Extrait de
wikipedia
Traduit du coréen par Eun-Jin JEONG
et Jacques BATILLIOT
La quatrième
de couverture
"Han Kang ou Han Gang est une écrivaine sud-coréenne.
Elle est la fille de l'écrivain Han Seung-won. Elle débute
sa carrière avec sa nouvelle L'Ancre rouge qui remporta
le concours printanier du quotidien Seoul Shinmun. Depuis lors, elle a
remporté le prix Yi Sang en 2005, le Prix de l'artiste d'aujourd'hui,
et le Prix de littérature coréenne."
La quatrième
de couverture
"Une nuit, elle se réveille et va au réfrigérateur,
quelle vide de tous ce quil contenait de viande. Guidée
par son rêve, Yonghye a désormais un but, devenir végétale,
se perdre dans lexistence lente et inaccessible des arbres et des
plantes. Ce dépouillement qui devient le sens de sa vie, le pouvoir
érotique, floral, de sa nudité, vont faire voler en éclat
les règles de la société, dans une lente descente
vers la folie et labsolu."
Le début du livre
"Avant qu'elle ne commençât son régime
végétarien, je n'avais jamais considéré ma
femme comme quelqu'un de particulier. Pour être franc, je navais
pas été attiré par elle quand je lavais vue
pour la première fois. Ni grande ni petite, des cheveux ni longs
ni courts, une peau jaunâtre qui desquamait, des paupières
lourdes, des pommettes un peu saillantes et une tenue aux couleurs ternes
qui semblait dénoter un souci de fuir toute marque d'originalité.
Chaussée de souliers noirs du modèle le plus simple, elle
sétait approchée de la table où je lattendais,
d'un pas qui n'était ni rapide ni lent, ni énergique ni
indolent.
Si je l'avais épousée, bien qu'elle
fût dépourvue de tout charme remarquable, cétait
parce quelle navait pas non plus de défaut notable. La banalité
qui caractérisait cette créature sans éclat, ni esprit
ni sophistication aucune, m'avait mis à l'aise. Je n'avais pas
eu à faire semblant d'être cultivé pour limpressionner,
à me précipiter pour ne pas être en retard à
nos rendez-vous, à nourrir des complexes en me comparant aux mannequins
des catalogues de mode. Devant elle, je n'avais pas honte de mon ventre,
qui avait commencé à se bomber dès l'âge de
vingt-cinq ans à peu près, ni de mes bras et de mes jambes,
que je narrivais pas à muscler malgré mes efforts,
ni même de mon sexe, dont les modestes proportions mavaient
toujours inspiré un sentiment d'infériorité que je
prenais soin de dissimuler.
Je métais toujours gardé de
ce qui me paraissait trop bien pour moi."
L'affiche du film
adapté du livre
par Lim Woo-seong
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Han Kang
La végétarienne
Nous avons lu ce livre en mai 2017,
le groupe breton aussi (soit 23
lecteurs).
Voir en
bas de page des infos sur le livre, l'auteur et son uvre.
Claire
Fanny
Françoise
Manon
Muriel
Catherine
Danièle
Henri
Jacqueline
Monique L
Richard
Nathalie
Séverine
Manuel
Et
Claire-Lise
Muriel (avis transmis d'une
internaute)
J'ai été emportée par cette fable contemplative.
Yonghye, le personnage principal devenue végétarienne, est
superbement décrite tour à tour par un mari très
superficiel et vulgaire, soumise à un père cruel ancien
vétéran de la guerre du Vietnam, filmée par un beau-frère
subjugué par sa nudité et une sur bienveillante et
dépassée par sa folie.
J'ai aimé ce roman, très visuel avec des scènes d'une
cruauté inouïe, notamment quand son père veut la forcer
à manger, très poétique quand elle devient végétale,
un visage de bonze, le corps recouvert de fleurs diurnes et nocturnes
et qu'elle traverse l'écran avec un érotisme certain.
J'ai admiré l'écriture ciselée, précise lors
du dépouillement progressif de l'héroïne qui va doucement
s'enfoncer dans la folie.
Ce roman m'a envoûtée, j'avais hâte de connaître
la fin de cette fable onirique et remercie Voix au chapitre sans
qui je n'aurais vraisemblablement pas lu cet étonnant livre sud-coréen.
J'ai beaucoup aimé.
Jacqueline
J'ai lu ce livre très rapidement c'est une histoire
très prenante mais finalement trop rapidement. La construction
est remarquable avec ce portrait en creux au travers de trois points de
vue très différents.
Dans la première partie, le récit terre-à-terre et
minutieux de cet homme médiocre et conformiste qui a choisi cette
femme pour sa banalité est entrecoupé des rêves sanglants
de sa femme. On la sent perdue, en proie à quelque chose qui la
dépasse face à une violence terrifiante qu'elle ne sait
à qui l'imputer (pourrait-elle même en être coupable ?).
Il y a une certaine ironie à la description des efforts de cet
époux, lui aussi dépassé, qui vont aller à
l'encontre de ce qu'il cherche et en tout cas susciter une violence bien
réelle. Dans cette première partie apparaît une société
à la fois "moderne", occidentalisée, qui nous
est familière (les rapports d'entreprise, la consommation) et la
prégnance des conventions et des traditions ancestrales dont il
est plus difficile de mesurer le sens et le poids...
Au début de la deuxième partie, j'ai cru d'abord à
une autre histoire (ce serait un recueil de nouvelles...) qui me laissait
sur ma faim... Mais non, c'était bien la suite vue par le beau-frère !
Et à travers l'art (là aussi très contemporain !)
arrive un souffle de désir et de liberté. Yonghye parlant
des dessins exubérants sur son corps : "je
ne voulais pas qu'ils s'effacent, a-t-elle répondu sur un ton neutre,
grâce à ça je n'ai pas rêvé",
puis, après l'étreinte assumée : "à
présent... j'ai compris. Ces visages vivent dans mon ventre, ils
viennent de là...Maintenant je n'ai plus peur...".
Autre chose pourrait-il ou aurait-il pu être possible ?
La troisième partie est le récit de la fin de Yonghye, vue
par sa sur, celle qui s'est voulue la plus proche et qui l'a fait
interner... Tentative de comprendre ce qui échappe, forces de la
nature, violence des soins hospitaliers...
J'ai beaucoup aimé ce livre très riche. Il mérite
une relecture attentive pour laquelle j'ai manqué de temps... Je
l'ouvre aux ¾.
Nathalie(avis
développé après la soirée)
Quand j'ai lu La végétarienne, la première
note de lecture que j'ai prise concernait la sur de Yonghye. Elle
y évoquait "un
temps uniquement dominé par le souci de l'autre et celui de tenir
bon qu'elle avait assumé de son plein gré"
(p. 189). Ma deuxième note était
sur le rire comme espace de liberté ou de suspension dans la souffrance :
"les seuls moments
où le mal cesse sont ceux qui suivent un éclat de rire"
(p. 196).
