Quatrième de couverture : Dans un petit village abandonné de la "zone grise", coincé entre armée ukrainienne et séparatistes prorusses, vivent deux laissés-pour-compte: Sergueïtch et Pachka. Désormais seuls habitants de ce no mans land, ces ennemis denfance sont obligés de coopérer pour ne pas sombrer, et cela malgré des points de vue divergents vis-à-vis du conflit. Aux conditions de vie rudimentaires sajoute la monotonie des journées dhiver, animées, pour Sergueïtch, de rêves visionnaires et de souvenirs. Apiculteur dévoué, il croit au pouvoir bénéfique de ses abeilles qui autrefois attirait des clients venus de loin pour dormir sur ses ruches lors de séances d"apithérapie". Le printemps venu, Sergueïtch décide de leur chercher un endroit plus calme. Ayant chargé ses six ruches sur la remorque de sa vieille Tchetviorka, le voilà qui part a` laventure. Mais même au milieu des douces prairies fleuries de lUkraine de louest et du silence des montagnes de Crimée, lil de Moscou reste grand ouvert
Quatrième de couverture : Si Victor Zolotarev adopte un pingouin au zoo de Kiev en faillite, cest pour couler avec lui des jours paisibles. Mais nourrir deux personnes nest pas une mince affaire pour un écrivain, dans un pays déboulonné. Heureusement la providence sous les traits dun affable rédacteur en chef apporte une solution étrange et alléchante: rédiger pour un grand quotidien des notices nécrologiques de personnalités encore en vie. Boulot tranquille et lucratif, jusquau jour où sa prose se met à avoir des effets inattendus Un tableau impitoyable de lex-Union soviétique. |
Andreï Kourkov
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cotes d'amour parisiennes, bretonnes et espagnoles
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Le
Pingouin
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Les abeilles grises |
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Le pingouin
: Brigitte,
Cindy,
Édith,
Marie-Odile,
Marie-Thé,
Suzanne, Sylvie Cindy
ÉdithChantalJeanYolaine
|
Le but de la programmation d'Andreï Kourkov était
d'abord, semble-t-il, de mieux connaître l'Ukraine à travers
sa littérature. Mission parfaitement réussie, car cet auteur
s'engage pour son pays. Il nous offre avec ces deux romans son témoignage
à 23 ans de distance sur deux périodes très différentes,
bien que notre échange ait davantage fait état de ressemblances
que de divergences. La pression des événements actuels en
est sans nul doute la cause.
Le pingouin, publié en 1996, nous ramène à
l'atmosphère oppressante de l'ère post-soviétique,
la chute du mur ayant eu pour conséquence une terrible aggravation
de la corruption. Moins longue et moins éprouvante que l'histoire
des abeilles, la lecture du pingouin a recueilli l'adhésion générale,
malgré quelques bémols. Cet animal solitaire, qui a perdu
sa communauté lors de la fermeture du zoo, à l'instar du
héros principal, Victor, qui a du mal à trouver sa place
dans la société ukrainienne après la chute du communisme,
est un peu son double dans cette espèce de roman policier mêlé
de fantastique et d'un soupçon de burlesque. La description du
mal de vivre, du silence imposé et de la surveillance généralisée
typique de la guerre froide a suggéré un parallèle
avec les récits de Milan Kundera, bien que dans un style très
différent.
Avec Les abeilles grises (2019), nous franchissons une étape
et passons à la guerre chaude. Quatre d'entre nous sont venus à
bout de cette épreuve, et ont salué la qualité de
ce récit, fiction tout aussi terrible que la réalité.
Il reste que la juxtaposition de ces deux livres nous éclaire sur
l'impossibilité d'un retour en arrière.
Kourkov reste pudique et refuse de mettre des étiquettes sur les
intervenants de la zone grise. Il ne nous dit pas clairement que la région
a été entièrement saccagée, et que c'est probablement
pour cette raison que Vitalina n'a pas eu le cur de rester avec
Sergueïtch. Il faut attendre la fin du récit pour apprendre
que le cadavre que Sergueïtch aperçoit de son jardin est un
soldat ukrainien. Son attachement et sa fidélité à
sa terre natale, son expédition pour enfouir et protéger
le soldat mort au péril de sa vie, son intervention pour changer
les noms de rue (il préfère habiter rue Chevtchenko, nom
d'un poète ukrainien, plutôt que rue Lénine) constituent
autant de preuves discrètes de son héroïsme ordinaire.
Son double et sa référence animale, ce sont ses essaims
d'abeilles, qui ont absolument besoin de la paix pour survivre et faire
leur miel.
