtil. Les personnages manquent de nuance et c'est bien
regrettable dans un roman qui repose sur l'ambiguïté.
À peu près à la même époque et dans
la même veine sont parus
- 1874 Les
Diaboliques (Barbey d'Aurevilly) 10 ans avant Monsieur Vénus
- 1883 Contes
cruels (Villiers de l'Isle Adam)
- 1884 À
Rebours (Huysmans)
- 1885 Les
Chants de Maldoror (édités en 1869 mais restés
dans un placard)
De mémoire, je les ai tous trouvés plus riches et complexes,
plus intéressants.
Nettement plus tard est paru un roman qui pourrait être mis en parallèle
avec celui-ci (intrigue choquante pour son époque, autrice très
jeune et qui fera carrière ensuite), mais avec un vrai travail
sur le style : c'était Bonjour
tristesse. On pourrait aussi citer le premier Despentes (Baise
moi).
Ici, on est "pâle comme une morte", les larmes
sont "brûlantes", les pauvres sont sales et méchants
ou veules (Jacques Silvert et sa sur), les nobles sont héroïques
(le soupirant), pieux (la tante), déterminés et audacieux
(l'héroïne). En plus les noms sont gratinés ("de"
Raittolbe : en prime, on ne devrait pas mettre la particule s'il n'y a
ni le titre ni le prénom devant le nom - madame Ermangarde, "Raoule"
de Vénérande).
On se perd de temps en temps dans une forêt de détails décoratifs
qui datent (l'atelier organisé pour Jacques, les toilettes portées
dans certaines circonstances
) et qui ralentissent l'action, voire
l'anéantissent. Et là, on s'ennuie. Les descriptions sont
faibles.
Ce qui me dérange aussi c'est la misogynie. La féminisation
de Jacques est l'occasion de marquer le mépris du féminin
(cf. 1er § du chapitre 8, par exemple : "Jacques aimait Raoule
avec un vrai cur de femme. Il laimait par reconnaissance,
par soumission").
Je suis personnellement peu intéressée par les relations
SM. Je passe...
Il y a tout de même des choses à sauver : des remarques de
Jacques, des déclarations de Raoule et des notations en passant
qui ne manquent pas d'humour ; par exemple : le groom qui "eut
une grimace d'homme fait qui croit tout possible, même en temps
de pluie." Le même groom reçoit Marie et se dit
que ce pourrait être quelqu'un d'influent "car les costumes
perdent de plus en plus de leur signification sous la République"...
J'ai remarqué le chapitre 7 qui expose bien le propos et n'est
pas trop ronflant. C'est justement un chapitre qui ne serait peut-être
pas d'elle
Enfin, la poupée. J'ai pensé à l'exposition l'exposition
Kokoschka au Musée d'art moderne où on voyait en photo
la poupée à l'image d'Alma Mahler qu'il s'était fait
confectionner grandeur nature quand elle l'avait quitté. On est
vers 1920.
(photo prise par Joëlle à l'exposition)
Ma
conclusion : un mauvais livre sur une bonne idée. À ranger
au rayon des curiosités.
Véronique
Je signale que j'ai lu entièrement le livre (applaudissements
connaissant Véro) !
Je suis à peu près d'accord avec l'avis de Joëlle,
et notamment la conclusion.
Je n'ai pas été prise par le livre où les caractères
des personnages ne ressortent pas.
Cependant l'intérêt du livre vient de son aspect "curiosité".
Et puis à l'époque, ses variations sur le genre sont originales,
nouvelles.
Il est vrai que je n'avais pas trop envie de ce type de lecture car il
y a de la violence, des violences, sur les corps.
Les descriptions à rallonge n'apportent pas grand-chose, avec leur
côté daté. La fin on s'y attend. (Face aux protestations)
oui ! même la poupée. J'ai l'impression d'avoir déjà
lu ça dans la littérature bas de gamme.
Je n'ai rien lu sur Rachilde, alors que c'est sûrement intéressant.
Je suis contente de l'avoir découverte.
Claire (épouvantablement trop
longue)
J'ai tout de suite aimé le style avec la description du personnage
: "Autour de son torse, sur sa blouse
flottante, courait en spirale une guirlande de roses ; des roses fort
larges de satin chair velouté de grenat, qui lui passaient entre
les jambes, filaient jusqu'aux épaules et venaient s'enrouler
au col."
J'ai tout de suite aimé l'excès, le sens de la pose, et
c'est pourquoi je ne me suis pas posé la question de la vraisemblance
de la passion, gênante pour Sandra : on est dans de l'esthétisme,
le jeune homme est beau et notre héroïne craque pour sa beauté
et pas pour son ... être profond.
