Extrait du site Chinese
Short Stories
Vivre ! est aussi un film de Zhang Yimou, grand prix du jury au
festival de Cannes en 1994, d'où la couverture du livre d'Actes
Sud ci-dessous :
Quatrième de couverture : « Fugui,
enfant gâté et unique héritier de la famille Xu, est
un fils prodigue qui dilapide son bien dans les jeux d?argent, au grand
dam de son épouse Jiazhen. Ruiné, il est contraint de travailler
la terre. Mais ce revers de fortune se révèle une chance
au moment de l?avènement de la Chine communiste : autrefois
fils de propriétaire foncier, désormais simple paysan, il
échappe au triste sort réservé aux nantis. Les tourmentes
successives qui secouent le pays tout au long du XXe siècle n?épargneront
toutefois pas sa famille. Immortalisé par le film de Zhang Yimou
qui en a été tiré (Grand Prix du jury au festival
de Cannes 1994), Vivre ! est le premier roman de Yu Hua dans
lequel l'émotion et la compassion prennent le pas sur la violence.
Considéré en Chine comme une oeuvre majeure, ce livre célèbre
l'inaltérable volonté de vivre, par-delà les malheurs
et les coups du destin. Né en 1960 à Hangzhou (Zhejiang),
Yu Hua a commencé à écrire en 1983. Plusieurs de
ses livres ont été traduits chez Actes Sud : Le Vendeur
de sang, Un amour classique (2000), Cris dans la bruine
(2003), 1986 (2006) et Brothers (2008). »
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Yu Hua
Vivre ! (1993, traduit en France en 1994)
Nous avons lu ce livre en mai 2017.
Nous avons également
regardé le film Vivre !
adapté du livre par Zhang
Yimou. En
bas de page : des infos
sur le livre et l'auteur.
Brigitte Duzan, spécialiste de
la littérature et du cinéma chinois, était
présente. Linguiste, traductrice, elle a créé et
anime deux sites web de référence : Chinese
Short Stories sur la littérature chinoise moderne et contemporaine,
Chinese
Movies sur le cinéma chinois (d'autres précisions
la concernant ICI).
Brigitte Duzan a joué le
jeu de notre tour de table, notant au passage nos questions. Ensuite elle
nous a apporté une myriade d'éclairages. Savante, toute
en étant passionnée, à toute question elle avait
réponse : incroyable, non ? Une
chance pour nous...
Monique L
(avis transmis)
C'est un récit magistral écrit d'une façon simple
et extrêmement touchante. A travers les péripéties
de Fugui, c'est une partie de l'histoire de la Chine qui nous est racontée
par les bouleversements que cela a apporté dans les campagnes et
c'est ce qui m'a intéressée. L'auteur a su décrire
avec réalisme et justesse la vie d'une famille chinoise malmenée
par l'histoire sans la comprendre.
Le style est simple et dépouillé. La construction de ce
récit avec ses pauses permet une certaine respiration entres les
divers épisodes.
Est-ce que cette accumulation de malheurs est exagérée ?
Je n'en sais rien, mais elle m'a semblée plausible. La survie à
tout prix, garder l'espoir face aux problèmes et aux temps difficiles,
je peux le comprendre, mais je suis gênée par l'acceptation
de Fugui de tous les malheurs qui s'abattent sur lui. D'autre part, que
pouvait-il faire d'autre ? Je ne connais pas la philosophie chinoise.
Est-ce que l'humilité et l'optimisme y sont magnifiés ?
Était-il insouciant, inconscient, dépassé par les
événements. Était-ce du courage ?
J'ouvre ce livre au ¾.
Pour ce qui est du film Vivre ! de Zhang Yimou, comme presque
toujours après avoir lu et apprécié un livre, j'ai
du mal à voir un film qui en soit tiré. Ce film est pourtant
un bon film en tant que tel, mais tellement plus pauvre dans son contenu
que le livre dont il est inspiré.
Après cette première impression, j'ai regardé le
film une seconde fois en essayant d'oublier le livre et dans ce cas ma
vision est beaucoup plus positive. On sent l'humanité du réalisateur
et sa justesse de ton. Une scène m'a néanmoins gênée
car trop exagérée celle de la décoration de la maison
au moment de la révolution culturelle. Ce qui m'a intéressée
c'est le côté fresque historique de ce film et la délicatesse
dans les détails. Un bon film donc malgré mes premières
impressions.
