Quatrième de couverture :
En face de Philip Roth, personnage central
de cette confession, un deuxième Philip Roth, un homonyme, un imposteur.
Et ce sosie parfait, ce double monstrueux, s'est mis en tête de
faire retourner "chez eux" - en Pologne, en Ukraine, en
Allemagne - les Juifs venus d'Europe vivant en Israël.
Tout se noue en quelques jours à Jérusalem, pendant le procès
de John Demjanjuk, un Ukrainien alors suspecté d'être le
"bourreau de Treblinka". Ajoutons que Philip Roth relève
d'une profonde dépression, qu'il se fait passer pour le Philip
Roth qu'il n'est pas, et que le Mossad s'en mêle...
Opération Shylock est un livre pétillant d'intelligence
et d'humour. C'est aussi l'émouvant bilan d'un homme entièrement
investi dans son uvre.
Philip Roth à New York en 2010 (Eric
Thayer/Reuters)
Le doppelgänger
(qui signifie en allemand "double") est un monstre connu
dans la littérature et le folklore pour être le parfait sosie
de soi-même. On dit que tous ceux qui voient ce monstre mystérieux
meurent dans les trois jours à venir.
"Si je suis le seul à être Philip Roth,
qui est-il, lui ?
Moishe Pipik." (voir la
description de Moishe Pipik, dans Opération Shylock,
Folio p. 184)
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Philip Roth
Opération Shylock : une confession
Nous
avons lu ce livre pour le 11 mars 2016. Le nouveau
groupe parisien l'a lu le 18 mars, le groupe "VOIX
AU CHAPITRE Pontivy" le 13 avril et le groupe
"VOIX AU CHAPITRE Morbihan" le 31 mai.
Nous
avions lu Professeur
de désir en 1991.
Quelques
éclairages sur Philip Roth et en particulier Opération
Shylock en bas de page.
Ana-Cristina
(avis transmis par une internaute inconnue, que nous lisons avant de
commencer notre séance)
Très vite, je suis subjuguée par le talent de conteur de
l'auteur. C'est un fabuleux architecte de la narration. Puis j'admire
la luxuriance du ton : l'humour (noir et autres) et l'émotion,
l'ironie et le témoignage (vrai ou faux), la confession intime
(ou prétendue telle) et la généralisation, le bizarre
et le quotidien, la réflexion et le comique de farce.
Son talent de portraitiste éclate quand il décrit le vieux
monsieur (Smilesburger) lorsqu'il se présente à Philip Roth
alors au restaurant en compagnie de son ami, l'écrivain Aharon
Appelfeld : "On a laissé tomber ce type, il s'est cassé
et on l'a remonté, une véritable mosaïque, des miettes,
il est collé, suturé, ferraillé, boulonné..."
Je ris à la lecture de la scène du retour en taxi (de Ramallah
à Jérusalem, la nuit). Une farce ! Le narrateur est
alors de retour à Jérusalem, à son hôtel où
l'attend son double, et là patatra ! L'Opération Shylock
ne m'intéresse plus. Je résiste : l'intérêt
va renaître... Le charme est rompu. Vers le milieu du roman, une
fois le décor planté, les personnages dessinés (ou
esquissés), les situations installées, les enjeux établis,
le jeu littéraire mis en place, je n'éprouve plus aucun
plaisir à lire Philip Roth, il ne m'intéresse plus.
Je vais néanmoins poursuivre, encore curieuse. Ma lecture se fait
nonchalante. Des surprises : la réflexion sur la fiction est
une grande leçon sur l'art romanesque d'aujourd'hui ; le réquisitoire
antisémite (à partir de la p. 410) est un tour de force
- cette logorrhée est à l'image de celui qui la prononce -
stupide et ridicule ; la page consacrée à la facture
d'eau au montant exorbitant comme illustration de la preuve de l'innocence
du bourreau de Treblinka est admirable (p. 423). Il y en a d'autres. Je
reçois ainsi de temps à autre une récompense pour
ma persévérance, ce qui me permet de poursuivre ma lecture.
Je dois cependant faire face à la réalité. C'est
certain, je ne suis plus, définitivement, intéressée
par le roman de Philip Roth. Mon désintérêt a été
crescendo... Arrivée à l'épilogue, continuer m'est
impossible. Intérêt épuisé. J'avance cahin-caha,
encore..., tourne les pages sans les lire (une phrase de temps en temps).
Et p. 651 : ouf ! dernière page, dernier dialogue, dernier
mot, fin.
Deux tableaux illustrent ma vision de ce livre : Seward
Park de Frank Stella (1958) et Argument
et contexte de Jean Dubuffet (1977).
Nous regardons les tableaux et prévoyons de demander à
l'internaute inconnue de nous dire en quoi ils illustrent sa vision du
livre.
Jacqueline
J'avais un rapport mitigé avec Philip Roth. Je n'avais pas aimé
Portnoy
et son complexe quand j'étais jeune. Plus tard Pastorale
américaine m'a beaucoup plu. Je suis fatiguée et
j'ai lu Opération Shylock avec du mal : je disposais
de trop peu de temps pour un livre touffu et plein de points de vue partant
dans tous les sens. Je suis admirative de l'écrivain qui parle
de quantité de choses complexes et qui suscitent ma réflexion,
par exemple : comment les états conçoivent la laïcité ;
je suis laïque à la française, la religion est du domaine
privé, il n'en est pas de même aux États-Unis et Roth
se définit comme Juif américain (ce livre me paraît
très très américain) et je ne parle pas d'Israël
où le livre se situe (je pense au livre de Shlomo
Sand, L'invention
du peuple juif). Ce livre aborde tellement de choses, il y a tant
de pistes différentes... Je retrouve des réflexions qui
sont les miennes. Roth est un sacré écrivain !
Richard
J'ai lu 200 pages (en anglais) seulement par manque de temps, car mes
amis m'ont dit que c'était un superbe écrivain. Au début,
j'ai trouvé que ça commençait bien. Je n'ai pas été
assez loin pour savoir quel est le vrai Philip Roth... J'aime le style,
la construction. On apprend des expressions yiddish, par exemple Moishe
Pipik. On tombe dans de longues réflexions et quand c'est un peu
lourd, il y a de l'action ce qui relance l'intérêt. Je vais
le terminer.
