Extrait de Libération
(2010)
Le premier chapitre du livre ICI
Quatrième
de couverture :
« LÉtabli,
ce titre désigne dabord les quelques centaines de militants
intellectuels qui, à partir de 1967, sembauchaient, sétablissaient
dans les usines ou les docks. Celui qui parle, ici a passé une
année, comme OS.2, dans lusine Citroën de la porte de
Choisy. Il raconte la chaîne, les méthodes de surveillance
et de répression, il raconte aussi la résistance et la grève.
Il raconte ce que cest, pour un Français ou un immigré,
dêtre ouvrier dans une grande entreprise parisienne.
Mais LÉtabli, cest aussi la table de travail
bricolée où un vieil ouvrier retouche les portières
irrégulières ou bosselées avant quelles passent
au montage.
Ce double sens reflète le thème du livre, le rapport que
les hommes entretiennent entre eux par lintermédiaire des
objets : ce que Marx appelait les rapports de production. »
Une
couverture de Minuit
comme on n'en fait plus :
La couverture du livre (1978) de Jacqueline beaucoup relu :
Prix de l'Essai L'Express 2008
Quatrième
de couverture :
« Je suis la fille de Robert Linhart, fondateur
du mouvement maoïste en France et auteur de LÉtabli.
Mon père, figure marquante des années 1968, en est aussi
lune des plus marquées. Depuis 1981, après une tentative
de suicide, il a opté pour le silence. Afin de comprendre ce quil
avait vécu, je suis partie à la recherche de ses anciens
compagnons. En chemin, jai découvert leurs enfants. Cest
en les écoutant parler quont resurgi les images que javais
cru perdues à jamais ; létrangeté, la gaieté
et la violence de cette enfance-là, son caractère irremplaçable
aussi.
V. L. »
Quatrième de couverture :
« Avant et après Mai 68 ils furent
quelques dizaines, puis presque un millier, à quitter leur famille,
à abandonner leurs études, pour partir travailler en usine.
Ils renonçaient à leur statut dintellectuel, choisissaient
de vivre aux côtés des ouvriers, insufflant lidée
révolutionnaire dans les usines. Ils sinspiraient des recommandations
du président Mao Tse Toung qui prônait de "descendre
de cheval pour cueillir les fleurs". On les a appelés "les
établis", un terme mystérieux qui au fil des années
ne disait quasiment plus rien à personne alors que javais
passé mon enfance parmi eux.
Lorsque jai commencé à partir à
la recherche de ceux qui sétaient établis, javais
leur âge : celui de leur départ en usine. Cétait
pour moi la première tentative de réconciliation avec le
passé militant de mes parents dont je ne connaissais que les désenchantements.
Au fil des récits, au rythme des paroles recueillies, je découvrais
les références, les aspirations et les désillusions
dune époque où lengagement était total.
Je pensais alors que si je parvenais à bien comprendre cette histoire,
la mienne ferait sens. Jignorais encore quaprès les
parents il me faudrait aller chercher leurs enfants dans un autre récit,
écrit vingt ans plus tard, pour enfin avoir le sentiment que les
petits cailloux ramassés en chemin toutes ces années mavaient
permis de trouver ma propre route. »
Virginie Linhart, née en 1966, est réalisatrice
de documentaires. Elle a récemment publié Le
jour où mon père sest tu
(Seuil, 2008), couronné par le prix de l'essai de l'Express. Volontaires
pour l'usine. Vies d'établis (1967-1977)
est son premier livre
LES DEUX AUTRES LIVRES DE ROBERT LINHART :
Lénine, les paysans, Taylor : essai d'analyse matérialiste
historique du système productif soviétique, Seuil,
coll. "Combats", 1976, réédité en
2010 avec une préface de l'auteur
Le Sucre et la faim : enquête dans les régions sucrières
du Nord-Est brésilien, Minuit,1980
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Robert Linhart
L'établi (1978)
Nous avons lu ce livre en octobre 2018.
Avec en
contrepoint éventuel de L'établi
de Robert Linhart : le livre de sa fille Virginie Linhart,
Le jour où mon père s'est tu, Seuil, 2008, avec
une belle préface d'Olivier Rolin dans l'édition de 2018
(à lire ICI).
DOCUMENTATION en
bas de cette page :
REPÈRES
sur l'auteur, le mouvement
maoïste d'où viennent les "établis",
des livres sur le monde du travail, des éclairages
dans la presse.
Catherine(dix
jours plus tard)
Voici mon avis sur L'établi avec retard. J'ai préféré
de pas lire les vôtres avant pour ne pas être influencée ;
je vais pouvoir les découvrir maintenant.
Je connaissais pas bien Robert Linhart et n'avais lu aucun de ses livres.
J'ai beaucoup aimé ce livre qui m'a, à la fois beaucoup
intéressée, questionnée, émue. Il ne s'agit
pas d'un roman mais plutôt d'un récit retraçant l'expérience
de l'auteur, un intellectuel sortant de Normale Sup, qui s'est "établi"
en usine. Le lecteur se retrouve, à sa suite, plongé dans
la vie des ouvriers à la chaîne d'une usine automobile et
partage leur quotidien abrutissant, humiliant, abêtissant. On découvre
à la fois l'émiettement des tâches, le mouvement incessant
de la chaine, le bruit, l'environnement toxique, la bêtise des chefs,
le racisme, la violence du management, les cadences infernales et en même
temps la lenteur de l'écoulement des journées : "Avec
toujours les mêmes échanges de mots, l'attente du casse-croûte
du matin, puis l'attente de la cantine, puis l'attente du casse-croûte
de l'après-midi, puis l'attente de cinq heures du soir. De compte
à rebours en compte à rebours, la journée finit toujours
par passer. Quand on a supporté le choc du début, le vrai
péril est là. L'engourdissement.". Il s'y
ajoute ensuite la problématique de l'action collective, de la grève,
qui accélère le rythme du livre et élargit son propos.
L'ensemble est extrêmement bien décrit et bien écrit.
Il ne laisse pas indifférent et on comprend le succès qu'il
a pu avoir à l'époque. Même si l'époque du
travail à la chaîne pour construire des voitures est quasiment
révolue puisque ce sont maintenant des robots qui le font, ce livre
reste clairement d'actualité.
La lecture du livre écrit par sa fille donne un éclairage
supplémentaire très intéressant sur Robert Linhart,
son parcours, son engagement politique, sa maladie, de façon plus
générale sur la génération 68, ceci mélangé
avec un témoignage très personnel sur son enfance, le drame
lié au suicide de son père, le vécu des enfants de
parents engagés en 68. J'ai terminé par Le
Sucre et la faim, livre beaucoup plus court, qui est un reportage
sur la condition de la population pauvre dans le Nordeste brésilien,
réduite à la famine, par les politiques gouvernementales
et le développement des grandes entreprises sucrières.
Le tout m'a captivée. J'ouvre L'établi en grand.
Brigitte
J'ai beaucoup aimé ce livre, qui me rappelle Élise
ou la vraie vie de Claire Etcherelli.
J'avais un peu suivi à cette époque-là l'aventure
des Prêtres ouvriers, mais pas celle des Établis.
Je suis admirative de la façon dont ce livre est écrit.
L'écriture nous entraîne dans le rythme inexorable de la
chaîne des caisses de 2 CV, à la fois lent et rapide,
que les ouvriers accompagnent pendant quelques mètres, puis qui
continue jusqu'à la sortie de la voiture terminée. Les divers
postes occupés par le narrateur nous montrent toutes les étapes
de la fabrication des 150 2CV quotidiennes.
J'aime surtout les deux premiers chapitres et le dernier. Le récit
de la grève et de la répression qui la suit sont plus classiques.
Je citerai en particulier un passage très subtil qui évoque
la fatigue et la forte chaleur à la p. 101 : notre
travail peut être un supplice. Nous l'oublions parfois quand la
relative torpeur et la régularité de
l'atelier nous ouvrent le fragile refuge de l'habitude.
Je regrette de ne pas pouvoir être avec vous ce vendredi.
Etienne
Pour cette première infidélité que je vous fais,
je tenais tout de même à vous transmettre, ce que jai
pensé de Létabli.