Muriel, internaute
Thème classique, mais ô combien plein d'espoir, un inaltérable
besoin de vivre quoiqu'il arrive : passer du luxe, de l'insouciance
à la dureté du travail rural, à la pauvreté,
à la famine, dépasser sa peur, s'ouvrir à l'amour
des siens.
J'ai beaucoup aimé cette fresque étalée de 1940 à
1970 : une famille chinoise nantie puis ruinée, contrainte
à travailler dur la terre sous le joug du système communiste.
Le personnage de Jiazhen, épouse de Fughi est magnifique. Au début
le lecteur croit qu'il s'agit d'une femme résignée, acceptant
les brimades et les coups de son mari coureur et joueur et, assez vite
nous découvrons qu'il s'agit d'une femme exceptionnelle, animée
d'une force incroyable pour protéger sa famille au point de faire
changer son mari.
Lui si colérique, si empli de fierté mal placée,
va s'ouvrir à l'amour familial, tenter de les protéger,
de les accompagner avec tendresse jusqu'à leur mort et désormais
vieil homme de continuer sa route dans la rizière avec son vieux
buffle.
J'ai apprécié aussi l'écriture simple, bouleversante,
de cette saga avec pour toile de fond les exactions, les tortures subies
durant la Révolution culturelle. J'ai très envie de lire
Brothers.
Françoise D
A moi... ça ne va pas être facile
Globalement j'ai
aimé le livre, mais j'ai eu tendance à comparer avec Mo
Yan et pour moi Yu Hua pâtit de la comparaison. Ceci dit, j'ai
aimé le récit, les épisodes qui retracent une partie
de l'histoire de la Chine. Ça se lit bien. J'ai du mal à
parler de l'écriture. J'ai aimé la construction.
Brigitte Duzan
Cette double narration, oui.
Claire
Qui est ce traducteur ou cette traductrice, Yang Ping ? J'ai cherché
s'il avait traduit autre chose, et n'ai rien trouvé. Isabelle Rabut
qui a traduit d'autres Yu Hua, elle, a traduit plein de choses.
Brigitte Duzan
C'est un traducteur, c'est tout ce que je peux dire. Isabelle
Rabut, elle, traduit toujours en duo avec son mari, Angel
Pino.
Françoise D
Je ne suis pas emballée et je l'aurais donc été davantage
si je n'avais pas lu Mo Yan. Quant au film, l'adaptation est intéressante.
Il y a des choses manquantes, mais on ne peut pas tout mettre. La différence
qui m'a interpellée entre le livre et le film c'est le fait que
dans le livre elle laisse sa fille à son mari alors que dans le
film est l'emmène avec elle : je me suis demandé si
Zhang Yimou avait cédé au "politiquement correct".
Jai trouvée géniale l'idée des marionnettes,
qui ne sont pas dans le livre.
Brigitte Duzan
Tout à fait !
Françoise
Et j'ouvre aux ¾.
Plusieurs
Avec ce que tu as dit c'est surprenant
Christelle
Je n'ai pas lu le livre.
Brigitte Duzan
Un mauvais point pour vous
Christelle
J'ai vu le film qui m'a donné envie de lire le livre. Il y a des
scènes assez dures. J'ai aimé "voir" la Révolution
culturelle. Ça faisait longtemps que je n'avais pas vu de film
chinois. Visuellement c'est très beau.
Jacqueline
Je me suis "plongée" dans le livre qui m'a énormément
plu. Enfin, j'ai été plongée dedans. Tout
d'abord, j'aime le narrateur qui va collecter des récits à
la campagne.
Brigitte Duzan
Oui, ça a existé.
Jacqueline
J'ai été séduite, puis je suis arrivée au
passage où la femme lui prépare trois plats pour lui faire
comprendre que toutes les femmes sont pareilles : c'est extraordinaire
que le mari arrive à déchiffrer ce message. Par conséquent
je me suis dit c'est fâcheux je ne vais rien comprendre aux symboles.
J'ai aimé le narrateur, les dialogues du vieux avec le(s) buffle(s).
Le personnage de l'homme est très sympathique. Le film est très
beau visuellement, mais j'ai été déçue, je
n'ai pas retrouvé la philosophie du livre (Vivre !).
Je l'ouvre en grand.
Séverine
J'ai lu le livre mais n'ai pas vu le film. J'hésite entre les mots
"classique" et "conventionnel". Par rapport à
d'autres livres que nous avons lus, c'est en effet classique. C'est une
grande histoire de vie. Avec un côté mélodramatique.
Brigitte Duzan
La période était comme ça.