Ces deux notes ont profondément orienté ma lecture qui s'est
tracée en pointillés, avec des rythmes et des envies très
différents, tour à tour ennuyée ou attirée
par ce qui était raconté. Pour moi, cette uvre est
une uvre universelle, philosophique et poétique. Elle n'a
pas vocation à être lue à l'aune d'une "coréanité",
elle se lit comme n'importe quelle uvre qui parle de la volonté
pour une femme d'échapper à une condition qu'elle ne veut
plus supporter. C'est une uvre qui s'enroule de façon triptyque
autour du thème de la folie, de la passivité face à
des codes qui enferment. Elle nous raconte un univers sans liberté
où toute zone franchie semble conduire n'importe lequel des protagonistes
à l'enfermement ou à l'exclusion. Que cela soit Yonghye,
sa sur, ou les deux beaux-frères. Chacun reste englué
dans un encart très étroit. Et seul le rêve permet
l'échappatoire.
J'ai donc très rapidement lié ma lecture à celles
que j'avais faites il y a de très longues années de celles
des uvres de Gaston Bachelard car l'univers onirique de Yonghye
relève d'une imagination débridée qui l'affole et
qui affole son entourage. C'est même intéressant d'utiliser
ce terme d'affolement (sic) pour parler de ses visions délirantes.
Pour Bachelard, dans L'Air
et les songes, l'imagination est la faculté de déformer
des images et il y a imagination lorsqu'une image occasionnelle détermine
une prodigalité d'images
aberrantes. Elle est l'expérience d'une nouveauté et
si une image devient fixe, elle cesse d'être imaginaire. Les rêves
délirants sont incompréhensibles aux autres et à
elle-même. Yonghye est pour moi, dès le début une
anti-héroïne. Les premières pages m'avaient fortement
interpellée quand nous avions évoqué notre choix
de lire ce roman. Je m'interrogeais : était-ce un livre sur
la soumission ? (Car en quoi et à quel moment, le personnage
prend-il une seule décision en dehors de sa volonté de ne
plus manger de viande ?). Pour prendre un autre chemin et fuir ses
rêves, Yonghye se place en extase par l'absence de nourriture. L'extase
étant par définition l'élévation extraordinaire
de l'esprit dans la contemplation des choses divines (ici la nature, l'arbre,
les fleurs) qui détache une personne des objets sensibles jusqu'à
rompre la communication avec tout ce qui l'environne : c'est ce
qui me semble le plus proche de ce que fait la jeune femme.
J'ai donc été également très touchée
par l'idée que tout dans ce texte est proche de notre culture et
les diktats de la culture coréenne me semblent interchangeables
avec les nôtres. J'en étais tellement étonnée
que j'ai dû aller "voir" à quoi pouvait
bien ressembler "un Coréen" ou "une Coréenne".
Je n'arrivais pas à imaginer.
Pourtant, il me semble également qu'il manque la genèse
à ce roman. Je ne comprenais pas ce qui avait pu pousser Yonghye
à épouser un type aussi méprisant à son égard.
J'ai également réfléchi à qui prenait en charge
des affirmations telles que "Il
faut avouer que la vie avec elle, ce n'était pas vraiment festif"
(p. 11) ou "pas
de passion donc pas d'ennui" (p. 12).
Le narrateur étant tantôt un homme, tantôt une femme,
l'écrivaine joue avec nous et il serait intéressant de savoir
si cela a un aspect féministe de créer ainsi une dénonciation
satirique de la vision masculine. Il y a une violence permanente de la
domination dans ce roman (la famille, la sur, le mari, le beau-frère,
l'univers médical). Une idée très répandue
parmi notre propre civilisation que l'homme sait ce qui est "bon
pour nous" les femmes. J'ai enchaîné la lecture
de cette uvre avec celle de King
Kong Théorie de Virginie Despentes, et cela a sûrement
influencé tout ce que j'en pense aujourd'hui.
Une société carcérale où "il
faut faire honte à une fille qui se démarque"
(p. 125) et dans laquelle "plus
un mec manque de qualités viriles plus il est vigilant sur ce que
font les femmes" (p. 135).
Bref, j'ouvre ce livre aux trois-quarts même si je ne suis pas sûre
d'avoir réussi à bien exprimer ce que je ressens et que
je reste persuadée qu'il mérite une deuxième lecture
qui en révélera de nouveaux aspects.
Danièle
Dans ce roman, on est dans le délire, mais pas tout de suite. J'ai
été étonnée par le début, très
distant, d'autant plus que le "je" correspondait à un
homme, alors que je m'attendais à un plaidoyer personnel de la
narratrice sur la problématique du végétarisme. Puis
c'était le délire au vrai sens du terme : dans la première
partie tout partait des rêves de Yonghye, dans la deuxième
partie, on était dans le délire artistique, avec toute la
puissance créatrice du beau-frère. Et moi j'étais
prête à m'envoler dans leur délire. Or le roman n'est
pas délirant en fait, il est très bien construit, avec les
différents points de vue qui se croisent, donnant par là
une preuve de réalité. Ce qui m'a plu est que les deux aient
des visions et des rêves semblables au même moment. En revanche,
l'intolérance de la famille envers ceux qui veulent vivre autrement
m'a mise mal à l'aise et me semble à la source du comportement
de Yonghye. La troisième partie a un caractère plus clinique,
qui m'a déçue. Mais c'est un beau roman, j'ouvre aux ¾.
Séverine
Je suis perplexe. Je ne sais pas quoi dire. Ce
livre est dérangeant. Je n'arrive pas à savoir quoi en penser.
Comme Marie-Odile, j'ai pensé à la métamorphose.
J'ai un doute concernant une interprétation psychanalytique possible,
à propos de l'abus du père sur sa fille, il me semble qu'une
phrase peut le laisser penser. C'est une culture différente, avec
un rejet de l'individualisme. Et dans l'histoire, l'introspection du personnage
va à l'encontre de la famille. J'ouvre au ¼.
Claire
Je l'ai lu il y a trois mois et n'avais gardé qu'une impression
extraordinaire. Je l'ai relu cette semaine et la relecture n'est pas une
démarche familière. Je suis emballée par ce livre.