Monique S
Je me suis ennuyée. Je n'avais pas aimé Portnoy.
Je n'ai pas aimé Shylock. L'univers de Philip Roth, je n'y
entre pas. Je ne trouve pas du tout cela drôle. Il a une capacité
à créer un roman très intelligemment construit. L'histoire
du vrai et du faux narrateur ne me plaît pas. Cela me pèse,
je décroche, tout me paraît factice. Je reconnais que Roth
écrit bien, certaines pages sont remarquables comme le passage
sur le nombril : "cette chose qui, pour la plupart
des enfants, n'avait aucune importance, qui n'était ni un membre
ni un orifice, d'une certaine manière à la fois concave
et convexe, ni du haut ni du bas, ni obscène ni tout à fait
respectable non plus, assez près des organes génitaux pour
que l'on s'en méfie, et qui pourtant, malgré cette intrigante
proximité, malgré sa centralité manifestement étrange,
ne devait pas avoir grand sens puisqu'il n'avait pas d'utilité,
c'était le vestige archéologique du conte de fées
de nos origines".
Il parle beaucoup de la façon de voir le monde qu'ont eue les Juifs
avant, pendant et après la Shoah. L'auteur tient en tout cas son
fond de commerce... Je suis mal à l'aise avec son obsession. La
question de la Shoah n'appartient pas aux personnes juives, elle interroge
toute l'humanité. Les gens obligés de porter l'étoile
jaune auraient aimés qu'on les considère comme des personnes,
et non comme des Juifs. En l'écoutant l'auteur dans l'émission,
je l'ai beaucoup plus apprécié que le narrateur...
Séverine
Je me sens proche de l'avis de Monique. Mon premier sentiment sur le livre
était de l'intérêt, car je connaissais l'auteur de
nom mais ne l'avais jamais lu ; et sa notoriété pouvait
laisser sous-entendre une qualité littéraire. Quand j'ai
lu la 4e de couverture, mon a priori a été mitigé
car je n'aime pas la littérature "engagée", qui
parle de sujets politiques ; mais d'un autre côté cette
histoire de double avait quelque chose d'attirant. J'avoue avoir eu du
mal à maintenir mon intérêt ; j'avais le sentiment
à chaque fois que je reprenais le livre de ne plus savoir ce que
j'avais lu auparavant. J'ai mis cela sur le fait que c'était une
lecture exigeante qui demande de la disponibilité d'esprit, ce
que je n'ai pas trop en ce moment. J'ai persisté jusque la moitié
du livre et puis je me suis dit que je ne voulais pas m'en infliger plus.
Bref, je n'ai pas accroché, il y a trop de digressions entre quelques
moments intéressants dans l'intrigue. Je l'ouvre... de quelques
pages
Lisa
C'est le premier livre de Roth que je lis. J'ai d'abord trouvé
le propos intéressant : la maladie, l'existence de l'usurpateur ;
j'ai été intéressée par le thème du
double, cela m'a rappelé le thème de français pendant
ma prépa : les énigmes du moi. Mais, très vite
(dès l'arrivée en Israël), je me suis profondément
ennuyée. C'est confus et dense ; j'ai trouvé cela indigeste,
présomptueux, inintéressant ; je n'ai aimé ni
la forme, ni le fond. Les personnages secondaires sont manichéens
(les méchants Palestiniens aveuglés par la folie et la haine).
Ça m'a énervée. Je n'ai pas aimé le jeu de
l'auteur et du narrateur avec l'autofiction.
J'ai aimé quelques passages sur l'écriture, je me suis accrochée
pour finir le livre, mais c'était très dur. Le début
était plutôt prometteur et intéressant donc j'ouvre
ce livre au quart, même si mon intérêt est très
vite retombé !
Annick L
Philip Roth me passionne. Je l'ai découvert avec Portnoy.
Pour moi, c'est jubilatoire. J'ai lu la trilogie américaine Pastorale
américaine, J'ai
épousé un communiste, La
Tache, avec une peinture féroce de la société
américaine. J'ai lu aussi Patrimoine,
très autobiographique. C'est difficile d'être en empathie
avec ce qu'il écrit. Pour moi, Opération Shylock
est un petit chef d'uvre ; il y a de la virtuosité,
c'est un jeu, on entend des positions extrêmes : les Anti Sémites
Anonymes c'est un jeu ; de même, avec son double, c'est un
jeu permanent, et j'ai été fascinée par sa façon
de traiter le thème du double. J'ai été intéressée
par le procès de John Demjanjuk, quelqu'un qu'on prend pour quelqu'un
qu'il n'est pas. Il joue avec tout. Mais je comprends que vous trouviez
cela factice. Pour ma part, j'y ai pris plaisir. J'admire le côté
brillant, virtuose. Je suis bon public. Mais j'ai quand même eu
marre des digressions. Il interroge le fait d'être juif, la responsabilité
de l'écrivain. Il pose beaucoup de questions et n'apporte pas de
réponse, cela me plait beaucoup. Il est narcissique et se présente
avec dérision. J'aime aussi beaucoup Paul Auster chez qui on observe
la perte d'identité. J'ouvre en grand pour ce livre que je trouve
remarquable.
Claire
J'ai apprécié le jeu de la double identité, à
laquelle s'ajoute la mise en abyme puisqu'il commente l'histoire elle-même
qu'il raconte ; et aussi l'idée loufoque du diasporisme. J'ai
été intéressée par la relation de Roth au
judaïsme, rejeté qu'il a été par des Juifs américains,
par ce que dit Appelfeld du lien entre histoire de la vie et l'uvre.
J'ai aimé des portraits, par exemple celui d'Anna "une
toute petite femme de rien du tout dont l'anatomie entière semblait
avoir pour seule fonction de loger ses yeux étonnants"
et "son pull-over, une tente qui enveloppait comme un linceul
le reste de son corps d'anorexique". J'aime le fait qu'il évoque
et donne envie de lire des auteurs qu'on n'a pas lus dans le groupe ou
qu'on pourrait relire (Bellow, Appelfeld, Schulz, Mailer, Wharton, Kafka...).