Séverine
J'ai pleuré à la mort du fils. Ce que j'ai trouvé
le plus intéressant ce sont les passages du narrateur. Tout compte
fait, je n'ai pas trouvé le livre "bouleversant", j'ouvre
à moitié. J'aimerais savoir si ce livre est représentatif
de la littérature chinoise. Et je me suis demandé si le
livre aurait eu du succès sans le film...
Brigitte Duzan
Cela, on ne peut pas savoir. Mais ce qui est sûr est que le film
l'a fait connaître.
Annick A
J'ai bien aimé. J'ai connu, de par ma génération,
cette histoire de la Chine et ce qu'elle avait déclenché
ici. J'ai aimé la construction du livre : partir d'une famille
pour nous faire vivre ce qui se passait. Pourquoi on s'accroche à
la vie ? Il y a une certaine fatalité qu'on sent dans cette
phrase : "Fengxia
allait devoir subir son destin jusqu'au bout". Il y a
une analyse de la vie là-bas et il y a une individualité.
Le livre parle peu de la Révolution culturelle, j'aimerais comprendre
pourquoi ; je n'ai par exemple pas retrouvé les séances
d'auto-critique, il ne parle pas des camps.
La misère crée des liens : quand on est riche c'est
chacun pour soi et Fugui "devient gentil" quand il est pauvre.
Qu'en est-il de la violence de l'éducation ? Là on
est dans une seule famille, mais est-ce partout pareil ? J'ouvre
aux ¾.
Lisa
J'ai beaucoup aimé. Oui, c'est une
narration classique, chronologique, mais ça change un peu de certains
livres qu'on a pu lire dans le groupe ! L'histoire est intéressante :
on part d'une personne, d'un cas particulier pour nous faire découvrir
l'Histoire. J'aime beaucoup ce type de livres. La partie sur la Révolution
culturelle m'a marquée par son absence : mis à part
les étudiants qui viennent dans le village, on n'en parle pas.
Je lis des livres sur le communisme en ce moment (Cuba, Chine, URSS principalement)
et ce qui m'étonne c'est qu'il n'y a que des livres "négatifs".
Pourtant, je ne peux pas croire qu'à cette époque-là
il n'y avait personne qui y croyait. D'ailleurs dans La
fin de l'homme rouge, que nous avons lu dans le groupe, on voit
bien qu'il y avait des gens qui y croyaient au communisme. Pourquoi ne
pas faire un livre de ce point de vue-là ?
Brigitte Duzan
Les communistes sont alors considérés comme les sauveurs
de la nation.
Lisa
Pour conclure, je l'ouvre aux ¾ : j'ai passé un très
bon moment lors de la lecture. Mais je ne pense pas qu'il m'en restera
beaucoup dans quelques mois.
Annick L
Je n'ai pas vu le film et j'avais lu deux livres de
Mo Yan qui m'ont donné un choc : j'avais été
fascinée par le côté lyrique.
Brigitte Duzan
Oui, c'est tout à fait ça, cela jaillit, sans beaucoup de
travail, contrairement à Yu Hua.
Annick L
Ça avait donc été une révélation. Là
j'ai dû ajuster, comme avec les yeux. J'ai plongé dedans
avec beaucoup d'intérêt même si le style est à
l'opposé de Mo Yan. J'ai aimé la construction, les passages
du narrateur assez lyriques et la brutalité de l'histoire. J'ai
été fascinée par la crudité des choses.
Ce personnage prend la vie avec un certain fatalisme, peu d'émotions
et, on pourrait le croire, sans affect : c'est raconté d'une
manière froide, avec une objectivité glaçante, mais
d'une efficacité redoutable. C'est remarquablement écrit,
même si c'est mal traduit. J'ai été très intéressée.
C'est un miroir sur l'histoire de la Chine. C'est un grand écrivain.
Je trouve la fin magnifique et bouleversante. Mes questions tournent autour
de la langue. Cette langue, j'ai jamais rien lu de tel, dans ce rapport
à ce qui est raconté, par exemple au tout début,
il est riche et on voit le vieux sur son seau en train de chier... Je
l'ouvre aux ¾.
Manuel
Je vais faire court. Je ne fais pas de comparaison. J'ai beaucoup aimé.
La fin est remarquable. Les noms des buffles, c'est très malin.