Quelle étrangeté ! Quel plaisir de découvrir
un livre, quelque chose qu'on n'imaginerait pas que ça puisse exister
Le départ est tonitruant, j'avais retenu aussi cette phrase que
tu as mentionnée Nathalie "il
n'y avait jamais eu de véritable passion entre nous, l'ennui n'était
pas installée dans notre couple" une
phrase qui résonne. J'ai aimé les changements, du fait de
la construction avec les trois points de vue, des voix bien différentes
("je" du mari, "je" du beau-frère, "je"
de la sur) et avec d'autres points de vue qui apparaissent au fur
et à mesure. J'ai aimé la deuxième partie avec l'aventure
de l'art contemporain au cur, loin des modes, du marché
de l'art : l'image du corps peint, c'est magnifique (et magnifiquement
rendu dans le
film). Après c'est de plus en plus poignant. J'ouvre ce livre
en grand.
Catherine
J'ai été très troublée. C'est très
surprenant le côté très glacé du début,
la première page est scotchante. J'ai lu comme une plongée
dans la folie, pas loin de Sainte-Anne
, et avec le côté
très fort des rêves, une plongée aussi. La deuxième
partie, c'est le côté artistique, très poétique,
les images sont belles, on tombe dans la beauté. La troisième
partie c'est un versant très différent, la seule où
elle ne s'exprime pas.
C'est un livre qui ne laisse pas indifférent. Il y a un aspect
culturel que je n'ai pas compris, concernant la société
coréenne, avec ce côté végétal. Je suis
contente de l'avoir lu, j'ouvre aux ¾.
Henri
J'ai lu facilement et avec plaisir. J'ai bien aimé ce livre car
il laisse perplexe. J'ai justement hébergé un copain bouddhiste
et suis arrivé à la conclusion que c'est un livre bouddhiste,
pas sociologique, pas féministe, un livre traversé par une
volonté d'écriture dépersonnalisée. Les personnages
sont assez plats, servent de prétexte à une description
du réel. Au début j'ai pensé que ça allait
être un plaidoyer pro-végétarien, mais il y a une
cassure à la deuxième partie, avec l'apparition du beau-frère.
Ce n'est pas érotique. C'est une tentative d'écriture hors
de toutes nos logiques : on a l'impression de forces à l'uvre
pour rejoindre un état presque minéral. Je l'ouvre aux ¾.
Richard
Je suis perplexe : je m'attendais à lire un roman... Le
démarrage se fait sur les chapeaux de roue... Et je veux voir comment
la végétarienne évolue (est-ce possible d'aller vers
la schizophrénie ?). Mais le récit change dans la deuxième
partie, très différente. La dimension sexuelle ne m'a pas
vraiment ému. J'ai lu ensuite les commentaires en
ligne : il s'agit en fait de trois nouvelles ! Une
remarque : je pensais au début de ma lecture qu'il s'agissait
d'un auteur masculin, et je ne comprenais pas pourquoi le mari était
peint comme un égoïste ; vu par une auteure, cela se
comprend... J'ai beaucoup aimé ce livre, j'ouvre à la moitié.
Plusieurs
Seulement !
Richard
C'est rare que j'exprime un enthousiasme, mais bon... ¾.
Françoise
Oui, faisons monter les enchères...
Manuel
Ce livre est très ennuyeux ! Il m'a été très
difficile de le finir. Une "fable", dit la quatrième
de couverture : j'ai essayé de le classer, de le mettre dans
une catégorie, mais sans y parvenir, j'ai pensé aux mangas.
J'ai détesté la scène du chien.
Françoise
Aaaah l'horrrreur...
Manuel
L'écriture est assez plate. Il y a des banalités, des scènes
inutiles. Et la fugue dans la forêt, on ne comprend pas. J'ai beaucoup
pensé à
l'exposition sur les Jardins qui a lieu en ce moment et que je vous
recommande, et à cet arbre à l'envers dans l'exposition,
racines
en l'air (de Rodney Graham*).
Je n'ai pas trop compris la fin. Livre fermé !
Henri
Je sens que Françoise va le descendre...
Françoise
J'ai, j'ai, j'ai... adoré ce livre. Au début, j'ai eu une
réaction comme Jacqueline. Mais il y a un fil conducteur. J'ai
adhéré, j'ai tout pris. Je suis troublée par le mari
qui dit qu'elle est moche et le beau-frère qui dit qu'elle est
super belle
Claire
Bah ça arrive souvent
regarde-nous, super beaux
Françoise
Je comprends l'évolution de cette fille, elle est d'ailleurs végane,
non pas végétarienne ; elle est cohérente, elle va
au bout de son truc. Les rêves ont aussi une réalité.
Personnellement, je ne veux pas être incinérée mais
enterrée pour rejoindre la nature, les cendres ça ne me
parle pas.
Claire
On met ça en ligne Françoise, car au cas où on ne
trouve plus de tes dernières volontés au moins, elles seront
là
Françoise
Très bien ! J'ai ressenti de l'empathie pour tous les personnages,
le beau-frère aussi avec cette aventure. Il n'y a guère
que le père
à cause du chien. Les Chinois aussi considèrent
que plus l'animal a souffert, meilleure est la viande, il y a un grand
festival du chien, bref, l'horreur. J'ai adoré le livre, j'ai beaucoup
aimé sa construction et l'écriture, rien d'extraordinaire,
mais adaptée au récit. J'ouvre en grand.
Monique L(qui
nous a proposé ce livre après avoir consulté sa nièce
Hyun Ah...)
Un roman onirique, étrange, écrit avec précision
et finesse et qui m'a déconcertée. C'est à la fois
pudique, sensuel, poétique et dramatique.
Yonghye, fascinée par les arbres et les plantes, gomme progressivement
tout ce qui la rattache au monde. Elle semble dévorée de
l'intérieur par les visions qui l'assaillent chaque nuit.
Il n'est pas particulièrement aisé d'appréhender
la culture coréenne. Le rôle du corps, de l'hygiène
et de la nourriture m'a toujours interrogée pour le peu que j'en
connais. J'ai lu dernièrement un texte sur la cuisine des temples
en Corée qui réconcilierait corps et esprit : elle
est bien entendu végétarienne stricte, mais de plus exclut
des denrées excitantes qui gêneraient la méditation
comme le piment, l'ail, le poireau, la ciboulette et l'oignon (en fait,
tous les légumes qui dégagent des saveurs fortes).
Ce livre génère des réflexions sur ce qui est dans
la norme ou ne l'est pas, sur l'anorexie, sur l'autodestruction.
Le couple de Yonghye est étonnant. Le mari, personnage froid et
attaché au paraître, vit le changement de sa femme comme
une trahison ; il n'a aucune empathie pour elle. Même si ses
objectifs restent totalement égoïstes, le beau-frère
parvient à toucher Yonghye et recrée un contact avec elle
(la capacité de l'art à atteindre l'âme ?) ;
en tout cas, la peinture semble bien avoir réussi à percer
sa carapace d'isolement.