Il y a des ingrédients pour me plaire, mais mais mais...
J'ai trouvé cela trop long, avec trop de passages pénibles,
répétitifs, incitant à les sauter car destinés
à exprimer des délires (il parle du "péché
de bavardage" des Juifs et il faut se tartiner la logorrhée
des deux Roth, de Georges, de sa femme, de Smilesburger, vraiment très
chiants). Par ailleurs, j'ai trouvé le scénario invraisemblable
(je n'y crois pas) et même puéril. Par exemple, sa femme
présente au début disparaît, alors qu'elle paraît
attentive à sa situation. Si comme il le mentionne, il visait un
scénario à la Marx Brothers à propos du diasporisme,
ça ne tient pas. Il, le narrateur, dit essayer de "rendre
crédible une histoire un peu tirée par les cheveux",
pour moi ça ne marche pas.
J'avais lu avec le groupe Professeur
de désir et par ailleurs Indignation
que je n'avais pas aimé, j'avais lu avec beaucoup de plaisir La
Tache, je suis déçue par ce livre. Et le titre ?
Bof
Fanny
J'ai accroché au début, j'ai trouvé cela élégant,
puis la lecture est devenue pour moi ardue : on se perd entre le
réel et la fiction, entre le vrai et le faux ; l'auteur cherche
à nous égarer. Dès le début il a des troubles,
très bien décrits. Utilise-t-il ces troubles comme un procédé
littéraire pour présenter ses propres contradictions ?
P. 85, il parle de l'holocauste qu'il voudrait fuir. Ou affronter ?
C'est l'attitude qu'il prête à Appenfeld. P. 562, il est
capable de garder son calme. Ces pages renvoient à l'incohérence
du personnage, ses paradoxes. Il me semble que cela décrit avec
justesse les méandres dans lesquels le/les personnages se trouve(nt)
pris, aux prises à la fois avec des troubles psychiques passés
ou peut-être encore d'actualité, et également avec
des positionnements éthiques et intellectuels concernant la diaspora
juive. Mais il y a des moments où j'ai décroché.
Il y a beaucoup de longueurs et de répétitions rendant la
lecture fastidieuse, mais j'ouvre aux ¾.
Françoise D
Tout d'abord en préliminaire, je voudrais dire toute mon admiration
pour Roth : je ne comprends pas pourquoi il n'a toujours pas eu le
Nobel, qu'il mérite largement comparé à certains
autres nobélisés (je ne nomme personne). J'ai (nous avons,
avec Geneviève et Annick L.) proposé ce livre parce que
pour moi il illustre toute son uvre, où il mêle magistralement
la fiction, l'autofiction et surtout le rôle du double. On connaît
son personnage de Nathan Zuckerman, autre lui-même : il adore
les jeux de rôles, le dédoublement, le vrai, le faux ;
il brouille les pistes avec une maîtrise totale, et ça me
fascine. Opération Shylock c'est le paroxysme : sommet
du/des doubles, des confusions d'identité de tous les personnages
(excepté Aharon Appelfeld), y compris Demjanjuck puisqu'on ne saura
jamais si c'était vraiment lui.
Roth brouille les pistes magistralement. Il dit "une confession",
donc, c'est vrai ? Ce qui est vrai, c'est que ce livre est né
après les graves troubles qu'il a eus suite à la prise d'un
anxiolytique, l'Halcion. Ce qui est vrai dans le livre, ce sont ses rencontres
avec Appelfeld et le procès Demjanjuck. Mais est-ce important ?
Évidemment non, le romancier se sert de tout et le transforme et
c'est ça son talent. Là encore on peut mesurer sa force
créatrice. Jusqu'au bout, avec l'histoire du chapitre 11, il nous
mène en bateau, et moi j'aime qu'il m'embarque sur ce bateau-là.
Je me rends compte que pour qui n'a rien lu de lui, ce n'est peut-être
pas le livre par lequel commencer. Sont sans doute plus abordables, compréhensibles
ses livres qui s'ancrent dans la société américaine
: comme J'ai
épousé un communiste, La
tache, Le
complot contre l'Amérique, etc. tous passionnants.
Quand je lis Roth, je me sens chez moi, de plain-pied, j'adhère
immédiatement. J'ai pensé à Woody Allen, son équivalent
au cinéma, surtout Zelig.
J'ai aussi pensé au dernier livre de Delphine de Vigan D'après
une histoire vraie, ça donne le vertige !
Claire
Et dans l'émission de Finkielkraut où elle dialogue sur
le
roman et le réel, elle dit tout ce qu'elle doit à Roth.
Annick L
Dans ce livre de Roth, il y a un jeu, c'est ce qui en fait l'intérêt
pour découvrir cet auteur.
Brigitte
Le Nobel ! On n'est pas sur la même longueur d'onde... Je me
suis barbée barbée barbée. Et
La Tache m'avait barbée barbée barbée.
C'est un problème pour le nouveau groupe qui va lire ce livre pour
sa première séance : Françoise, il faut que
tu leur dises que grâce au groupe on découvre des livres
intéressants... J'ai tout lu quand même. J'aime beaucoup
Le
Marchand de Venise qui emprunte 3000 ducats au juif Shylock qui
lui prendra une livre de chair en cas de défaut de paiement, livre
de chair devra être prélevée sans faire couler aucune
goutte de sang. Mais franchement Roth n'est pas à la hauteur de
l'uvre sous l'égide de laquelle il se place. Il y a tellement
d'autres livres plus intéressants ! Les sujets évoqués
sont très intéressants mais n'accrochent pas, ce n'est jamais
intéressant. J'ouvre un demi-quart
Monique L
Avec ce livre, j'ai découvert Roth. Et comme on m'avait dit que
c'était ennuyeux, je suis plus positive... Je ne me suis pas ennuyée
tout le temps ; car il y a des rebondissements, avec un enchâssement
de récits. C'est un roman policier, un thriller politique, une
réflexion sur la judaïcité, sur Israël. C'est
intéressant par tous les points de vue sur le conflit israélo-palestinien :
ce qu'il écrit ne peut l'être que par quelqu'un qui est juif
lui-même, sinon ça ne passerait pas. J'ai aimé que
Roth se mette dans la peau du personnage principal. Il y a une imposture,
il nous ballade ; mais très vite l'histoire est improbable.