J'ai aimé l'opposition entre le narrateur et le récit du
vieux, avec deux niveaux de langage. Il porte la responsabilité
de la perte de sa maison, même si ça lui a sauvé la
vie. J'ai pensé à La
fin de L'homme rouge. Il y a des trucs invraisemblables :
on croit un gamin de 7 ans. La mule est chargée... Et cette histoire
de petits pois avec lequel on s'étouffe, j'ai failli rire.
Brigitte Duzan
C'est fait pour ça !
Manuel
C'est drôle et il y a une opposition avec la mort de l'enfant d'une
transfusion, dramatique, et l'autre qui meurt étouffé. J'ouvre
en grand, ça me fait penser à ces grandes fresques. Ce que
je garde du livre, c'est l'histoire du buffle.
Fanny
J'ai eu un plaisir de lecture. C'est décontenançant de retrouver
dans un roman une dimension classique.
Claire, à l'intention de l'invitée
On ne lit que du Mallarmé ici
Fanny
C'est intéressant du point de vue historique, avec cette vue de
l'intérieur. Je me suis rendu compte que j'avais du mal à
visualiser les scènes. En cela, malgré tout ce qui manque,
le film apporte beaucoup visuellement. La fin les petits pois
c'est trop ! Je comprends la démarche, la dimension symbolique
de la scène par rapport aux événements historiques,
mais pour autant c'est trop, j'ai eu du mal.
Je me suis interrogée sur l'absence de chapitres ; dans le
film, c'est nettement structuré. Cela m'a décontenancée,
mais finalement c'est la vie d'un homme qui ne se séquence pas.
J'ouvre aux ¾.
Richard
C'est le premier livre chinois que je lis. J'ai été handicapé
par une traduction en américain qui m'a ennuyé. Oui, il
y a des choses à apprendre dans ce livre, mais j'ai été
déçu par les personnages, ordinaires, pas convaincants,
à qui il arrive tous les malheurs, sans rechigner (est-ce que les
Chinois sont aussi passifs ?) Je n'arrive pas à m'y adhérer.
La Chine semble peuplée par des Chinois qui soit pleurent, soit
ricanent. Je l'ouvre à moitié, mais sans aller plus loin.
Est-ce qu'il y a une variété dans les styles en littérature
chinoise ? Ou est-ce le style général ?
Brigitte Duzan
La réponse sera oui, il y a une variété
Monique S
J'ai lu ce livre d'une traite, scotchée aux événements
racontés, marquée par la violence des rapports humains et
par le peu de prise des êtres sur leur vie. Les gens sont soumis
à des circonstances de vie et de mort, un peu comme des mouches ;
et ils doivent TENIR avec tous les sentiments de joie, de douleur qui
les traversent.
Certains passages sont révoltants, à faire pleurer :
l'envoi de la petite fille handicapée comme domestique, le père
de famille enrôlé dans la guerre en allant chercher le médecin
pour sa mère mourante, et sans aucun moyen de communication avec
les siens durant des années dans des scènes d'enfer.
Il y a deux aspects importants pour moi de ce texte :
- le côté écriture "directe", "à
ras les pâquerettes", sans travail littéraire (si ce
n'est la structure du récit emboîté par le collecteur
de mémoires), ni sur les différentes variations du vocabulaire,
sans réflexion abstraite ou intellectualisée, pour revisiter
l'histoire vécue, la trajectoire d'une vie : on a ainsi une
répétition sans variations de distributions de coups, ou
de crises de larmes. On peut dire que l'auteur a adapté son style
au registre de langage du vieux qui raconte son histoire.
- En même temps, on est immergé dans la vie quotidienne du
peuple, qui "subit" pauvreté, famines et changements
d'organisation au gré des événements politiques du
pays, sans pouvoir prendre part aux décisions, ni même, ce
qui m'a étonnée, se forger et exprimer un avis sur ces questions.
J'ai profondément aimé ce livre, pour ce qu'il met en lumière,
de la vie des Chinois, et aussi de tous les groupes humains. J'ouvre ce
livre aux ¾.
Questions : La Chine étant si grande, comment se font les
succès littéraires ? Peuvent-ils être d'abord
régionaux, ou se font-ils d'abord par les grandes métropoles
comme Pékin, Shanghai ? ou à partir de l'étranger ?
Quels sont les réseaux littéraires ? Existent-ils des
éditeurs indépendants du pouvoir ?
