Trad. de l'allemand Juliette AUBERT-AFFHOLDER, Actes
Sud Babel
Quatrième
de couverture : L'un est le grand explorateur
Alexander von Humboldt (1769-1859). II quitte la vie bourgeoise, se fraye
un chemin à travers la forêt vierge, rencontre des monstres
marins et des cannibales, navigue sur l'Orénoque, goûte des
poisons, rampe dans des cavités souterraines, gravit des volcans,
et il n'aime pas les femmes. L'autre est Carl Friedrich Gauss (1777-1855),
"Prince des Mathématiques" et astronome. Il saute de
son lit de noces pour noter une formule, étudie la probabilité,
découvre la fameuse courbe de répartition en cloche qui
porte son nom, et il déteste voyager. Un jour, cependant, Humboldt
réussit à faire venir Gauss à Berlin. Que se passe-t-il
lorsque les orbites de cieux grands esprits se rejoignent ?
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Daniel Kehlmann
Les Arpenteurs du Monde
Nous avons lu ce livre en novembre 2009.
Brigitte
J'ai beaucoup moins aimé le livre que Le
Procès des étoiles. J'ai cependant apprécié
le passage où l'écolier Gauss écrase son professeur
de maths quand il faut additionner les nombres de 1 à 100...
Françoise O
Je suis consternée, je ny ai trouvé aucun intérêt.
Je lai lu comme une élève sage en attendant que quelque
chose se passe quand ils se rejoignent. Par rapport au Procès
des étoiles, cest Tintin ; cest une parodie.
Le portrait de Gauss est critique. Gauss est une unité de mesure
électronique. Un beau sujet : celui qui est sur le terrain
versus celui qui cogite. Il pouvait y avoir deux conceptions de savants.
Lauteur sest fait plaisir ; ça ne ma rien
apporté en termes de réflexion, de confrontation didées,
ça ne ma pas intéressée du tout.
Jacqueline
Je suis très perplexe. Je ne lai pas lu facilement, je suis
passée à côté de la construction littéraire.
Jai été sensible à la question de la vieillesse,
de la rapidité de pensée qui va séteindre ;
cela ma touchée. Lhistoire du voyage est un peu folle,
il se tire de tout, innocent, cest amusant.
Françoise
Tintin !
Jacqueline
Cest un gros bouquin ! Jai été contente
en relisant le premier chapitre qui éclaire bien parce quon
ne comprend pas pourquoi le fils est arrêté. Cest peut-être
construit de façon intéressante, mais ça ma
échappé. Les histoires de femmes de Gauss, cest pas
si mal. Le monde paraît éloigné, plus quau XIXe
siècle. Je suis gênée de lintervention des personnages,
quest-ce qui est vrai ? Quest-ce qui est inventé ?
Jai vu sur Internet que beaucoup de choses sont vraies, mais jai
quand même lu difficilement, sans comprendre tout.
Françoise D
Je suis comme Jacqueline, gênée quand il sagit de personnages
réels, on se demande toujours ce qui est vrai et ce qui est inventé
par lauteur. Cependant, je ne métais jamais posé
cette question en lisant Le
Procès des étoiles, et tout au long de ma lecture
(des Arpenteurs) jy ai pensé et ce livre a souffert
de la comparaison. A tout point de vue : crédibilité,
écriture, souffle. Ici, on a un sentiment de bâclé,
dinsatisfaction. Nous, lecteurs étrangers, manquons dinformations
sur le contexte historique, ce qui nest sans doute pas le cas des
Allemands qui semble-t-il considèrent Kehlmann comme un auteur
actuel majeur. Je veux bien le croire mais il faudrait lire autre chose
de lui. Néanmoins, je suis allée jusquau bout et jai
bien ri parfois car il y a de lhumour, de lironie, cest
ce qui le sauve et cest pour ça que je ne le ferme pas complètement.
Annick L
Je me suis terriblement ennuyée. Jétais pleine dappétit,
séduite par lironie, le second degré. Puis jai
commencé à menquiquiner avec les voyages dHumboldt,
jai sauté des passages ; ça ma posé
un problème : quel est son projet ? Est-ce de parodier
ces scientifiques ? Et Kant ! Ce nest pas réussi,
cest une caricature, mais cest un entre-deux. Ce nest
pas abouti.
Françoise D
Son projet cest de mettre en regard ces deux scientifiques si différents.