Jai été désarçonné parce que
je ne mattendais pas à avoir ce type de lecture, jimaginais
me confronter à un ouvrage de pensée politique et voilà
quil sagit dun témoignage à la première
personne tout du long
Le style très fluide, rythmé et concis ma plu :
on est très vite plongé dans lenfer déshumanisant
des machines et on peut ressentir au plus près ce que cela peut
avoir de dégradant physiquement mais surtout mentalement que de
faire une tache identique pendant tout une journée. La dénonciation
de la logique productiviste avec tout ce qu'elle peut engendrer dabsurde
pointe son nez régulièrement et est aussi assez jouissive
(jai particulièrement savouré lépisode
du remplacement de létabli, certes disgracieux mais fonctionnel,
du vieil ouvrier par un gadget inutilisable).
Jai tout de même quelques réserves, jaurais aimé
quon en sache un peu plus sur le narrateur et sur les personnages
gravitants autour de lui, cela reste tout de même assez sommaire
et on peine vraiment à sattacher à eux (surtout à
lui en fait). Aussi, passé le plaisir de la lecture de ce style
direct et percutant jai fini par trouver ce dernier un peu plat,
on est presque dans le télégraphique à certains moments.
Au final il ne sagit ni de journalisme dinvestigation, ni
dun roman social à la Zola, ni dun manifeste politique
mais dune sorte de témoignage hybride qui a un peu pris un
coup de vieux par sa naïveté mais qui reste intéressant
pour sa valeur historique.
En conclusion : jouvre à moitié.
Nathalie R
J'ai vraiment beaucoup aimé ce livre. J'ai été extrêmement
prise par son rythme et pour moi cela a été un livre éducatif.
J'avoue qu'à la fin de la lecture je me suis dit que je n'aurais
jamais acheté une 2 CV si j'avais connu les conditions dans lesquelles
elles avaient été conçues. Du coup, il me semble
facile d'imaginer faire un parallèle avec tous les produits que
nous consommons au jour le jour et de comprendre l'intérêt
qu'il y a à ce que d'autres continuent à témoigner
par le biais de ce type d'ouvrage instructif. Je n'ai jamais travaillé
en usine mais j'ai déjà effectué un travail de type
répétitif comme celui du tri postal ; à la fin
de semaine, tu passes tes nuits à trouver le bon casier pour la
bonne lettre ; j'imagine combien ce qui peut être supportable
deux mois d'été pour payer tes vacances d'étudiante
devient l'enfer quand il s'agit de l'engagement d'une vie. Après
avoir complété la lecture avec le témoignage de Virginie
Linhart, je me dis que, si dans un premier temps, j'ai trouvé l'acte
courageux, je trouve que cela ne l'est pas tant que ça et qu'il
savait à tout moment qu'il pouvait partir quand il le désirait ;
il trouverait un travail complètement différent. L'angoisse
et le sentiment d'inhumanité ne pouvaient donc pas réellement
être les mêmes. Cela me fait penser à cette expérience
malheureuse aux États-Unis de cette militante blanche Rachel
Dolezal qui s'est fait passer pour noire alors qu'elle ne l'était
pas et qui est accusée par la communauté d'usurpation d'identité
et d'également desservir la cause noire. Ainsi, il me paraît
difficile de comprendre ce qu'est la place de l'ouvrier dans le système
si soi-même on ne risque pas grand-chose.
J'ai été extrêmement touchée par les témoignages
très émouvants (surtout avec les conditions de vie fragiles
à l'extérieur de l'usine qui ne sont pas meilleures) et
la crainte d'être expulsé de logements sociaux. J'ai été
horrifiée également par le comportement des traducteurs
à la solde des chefs et petits-chefs (qu'avaient-ils à y
gagner ?!), j'ai souri un peu incrédule à la description
de certains changements de tenue (cravate et attaché-case). Je
me suis dit qu'ils n'avaient aucune chance de réussir leur combat
avec la façon dont l'usine organisait son emprise sur les employés.
Et je me suis demandé s'ils auraient pu tout simplement saboter
le système ? Je n'ai pas compris pour quelle raison à
l'époque, l'ouvrier n'est pas protégé par une loi
au-dessus de celle de l'usine.
J'ai lu le livre sans en comprendre le titre jusqu'à l'explication
intermédiaire. Ça a été la surprise totale
et je trouve que la construction qui se clôt par la symbolique de
l'établi en tant qu'objet d'asservissement et en même temps
objet détourné afin de créer un espace de liberté
est très maligne. Je m'interroge sur ce qui aurait l'auteur s'il
n'avait pas eu cette anecdote sous la main. Enfin J'ai été
très surprise de découvrir le rôle de la CFT !
Je l'ouvre en grand.
Monique L
J'avais lu ce livre à sa sortie en 1978. Je pensais qu'il avait
dû beaucoup vieillir. Il est vrai que le monde a changé :
plus de chaînes de montage, ni de 2CV. A ma grande surprise, je
ne me suis pas ennuyée une seconde à la lecture de ces pages.
Ce livre n'a pas du tout vieilli et a même une résonance
très actuelle (je pense aux femmes de ménage de grands hôtels
minutées pour faire chaque chambre).
L'auteur concentre son récit sur l'usine et les ouvriers qui y
travaillent. On sent vraiment le vécu. Ne sont jamais évoqués,
ni la politique en France ou dans le monde, ni mai 68, ni les mouvements
maoïstes, ni sa vie familiale. Ce parti pris rend ce livre très
attachant et d'une grande force politique.
Linhart a un véritable talent de conteur et l'on se sent vite proche
de son narrateur et révolté par la condition réservée
à ses compagnons ouvriers.
Pour moi, ce livre m'a ramenée en arrière et m'a remis en
mémoire tous les idéalistes que j'ai côtoyés
dans les années 70 et plus tard.
C'est un roman court mais fort. L'écriture est fluide et légère
et le rythme est haletant. J'ouvre en entier.
Rozenn
Je n'ai pas fini. Je l'ai lu à moitié. J'ai passé
trop de temps à lire le livre de sa fille.
Plusieurs
Mais il ne fallait pas commencer par la fille !
Rozenn
J'aime beaucoup ce livre. J'ai eu comme étudiants des ouvriers
Peugeot qui essayaient d'obtenir la maîtrise. Le livre est très
actuel. Quand on lit Voyage
en Amazonie, c'est pareil : les pauses rabotées, la
machine à café trop loin. C'est marrant d'avoir lu ça
autrefois, de le relire maintenant. Rien à changer. Et je n'ai
rien fait !
Plusieurs
Individuellement ?
Rozenn
Oui. Ça me fait penser dans le premier Charlie Hebdo, au
dessin de Reiser quelqu'un se baigne dans la mer et il ne reste que l'os.
Je n'ai rien fait mais ce qui me rassure c'est qu'il était fou.
C'est superbement écrit.
Fanny
Je ne vais pas être originale. J'ai aimé le bouquin, sans
être saisie par le style. Je ne connaissais pas les établis,
donc ce fut très instructif. J'ai été touchée
par l'humanité des hommes et les femmes (traduction des tracs,
solidarité). Les pages de grève ne m'ont pas ennuyée,
j'étais dans le suspense : vont-ils réussir à bloquer
? J'ai conseillé ce livre. Je vais le prêter à mes
parents qui ont connu cette période. Ça m'a fait penser
à La
panne de Christophe Dejours. J'ai tout juste commencé le
livre de la fille, ça me paraît intéressant ; en la
lisant, je me disais qu'il y avait un prix à payer. J'ouvre aux
¾ parce que je n'ai pas été saisie par le style.
Lisa
J'ai beaucoup aimé. J'ai aimé découvrir le travail
à la chaîne car je ne me rendais pas compte des cadences
; pour moi la chaîne c'étaient des mouvements répétitifs
immobile, là j'ai visualisé les déplacements des
ouvriers. Je n'ai pas trouvé ennuyeux le moment de la grève.
Les briseurs de grève sont des monstres et c'est pareil maintenant.
Ça me déprime. Qu'est-ce que je fais avec ça ?
J'ai aimé le style qui va au-delà du témoignage.
Il y a une ambition littéraire, à travers le choix des mots.
C'est à faire lire à tout le monde, notamment à Macron.
Etienne aurait aimé en savoir plus sur les personnages, mais dans
la vie on n'a pas forcément le temps de construire des amitiés
durables dans le travail. C'était probablement voulu aussi éviter
les regroupements. J'ouvre en grand.
Henri
J'ai lu L'établi quelques années après sa
sortie, probablement en rapport avec mon cursus de formation au Conservatoire
National des Arts et Métiers en ergonomie. Je n'ai malheureusement
pas réussi à mettre la main sur mon exemplaire à
la cave et j'avoue que j'ignorais tout du pedigree de Robert Linhart,
hormis son appartenance au mouvement maoïste.