J'ai donc aimé cet excès, dans les descriptions du corps
sensuelles ou inattendues ("le cou avait un petit pli, le pli
du nouveau-né qui engraisse"), les descriptions d'objets
aussi : les "morsures du peigne", les chaises prennent
"des poses effarées".
Et Rachilde n'y va pas de main morte : "Jacques se tordait, perdant
son sang par de véritables entailles que Raoule ouvrait davantage
avec un raffinement de sadique plaisir." Heureusement plus loin,
"Les plaies se fermèrent au souvenir des caresses" :
et hop !
L'excès délibéré, mais aussi la distance ;
j'ai souri, notamment à propos de la chanoinesse dont le chic vestimentaire
est le linceul : "La chanoinesse, elle, s'enveloppait pudiquement
d'un suaire de dentelles qui voilait une robe de couleur pensée."
Et qui attend de s'éclater quand notre héroïne sera
mariée : "je pourrai donc réaliser mon vu
le plus cher, quitter ce monde de vanités et me retirer aux Visitandines,
où j'ai mon voile tout prêt. Béni soit le Seigneur
!".
J'ai rigolé au dialogue avec sa nièce complètement
dégenrée :
(La tante chanoinesse) : -"Souvenez-vous, ô très
douce Vierge Marie qu'on n'a jamais entendu qu'aucun de ceux qui ont eu
recours à vous aient été délaissés"...
(la nièce) - "Lui a-t-on jamais demandé la grâce
de changer de sexe? songea la jeune femme, embrassant la vieille dévote
en soupirant."
Je n'ai pas détesté la préciosité, la pose
("Elle éprouvait ce vague de l'être"), les
mots rares (on boit le champagne dans un hanap, on baisse les lambrequins
de l'atelier, on moque "un gommeux stupide", Raoule se
dit trop empaumée, on a dans la famille trop de parchemin
dans le caractère), j'ai apprécié les références
artistiques du genre floue : Antinoüs (l'amant de l'empereur romain
Hadrien) revient souvent ("l'Antinoüs du boulevard Montparnasse")
; si je n'avais pas vu l'exposition
"Héroïnes romantiques" au musée de la
vie romantique, je n'aurais pas eu en tête en lisant "la
nouvelle Sapho ne pouvait encore faire le saut de Leucade" un
tableau qui y était présenté où la poétesse
de Lesbos, sa lyre dans les bras, est sur le point de se jeter dans le
vide par désespoir amoureux... (Divers commentaires s'expriment
alors pour laisser entendre que Sapho n'aurait rien fait de tel...)
bon, le tableau lui existe...
Sapho à Leucade, 1801, Antoine-Jean Gros (1771-1835)
Musée d'art et d'histoire Baron-Gérard à Bayeux
J'ai pensé comme Laetitia et Joëlle à l'atmosphère
décadente et raffinée de Huysmans à qui le musée
d'Orsay a consacré une exposition
il y a trois ans.
Même si j'ai été très surprise qu'elle/il appelle
son amant/amante Jaja, ce qui tranche un peu avec l'ambiance..., je conviens
que parfois c'est lourd : "Au centre, sous la veilleuse retenue
par quatre chaînes d'argent, la couche nuptiale avait les contours
du vaisseau primitif qui portait Vénus à Cythère.
Une profusion d'amours nus accroupis au chevet soulevaient de toute la
force de leurs poings la conque capitonnée de satin bleu. Sur une
colonne en marbre de Carrare, la statue d'Eros, debout, l'arc au dos,
soutenait de ses bras arrondis d'amples rideaux de brocart d'Orient, retombant
en plis voluptueux tout autour de la conque, et, du côté
du chevet, un trépied en bronze portait un brûle-parfums
étoilé de pierres précieuses où se mourait
une flamme rose dégageant une vague odeur d'encens. Le buste de
l'Antinoüs aux prunelles d'émail faisait face au trépied.
Les fenêtres avaient été reconstruites en ogive et
grillées comme les fenêtres de harems, derrière des
vitraux de nuances adoucies." Ouf !
Ou c'est théâtral un peu ridicule : "Je m'en vais
! Adieu pour toujours. Tu ne me reverras plus! Tes larmes m'ont purifiée
et mon amour vaut ton pardon.
Elle s'enfuit, folle d'une atroce joie, plus voluptueuse que la volupté
charnelle, plus douloureuse que le désir inassouvi, mais plus complète
que la jouissance"
Et c'est vrai qu'on n'est pas à l'abri des clichés, avec
les "abîmes insondables" forcément, mais
j'ai eu cette impression plus rarement que Joëlle.