Annick
Les montrer dans leurs handicaps sociaux, cest un peu nul.
Françoise O
Ce sont de grands bonhommes. Ils ne sont pas situés dans lhistoire
de la science. Jen ai déduit que lauteur se prenait
au sérieux.
Claire
Cest moi qui lai proposé. Vous imaginez ma souffrance
en vous entendant car jai aimé de livre... Javais lu
des choses sur cet auteur et sur ce livre précisément qui
mavaient donné envie de le connaître : cest
un très gros succès en Allemagne et jai envie de comprendre.
Je lai beaucoup aimé et il ma rappelé aussi
Le Procès des étoiles,
ainsi que Blanche et Marie
que nous avions lus : cest la relation à la réalité
qui ma séduite et la résurrection de grands personnages
de lhistoire scientifique et de lAllemagne. Même le
côté Tintin/Pieds nickelés, jai aimé.
Cest tout à fait loufoque ; et jai aussi apprécié
le ton. Après la lecture des Arpenteurs cet été,
je suis allée au musée de la Poste où il y avait
une expo merveilleuse sur
les carnets de voyages : on voyait ceux dHumboldt avec
Bonpland ! Magique ! Ce qui est intéressant cest
leur antagonisme et leur passion commune pour chercher, découvrir...
Cest une véritable pulsion épistémique... avec
leur grandeur, leur petitesse, leur médiocrité...
Puisque je suis bien isolée dans mon goût du livre, je ne
mentretiendrai quavec lauteur... :
Les Arpenteurs du monde peuvent
aussi être lus comme un hymne à lart du roman. On sent
que la lecture et lécriture vous procurent du plaisir. Quel
genre de littérature aimez-vous ?
Pour ce qui est de lhumour du livre, Voltaire a été
décisif. Sa gaieté désespérée, ce mélange
de comique et de dureté mont toujours fortement marqué,
javais déjà eu cette approche pour modèle dans
Moi
et Kaminski, et je lai encore accentuée avec ce roman-ci.
En outre, en écrivant Les Arpenteurs du monde, les auteurs
sud-américains comptaient beaucoup pour moi. Ce nest pas
un hasard si les équipiers de Humboldt sur lOrénoque
portent les prénoms de quatre grands romanciers sud-américains.
Les Arpenteurs du monde traitent avant
tout de la passion. Vos héros sont épris de connaissance,
la science leur donne des ailes, tout en les rendant aussi un peu aveugles,
comme lorsquon est amoureux. Partagez-vous cette vision de la chose ?
Comme lorsquon est amoureux, cest absolument ça. Même
si jemploie des effets comiques, je ne veux en aucun cas me moquer
de mes deux personnages. Les Arpenteurs du monde sont un roman
sur la soif de connaissance, sur laventure qui consiste à
vouloir comprendre le monde à tout prix. Ce nest pas une
entreprise froide et sèche, au contraire, il sagit bien dune
aventure passionnée. Bien sûr, elle exige des sacrifices,
et ça aussi jessaie de lexplorer dans mon roman.
Comment définiriez-vous votre
rapport à la science ?
Ambivalent. Je crois quil est impossible davoir un rapport
à la science qui ne soit pas ambivalent : dun côté,
elle a tellement simplifié notre vie, elle la allégée,
améliorée et on ne peut donc guère la renier ;
mais, dun autre côté, il est évident quelle
a introduit de nombreux dangers dans notre monde. En outre, lexistence
a aussi perdu en poésie et en beauté. Pourtant jadmire
les scientifiques. Et puis il y a quelque chose de comique et de stupide
à vouloir mettre de lordre dans le chaos de lunivers.
Mais cest une entreprise audacieuse qui a une réelle grandeur.
Chez Humboldt, le rapport à
lautre sexe (et au corps en général) ne reflète-t-il
pas son rapport à la nature ?
Les témoignages espagnols font de Humboldt un homme très
viril, un séducteur, les Anglais font de lui un homosexuel, quant
aux Allemands, ils voient en lui un intellectuel asexué. Ceci en
dit bien sûr plus sur ces pays que sur Humboldt lui-même.
Dans mon roman, Humboldt est un homosexuel qui refoule ses penchants,
il ressent des choses en lui, mais ces choses lui font peur et il fait
tout pour les ignorer. Les sources autorisent une telle lecture, même
si tout a bien pu se passer autrement. Mais dans un roman, la version
la plus à même dêtre développée
est celle qui rend le personnage encore plus complexe et torturé.