Denis
J'ai beaucoup aimé ce livre et suis globalement d'accord avec ce
qui a été dit. J'aime le style, assez brutal, les phrases
courtes. Curieusement, j'ai pensé à
Dashiell Hammett, un des créateurs du "roman noir"
américain dont j'ai lu récemment des nouvelles, où
j'ai trouvé la même insensibilité apparente aux cadavres
et autres violences. Autre question : peut-on considérer ce
roman comme ethnographique ? Car il fourmille d'aperçus passionnants
(j'aime l'exotisme) sur la vie quotidienne des paysans chinois. Le film
ne se place pas du tout du même point de vue, abandonnant les paysans
pour donner une sorte de "drame bourgeois".
Quelques virulentes protestations
Denis
Et enfin, j'aimerais des précisions sur les croyances religieuses
des personnages (se retrouver dans une vie future, etc.). Est-ce du bouddhisme ?
Le culte des ancêtres ?
Catherine
J'ai beaucoup aimé et j'ouvre en grand. C'est un livre assez noir
puisqu'il arrive à Fugui tous les malheurs du monde, mais j'ai
malgré tout été frappée par une espèce
de sérénité. Il y a une impression d'éternité
probablement due à la nature qui a un rôle important dans
le livre. Je suis frappée aussi par le détachement de Fugui.
Il subit la guerre, la révolution sans participer ou avoir d'avis.
Il y a une accumulation d'événements affreux mais je m'attendais
à pire. L'histoire des petits pois n'a plutôt fait rire ;
elle m'a paru aussi très symbolique. Le style colle bien au style
de l'histoire. Je suis étonnée que la Révolution
culturelle n'apparaisse pas plus.
J'ai préféré le livre au film, c'est différent,
très visuel et j'ai beaucoup aimé aussi.
Claire
Je n'évoquerai pas D. Hammett, mais la présence forte du
quotidien m'a fait penser à Walker Evans dont l'exposition à
Beaubourg est sous le signe du vernaculaire.
D'emblée je me suis régalée par la découverte
des formules : "elle
marchait les pieds écartés, comme si elle avait un petit
pain à la vapeur coincé entre les jambes"
ou "quand elle marchait,
ses deux fesses rondes se balançaient comme des lanternes".
Il y a beaucoup de "corporel", d'ailleurs le récit commence
aux chiottes. J'ai aimé l'humour, par exemple à propos d'une
affiche de propagande dans le magasin du beau-père : "trois
de ses employés se tenaient assis sous la poche droite du maréchal".
Je me suis demandé si les comparaisons étaient clichés
en chinois, par exemple "ses
sanglots frénétiques se mirent à résonner
comme un hautbois".
Brigitte Duzan
Non, ce ne sont pas des clichés.
Claire
Vers la page 65, j'ai eu un creux en me demandant c'est quoi l'enjeu du
livre... quelques pages plus loin l'armée est arrivée et
m'a cloué le bec.
Tous ceux qui ont parlé de la construction ont aimé les
pauses du narrateur. Elles sont agréables, mais à chaque
fois, il y a eu pour moi, brièvement, une impression d'invraisemblance,
à savoir que Fugui fasse un récit oral aussi chiadé.
Monique S
C'est le pacte de lecture !
Claire
J'ai eu en fait un intérêt narratif constant, de par un art
du récit fluide, pas besoin de chapitres, on passe par toutes sortes
d'émotions, c'est poignant, c'est amusant (Erxi et Fengxia couchaient
sur les citations du président Mao). Et avec cet arrière-plan
politique, ce n'est pas un documentaire, mais c'est plus qu'un décor
tragique de la vie de Feigui, c'est passionnant de voir l'histoire à
travers le "peuple". J'ai beaucoup aimé grâce au
film (que j'ai trouvé magnifique) VOIR ce que pouvait être
la vie, la réalité, par exemple ce fait incroyable qu'on
portait les humains sur le dos (en cherchant sur Internet j'ai vu une
anecdote qui avait scandale : une jeune Chinoise d'aujourd'hui qui porte
son fiancé pour
qu'il ne mouille pas ses chaussures neuves). J'ai lu en même
temps aussi le livre graphique de Rao Pingru Notre
histoire que j'ai adoré.
J'ai trouvé les épisodes du mouton essentiels et
manquants dans le film, de même que les champs les buffles,
c'est magnifique. Je suis sensible à ce que représente ce
point d'exclamation du titre "Vivre !", cette verticalité
de ceux qui continuent à vivre en dépit de tous les malheurs,
grandioses...
Brigitte Duzan
Qui est allé en Chine ?
Monique S
On y est allées avec Françoise il y a trois ans au Sichuan
avec notre prof de yoga ; on était allées à
Chengdu dans les montagnes et temples taoïstes, puis au Mont Emei,
un des temples bouddhistes des plus importants en Chine, etc.