Je n'ai pas accroché quant à la relation avec la femme du
double. Je n'ai pas apprécié ce qui concerne le fameux chapitre
XI. Manipulation ou confession ? Je m'en fiche. Il y a trop de répétitions,
de longueurs, mais c'est moins ennuyeux que ce à quoi je m'attendais.
Nathalie RB
De ce livre, jai fait une lecture naïve. Javais lu La
Tache et avais beaucoup aimé. Pour Opération
Shylock, à partir de la p. 300, jai cessé de prendre
des notes. Je n'étais plus intéressée. Comment peut-on
écrire 650 pages qui se déroulent en trois jours, avec trois
ou quatre idées ! Je suis très impressionnée
par cette capacité à dilater le temps à partir de
quelques faits insignifiants. J'aimerais pouvoir en faire autant !
D'autant plus que le texte se présente comme une confession et
que le récit autobiographique se présente généralement
sous une forme lacunaire. Or, tout au long du roman, le narrateur justifie
la précision des informations rapportées et se justifie
en répétant qu'il a pris beaucoup de notes, ce qui est censé
conférer une certaine vérité au texte. Jai
fait beaucoup de publicité à cette uvre au début
de ma lecture Lisez Opération Shylock !... -
j'étais complètement secouée par tout ce qu'il osait
écrire et qu'on ne lit pas habituellement. Je poussais des "ho"
et des "ha !" à chaque fois qu'il développait
les clichés (préjugés ?) que l'on entend sur les
Juifs, les Arabes, sur Israël ou la Palestine. Chacun en prenait
pour son compte. Je me suis interrogée aussi sur le rôle
du mensonge et de la dissimulation "Taqiya" p. 233 que le narrateur
pourrait reprendre à son propre compte ! Il y avait beaucoup
d'autodérision, beaucoup de portes forcées..., mais après
jai regretté
Luvre devient répétitive
et presque circulaire. C'est ça qui peut déranger dans la
construction du roman, c'est qu'il se met en scène et montre les
subterfuges de luvre en train de s'écrire, des choix
qu'il fait ou que l'on pourrait faire, des invraisemblances, des excès
dans les coïncidences (le dieu du hasard p. 561). C'est comme une
farce. Et cette farce (dont parle le premier avis transmis), on la ressent
avec ce rire qui traverse tout le roman (farce tragique ? de la condition
des Juifs de tout temps ou/et après la Shoah ?). En effet,
souvent le narrateur éclate de rire. J'ai perçu un aspect
schizophrénique dans ce que serait lidentité juive.
Qui suis-je en tant que Juif ? Que dois-je endosser ? Puis-je
être Juif sans me positionner dans une catégorie (voir la
longue liste p. 544) ? Linfirmière me fait penser
à un personnage dIrving
Claire
Moi de Crumb
Nathalie
Il récupère un peu trop lidée que la réalité
dépasse la fiction. On le suit parce quon samuse un
petit peu. Jouvre à moitié car jai adoré
la première moitié.
Rozenn
C'est difficile de passer la dernière et d'attendre
car je
dis tout de suite j'ouvre en grand. Et ce livre, je vais le donner. J'ai
tout lu à la lumière de l'épisode de l'Halcion. Il
écrit sur le mode de Dostoïevski, avec des points de vue différents,
sans qu'on connaisse celui de l'auteur. Cela montre bien ce qui peut se
passer en soi aussi. J'ai aimé la diaspora à l'envers. Tout
est magnifique, rien ne m'a ennuyée. Ça m'a rappelé
Jonathan Coe, car je me demande comment ça résisterait à
la relecture. J'ai aimé la distance, l'ironie, ce qui est vrai,
ce qui n'est pas vrai. Tout ceci est le reflet de la vie réelle.
C'est un livre fascinant, j'ai été totalement embarquée,
je l'ai lu d'une traite
Plusieurs
Quoi !!!
Rozenn
J'ai aimé la multiplicité des points de vue. J'ai aussi
pensé à Woody Allen.
Claire
J'aime bien sa définition du bon écrivain p. 399 :
"Il serait réconfortant, il serait tout amplement naturel,
de penser qu'à l'occasion d'un concours d'écriture romanesque
(dans le genre réaliste) avec cet imposteur, le vrai écrivain
se révélerait facilement plus fort sur le terrain de l'invention,
terrassant son adversaire en Complexité des Moyens, Subtilité
des Effets, Intelligence de la Structure, Puissance de l'Ironie, Intérêt
Intellectuel, Crédibilité Psychologique, Précision
de la Langue et Vraisemblance Globale".
Denis (avis transmis)
Un avis très limité et subjectif, puisque je ne suis pas
arrivé, en dépit d'une lecture souvent survolante, à
dépasser la moitié du livre que je n'ai pas aimé
du tout. Mais alors, pas du tout ! Verbeux, autocentré, lourd,
fatiguant, mal écrit (la traduction, peut-être ?). Le
scénario est pourtant alléchant ; cette histoire de
double aurait pu donner, entre les mains d'un écrivain alerte,
un très plaisant résultat. Au lieu de cela, nous pataugeons
dans la vie quotidienne pesante et inintéressante du narrateur,
qui noie complètement les événements importants et
significatifs.
Je crois que je suis absolument insensible à son écriture,
que je trouve impudique et vulgaire. Elle manque de cette élégance
qui caractérise les grands écrivains, même orduriers
comme Céline. Je ne suis jamais parvenu, jusqu'à présent,
à lire complètement un livre de Philip Roth (sauf une nouvelle
de 50 pages dont j'ai oublié le titre). Pourtant, les articles
réunis me le rendent plutôt sympathique, par son ironie et
son attitude critique. J'ouvrirais au quart, pour la moitié que
j'ai lue.