J'avoue avoir découvert l'existence de "la tâche mongolique"
grâce à ce récit. Le passage de body painting érotique
et coloré est très troublant et reste un moment fort et
fascinant de ce roman.
La sur, Inhye, qui a toujours eu un certain rôle de mère
pour Yonghye, accepte difficilement la situation. C'est pour moi la seule
dans toute cette histoire à essayer réellement de comprendre
sa sur. C'est le personnage dans lequel j'ai pu me projeter et j'ai
ressenti sa souffrance à ne pouvoir la sortir de là et à
la voir s'éteindre petit à petit sans pouvoir rien faire.
J'ai vécu avec elle, ce sentiment d'impuissance face à un
drame qui se déroule sous vos yeux. C'est horrible de se sentir
impuissant et surtout de ne rien comprendre.
Ce roman décrit une situation, et c'est bien fait, mais il me manque
des clés pour comprendre Yonghye, pour entendre ce qu'elle a à
dire. On comprend que l'enfance a dû jouer son rôle dans ce
drame, surtout lorsque la sur analyse ce qu'elle aurait pu faire
elle-même.
La construction du roman est intéressante même si elle n'est
pas nouvelle. Le style simple, épuré, convient parfaitement
au sujet. J'ouvre aux ¾.
Fanny
Dès les premières pages j'ai été séduite
par le ton, le style du roman. La manière dont le narrateur parle
de sa rencontre avec sa femme, de ce qui a motivé son choix d'une
épouse en apparence si ordinaire se transcrit à travers
une sorte d'humour décalé et distancié qui pourrait
laisser présager d'un roman construit dans un style assez léger.
Personnellement en lisant ces premières pages le sourire m'est
venu aux lèvres spontanément.
Rapidement avec la narration des cauchemars, je me suis trouvée
immergée dans un tout autre registre. Les ruptures dans la construction
de la narration avec le récit très direct de ces cauchemars
ont un effet saisissant. Sans que cela soit nommé d'emblé
on comprend vite que l'on est en face d'un point de bascule dont l'enjeu
dépasse un choix d'un mode d'alimentation.
La première partie pourrait se suffit à elle-même,
en l'achevant j'ai d'ailleurs cru qu'Il s'agissait d'une nouvelle. Les
deux autres parties sont complémentaires, offre une lecture d'un
autre point de vue. J'ai trouvé cette construction dynamique, cela
donne du rythme et de la force au récit. Pas de temps mort, pas
de creux, l'intensité perdure tour le long de la lecture.
La maladie mentale est ici abordée de l'intérieur, avec
au premier plan le vécu du personnage concerné. La focale
change, s'élargit avec les deux autres parties comme s'il s'agissait
de porter un regard à chaque fois un peu plus distancié.
Et pourtant dans les deux cas la question de la folie traverse également
les narrateurs, le point de rupture n'est jamais loin : marqué
sur le corps ou parlé comme une crainte de ce qui aurait pu advenir.
Cette manière d'aborder ce thème, notamment à travers
des descriptions physiques, corporelles m'a rappelé Kenzaburô
Ôé.
Je trouve ce roman d'une grande justesse, à la fois percutant et
dérangeant. Je le conseillerai mais à des lecteurs avertis.
J'ouvre en grand, merci à Monique pour cette découverte.
Manon(avis
transmis)
Ce livre m'a beaucoup perturbée, rétrospectivement je le
considère comme un thriller : suspense, jusqu'où va-t-on,
peur, mystère...
Au début, je ne savais pas bien pourquoi je tournais les pages.
Mais je ne pouvais m'empêcher de le faire et lorsque j'ai fini la
première partie je me suis sentie frustrée pensant que tout
s'arrêtait là ! J'ai alors commence Petit
pays mais je n'arrivais pas à me concentrer enfin
nous en reparlerons au moment venu... J'ai donc décidé de
lire la deuxième nouvelle en me disant que je retrouverai peut-être
un personnage et que j'en apprendrai un peu plus , et là BIM !
ils étaient tous là, sous un angle différent, mais
bien présents !
J'ai tout dévoré en une soirée, je voulais savoir,
connaître, ce qui arrivait à l'héroïne, le pourquoi
du comment, jusqu'où elle irait ! J'ai trouvé incroyable,
truffé d'indices, un peu comme une enquête policière.
Chaque nouvelle a son atmosphère, mais l'ensemble se lie à
la perfection ! Je suis tellement enthousiaste, choquée et
enthousiaste.
Et puis à la fin tout s'éclaire, elle n'est pas végétarienne,
elle est un ARBRE. Mais oui ça n'a rien à voir et c'est
beau, c'est poétique, c'est encore plus juste lorsqu'on connaît
la Corée du Sud qui a des paysages naturels incroyables, mais dont
Séoul est tellement étouffant !
Et puis ça m'a rappelé une anecdote personnelle : lorsque
je vivais au Canada, je connaissais un Coréen qui s'étant
cassé le bras avait tout naturellement demandé où
l'on pouvait manger du chien afin qu'il puisse rependre des forces plus
vite... Et c'est aussi la puissance du livre de nous montrer la Corée
et ce côté de sa société !
Bref en grand j'ouvre, une grande claque, un choc absolu et absolument
délicieux !
Claire-Lise (qui
a participé à quelques séances l'an dernier et dont
l'avis a été sollicité pour les raisons que l'on
va comprendre)
Je ne sais pas si je suis familière de cette culture coréenne.
Je la connais beaucoup moins bien que la culture japonaise (j'ai vécu
10 ans au Japon), mon seul mérite étant de vivre avec mon
mari né en Corée du Sud il y a 50 ans, mais ayant vécu
la majeure partie de sa vie entre France et Japon.
Pour ce qui est de la littérature coréenne, je ne m'y intéresse
que depuis deux ou trois ans à vrai dire. J'ai commencé
par les "classiques" comme Yi Munyol (Le
poète, Notre
héros défiguré), Hwang Sok-Yong (La
route de Sampo,
Le vieux jardin), ou encore Lee Seung-U (La
vie rêvée des plantes).
J'ai lu La végétarienne après le Salon du
Livre de l'année dernière qui avait mis La Corée
du Sud à l'honneur. J'ai eu La chance de rencontre Han Kang dont
j'ai acheté le livre à cette occasion. Je ne l'ai pas particulièrement
aimé. Je n'ai pas accroché à l'histoire de cette
folie. J'ai trouvé la fin décevante et convenue. La guerre
civile de 1950, comme la révolte contre le régime autoritaire
dans les années 90 sont des thèmes qui reviennent souvent
dans la littérature coréenne. Un bel exemple est celui de
Slim Chul-Woo, avec Terre
des Ancêtres.