Mon souvenir de l'époque en était que la lecture était
fluide, le propos limpide. Immédiatement ce livre s'était
imposé, pour moi et dans le milieu où j'évoluais,
comme un livre fondateur. En particulier la scène où un
opérateur rectifie les portières voilées de 2 CV
(si ma mémoire est bonne) sur un "poste de travail" qu'il
a adapté à son besoin et en rapport avec ses propres tours
de main" est emblématique du regard porté sur les situations
de travail par l'école dite d'ergonomie de langue français"
(par opposition aux Anglo-Saxons, alors très portés sur
la production de connaissances à partir de travaux en laboratoire).
Ce livre mettait d'emblée en exergue des aspects sur lesquels,
plus tard, la discipline ergonomique mettra des mots : l'écart
irréductible entre le prescrit et le réel, les solidarités,
la vision réductrice des bureaux des méthodes, la charge
de travail, les régulations et les marges de manuvre, l'intelligence
des corps, la métis (ruse) et la notion même de travail dont
voici une définition parmi d'autres : "L'homme
ou la femme qui travaille n'est pas un simple exécutant mais un
opérateur au sens où il gère
des contraintes et ne les subit pas passivement. Il apprend en agissant,
il adapte son comportement aux variations
tant de son état interne (fatigue
) que des éléments
de la situation (relations de travail, variations de la production, pannes,
dysfonctionnements
), il décide
des meilleures façons de procéder, il
invente des trucs, acquiert des tours
de main permettant d'atteindre plus sûrement ses objectifs
en bref, il opère"
(Monique
Noulin).
Pour ces raisons, ce livre, comme l'a très justement exprimé
quelqu'un dans nos échanges, était un "acte en soi".
Il reste entièrement d'actualité. En effet, à mes
yeux, les conditions de travail (au sens physique du terme : bruit,
éclairement, postures, produits dangereux, etc.) se sont globalement
améliorées. En revanche les atteintes à la santé
inhérentes au morcellement même du travail en tâches
de plus en plus élémentaires et vidées de leur sens
n'ont fait qu'empirer exponentiellement. Si le travail à la chaîne
semble avoir régressé à mesure que les usines se
délocalisaient, il a de fait migré dans le secteur tertiaire.
Sont omniprésents dans les organisations actuelles : des formes
croissantes de contrôle et un taylorisme forcené, le tout
démultiplié par les moyens informatiques et la dématérialisation.
Plus qu'un témoignage, rétrospectivement ce livre a gardé
un caractère prophétique. La lutte continue ! J'ouvre
en grand (deux fois).
Claire
Mais n'est-il est pas "instrumentalisé" professionnellement
?
Henri
C'est un outil qui a ouvert un champ de recherche.
Nathalie R
C'est intéressant. Je me suis demandé un moment
ils
ne sont pas fiers de la machine qu'ils construisent.
Annick A
Je l'avais lu il y a des années. Je l'ai repris ce matin avec le
même plaisir. Il n'a pas vieilli. On voit la lutte des classes,
qui existe encore. Et quelle violence ! J'ai beaucoup aimé l'écriture,
elle est très percutante. Il raconte la grève, c'est haletant
! C'est un tour de force. En dehors de tout ce qui montre la vie en usine,
ce qui m'a intéressée, c'est le côté humain
du livre, avec un regard profondément humain du narrateur sur chaque
personne. Ça m'a beaucoup touchée. Il introduit la question
du rapport humain qu'on essaye de détruire en entreprise. J'ouvre
en grand.
Denis
J'ai beaucoup d'estime pour ce livre. J'ai longtemps donné des
cours sur l'histoire de l'organisation du travail pour des cadres qui
voulaient changer les méthodes. Je leur faisais lire ce livre pour
qu'ils voient un autre point de vue. C'est un livre fondateur. Quand j'ai
lu qu'il fallait lire ça, je me suis dit "oh non je connais
!". Et puis j'ai été étonné, par le talent.
Je me demande pourquoi il a arrêté de parler 20 ans.
Plusieurs
On a une réponse dans le livre de sa fille.
Denis
Je suis curieux. En 68, je faisais des études, j'ai des amis qui
étaient établis. Quel degré d'investissement pour
les établis ? Il ne faut pas le faire à moitié, mais
on peut mettre sa vie en danger. Ce livre est un témoignage, plutôt
littéraire. J'ouvre en grand. C'est un tour de force.
Jacqueline
Pour moi c'est un livre culte. Je l'ai découvert, peu après
sa sortie, lors d'un séjour de vacances dans les Cévennes,
dans un lieu qui se voulait autre, tout en n'étant pas une tentative
de communauté bien que lié aux "nouveaux Cévenols"
récemment installés.
De cette première lecture, je garde le souvenir du témoignage
très fort sur la condition ouvrière, d'une aventure politique
prêtant à débat et de l'impact de ce livre ou chacun
trouve quelque chose à sa mesure... Depuis, il est dans ma bibliothèque
et je le relis, tout ou partie, de temps en temps, avec toujours le même
intérêt et chaque fois, en y découvrant quelque chose
de nouveau.
La démarche des "établis" et de Linhart n'est
pas nouvelle ni unique : on peut la rapprocher de celle des étudiants
russes qui "allaient au peuple" au 19e siècle, de celle
de Simone Weil ou de celle des prêtres ouvriers. Mais elle garde
cependant sa singularité : "dans
nos débats d'étudiants, je me suis toujours opposé
à ceux qui concevaient l'établissement comme une expérience
de réforme individuelle : pour moi, l'embauche d'intellectuels
n'a de sens que politique."
Ce livre raconte un parcours et sinon une découverte, en tout cas
une expérience profondément humaine : "Vu
du dehors de l'établissement,
cela paraît évident : on s'embauche et on s'organise. Mais
ici cette insertion dans la classe ouvrière se dissout en une multitude
de petites situations individuelles où je ne parviens pas à
trouver une prise ferme Ces mots même la
classe ouvrière n'ont
plus le même sens immédiat que dans le passé "
Je voudrais pouvoir lire ici les portraits (Mouloud qui refait trois mille
fois les mêmes gestes), les solidarités, les formes de résistance...,
écrits dans une langue extrêmement efficace et dans un récit
construit comme un roman.
Dans ma relecture d'aujourd'hui, ce qui me frappe c'est ce que fait Linhart
quand il écrit ce livre. Peut-être que son action a été
un échec politique : ils ont été dispersés
avant d'avoir pu changer grand chose... Mais Primo témoigne "la
grève, ce n'est pas un échec parce que nous sommes tous
contents de l'avoir faite." Cela m'a rappelé un
film récent sur une délocalisation... Il s'agit de dignité.
Linhart transforme cet échec en un récit extraordinaire
susceptible d'éclairer la suite.
J'ouvre très grand.
Séverine(qui
avait proposé ce livre en voyant que l'année du cinquantenaire
de 68 avançait sans qu'on ait choisi un livre marquant le coup...)
J'ouvre en grand. C'est très bien écrit. Cela m'a fait penser
aux Temps modernes
: tout est rythmé, sur le temps et cela se retrouve dans
le vocabulaire. J'ai été marquée par la présence
des travailleurs étrangers et je fais le parallèle avec
la délocalisation actuelle des usines à l'étranger.
Cela n'a pas vieilli, aujourd'hui il se passe la même chose dans
le tertiaire. L'établi ne peut pas être personnalisé.
Aujourd'hui il n'y a plus toujours de bureau individuel. C'est un livre
référence, une belle écriture. Je le relirai. J'ouvre
en grand.
Françoise D
Je vais être moins enthousiaste.
Le groupe
Aaaaaaaahhhhhhhhh
enfin !
Françoise D
J'ai aimé ce livre et ce qu'il décrit de l'aventure humaine.
En 68, j'ai travaillé à la chaîne, mais peu de temps
bien sûr. Il se décrit comme un homme isolé, mais
il est là parce qu'il est mao. Il ne se positionne pas tel qu'il
est réellement. Son engagement n'était a priori pas lié
à l'écriture d'un livre, il a écrit 10 ans plus tard.
Je ne sens pas son idéologie à travers son récit.
J'aurais aimé qu'il en dise plus sur le fonctionnement. J'ai regretté
qu'il fasse l'impasse sur l'extérieur, sur ces espaces de partage.