Claire
J'y suis allée en 1977 avec Les Amitiés franco-chinoises
juste après la chute de la Bande des Quatre alors qu'il n'y avait
pas encore de voyages touristiques.
Jacqueline
J'ai traversé la Chine en 1957, en train, de Shanghai à
Pékin, ça durait plusieurs jours.
Brigitte Duzan
Il faut écrire le récit de ce voyage !
Pourquoi cette faible place de la Révolution
culturelle dans le roman ? Cela tient au fait que l'histoire
se passe dans un cadre rural ; or, autant les paysans ont été
durement touchés par la Grande Famine, autant ils ont été
en marge de la Révolution culturelle qui a surtout affecté
les villes. D'ailleurs il y a un commentaire en ce sens dans le roman :
la Révolution culturelle se déchaînait en ville en
revanche dans le village ils n'ont trouvé ni vieilleries à
casser ni intellectuels contre-révolutionnaires. C'est le cas général.
Pourquoi n'y a-t-il pas de chapitres ?
Le roman raconte une vie d'un paysan très simple, rapportée
par le narrateur telle qu'elle lui a été contée ;
il ne connaît pas les événements historiques, et n'a
pas grande idée des dates ; ce dont il se souvient est ce
qui le concerne de près : donc le Grand Bond en avant est
vu à travers les histoires de poêles fondues, la joie d'aller
à la cantine etc. Et tout s'enchaîne sans discontinuité,
sans les ruptures des livres d'histoire.
Le roman est-il représentatif de
la littérature chinoise, avec cette présence de l'histoire ?
Oui, c'est un récit assez représentatif des narrations sur
la période, dans sa linéarité chronologique, mais
dans un style personnel.
Comment ça ne fait que les gens y croient ?
Pour ce qui est de la question de la foi, Mao a réussi à
réinsuffler de l'enthousiasme dans la population au début
du Grand Bond en avant, puis la Grande Famine a épuisé le
pays. Il a été écarté du pouvoir au début
des années 1960, mais il est revenu très vite en lançant
une campagne d'éducation socialiste en 1963, avec envoi de cadres
à la campagne. Mais elle n'a pas eu de succès, et c'est
cet échec qui a poussé Mao à lancer la Révolution
culturelle, pour reprendre le contrôle du pouvoir. Donc là
encore, il a mobilisé une bonne partie des jeunes. Mais même
ceux-ci ont peu à peu perdu toute illusion quand ils se sont retrouvés
dans de lointaines campagnes ; enfin, la mort trouble de Lin Biao
en 1971 a été l'élément qui a fini de ruiner
toute confiance en Mao.
Qu'avons-nous encore appris ?
- Sur l'influence de la philosophie taoïste : elle se retrouve
dans l'harmonie de l'homme avec la nature, dont l'image à la fin
du livre vieillard avec le buffle est le symbole harmonie
qui amène à une paix intérieure. Lao Tseu est traditionnellement
représenté partant vers l'ouest sur un buffle, note Monique.
- Sur le confucianisme : c'est lui qui détermine la structure
hiérarchique de la société.
- Sur le respect de la tradition et des ancêtres : en Chine,
et ça nous stupéfie, la rébellion n'existe pas ;
à l'école on récite par cur, on n'apprend pas
à réfléchir.
- Sur le suicide : c'est le dernier recours, l'acte désespéré
quand on ne peut plus supporter sa vie, sa situation... Les femmes sont
celles qui se sont le plus suicidées, soit pour éviter un
mariage imposé, soit une fois mariées pour éviter
les mauvais traitements.
- Sur Internet, qui pourrait ouvrir sur d'autres façons d'être
et de penser : Internet ? Ça n'existe pas. Il y a un
internet interne à la Chine. Il y a eu un retour en arrière
en 2008 avec les Jeux olympiques, un nationalisme exacerbé va de
pair avec un contrôle accru.
- Sur l'ouverture des étudiants chinois qui vont à l'étranger :
ils découvrent soudain des aspects cachés de l'histoire
et de la culture de leur pays et sont parfois d'une grande naïveté.
- Sur la force de l'image : le film Vivre ! a été
interdit, pas le livre. Les images sont plus contrôlées que
le texte.
- Sur le film : en Chine, le cinéma vient du théâtre.
Ce film est un mélodrame. Les films se terminent bien, il y a forcément
une lueur d'espoir, d'où cette happy end dans le film qui n'existe
pas sous cette forme dans le livre.