Plus récemment, j'ai adoré
L'empire des Lumières de KIM Young-Ha. 24 heures dans la
vie d'un agent du Nord dormant au Sud depuis plus de 20 ans et qui est
rappelé au Nord. Que faire ? Partir ? Vers quoi, vers
qui ? Avec quels risques ? Pour quelle idéologie ?
Rester dans un pays qu'il détestait au départ mais qu'il
a fait sien au bout de toutes ces années ? Une lecture très
intéressante sur les liens entres les deux Corées et la
fin des illusions.
Claire
J'ai parcouru un autre livre de Han Kang, emprunté à la
bibliothèque, Celui
qui revient ("roman lié" aussi comme
dit la traductrice, avec des chapitres qui changent de narrateur)
et qui commence également très fortement, avec une écriture
l'air de rien, autour de dizaines de cercueils. Le livre a trait à
des événements très violents des années 80.
Et j'ai compris à lire des entretiens avec l'auteure que ce qui
est à l'origine de La végétarienne, c'est
également la violence.
Henri
Je vous rappelle que 140 milliards d'animaux sont abattus chaque année
dans le monde...
Richard
C'est étonnant ce qui s'est passé pour le Booker Prize ce
prix qui a été fondé par l'entreprise Booker-McConnell
cherchant à dorer son blason à savoir que
la traductrice et l'auteure ont dû se partager le prix, c'est du
jamais vu. Par ailleurs, c'est un prix qui, côté britannique,
pourrait donner des idées au groupe...
Henri
Quand je lis p. 15 "j'ai
allumé dans la salle de bains et j'y suis entré. Un froid
de moins dix degrés perdurait depuis plusieurs jours. Les nu-pieds
étaient encore mouillés suite à la douche que j'avais
prise quelques heures auparavant." je me dis bon d'accord...
Mais avec la phrase qui suit "De
l'orifice d'aération, trou noir au-dessus de la baignoire, et du
carrelage blanc du sol et des murs suintait toute la tristesse de la mauvaise
saison", je me dis qu'on est bien dans la littérature.
Catherine
Je trouve qu'il y a un vrai plaisir dans la scène de la peinture.
Fanny
Contrairement à toi Henri, je trouve la scène de la peinture
érotique.
Henri
Il y a une attirance ambiguë de la part du beau-frère concernant
cette tache mongolique, qui est une survivance de l'enfance, et il n'y
a qu'un pas vers la pédophilie
Jacqueline
Son mari la viole. Avec son beau-frère, je ne trouve pas qu'elle
se laisse faire, elle a un véritable élan sexuel.
Danièle
Les ambiguïtés entre les surs ce n'est pas rare, du
genre l'homme épouse sa belle-sur.
Françoise
Un rapport au corps particulier, ainsi qu'à la bouffe, c'est très
asiatique.
Manuel
La végétarienne m'a rappelé Truismes
de Marie Darrieussecq.
Murmures d'assentiment...
Fanny
Oui mais Truismes m'a dégoûtée.
Claire
Oui, mais dans Truismes, la narratrice a un plaisir constant et
on ne voit pas du tout le regard rejetant des autres.
Les photos du film tiré de La végétarienne sont
magnifiques : ICI
Suivront, en lointain rapport avec le livre, des images végétales
et animales, par exemple sur fond d'arbre : "Les
enfants on rentre à la maison"
SYNTHÈSE
DES AVIS DANS LE GROUPE BRETON
et avis individuels
La végétarienne
n'a laissé personne indifférent. Si cette histoire sombre
et désespérée a parfois été ressentie
comme ridicule, pénible voire répulsive, elle a parfois
aussi fasciné. Plusieurs ont été sensibles à
la poésie des fleurs peintes, au mélange des corps enlacés.
Il a été noté que les problèmes abordés
dans ce roman coréen sont aussi ceux de notre monde : pression
de la famille, père dominant, pression de la nourriture, solitude
des personnages... On comprend que Honghye se réfugie dans l'absolu,
la folie : iI a été question de femme fissurée,
de vie déchiquetée...
Un roman riche, aux multiples résonances.
Marie-Thé
Claude
Chantal
Marie-Claire Suzanne
Annie
Édith Marie-Odile
Marie-Thé
Je ferme ce livre. Une lecture vraiment pénible, voire insupportable
pour moi, du début à la fin.
Je lis en quatrième de couverture "Une
très troublante fable" : toujours attentive
aux paroles d'Olivier Barrot, je me suis lancée... Mais je suis restée
en dehors de cette histoire, n'ai ressenti aucune émotion. Le personnage
principal, Yonghye, ne m'est absolument pas sympathique ; je ne ressens
pas de compassion à son égard (j'apprendrai plus loin la présence
en elle d'une force invincible), même si je comprends son basculement
progressif dans la folie. En effet, j'ai été effarée
par cette cruauté étalée dans la première partie
(le chien attaché à la moto, et toutes ces images très
réalistes sortant des rêves ou de l'enfance de Yonghye, où
apparaissent couteau, chair découpée, yeux parmi tout ça,
beaucoup de sang). Au commencement, la brutalité d'un père
monstrueux.
Je n'ai pas supporté ce froid qui est partout au début (on
part tout de même d'un réfrigérateur, hum...). Atmosphère,
glaciale, tout me paraît morbide, macabre. Et ce trouble du mari face
à sa femme métamorphosée, silence, obscurité,
frissons.
Avec la tache mongolique, je trouve qu'on atteint des sommets dans le ridicule,
le grotesque, si la situation n'était pas tragique, je dirais dans
le risible. A un moment j'ai cru que l'art (les fleurs peintes sur les corps)
apporterait apaisement et sérénité ; chez Yonghye,
une renaissance semble poindre : "Maintenant
je n'ai plus peur... Ça ne me fera plus peur." Mais
dans le cheminement du beau-frère faisant une fixation sur cette
tache mongolienne (stigmate ? sacré ?) je n'ai vu finalement
que perversion. Je dirai aussi que dans ce livre les hommes sont méprisables,
depuis le mari qui porte sur sa femme un regard méprisant, qui fait
preuve d'égoïsme, jusqu'au père destructeur, etc.
Dans la deuxième partie, le froid fait place au chaud : le mug entre
deux mains "d'où
s'échappait de la vapeur", "le
sol était plutôt tiède". Mais froid
et pluie reviennent dans la dernière partie ; et là,
avec Yonghye toujours résistante qui pense se métamorphoser
en arbre (racines aux mains, partie "aérienne" à
arroser) : "Ses
jambes vont-elles se tendre vers le ciel et ses mains vers le noyau de la
terre ?", je reste perplexe !