Cela m'a fait penser à L'atelier
62 qui se passait chez Renault. Je me souviens de ma surprise
sur les conditions de travail étant donné que Renault était
considéré comme le fleuron de l'industrie automobile française
ET du syndicalisme. Evidemment Citroën était encore bien pire.
Ce live est un témoignage précieux, et hélas pas
du tout dépassé.
Je n'ai pas trouvé que c'était si bien écrit que
cela. C'est peut-être voulu. J'ouvre à moitié.
Geneviève
Ce livre fait partie des ouvrages mythiques et des références
que je peux citer sans les avoir lus. Je l'ai avalé très
vite. Je n'ai pas été frappée par l'écriture,
ce à quoi je suis en général peu attentive ;
mais la structure est bien faite, il y a un important travail de restructuration
et de mise en scène du récit. J'ai été frappée
par le statut des immigrés et une solidarité qui a été
détruite aujourd'hui. J'ai été saisie également
par la question de l'identité, notamment chez Ali qui préfigure
beaucoup de choses et à qui il dédie ce livre. J'ai été
saisie par le rapport au corps, la manière dont les ouvriers s'habillent
pour dissimuler leur statut social, cela a peut-être changé
aujourd'hui. Dans quelle mesure cela a joué sur le rapport au corps
dans les cités, avec les marques ? Je pense notamment aux
"sapeurs" congolais. La tenue vestimentaire fait partie des
humiliations constantes dont on trouve aussi la trace dans certaines filières
professionnelles où les élèves doivent porter une
blouse de travail qui les distingue des autres élèves, ce
qu'ils supportent mal.
Le fait que l'auteur n'évoque pas sa vie politique à l'extérieur
de l'usine est frustrant, mais c'est une prise de position qui se défend
et qui lui permet de mettre en valeur les personnages de la communauté
ouvrière.
Une fois de plus, je suis heureuse que le groupe de lecture m'ait donné
l'occasion de découvrir un livre dont je connaissais l'existence,
sans l'avoir lu.
Rozenn
J'avais un petit chapeau quand je travaillais dans un fast-food.
Geneviève
J'ai toujours été fascinée par le silence de Linhart
et par l'après-coup de ceux qui sont allés au bout de leurs
engagements, parfois trop loin
Le livre de sa fille n'a pas la même
qualité littéraire mais il apporte un contre-point extrêmement
intéressant.
Claire
Peu après qu'on a programmé L'établi en mai
dernier, j'ai vu sur Arte un
film documentaire sur les établis qui m'a impressionnée
(et instruite). J'ai lu alors le livre parce que je voulais voir l'adaptation
théâtrale de LÉtabli
à la Cartoucherie (Jacqueline en était).
En lisant le livre, je pensais à L'atelier
62. J'ai lu celui-ci avec autant d'enthousiasme et de... révélation.
C'est un livre qui n'a pas de sous-titre indiquant son genre. Je suis
contente Jacqueline que tu aies employé le mot "roman".
Jacqueline
Non je n'ai pas employé ce mot.
Le groupe
Si si.
Claire
Outre l'aspect témoignage, je l'ai lu comme un roman, car il en
a toutes les composantes :
- des personnages saisis en peu de mots : des bons (Georges et son élégance),
des mauvais (le médecin dit le vétérinaire, les interprètes),
le prêtre ouvrier Klatzann, Ali, le fils de marabout...
- des scènes très bien campées : le changement au
vestiaire avec les Noirs qui sortent en complet veston-cravate, la scène
de la grève, celle avec Demarcy l'ouvrier resté artisan,
extraordinaire
- une narration qui avance, avec quelques flashforwards qui jouent dans
la tension (on apprend d'ailleurs qu'au temps de l'écriture 10
ans ont passé p. 146)
- un cur, l'expérience d'établi qui est bien prise
dans le récit et qu'on nous fait vivre sans nous épargner
mais sans attendrir, avec des informations très bien distillées
dans le récit. Sauf sur la démarche des établis :
en effet, le défi de l'unité de lieu est tenu (on est uniquement
dans l'usine), mais je regrette que tout ce qui est hors de l'usine soit
tu, et je rejoins là Françoise : rien sur le groupe
militant intellectuel auquel il appartient qui détermine sa situation.
Rien non plus sur la vie personnelle du narrateur (mais sa fille Virginie
nous en dira plus). On a des éléments ça et là
sur "l'établissement", sur d'autres luttes. Comment les
tracts en plusieurs langues (p. 88) sont payés,
on ne le sait pas.
Lisa opine du chef...
Il y a des moments très forts et souvent aussi beaux : l'anesthésie
progressive dans le boulot, ce
que font les autres hors de l'usine, pendant que Mouloud en est à
la 33000e voiture, l'attachement
aux autres : je retiens ce que tu as dit Annick sur le regard
du narrateur sur chaque personne, attentif à chaque personne.
Il y a aussi la vengeance quand Citroën sait qu'il est établi
(p. 144), le sentiment de classe (p. 145),
les villages entiers qui arrivent (p. 35),
la hiérarchie des nationalités et des postes, le féodalisme,
le racisme, le colonialisme (p. 68), le syndicat
officiel (p. 71), l'univers semi-pénitentiaire
(p. 63), la nasse où il s'est englué (p. 66),
la peur (p. 68), le flicage (p. 69), l'attribution
d'une place qui renvoie à remettre à sa place (p. 138)
et, étonnant, le sentiment d'un mois de bonheur (p. 93).
J'ai lu après le livre de sa fille, éclairant, mais j'en
parlerai après. J'ouvre aux ¾ ce livre important.
Nathalie R
Je pense aux uniformes des caissières et à l'uniformité.
Claire
Peut-on parler de littérature ?
Rozenn
J'ai été époustouflée par la beauté
du texte.
Nathalie R
Savoir écrire en s'oubliant, c'est pas donné à tout
le monde. La scène d'humiliation à l'établi c'est
terrible.
Claire
Ce qui montre que l'auteur voulait contribuer à un témoignage
"sociologique", le long passage de l'établi proprement
dit a été publié avant la sortie du livre dans une
revue sociologique, Les Actes...
Denis
Les Actes de la recherche en
sciences sociales !
Lisa
Pourquoi certains maoïstes étaient contre les établis
?
Monique L
Dans la GOP (la Gauche ouvrière et paysanne, avec Alain
Lipietz), ils pensaient que c'était peu efficace, une illusion.
J'ai rencontré Linhart alors, mon mari étant dans cette
mouvance maoïste (dans la GOP).
Rozenn
Et les Yes men
? Ils s'habillent en économistes, vont dans des conférences
et disent des absurdités qui se réaliseront. Par exemple,
ils ont démontré l'intérêt de faire travailler
des immigrés chez eux, dans leur pays.
Séverine
Je pense à Debout-payé
de Gauz sur le métier de vigile.
Claire
J'ai été étonnée en me remémorant les
livres que nous avons lus qui sont centrés sur le monde du travail :
Atelier
62 de Martine Sonnet
(paru en 2008, auteure reçue
dans le groupe en 2008), Le
quai de Ouistreham de Florence
Aubenas (paru en 2010 et lu
dans le groupe en 2010).
Annick
A
Extraordinaire !
Claire
On a lu aussi Au
bureau de
Nicole Malinconi (paru en 2007 et lu
dans le groupe en 2008), La
question humaine de François
Emmanuel (paru en 2000 et lu
dans le groupe en 2007). On avait lu également Un
petit boulot de Iain Levison, un Américain, sur lequel
on s'étaient écharpés... Mais il y a aussi, que nous
n'avons pas lu, Amélie Nothomb avec Stupeurs
et tremblements.
Plusieurs
Mais on l'a lu, c'était super.
Claire
Non, on ne l'a pas lu.
Plusieurs
Mais si.
Claire
On a juste lu Hygiène
de l'assassin.
Jacqueline
Alors on l'a tous lu de notre côté.
Claire
Y avait aussi Élise
ou la vraie vie de Claire Etcherelli, Voyage
à Paimpol de Dorothée Letessier, Sortie
d'usine de François Bon, L'Excès-L'usine
de Leslie Kaplan, Extension
du domaine de la lutte de Michel Houellebecq, Le
Laminoir de Jean-Pierre Martin, sans parler de Simone Weil.
Rozenn
Le début est vraiment parallèle entre Linhart et Simone
Weil.
