Livres évoquant l'art

Nous avons préparé (dans le plus grand secret...) pendant l'été 2019
notre choix et,
lors de la séance de rentrée de septembre,
nous avons chacun présenté un ou plusieurs livres ayant pour thème l’art.

CLIQUEZ pour découvrir qui a présenté quoi :

Ana-CristinaAnne-Marie Annick LAudrey CatherineChantalChristine
CindyClaireClaudeDanièleDenis ÉdithEtienneFannyFaustine
François Françoise D Françoise H JacquelineJean LinaLisaManon
ManuelMargueriteMarie-OdileMarie-Thé Monique L Monique M
Nathalie B Nathalie RRozennSéverineSuzanneValérie Yolaine

(37 lecteurs des trois groupes Voix au chapitre)


Liste des livres lus par un et parfois plusieurs lecteurs cet été (90 livres)

ADIMI  Kaouther

Nos richesses

ADLER Laure et BOLLMANN Stefan

Les femmes qui lisent sont dangereuses

AGRON Marc

Mémoire des cellules

ALBARET Céleste

Monsieur Proust : souvenirs recueillis par Georges Belmont

ARAGON

La mise à mort

ARASSE Daniel

On n’y voit rien

AYMÉ Marcel

La bonne peinture

BALZAC

Le Chef–d'œuvre inconnu, Gambara, Massimilia Doni

BARNES Julian

Le fracas du temps

BARICCO Alessandro

Novecento : pianiste

BARICCO Alessandro

Mr Gwyn

BARON SUPERVIELLE Silvia

Un été avec Geneviève Asse

BEN JELLOUN Tahar

Lettre à Delacroix

BEREST Anne

Rien n'est noir

BONAT Dominique

Berthe Morisot : le secret de la femme en noir

CASTILLO Michel (del)

Goya : l'énergie du néant

CHAUVEAU Sophie

La passion Lippi

CHAUVEAU Sophie

Manet, le secret

COLONNIER Laurent

Gustave Caillebotte

DAMASIO Alain

Les furtifs

DAOUD Kamel

Le peintre dévorant la femme

DECK Julia

Sigma

DIWO Jean

Les violons du roi

DOR Édouard

Nicolas de Staël, l'impossible concert

DUFRESNE-LAMY Julien

Jolis jolis monstres

DUHÊME Jacqueline

Une vie en crobards

ECHENOZ Jean

Ravel

ELÍASSON Gyrðir

Au bord de la Sandá

ENARD Mathias

Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants

FAVIER Emmanuelle

Virginia

FÉNÉON Félix

Un regard unique sur l'impressionnisme

FOENKINOS David

Charlotte

FOENKINOS David

Vers la beauté

GAINSBOURG Serge

Evguénie Sokolov

GOGOL

Le portrait

GROSSMAN Vassili

La madone Sixtine

GUARNIERI Luigi

Une étrange histoire d'amour

HENRY Natacha

Rosa Bonheur et Buffalo Bill, une amitié admirable

HUSTVEDT Siri

Tout ce que j'aimais

HUYSMANS Joris-Karl

La Cathédrale

ISHIGURO Kazuo

Un artiste du monde flottant

JENNI Alexandre

Dans l'attente de toi

JOSSE Gaëlle

Une femme en contre-jour

JULIET Charles

Entretien avec Pierre Soulages

JULIET Charles

Giacometti

KANDINSKY Wassily

Du Spirituel dans l'art et dans la peinture en particulier

KAUFFMANN Jean-Paul

Venise à double tour

KERANGAL Maylis (de)

Un monde à portée de main

KIEFFER Anne

Une culture générale de la peinture

LAMBERT Stéphane

Mark Rothko, rêver de ne pas être

LECOQ Gaëtan

Les pieds nus de Zadkine

LENAIN Géraldine

Monsieur Loo : le roman d’un marchand d’art asiatique

LENZ Siegfried

La leçon d'allemand

MALIK Abd al

Le jeune noir à l'épée

MATTERN Jean

Le bleu du lac

MAZZUCCO Melania Gaia

La longue attente de l’ange

MICHON Pierre

Les Onze

MICHON Pierre

Dieu ne finit pas

MICHON Pierre

Fie-toi à ce signe

MINOUI Delphine

Les passeurs de livres de Daraya

MORIZOT Baptiste et ZHONG MENGUAL Estelle

Esthétique de la rencontre : l'énigme de l'art contemporain

MURAKAMI

Le meurtre du commandeur, tome 1 et tome 2

NDIAYE Marie

Un pas de chat sauvage

PADURA Léonardo

Hérétiques

PASTOUREAU Michel

Bleu : histoire d'une couleur

PÉREZ-REVERTE Arturo

Le tableau du Maître flamand

POSTEL Jean-Philippe

L'affaire Arnolfini : les secrets du tableau de Van Eyck

POTOK Chaïm

Je m'appelle Asher Lev

POWERS Richard

Le temps où nous chantions

QUIGNARD Pascal

Terrasse à Rome

QUIGNARD Pascal

Tous les matins du monde

REZA Yasmina

Art

SALVAYRE Lydie

Marcher jusqu'au soir

SÁNCHEZ Camilo

La veuve des Van Gogh

SCHNEIDER Vanessa

Tu t'appelais Maria Schneider

SCHMITT Eric-Emmanuel

Lorsque j'étais une œuvre d'art

SOLLERS Philippe

La fête à Venise

STRAUSS Alexandra

Les démons de Jérôme Bosch

STENDHAL

Vie de Rossini

ST. JOHN MANDEL Emily

Station eleven

TABUCCHI

Requiem

TARTT Donna

Le chardonneret

THOMAS Chantal

East village blues

TODOROV Tzvetan

Le Triomphe de l'artiste. La révolution et les artistes - Russie : 1917-1941

TORGA Miguel

La création du monde

VAN DER LINDEN Sophie

Après Constantinople

VIVÈS Bastien

Polina

WALSER Robert

Histoires d'images

WOOD Naomi

Mrs Hemingway

ZWEIG Stefan

Le mystère de la création artistique


Les 17 lecteurs de l'ancien groupe : •Annick LCatherineClaire
DanièleDenis EtienneFanny Françoise D JacquelineLisa
ManonManuelMonique L Nathalie RRozennSéverine

Manon (depuis Singapour)
J'espère que vous allez bien et que vous profitez du vin et du fromage qui se trouveront sûrement sur la table ce soir – la quasi absence de fromage ici est un peu dure à vivre pour la cheese addict que je suis !


Lorsque le livre Charlotte, de David Foenkinos, est sorti, nous en avons tellement entendu parler que je l'avais glissé dans ma liste de lecture, mais sans enthousiasme. Les choses dont on finit par trop parler ne me donnent aucun envie de les vivre...
La programmation de cet été m'a fait penser à ce livre et je me suis dit : pourquoi pas ! Et j'ai eu raison : je ne connaissais rien à la vie et à l'œuvre de Charlotte Salomon et après le livre j'ai eu envie de tout voir, tout savoir sur ce personnage si fort ! Tout au long du roman se pose la question de sa supposée folie et la notion de frontière entre folie et génie m'a toujours intéressée – pour paraphraser Kanye West, interrogé il y a peu à ce propos du fait de sa bipolarité  : "si on dit cette œuvre est folle, c'est qu'on sous-entend bien que celui qui l'a créée l'est aussi !"



J'ai relu Nos richesses de Kaouther Adimi : il s'agit de la vie d'Edmond Charlot, libraire à Alger mais pas seulement, pendant l'Algérie française et la guerre d'Algérie.
Relu car la première fois j'étais trop envahie par l'émotion, trop fascinée pour tout voir, tout saisir ! Je reste en extase devant ce livre ! On y croise Saint-Exupéry, Camus... On y comprend beaucoup de choses de l'Algérie d'aujourd'hui, on se rend compte que la France a laissé tomber cet homme dans l'oubli et que cette auteure algérienne le fait revivre pour toujours ! Bref, on adore !

Si je devais vous supplier de ne programmer qu'un seul livre il s'agirait de Nos richesses, j'ai rarement lu de livres qui m'ont autant marquée !



Un livre en amenant un autre, j'ai également lu Les passeurs de livres de Daraya de Delphine Minoui. Il s'agit d'un reportage à distance – impossible de rejoindre Daraya pour l'auteur – sur la création d'une bibliothèque en pleine guerre syrienne. L'auteure essaie de faire la part des choses entre ce que nous savons, nous Occidentaux, de ces gens – terroristes selon le régime et des alliés – et ceux qu'ils sont vraiment  – des rebelles souhaitant goûter à la liberté et le faisant à travers les livres. Il revient souvent l'idée qu'avant la guerre ils ne lisaient pas, les livres étaient ceux contrôlés par le régime et qu'avec la guerre ils ont pu avoir accès à des livres interdits, découvrir la littérature et s'évader de leur enfer grâce à elle. Un reportage très intéressant !



Autre style, une plongée dans le 7e art avec Tu t'appelais Maria Schneider de Vanessa Schneider : il s agit ici plus d'une histoire de famille qu'une biographie de Maria Schneider puisque l'auteure est en réalité la petite cousine de la comédienne. Très difficile à définir, très difficile d'émettre un avis. Nous apprenons beaucoup sur le destin terrible de l'artiste mais aussi sur les années 70-80 – la drogue, les grandes stars hollywoodiennes, le mouvement hippie, l'ultragauche française... On croise Brando, bien sûr, mais aussi Patti Smith que le club lecture connaît bien ! Le véritable intérêt du livre vient, selon moi, du fait que j'ai lu ce livre après le mouvement #metoo et tout ce qui s'est ensuivi, notamment dans le monde du cinéma. Cela donne une force encore plus grande au récit sur Maria Schneider.



Sigma de Julia Deck, sur lequel je ne m'étendrai pas, c'est un 1984 un peu raté : l'art est subversif, nous devons donc le contrôler grâce à des espions qui suivront des personnalités du monde de l'art et tenteront de les influencer selon nos desiderata.
Bon, honnêtement, ça n'a pas fonctionné pour moi. J'ai trouve ça long, complexe et j'ai envie de dire : tout ça pour ça..., on passe !



J'adore Maylis de Kerangal et j'étais vraiment enthousiaste à l'idée de me plonger dans le monde de la peinture de décor avec Un monde à portée de main.
Pour les descriptions des marbres, des bois, du travail des artistes, cela vaut 1000 fois le détour ! L'écriture de la reproduction de la grotte de Lascaux est une prouesse.
Malheureusement, toutes ces descriptions sur l'art sont parasitées par l'histoire des personnages que j'ai trouvée longue et sans grand intérêt ! Il n'y a finalement pas assez d'art dans ce livre !



On ne présente plus Michel Pastoureau et ce n'est pas galvaudé !
J'ai adoré Bleu : histoire d'une couleur !
Tout savoir sur la couleur bleu, ses symboles, sa place dans la vie quotidienne, dans l'art... : vraiment très intéressant, car bien écrit et accessible pour les profanes ! A lire !
 
Danièle


Manet, le secret de Sophie Chauveau : j'ai choisi ce livre en premier, car Manet est l'un de mes peintres préférés, et même l'un de ceux que j'ai aimé dès mon adolescence. Plus tard, j'ai appris qu'il était subversif, sans que je comprenne pourquoi. Ma première découverte, avec cette biographie romancée, c'est que Manet ne comprenait pas non plus ce qu'on trouvait de subversif dans son œuvre, lui qui estimait peindre la réalité, sans plus... et ce fut un très grand plaisir de partager avec lui cette incompréhension. En fait ce livre, mieux que n'importe quel cours de l'école du Louvre, m'a fait comprendre son état d'esprit, et montre comment sa biographie, son secret - que je ne vous dirai pas-, a eu une influence sur son œuvre. Pour moi qui ne lis jamais de biographie, à part celles de Stefan Zweig, ce fut une découverte, non seulement de littérature, mais aussi d'histoire de l'art. La lecture a ravivé tous les tableaux de lui que j'aimais. Et – surprise ! – je me suis intéressée pour la première fois à la guerre de 1870 contre les Prussiens, grâce aux descriptions réalistes de ces événements.
Je ne suis pas sûre que ce livre soit un livre pour le groupe de lecture, mais plutôt un livre pour ceux qui aiment ce peintre et l'histoire des idées.


Je n'ai donc pas hésité à choisir de nouveau une biographie d'un peintre que j'aimais, avec Les démons de Jérôme Bosch d'Alexandra Strauss a choisi de pénétrer, sans doute de manière très romancée, dans l'atmosphère familiale, religieuse et rigide, et dans les rêves de Bosch, censés se développer sous cette influence. La peur de l'enfer, présente toute sa vie, est expliquée ainsi de manière très crédible. À travers les descriptions de ses rêves ou de ses fantasmes, l'amateur de ses peintures reconnaîtra dans le détail les figures familières de ses tableaux sans que ce soit explicitement mentionné. La fin traîne un peu en longueur, mais sans empêcher de garder un souvenir positif de cette biographie, qui, j'allais oublier de le dire, est supposée être narrée par son épouse, femme de lettres érudite de l'époque.
Une belle promenade dans l'univers de Bosch.

Les Onze de Pierre Michon
Désolée, mais je n'ai pas pu entrer dans ce livre. En sautant le début, j'ai pu être happée par quelques tournures, mais décidément non, je n'ai pas pu prolonger ma lecture, malgré de multiples essais. Certes, j'ai vaguement pensé parfois à du Pascal Quignard, mais sans son souffle. Je ne conseillerais à personne ce livre. J'attends qu'on m'en donne la clé.

J’ai un vague souvenir de Vers la beauté de David Foenkinos, lu au début des vacances. Je ne comprends pas comment on peut parler de "roman puissant qui vous dévore" (4e de couverture). Je parlerais plutôt d’une aimable lecture, un genre de thriller, sur une idée qui aurait pu être puissante: un professeur de l’école des Beaux-Arts qui décide de tout quitter pour un poste de gardien de musée.



On n’y voit rien
de Daniel Arasse

J'ai beaucoup aimé ce livre, lu il y a longtemps déjà.
C'est une conversation entre Daniel Arasse, l'historien d'art bien connu, et une jeune fille, Carla, sous forme d'essais.
Si l'on passe le côté un peu didactique et le ton parfois un peu supérieur de cet homme érudit, on a plaisir à prendre un cours de lecture d'images.
Apprendre à voir une œuvre d'art, c'est le but de ces essais et je trouve que ce n'est pas rien. J'ai beaucoup appris.

 
Nathalie R





Je crois bien que les " livres de l'été " me posent problème... sans prescription précise, la thématique se révèle large et en réfléchissant, certains incontournables-à-mes-yeux ont déjà été lus.
J'ai donc pris l'option facile de me procurer deux livres proposés lors du "speedbooking" :

- Le fracas du temps de Julian Barnes sur les rapports entre l'art et l'État : j'ai commencé à le lire avec plaisir, mais plus j'avançais et plus je me suis demandé pour quelle raison je m'imposais de lire ça ! J'avais l'impression de me torturer volontairement alors que c'était un si bel été. Que pouvait m'apporter un livre aussi sombre sur les rapports entre la création et la subordination à un état totalitaire et autoritaire, abscons et violent ? Combien de livres avions-nous déjà lus sur ce thème ? Quelle différence ? Un artiste plutôt qu'un autre ? Soumis à l'autorité pour pouvoir continuer à créer ? Je ne crois déjà pas beaucoup en l'espèce humaine et quel espoir pourrait me procurer cette lecture ? J'ai donc laissé tomber ! Et si je ferme, ce n'est pas pour une absence de qualité mais bel et bien parce que j'en ai assez de m'imposer des lectures aussi négatives.