Aucun rapport avec l'autre Roth, moins connu mais plus "grand"
à mon avis, Joseph, dont j'ai lu tout ce que j'ai pu trouver. Un
immense conteur !
Emmanuel (message transmis)
Entre la petite dernière, le boulot, etc., les impératifs
ne manquent pas, c'est un peu la folie. J'ai juste le temps de lire les
bouquins de notre programme, et de me régaler diversement. J'ai
trouvé le Roth très drôle et d'une belle loufoquerie.
Désolé de mon manque assiduité physique, mais mon
esprit et mes lectures sont bien parmi vous.
Marlène(du
nouveau groupe parisien créé, en sa première séance)
Je trouve tout dabord que cest un bon choix, car lécriture
est soutenue et le sujet de livre est ambitieux. Ayant une formation de
psychopathologie clinique, jai trouvé que la dépression
sous leffet du médicament était finement décrite,
quelle était juste. Jai pensé que ce livre sur
la crise didentité, sur le dédoublement psychique
avait quelque chose démouvant, par la démarche de
mise en danger quest ce livre pour son auteur, par lhommage
à son confrère israélien quand il permet dentrevoir
ce que signifie lécriture pour la survie après le
trauma. Un autre passage intéressant du livre est sans aucun doute
le personnage de ce Palestinien, jadis brillant intellectuel, ancien professeur
duniversité que le retour dans son pays occupé a déshabillé
pour le transformer en un être paranoïaque et dont lintelligence
fonctionne à vide tandis que sa femme et son fils sont des êtres
détruits et traumatisés par ce quils vivent. Cest
assez courageux de montrer cela, comme de montrer les doutes de lofficier
israélien.
Pour ce qui est de la trame principale, je reconnais que la lecture laisse
une impression de trouble, tant lauteur exploite la veine du dédoublement
pour parvenir à écrire ce livre, que je ressens à
plusieurs moments de la lecture, comme une mise en danger de lui-même ;
lécriture est soudain supérieure à tout.
Dautre part, tout au long du livre, on ne sait que penser de cette
théorie du retour des Juifs dans lEurope quils ont
quittée après la Shoah. Lhistoire fonctionne dans
ses moindres détails, ainsi ces moments où le vrai
épouse les théories de lautre pour qui il se fait
passer ; la victime se transforme en quelque sorte en son agresseur.
Lépisode set si fort quil donne corps à la fiction.
Par contre, le face-à-face nocturne dans lhôtel ma
semblé de trop. Le retour à la théorie de lécriture
est une merveille dintelligence, mais pour moi le charme est rompu
à partir de là. Jai lu le reste comme étant
de trop, la magie nopérait plus.
Je considère que cet un bon livre et je lai déjà
recommandé à quelquun de mon entourage.
Annick N
J'avais un a priori favorable avant de démarrer la lecture
sur lauteur et sur un de ses livres que je ne connaissais pas.
Jai apprécié le procédé narratif de
Philippe Roth et de son double. Pas de vérité sur qui est
qui. Humour certes sur un sujet douloureux mais qui permet surtout les
longues "méditations ruminatoires". Et pour le lecteur,
ces méditations ruminatoires sont rudes.
Et comment lire cet ouvrage sans penser à la situation réelle
évoquée et lenlisement de cette situation ?
Jai beaucoup aimé la façon dont lauteur décrit
ses personnages, ses oncles, linfirmière qui ressemble à
"un millefeuille", son double, Zee..., et la façon dont
lui-même simplique dans le récit. Et tout ce qui se
joue autour de la filiation, de la transmission.
Ma lecture sest arrêtée à la p. 298 :
un mois, cest trop court pour une lecture de 651 p. où
jai eu envie de faire des pauses, de revenir en arrière.
Je continuerai cette lecture à mon rythme (je lis toujours plusieurs
livres à la fois). Je découvre aussi que lire un roman sous
contrainte (lavoir fini à telle date) change un peu sa propre
manière de lire.
Françoise H(du
nouveau groupe parisien dont les avis suivent)
J'étais intéressée par l'idée de ce livre.
Au début, j'étais très emballée, c'est battant,
très bien construit, enjôleur, pas dénué de
sensibilité. Je me souviens d'une belle description des membres
de la famille de Georges à Ramallah. Mais finalement ce livre ne
présente pour moi aucun intérêt. Il brasse beaucoup
d'idées : je retiens l'héritage que nos parents nous
ont légué, quand on est avec quelqu'un comment ne pas se
perdre dans la dilution des conventions, comment garder son identité
? Avec Appelfeld, il s'interroge sur ce qu'on retire des épreuves
que l'on traverse. Mais il ne répond jamais à ces questions.
Il manque de puissance, il manque de sincérité. Il a une
morale flottante. Ce sont des jeux de l'esprit, il n'y a pas de cur
là-dedans. Il est envahi par son narcissisme. Il n'est pas capable
de se décentrer. Dans son livre Et
la fureur ne s'est pas encore tue, Appelfeld raconte sa propre
histoire et ce livre-là est très poignant. Roth ne me concerne
pas, je suis très déçue.
Inès
Je nai pas du tout aimé. Je ne me pose pas de questions sur
ce que cherche à prouver ou à questionner l'auteur quand
je lis, mais je me concentre sur mon ressenti.
Cest plein de longueurs, cest pompeux. Je ne connais pas du
tout lauteur, cest comme si on lui avait demandé décrire
sur un sujet donné quelque chose et quil devait combler les
vides.
Cela manque demboîtements, certains passages manquent de fluidité,
et arrivent un peu comme "un cheveu sur la soupe" (à
propos de la conversation avec le chauffeur de taxi), j'ai trouvé
ça confus.
Je nétais pas dedans.
Il y a un passage que j'ai bien aimé (la sortie de la dépression
et le questionnement furtif sur la dangerosité des médicaments)
Une phrase ma bien plu : "Pour chacun des instants
où il gardera le silence, lhomme recevra une récompense
si magnifique quil nest pas de créature vivante qui
puisse la concevoir".