Claire
J'ai trouvé deux articles
qui justement comparent les deux démarches. J'ai cherché
des réactions à la sortie du livre de Linhart. Poirot-Delpech
était alors le feuilletoniste du Monde ; il conclut
son son article ainsi :
"Je n'ai rien lu de
plus atroce, de plus accusateur, dans la nudité, depuis Une
journée d'Ivan Denissovitch,
de Soljenitsyne. Avec cette circonstance, que chacun peut trouver aggravante
ou pas, que cela ne se passe pas en Sibérie mais sous nos fenêtres,
ni vu ni connu, à un jet de boulon."
L'une
Quant au livre de Virginie Linhart...
L'autre
J'ai détesté !
L'autre
J'ai adoré !
Rozenn (au vu du brouillamini qui s'installe rapidement au sujet du
livre de Virginie Linhart...)
Je propose qu'on refasse un tour concernant ceux qui l'ont lu...
Jacqueline
Virginie Linhart cherche à comprendre son passé. Dans cet
effort, son premier livre Volontaires
pour l'usine : vies d'établis (1967-1977) est une
enquète absolument passionnante.
Celui-là me parait moins abouti : j'aime ce qu'elle dit des
raisons qui lui font entreprendre cette nouvelle enquête, mais il
me semble que son propre ressenti biaise un peu ce qu'elle va en faire.
Par contre, j'ai beaucoup aimé préface
de Rolin. Elle m'a paru rétablir une plus juste distance.
Dommage qu'elle ne soit pas dans toutes les éditions !
Claire
Le point de vue des enfants des personnalités gauchistes de l'époque,
c'est passionnant. C'est extraordinaire, à ce moment-là
on croyait au Grand Soir, grande différence avec aujourd'hui. Leur
vie est entièrement centrée sur la politique, les enfants
ne sont pas primordiaux, on mange n'importe comment, la façon de
s'habiller ne compte pas, on vit les matelas par terre dans le bordel.
Et les parents de Thomas Piketty qui en bavent en allant vendre leurs
fromages de chèvres. Et aujourd'hui, les pairs de Virginie Linhart
sont pour certains archi maniaques, les enfants passent avant tout, on
les emmène au conservatoire etc.
Rozenn
Le livre nous apprend ça, mais le livre est mal foutu, fouillis,
foutoir, avec un côté règlement de compte. On pourrait
en tirer un article intéressant.
Monique
J'ai vu une émission à la télévision un peu
agaçante avec la fille.
Claire
En fait, elle est documentariste, pas écrivain. Son film
sur la fac de Vincennes était formidable.
Geneviève
Je confirme. Son livre a une préface
d'Olivier Rolin qui est magnifique et qui situe bien le cadre, avec
une culpabilité de cette génération militante vis-à-vis
des enfants. Ce n'est pas que les mômes ne comptaient pas, mais
on les embarquait dans l'aventure. J'ai décroché parfois
car il y a une accumulation de témoignages, un peu pêle-mêle
entre citation directe et commentaire.
J'ai parfois été un peu agacée par un côté
un peu geignard, et une tendance à la victimisation mais la relation
fille/père est passionnante. J'ai aussi été très
intéressée par les remarques sur la place du judaïsme
dans cette génération et la suivante, notamment en ce qui
concerne une culture des "survivants" et son impact sur le positionnement
militant.
Séverine
Je ne suis pas d'accord quant aux enfants. Elle souligne le gap générationnel ;
avant les enfants comptaient moins, gauchistes ou pas. Ce qui m'a intéressée
c'et le thème de la bipolarité et Robert Linhart qui reste
en phase dépressive pour ne pas retomber...
Nathalie R
C'est son interprétation, c'est ce qu'elle dit seulement sur son
père.
Et avec ces convictions, les collègues gauchistes de Linhart qui
mettent leur enfant à l'École alsacienne !
Rozenn
Effet de la classe sociale !
Nathalie R
Virginie témoigne qu'avoir un enfant dans certains mouvements c'était
mal vu. Et la scène de sexe des parents qui gueulent comme des
veaux !
Claire
D'ailleurs la Virginie insiste sur le fait que cela leur était
insupportable de voir leurs parents nus.
Nathalie R
Je ne reviens pas sur tout ce qui a été dit sur la construction
foutraque de ce livre. Ce que je sais c'est qu'il m'a toutefois emballée
et a provoqué en moi des échos très sonores ! Et
plusieurs interrogations. Je me suis interrogé sur la place de
la politique dans la vie de mes parents et sur l'impact que cela avait
sur notre propre éducation. Je suis née en 64. Mais parents
se séparent quand j'ai 12-13 ans donc les années 76-77.
Je suis le pur produit d'une éducation qui m'a rendue profondément
sceptique et nihiliste. J'interroge le rôle de la politique dans
ma vie comme celui de la religion. J'ai trouvé une ressemblance
: une éducation basée sur des dégoûts, dégoût
de la politique, dégoût de la religion (je ne dis pas de
la foi). Un passage m'a particulièrement marquée : "sentiment
imbécile d'avoir raison parce qu'on est nombreux". Pour moi,
c'est vraiment ça mon éducation. Dans ma vie j'ai approché
du parti socialiste... j'ai été horrifiée par les
dissensions internes, les egos, les tirages de couverture à soi,
les jalousies. Ça m'a définitivement éloignée
! À chaque fois que j'ai pu m'approcher de personnes qui avaient
le pouvoir de décider, j'ai été vraiment sidérée
: par certains choix motivés par l'intérêt particulier
et non l'intérêt général. Je ne sais pas s'ils
(les 68) ont raté quelque chose comme certains le laissent entendre,
mais il me semble que les grandes causes enclenchent des catastrophes
alors que peut-être chacun pourrait faire quelque chose de petit
et humble mais qu'ainsi on ferait avancer tout le monde.
Denis
Reste-t-il des notes de sa période d'établi ?
Plusieurs
Non.
Claire
Dans le film sur les établis,
on voit des documents de l'époque, des procès-verbaux de
réunion maoïste très détaillés, écrits
à la main, où les militants doivent faire des comptes rendus
de leur engagement et faire aussi des auto-critiques glaçantes.
Denis
Dans un bouquin, Malinowski
dans les îles lisait des romans de Conrad décrivant des sociétés
indigènes.
Claire
À propos des communautés, il y a un livre récent
que je veux lire, Arcadie
dEmmanuelle Bayamack-Tam, qui reconstitue une sorte d'utopie communautaire
50 ans après.
Nathalie R
Je connais une fille qui vit à Auroville
depuis 30 ans.
Françoise D
Ça a été dévoyé.
Nathalie R
Mais elle y vit toujours.
Ceux qui sont très impliqués dans les ZAD, ils disent qu'ils
ne peuvent faire ça que quelques années.
Lisa
J'ai un ami de ma promotion d'agro qui est zadiste.
Claire
Mais il est diplômé
et peut retrouver du travail.
Monique L
Il faut souligner aussi que certaines femmes jeunes ont vécu dans
les communautés liberté sexuelle et que cela a tourné
à l'exploitation.
Nathalie R
Virginie le dit bien, il y a un mâle dominateur et des mâles
soumis.
Rozenn
Dans les mouvements gauchistes, les filles faisaient le café...
Inès (du nouveau groupe
parisien dont les avis suivent)
Ce qui m'a le plus marquée, c'est la simplicité et l'efficacité
que l'on ressent à la lecture. On se plonge directement dans le
monde de l'usine. Le passage le plus fort est pour moi la grève.
On peut faire le parallèle avec notre société. J'ai
trouvé ce livre très actuel ; ils souffrent physiquement
tandis qu'aujourd'hui la souffrance est mentale à mon sens.
Léonard
C'est un livre qui pour moi est optimiste car ils réussissent à
instaurer la grève. Notre système contemporain régresse ;
aujourd'hui on invente une nouvelle pauvreté. C'est une uvre
fondamentale sur le monde ouvrier français ; il mérite
de réapparaître dans les luttes d'aujourd'hui ; il a
réussi à être optimiste dans sa noirceur, les gens
restent dignes. Les plus grandes luttes sont à venir. Ce livre
a le bénéfice de créer le débat après
l'avoir lu sur les luttes sociales. C'est un livre important ; au-delà
de ce livre, c'est une vision sociologique et philosophique ; ce
qui en fait une uvre majeure.