Je me suis donc repliée sur un premier roman qui avait eu un écho très chaleureux lors du speed-booking. Las, si l'idée était intéressante de prime abord, le contenu m'a laissée sur ma faim.
- Mémoire des cellules
de Marc Agron : Un homme intrigué par un aquarium recelant de l'eau trouble et puante, décide d'interchanger la notice explicative originale par celle qu'il a conçue dans une tonalité tout aussi absurde et insignifiante (au sens propre). Il observe ensuite les visiteurs qui s'arrêtent, lisent et repartent sans percevoir la supercherie. Il se met en quête de l'artiste qui a conçu l'œuvre et en tombe follement amoureux.
Je pense que le propos est intéressant mais qu'il n'est pas du tout approfondi et que pour certains, il porte des évidences. Il aurait fallu aller plus loin, et pour moi, ne pas créer ce deuxième fil amoureux. Bref, je ferme, non par manque de respect pour l'écrivain mais juste parce que je me suis ennuyée ferme et que je n'ai rien appris et encore moins vibré !


J'ai alors pris au hasard un autre roman, Mr Gwyn d'Alessandro Baricco, et j'ai eu beaucoup de plaisir à le lire (de toute façon, je suis une inconditionnelle de Baricco).
C'est l'histoire d'un écrivain qui envoie à un journal célèbre les 52 choses qu'il ne fera plus jamais, dont celle d'écrire. Mais qu'est-ce qu'un écrivain qui n'écrit plus ? Très vite, il réalise qu'il lui est nécessaire de poursuivre ce qu'il est "écrivain" et il se met en tête de réaliser des "portraits" artistiques picturaux, mais sans matière autre que celle de son regard. Il se met en tête de trouver et organiser un lieu unique dans lequel il fait entrer son modèle, une femme qui ne correspond en rien aux critères de beauté canoniques.
C'est un livre très beau, très poétique qui ouvre notre imaginaire. Je l'ouvre aux ¾ simplement parce qu'aux deux tiers du roman, la tension retombe et met en place une sorte de flottement.

 
Denis
Je n'ai rien lu pendant l'été, excepté un livre d'un mathématicien que j'ai trouvé amusant (des goûts et des couleurs...), L'art de ne pas dire n'importe quoi de Jordan Ellenberg. Il traite, avec la précision que permettent les chiffres, des questions qui nous étonnent, par exemple : observant qu'un tirage de 6 chiffres au loto a été identique deux semaines de suite, cela implique-t-il tricherie ? Autrement dit, des événements surprenants et très peu probables sont-ils pour autant impossibles ? Comment peut-on les interpréter sans dire trop de bêtises ?
Quant au thème proposé pour cette rentrée, j'avoue qu'il m'a laissé assez sec. Le seul livre qui soit revenu dans mes souvenirs, à part Dorian Gray, ou Le Chef-d'œuvre inconnu de Balzac, ou encore Edgar Poe (Le portrait ovale), est : Je m'appelle Asher Lev de Chaïm Potok (1929-2002). Le personnage, qui est aussi le narrateur, est un Juif très doué en dessin, mais du fait de l'interdit religieux de la représentation, s'ensuit un conflit ; se pose la question de la peinture abstraite, celle de l'image de la femme nue. C'est un livre très intense.
Pour jouer à l'intellectuel, je pourrais dire que ce qui m'intéresse dans les rapports entre l'art et la littérature, c'est l'expression par un autre langage. Comme par exemple Lolita de Nabokov au cinéma. Et le livre du mathématicien Ellenberg me fait cet effet, si l'on veut bien considérer la modélisation mathématique comme un art.
De retour chez moi, où je mets des livres en cartons pour cause de peinture (moi aussi), voilà-t-il pas qu'il me tombe sous la main un vieux numéro de la revue Europe intitulé "Jazz et littérature". Or je suis grand amateur de jazz depuis xxx années, et je lisais Kerouac il y a peu, dont le style est réputé jazzy. Echenoz, que j'aime beaucoup comme écrivain, expose dans la revue Europe son rapport au jazz : ça ne m'étonne pas de lui. Cherokee est un thème de jazz bien connu, qui a donné lieu à des variations hallucinantes par Charlie Parker et Dizzy Gillespie.
Comment se fait-il que je n'aie pas fait ce rapprochement avant la réunion ?
J'ouvre aux ¾ Potok, et c'est un livre que je propose de lire dans le groupe.
Lisa
Le thème de l'été m'a perturbée et j'ai eu beaucoup de mal à choisir un livre. Je m'y suis mise il y a deux semaines et suis allée chez mon libraire dont j'ai suivi les conseils.

Le bleu du lac de Jean Mattern : il s'agit d'une musicienne très célèbre dont l'amant est mort. C'est un très beau livre qui se déroule pendant le trajet qui la conduit au lieu des funérailles. Il s'agit d'un monologue intérieur sur la mort, sa célébrité, ses concerts, son amant, etc. Je propose ce livre au groupe, notamment pour la semaine lecture.

Station eleven d'Emily St. John Mandel est un roman post-apocalyptique où une petite troupe itinérante joue du Shakespeare. La civilisation a été presque anéantie par une grippe foudroyante. Les survivants, 20 ans après, s'organisent comme ils peuvent, sans électricité, sans pétrole. On suit une troupe itinérante qui considère l'art comme leur seul espoir parce que "survivre ne suffit pas". J'ouvre en grand !



J'ai ensuite choisi la facilité avec une biographie : La veuve des Van Gogh de Camilo Sánchez.
On suit ici la veuve de Van Gogh, qui a ensuite cohabité avec Théo. L'ambiance n'est pas joyeuse. La vie n'est pas simple pour cette femme. On découvre comment, après la mort des deux frères, elle s'est battue pour essayer de faire reconnaître l'œuvre de feu son mari. C'est romancé, j'ouvre à moitié, le sujet m'intéressait, mais c'est assez plat et j'ai eu du mal à rentrer dans le livre.

J'ai voulu en savoir plus sur Hemingway et ses quatre mariages.
Bien que l'homme soit plus que décevant, j'ouvre Mrs Hemingway de Naomi Wood aux ¾.




Rien n'est noir
d'Anne Berest raconte l'histoire de Frida Kahlo et de Diego Rivera. Je ne connaissais rien à leur histoire. j'ai été déçue. j'entends toujours parler de Frida Kahlo, icône féministe. Ce livre m'a montré une femme amoureuse, capable de tout pardonner par amour, même les humiliations, les tromperies. Ce n'est rien qu'une pauvre meuf amoureuse.

Rozenn
Pléonasme !

Annick L
Elle a créé quand même...


Virginia d'Emmanuelle Favier, sur Virginia Woolf, parce que pseudo poétique, m'a bien déplu.


Le livre ne traite que l'enfance et l'adolescence de Virginia.
J'ai aimé l'ambiance pesante et froide. J'ai été transportée dans le Londres victorien.
Mais l'écriture m'a gênée.

J'ouvre quand même à moitié.


Jolis jolis monstres de Julien Dufresne-Lamy est un roman sur les drag-queens et l'art, donc, du transformisme. Une drag-queen raconte son histoire, des débuts de la scène drag à New York pendant les années 80 et 90. Les soirées, les fêtes, la démesure, mais aussi l'apparition du VIH, le "cancer gay", les meurtres.
Depuis la soirée, j'ai fini le livre qui est un immense coup de cœur et que j'ouvre en grand !
Le roman est construit comme un dialogue entre deux personnes, le "tu" est souvent utilisé pour de longs monologues. Cela m'a gênée au début mais je m'y suis habituée.

COUP DE CŒUR 

Rozenn

Je m'y suis prise trop tard et il y a chez moi des travaux de "peinture". Plus de livres ! Ils sont dans des caisses.

Pour voir comment les artistes collaborent ou pas avec le régime soviétique, j'aurais voulu mettre en relation le catalogue de l'exposition Rouge et le livre de Tzvetan Todorov (dont je suis inconditionnelle), Le Triomphe de l'artiste : la révolution et les artistes-Russie : 1917-1941

Rouge, Art et utopie au pays des Soviets : catalogue de l'exposition
 
Fanny

Le premier livre auquel j'ai pensé est
Le temps où nous chantions

de Richard Powers, mais je voulais découvrir autre chose, et je te le laisse Manuel...


Art
de Yasmina Reza est une construction intellectuelle. C'est une lecture intéressante, qui traite du rapport à l'art dans une approche assez sociologique. Il s'agit de ce que peut représenter l'investissement d'une œuvre d'art d'un point de vue financier, mais également affectif. Cela traite également de l'image de soi et du rapport aux proches.
Malgré l'intérêt porté à cette pièce de théâtre, j'avais envie de présenter une lecture qui ait une portée plus "affective".

entre
et
 


Lorsque j'étais une œuvre d'art
d'Éric-Emmanuel Schmitt
 : un homme
est transformé en œuvre d'art, c'est TRÈS MAUVAIS !

L'auteur a parfois tendance à surfer sur sa notoriété et produire des romans accrocheurs mais de piètre qualité, à d'autres moments il sait faire preuve de créativité et susciter les émotions. Pour celui-ci, je n'ai pas ressenti d'empathie pour le personnage principal, seulement du malaise face à sa transformation physique. J'ai trouve l'intrigue mièvre et le style quelconque.

J'ai fait comme Lisa et suis allée fin juillet chez mon libraire.

J'ai donc lu Le chardonneret de Donna Tartt (la bouteille de vin que j'ai apportée a elle aussi un chardonneret...). C'est un pavé, mais les pages se tournent toutes seules. Il y a bien quelques longueurs. Le jeune personnage est avec sa mère dans une expo quand il y a un attentat, sa mère meurt. Sur une impulsion, il vole le tableau "Le Chardonneret". Ce tableau le poursuit jusqu'à sa vie d'adulte. Un autre rapport avec l'art est sa vie chez un vieux monsieur antiquaire. Passion qu'il partage avec lui. C'est un vrai plaisir de lecture : j'ai plongé dans le fil narratif tout du long. À certains moments, le tableau reste à l'arrière-plan, on pourrait presque croire qu'il va disparaître du roman. En tant que lectrice, j'ai trouvé cela un peu dommage, j'aurais aimé aussi que le rapport du personnage principal au tableau soit parfois plus présent. Mais je pense en fait que cela reflète sa vie, au cours de laquelle ce tableau l'accompagne, mais de manière plus lointaine. Dans les dernières pages, je trouve que le rapport à l'œuvre d'art se déploie pleinement.

 

 

 

 

 


Un monde à portée de main
de Maylis de Kerangal :
je ferme
ce livre
qui a déclenché un ennui profond.


Même manque d'enthousiasme
pour Vers la beauté de David Foenkinos
J'ai lu ce livre il y a un peu plus d'un an.
Je me souviens avoir pris du plaisir, mais il ne m'en reste absolument rien aujourd'hui.
Ce n'est pas la première fois que cela m'arrive avec les romans de Foenkinos.

 
Jacqueline

Le thème m'embarrassait. Il est vaste ; je crois qu'il vient de notre lecture de Houellebecq, que j'avais très présent à l'esprit notamment dans ma lecture d'Aragon.
Il y a aussi un art de la lecture que nous pratiquons ici.

Avec Une culture générale de la peinture d'Anne Kieffer, je me suis un peu cultivée sur l'art préhistorique, l'Antiquité et la Renaissance ! La peinture est pour moi plus abordable que la musique mais je préfère me cultiver en lisant des romans !!!


J'ai lu aussi un roman policier avec pour personnage une fille de peintre, mais j'ai oublié le titre et l'auteur...


Quand nous avions lu Éric Vuillard, j'avais beaucoup aimé Tristesse de la terre : une histoire de Buffalo Bill Cody.

Et j'ai donc lu Rosa Bonheur et Buffalo Bill, une amitié admirable de Natacha Henry : c'est très documenté, avec une écriture factuelle, sans point de vue.
Mais ça vaut le coup de le lire pour cette rencontre réelle et étonnante.


Après Constantinople, de Sophie Van der Linden, est un très joli et assez court roman d'une auteure spécialiste en arts visuels.

Elle dépeint avec un vrai bonheur et par petites touches sensibles paysages et situations : le héros est un peintre qui voyage en orient au 19e siècle. Venu de France, il quitte Constantinople, où son séjour pourrait figurer dans la correspondance de Flaubert ! Il abandonne ses compagnons pour retrouver les secrets d'un vêtement local séduisant. Un peu comme le psychiatre Clérambault qui lui aussi aimait les étoffes.
C'est alors une véritable aventure dans un monde isolé et dangereux où règne une étrange reine noire...


La mise à mort d'Aragon, c'est le livre dont j'aurais aimé vous parler.

C'est l'art du roman qui est le sujet de ce livre, l'avant-dernier roman avant la mort d'Aragon. Ce livre est une somme sur l'histoire du roman depuis ses origines, avec des jeux de miroirs entre l'auteur, son personnage romancier Anthoine Célèbre et le personnage que ce dernier a créé, sans compter évidemment la femme que chacun aime... C'est aussi un kaléidoscope, avec des informations historiques sur le roman, trois nouvelles récentes construites comme des romans de diverses époques, les souvenirs prêtés au personnage et qui pourraient être ceux d'Aragon : un jeune médecin pendant la guerre de 14... les obsèques officielles de Gorki dont le récit vaut son pesant d'or...
Le titre "la mise à mort " :
- s'agit-il de celle du romancier ?
- s'agit-il de celle du roman ? (on est à l'époque du nouveau roman)
- s'agit-il de celle du personnage ? (autre référence au nouveau roman) mais effectivement le personnage auteur et le personnage qu'il a créé envisagent bien de s'entre-tuer...
Pas simple mais très intéressant.
J'ouvre à moitié, ou aux 2/3...

 
Etienne
J'ai été un peu embêté par le thème. Je ne savais pas véritablement de quel côté attaquer le sujet. J'ai commencé par faire quelques recherches sur internet, mais l'impression de tomber systématiquement sur cet énorme fond de commerce qu'est la biographie de peintre, ce dont j'ignorais l'existence, m'a un peu découragé (comment choisir ?). J'ai donc moi aussi recouru au libraire qui a eu l'air assez décontenancé et après presque une heure de discussion je suis reparti avec Tout ce que j'aimais et Ravel sous le bras pour me rendre compte en rentrant que le groupe les avaient déjà lus. Caramba, encore raté !
Mathias Enard m'est ensuite tombé dans les mains par pur hasard en pleine rue, puis motivé par le challenge de la lecture d'un essai, je me laissai tenter par celui de Kandinsky.