Et puis j'ai trouvé les relations incroyables d'audace dans les
renversements compliqués. Et justement, pour répondre à
Sandra qui dit "Pourquoi le terme d'homme/amant pour Raoule et
de femme pour Jacques ? Le genre pouvait être maintenu",
c'est ce qui permet de raffiner, sinon ce serait bien trop simple, bien
trop banal : dans le genre trop simple, j'ai bien aimé le renvoi
du lesbianisme à la banalité : "être
Sapho, ce serait être tout le monde !"
L'excès, la préciosité ne tombent pas dans le kitsch,
mais une scène constitue vraiment un clou limite ; à la
fin, Jacques, jamais nommé d'ailleurs "Monsieur Vénus"
(et en cela le titre est parfait), va donc mourir en duel à la
dernière page : le baron qui l'a tué se jette sur lui pour
le sauver, appuie sur la blessure avec ses lèvres, tâchant
"d'aspirer le sang qui coulait à peine", c'est
là que c'est le clou : il "voulut de nouveau sucer la plaie,
parce que le sang ne coulait toujours pas.
Alors Jacques le repoussa et lui dit, plus bas encore:
-Non! laissez-moi, vos moustaches me piqueraient...
Son corps frissonna en se renversant en arrière. Jacques était
mort." Oh le coup des moustaches !
J'ai été intéressée par les aventures de
l'édition du livre et ne parlons pas de l'auteure, un personnage
romanesque à souhait.
De Rachilde, j'avais lu jadis La
Tour d'amour, roman extrêmement bizarre qui m'avait captivée
par l'écriture et qui avait lui aussi une dimension sadique.
Je me suis procurée un livre qui fait suite à une thèse
de la Québécoise Vicky Gauthier, Rachilde
: écrivaine fantastique monstrueuse, illisible, que j'ai
abandonné très vite... barbant super barbant.
Joëlle m'a signalé le livre de Cécile Chabaud,
Rachilde homme de lettres, récemment sorti aussi, typique
de la biographie romancée.
Felina
J'ai
aimé et pour les mêmes raisons. J'ai adoré le langage,
y compris les mots rares que j'allais chercher dans le dictionnaire, pour
ma culture.
J'ai été charmée par les descriptions - je me suis
même pâmée
La lecture, en créant cette atmosphère décadente,
entraîne une sensation rêvassante, comme inspirée par
le haschich que je n'ai pas pris.
À la fin, j'ai lu les préfaces et j'ai bien aimé
la première de Victoire Tuaillon.
Je dois admettre que j'ai pris un plaisir (coupable) à la lecture
de la soumission d'un homme. Cette Raoule, je ne l'ai pas trouvé
si scandaleuse que ça, ni pornographe : de façon inversée,
elle a le rôle d'un gentleman de l'époque qui a une liaison
avec une femme, juste belle. Je n'ai pas été choquée
par le sadisme.
C'est le miroir d'une époque. J'ai aimé.
Patricia
Je connais Rachilde depuis peu grâce à une visite
du cimetière de Bagneux où elle est enterrée.
Mathilde, la guide, nous en a parlé en termes peu élogieux
à cause de l'antiféminisme, xénophobie, antisémitisme
de Rachilde, qui font qu'à la fin de sa vie elle s'est retrouvée
complètement isolée et oubliée (confirmé par
wikipédia).
J'ai appris également qu'il y avait une chanson écrite par
la chanteuse Juliette intitulée "Monsieur Vénus".
Néanmoins,
j'ai quand même lu son livre avec plaisir, il s'agissait de la version
tronquée qu'on trouve en
pdf sur internet.
J'ai sauté la préface écrite par Maurice Barrès
car le début m'a profondément agacée.
Je trouve que cette lecture reste dans la continuité d'Anaïs
Nin, notre précédente lecture, hormis le fait qu'on
n'a pas lu de roman érotique d'Anaïs Nin. Le roman Monsieur
Vénus est plutôt dans le registre du sadomasochisme.
Elle inverse le rôle homme/femme. On voit que ce qui est choquant
quand un homme se fait brutaliser par une femme, ne l'est pas quand c'est
l'inverse, si on se replace dans l'époque fin XIXe.
Ce que j'ai noté tout de suite, c'est un ton comique et exagéré,
mais très spirituel, une écriture très intéressante
par le vocabulaire employé qu'on n'utilise plus de nos jours. La
lecture est très rythmée, le début se lit comme un
poème en vers. Il y a plein de sous-entendus dans les mots utilisés,
c'est très drôle.