François
C'est un bouquin actuel ; c'est un livre qui prend les tripes et
qui est totalement bouleversant. L'Établi est un chef-d'uvre
et met en exergue la stupidité du bureau des méthodes. Il
y a un engagement total de l'auteur. Il se relativise par rapport à
ce qu'il vit. Il va pleinement participer ; il va organiser la grève.
Il se retrouve à la chaîne dans des conditions extrêmes.
Cela m'a fait penser à Primo Levi et son univers carcéral
et les camps de concentration. Le degré de souffrance lorsqu'il
calcule le nombre de coup de pouces. Il décrit le chalumeau ;
la description et la vigilance, l'observation qu'il a ; c'est juste
magnifique c'est d'une sobriété. L'ambiance de l'usine est
implacable ; il ne peut pas se retrouver seul, il les empêche,
il les harcèle ; c'est un livre très actuel et magnifique.
Ce qui fascine, c'est la gravité et la beauté humaine des
témoignages. Il y a un vrai travail sur l'écriture saccadée
et rythmée. Il montre remarquablement les personnages, les immigrés.
Il montre la façon dont ils sont exploités en relation avec
leur mode d'émigration : description très actuelle
de la description des immigrés. Le passage sur le temps qui est
volé est magnifique. Ensuite Linhart a fait le même travail
avec des ouvriers agricoles. Puis il est allé en Espagne. Il est
politisé, mais c'est un très grand écrivain.
Françoise H
Peu d'auteurs français ont écrit sur l'usine. Cela m'a rappelé
un livre que j'ai lu sur les immigrés dans des abattoirs au début
du XXe siècle aux USA, La
jungle d'Upton Sinclair
Ici Linhart raconte le processus de la chaîne à trois reprises.
Il est effaré par ce processus qui est avilissant. C'est un beau
livre fraternel. Il a un regard empathique sur les ouvriers, les immigrés,
par les temps qui courent. J'ai beaucoup aimé. Je le trouve très
honnête. Cette sincérité est sensible. Cela m'a fait
penser à Si
c'est un homme de Primo Levi. Il raconte un univers qui devient
un monstre ; il y a une analogie entre machine et monstre.
Valérie
J'ai été beaucoup touchée par ce livre. Je pensais
que j'allais m'ennuyer, mais il n'en a rien été. Quand j'étais
étudiante j'ai bossé dans une usine Nivéa :
je devais suivre la cadence, les minutes deviennent des heures.
Le passage p 69-70 "Pourtant,
la peur, c'est plus encore que cela : vous pouvez très bien passer
une ... entière sans apercevoir le moindre chef (parce qu'enfermés
dans leurs bureaux ils somnolent sur leurs paperasses, ou qu'une conférence
impromptue vous en a miraculeusement débarrassé pour quelques
heures), et malgré cela vous sentez
que l'angoisse est toujours présente, dans l'air, dans la façon
d'être de ceux qui vous entourent, en vous-même.",
c'est uun passage qui reflète l'ambiance du livre. Cette peur parce
que "pas le droit d'arrêter la chaîne". J'ai trouvé
ce livre touchant, fraternel, solidaire.
Nathalie B
C'est un excellent livre en terme d'écriture : on a le rythme,
la rapidité, la lenteur de la nuit. C'est une écriture corporelle.
J'ai tout aimé, y compris la grève. Une grève représente
énormément de travail, qui génère beaucoup
d'inquiétude et l'auteur le dit bien, il faut distribuer les tracts,
etc. Beaucoup de fraternité qui reste dans les mémoires.
IL le raconte extrêmement bien. La description de Demarcy est un
passage touchant ; on a brisé cet homme ; on l'a cassé.
Cela reste un roman actuel : même maltraitance, même
type de fonctionnement. J'adore la fin avec la rencontre de Kamel :
Kamel ou la classe ouvrière.
La
Condition ouvrière de Simone Weil fait penser fortement
à ce livre et montre à quel point ils sont isolés.
Anne
Le passage de la description de cet établi de Demarcy est très
émouvant, dans une situation de destruction de l'être humain
(p. 183). C'est pour montrer que c'est cela, être humain. Il
décrit notre époque qui peut être destructrice. Je
l'ai vécu comme un huit clos. L'auteur parle de la dictature de
l'objet. Il dénonce déjà à cette époque
ce qui prend aujourd'hui des proportions plus importantes. Il parle de
l'omniprésence de l'esprit de consommation. Le passage de la grève
est révélateur d'un grand suspense et s'arrête assez
longtemps. Le passage sur la peur est magnifique, très bien décrite,
c'est un moment où on n'a pas de pensée, c'est irrationnel.
Les gens n'arrivent plus à penser dans la peur !
J'ai lu ce livre dans le train. J'ai été transportée
par l'écriture rythmée, imagée, musicale, la description
de la chaîne.
C'est un huis clos dans lequel sont nichés en son centre la violence
entre les hommes et tout le travail que certains hommes font. Ce livre
met en contraste des aspects de l'humanité qui sont beaux :
description d'une fin de fête, la fermeture de l'usine p. 184.
C'est un livre qui fait frissonner où les aspects sociaux sont
décrits.
Ana-Cristina
C'est le mot pudeur qui résume ce livre pour moi. Il sait à
tout moment qu'il peut partir. Il connaît tellement ses limites
et cela ne joue pas contre lui. Il sait que de toute façon il y
aura forcément une part auquel il n'aura pas accès. Il arrive
à transmettre ce que les autres subissent sans les trahir, il est
extrêmement honnête. A la fois ce livre est tellement émouvant
et heureusement quand il part de la grève, cela s'apaise. Il a
écrit ce livre 10 ans après. Cela dépasse l'opinion
politique ; il défend ses valeurs. Il va jusqu'au bout de
ses convictions. Le passage de Demarcy est fabuleux. On a l'écart
avec les autres, l'outil de travail, et la distance avec ce qu'ils ont
fait avec son outil de travail.
Ce livre = pudeur ; pudeur par rapport à ce qu'il aurait pu dire
et qu'il ne dit pas.
Martine
Je n'ai pas beaucoup aimé ce livre. J'aurais voulu que ce livre
soit à l'image du passage sur Demarcy. Je n'aime pas trop les témoignages
mais je suis d'accord avec tout ce qui a été dit sur le
livre jusqu'à présent.
Lina
Linhart a su mettre le point de vue purement observateur de côté,
on ne lit pas ce livre comme une expérience, mais plutôt
comme quelque chose qui a été réellement vécue
avec toutes les émotions, sentiments, que cela implique. C'est
un livre d'émotion ; j'ai adoré chaque mot dosé,
juste, rythmé qu'utilise l'auteur pour décrire chaque détail
et étape de la vie et du travail à la chaîne. L'auteur
observe le moindre détail tout en s'impliquant émotionnellement.
Il a cette force de caractère de ne pas abandonner, d'aller jusqu'au
bout de ses convictions. Il souffre comme les autres, il vit les choses
à 200% et respecte les hommes qui l'entourent. Cet auteur impose
le respect et ses descriptions sont d'un grand réalisme. On n'a
aucune difficulté à imaginer la scène, tout est cadencé,
tout est harmonieux. Je n'ai ressenti aucune longueur ; le style
est parfaitement maîtrisé.
Il décrit de manière si réaliste que cela m'a glacé
le sang ; de voir à quel point il retranscrit avec brio le
néant, la peur, l'angoisse, l'avilissement, l'aliénation
du travail à la chaîne ; les corps qui enregistrent
les gestes automatiques au point d'entraîner une déconnexion
du cerveau. Heureusement qu'il y a le passage de la grève, par
principe, pour sauver l'honneur, pour montrer que nous sommes avant tout
des êtres humains qui méritent le respect. La partie avec
Demarcy m'a évidemment émue ; on lui enlève
son outil de travail, j'ai ressenti ce passage comme une violation intime
de son don, de son intégrité, on a détruit cet homme,
on l'a brisé
C'est un livre important, extrêmement actuel et qui mériterait
d'être remis sur le devant de la scène.
David
Ce livre montre la déshumanisation. Le langage du contremaître
met une distance entre les ouvriers et le directeur. La peinture des carrosseries
doit être parfaite, mais l'humain peut être sale, abîmé.
La résistance symbolique apparaît quand ils s'habillent bien
à la sortie de l'usine. Comme le livre est écrit en 1978,
je m'attendais à quelque chose d'un peu plus raconté et
il raconte vraiment les faits, j'ai trouvé cela très moderne
alors que cela a 40 ans. Il montre l'absurdité des rapports humains
par rapport à l'industrie. Le style est magnifique, on s'y croit
totalement.