Éléonore
J'ai bien aimé. Sans doute parce que ce livre m'a offert l'occasion
de m'intéresser à la question juive pour la première
fois. Et aussi, parce que Philip Roth s'abstient de juger et les gens
et les faits, il reste neutre dans cette histoire donc cela permet de
se faire un avis personnel. Il prend le soin d'exposer les différents
points de vue : celui des Juifs, celui des Arabes, celui des personnes
qui n'ont pas de rapport avec Israël.
J'ai bien aimé qu'il commence par un jeu de schizophrénie
car lorsque je lis un livre, j'aime bien être perdue et avoir le
plaisir, à la fin, de comprendre : par exemple, là
dans le cas de la dépression, c'est le médicament qui en
est à l'origine, il y a une explication factuelle. Mais cette explication
factuelle a été remise en cause plusieurs fois et elle a
également été invoquée pour faire part du
doute du narrateur qu'il a bel et bien un autre Philip Roth en face de
lui. L'incertitude est entretenue ; on n'a jamais fini d'être
perdu. Philip Roth joue avec son double : quand il a découvert
l'existence de l'autre Philip Roth, au lieu de le dénoncer tout
de suite, il laisse faire : on dirait un enfant.
Le diasporisme, c'est une théorie que je n'ai jamais entendue auparavant.
Elle est brillante. La Deuxième Guerre mondiale a inventé
le peuple juif comme une identité unique, a stigmatisé cette
identité juive. Le peuple juif était une pluralité
qui ne partageait pas une culture commune. Le peuple juif, c'était
le peuple juif d'Allemagne, le peuple juif de Pologne, le peuple juif
de France...
A un moment, Philip Roth dit que le caractère ne fait pas le destin
de l'homme mais que celui-ci est ballotté par les événements
de la vie. J'ai lu précédemment dans Le charme discret
de la vie conjugale de Douglas Kennedy, une phrase qui dit exactement
son contraire. Même si je suis bien plus d'accord avec la proposition
de Douglas Kennedy qu'avec celle de Philip Roth, j'ai trouvé cela
intéressant d'avoir cet écho.
Je me suis arrêtée à la p. 320 par manque de temps.
Émilie
Je partais avec un a priori favorable, j'ai déjà lu quelques
romans de Philip Roth que j'avais aimé : La
tache, Indignation
Je suis assez partagée. Jai été embarquée,
javais envie de voir le double et ce qui allait se passer
Il y a un enchaînement de situations cocasses. Mais ensuite, il
ma perdue, je me suis lassée à partir de la confrontation
du narrateur avec son double dans la chambre dhôtel
Jai limpression que Philip Roth écrit pour répondre
à des critiques quil a reçues (ses positions à
propos du sionisme), mais comme je n'avais pas cet élément
de contexte, j'ai eu l'impression de rater certains éléments.
Il y a des personnes très différentes les unes des autres,
on arrive à avoir des avis différents sans ressentir le
jugement de l'auteur ce qui est intéressant. Mais des fois, cela
fait artificiel et lassant, cette façon de développer de
manière exagérée les points de vue.
Jai lu la fin en diagonale, en nappréciant pas le dénouement.
Nathalie B
Le seul livre que javais lu de Philip Roth était La
tâche et javais adoré ce livre. Du coup, jétais
très contente du programme de lecture, qui débutait par
cet auteur.
Le contexte a son importance. Le roman commence en janvier 1988, au moment
du procès à Jérusalem de John Demjanjuk, accusé
dêtre "Ivan le Terrible", surnom donné à
un gardien du camp de concentration Treblinka. Fin 1988, Yasser Arafat
(le narrateur laisse croire qu'il a pu le rencontrer), dirigeant de lOLP,
reconnaîtra le partage de la Palestine, en deux États, lun
juif, lautre arabe, et devant lONU, à Israël le
droit à vivre en paix, et déclarera renoncer au terrorisme.
Jai profondément aimé ce livre qui utilise la farce
pour aborder des sujets aussi sensibles que lidentité juive,
les traumatismes du peuple juif, la politique de lÉtat dIsraël,
des responsabilités face aux Palestiniens, des rôles de victime
et du bourreau qui sintervertissent, et de la folie que cela engendre.
Philip Roth joue avec son double pour sy confronter et rendre compte
de cette schizophrénie.
Il évoque aussi par ce procédé la question de lidentité
de lécrivain qui se cache derrière ses personnages
qui sont lui sans être lui : également situation schizophrénique.
Certes, cest narcissique, avec parfois le sentiment de longueurs
qui agacent. Mais juste, tellement intelligent et très attachant.
Valérie
A propos du livre de Philip Roth, javais un a priori très
positif car jai lu presque tout de lui. Or ses livres parlent du
même sujet : lidentité juive. Avant, Roth se posait
la question en tant que Juif américain, là, dans ce livre,
il dénonce tous les thèmes de la question juive (la Shoah
business, Ann Franck, comment les Israéliens se comportent avec
les Palestiniens et comment ceux-ci deviennent à leur tour des
victimes
) Quant à lui, il est fier dêtre juif
mais il porte aussi la culpabilité dêtre juif ! Avant
guerre, la question juive nexistait pas en Allemagne (les Juifs
étaient complètement assimilés) ; mais cétait
le contraire en Pologne (notamment en Galicie doù sont originaires
les parents de Philip Roth et en Bucovine dont est originaire Aharon Appelfeld)
où les Juifs vivaient dans des shtetls.
Après, jai lu Histoire
d'une vie d'Aharon Appelfeld. Les conversations entre Philip Roth
et Aharon Appelfeld sont un peu compliquées.
Toute la partie finale avec le Mossad qui lattend dans la salle,
ça ma vraiment fatiguée. A un moment, on a envie de
lui dire "Stop !" en particulier quand il récapitule
toute lhistoire. La description de lidentité juive,
je trouve ça courageux. Ses entretiens avec Aharon Appelfeld peuvent
être intéressants. Toutes les questions quil se pose
à propos du fils de John Demjanjuk sont vraiment intéressantes.
Oui, on pense souvent aux enfants des survivants de la Shoah, mais quen
est-il des enfants des bourreaux nazis ?