Cest pour ainsi dire la tâche du romancier que de mener la
vie dure à ses personnages.
Comment cela se présente-t-il
chez Gauss ?
Contrairement au cliché répandu sur les mathématiciens,
pour Gauss, la sensualité et le monde des chiffres ne sopposent
pas. Pour lui, les valeurs mathématiques sont des êtres sensuels
et palpables qui existent réellement. Tout comme les femmes qui
sont si importantes dans sa vie. Mais là aussi, jai peut-être
un peu exagéré par rapport au personnage historique. Mais
finalement pas tant que cela.
Vous jouez et vous faites rire
avec les préjugés que lon rencontre somme toute un
peu partout envers les Allemands. Et en même temps, vous faites
avec Humboldt le portrait dun grand humaniste allemand.
Ce quil y a détrange avec les préjugés,
cest quils sont, si souvent, justifiés. Les Allemands
se comportent, surtout à létranger, fréquemment
comme on simagine que des Allemands pourraient se comporter à
létranger. Ils sont toujours un peu raides, compliquent les
choses plus quil ne faut, jamais, oui, jamais, ils ne sont vraiment
détendus (moi compris). En même temps, ils ont souvent cétait
du moins le cas à lépoque classique de Weimar
cet idéalisme un peu enfantin, cette foi en la bonté et
la raison qui, dans de nombreuses situations, conduit à des quiproquos
assez drôles. Mais bien sûr, Humboldt était un humaniste,
le plus grand partisan de labolition de lesclavage de son
temps. Il était lenvoyé du classicisme de Weimar en
Amérique du Sud, une sorte dambassadeur de Weimar à
Macondo.
(Propos recueillis par Martina Wachendorff, directrice
de la collection "Lettres allemandes" chez Actes Sud, accessibles
en 2009 sur
le site d'Actes Sud)
(Danièle n'était pas encore dans le groupe quand nous avons
lu ce livre. Une dizaine d'années plus tard, lors du speed
booking que nous avons organisé, elle a présenté
longuement ce livre.)
Danièle
Les arpenteurs du monde, succès littéraire
mondial (traduit dans une trentaine de pays) brosse l'histoire de deux
génies scientifiques allemands de la fin du XIXe siècle,
Alexander von Humboldt, naturaliste, géographe et explorateur,
et Gauss, le grand mathématicien, tous les deux complètement
voués à leurs recherches, au point d'en devenir dans la
vie quotidienne des monstres d'égoïsme, de goujaterie, voire
d'inhumanité. Tout dans ce roman repose sur des faits historiques,
les travers particuliers de leur caractère ont été
aussi relatés en leur temps. Mais c'est le point de vue de l'auteur
qui est novateur et passionnant : la mise en parallèle de deux
génies scientifiques, deux arpenteurs du monde, opposés
dans leur façon de fonctionner. Deux parallèles qui vont
se rejoindre, bien entendu, comme l'aurait prévu Gauss, puisqu'il
y aura une rencontre entre ces deux grands savants. Alexander von Humboldt,
hyperactif, esprit curieux et inventif, va au bout de ses possibilités
physiques et au bout du monde pour poursuivre son but : savoir, inventorier,
classer, recenser, mesurer
mais aussi pour le plaisir d'être
le premier à livrer ces recherches au monde et plus spécialement
aux puissants de ce monde Il n'est pas conscient de vivre dangereusement
et ne se glorifie pas de ses aventures, mais en livre des chiffres, un
savoir communicable en chiffres, cartes, formules chimiques.
Ses exploits racontés par Daniel Kehlmann se lisent comme un roman
d'aventures auxquelles le héros n'attache pas d'importance. Son
but n'est pas d'explorer le monde mais de l'arpenter, pour que ce monde
se mette à exister vraiment aux yeux de tous : "A
présent, le canal existait vraiment" p. 133. C'est
l'aube de la recherche scientifique moderne et de ses méthodes
d'investigation et de classement, la lutte contre les entraves culturelles
et l'ignorance, mais aussi la dépendance des savants à l'égard
des pouvoirs politiques en lutte entre eux. Gauss, génie précoce,
Prince des mathématiques, surfe sur ses intuitions, il explore
le monde de son bureau à travers des formules mathématiques,
et s'il est aussi arpenteur, c'est seulement en Allemagne.