Monique M
Ce livre très engagé est extrêmement vivant, prenant,
documenté sur les conditions de vie et de travail des ouvriers
des chaînes de montage de 2 CV des usines Citroën dans
les années 70. On sent l'engagement personnel, la proximité
de l'auteur avec ces hommes, sa compréhension, son envie de leur
faire prendre conscience de l'injustice de leur condition.
Le style fluide, imagé, précis, restitue parfaitement l'atmosphère
de l'usine : la routine des gestes répétitifs sur les
chaînes, les odeurs, le décor grisâtre, l'arrivée
somnambulique des ouvriers au petit matin, le décrassage du soir
dans les vestiaires pour laisser « d'un
côté l'usine : saleté, vestes usées, combinaisons
trop vastes, bleus tachés, démarche traînante, humiliation
d'ordres sans réplique ("Eh, toi !") »
et trouver « de l'autre la ville : complet-veston, chaussures
cirées, tenue droite et l'espoir d'être appelé "Monsieur" ».
Le récit décrit les conditions de vie précaires des
ouvriers et travailleurs immigrés, le racisme du recrutement et
des emplois proposés, les cadences infernales, la dureté
de l'encadrement, la complicité des médecins du travail
qui refusent le moindre arrêt maladie, les risques sanitaires
C'est aussi le tableau très documenté, vibrant, charnel,
de la vie de ces hommes loin de leurs familles restées au pays,
le récit de leur solidarité, l'analyse éprouvée
dans sa chair d'un intellectuel assez engagé pour vivre dans les
mêmes conditions que ces ouvriers.
Le tableau est sans complaisance : les 2CV sont rouges, verts, bleues,
rutilantes, pleines d'attrait ; les hommes sont gris, recouverts
de poussière, fripés, abandonnés à leur sort.
C'est la domination de la machine sur l'humanité.
L'épisode de la grève est haletant. On sent monter la fébrilité
des ouvriers, le système de flicage se resserre, les interprètes
briseurs de grève tentent d'influencer les travailleurs étrangers,
les chefs menacent d'expulsion des foyers ou de licenciement.
Ce livre a valeur de document, il est fondamental.
DOCUMENTATION
Voici DES REPÈRES
sur l'auteur, le mouvement
maoïste d'où viennent les "établis",
des livres sur le monde du travail, des éclairages
dans la presse.
Enfance
Robert Linhart naît en 1944 à Nice de parents juifs polonais
qui pendant la guerre vivaient cachés dans les Alpes-Maritimes,
aidés par des Justes.
Son père Jacob, dit Jacques, ne put faire reconnaître son
diplôme de juriste et devint alors représentant en "tout
ce quon peut avoir, de tout ce quon peut toucher", pour
faire vivre sa famille, raconte Virginie Linhart.
Sa mère Masza, dite Maryse, vendait avec succès des dessins
de mode à Varsovie. Elle devint femme au foyer pour élever
Robert et sa sur, la future sociologue Danièle
Linhart, née en 1947. Robert Linhart na connu aucun de
ses quatre grands-parents, tous victimes de la "shoah par balles".
Formation
- Au lycée Claude Bernard, il a pour professeurs Louis Poirier
qui devint Julien Gracq qui y enseignait lhistoire et la géographie
et en philosophie Michel Deguy, aujourdhui poète "réputé"
qui l'oriente dans ses études : en 1959-1962, hypokhâgne
et deux khâgnes à Louis-Le-Grand.
- 1963 à 1968 : Normale sup rue d'Ulm, "disciple" dAlthusser,
doctorat en sociologie. R. Linhart se lance dans
la recherche en sciences sociales : mémoire de DEA sur Nikolaï
Boukharine dirigé (de loin), par Raymond Aron, doctorat de troisième
cycle Lénine Taylor et les paysans sous la direction du
philosophe François Châtelet.
- Il devient maître assistant, puis maître de conférence
et fait toute sa carrière professionnelle au sein du Département
de philosophie de lUniversité Paris VIII ("Vincennes"),
jusquà sa retraite en 2009.
- En 1976, il publie une adaptation de sa thèse
: Lénine,
les paysans, Taylor : essai d'analyse matérialiste historique
du système productif soviétique, Seuil, coll. "Combats",
réédité
en 2010 avec une préface de l'auteur.
Parcours militant
- 1964, adhère à l'UEC (Union des étudiants communistes),
il y anime le cercle des "ulmards", marqué par la figure
tutélaire de Louis Althusser. En 1964-1965, naissance des Cahiers
marxistes-léninistes, prochinois et très critiques
à l'égard du "révisionnisme" du PCF, qui
connaîtra 15 numéros.
- En 1966, comme une centaine de militants, est exclu de l'UEC ; il fonde
l'Union des jeunesses communistes marxistes-léninistes, UJC (ml),
dite aussi UJ. Ces sympathisants de la Chine ne
se disaient pas encore "maoïstes", ni "prochinois",
mais "marxiste-léniniste", ce qui signifiait que lUJ
prônait un retour à Marx (le Marx matérialiste) et
aussi à Lénine. Pour l'UJC (ml), les étudiants doivent
se mettre à l'écoute des masses : procéder par "enquêtes",
conformément aux paroles de Mao Zedong pour qui "la seule
méthode qui permette de connaître une situation, c'est d'enquêter
sur la société, sur la réalité vivante des
classes sociales" ; en l'occurence, il s'agit de se lier aux
"masses ouvrières" en allant travailler dans les usines
comme "établis".
- 1967 : Virginie Linhart, sa fille, raconte en 2008 dans son livre sur
son père : "Alors que je passe lété
de ma première année à Sardan dans le sud de la France
avec Nicole, ma mère - mon père est linvité
du président Mao ; aux côtés de quelques autres camarades
de lUJ, il enquête sur les bienfaits de la révolution
culturelle en Chine. Le 14 août 1967, il écrit à ma
mère de la chambre 310 de lhôtel des Nationalités,
à Pékin, la lettre suivante :
Mon chaton, hier nous avons visité une commune
populaire ; jattendais cela depuis 1964 ; cest aussi bien
que nous limaginions. Cest la voie lumineuse que prendront
tous les affamés du monde, tous les paysans de la zone des ténèbres
et des tempêtes. Nos entretiens avancent et nos rapports avec
les camarades chinois sont de plus en plus excellents. Il nous reste
deux jours à passer à Pékin, bourrés dentretiens
prévus, avant de partir dans lintérieur (Kharbin,
Shanghai, etc.). Nous avons à peine une minute de répit
de temps en temps. Embrasse très fort le bébé pour
moi. Je taime. Je te couvre de baisers. Tu iras en Chine lannée
prochaine, je le veux absolument (et nos amis chinois te connaissent
déjà). Robert."
- Après
la série d'"enquêtes" débutées à
l'été 1967, la première vague d'établissements
a lieu à l'automne 1967 et fera entrer dans les usines des dizaines
de militants étudiants pour mener des investigations à la
façon de Mao ("qui na pas fait denquête
na pas droit à la parole"), répandre le message
révolutionnaire et encourager à lémergence
dune "CGT de lutte des classes". Nicole Linhart (la femme
de Robert) s'établit aux Charcuteries Géo au Kremlin-Bicêtre
et Claudie Broyelle à Montrouge (qui ultérieurement publiera
: La moitié
du ciel, Apocalypse
Mao, Deuxième
retour de Chine, Le
bonheur des pierres : carnets rétrospectifs). Une des idées
est de militer au sein de la CGT pour organiser des combats de classes
déterminés.
- Printemps 1968 : Robert Linhart exprime
une profonde défiance pour les manifestations qui se déroulent
au Quartier latin ; il y voit un "complot social démocrate"
; interdiction par lUJC (ml) à ses militants de participer
aux manifestations qui sont considérées comme "petites-bourgeoises".
- Le 10 mai : Robert Linhart, victime dimportants troubles psychiques,
est hospitalisé et plongé dans une cure de sommeil pour
de longs mois.
- Septembre 1968 : il entre sur un poste d'OS dans les usines Citroën
de la porte de Choisy à Paris, jusquen juillet 1969, date
de son licenciement.