Tout ce que j'aimais de Siri Hustvedt
N'ayant jamais rien lu d'Hustvedt, je dois avouer que j'étais assez curieux de découvrir son univers, puisqu'il paraît qu'elle règne en maîtresse sur le roman psychologique. Il en résulte finalement un récit qui se lit très bien, mais assez inégal toutefois. De notables efforts sont fournis pour expliquer le processus de création artistique et surtout l'interprétation d'une œuvre d'art moderne via le travail de Bill. Cependant plusieurs points m'ont dérangés : tout paraît un peu trop factice, les deux couples inséparables : l'universitaire/l'artiste maudit ; un peu comme dans un film hollywoodien, chacun est dans une case. Ensuite, mais c'est plus un souhait personnel, j'aurais aimé ressentir le processus de création "de l'intérieur", avec Bill. Finalement, le roman prend son envol dès qu'il vire au thriller psychologique à sa moitié. Sur cette seconde partie, j'ouvre aux ¾ car j'ai rarement lu un portrait de sociopathe aussi réussi et glaçant. Mais on est un peu hors sujet par rapport à l'art non ?


2/3Une réussite indéniable que ce Ravel d'Echenoz.

Quelle délectation que ces éclairages inattendus sur d’a priori insignifiants détails de vie et qui progressivement vous dépeignent magistralement une existence.
Tout cela est en plus saupoudré d’humour subtil, que demander de plus ?
Eh bien peut-être dans notre cas, plus de lien avec le processus artistique. Véridique ou pas, c’est la seule chose qui a eu du mal à passer : oser la comparaison entre le sanguin boléro et des bruissements de machine d'usine m’a rendu un peu sceptique. Ce livre aurait pu s’appeler Clemenceau ou Suzanne Lenglenn, il aurait été écrit de la même façon...


1/3 ou 1/4 Sigma de Julia Deck

Un roman un peu loufoque qui ne semble pas du tout se prendre au sérieux et où le banquier suisse est un caricature de banquier suisse, la galeriste une caricature de galeriste, le scientifique de renom une…
Et où tout le monde espionne son voisin pour le compte d’une mystérieuse organisation secrète dont le but ultime est de neutraliser les œuvres d’art qui pourraient éveiller spirituellement la foule et la subvertir (tremblez !).
Une écriture truculente, mais un manque criant de profondeur et de surprise. Idéal pour un vol en jet Paris-Zurich.



Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants
de Mathias Enard 

Le chouchou de ma liste, trouvé dans une boîte à livres en bonus.
Il s'agit d'une courte exofiction de la période de la vie de Michel-Ange au moment où le sultan Bayazid II lui proposa de concevoir les plans d'un pont reliant Constantinople à la Corne d'or alors que le peintre n'est plus dans les petits papiers du pape Jules II.
Tout y est : les doutes de l'artiste, la panne d'inspiration, la vanité, la lumière qui surgit enfin.
Le tout dans une ambiance orientale érudite et enivrante très réussie.


1/2 ou 1/3
Du Spirituel dans l'art et dans la peinture en particulier

de Wassily Kandinsky

Un livre beaucoup plus difficile d'accès que je ne le pensais. Kandinsky est inspiré et a beaucoup choses à dire sur son travail et l'art en général. Mais… il y a un problème de compréhension pour moi, ce n'est pas du tout didactique. Que veut-il dire par "extériorité", "intériorité", "concentrique", "excentrique" en parlant des couleurs ? Il y a beau y avoir de jolis schémas, cela reste assez cryptique. Le jaune est une couleur "aiguë" et, tiens !, le cri du canari qui est jaune est aussi aigu. Je caricature, mais en fait nous sommes dans le domaine du ressenti et l'absence de notes explicatives de bas de page se font cruellement ressentir.


Venise à double tour de Jean-Paul Kauffmann
(un livre pourtant lu cet été que j'avais oublié d'évoquer et qui, cité pendant la soirée, m'est revenu en mémoire)

Mi-essai mi-enquête, Kauffmann narre ses quelques mois obsessionnels à Venise où il essaya méthodiquement de se faire ouvrir des églises fermées au public auprès de la curie vénitienne. Nous sommes assez rapidement prévenus, il s’agit d’un MacGuffin où s’entremêleront le questionnement de son rapport au sacré et de sa foi, l’épineuse question de la gestion du patrimoine religieux et plus largement notre rapport aux inévitables ravages du temps (quel meilleur symbole que Venise ?). Cela m’a beaucoup plu et donne évidemment furieusement envie d’arpenter les venelles de la cité lacustre, accompagné de Corto Maltese par une journée brumeuse.

 
Françoise D
Moi non plus je n'avais pas très bien compris ce qu'il fallait lire. Et puis à la librairie ICI (boulevard Poissonnière), ce petit livre sur Rothko m'a sauté aux yeux et s'est imposé à moi.

Il faut dire que j'ai eu cette chance d'habiter à Houston et de découvrir la chapelle qui porte son nom et qui renferme huit toiles qu'il a créées spécialement pour cette salle octogonale, construite selon ses instructions :

Et je dois dire que ce fut une véritable révélation pour moi qui ne suis pas a priori très sensible à l'abstrait. J'y suis retournée une fois et si ce n'était pas si loin – donc si cher – j'y retournerais tous les ans, ça n'a rien à voir avec ce qu'on peut ressentir dans un musée.
J'ai vu une exposition à la Tate. Rothko a été influencé par Matisse et par son éducation religieuse. La prégnance de la couleur s'inscrit dans une démarche mystique. Dans la chapelle, les noirs ne sont pas des noirs, il faut s'en imprégner et découvrir la couleur selon l'éclairage qui vient d'en haut. Rothko a fait partie du mouvement colorfield.
Concernant le livre, il a le mérite de faire comprendre la démarche de Rothko et de bien parler de la chapelle que tout le monde n'a pas les moyens de visiter. Mais j'aurais souhaité que l'auteur s'efface plus.

 
Annick L

J'ai été perturbée aussi car, me centrant sur la peinture, je ne voulais pas lire de biographies, ni de critiques d'art qui m'ennuient. J'avais pensé au Chardonneret et également à À son image de Jérôme Ferrari dont le personnage est une photographe.

J'en ai lu deux qui proposent des approches vraiment originales.
Le premier c'est Dans l'attente de toi d'Alexandre Jenni, présenté par Fanny lors du speedbooking que l'ai lu avec beaucoup d'intérêt. Son approche sensuelle, très subjective (le regard comme une façon de toucher) de la peinture et des peintres (de Bonnard au Titien en passant par Bacon, en s'appuyant sur de nombreuses reproductions), m'a permis de redécouvrir certaines œuvres, pourtant bien connues, voire de commencer à apprécier certains peintres que je n'aimais pas du tout comme Picasso. Mais j'ai vite été lassée par l'alternance de ces chapitres avec ceux qui sont consacrés à l'érotisation du corps de La femme aimée. Le procédé m'a paru trop systématique !

J'ai donc plutôt retenu ce petit livre de 156 pages paru chez Actes Sud, au titre intriguant, L'affaire Arnolfini : les secrets du tableau de Van Eyck de Jean-Philippe Postel. En couverture, une reproduction en couleur du célèbre tableau de Jan Van Eyck, peint au XVe siècle, "Les Époux Arnolfini", le premier portrait d'un couple saisi dans son intimité. Une belle édition qui propose aussi, dans les rabats, des reproductions de détails significatifs, sans compter les nombreuses illustrations en noir et blanc à l'intérieur, en appui du propos. L'auteur, qui n'est qu'un amateur d'art éclairé, nous invite, d'indice en indice, de symbole en symbole, d'interprétation en interprétation au fil des siècles (19 pages de références en annexe), à une traversée des apparences, pour découvrir le(s) sens caché(s) de cette œuvre énigmatique. Non pas à la façon d'un essai érudit d'histoire de l'art mais comme dans un "roman d'investigation". La curiosité du lecteur est savamment entretenue jusqu'aux révélations finales et on n'a plus qu'une envie : se précipiter à la National Gallery pour regarder ce tableau avec un œil tout neuf ! Passionnant !
 
Monique L
J'ai choisi ce livre car la sculpture de Giacometti m'a toujours fascinée.

Marcher jusqu'au soir
de Lydie Salvayre

L'auteure, tout d'abord réticente, se laisse enfermer une nuit dans le musée Picasso pour se confronter à la sculpture de "l'homme qui marche". Contrairement à ses attentes, l'œuvre ne suscite aucune émotion chez elle. Elle reste hermétique à toutes les œuvres accumulées dans cette exposition.
Elle mène alors un questionnement sur la place de l'art sur le milieu artistique et ses institutions. Elle essaie d'analyser comment s'est construit son propre rapport à la culture. Elle y critique les musées qui selon elle enferment les œuvres plutôt que les valoriser aux yeux du plus grand nombre. Elle insiste sur le côté intimidant du monde de la culture pour les personnes moins intégrées, pour les personnes issues de l'immigration comme elle-même. Elle y épingle le monde de l'art : l'entre soi d'une certaine élite culturelle, le pouvoir de l'argent dans l'art. J'apprécie son ton corrosif, sa colère.
Une fois rentrée chez elle, l'auteure se renseigne et continue sa réflexion sur Giacometti. Elle nous livre un portrait intéressant de Giacometti, de son regard sur le monde, de ses rencontres (Beckett, Picasso qu'il n'aimait guère mais aussi le rôle de son frère). Elle loue principalement son humilité.
Elle finit par voir dans cette sculpture l'homme qui fait face à la mort, qui fait face à sa condition humaine et dont la seule élévation est due à son âme. "L'Art ne vaut rien et rien ne vaut l'Art." C'est en fait un texte très personnel. J'ouvre aux ¾.

Le chef-d'œuvre inconnu, qui fait partie des "Études philosophiques" de La condition humaine, est une réflexion sur l'Art et l'artiste. Un peintre, Frenhofer, va tellement loin dans sa recherche de la perfection… qu'il en perd la raison et la vie. Cet artiste met 10 ans à terminer son tableau "La Belle Noiseuse" ; lorsqu'il le montre enfin à ses amis, ils n'y voient que du chaos. L'artiste en meurt.
La conception de l'art de Frenhofer, est tellement moderne, qu'on pourrait penser que c'est d'art contemporain de notre époque dont parle l'auteur. Les questions posées par Balzac :
Qu'est-ce que l'art ? Qu'est-ce que le beau ? Qu'est-ce qu'une œuvre d'art ? Que recherche l'artiste ? Où se situent les limites ? Il aborde des thèmes tels que l'abstraction, la subjectivité et l'incompréhension du spectateur. Ce petit texte (une nouvelle) est très intéressant et montre la clairvoyance de Balzac sur les controverses futures autour de l'art. J'ouvre à ½.

La passion Lippi
de Sophie Chauveau


Il s'agit d'une biographie romancée, pas toujours crédible, mais qui a le mérite de nous faire vivre à Florence au début du XVe siècle.
Lippi croque à pleine dents les joies de la vie et transgresse les règles et usages. Il ne se laissera jamais dompter. Placé au couvent des Carmes par Cosme de Médicis qui a découvert son talent dans les rues de Florence, Lippi rejoindra régulièrement les prostituées dont il est le petit prince, qui lui fournissent la tendresse dont il a été privé, sans oublier les plaisirs charnels dont il est avide. Elles lui servent de modèles pour ses vierges et autres personnages féminins. La vie de Lippi est pleine de péripéties : il s'enfuit avec une carmélite qu'il a séduite. A la fin de sa vie il est l'amant de Paola Orsini…
Quant à l'art dans tout ça ? Lippi est un peintre de génie protégé par Cosme de Médicis. Les œuvres de Lippi sont décrites avec finesse et nous incitent à aller les contempler en Italie.
Les rapports entre les artistes entre eux et avec les "grandi" est assez bien décrite dans une Italie foisonnante et principalement à Florence.
Lippi aurait aidé les artistes à passer du statut d'artisans estimés à celui d'artistes reconnus.

Je n'ai pas aimé du tout l'écriture ni le ton du livre. Certains passages sans intérêts sont, à mon avis, exagérément longs. J'ouvre au ¼.

 
Manuel

Le thème ne m'a pas posé de problème et me plaisait.
Pour moi c'est Proust le sommet, pour le ressenti de l'art.
J'ouvre en grand les trois livres suivants :

Le temps où nous chantions de Richard Powers est l'histoire d'une fratrie noire qui a à imposer le fait, de la part d'un Noir, d'aimer l'art aussi.
Richard Powers avec ce roman de près de 1000 pages embrasse l’histoire des US des années 40 aux années aux années 80. Nous suivons le destin des trois enfants de Delia Daley et David Strom. Jonah Strom est ténor. C’est un livre que j’ai lu il y a longtemps qui m’a laissé un excellent souvenir. La musique devient le refuge de cette famille pas banale (un professeur de physique qui se marie avec une femme noire dans l’Amérique raciste). La musique devient acte de résistance. J’ai le souvenir de pages sublimes sur les lieder de Schubert ou la musique ancienne. J’ai le souvenir d’un New York, d’une Amérique au tournant des années 60 en pleine révolution. On y croise Malcom X, Martin Luther King. Je me souviens également d’un passage dans les Cloîtres avec la surprise de Joseph, le narrateur, découvrant cet endroit magique et écoutant son frère chantant parmi les tapisseries de la Licorne. J’ouvre en grand !





La création du monde de Miguel Torga, un auteur portugais mort en 1980, emprisonné sous Salazar.
Miguel Torga a écrit
La création du monde sur plusieurs années. Le livre regroupe les 6 tomes d’une chronique portugaise, mais également européenne.
Torga rêve de découvrir les trésors artistiques qui ne sont pas à sa portée au Portugal. La guerre et l’exil vont être les occasions pour Torga de découvrir l’art en Italie et en Grèce. L’art est pour lui une découverte qui se fait en solitaire. Il désespère en découvrant les œuvres des grands maîtres italiens : il n’y aurait pas de grand peintre portugais. Il est émerveillé par le Moïse de Michel Ange ou la Vénus de Cyrène. Il nous donne à ressentir l’œuvre dans sa chair et dans sa foi avec une certaine ironie : "
Je regardais la Chapelle Sixtine dans l’éblouissement et l’affliction à la fois. C’était extraordinaire, réellement, La Création, là-haut, au plafond de la chapelle, et magnifique, surtout Le Jugement dernier, sur le mur du fond, avec le visage lancinant de l’auteur, dans la peau écorchée de Saint Barthélémy. Mais le simple fait de penser que le stuc crevassé finirait par tomber, et que la peinture serait réduite en poussière tôt ou tard, mettait je ne sais quelle note éphémère dans ce prétendu sanctuaire de l’impérissable". J’ouvre en grand !