A noter les interrogations de Yonghye, "assassin
ou victime ?" ou "j'ai
l'impression que je suis devenue quelqu'un d'autre qui jaillit du fond de
moi pour me dévorer..." ou encore, Yonghye "spectatrice
de tout ce qui lui arrivait."... "Devenir végétale"
ou aller vers un état végétatif ?
Je retiendrai malgré tout l'importance des rêves, du double,
des "forces antagonistes", entre yin et yang, masculin et féminin,
froid et chaud, lumière et obscurité, souterrain et aérien...
Ma "pensée occidentale" m'a peut-être laissée
au seuil de cette histoire désespérée dont l'écriture
ne m'a pas éblouie non plus. Pourtant j'avais été enthousiasmée
par Mo
Yan, Bi
Feiyu, ou encore François Cheng...
Marie-Odile
Au départ, je suis restée perplexe devant ce texte déroutant
qui m'échappait. Puis je me suis sentie rassurée lorsque j'ai
pu le relier à un thème familier : la métamorphose,
celles d'Ovide, celle plus précisément de Daphné transformée
en laurier pour échapper à Apollon et dont les membres deviennent
branches ou racines, se couvrent de feuillage ou d'écorce...
Et je me suis demandé à qui ou à quoi Yonghye tentait
d'échapper : à ce mari qui a épousé la
femme "ordinaire" qui lui permet de l'être aussi ?
À cette mère infantilisante qui veut la gaver ? À
ce père violent qui frappe et qui force ? À ces cauchemars
récurrents pleins de viande et de sang ? À cette sur
protectrice qui la fait enfermer ? L'artiste-beau-frère, fasciné
par la tache mongolique originelle, aurait-il pu la rejoindre à jamais
dans sa métamorphose végétale, solaire et sylvestre ?
(Lui seul voit en elle "un
être sacré, ni humain ni animal, une réalité
autre située entre la plante et la bête".)
Mais qu'importe ! Il me plaît que ce texte résiste, interroge,
cache, échappe, sème au fil des pages des taches de sang,
comme des petits cailloux rouges, sur fond blanc (drap, chemise, assiette).
Flaque, gouttelettes, jet, il est partout présent, jaillissant du
poignet, de l'il, remontant les tuyaux, sang du chien, sang de l'oiseau...
Curieusement me venait au cours de ma lecture, arrivant de très loin,
un "Ceci est mon corps,
ceci est mon sang" ! Étrange eucharistie littéraire
qui nous livre ce corps peint, transformé, inversé, perforé,
asséché, allégé, ramené à l'enfance
dépourvue de parole et de pensée...
J'ai aimé que tout se mêle parfois dans une certaine fusion/confusion :
le rêve et la réalité, la folie et la normalité,
l'art et la sensualité, la femme et l'arbre, la femme et l'enfant
affleurant, Yonghye et Inhye, la protégée protégeant
et le sang de celles qui "sont du même sang".
Ce texte, que j'aurais plutôt intitulé La Végétalienne,
donne à voir bien au-delà de la première lecture. Je
l'ouvre en grand, pour son originalité, sa densité, sa sensibilité
et toutes ses ramifications encore inexplorées.
Chantal
J'ai aimé la construction du roman en trois parties, avec trois narrateurs
différents, le mari, l'auteur narrateur, puis la sur ;
ces trois histoires qui suivent la chronologie de la longue descente de
Yonghye dans la folie, longue descente qui entraîne tout son entourage
familial !
L'auteure nous fait accompagner Yonghye, d'abord dans une vie "normale",
simplement dans une démarche vers le végétarisme banal
à la suite d'un rêve, puis de plus en plus étrange,
de plus en plus envahie par ce monde végétal, confondue avec
ce monde où elle se sent heureuse !
J'ai été un moment troublée, par la scène sexuelle
des deux corps peints de fleurs, puis fascinée avec la folie végétale
de Yonghye et la folie artistique, créatrice, du beau-frère,
les deux allant à leur perte.
Cette folie dont une explication possible nous est instillée par
bribes, l'enfance vécue dans la peur du père violent et leur
refuge dans la forêt ; la violence du père qui veut la forcer
à manger, la même violence des médecins.
Et la sur, Inhye, qui peu à peu glisse elle aussi, ressentant
sa propre vie comme une "scène de théâtre, une
illusion" m'a touchée.
Une belle découverte !
Édith
Grand ouvert, pour
le fond et pour la forme.
Belle couverture pour le livre de poche : on ne devine le visage qu'en
oubliant la forme première des fleurs !
La construction en trois parties distinctes m'a d'abord fait penser à
des nouvelles (je n'avais pas lu la quatrième de couverture
)
Roman fable qui dans sa grande simplicité
d'écriture en dit plus qu'il n'y paraît dans une première
lecture
trop rapide.
En effet après avoir littéralement "dévoré"
le texte pour en apprécier l'histoire, j'ai l'ai relu quelques semaines
après (pour notre rencontre) et y lire PLUS que le récit.
L'intrigue, la lente évolution vers l'anorexie puis la folie (être
un arbre : mort ou nouvelle vie ?) de Yonghyie se déroule
en trois épisodes non consécutifs, ceux des trois chapitres.
Le temps qui sépare les divers événements traumatiques
et l'installation de Yonhyie dans sa folie nous est indiqué par de
rares indices : "elle
a pris du poids" remarque le beau-frère qui se rend
au domicile de Yonghye. L'enfant grandit
Le livre se termine par la mort de Yonghye "obligée de vivre"
aux yeux du monde médical. La scène de gavage puis de l'accident
hémorragique résonne pour moi autrement que dans le registre
médical : portée philosophique du droit à mourir ?
Yonghye ne veut pas de cette vie ; son anorexie provoquée semble-t-il
par son internement et sa dérive vers (semble-t-il) la schizophrénie
mentale (enfermement médical) la font basculer à tout jamais,
détruisant son fragile équilibre existentiel. Elle s'effondre,
ne lutte plus que dans le silence et le refus total de se nourrir. Ce sera
la mort.
J'ai apprécié plus particulièrement ce second chapitre.
C'est autour de lui que je "ressens" le texte, avec le récit
de l'installation dans l'esprit du beau-frère de son désir
pour sa belle-sur qui se traduit instantanément en désir
d'une vidéo. Désir qui élimine d'ailleurs tout autre
projet de création. Peut-être ce désir existait-il déjà
avant qu'il n'en prenne conscience ?
Sa tache mongolique remarquée
au moment du bain de Chiu provoque question et réponse : "La
tache mongolique de sa belle-sur et l'image d'un couple aux corps
nus et ornés de fleurs, en train de s'accoupler, s'étaient
alors gravées dans son esprit, associées par un lien de cause
à effet incroyablement net et précis" puis
plus loin : "il
s'est demandé comment il pourrait
fuir cette vision. Mais elle s'est avérée indélébile.