Inès
Puis-je changer mon avis ? Je partage totalement l'avis de Valérie,
car les passages sur les questionnements sur l'identité juive et
la judéité de chaque juif sont très intéressants
!
Éléonore
Ce qui est intéressant, c'est que Philip Roth est juif lui-même.
Cela lui permet d'avoir une compréhension sans doute plus fine
des Juifs et des Israéliens en particulier. En parallèle,
il a vécu sa judéité à distance, ce qui lui
permet de prendre de la distance et d'avoir un regard critique sur la
question juive (il n'est pas aveuglé par cette soif de vengeance).
Inès
Mais certains passages sont "parasitaires", et les enlever n'enlèverait
rien au livre. J'ai bien aimé le passage entre Philip Roth et le
soldat qui lui parle de son plaisir de lire.
Valérie
Je ne donnerai jamais en première lecture de Philip Roth ce bouquin.
Ou bien on rentre dedans, ou bien ça peut être le rejet.
Le livre est trop dense par le nombre de sujets traités. Je recommande
de lire en premier Portnoy
et son complexe.
Nathalie B
Pour moi, le rapport avec Le
Marchand de Venise est incontestable. Philippe Roth fait expressément
référence au personnage de l'usurier juif qui s'appelle
Shylock dans la pièce de Shakespeare. Il y a toute une controverse
sur ce personnage qui ferait ou non de Shakespeare un écrivain
antisémite. Il est antipathique d'autant qu'il réclame sa
" livre de chair blanche ", mais c'est aussi un personnage victime,
méprisé, insulté, à qui on a tout pris, sa
fortune, sa fille
Pendant longtemps, de nombreuses professions étaient
interdites aux Juifs qui se sont repliés sur le commerce de l'argent.
Mais ils étaient méprisés pour cela, voire détestés.
Shylock est victime et bourreau. Pour Israël, c'est pareil. Victime
ou/et bourreau.
François
Opération Shylock : une confession est un roman fascinant
par la façon dont il entremêle le réel et limaginaire.
Cette histoire de double dans le contexte du conflit israélo- palestinien
est captivante. Laction se présente comme une course-poursuite
avec cet autre lui-même qui va prendre des proportions incroyables,
avec des côtés tantôt tragiques, tantôt comiques.
Voire presque carnavalesque. Car une des qualités de ce livre est
bien lhumour dont lauteur fait preuve pour nous faire partager
le drame de son personnage qui tente par tous les moyens possibles et
imaginables déchapper à lemprise de cet avatar
qui ne cesse de le tarauder et de le harceler. Le personnage de Pipik
qui veut dire Moïse-petit nombril est un parfait exemple de lhumour
abracadantesque de Philip Roth. Entre lauteur et son double, nous
assistons à une interminable partie de cache-cache qui plus profondément
est un vrai questionnement sur ce qui fait notre identité. Même
si dans le livre, il est surtout question de celle de Philip Roth et plus
particulièrement encore de ce qui fonde son identité juive
(thème que lon retrouve dans toute son uvre). La trame
du roman est inséparable du contexte israélien et de tous
les soubresauts qui lagitent. Ce roman, pas toujours facile, mais
passionnant de Philip Roth demande sans doute à être lu et
relu tellement sa grande complexité fait quon a limpression
de ne jamais en venir à bout...
Ana-Cristina (qui répond à la question du début
de cette page : pourquoi les deux tableaux mentionnés illustrent-ils
sa vision du livre ?)
Quand je donne les raisons pour lesquelles un livre m'intéresse
ou pas, je ne peux (sais) pas dire vraiment tout ce que j'ai ressenti
et compris. Il subsiste une (grande) part de mystère.
C'était cette part là de ma lecture que je souhaitais transmettre
par le biais des tableaux. Illustrer l'inexplicable. Je voulais aller
au-delà des mots, simplement, sans bruit.
Mais, puisque vous avez pris la peine de lire mes impressions de lecture,
je vais tenter de répondre à vos questions. D'aller donc
contre mes intentions. Je me prête au jeu pour le plaisir de "la
conversation". Je vous rappelle néanmoins que mes remarques
concernant les tableaux ne sont que des intuitions, qui ne reposent pas
sur une connaissance (théorique) des uvres.
Kunstmuseum Basel (Bâle)
Seward Park, le tableau de Frank Stella est sans fond, comme un
puits (la masse noire). Les lignes jaunes arrêtent le regard (l'esprit),
l'obligent à scruter au-delà des limites. Le rectangle noir
tente d'effacer une partie de ces bandes sans y parvenir (une timide porte).
Et une bande verte traverse la toile dans le bord inférieur. Ces
éléments ne sont pas délimités nettement,
ils bavent les uns sur les autres. Le vert représente l'évidence,
l'aspect extérieur des choses.
Pour voir au-delà des apparences, il faut donc regarder au-delà
de la barrière protectrice.
Cette uvre est pour moi une façon de percevoir la réflexion
sur l'identité juive que mène Philip Roth : un travail
abyssal qui peut le rendre fou.
Fondation Beyeler
Argument et contexte de Jean Dubuffet représente plutôt
le travail du romancier (l'élaboration du récit) :
l'invention du double, les différents personnages, l'analyse de
leurs comportements et de leurs pensées, la place accordée
à la parole et à l'écriture, la diversité
des situations fictives, l'Histoire, l'actualité, la réalité,
etc.
Seward Park illustrerait l'aspect philosophique du roman et Argument
et contexte, sa construction.
Nathalie B (prenant connaissance de ces précisions)
Je trouve le lien avec le tableau de Franck Stella fort juste et l'analyse
qui l'accompagne très pertinente. Elle évoque la censure
avec ce noir. Philip Roth ne peut pas se permettre de ne pas censurer
ses propos qui pourraient ne pas lui être pardonnés par les
siens. Il censure tout en laissant exprimer ce qui doit être dit
dans un foisonnement débridé qui déborde.
Enfin, j'ai lu ce que j'avais survolé (les 100 dernières
pages). Franchement, en fermant le livre, je me suis dit qu'il était
vraiment génial. Si je m'écoutais, j'aurais encore envie
de discourir avec vous pour essayer de vous en convaincre.