Tabucchi, qui a vécu au Portugal, évoque dans Requiem un tryptique de Bosch.
C'est une journée caniculaire au Portugal, un homme a rendez-vous à minuit avec Pessoa. Est-ce un songe ? En fin d'après-midi, au musée des arts anciens à Lisbonne, l'homme tombe en arrêt devant le retable de Jérôme Bosch : La Tentation de Saint Antoine... mais le musée va fermer. Il décide de revenir, mais le gardien du musée l'invite à rencontrer un copiste qui travaille pendant la fermeture du musée. Il exécute depuis des années la commande d'un riche Américain : des agrandissements de détails du retable de Bosch. J'ai imaginé le travail fou du copiste. Il devient la personne à connaître le mieux le retable. C'est la rencontre du profane et du sacré. L'œuvre est adorée pour ce qu'elle est : le rêve et les visions de Bosch peints sur des planches de bois. Tabucchi a crée une belle invention littéraire : "art monomaniac". J'ouvre en grand ce petit livre.

 
Catherine

2/3
Le fracas du temps
de Julian Barnes


Contrairement à Nathalie, j'ai apprécié.
J'ai été très intéressée par cette histoire de Chostakovitch, dont je connais la musique mais dont j'ignorais à peu près tout par ailleurs. Le livre est construit en 3 parties, qui correspondent à 3 moments clefs de la vie de l'artiste, sous la dictature communiste, stalinienne en particulier. Ça n'est effectivement pas une histoire très gaie, puisqu'il a vécu toute sa vie dans la peur et a accepté tous les compromis, toutes les humiliations, pour l'amour de la musique. C'est une réflexion sur les rapports en l'art et le pouvoir, sur le courage. J'ai trouvé ça assez poignant.


Marcher jusqu'au soir de Lydie Salvayre

J'ai trouvé un peu longue la première partie et ses diatribes sur le monde de l'art et les musées. Son rapport compliqué avec l'art est l'occasion d'une réflexion sur son histoire personnelles et ses origines sociales. C'est intéressant, mais je trouve que cela prend une place trop importante dans le livre. J'ai aimé en revanche les passages consacrés à Giacometti, sa passion des visages, son humilité, son insatisfaction permanente face à ses œuvres.

Monique
La construction est intéressante.


J'ai par contre relu Ravel d'Echenoz.

J'aime beaucoup ce livre, assez différent des autres livres d'Echenoz que j'ai lus, l'évocation des dernières années de la vie de Ravel, de ce personnage très singulier, et extrêmement solitaire, de sa maison de Montfort-l'Amaury, de son voyage aux USA, de la création du Boléro.

Etienne
Je n'ai pas évoqué le fait que je trouve ça froid et sec.



J'ai aimé le style d'Un artiste du monde flottant de Kazuo Ishiguro.

Avec l'histoire de ce peintre renommé, qui passe au fil des années de la peinture des geishas dans l'atelier de son maître à un art militant, qui lui est ensuite reproché, on parcourt l'histoire du Japon après la Deuxième Guerre mondiale. C'est un livre subtil qui procède par petites touches, avec des allers et retours permanents en temps présent et souvenirs. C'est une réflexion sur l'évolution du Japon, les rapports entre les générations, la liberté des artistes et le sens d'un œuvre d'art.


2/3

Polina de Bastien Vivès, que j'avais offert à ma fille, raconte l'histoire d'une danseuse russe qui devient une danseuse étoile.
C'est surtout intéressant par le graphisme : c'est un album entièrement en noir et blanc ; les visages ne sont qu'esquissés mais le dessin suggère extrêmement bien la danse, les mouvements des ballerines. De ce point de vue-là, il est très réussi.

Françoise
Oui, l'histoire c'est bof.

 
Séverine

L'AFFAIRE ARNOLFINI :
les secrets du tableau de Van Eyck

de Jean-Philippe Postel
préface de Daniel Pennac


On apprend plein de choses.
Quand on a les codes, on ne voit pas de la même façon.
Et c'est d'une lecture agréable.
C’est plutôt ludique :
on se prend au jeu de vouloir décrypter le tableau
et l’auteur sait très bien entretenir l’intérêt.



Evguénie Sokolov est une fable scatologique
de Serge Gainsbourg. C’est drôle, loufoque et bien écrit avec une recherche de vocabulaire autour du pet très recherchée ! Et je trouve que c’est assez ironique sur l’art contemporain et comment on peut devenir une star de la peinture grâce à des pets intempestifs…

Le peintre dévorant la femme de Kamel Daoud est paru dans la même collection
que le livre de Lydie Salvayre car c'est la même expérience :
un écrivain enfermé une nuit avec des tableaux.
Dans la logique du travail que fait Daoud (que j’adore), il réfléchit sur les différences entre Occident et Orient : à travers la vision de la femme que propose Picasso, il livre des réflexions sur le monde musulman et son rapport au corps et au désir. C'est un peu délayé, j'aurais ouvert en entier si ça avait été plus ramassé.




Ravel
de Jean Echenoz

J'ai adoré ce livre.
Il n’aborde que dix ans de la vie de Ravel,
mais je trouve que l’auteur arrive
à donner une vision
de qui était le personnage de ce compositeur.
Ça m’a donné envie d’en savoir plus sur lui
et surtout d’aller visiter sa maison !



la maison de Ravel

J'ai apprécié Un regard unique sur l'impressionnisme de Félix Fénéon. Chaque texte est un petit bijou : l’écriture est ciselée. L’objet livre est mignon avec la représentation du tableau associée au texte.

En ce qui concerne Histoires d'images de Robert Walser, je suis moins fan au niveau de l’écriture que pour Fénéon mais là aussi l’objet est intéressant et l’exercice qui consiste à parler sur une œuvre ou une expo et d’adapter à chaque fois la forme d’écriture : mini essai, poème, etc.
Entre
et


Deux livres publiés en rapport avec l'exposition sur le modèle noir au musée d'Orsay :

- Un pas de chat sauvage de Marie NDiaye
dans lequel la narratrice essaie de retrouver qui était cette modèle noire si célèbre et dont on sait finalement si peu.

- Et de Abd al Malik Le jeune noir à l'épée
(avec un CD)

C'est le titre d'une peinture de Pierre Puvis de Chavannes.
Abd al Malik a écrit plusieurs chansons en rapport avec ce tableau et surtout ce qu’il évoque en termes d’image des "noirs", sur ce que cela veut dire aujourd’hui. Il confronte cela à son travail de poète. Chaque chanson/poème est en regard d’un poème de Baudelaire. Belle découverte pour moi qui ne connais rien au rap : c’est très bien écrit !


 
Claire

Ce que j'ai beaucoup aimé, c'est au gré des rencontres d'aller d'un genre à un autre. Je commencerai par les biographies.

J'ai lu Berthe Morisot : le secret de la femme en noir de Dominique Bonat, parce qu'il y a en ce moment une exposition à Orsay sur Berthe Morisot. J'ai été enthousiasmée par cette biographie rigoureuse, qui est celle de tout le groupe des impressionnistes et de cette femme, habitée par sa passion de la peinture.

Parce que j'ai eu l'occasion de visiter la demeure des Caillebotte qui vaut le bref voyage à Yerres (91), j'ai lu avant d'y aller cette agréable BD Gustave Caillebotte de Laurent Colonnier, et ai découvert cette collection (BD suivi d'un dossier biographique plus classique)

Une exposition se tenait au début de l'été à Paris sur l'illustratrice Jacqueline Duhême ; j'ai relu son autobiographie graphique que j'avais adorée, Une vie en crobards.

J'ai fait l'acquisition du catalogue,
Jacqueline Duhême, l’imagière,

une sorte de biographie illustrée, bien,
mais moins bien que l'autobiographie.


Non loin du musée Jacquemart-André où se tient alors une exposition sur "Hammershøi, le maître de la peinture danoise", je tombe rue de Courcelles sur une pagode stupéfiante de 4 étages construite en 1926 pour un marchand chinois.
Je découvre l'histoire de cet homme, grâce à un livre fabuleux, Monsieur Loo : le roman d’un marchand d’art asiatique de Géraldine Lenain. Il s'agit d'une véritable enquête, serrée, pleine de suspense, révélant au passage d'où viennent des collections de grands musées américains ou du musée Guimet, et retraçant une vie rocambolesque.


Le nouveau groupe parisien a choisi en plus des choix personnels une lecture commune, Les Onze de Pierre Michon, ce qui m'a donné envie de le lire : j'ai détesté ce livre qui m'a semblé prétentieux (tant par son thème que son écriture suffisante) et qui m'est tombé des mains. Nous avions déjà lu un Michon sur la peinture que d'aucunes avaient aaaaadddoooré, moi non...

Le thème d'un essai Esthétique de la rencontre : l'énigme de l'art contemporain m'a d'emblée attirée : "qu'est-ce qui fait que quelque chose se passe devant une œuvre - ou qu'il ne se passe rien ?" Un peu répétitif mais éclairant quand même. Les propos sur Malcom Lowry sont rigolos. (Baptiste Morizot est maître de conférences en philosophie et Estelle Zhong Mengual est historienne de l'art, charmant duo...)


J'ai fait un petit tour vers la nouvelle et les classiques un tantinet fantastiques.
Beaucoup aimé Le portrait de Gogol et La bonne peinture Marcel Aymé, le premier tragique qui définit ce qu'est la voie pure de l'artiste par opposition avec les compromissions de la recherche du succès avec un personnage très fort et les sketches comiques de Marcel Aymé avec des SDF qui découvrent qu'à regarder certaines peintures, elle les nourrit et ils n'ont plus besoin de manger...

Tous deux ouverts aux ¾


Je passe maintenant à la littérature contemporaine dont j'attends évidemment beaucoup.

Tout comme Manon, j'ai été déçue par le Kerangal, Un monde à portée de main, mais pour des raisons un peu différentes : les descriptions m'ont barbée et y avait "pas assez de narratif", avec cependant un beau sujet (l'art du trompe-l'œil).

Et comme Manon, j'ai lu un Foenkinos, Vers la beauté, mais avec un avis contraire au sien : alors que le thème m'enchantait (un prof aux Beaux-Arts devient gardien au musée d'Orsay), les personnages et l'intrigue s'avèrent souvent invraisemblables. L'écriture ? Rien ne rattrape pour moi le naufrage.


Je me suis récemment entichée de Chantal Thomas, j'adore l'entendre parler, j'adore sa liberté, sa jeunesse de fond. East village blues est un livre objet (papier glacé, images) qui évoque l'époque de Patti Smith qu'elle a connue ; j'aime son ton, ses aventures et la façon dont elle les raconte ; mais des va-et-vient entre ce temps-là  et aujourd'hui et les illustrations abstraites qui semblent inutiles m'ont un peu déçue. J'ouvre ½ pour le livre et ¾ par groupisme.

J'ai eu un plaisir jubilatoire avec Marcher jusqu'au soir de Lydie Salvayre qui a accepté à contrecœur de passer une nuit dans le musée Picasso avec des œuvres de Giacometti et qui, en râlant, avec une écriture qui donne vraiment du plaisir, réfléchit à l'art. J'ouvre aux ¾ en raison d'un tout petit peu trop de jeu peut-être...


Je garde pour la fin les auteurs
qui pourraient mériter Voix au chapitre... :

- Gaëlle Josse dont j'ai lu Une femme en contre-jour à partir de la photographe Vivian Maier - ce n'est pas une biographie pourtant - belle écriture, sensibilité, personnage au destin étonnant : elle a photographié toute sa vie, n'a pas publié une photo de son vivant, elle est célèbre aujourd'hui ; elle vivait aux USA, mais avait une ascendance française - je suis du coup allée cet été dans le Champsaur sur ses traces...
-
Gyrðir Elíasson, islandais, dont j'ai lu Au bord de la Sandá : un peintre, dans la nature plus que sauvage, avec sans cesse des textes d'artiste dans cet univers solitaire, j'ai été fascinée; j'ai même commencé à lire des nouvelles de lui, Entre les arbres


Ont été proposés au groupe pendant l'année :
- Nos richesses de Kaouther Adimi 
-
Je m'appelle Asher Lev de Chaïm Potok
-
Un Gaëlle Josse

A été proposé pour la Semaine Lecture :
- Le bleu du lac de Jean Mattern

A été décidé pour l'été :
- Le temps où nous chantions de Richard Powers


Compte rendu des LECTURES DU GROUPE BRETON
(réuni le 5 septembre 2019 près de Vannes)
rédigé par Yolaine, suivi par quelques comptes rendus personnels

Ces ouvrages très divers nous ont éclairés sur les liens très étroits
qu'entretiennent les écrivains avec les artistes et tout particulièrement les peintres.
Ils sont animés par la même passion créatrice et les mêmes angoisses métaphysiques.
Ce fut l'occasion de lectures enthousiasmantes.

Les 10 lecteurs du groupe breton : •Chantal Christine Cindy ClaudeÉdith
Jean Marie-Odile Marie-ThéSuzanneYolaine

Suzanne

Suzanne nous a fait découvrir un classique de la littérature allemande, La leçon d'allemand de Siegfried Lenz, roman qui se déroule pendant la seconde guerre mondiale sur une île au large de Hambourg et qui comporte de nombreux éléments autobiographiques.
Le personnage principal, Siggi Jepsen, est enfermé dans une maison de correction pour avoir rendu une copie blanche à une rédaction sur "les joies du devoir". Il se met à rédiger dans ce contexte ses souvenirs d'enfance, et la façon dont son père policier, obsédé par le sens du devoir, dut apporter à son ancien ami le peintre Nansen une lettre l'informant que le régime nazi lui interdisait de peindre. Siggi, qui prit le parti du peintre, fut le seul à être accepté dans son atelier.
Dans ce récit écrit dans un style très talentueux, la peinture est omniprésente. Siggi est également une sorte de double de Siegfried Lenz, l'auteur, et dans sa description de la peinture et des paysages de cette région proche de la mer du Nord, l'écrivain écrit comme s'il peignait.
 
Christine
Christine ayant passé son été à visiter les musées de Washington et de Philadelphie n'a pas eu le temps de lire. Elle est allée chercher dans ses souvenirs une biographie de Camille Claudel (sans se souvenir de son auteur), et nous a fait part de son intérêt pour les biographies (c'est vrai qu'on en lit peu). Dans la vie de Camille Claudel, elle a été séduite par le torrent des sentiments et de la passion, et le basculement de la passion à la folie, thème récurrent dans les vies d'artistes.
Jean
Le meurtre du commandeur de Murakami
Cindy

Jean et Cindy ont partagé l'univers fantastique et cauchemardesque d'Haruki Murakami, dont le personnage principal est peut-être le tableau intitulé "Le meurtre du commandeur", découvert dans les combles d'une maison où il s'est réfugié en solitaire par un portraitiste en mal d'inspiration après un divorce. La maison a autrefois appartenu à un célèbre peintre japonais. Ce roman policier avec des intrigues à tiroirs décrit une réalité ordinaire qui bascule progressivement dans un univers insaisissable de conte de fées (genre Alice au pays des merveilles). C'est aussi une immersion dans la peinture japonaise où s'animent des tableaux invisibles. Là encore, on peut remarquer les correspondances entre les doutes existentiels de l'écrivain Murakami et du portraitiste. Une réflexion sur l'art profonde et intéressante.