- Sur les relations entre Yu Hua et le cinéaste Zhang Yimou :
c'est un autre livre que le réalisateur souhaitait adapter, mais
il voulait changer tellement de choses qu'ils n'ont pu se mettre d'accord.
Yu Hua lui a alors confié le manuscrit de Vivre ! qui
n'était pas encore publié. Zhang Yimou lui a téléphoné
le lendemain matin pour lui dire que le récit l'avait tellement
ému qu'il n'en avait pas dormi de la nuit, ce qui est à
relativiser car Zhang Yimou dort deux heures par nuit...
- Sur la propriété aujourd'hui ? Le paysan a aujourd'hui
un droit d'usage. Tout le sol appartient à l'État.
- Sur l'importance des nouilles et du riz (qui tracasse Françoise
qui n'a pas vu de riz dans le film) : la dominante nouilles ou riz
dépend des régions.
- Sur le livre et les années terribles : il y a une dizaine
d'années d'interruption de publication sous le maoïsme, on
ne lisait que le
Petit livre rouge...
- Sur le statut des écrivains : la littérature depuis
Mao est organisée par l'État. Écrivain, c'est un
métier, on est payé pour cela. Il y a une association nationale
des écrivains, avec des branches par province et par ville. Le
droit d'auteur est une notion beaucoup moins stricte que chez nous, ce
qui fait qu'on trouve des livres sur Internet ; il y a des droits
d'auteur aujourd'hui, et surtout il y a de plus en plus d'agents littéraires.
- Sur les auteurs étrangers traduits qui ont compté :
on peut citer aussi bien Faulkner que Zweig. Mais dans l'absurde de Kafka
et Borges, les Chinois se sont bien retrouvés... Le réalisme
magique des Sud-Américains a eu une influence, par exemple chez
Mo Yan, antithèse de Yu Hua.
- Sur l'histoire du roman ? Il vient des xiaoshuo, de "petites
histoires qu'on raconte" (xiaoshuo : xia petit,
shuo dire). La littérature est née de cela, sous
l'influence des conteurs ces histoires se développent, vers le
roman. Dans la littérature chinoise après 1979, on peut
repérer plusieurs périodes : la littérature
des
cicatrices, puis à travers la littérature on recherche
des racines ; à la fin des années 1980, se développe
une littérature d'avant-garde. Dans les années 90
où on demande aux écrivains de vendre, de faire du profit,
se développe un mouvement néo-réaliste dont ce livre
fait partie. Les nouvelles,
les petites nouvelles, sont en plein essor actuellement ; avec la
mini nouvelle, les écrivains travaillent la forme, le style, des
genres qui mêlent poème, essai, fiction. Brigitte Duzan nous
donne un
lien sur son site qui permet de comprendre pourquoi c'est difficile
à traduire et publier chez un éditeur ordinaire avec une
nouvelle de Ren Xiaowen qu'elle a traduite, rédigée dans
une écriture très travaillée, et dans un contexte
shanghaïen : une autre histoire, très différente,
de la Révolution culturelle, très réaliste, mais
d'un réalisme un peu iconoclaste.
- Sur l'existence d'une librairie chinoise à Paris : elle
s'appelle Le
Phénix. Il y en a une deuxième, You Feng.
- Sur le Tibet : parmi les 7 nouvelles du livre Neige
du Tibétain Pema
Tseden (qu'elle a rencontré), que nous lirons l'été
prochain avec Alexandra David-Néel, Brigitte Duzan a traduit les
4 écrites en chinois et non en tibétain. Pour finir, Brigitte
Duzan appelle à relativiser des idées toutes faites sur
le Tibet. Le Tibet est effectivement soumis à la loi souveraine
du pouvoir chinois, mais, s'il en souffre particulièrement, le
reste de la Chine est également soumis à des restrictions
de liberté très dures, les Ouïghours en particulier,
comme l'a souligné Françoise. Le Tibet est traditionnellement
régi par une oligarchie religieuse. Ceux en France qui manifestent
pour le Tibet sont parfois les mêmes qui manifestent pour la laïcité...