(...) Aucun autre projet ne réussissait à l'intéresser
(
) Tout lui paraissait insipide. Pour la seule raison que ce n'était
pas ça.
(
) Il sentait
son être se fissurer sous l'effet de multiples attaques. Etait-il
normal ? Etait-il moral ? Etait-il un être capable de se
contrôler ?"
POUR MOI, il y a prolongement du récit et interrogation autour du
désir et de la mort. Force du fantasme. Les deux protagonistes Yonghye
et son beau-frère sont chacun habités par le leur, au moment
de l'histoire, cela donne SENS à leur choix de vie. Ils se rencontrent
symboliquement, presque à leur insu, par l'insignifiance d'un détail
la tache mongolique qui demeure sur le corps de Yonghye devenue
femme, tache révélée au beau-frère par sa femme.
Désir refoulé pour ce dernier jusqu'alors et qui émerge
et se réalisera grâce à son art de vidéaste.
Ils se rejoignent dans un acte créateur de vie et de liberté
Deux "corps végétaux" et désirants. La mort
ou la folie
MAIS cette démarche acceptée et accomplie
des deux protagonistes est inadmissible aux yeux du monde familial
Peut-être que dès la page 82, quelques heures après
la tentative de suicide de Yonghye, le beau-frère qui l'a transportée
sur son dos vers l'hôpital et qui en a reçu les taches de sang
sur sa chemise se sent irrésistiblement lié : "il
avait soudain réalisé qu'il espérait en fait qu'elle
ne se réveillerait pas ; que la situation qu'elle retrouverait
quand elle reviendrait à elle était si désespérée,
si épouvantable, qu'il aurait probablement envie de la jeter lui-même
par la fenêtre dès qu'elle aurait ouvert les yeux".
Il ne reste plus que s'accomplisse le fantasme de chacun "être
végétal" par l'acte créatif du beau-frère,
transgression dont ils mourront chacun à leur façon.
Yonghye aurait pu vivre : son divorce, sa vie seule, et son végétarisme,
sans soumission aux dictats familiaux lui ont apporté l'antidote
à ses rêves angoissants et à ses idées morbides :
ses seins ne sont pas dangereux
féminité acceptée
et rendue libre sans le soutien-gorge, bénéfice du soleil
et de sa chaleur sur sa poitrine, elle agit hors convenances sociales (lors
du repas d'affaire de son mari et sous le regard des femmes sur les aréoles
que l'on devine sous son vêtement). Indifférence aux regards
réprobateurs.
Ce livre est multiple dans ses interprétations, touchant par la précision
des descriptions (le lyrisme dans la scène de la peinture) et violences
sous-jacentes tout au long du récit : le rouge, le sang, le
sacrifice du chien événement traumatique, la brutalité
du père
Dans le récit à la troisième personne des deux derniers
chapitres, ILS sont décrits de l'extérieur
le regard
de l'instrument la vidéo
l'image ne doit pas contenir le coït
le désir doit se maintenir. Le beau-frère coupe l'enregistrement
P. 105, à propos de cette femme qui acceptait tout cela, "un
être sacré, ni humain, ni animal, une réalité
autre située entre la plante et la bête" :
j'aime cette phrase.
J'ai ensuite vu le film pour découvrir comment le réalisateur
voyait l'interprétation. Je l'ai trouvé "trop collant"
au récit. Un peu déçue tout de même. Force une
fois du texte sur l'image.
DES INFOS SUR LE LIVRE, L'AUTEUR ET SON
UVRE
- Repères biographiques
- Les uvres d'Han Kang
- Des infos sur le livre, l'auteure et son uvre
- La littérature coréenne
- Livres de Han Kang au cinéma
Repères biographiques
Han Kang est née en Corée du Sud en 1970. Après
avoir étudié la littérature coréenne à
l'université, elle a travaillé pendant trois ans dans la
presse, a voyagé lors de ses missions. Elle a publié poèmes
et nouvelles à partir de 1993, son premier livre en 1995. En 1998,
elle a bénéficié du programme
international d'écriture de l'université d'Iowa (USA).
Elle a remporté de nombreux prix en Corée (notamment le
prix Yi Sang que son père avait reçu aussi
) et le
prix international Man
Booker en 2016 pour La Végétarienne, à
la suite d'auteurs que nous avons lus : Ismail Kadaré, Alice
Munro, Philip Roth, l'emportant sur Elena Ferrante et Orhan Pamuk (voir
un écho dans la
presse).
Depuis 2013, Han Kang enseigne l'écriture créative à
l'Institut
des arts de Séoul tout en poursuivant sa carrière d'auteure.
Durant la présidence de Park
Geun-hye (de 2013 à 2017 où elle est destituée
puis emprisonnée), Han Kang figure sur une liste noire comportant
près de 10 000 noms, permettant aux autorités de surveiller
les artistes défavorables au gouvernement et les priver de subventions.
Han Kang est la fille de l'écrivain Han
Seung-won (dont aucun livre n'est traduit en français). Chez
eux, tout, sauf la fenêtre et la porte, était couvert de
livres, raconte-t-elle... Son frère aîné Han Dong
Rim est aussi écrivain. Son mari est critique littéraire.
Les uvres d'Han Kang
en coréen : Un amour à Yeosu
(1995), Le Cerf noir (1998), Bébé bouddha (1999),
Le Fruit de ma femme (2000), Ta main froide (2002), Mon
nom est Fleur de soleil (2002), L'histoire d'une fleur rouge (2003),
Chanson douce (2007), Des gamins tonnerres, des fées
éclairs, des gamines fées (2007), La végétarienne
(2007) qui est donc son dixième livre, Boîte à
larmes (2008), Pars, le vent se lève (2010), Leçons
de grec (2011), Éternel motif jaune (2012), Le garçon
arrive (2014)
traduites en français :
- nouvelles publiées dans un recueil collectif : "Les
Chiens au soleil couchant", Cocktail
Sugar et autres nouvelles de Corée, éd. Zulma, 2011 ;
puis "Neuf épisodes", Nocturne
d'un chauffeur de taxi,
éd. Philippe Rey, 2014
- Pars,
le vent se lève, éd. Decrescenzo, 2015
- La
végétarienne, éd. Serpent à plumes,
2015 ; Le
livre de poche, 2016
- Celui
qui revient,
éd. Serpent à plumes, 2016.
- Leçons
de grec, éd. Serpent à plumes, 2017.
Des infos sur le livre, l'auteure et
son uvre
Littérature et plantes...
- L'on dit que Han fut obsédée durant ses années
universitaires par la poésie de Yi
Sang, poète et romancier coréen (1910-1937), appelé
"le Rimbaud coréen" parce qu'il fut à la fois
très novateur quant au langage et aux thèmes littéraires,
et qu'il mourut très jeune (il est publié en France par
Zulma).