 
Cindy

Marcher jusqu'au soir de Lydie Salvayre

Cindy a également été séduite par "L'homme qui marche", célèbre tableau de Giacometti étudié par Lydie Salvayre, qui s'imagine enfermée une nuit dans un musée.
C'est l'occasion d'un retour sur son enfance et sa vie, et d'une méditation sur la mort, dans un style très incisif.
Les souffrances de Giacometti font une nouvelle fois écho aux colères intimes de Lydie Salvayre.

 
Yolaine
"Le Chef-d'œuvre inconnu"

et "Gambara"

Yolaine a choisi un voyage dans le passé, avec un très bref roman d'Honoré de Balzac, Le Chef–d'œuvre inconnu, qui relate les aventures fictives en 1612 de personnages pour certains historiques (les peintres Nicolas Poussin et Porbus le Jeune) et pour d'autres fictives, en particulier le héros de cette histoire Maître Frenhofer. C'est un conte fantastique (à la manière des contes d'Hoffmann très appréciés de Balzac) sur la passion qui habite le créateur à la recherche de la beauté parfaite. L'impossibilité du peintre à réaliser son rêve de création (le tableau auquel il a consacré sa vie n'apparaît à Poussin et Porbus que comme un amas de couleurs où l'on ne distingue qu'un pied) le conduit à se suicider après avoir mis le feu à son atelier. Cette nouvelle comporte une dimension philosophique (l'artiste Dieu ou Diable ?) et de nombreuses références à plusieurs mythes antiques (Orphée, Pygmalion, Prométhée.). L'écriture de Balzac est très picturale et enveloppe les rues de Paris d'un clair obscur mystérieux à la façon de Rembrandt.

Balzac s'est aussi intéressé à la création musicale, et ses Études philosophiques comportent une autre nouvelle, "Gambara" dont le héros est un compositeur raté d'origine Italienne. Cette étude plus développée et plus technique semble moins inspirée et percutante que la précédente. Dans les deux cas, la passion et la soif d'absolu de l'artiste ne peuvent se conclure que par la folie et le désespoir.

 
Chantal
Charles Juliet, l'auteur de Giacometti, est un "écrivain", un vrai. En prologue un très beau poème sur l'œuvre de Giacometti qui résume tout :
"œuvres austères abruptes
crevassées par les doutes
interrogations
déchirements et échecs
qui les ont engendrées"
Le livre est construit en très courts chapitres, mêlant la biographie de l'artiste, ses doutes constants, sa recherche de toute une vie, "le tourment issu du besoin et de l'impossibilité de pénétrer la réalité", par un jeu constant biographie/citations du peintre/sentiments de Juliet : il nous fait entrer dans les affres de l'artiste qui, pendant 25 ans, sans cesser de travailler (dessin, peinture, sculpture) n'arrive pas à créer ce qu'il pressent comme la réalité.
Les exemples cités, détaillés, sont nombreux et saisissants, notamment celui où Giacometti est désespéré et se sent comme un chien : il sculpte donc un chien famélique, presque mort mais... qui avance ! Il y a une omniprésence de la mort, mais aussi la vie qui continue vaille que vaille. Tout est beau dans ce livre, beau et touchant, quel talent d'écriture ! À recommander++. Je l'ouvre en très grand.

Nicolas de Staël, l'impossible concert d'Édouard Dor, c'est le livre d'un journaliste,

d'un essayiste : un livre qui mêle aussi biographie/citations de l'artiste/témoignages/interprétations de l'auteur ; c'est un livre d'intellectuel.
Là aussi, c'est la souffrance de cet artiste qui, lui, connaît très vite le succès, avec des commandes continues des États-Unis, qui travaille d'arrache-pied-pied (800 tableaux en 3 ans !!), mais qui se trouve déchiré entre sa famille qu'il quitte, et sa passion pour une femme qui se joue de lui, ce dont il est parfaitement conscient, mais cette passion va le détruire. À 40 ans, en 1955, après avoir assisté à Paris à des concerts de Webern et de Schönberg, il rentre à Antibes, en quelques jours peint un immense tableau de 3,50 m x 6 m, "Le concert", puis se jette de la terrasse de son atelier ; le tableau est reproduit dans le livre et fait l'objet d'une longue analyse de l'auteur, qui émet l'hypothèse que les instruments dans ce tableau sont les personnages de sa vie : lui, sa femme-piano, sa maîtresse-contrebasse, et l'impossibilité de les concilier. Livre très intéressant, écriture : ... ?? Je l'ouvre ¾.


J'ai lu trop vite La madone Sixtine" de Vassili Grossman : il s'agit des réflexions de l'auteur "regardeur" de ce tableau de Raphaël (1514), tableau emporté de Dresde à Moscou par l'armée soviétique pendant la guerre. En 1955, les Russes ont 90 jours pour voir ce tableau avant qu'il soit restitué au musée de Dresde.
Et là, l'auteur "voit" l'immortalité de l'œuvre de Raphaël : cette madone et son enfant, ce sont toutes celles à travers les siècles passés et à venir, celles de Treblinka, des camps nazis et communistes, qui, dans toute leur fragilité continueront d'avancer, de faire triompher la vie. Et dans ces millions de "regardeurs" de ce tableau il y a aussi Hitler, Staline...
... Et le talent de Grossman écrivain, et quel talent !
À retenir (livre très court suivi d'une autre nouvelle courte) : je l'ouvre en grand.
 
Marie-Odile

Les Onze


J'ai adoré ce mélange d'Histoire et de fiction, celle-ci se nourrissant de celle-là et celle-là s'éclairant de celle-ci. L'écriture crée le tableau qui la justifie, crée les généalogies dont elle met en doute l'intérêt, crée les com
mentaires de Michelet, etc. Magie de l'écriture qui fait du faux avec du vrai et du vrai avec du faux !
J'ai aimé la première partie, bien ancrée dans l'histoire des "grands travaux de fleuves et de canaux", dans la volonté mais quasi impossibilité parce que "Dieu est un chien" d'échapper à sa condition de maçon limousin ou de s'élever vers les lettres ("La chaîne des générations était trop serrée et l'étrangla").
La seconde partie m'a plongée dans l'Histoire de la Révolution. Le fait d'imaginer un tableau là où il manque, dans ce contexte historique, tableau à double interprétation en fonction de la suite possible des événements, m'a paru génial.
Pour moi, l'œuvre d'art présente ici n'est pas le tableau de Corentin, bien sûr, mais le texte de Pierre Michon qui le fait exister, lui donne corps au fil des pages à coup de phrases magistrales, concises, compactes, rythmées.
Pour moi, tout est tableau dans ce texte, tout donne à voir. Je pense particulièrement à la scène magnifique où l'enfant s'enfuit vers le canal, suivi de deux robes, deux femmes, mère et mère de la mère. (Curieusement cela m'a fait penser au tableau, plus immobile celui-là de Léonard de Vinci représentant Sainte-Anne, la Vierge et l'enfant : un enfant, deux femmes aussi..)
Je pense à la scène de commande du tableau avec les portraits mais aussi les presque natures mortes : les os, les pièces d'or, le buste de Marat, la lanterne, la lumière et les ombres donc, puis le pain et le vin de cette "cène laïque".
Je pense aux notations de couleur partout présentes : "la houppelande couleur de fumée d'enfer", la chaise jaune de Couthon...
Je pense à l'importance du point de vue et du regard porté sur les différentes scènes. "Michelet n'est plus maître de sa fiction, cette fable si juste qui vient de sortir de son esprit l'enivre, l'emporte, et il l'enfourche sans ambages". Lisant ceci, j'ai pensé à Pierre Michon et à son œuvre qui l'emporte et le lecteur avec lui, avec bonheur.


Je voudrais aussi parler des chevaux, jamais vus, toujours entendus dans leurs souffles et hennissements, scandant le récit jusqu'aux dernières pages qui constituent une sorte de galop littéraire et mythologique reliant les Onze aux grandes chevauchées de l'Histoire pour remonter jusqu'à Lascaux !
Suite à la lecture de ce texte court qui m'a paru inépuisable, j'aimerais approfondir les liens entre Histoire, peinture, littérature... "Les Onze ne sont pas de la peinture d'Histoire, c'est l'Histoire."
J'ouvre ce texte en très grand, ainsi que Dieu ne finit pas et Fie-toi à ce signe, qui parlent aussi d'art et d'artistes (Goya, un disciple de Piero della Francesca).
Ce que j'aime surtout chez Michon, c'est ce style qui m'a, un temps, rendu impossible la lecture d'un autre que lui.

 
Marie-Thé

J'ouvre Un été avec Geneviève Asse de Silvia Baron Supervielle aux ¾. En cet été où je n'ai pas réussi à choisir "Le Livre" sur l'art, cet entretien de Silvia Baron Supervielle avec Geneviève Asse est venu jusqu'à moi... Malgré quelques passages difficiles sur le travail de peintre et de graveur de Geneviève Asse, j'ai beaucoup aimé ce recueil où Silvia Baron Supervielle, avec beaucoup de délicatesse et d'admiration, fait parler une grande artiste.

Je connaissais G. Asse par ses tableaux exposés au musée de La Cohue à Vannes, tableaux que je n'avais pas aimés lorsque je les avais découverts : incompréhensibles pour moi. Avec le temps et pas mal d'imagination, j'ai découvert dans le "bleu Asse" des merveilles. Avec ce livre, je remonte à l'origine de l'œuvre, origine que je connaissais un peu, mais pas tant que cela, et je suis comblée. Émouvante évocation de l'enfance bretonne du peintre, le petit verger et la maison de la grand-mère à la campagne, l'émerveillement devant "les choses simples", la nature... "Le silence autour de nous me rendit observatrice." A cela il faut ajouter la proximité de la mer : "Je suis née avec elle." D'une "famille de rêveurs" émergeait une grand-mère humaniste, altruiste, cultivée. "Elle fut féministe d'une façon intelligente." Son importante bibliothèque donne à l'enfant, élevée "dans une liberté complète", la passion des livres. "Autrefois pour la lecture, maintenant plutôt pour le papier, la gravure, la poésie ; tout ce qui fait parler les beaux livres." J'ai adoré ce chemin dans l'enfance qui a conduit G. Asse vers la peinture, la gravure ou d'autres formes d'expression, et aussi plus tard sa découverte de Paris, ses rencontres avec des intellectuels, des peintres (Braque, Picasso, Nicolas de Staël....), son émerveillement pour certains : "Matisse signifiait pour moi la beauté suprême."
Les passages "imprégnés" de la couleur bleue ont bien sûr retenu toute mon attention : "Je ne fais qu'un avec cette couleur... C'est un langage." "Cette couleur qui circule aujourd'hui autour de nous, à l'Ile aux Moines", remarque Silvia Baron Supervielle.
Enfin, ces réflexions du peintre sur le marché de l'art : "Peut-être aujourd'hui, les amateurs se laissent influencer par la critique ou le prix des tableaux." Et : "Les musées sont, comme le reste, sous l'emprise de la mode, de la rentabilité, des entrées... De plus autrefois il y avait des mécènes, à présent il y a des sponsors." A méditer...
Je pense beaucoup à Pierre Soulages, "ce maître du noir et de la lumière" évoquant comme Geneviève Asse l'importance de la lumière dans ses tableaux, et ce lien entre l'espace et la lumière, et cette verticalité... Leurs façons de travailler se ressemblent, font penser à un travail d'écriture. Œuvres originales chez l'un comme chez l'autre : "Je suis une marginale." dit G. Asse, "Mes tableaux tranchaient à chaque fois avec ceux des autres... Les mouvements qui obéissent à une théorie ne m'intéressent pas." dit Pierre Soulages (cf. Télérama, n° 3626, juillet 2019). J'aime rapprocher deux peintres dont la vie aussi me fascine : G. Asse a 96 ans, Pierre Soulages aura 100 ans la veille de Noël. Tous deux ont été élevés par des femmes leur ayant laissé une grande liberté...
Cet été, j'ai quand même été capable de parcourir un beau livre, avec des images :
Les femmes qui lisent sont dangereuses de Laure Adler et Stefan Bollmann.

Toute une histoire, le titre en dit long... C'est magnifiquement illustré, des peintres de toutes les époques ont représenté des femmes en train de lire, Rembrandt, Vermeer, Fragonard, Manet, Matisse, Hopper... A admirer.



Voici ce que je pensais lire,
que je n'ai donc pas lu,
et qui pourrait peut-être convenir au groupe : Zao de Richard Texier,
Les porteurs d'eau
de Atiq Rahimi,
Trois concerts
de Lola Gruber,
Le baiser
de Sophie Brocas,
Venise à double tour de Jean-Paul Kauffmann

Et enfin, voici deux livres que j'ai aimés lus à Voix au chapitre : Autobiographie d'Alice Toklas de Gertrude Stein et surtout Maîtres et serviteurs de Pierre Michon.
 
Édith
Cette longue lettre, qui est la forme que l'auteur a choisie, raconte au lendemain de l'enterrement de Schumann, les années de "fièvre" vécues par Clara Schumann et son mari Robert, avec le lien profond qui unit le très jeune Brahms à chacun des deux autres. Un livre grand ouvert pour moi.
Les pieds nus de Zadkine, sous-titré "roman", par Gaëtan Lecoq
Cette vie de Zadkine (1890-1967) à travers le regard d'un enfant au XXe siècle, je l'ai lue il y a deux ans et reparcourue pour l'occasion.
Grand ouvert pour le style et le mélange des situations : l'enfant acteur principal et les "grands" de l'art au XIXe et XXe siècle. Poétique et nostalgique.
Beau petit livre précieux à découper comme autrefois page par page...
Un entretien simple dans sa forme, les questions sont directes et lumineuses de sens, comme est le style de Charles Juliet que j'ai déjà un peu lu. Grand ouvert aussi.
Donc pas de déception pour les trois livres...
 
Claude

Claude fait partie des "à distance"
du groupe breton,
fidèle,
lisant parfois "en différé".

Elle est en train de lire :

L'AFFAIRE ARNOLFINI :
les secrets du tableau de Van Eyck

de Jean-Philippe Postel

et

La longue attente de l’ange
de
Melania G. Mazzucco


Compte rendu des LECTURES DU NOUVEAU GROUPE PARISIEN
(réuni le 6 septembre 2019 )

Les 11 lecteurs du nouveau groupe : •Ana-CristinaAnne-Marie Audrey
Faustine
FrançoisFrançoise H Lina MargueriteMonique MNathalie B
Valérie

Nathalie B

Le mystère de la création artistique
de Stefan ZWEIG

Vie de Rossini
de
STENDHAL
Goya :
l'énergie du néant
de
Michel del CASTILLO
Lettre à Delacroix
de
Tahar Ben JELLOUN

Une très bonne introduction à notre thématique. Ce petit texte est celui qu'a lu Stefan ZWEIG lors d'une conférence à New York. Il porte les illustrations en noir et blanc des références de l'auteur. Très bel objet de la collection Pagine d'Arte.