- Après lété 1968, Benny Lévy, rival
de Robert Linhart, accuse publiquement lancien leader daveuglement
politique. Tandis que lUJC (ml) éclate en plusieurs tendances,
Benny Lévy, sous le pseudonyme de Pierre Victor, prône avec
succès la fondation dune nouvelle organisation, la Gauche
prolétarienne (GP). Fondée en octobre
1968 (elle sauto-dissoudra en 1973), elle rassemble notamment Benny
Lévy et son frère Tony, Christian Riss, Jean Schiavo, Olivier
Rolin, Jean-Claude Zancarini, Maurice Brover, Serge July, Alain Geismar,
Jean-Paul Cruse, Gilbert Castro, Jacques Theureau, Jean-Pierre Le Dantec,
Bernard Liscia et Robert Linhart (éloigné cependant du Comité
exécutif du fait de son "établissement" à
l'usine Citroën).
- 1971 : est lancé Jaccuse, organe
dexpression de la Gauche prolétarienne, plus populaire que
La Cause du Peuple, organe officiel du mouvement. La direction
de lhebdomadaire (qui bientôt devient mensuel) revient à
André Gluksmann et Robert Linhart, entourés dun groupe
dintellectuels (dont Sartre) et de journalistes en vue, notamment
du Nouvel Observateur. La relative indépendance de lorgane
de presse par rapport à la GP ne dure pas, Benny Lévy impose
une fusion entre La Cause du peuple, mieux contrôlée
par lorganisation, mais dont lintérêt politique
navait cessé de diminuer, et Jaccuse, au contenu
plus vivant et au lectorat plus étoffé. Benny Lévy
reproche en fait à Jaccuse de permettre à R.
Linhart de reprendre de linfluence dans lorganisation ;
en juillet 1971, un procès politique contre les animateurs de Jaccuse,
tourne au fiasco.
- 1978 : écrit 10 ans après son expérience,
Robert Linhart écrit Létabli
: il y raconte son "établissement" et un conflit du travail
contre les récupérations que lemployeur, Citroën,
à la porte de Choisy, voulait imposer aux ouvriers, surtout des
immigrés, quelques mois après la longue grève du
printemps 1968.
- A la sortie du livre, Bertrand Poirot-Delpech écrit dans Le
Monde : "Je n'ai rien lu de plus atroce, de plus
accusateur, dans la nudité, depuis Une journée d'Ivan
Denissovitch, de Soljenitsyne. Avec cette circonstance, que chacun
peut trouver aggravante ou pas, que cela ne se passe pas en Sibérie
mais sous nos fenêtres, ni vu ni connu, à un jet de boulon."
- En 1979, R. Linhart accompagne au Brésil Miguel Arraes, l'ancien
gouverneur de l'État du Pernambouc, renversé par le coup
d'État d'avril 1964, lors de son retour dans son pays natal à
la faveur d'une amnistie politique. Le sucre et la faim est l'enquête
qu'il tire de son observation des conditions de vie des travailleurs agricoles
brésiliens dans les plantations de canne à sucre, où
se recompose lentement un mouvement social réprimé par la
dictature militaire.
- 1980 : Le
Sucre et la faim : enquête dans les régions sucrières
du Nord-Est brésilien, Minuit.
- En 1980, dans un accès
de démence, Louis Althusser étrangle sa femme ; un non-lieu
est prononcé par la Justice, qu'il doit à son état
psychiatrique, mais aussi à la mobilisation de ses proches et notamment
de Robert Linhart qui s'implique énormément, très
choqué par le drame.
- 1981 : Il tente de se suicider. Lorsquil se réveille dun
long coma de type 3, il plonge dans un quasi silence de 25 ans.
Trois mariages
(avec des établies...)
- Avec Nicole Colas, étudiante en pharmacie dans les années
1960, militante de lUnion des étudiants communistes (UEC),
"établie" en 1967, ils eurent deux enfants : Virginie
(née en 1967, qui sera réalisatrice de documentaires politiques,
historiques et sociologiques) et Pierre
(né en 1970, scénariste et réalisateur). Divorce
en 1972.
- Avec Ana-Maria Galano-Moscovite, maoïste au Brésil, exilée
en Suisse et au Portugal où ils firent connaissance en 1975 à
la faveur dun voyage de Robert dans le sillage de la Révolution
des illets, ils eurent une fille, Clara (née en 1977, brésilienne
travaille
dans le cinéma).
- En 1993, mariage avec France Ducosson-Linhart, qui dans les années
1970 sétablit quelques mois dans une imprimerie de Charleroi
en Belgique.
Quelques autres livres sur le monde du
travail
- 1967 : Claire Etcherelli, Élise
ou la vraie vie, Denoël (prix Femina) : elle témoigne
de son travail en usine par nécessité pendant 17 mois, puis
à la SFK pendant 11 mois. Elle est embauchée au contrôle
des voitures en bout de chaîne, dans latelier 76 de l'usine
Citroën de la porte de Choisy (où travaillera 10 ans plus
tard Robert Linhart dans l'atelier 85 !)
- 1980 : Dorothée Letessier, Voyage
à Paimpol, Seuil
- 1982 : François Bon, Sortie
d'usine, Minuit
- 1987 : Leslie Kaplan, L'Excès-L'usine,
POL
- 1994 : Virginie Linhart, Volontaires
pour l'usine : vies d'établis (1967-1977), Seuil
- 1994 : Michel Houellebecq, Extension
du domaine de la lutte, Maurice Nadeau
- 1995 : Jean-Pierre Martin, Le
Laminoir, Champ-Vallon
- 1999 : Amélie Nothomb, Stupeurs
et tremblements, Albin Michel
- 2000 : François Emmanuel, La
question humaine,
Stock (lu
dans le groupe en 2007)
-
2007 : Nicole Malinconi, Au
bureau, L'Aube (lu
dans le groupe en 2008)
- 2008 : Martine Sonnet, Atelier
62, Le Temps qu'il fait (reçue
dans le groupe en 2008)
- 2010 : Florence Aubenas, Le
quai de Ouistreham, L'Olivier (lu
dans le groupe en 2010).
Mentionnons aussi Simone Weil, la philosophe, qui décide
en 1934 de devenir ouvrière chez Alsthom dans le 15e arrondissement
de Paris, puis elle travaille à la chaîne aux Forges de Basse-Indre,
à Boulogne-Billancourt, et enfin comme fraiseuse chez Renault.
Elle écrit son Journal d'usine en 1935 et plus tard La
Condition ouvrière en 1951.
Deux articles rapprochent les deux démarches :
- "Lesclavage
du travail à la chaîne, Simone Weil et Robert Linhart",
Sophie Chabanel,
Histoire d'entreprises , n° 18, 2012
- "Le
témoignage de Simone Weil. Lexpérience de lUsine",
Taïbi Nadia, Sens-Dessous, 2006.
Quatre ressources récentes
- Dans Libération, qui fut fondé par Serge
July, ex-cofondateur de la Gauche prolétarienne, un ancien
maoïste : un portrait de Robert Linhart "Rétabli",
par Édouard Launet, Libération, 17 mai 2010
- A la radio, Laure Adler s'entretient avec Robert
Linhart : "J'ai vécu Mai 68 comme une crise de folie",
Hors-Champs, France culture, 1er février 2011, 44 min. Elle
consacrera ensuite une semaine à L'établi lu par
Samy Frey à L'heure bleue sur France Inter en décembre 2016,
avec chaque jour après la lecture, une personnalité :
Robert
Linhart lui-même d'abord, Leslie
Kaplan, Michelle
Zancarini-Fournel, Virginie
Linhart, puis de nouveau Robert
Linhart.
- A la télévision (France 3), quatre anciens établis
témoignent aujourd'hui : Étudiants tous à
l'usine : itinéraires de maoïstes ouvriers, documentaire
de Lise Baron, 2018, 52 min (en ligne, des extraits significatifs
: extrait 1
- extrait 2
- extrait
3 - extrait
4 - extrait
5)
- Au théâtre, LÉtabli
daprès le livre de Robert Linhart, est adapté
en 2018 par Marie-Laure Boggio et Olivier Mellor, mise en scène
dOlivier Mellor, Théâtre de lEpée de bois
à la Cartoucherie de Vincennes, puis Festival d'Avignon ; la maxime
qui accompagne la compagnie : "Lhomme est bon, mais
le veau est meilleur" (Bertolt Brecht)...
Robert Linhart et le
metteur en scène Olivier Mellor à la Cartoucherie de Vincennes
(photo prise par Claire en compagnie
de Jacqueline et François le 7 juin 2018)
Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme
au rejet :
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grand ouvert
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beaucoup
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