En même temps, j'ai trouvé étonnant, qu'à cette
époque, concernant le phénomène transgenre, elle
utilise le même vocabulaire que de nos jours. Par exemple : "nés
dans la mauvaise enveloppe", elle parle de "transition"
pour Jacques qui devient femme dans son imaginaire.
Elle est très drôle, quand elle parle de demander à
la Sainte-Vierge un changement de sexe.
De même, quand elle dit "Être Sapho ce serait être
tout le monde", ça veut dire qu'elle pense qu'être
lesbienne est intégré dans les murs déjà
à cette époque.
Elle évoque un peu la psychanalyse quand elle parle des hystériques
de la Salpêtrière, à propos de Raoule au début.
Bref je ne me suis pas ennuyée (sauf des longueurs parfois au milieu
du livre), et surtout j'ai bien ri. Contente de l'avoir lu.
Muriel
Je suis tout à fait de l'avis de Nelly.
Je n'aime pas ces histoires SM.
Et je ne croyais pas à cette relation.
Quant à l'écriture, elle n'est pas extraordinaire.
Flora
Moi aussi
je partage l'avis de Nelly, en partie. Je n'ai pas réussi à
y croire.
Pourtant tous les ingrédients de cette histoire sont intéressants.
Et je suis allée jusqu'au bout.
Je ne sais pas si c'est l'écriture, ou les personnages auxquels
je ne me suis pas attachée.
Ce qui est intéressant, c'est la thématique, le contexte,
la dimension novatrice.
Il y a un moment que j'ai apprécié, c'est lorsque Jacques
est présenté dans la soirée mondaine : je l'ai alors
visualisé et j'ai pensé à Dorian
Gray, un mystère, un magnétisme. ("Des femmes
se rapprochèrent de Jacques, la duchesse d'Armonville, contemplant
les traits merveilleux de ce roux que la blancheur sidérale de
l'illumination rendait blond comme une Vénus du Titien"
)
Oui, c'est un livre qui mériterait une mise en scène, au
cinéma ou au théâtre.
Merci pour la découverte. Même si je ne le recommanderai
pas.
Aurore
Je l'ai lu dans la version électronique, et la préface m'a
beaucoup agacée : "Les jeunes filles nous paraissent une
chose très compliquée, parce que nous ne pouvons nous rendre
assez compte qu'elles sont gouvernées uniquement par l'instinct,
étant de petits animaux sournois, égoïstes et ardents.
Rachilde, à vingt ans, pour écrire un livre qui fait rêver
un peu tout le monde, n'a guère réfléchi ; elle a
écrit tout au trot de sa plume, suivant son instinct. Le merveilleux,
c'est qu'on puisse avoir de pareils instincts."
De plus, je me suis rendu compte que la préface allait spoiler,
stop, je suis donc passée au livre proprement dit. Un livre qui
avait été rejeté et en cela pouvait donner envie
de le lire
Je me suis profondément ennuyée. C'est le livre que j'ai
le moins aimé depuis bien des années. Je l'ai terminé,
mais ce fut une torture
Dès le début, je n'y ai pas cru. Mais c'est l'ennui qui
a dominé. À l'exception des parcours dans les rues en fiacre.
À l'ennui s'ajoute le fait que ce n'est pas spécialement
bien écrit. Je l'ai donc lu de façon un peu automatique,
jusqu'au duel (Aurore lève les yeux au ciel) : trop de drame
pour pas grand-chose.
Le caractère maso ne m'a pas intéressé. La poupée
? Pas grave. Le questionnement sur le genre ? Pas intéressant.
J'ai repris la préface pour finir, cette préface antiféministe...
Brigitte
J'ai
trouvé le début assez affriolant. Mais c'est sans doute
pour l'avoir ouvert en pleine canicule cet été.
Ma lecture s'est poursuivie en trois temps : un premier tiers emporté
par l'originalité du sujet et des personnages, dont se détache
celui de la vieille tante toute de noir vêtue et soucieuse de la
rectitude de sa tenue comme de l'ordre moral autour d'elle, attendant
avec impatience d'avoir réussi à marier sa nièce
pour pouvoir entrer au couvent, espoir ruiné par les frasques de
ladite nièce.