 

Ana-Cristina
Nouvelles de Balzac : "Le chef-d'œuvre inconnu", "Gambara", "Massimilia Doni"

Dans "Le Chef-d'œuvre inconnu", le personnage du vieux peintre rendu fou par son désir de perfection est inoubliable. J'ai toujours trouvé que l'écriture de Balzac était envoûtante. Cette nouvelle me le prouve une fois encore.
Dans les deux autres nouvelles, la magie opère moins. Balzac a inventé ces histoires (comme celle du "Chef-d'œuvre inconnu") afin de servir ses propos philosophiques sur l'art, mais c'est un romancier jusqu'au bout des ongles. Le romanesque se trouve à l'étroit ici, poussé contre les murs en quelque sorte afin de faire de la place aux analyses plus philosophiques. Il réclame de l'air. Dommage que Balzac n'en ait pas fait des romans, mêlant de façon plus fine, comme il sait très bien le faire, idées et sentiments.

Terrasse à Rome de Pascal QUIGNARD
J'oublie souvent assez vite les livres que je lis. J'ai lu Terrasse à Rome dans les premiers jours de juillet. Que me reste-t-il de ce roman ? Une atmosphère, un mode de pensée, une façon de percevoir les êtres et les choses d'une façon particulière. C'est la moindre des choses pour un roman. Mais là, vraiment, cet aspect devait être suffisamment fort pour que cela soit la première chose qui me vienne au sujet de ce livre.
J'ai quitté le XXIe siècle, pour le XVIIe siècle. Oui, c'est cela, un changement de siècle ! Je me souviens avoir fait un voyage dans le temps. Je ne peux voyager que dans le passé quand je lis (p. 54) : "
Meaume (c'est le nom du personnage central) regarda les fruits que Marie au Perreux mettait en tas dans le compotier. Il approchait la chandelle de la grosse nappe de grains de raisin violets."
J'ai aussi trempé pendant ma lecture dans un bain de sensualité. Pour vous en donner une idée je poursuis ma lecture : "
Meaume, quant à lui, se tenait autant que possible la face complètement dérobée dans le noir. Il avait trente-cinq ans. Son visage était bruni, ses plaies moins. Il approchait la chandelle et touchait les grains violets. Il touchait le reflet de lumière sur les grains avec le bout des doigts. Il se tourna vers Marie." (p. 15)

Sensualité et même parfois érotisme. Se souvenant du deuxième rendez-vous avec une jeune vierge, le personnage du roman peut dire :
   "
Chacun suit le fragment de nuit où il sombre.
   Un grain de raisin gonfle et se déchire.
   Au début de l'été toutes les prunes reines-claudes se fendent.
   Quel homme n'aime
   quand l'enfance crève ?
" (p. 15)
Puis, un peu plus loin : "
Elle lui dit que sa fleur, toujours ouverte, désormais toujours odorante, est toujours trempée." (p. 16)
On comprend que le regard que porta cette jeune fille sur notre personnage quand ils se virent pour la première fois, que :
   "
Ce regard sur lui, toute sa vie, vécut en lui." (p. 11)
Mais qui est ce Meaume ? Meaume est un graveur qui a vécu, entre autre ville, à Rome.
Quignard nous raconte la vie de ce Meaume, artiste, et nous fait bien comprendre et ressentir à quel point toute l' œuvre gravée de son personnage porte la trace de la passion qu'il a eu pour une jeune fille, cette Marie dont j'ai parlée tout à l'heure.
Je me souviens aussi d'avoir lu de belles descriptions de gravures. En voici une : "
Sur la cinquième gravure noire ils repartent. Ils redescendent dans la vallée. La chaleur est torride, les feuilles des arbres immobiles, le silence serré. L'air ne bouge plus. C'est presque un miel ou un lait épais, pâteux de silence. C'est une masse blanchâtre sans un signe." (p. 41)
L'œuvre de cet artiste est bien en adéquation avec sa vie. Ses sensations passent à travers son burin de graveur, son outil devient bien le prolongement de sa main, de tout son corps, de sa mémoire sensorielle.
Le livre est composé de chapitres courts. Et je me rends compte, en le feuilletant pour écrire cet avis, que chaque chapitre peut se lire pour lui-même. Les différentes parties peuvent se lire dans le désordre. Et je crois que c'est une lecture qui convient parfaitement à cette narration brodée de poésie. Pas "poétique" mais bien "brodée de poésie". Pourquoi ? Parce que cette expression rend bien compte de l'aspect raffiné (peut-être un peu trop parfois) de cette écriture d'une grande précision.
Ces œuvres : j'y croyais ! J'avais très envie de les voir. Quand je me suis rendu compte qu'elles n'existaient pas, que ce Meaume était un personnage de pure invention, quelle surprise ! Peut-être inspiré de tel ou tel peintre, mais une invention tout de même. Mais si je n'avais pas les gravures j'avais de belles descriptions, des fragments de littérature très beaux à lire, non pas à voir mais à imaginer…

Novecento : pianiste d'Alexandro BARICCO
Je vais commencer par vous lire la première page, jusqu'à Amérique.
Je trouve ce début très beau. C'est une confidence. Une confidence faite à un public de théâtre, mais qui pourrait tout aussi bien être adressée à un simple auditeur ou à un lecteur. Ce qui me rappelle qu'un lecteur est de tout de façon, à des degrés divers et selon son tempérament, aussi un auditeur et un spectateur.
La didascalie "adagio et lentissimo" (lentement et très lentement) m'annonce que je vais chalouper sur l'océan sur un air de musique. La musique sera celle du rythme de l'écriture ou plus simplement sera celle jouée sur le navire. Donc j'ai un navire sur l'océan et de la musique sur un bateau.
J'ai aussi un narrateur, appelé "le comédien", qui est le trompettiste du bateau. C'est lui qui me racontera la vie, non seulement de Novecento considéré comme le plus grand des pianistes jouant au milieu de l'océan, mais aussi de celui qui est devenu son ami. Ce texte est aussi une belle histoire d'amitié.

Voici un extrait qui nous montre bien son talent de pianiste. Novecento vient de jouer. Voici la réaction du public :
"
Bon.
Le public avala tout ça sans respirer. En apnée. Les yeux vissés sur le piano et la bouche ouverte, comme de parfaits imbéciles. Et ils restèrent là, sans rien dire, complètement éberlués, même après cette dernière charge meurtrière d'accords, qui avait l'air d'être jouée à cinquante mains, on aurait cru que le piano allait exploser. Et dans ce silence de folie, Novecento se leva, prit ma cigarette, se pencha un peu vers le piano, par-dessus le clavier, et approcha la cigarette des cordes.
Un grésillement léger.
"
Je reviens à l'incipit. Qu'est-ce qu'il raconte ? Il raconte la découverte de l'Amérique par un des passagers, en arrivant à Ellis Island, la vision d' un avenir plein de promesses… Il faut se souvenir de cette première page car Novecento, lui, refusera cet avenir.
C'est bien l'histoire d'un homme qui a choisi pour maison un navire, pour horizon celui que forme l'océan avec le ciel et pour destin celui que lui offre les 88 touches de son piano, la musique. Je vous lis les paroles de Novecento qui exprime bien cela. Il s'adresse à son ami : "
Imagine maintenant : un piano. Les touches ont un début. Et les touches ont une fin. Toi, tu sais qu'il y en a quatre-vingt-huit, là-dessus personne peut te rouler. Elles sont pas infinies, elles. Mais toi, tu es infini, et sur ces touches, la musique que tu peux jouer elle est infinie. Elles, elles sont quatre-vingt-huit. Toi, tu es infini. Voilà ce qui me plaît. Ça, c'est quelque chose qu'on peut vivre".
Est-ce que ce livre m'a plu ? Je n'ai pas ressenti de fol enthousiasme à sa lecture malgré de beaux moments. Je ne pense vraiment pas que ce soit un grand texte, mais je crois qu'il vaut la peine d'être lu, ce n'est pas du temps perdu… l'effet de la lecture ne s'estompe pas une fois le livre fermé.

La Cathédrale de J-K HUYSMANS : ce roman fait partie de "la trilogie de la conversion", après En route , avant L'Oblat.
Lire ce livre c'est comme entrer chez un brocanteur. On y trouve de tout, des objets sans aucun intérêt, des objets curieux qui éveillent la curiosité, des objets fantaisistes, bizarres, qui font sourire, mais aussi de beaux objets agréables à regarder et de vrais chefs-d'œuvre.
Ce roman est centré sur le personnage de Durtal (Durtal est Huysmans). Je dirai que c'est une épopée spirituelle.
Je l'ai lu avec beaucoup de patience car dès les premières pages, j'ai eu le coup de foudre pour l'écriture de Huysmans. Le début est magnifique. On suit le personnage dans la rue, à l'aube, le vent souffle. Il pousse une porte et entre dans une forêt. Cette forêt, c'est l'intérieur d'une cathédrale. Durtal est rentré dans une cathédrale. J'ai littéralement vu la cathédrale se détacher de l'image de la forêt, comme dans un fondu enchaîné dans un diaporama. Durtal est à Chartres. Il est converti au catholicisme. C'est une chose acquise.
Son occupation principale est d'observer la cathédrale et de compléter ses connaissances sur l'art du Moyen-Âge. Il décrit abondamment, de façon organisée et précise la cathédrale de Chartres.
Certaines pages sont parfois comparables à des inventaires, où Huysmans semble viser l'exhaustivité. Mais ces inventaires sont parties intégrantes de ce drôle de livre. Des inventaires qui sont certes parfois un peu longs, mais si j'arrête de considérer ma lecture comme une course avec une arrivée dans un temps imparti, ils deviennent des étapes inattendues, étranges et reposantes. Ils regorgent de mots inconnus, de noms qui traînent derrière eux tout un imaginaire. Chaque terme est comme une perle. De plus, quand Huysmans enfile ces perles, il ne perd jamais le fil et ses phrases restent impeccables.
Je peux dire qu'il soigne son style dans n'importe quelle circonstance !
Le narrateur transcrit ce que voit Durtal et les résultats de ses recherches concernant, entre autres choses, la symbolique religieuse des animaux, des couleurs, de la flore, des odeurs, etc. Mais Durtal revient toujours à lui, à son indécision quant à son entrée dans un monastère. Il tient beaucoup à son indépendance d'esprit et à sa liberté de création. En d'autres termes, il veut bien s'isoler du monde, cela ne lui pose aucun problème, mais se priver de la liberté d'écrire, de lire, et de continuer ses recherches, c'est une autre histoire.
Cela m'a plu de savoir ce qui se passe dans la tête de cet homme qui a la foi et qui arrive à parler de sa croyance sans aucune mièvrerie, avec intelligence, parfois avec drôlerie, et toujours de façon très libre. Voici un exemple de l'humour de Huysmans. Il explique que, tout comme il existe un patron des pêcheurs, il existe aussi un patron des imbéciles. C'est Saint Columban. Durtal dit à son propos : "
en tous cas […], il serait bien inutile de lui édifier une chapelle, puisqu'elle serait à jamais vide. Personne ne viendrait le prier, le pauvre saint, car le propre de l'imbécile est de croire qu'il ne l'est pas !"
Et voici un extrait où j'ai pu apprécier la beauté du style de Huysmans, fluide et imagé. Durtal est dans un train, en haute montagne, en compagnie de son ami l'abbé Grévesin (p. 53), soudain il aperçoit un torrent : "
Et subitement, les pics s'étaient écartés, une énorme éclaircie avait inondé le train de lueurs ; le paysage avait surgi, terrible, de toutes parts.
Le Drac ! s'était écrié l'abbé Grévesin, montrant au fond du précipice, un serpent liquide qui rampait et se tordait, colossal, entre des rocs, ainsi qu'entre les crocs d'un gouffre "
jusque" une peau de sable sec."
 
Marguerite
Tous les matins du monde de Pascal QUIGNARD

Bien sûr prix Goncourt en 2002 pour Les Ombres Errantes, que je n'ai pas lu, mais avec cela qu'a-t-on dit ? À peu près rien, si ce n'est que l'on a déjà aplati l'auteur avec son prix, comme si d'emblée le prix disait déjà tout.
De Pascal Quignard, je connais Le nom sur le bout de la langue, cette affaire des mots qui nous échappent, dans la volatilité d'une note qui insiste et déjà n'est plus là. Je connais également Villa Amalia et la farouche détermination d'élargir l'horizon, grâce au piano et aux grandes orgues des courants de l'océan, de faire un pied de nez à la médiocrité d'une réalité qui sans arrêt s'accroche à nos souliers. Et enfin, Une journée de bonheur où l'auteur s'attarde sur ce vers
"Carpe Diem, cueille le jour, je veux comprendre ce si beau vers mystérieux, pourquoi songer à ceuillir le jour ?". Ces trois lectures s'étirent en heures de délices dans mon souvenir, auxquelles s'ajoutent désormais comme un nouveau bouquet : Tous les matins du monde.
Musique encore dont le phrasé de la viole se faufile dans une sourdine dès lors qu'au printemps de 1650 meurt Madame de Sainte Colombe en laissant ses deux filles Madeleine et Toinette au bon soins de son époux, musicien. Au fond de son jardin, près de la rivière, les émotions de Monsieur de Sainte Colombe, retirés avec lui dans une cabane, se joueront désormais à la viole, et lors des concerts à trois qu'il improvise avec ses filles. Ils résonnent ce concerts, jusqu'aux oreilles du Roi qui mande le musicien ; il se refuse et Quignard choisit ses mots : "Mes amis sont les souvenirs- insiste Monsieur de Sainte Colombe- Ma cour, ce sont les saules qui sont là, l'eau qui court, les chevesnes, les goujons et les fleurs de sureau. Vous direz à sa Majesté que son palais n'a rien à faire d'un sauvage qui fut présenté au feu roi son père il ya trente cinq ans de cela." Tout le récit est ainsi ciselé. Ce complexe de Diogène laisse la petite famille en paix, vivre de la musique près de l'eau. Les courants de la rivière, les tonneaux de la cave, le vin dans les verres et la fraicheur de l'eau sont les seule sentes qu'il emprunte pour jouer et recomposer les chants élaborés pour son épouse. Il les rejoue ; sur le seuil, son épouse revient. Tandis que le Roi oublie Monsieur de Saint Colombe, que l'épouse remonte de l'ombre, avec cette épiphanie la vie va s'assombrir avec une musique "qui est aussi langue humaine" ; les mélodies seront celle d'un bonheur très amer, jusqu'à rejoindre "Les Pleurs" et "La Barque de Charon", deux Arias qu'il consent enfin à transmettre. La musique, eh bien Pascal Quignard trouve dans les mots, l'art de dire qu'elle est "un abreuvoir pour ceux que le langage a déserté (…) Pour les états qui précèdent l'enfance. Quand on était sans souffle. Quand on était sans lumière". Cet écrivain tisse le silence dans sa langue et chacune de ses lecture est la naissance d'une fleur dont les pétales frémissent, un éphémère qui s'imprime dans l'éternité d'un rêve.
 