Lona(du
groupe breton)
Comment classer ce livre ? Entre fiction, confession, thriller politique
et d'espionnage, étude de cas clinique de psychiatrie ? Un
peu de tout cela !
En commençant ma lecture, j'ai pensé à un dédoublement
de personnalité. Après quelques pages, j'ai invoqué
une usurpation d'identité. Mais quand Roth 1 rencontre Roth 2
dans son hôtel et son retour à Jérusalem, en taxi,
en pleine nuit, je n'ai plus marché : on est en pleine bouffée
délirante !
Je trouve l'idée du diasporisme assez intéressante. En remettant
cette théorie au goût du jour, je pense qu'elle passerait
mieux que l'invasion actuelle des réfugiés et surtout des
faux réfugiés ! En tous cas, Roth surfe bien sur les
problèmes d'identité et du double :
- ainsi Roth 1 et Roth 2 : le double jeu et double JE ; l'auteur
rappelle Carl Jung
- Ivan le Terrible et John Demjanjuk : un ancien tortionnaire et
un homme paisible père de famille, heureux jardinier ; mais
quelle est la place du descendant du meurtrier ?
- Israël et la Palestine : hier une unité géographie,
aujourd'hui partagée en deux, chacun cherche une existence et une
reconnaissance (encore une histoire de double !)
Que faire de ce double ? Le condamner ? (Je vois dans le procès
de Demjanjuk un parallèle avec celui de Eichmann qui a été
jugé en 1960, également à Jérusalem, mais
qui a fini par être exécuté alors que John a été
acquitté par manque de preuves réelles). C'est aussi une
réflexion sur le judaïsme : aujourd'hui le fait religieux
a une réelle emprise sur le politique.
J'ai souligné quelques passages plein d'humour : les goys,
le caractère des Juifs, leur rapport à l'argent, Philip
et sa raie de cheveux, les chaussures qui valsent dans le couloir de l'hôtel,
les problèmes digestifs du chauffeur de taxi, et Pipik
J'ai
aimé la femme de Ziad qui apporte une note de féminité
et d'affection dans un récit parfois stressant.
Un livre facile à lire, mais à dire vrai, je ne me suis
pas réellement régalée.
Chantal(du
groupe breton)
De ½ au départ je suis arrivée à ¾.
- ½ parce que j'ai calé au milieu : ras le bol de P. Roth
et des Juifs, prête à m'inscrire aux AA !!!
- ¾ parce que j'avais envie de voir où P. Roth allait m'emmener !
Et aller lui-même avec son double !!
J'ai aimé :
- l'idée du double, cet autre lui-même qui lui permet de
dire tout ; et l'habile étalage qu'il fait des "personnalités
multiples" des Juifs
- l'imagination sans limites de l'auteur : le diasporisme, les Anti
Sémites Anonymes, les loshn horé du Hofetz Haïm !!!...
- sa propension, à partir de faits réels, de rencontres
réelles, de broder à l'infini... et de nous emporter avec
lui-même si on ne sait pas où !
- l'humour qui vient tout alléger : le pénis-implant
de Pipick...
- les descriptions fouillées des personnages : leur aspect physique,
leur intériorité
- le style brillant, foisonnant : phrases très-trop-longues
ou au contraire courtes, hachées, qui répètent, martèlent,
quel délice !
J'ai moins aimé :
- les références très américaines, par exemple
Wenda Jane
- la fin emberlificotée de l'opération Shylock et l'épilogue,
je n'ai pas tout compris, mais bon, est-ce bien important ?
- l'impression d'une lecture trop superficielle pour déceler toutes
les subtilités, les circonvolutions cérébrales de
P. Roth !!!
Nos avis sont bien partagés.
Nous avons aimé...
|
pas du
tout
|
un peu
|
moyennement
|
beaucoup
|
passionnément
|
|
|
|
|
|
fermé
!
|
ouvert
¼
|
½
|
¾
|
grand
ouvert !
|
Monique
S
|
Séverine
|
Ana-Cristina
|
Jacqueline
|
Annick
L
|
Françoise
H
|
Lisa
|
Claire
|
Richard
|
Françoise
D
|
Inès
|
Brigitte
|
Monique
L
|
Fanny
|
Rozenn
|
|
Denis
|
Nathalie
RB
|
Emmanuel
|
Nathalie
B
|
|
Odile
|
Émilie
|
Marlène
|
Valérie
|
|
Robert
|
Éléonore
|
Annick
N
|
|
|
|
Lona
|
François
|
|
|
|
|
Chantal
|
|
DOCUMENTATION
- Pour découvrir luvre et le
parcours de Philip Roth, une intéressante émission de 52
min de La Grande Libraire le 19 mars 2015 : là.
- Pour consulter un choix d'articles et d'interviews : ici
- À la sortie du
livre (qui contient un Philip Roth n° 1 et un Roth n° 2
son double), un article dans le New York Times présente
un Roth n° 3 (pour bien embobiner le lecteur...) : l'article
s'intitule Philip Roth voit double. Et peut-être triple, aussi.
La journaliste qui rencontre Roth à la sortie du livre rapporte
ses paroles : Le
livre est vrai. Comme vous savez, à la fin du livre, un agent du
Mossad ma fait réaliser quil était de mon intérêt
de dire que ce livre était une fiction. Et je devins tout à
fait convaincu quil était de mon intérêt de
le faire. Aussi ai-je ajouté la note au lecteur, comme il me lavait
été demandé
(larticle d'Esther B. Fein "Philip Roth Sees Double. And Maybe
Triple, Too", The New York Times, 9 mars 1993 : ici,
en anglais)
- Linterview dAppelfeld effectivement réalisée
par Roth et publiée également dans The New York Times
: là
(en français)
- Lhistoire des procès de John Demjanjuk, finalement laissé
en liberté : ici
- Pour élargir sur le thème "Le roman,
le réel", Alain Finkielkraut s'entretient avec Émilie
Frèche et Delphine de Vigan qui dit ce qu'elle doit à Philip
Roth (Répliques, France culture, 12 décembre 2015 :
là)
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