Nathalie R (avis transmis quelques semaines
plus tard)
Quand j'ai commencé la lecture de Vivre !, j'ai beaucoup
ri et souri. J'ai tout de suite pensé à Candide de
Voltaire. Les tribulations du jeune narrateur, noceur, joueur et faisant
peu cas des femmes qu'il aime (quelle chose culturellement incroyable
que cette habitude de chevaucher les uns et les autres ! Et quelle
drôlerie abominable que de freiner sa monture en lui tirant les
cheveux !). La dégringolade sociale, les aventures rocambolesques,
tout me menait vers certains passages incontournables de Candide (le
passage sur le no man's land à la guerre et l'encerclement seraient
dignes d'y figurer). Puis, peu à peu, la direction que prenait
l'uvre et qui me semblait naturellement mener vers un philosophique
"pour vivre heureux cultivons notre jardin" m'a obligée
à revoir mes attentes et j'ai peu à peu glissé vers
une autre lecture.
L'image qui me vient, c'est celle de m'être promenée dans
un cerisier en fleurs, chaque fleur très circonscrite m'offrant
un paysage, une anecdote, un fait culturel que je découvrais au
fil de l'uvre. J'ai aimé lire ce roman, j'en ai aimé
les personnages (et il me reste les dernières pages à lire
et que je n'ai pas envie de lire). Je n'ai pas encore lu vos avis. Peut-être
aura-t-on reproché à son auteur l'accumulation de désillusions,
je n'en sais rien mais pour moi, cela n'est pas important. J'ai aimé
le changement (improbable a priori) qui s'opère dans le narrateur,
j'ai aimé le message d'amour que véhicule le roman, j'ai
aimé me laisser emporter par une aventure tout à la fois
individuelle et collective.
J'ai aimé rire en voyant l'outrance de certaines situations, de
certains caractères. J'ai aimé la façon dont il fait
comprendre la fragilité de la vie (comme la fragilité des
pétales des fleurs de cerisier). Qui survit ? Qui meurt ?
Et pourquoi ?
J'ai aimé la narration de certaines ruptures "symboliques"
que l'amour provoque, quand par exemple le jeune couple n'attend pas le
temps coutumier pour venir rendre visite aux parents de la jeune fille.
Ce roman est pour moi un roman sur l'amour comme énergie de vie
contre les aléas. Il est donc en cela très très différent
du conte de Voltaire.
J'ouvre le roman aux ¾ (juste parce que j'ai du mal à me
faire une idée sur l'aspect conventionnel ou pas de ce roman).
DOC SUR LE LIVRE ET L'AUTEUR
Les livres de Yu Hua traduits en français
Ils sont tous, sauf un, publiés par Actes Sud :
- Vivre !, Le livre de poche", 1994,
réed.
Babel, 2008
- Le
Vendeur de sang, 1997
- Un
amour classique, 2000
- Cris
dans la bruine, 2003
- Un
monde évanoui, Philippe Picquier, 2003 (nouvelles)
-1986,
2006
- Brothers,
2008
- Sur
la route à dix-huit ans, 2009 (nouvelles)
- La
Chine en 10 mots, 2010 (essai)
- Le
septième jour, 2014
Sur Yu Hua et son uvre
- Un article détaillé de Brigitte Duzan
sur son parcours personnel et littéraire : en ligne "Présentation
de Yu Hua" et en
pdf, site
Chinese Short Stories, 15
octobre 2014.
- Sur l'adaptation du livre Vivre !, "Le
film Vivre ! de Zhang Yimou", Brigitte Duzan, site
Chinese
Movies,
15 mai 2012.
- Portraits de l'écrivain Yu Hua :
par Florence Noiville dont
le portrait nous a fait découvrir cet auteur, "Les
dix portes de la Chine", Le Monde, 28 octobre 2010
par Marine Landrot, "Lécrivain
chinois Yu Hua dissèque sa nation au scalpel", Télérama,
21 décembre 2014.
- Des articles sur ses derniers livres :
sur
Brothers : par Nils C. Ahl, Le Monde, 8 mai 2008 :
"Yu Hua : J'ai servi la Chine toute crue", et
"Yu Hua :
une vie dans le bouillon de l'histoire"
sur La Chine en
10 mots : entretien avec Dominique Bari, "Yu
Hua, frondeur, nous livre sa Chine mode d'emploi", L'Humanité,
30 juin 2011
sur Le septième
jour et ses autres livres : par Bertrand Mialaret, "Avec
lécrivain Yu Hua : morts sans sépulture, version
chinoise", LObs Rue89, 18 octobre 2014 ; par
Pascale Nivelle, "J'ai
transposé au crématorium ce qui se passe dans les banques
chinoises", Libération, 5 novembre 2014.
Nos
cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :
à la folie, beaucoup,
moyennement, un peu, pas du tout
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