Audrey
Monsieur Proust : souvenirs recueillis par Georges Belmont de Céleste ALBARET
Il s'agit du témoignage de Céleste Albaret, la servante de Proust, recueilli par George Belmont. On a d'ailleurs retrouvé très récemment les 49 heures d'audition de cette femme alors âgée de 82 ans qui raconte Proust (je renvoie à l'émission de France Culture que vraiment je conseille, Grande traversée).
Ce livre m'a beaucoup touchée, m'accompagnant tout l'été. C'est un livre émouvant qui entre moins dans l'œuvre de Proust que chez lui, chez l'auteur : on pénètre dans sa chambre, dans son lit, dans son linge, dans sa salle de bain ; on y voit et on y comprend, au travers du regard d'une femme qui fut sa servante extrêmement proche, la fabrication de son œuvre. On comprend, et c'est passionnant, comment il se nourrit pour son œuvre ; non pas de nourriture, son œuvre n'en n'a pas besoin, il ne mange pas !!
Mais par ses sorties, ses rencontres, on apprend qu'il a des indics, par exemple le directeur du Ritz qu'il paye pour observer et lui rapporter des détails. Tout ce qu'il voit, quand il sort, est matière à compléter son travail.
Et puis on va au cœur d'une relation étonnante, celle Proust et Céleste, cette femme entre soumission et insoumission (elle ne mâche pas toujours ses mots et n'hésite pas à dire ce qu'elle pense). Elle fait preuve d'une admiration sans borne qui l'a conduite à un dévouement, un don de soi, un accompagnement dans la création jusqu'à la mort.
C'est donc moins un livre sur l'art peut-être, que sur l'œuvre en train de s'écrire, du côté de ceux qui permettent qu'elle s'écrive, et sur le contexte de la création. C'est magnifique, très surprenant et très touchant. J'ouvre entièrement.
 
Valérie
Hérétiques
de Léonardo PADURA
Le chardonneret
de Donna TARTT
La fête à Venise
de Philippe SOLLERS
 
Anne-Marie
Monique M
Lina
Faustine
Le tableau du Maître flamand d'Arturo PÉREZ-REVERTE
Vers la beauté
de David FOENKINOS
Les furtifs
d'Alain DAMASIO
Les violons du roi
de DIWO Jean

 

 

 

 

 

 

 


Le nouveau groupe parisien s'est ajouté une contrainte :
outre la présentation d'un ou plusieurs livres lus sur l'art,
chacun a lu un même livre, Les Onze de Pierre Michon

 

Les Onze
, Pierre Michon   


Les Onze
, Pierre Michon
 
Audrey
J'ai eu le sentiment que ce livre avait un livre de "l'entre-deux", entre deux périodes, entre deux univers, deux milieux. Mais aussi deux manières de se positionner en tant qu'écrivain.
L'introduction, pour commencer, me laissait l'impression d'un auteur qui se délecte de ses beaux mots, érudit, prétentieux, une expression fine et subtile cette, mais où le mot à entendre est sous-entendu, où l'on sent le plaisir de l'évoqué, du non-dit, du convoqué sur le principe du bon "au bon entendeur"... un livre pour l'académie en somme ! Je m'en sens donc parfois exclue. Et cela me donne l'impression d'être méprisée en tant que lectrice, ce qui est désagréable. Cette intro se présente comme un texte qui exclut une certaine partie de ses lecteurs, de même qu'une société exclurait une partie ses membres... A bon entendeur...
Puis au milieu du livre, c'est l'inverse. On quitte le langage sophistiqué, l'évocation, le bel esprit, la connivence, le suggéré ou les belles envolées : l'auteur devient pédagogue, la langue se fait concrète, explicative, pragmatique, éclaircissante. Comme si le narrateur passait d'un interlocuteur à l'autre. Au début, il semble ne s'adresser qu'au seul bel esprit, puis ensuite, il s'adresse à Monsieur Tout le Monde.

Par ailleurs, comme en écho, le peintre dont il nous raconte la vie se situe à la croisée de deux milieux, entre-deux mondes qui se sont croisés furtivement. Il est issu de deux familles fort différentes : d'un côté les Limousins, avec la crasse, la saleté, le dur labeur, la brutalité, le travail pénible ; de l'autre du côté de sa mère, le raffinement, le bel esprit, la douceur, la beauté, l'argent, la curiosité, les salons littéraires…
Il nous décrit très bien ces deux familles. Je trouve que cela est très central dans cette œuvre. Il y a un très beau passage où ces deux mondes se croisent : la mère riche dans ses belles robes et sa blondeur, qui sur le pont regarde en bas un homme dans la plus simple et dégradante misère. L'auteur invite son interlocuteur à comprendre l'autre monde :
"Descendez en esprit dans la boue…" (p. 71). Le peintre naît de ces deux mondes qui se croisent.
François
C'est un passage très important. Ce qui évoque la rivalité œdipienne qui coupera des têtes.

Audrey
J'ai voulu savoir qui était cet auteur. Il balaie un éventail de situations, d'expressions larges. Lui-même est quelqu'un issu des Limousins, qui a frôlé une certaine misère et qui, aujourd'hui, fréquente le milieu littéraire, a changé de milieu.
Ce ne me semble pas anodin qu'il choisisse de parler de la Révolution. Période de l'entre-deux par excellence, période de basculement : on passe un jour de la gloire à la chute, de l'estrade à l'échafaud, du doute au changement d'avis, changement de position, reniement. On y voit des hommes qui balancent... et se balancent les uns les autres ! Des hommes, des clans, des clubs, des milieux qui s'opposent.
J'y vois donc un livre au regard juste sur deux milieux, deux univers et une période qui bascule. Peint et dépeint par celui qui descend de ces deux mondes. On peut y voir l'écho de ce que l'auteur peut mettre de lui. J'ouvre à moitié.

Anne-Marie
J'ai trouvé dans ce livre un verbe évocateur, puissant, lyrique et foisonnant plutôt académique.
Il y a un torrent de mots, une frénésie de mots. En 1793 ça bascule on ne sait plus où on est. Tout le monde a peur, c'est un tournant dans la révolution, il y a confiscation. L'évocation des limousins c'est le symbole du peuple et Michon lui voit ça comme une trahison. C'est la terreur, c'est Carrier, les noyades à Nantes etc., des monstruosités au nom du peuple rarement évoquées ! Il raconte bien ce foisonnement on ne sait plus de quel côté on est, le rythme est très bien vu.
Après, je trouve qu'il ne parle pas beaucoup d'art. On sait que le tableau a été commandé à des fins très politiques mais je reste un peu sur ma faim, en fait. Il me manque la suite, le tableau existe certes et alors que devient ce tableau ? Ça m'aurait intéressée de le savoir.
Ana-Cristina
Je rebondis sur ce qu'a dit Audrey sur le texte qui s'adresse à plusieurs publics. Pour moi, dit l'auteur, la révolution est une sorte de tableau épique où "j'aime tout le monde". Il refuse de se positionner, il se pose en spectateur. Je n'ai tout d'abord rien compris à l'incipit. Je ne sais pas combien de fois j'ai relu ce début, oubliant que la première page d'un roman n'a pas pour vocation de tout révéler, tout de suite. Premier mot : "Il" : qui était ce "Il" ? De qui parlait-on ? De Tiepolo ? Oui, j'ai même pensé que c'était un livre sur Tiepolo!. Pour avoir une chance d'apprécier ce roman, je devais le lire avec précaution, sans mon impatience initiale. C'est un récit à embûches. Puis j'ai remarqué avec un grand soulagement que je n'étais pas abandonnée à moi-même car je serai accompagnée d'un guide et que je serai ce "Monsieur" qui est apostrophé tout au long du livre. Très bien. Pierre Michon s'autorise tout en matière de style : moderne ("has been") ou bien précieux ("les mains vives"). J'ai l'intuition que Michon exprime à sa façon la révolution par le biais de son style.
François
D'accord avec ça, on est dans l'incertitude. Le Comité de salut public ce sont des ombres. L'auteur joue avec cette incertitude ontologique et c'est le sujet du livre : lien entre la philosophie et l'histoire.
 

Ana-Cristina
J'ai préféré la seconde partie au style plus limpide, privée des arabesques et des répétitions du début. J'ai suivi avec plaisir Michelet (p. 121) dans "cette sacristie" où se serait déroulée la transaction : de l'or contre un tableau. J'ai aimé lire comment, lors de cette "nuit du 15", sans doute vers "onze heures" trois "sans-culottes", qui grelottaient dans leurs guenilles" réveillèrent Corentin et lui demandèrent de les suivre (78-79), comment eut lieu la transaction, le lieu où elle se fit, comment Pierre Michon a réalisé un tableau de cet instant, choisissant la lumière, les couleurs, les sons, organisant l'espace.
J'ai aimé l'ironie, par exemple, p 81 : "[Corentin]
connaissait l'endroit, il y était venu en voisin, en peintre, en citoyen aussi puisque c'était ce masque-là qu'on portait alors, et qu'il avait bien voulu s'en affubler, comme tout le monde."
J'ai accepté de rentrer dans cet univers historico-fictionnel, de croire au peintre François-Elie Corentin et à son tableau grand format. Néanmoins, malgré des pages magnifiques, parfois très poétiques, j'ai avancé cahin-caha dans ce récit, parfois même "à grand ahan" (comme l'écrirait sans sourciller Pierre Michon). Mais comme cette histoire ne m'a jamais laissée indifférente, j'ouvre le livre au trois quarts.

François
J'ai été fasciné par cet auteur. Il y a deux points dans le livre : la vie de ce peintre imaginaire , mais il fait vrai et nous transporte, et le conflit avec la réalité . L'histoire de cette commande va permettre à Michon de réfléchir sur l'Histoire. Il invente cette histoire de Michelet et on découvre que ce peintre n'existe pas, il y a donc un balancement entre le vrai et le faux. Au fond, la vérité c'est Lascaux et aussi l'apocalypse. En même temps j'ai été agacé tout en sentant quelque chose de profond dans ce livre, quelque chose comme la recherche du père de cet enfant élevé par des femmes. Michon est un narrateur très curieux. Il fait réfléchir à la fiction et à l'incertitude.
Faustine
J 'ai lu plusieurs livres de Michon, mais pas les Onze. Je rebondis sur ces autres livres de lui, j'en ai lu trois : des récits très courts , où les sujets choisis sont des gens du peuple. Il utilise un vocabulaire fourni et érudit pour parler de personnes simples.
 
Nathalie
Oui c'est un auteur qui est sur l'exigence en matière de vocabulaire, de syntaxe à l'égard de tous. Il vient d'un milieu modeste mais instruit. Sa mère était institutrice de la 3ème république. Ce qui implique une exigence envers tout un chacun et notamment envers les milieux populaires qu'il convient d'élever à l'instruction.
Audrey
Il décrit le rôle de l'écrivain qui illumine.
Faustine
Je ne le perçois en tous cas pas comme arrogant. Mais c'est un auteur qui sort d'un milieu modeste et a tout de même un vocabulaire très riche.

Ana-Cristina
En fait l'auteur s'amuse de ce décalage entre l'impression d'arrogance et les expressions populaires. Il joue.