Dans ce roman, ou plutôt ce conte à
la Voltaire, l'auteur joue le rôle d'un Candide amusé qui
décrit de manière ironique et concrète la multitude
d'aventures cocasses ou dangereuses vécues par Humboldt ou les
déboires de Gauss qui, lui, a horreur de voyager hors de ses frontières.
"Qui des deux est allé le plus loin
?" La question est posée dans l'avant-dernier chapitre
de ce conte finalement philosophique.
Tous les deux sont conscients de la nécessité
de leurs découvertes pour faire avancer la science, mais en même
temps, ils savent que d'autres méthodes et d'autres découvertes,
plus innovantes ou plus efficaces, feront avancer à leur tour la
science sans eux. C'est une attitude novatrice à une époque
où l'on croyait à une vérité définitive.
"C'était étrange et injuste,
dit Gauss, et une illustration parfaite du caractère lamentablement
aléatoire de l'existence, que d'être né à une
période donnée et d'y être rattaché, qu'on
le veuille ou non. Cela donnait à l'homme un avantage incongru
sur le passé et faisait de lui la risée de l'avenir".
Au passage, les féministes remarqueront
que Johanna n'est pas pour rien dans les découvertes de Gauss,
son futur époux : "Mais, un paysage, répliqua
la plus grande des jeunes filles, ce n'était pas une surface plane,
pourtant". Juste reconnaissance du bon sens féminin et
de l'art, chez l'homme, de se l'approprier à titre d'intuition
mathématique.
Cet ouvrage me paraît donc un roman passionnant
et gentiment moqueur sur des génies imbuvables. Il me semble en
avoir appris beaucoup sur l'esprit de l'époque, sur ces génies
eux-mêmes (quel courage ou quelle inconscience , quand
même, ce Humboldt !), et avoir beaucoup réfléchi au
cours du roman sur la juste dimension à donner à l'ambition,
sur la place qu'on peut occuper dans le monde, sur l'injustice du destin
(paix à l'âme d'Aimé Bonpland, collaborateur injustement
oublié), sur la relativité des valeurs humaines, sur l'admiration
que l'on peut vouer à de grands hommes (on ne dit jamais de grandes
femmes) pourtant insupportables et totalement dépourvus d'humanité
(la cruauté des rapports de Gauss à son fils, ou de Humboldt
vis-à-vis d'Aimé Bonpland) mais aussi avec leur part de
mystère (le dégoût de Humboldt pour toute ébauche
de sexualité avec une femme, les relations avec son frère).
C'est tout l'art de Daniel Kehlmann d'avoir su rendre ces personnages
vivants, cocasses et crédibles et d'avoir su restituer l'esprit
de l'époque dans sa richesse mêlée d'ignorance et
de confusion.
Odile de Dijon, à Claire en avril 2024
Je viens de lire un livre bien casse-pieds, que je recommande au groupe
lecture pour se plaindre, Les arpenteurs du monde de Daniel Kehlmann...
Claire
Tiens tiens tiens ! => VAC
Lesarpenteurs.htm
Odile, découvrant l'avis de Claire
Eh bien, on n'est pas tout à fait d'accord. Et peut-être
même pas du tout.
Claire
Tu as pu voir que tout le monde presque était d'accord avec toi !
J'étais fort isolée...
Odile
Moi aussi, j'avais lu et aimé Le procès des étoiles,
mais celui-là ne passe pas bien. J'ai trouvé la caricature
des personnages trop lourde. Il faut à chacun un souffre-douleur,
l'herboriste pour Humboldt et son fils pour Gauss.
Et le récit de leurs aventures ou inventions, s'il ne permet pas
de comprendre ce qu'ils inventent, les ridiculise en permanence.
Je crois que les Allemands ont aimé parce que c'est un Allemand
qui raconte l'histoire de deux Allemands et que ça les rend contents
d'être allemands.
Quelques passages m'ont fait rire quand même.
Et la fin est touchante quand ils sont vieux et dépassés
et qu'ils semblent enfin dialoguer et s'apprécier... mais à
distance. L'écriture qui mêle leurs paroles m'a plu.
J'ouvre à 35 % pour la fin.
Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme
au rejet :
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à
la folie
grand ouvert
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beaucoup
¾ ouvert
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moyennement
à moitié
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un
peu
ouvert ¼
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pas
du tout
fermé !
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