Dans un deuxième temps, cependant, l'intérêt s'érode
peu à peu, au rythme d'un style qui se veut d'un érotisme
baroque mais n'est guère plus qu'un style salonnard s'épuisant
en expressions qui cherchent à faire mouche, grevé d'oxymores
et de clichés faciles, notés rapidement : "L'homme
est matière, la volupté est femme", "on
ne connaît pas la vie, on l'invente" ; réveillé
par Raittolbe Jacques "se révéla grâcieux
dans sa stupeur", le baron quant à lui usant de jurons
dignes du capitaine Haddock : "Cré nom d'une sabretache"
Mais tout cela finit par lasser quelque peu, surtout que Jacques pleure
beaucoup : "Fils d'un ivrogne et d'une catin, il ne savait que
pleurer." Difficile de trouver plaisante une remarque telle que
"une âme aux instincts féminins qui s'est trompée
d'enveloppe" car rien ne l'a montré jusque-là.
Et puis quand Raoule monte par un escalier mal éclairé jusqu'à
la mansarde où travaille le fleuriste pour se faire faire une robe
de bal, on reste médusé du caractère bien peu probable
de la situation, surtout que Rachilde elle-même le suggère
en ajoutant un commentaire parfaitement logique, lui : elle aurait dû
envoyer sa couturière
On nage donc en pleine délire verbal, mais inconsistant. Avec,
de temps à autres, une belle trouvaille pour malgré tout
inciter à poursuivre la lecture : "à les voir valser
on imaginait la seule divinité de l'amour en deux personnes, deux
sexes distincts en un unique monstre." On dirait presque du Racine,
et on imagine la scène au théâtre. Mais le duel atteint
des sommets, Jacques n'ayant jamais tenu une arme et devant en outre manier
une épée trop lourde pour lui, il suffit à Raittolbe
de se fendre et "ah moi qui l'aime, je l'ai tué."
Il faut tenir malgré tout encore un peu car il reste quelques pages
et on se demande comment diantre la jeune Rachilde va se sortir de cette
histoire
. Et là je me suis sentie récompensée
de ma curiosité : superbe dénouement totalement incongru,
dans un style soudain presque sobre. Quelle belle idée que ce mausolée
secret et sa momie de chiffon
Sacrée Rachilde. Il fallait
LIRELLES pour la découvrir.
Agnès
Pourquoi vous ai-je proposé ce livre que j'ai lu il y a plusieurs
mois ?
Parce qu'à LIRELLES, on découvre de nouveaux livres,
et qu'il me semble intéressant que ces découvertes aient
aussi un aspect matrimonial : des livres, des autrices à connaître,
que Lirelles ne peut pas ne pas programmer un jour, quitte à
pester quand on lit, comme ce jour certaines.
Je n'avais jamais lu Rachilde, qui est satellite par rapport à
Natalie Clifford Barney, Renée Vivien
Cette collection, Imaginaire Gallimard, est vraiment utile dans ses orientations
récentes, publiant des livres inédits ou introuvables :
de Natalie
Clifford Barney justement, de Violette Leduc,
d'Andrée Viollis, Criquet,
publié en 1934, où une petite fille veut devenir un garçon.
Ce qui m'a frappée, c'est que Rachilde publie Monsieur Vénus
en 1884, à 24 ans.
J'ai beaucoup aimé la liberté qu'elle prend et ce thème
de l'inversion des genres. L'inversion nous sert à prendre conscience
du scandale de la situation habituelle. Elle est jouissive et fait réfléchir.
Quant à la relation sadomasochiste, elle est surtout sadique. (Avis
différents qui s'expriment dans le sens : oui, il est consentant,
il apprécie
)
J'ai beaucoup aimé le trouble du baron par rapport à Jacques,
c'est charmant.
Quant au dernier chapitre, je suis restée ébahie. Glacée.
On change de livre. Rupture de ton et de genre. On est dans le gothique,
le gore avec le "mannequin de cire revêtu d'un épiderme
de caoutchouc transparent. Les cheveux roux, les cils blonds, le duvet
d'or de la poitrine sont naturels ; les dents qui ornent la bouche, les
ongles des mains et des pieds ont été arrachés à
un cadavre. " On est dans l'horrifique.
J'ai trouvé la préface de Victoire
Tuaillon très éclairante au sujet de l'inversion
: on inverse, mais on ne change rien : elle imagine de refaire la fin,
j'ai trouvé sa proposition - une relation harmonieuse à
quatre - intéressante. Et j'ai aimé aussi qu'elle imagine
que Monsieur Vénus serait un nom parfait pour un drag king...
Sont ensuite évoqués :
d'autres
inversions, celles :
- d'Alice Guy, dans son film Les
résultats du féminisme (1906)
- de Gerd Brantenberg, autrice norvégienne, dans la dystopie Les
Filles dÉgalie (1977)
l'acquiescement
au principe formulé
par Agnès, concernant le "matrimoine" et LIRELLES
l'intérêt
de nos séances, même quand on n'a pas aimé le livre...
|