Valérie
Je ne sais pas... j'ai un regret... l'impression d'être passée à côté du livre. Et je ne vois pas quel lien peut avoir ce roman avec l'art. Il s'agit plutôt de politique que d'art. C'est bien cela le but du tableau dont il est question dans ce livre. C'est bien pour une raison politique qu'il est peint. De plus, la Révolution française n'est vraiment pas un sujet qui m'intéresse.
Au début je croyais que l'auteur parlait de Tiepolo. Et ce "Monsieur" ! Qui est-ce ? Je ne me sentais pas du tout concernée. Cet artifice d'écrivain ne m'a pas convaincue, ne m'a pas intéressée.
Ce qui m'a plu ? L'histoire de famille dans la première partie que je trouve bien écrite. Dans la seconde, l'évocation du passé de Collot : il faisait du théâtre, montait du Shakespeare tandis que Corentin s'occupait des décors et des costumes, et l'évocation de leurs liens étroits pendant les prémices de la Révolutions. Oui, cela j'aime bien !
J'imagine très bien ce roman adapté au cinéma.
Je ne rejette pas l'auteur. J'ai envie de lire Vies minuscules.
Lina
J'ai la curiosité de lire d'autres livres de cet auteur. J'ai été déçue par le thème du livre, pas de véritable lien avec l'art à mon avis. La première partie est très compliquée, on est perdu. Peut-être faut-il lire ce livre avec un autre état d'esprit, pas d'un côté artistique. J'ai trouvé que certains passages du livre étaient très beaux, un certain lyrisme. J'ai été déçue par l'histoire, je ne l'ai pas fini, lu jusqu'à la moitié. Je ne le finirais pas mais j'en lirais d'autres de cet auteur.
Monique M
J'ai eu moi aussi du mal avec la première partie du livre que j'ai dû relire plusieurs fois pour comprendre ; depuis, après avoir lu le livre, je l'ai relue avec délectation. Cette introduction marque le temps d'avant, celui d'avant la Terreur. Elle oppose la douceur, l'élégance des fresques décoratives de Tiepolo, la présence de la monarchie inscrite dans le temps depuis des siècles, à la violence à venir.
Pierre Michon nous raconte une histoire truffée de faits réels ou imaginaires qui s'inscrivent dans la grande Histoire. J'ai été impressionnée par l'érudition, le style, la puissance imaginative de l'auteur ; cette façon qu'il a de situer, contextualiser dans l'époque, la vie de Corentin, peintre imaginaire des Onze, et celle des personnages du tableau. Par la magie du texte, ces personnages descendent du tableau, s'animent, déploient leurs stratagèmes, leurs antagonismes, leurs ambitions. On les voit. Ils sont proches tout en restant de leur temps, de leurs mœurs, de leur époque. On entre dans le jeu de l'auteur, on est happé par le texte. C'est prenant, fascinant.
Nous vivons cette histoire comme si nous y étions. On côtoie à la fois Tiepolo et les acteurs de la Terreur ; Colbert et Louvois, avec le grand père qui a fait fortune dans les grands travaux des fleuves et canaux, où les bataillons de Limousins font le gros œuvre ; on évoque aussi Richelieu, le cordonnier Simon, bourreau et bouffon du petit Louis XVII au Temple ; on est à la fois au Louvre et dans la France profonde. Rien n'échappe à l'auteur, c'est romancé, extrapolé, mais très bien documenté. C'est une échappée dans l'Histoire comme j'aimerai en vivre plus souvent dans les livres.
Tout est vivant, documenté, imagé :
On court avec Corentin dans les jardins de son enfance, à Combleux, sur les rives de la Loire, où il vit dans les jupes de sa mère, tout en tentant d'échapper à cette femme toute de douceur, de blondeur, de féminité et d'amour fou pour l'enfant adulé qu'il a été.
On ressent (p. 72, 73,74) la grande compassion de l'auteur pour les Limousins, ces ouvriers bâtisseurs du canal de Montargis à Orléans, corvéables à merci, tels à l'époque, les prisonniers des galères du roi ou les nègres d'Amérique ; avec comme le dit l'auteur : "
leur misère faite de trop de désir et si peu de justice".
On sent ce décalage entre les deux mondes dans ce passage où les Limousins curent le canal et où l'enfant est sur la rive avec sa mère, l'auteur imagine un échange d'une intense volupté entre la mère dont le regard se pose sur un jeune Limousin plein d'ardeur qui s'enflamme à la vue de cette apparition de blondeur. Pierre Michon peint avec une grande subtilité les émotions des deux protagonistes qui se rencontrent un instant et aussitôt se détournent, enfermés dans leurs conditions respectives.
La visite (p. 78) des trois sans-culotte la nuit du 15 nivôse au domicile de Corentin est également très évocatrice. Convoqué à la section, il porte sa houppelande couleur de fumée d'enfer, il marche avec eux dans la nuit glaciale, il gèle à pierre fendre, les étoiles claires brillaient dans la nuit noire. Ils atteignent l'église St Nicolas où se trouve la section, elle est transformée pour partie en écurie, la sacristie en taverne ; à l'entrée les cloches ont été descendues pour être fondues… Corentin entre, attend le bon vouloir des jacobins qui passent commande du tableau… On revit ce qu'on imagine aurait pu être l'Histoire.
On sent le regard ironique de Michon sur la Terreur (p. 94) "
ces gens ont des excuses Monsieur… Ils dormaient trois heures par nuit depuis 4 ans et travaillaient somnambuliquement à la félicité du genre humain".
Et (p. 112) : "
Un tableau comme un joker : Mise à mort ou apothéose de Robespierre Onze tigres altérés de sang ou onze Représentants magnanimes". Et plus loin : "Onze loups partis glapir avec leur meute".
Intéressant le parallèle entre Collot, le bourreau de Lyon, et Macbeth, entre de la plaine des Brotteaux et la lande de Macbeth.
L'acmé de l'affabulation du récit est peut-être la visite de Michelet à St Nicolas. Un Michelet que Michon imagine arrivant à la tombée de la nuit, "
homme pale et frémissant, aux cheveux prématurément blancs, entrant (lui aussi) avec un effet de houppelande dans cette sacristie dont décidément nous ne pouvons sortir".
Et cette fin flamboyante où les Onze deviennent : "
onze formes semblables à des chevaux, onze créateurs d'effroi et d'emportement comme en ont sculptés les Assyriens de Ninive dans les chasses équestres, onze formes galopant vers les damnés que nous sommes"
Cette galopade de chevaux cabrés, que Michon fait aller de L'Apocalypse de St Jean à Lascaux, où ils sont peints sur les murs des cavernes, cette galopade de l'Histoire, est à l'image de ce grand souffle qu'imprime Michon dans ce livre fascinant, jouissif, au vocabulaire savant ,précis, recherché, qui retrace de façon vibrante, fantaisiste, imagée, un morceau de notre Histoire, un morceau de l'âme humaine qui comme celle de Collot, "porte en elle la main tendue et le meurtre, la table hospitalière et la plaine de Brotteaux, Nivôse et avril dans le même homme".
Françoise H
C'est un livre très touffu, complexe, ardu à lire. Une première lecture "en soupirant" et une seconde "par bout". J'ai eu la nécessité de "reculer" pour mieux voir ; on a besoin de la fin pour connaître et comprendre le chemin qu'il nous faut mener. Le livre allie le souffle épique de la révolution (scène de l'église : fébrilité et tension) et les origines de la révolution avec ses hommes frustrés envers le clergé et les nobles (scène du regard du limousin posé sur la femme). Il n'y a que la fiction qui peut rendre compte de la réalité, de ce que fut notre passé, de donner de l'incarnation à des idées.
Nathalie B
C'est ma deuxième lecture de ce roman que j'avais présenté lors du speedbooking. J'avoue que le début avait été difficile. Je n'arrivais pas à savoir qui parlait, de qui il parlait (ce il ?), à qui le narrateur était censé parler. Donc ce fut très déroutant. D'ailleurs, je m'y suis reprise à plusieurs fois. Je me suis accrochée parce que j'ai entendu parler pour la première fois de cet auteur par Henri BAUCHAU dont j'ai souvent parlé ici. Il l'estimait beaucoup. J'ai donc poursuivi. Et une fois qu'enfin j'ai réussi à y entrer, j'ai été subjuguée. Personnellement, bien que ce tableau n'existe pas, il existe pour moi. Je le vois, ce tableau représentant les onze membres du Comité de salut public. Je sens l'époque. Je suis dans l'église qui sert d'écurie où il a été peint. Je sens même la peinture. Je ne comprends pas que pour certaines, il n'ait pas été vu le rapport à l'art. Nous voyons sous nos yeux comment se compose un tableau qui comporte plusieurs personnes. Au temps d'une période trouble. Nous parlons d'art mais chaque fois qu'un tableau est peint, le peintre ne se dit pas "je fais de l'art". En tout cas, ce n'est pas ce qu'il pensait à cette époque. C'était un artisan à qui on commandait une œuvre, qui devait respecter un certain nombre de critères. Et qui ne sait pas comment cette période pour le moins houleuse de l'Histoire va se finir. D'autant que peindre un tableau pouvait prendre plusieurs années. Goya dont je vous ai parlé a eu le même problème à une époque où il peint la famille royale. La deuxième lecture pour notre rencontre a été encore plus fascinante. Il fait partie de ces livres où l'on découvre chaque fois d'avantage à sa relecture.
Marguerite (avis transmis)
Le Grand prix de l'Académie salue en 2009 ce récit de Pierre Michon, ce qui n'est pas rien, et mon libraire frétille de bonheur lorsque je lui commande le livre. Que ne ferai-je pour Pierre Michon, me dit-elle, aller jusqu'à en conserver sans les vendre des exemplaires dans mes étagères, tant il excelle ! Ah fort bien ! Je ne connais pas cet écrivain et me réjouis donc. De la belle littérature pensé-je. Hélas, trois fois hélas, le frétillement aura peu duré tant j'ai peu aimé ce livre.
Mais avant d'évoquer mes goûts et mes dégoûts, je salue une fiction dans les règles les plus classiques de l'art et le pari si difficile pour la littérature d'aborder la peinture. Surtout lorsque ni le peintre, Corentin, ni l'œuvre - un portrait des onze parricides de la royauté française, membre du Comité de sûreté générale reconduits de mois en mois - n'ont existé. L'un et l'autre sont pure fiction.
Le récit s'ouvre tout entier sur une absence. Un manque, un creux de l'histoire que l'auteur entend réparer. Ce vide au panthéon de la peinture française concerne le portrait de ces hommes qui ont pourtant consacré le palais royal, musée national et propriété collective des ci-devant citoyens. 1793 est l'année croisée de l'institution de la Terreur, de l'inauguration du Musée du Louvre et de l'exécution de Louis XVI et Marie Antoinette. Donner à voir en littérature ce qui n'a jamais été ni commandé, ni peint est une proposition audacieuse et puissante. D'autant que cette peinture, bien plus encore qu'une peinture d'histoire représenterait l'Histoire. Les onze, selon l'auteur seraient "
l'Histoire (…) dans l'effroi, car l'Histoire est une pure Terreur." Portraiturer l'Histoire, rien de moins.
Pour tenir le défi de la fiction, pour suspendre notre légendaire méfiance et croire ce que l'on nous raconte, l'auteur va donc fortement l'arrimer au vraisemblable, l'accrocher à ce que de l'histoire nous paraîtra relever du réel. Nous aurons d'abord la filiation du peintre et le sang et les viscères de sa généalogie : alors la glaise, la boue des rives de la Loire où s'engloutissent les corps des Limousins qui la creusent et s'y enfoncent. Une plèbe au travail… Puis viennent l'opiniâtreté et la farouche détermination du père de Corentin. A grand peine extrait de ses racines fangeuses par un latin auquel il s'essaye, plutôt bien d'ailleurs, mais hélas un latin qui parlera si peu à son sang qu'il sera piètre homme de lettres, le bougre. Une naissance, ça ne s'invente pas, et lui n'a pas de nom. Nous aurons alors la rencontre avec le ventre fécond des femmes un peu nées, un peu nobles, ceci fera mieux l'affaire et voilà père et mère prolongés par un marmouset entrelardé dans des jupons bavards qui vont "
le tuer d'amour". Naissance du grand homme. Il sera mis sous les ordres du grand David, qui d'ailleurs ira dans ces pages jusqu'à le craindre…,Puis viendra une biographie de ce peintre majeur, suivi d'un portrait au vitriol de chacun des Onze. Sous le vent et la froidure de nivôse, nous irons avec Corentin dans l'église hennissante, remisée en écurie et de l'écurie aux stalles, où le narrateur hallucinera dans l'œil des chevaux une galerie des trognes des ci-devant gardiens du Comité de sûreté générale : là, surgit la commande qui n'eut jamais lieu. Le regard en fulgurance des sanguinaires.
Ancré solidement au temps, la fiction est chevillée de surcroît à ce moment où le monde bascule, où "
Dieu changeait de nid en quelque sorte", magnifique formule. Mais des lumières d'une écriture rutilantes, naquirent aussi des "ratés" de la plume, dixit chacun des onze. Le bal des ratés est ouvert par le père du peintre. Les belles pages sur ce qu'était l'écrivain des Lumières ("une puissante machine à augmenter le bonheur des hommes… même s'ils avaient la pénible certitude d'être une taupe sortant le nez d'une cour de cave.") ne seront qu'un préambule à un écrasant dédain - "Car s'il arrive que les Limousins choisissent les lettres, elles ne choisissent pas les Limousins."
"Les onze" ratés de l'écriture suivent, pauvres et médiocres en poésie, en théâtre, en histoire. Ainsi, les frustrés de l'Art produiraient les plus grands sanguinaires : "
Et ils sont surpris peut-être que la Gloire leur soit venue par ce biais ; surpris que le métier d'homme soit commissaire - et non pas auteur". L'un fait couler la sensibilité pour "un public de basalte", Robespierre, "on ne (le) commente pas", il passe ainsi à la trappe, un autre enfin, serait "quelque chose comme un second Molière." L'argument est si usé ! Il est aussi de sinistre mémoire pour oser s'en servir davantage. Le pari ardu de combler l'absence d'une petite histoire dans la grande contraint l'écrivain à traiter d'un temps si politique qu'il nous échappe encore, et si sanglant qu'il nous aveugle, toujours.
C'est ici que je craque, face à ce qui me semble être autant d'images d'Épinal qui auraient besoin d'une plume plus trempée pour les décrasser et non pour les enfoncer définitivement dans ma cervelle. Et bien pire que les lieux communs, il y a un tel mépris qui se dégage de ces pages, un mépris ciselé dans l'écriture. Quelques exemples, allez : "
Il avait eu dans la fille à sang bleu la satisfaction irrévocable, la trace exultante en forme de petite fille", ce pauvre Corentin la marche "sceau d'infamie ou de noblesse comme on voudra", pour qui les désinences latines ne seront jamais celles de Monseigneur le Dauphin de France. Pour lui, elles seront "le triomphe magistral de ce qui est, et la négation de lui-même, qui n'est pas." Et plus loin encore "ce que par courtoisie on appelle une femme". Il y a encore, "Le beau couteau de saint Just", les fatras de gueux, les jeux d'osselets humains des hommes de la terreur par cette nuit de Nivôse, anthropophages politiques de bas étage, et ce que le peintre Corentin "se sentait prêt à expédier en deux jours quelque mégère Fraternité et Égalité". Cette église de nivôse enfin, "ce vaisseau vide" et enfin cette commande formulée comme un trophée de "saints, des tyrans, des larrons, de princes…", bref, tout ce qui précisément était sensé avoir été renversé. Une Terreur qui devient au fil des pages une palpitation organique, ornée d'oripeaux et des concepts politiques qui tintinnabulent comme des clochettes accrochées au chapeau des bouffons, c'en est trop.
Si la seule intrigue tient dans cette fausse adresse d'un narrateur surplombant l'histoire avec Michelet, vers un "Monsieur" qui pourrait être, vous, moi, qui sais-je, pauvre lecteur, là, j'abandonne.
Enfin pour ce qu'il en est de vouloir faire de la littérature sur la peinture, et à propos de Léonard de Vinci, le philosophe Darriulat évoquait sur France Culture, récemment, ce fait : Simonie (premier héros à avoir chanté les hommes), poète de l'antiquité, voulait que "
la peinture soit une poésie muette et la poésie une peinture parlante". Cela déplut à Léonard qui trouvait la peinture supérieure à la poésie. Il tourna alors la formule : "la poésie est une peinture aveugle et la peinture elle, elle ouvre les yeux."
Alors que dire d'une poésie qui bavarde à propos d'une peinture qui n'existe pas ?

Pour mémoire : nous avions choisi pendant l'été de lire
DES LIVRES AYANT POUR THÈME L'ART


L'art ? Quel que soit le domaine.
Les livres ? Quel que soit leur genre (le roman bien sûr, la biographie, l'autobiographie, l'essai littéraire, la BD, etc.)
Le nombre de livres présentés ? Sans limitation, du moment qu’on tient pour en parler dans le temps fixé...
La présentation ? Qui donne envie de découvrir le livre, voire de le programmer, ou au contraire qui permet de dire "un de moins à lire"...

Voici trois exemples de livres de ce type, présentés lors de notre speedbooking en 2018 :
- par Ana-Cristina : Mémoire des cellules de Marc Agron
- par Fanny : Dans l'attente de toi d'Alexis Jenni
- par Geneviève : Le fracas du temps de Julian Barnes.

Et voilà des livres que nous avons lus dans le passé qui entrent dans cet ensemble (donc de préférence à ne pas choisir...) :
- La carte et le territoire de Michel Houellebecq (lu en 2019)
- Être ici est une splendeur de Marie Darrieussecq (2017)
- La raconteuse de films de Hernán Rivera Letelier (2016)
- Autoportrait (à l'étranger) de Jean-Philippe Toussaint (2014)
- Autobiographie d’Alice Toklas de Gertrude Stein (2012)
- Les couleurs de nos souvenirs de Michel Pastoureau (2010)
- Maîtres et serviteurs de Pierre Michon (2008)
- Danseur de Colum McCann (2007)
- Passagère du silence de Fabienne Verdier (2006)
- Un artiste du monde flottant de Kazuo Ishiguro (2004)
- Narcisse et Goldmund de Hermann Hesse (2004)
- Comédien de Pierre Charras (2003)
- La jeune fille à la perle de Tracy Chevalier (2002)
- La demande de Michèle Desbordes (2000)
- Lettres à son frère Théo de Vincent Van Gogh (1997)
- Maîtres anciens de Thomas Bernhard (1991)

Un rappel de "formules d’été" passées :
-
un livre particulièrement volumineux : Le quatuor d'Alexandrie de Lawrence Durrell (1050 p.), Vie et destin de Grossman (1170 p.)
-
un auteur dont on lit plusieurs livres au choix : Mishima, Klaus Mann
- des livres d'un pays : la Chine continentale
-
un groupe d'écrivains : au choix parmi les auteurs du groupe de Bloomsbury
-
une collection : au choix des ouvrages de la collection "Terre Humaine"

Un thème unissant les livres lus est donc une première !

 


Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :

à la folie - beaucoup- moyennement - un peu - pas du tout
grand ouvert -
¾ ouvert - à moitié - ouvert  ¼ - fermé !

 

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