Ce vers notamment l'aurait marquée : "Je pense que
les humains devraient être des plantes".
- Han Kang est-elle végétarienne
? Elle l'a été à la vingtaine : "tout
le monde autour de moi se faisait une mission de me nourrir de viande.
Vous savez comment cela se passe dans la société coréenne.
C'est une société très collective. Il était
difficile pour moi d'être la seule à manger différemment
; quoi qu'il en soit, j'ai continué jusqu'à ce que le médecin
s'inquiète de ma santé et me disent de réintroduire
un peu de viande dans mon alimentation. Mon expérience personnelle
a certainement influencé La végétarienne."
- Un autre texte déjà : "La
Végétarienne a des racines encore plus directes dans
une petite histoire intitulée Fruits de ma femme (2000),
publiée à l'âge de vingt-six ans. Les personnages
principaux sont un homme et une femme, et un jour où l'homme rentre
du travail, il voit que sa femme est devenue une plante. Alors il la transforme
en pot, l'arrose et prend soin d'elle. À mesure que les saisons
changent, la femme crache ses dernières graines dures. En sortant
les graines sur le balcon, il se demande si sa femme sera capable de fleurir
à nouveau au printemps. Dans l'ensemble, l'histoire n'est pas si
sombre et est également magique, mais après l'avoir écrit,
je voulais l'écrire à nouveau dans une perspective différente.
J'ai réfléchi pendant des années à comment
l'écrire. Dès la première page, La végétarienne
est sortie très sombre et différente." (World
Literature Today, janvier 2016)
Littérature et autres arts :
Han Kang est musicienne, ce que son uvre reflète ;
elle a écrit des chansons. A propos des arts visuels, quand elle
était jeune, sa tante qui étudiait l'art a vécu dans
sa famille pendant un temps ; sa chambre était toujours pleine
de son travail en cours et Han Kang servit souvent de modèle.
Littérature et bouddhisme
: Dans sa jeunesse, Han Kang a trouvé des réponses dans
le bouddhisme, en s'en éloignant quand elle a eu, à la trentaine,
des problèmes articulaires mystérieux qui ont rendu ses
mains si douloureuses qu'elle pourrait à peine les utiliser ;
pendant trois ans, elle ne pouvait qu'écrire en tapotant un stylo
sur son clavier. "La plupart des gens se tournent vers la religion
quand ils sont malades", dit-elle, "mais c'était
le contraire pour moi". Elle confirme : "J'étais
une bouddhiste très ardente quand j'avais vingt ans".
La continuité ? "Le bouddhisme regarde très
clairement les choses, sans idées préconçues. Je
n'ai plus de religion, mais c'est ce que j'essaie de faire dans mon écriture."
Une
forme littéraire coréenne : La traductrice en anglais
de La végétarienne, Deborah Smith (à qui a
été attribué, ô exception, le prix Man Booker
en même temps qu'à l'auteur), a commencé à
apprendre le coréen quand elle a découvert l'uvre
de Han Kang : "Ce qui m'a intéressée était
quelque chose que vous pouvez vraiment dire des livres de Kang : les romans
qu'ils écrivent en Corée ne sont pas vraiment pas semblables
à ceux des États-Unis ou du Royaume-Uni, car en Corée,
tout le monde fait officiellement ses débuts en écrivant
des histoires courtes. Vous faites quelques recueils puis vous passez
au roman. Le roman lié est considéré comme
une forme littéraire à part entière. La végétarienne
était un de ces romans liés, initialement écrit
comme trois romans distincts. (The
Guardian, 5 février 2016)
D'ailleurs, dit Han Kang, "pour mon prochain roman, j'écris
un autre livre en trois parties. Comme La végétarienne,
ce sont trois nouvelles indépendantes recueillies en un roman"
(The
White Revue, mars 2016).
Dans la presse (surtout en anglais), à propos de
Han Kang :
- Sous-titrée en anglais, une interview filmée par K-Literature-Writers
(2014) : "Comment êtes-vous devenue écrivain ?
Comment La végétarienne a été conçue ?
Quel message avez-vous transmis à travers ce roman ? Qui est
votre personnage préféré dans ce livre ? Si
vous pouviez choisir une phrase qui représente le mieux Young-Hye ?"
(la retranscription écrite des réponses est en ligne sous
le film).
- "Violence et humanité : une conversation avec Han Kang",
Krys Lee, World
Literature Today, janvier 2016.
- "Écrire à propos d'un massacre était une lutte.
Je suis une personne qui ressent de la douleur lorsque vous lancez de
la viande sur un feu", Claire Armitstead, The
Guardian, 5 février 2016.
- Une interview très approfondie avec Sarah Shin, The
White Revue, mars 2016.
- Une interview de Han Kang en français dans la revue en ligne
consacrée à la littérature coréenne, Keulmadang,
par Jean-Claude
de Crescenzo, LE spécialiste de la littérature coréenne
(universitaire, traducteur, éditeur), 18 mars 2016.
La
littérature coréenne
Le point avec un article de fond, "La
littérature coréenne en France : une reconnaissance
tardive ?" de Jean-Claude de Crescenzo à l'occasion
du Salon du livre 2016 où la Corée était l'invitée,
extrait de La Lettre du BIEF :
- La faible présence de la littérature coréenne en
France (nous avons lu un seul livre coréen dans le groupe :
Notre héros défiguré de Munyol Yi)
- La génération hangeuil (la langue coréenne
écrite)
- Un vent de liberté
- La littérature foisonne
- La revue Keulmagdang,
passerelle vers la lointaine Corée
- LAsiathèque
: un nouveau lieu pour la fiction coréenne.
À
la radio : on peut écouter sur France Culture Patrick Maurus, professeur
à lINALCO, directeur chez Actes Sud de la collection "Lettres
coréennes" : "La
Nuit spéciale - Corée", 20 mars 2016.
Livres de Han Kang et cinéma
Deux des livres de Han Kang ont été adaptés au cinéma
: Bébé Bouddha et La Végétarienne.
On peut justement voir en ligne Vegetarian, un film de Lim
Woo-Seong, avec des sous-titres en anglais : ICI
(1h 40)
photo extraite
du site
Kobiz
Pour consulter cette documentation
en un document pdf : ICI
*Référence
de la photo d'arbre racines
en l'air par Rodney
GRAHAM : Stanley Park Cedar, Vancouver, n°5, 1991
(photographie couleur d'après négatif noir et blanc, plexiglas
et bois, 282 x 198 cm).
Nos
cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :
à la folie, beaucoup, moyennement, un peu, pas du tout
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