Pour lutter contre cette ambiance plombée, supporter les contrôles
incessants dans sa vie privée comme aux frontières géographiques
à la fois mouvantes et dangereuses de son pays, affronter la peur
des autres et de la mort, il reste le rêve, l'humour, le courage
et la solidarité. Un peu d'alcool aussi, ça aide.
Le reproche a été fait d'une écriture trop simple,
provoquant ennui et banalité. Mais comme l'observe Chantal, c'est
la vie en vrai, une vie de pénuries, de souffrances, réduite
à l'essentiel, c'est à dire à la survie, qui donne
un prix terrible à une tasse de thé, une bougie ou un seau
de charbon. Cette écriture lente et dépouillée, mais
qui imprime en nous des images quasi cinématographiques, nous fait
sentir tout le poids de la solitude ou du silence de la guerre.
Mais Andreï Kourkov, comme ses personnages, reste positif et optimiste
dans cette tourmente. Il ne faut donc pas avoir peur de le lire.
Brigitte T (Le pingouin)
Tout d'abord, j'ai eu l'impression de lire un scénario ; ce qui
a pu me lasser dans la première partie du livre. Les personnages
et les actions, les atmosphères sont souvent finement décrites ;
des scènes s'éternisent, se renouvellent notamment avec
le pingouin et avec Sonia, la fillette. Je m'en lasse. Lors de ma lecture,
je cherche sans doute trop vite à faire un lien entre ce roman
et l'invasion actuelle de l'Ukraine par les Russes et toute sa violence.
Mais l'intérêt s'installe : est-ce que ces rituels ne rassurent
pas Victor dans cette jeune Ukraine post-soviétique des années
95, dans ce pays qui souffre d'une grave crise politique et économique,
dans cette démocratie empreinte de russification ? À
défaut de sauver les personnes dont Victor dresse les nécrologies
avant leurs décès ("les petites croix") pour gagner
sa vie, il veut farouchement sauver sa propre vie. Victor veut continuer
"à tourner le
dos à tout ce qui arrivait ; pour que cela lui demeure inconnu,
en dehors de sa vie, en dehors de lui-même" p. 107,
mais il n'y parvient pas. Dans ce contexte politique est-ce possible ?
Au fil des pages, Victor traîne sa dépression et celle de
son pingouin. Ils se ressemblent et tout deux suivent leur chemin vers
l'avenir : ??? La question se pose au fil des pages. Je retiens une
atmosphère glaçante : le froid, la peur, la violence,
le crime, la corruption, la délation, la mort qui rôde. Pour
moi, des moments de lecture en "apnée". J'ai toujours
en arrière-pensée les massacres actuels, les images qui
nous sont livrées. Je ne peux m'empêcher de faire un lien
avec un entretien récent de Kourkov au salon du livre de Paris
qui dit : "La guerre
en Ukraine c'est un combat entre le passé et l'avenir, et l'avenir
ne peut pas perdre". Dans ce livre, Victor ne peut pas
et ne veut pas perdre le combat et trace difficilement le chemin vers
son avenir. Pas simple !
Des phrases choc : "Une
vie laide vaut mieux qu'une belle mort" p. 121,
"La vie ne mérite
pas qu'on tremble pour elle." p. 54.
Est-ce un discours de mercenaire plus que celle d'un citoyen qui veut
construire une famille et qui a des valeurs humanistes en référence
à l'accueil et à l'adoption de la fillette, ainsi qu'à
son accompagnement dans la maladie du scientifique du zoo ? Il déambule
avec Sonia et Nina en quête d'illusion. Il faut tenir : "du
moment qu'il était dans l'attelage, il devait tenir jusqu'au bout"
p. 140 ; l'amour sa gagne-t-il ?
J'ai envie de lui chanter : "il
est où le bonheur, il est où ?"
Ouf, ai-je pensé ! Le printemps arrive et les moments burlesques
réchauffent l'atmosphère oppressante du roman, avec par
exemple le pingouin et son costume noir et blanc tout prêt pour
les enterrements.
La chute est imprévisible : Victor fuit la mafia et prend la place
du pingouin direction l'Antarctique.
C'est quoi alors sa vie d'émigré ? C'est ça
l'avenir ? Que deviennent ceux qu'il a aimés et laissés
derrière lui ? Sujets ô combien sensibles actuellement
dans ce conflit qui me heurte.
Marie-Odile (Le pingouin)
Beaucoup de questions dans la première partie : que signifie la
présence glaciale silencieuse et permanente de ce pingouin, puis
sa fonction aux enterrements ? Comme Victor, je n'ai pas bien compris
(bien que pressenti) son rôle de nécrologue dans ces morts
"programmées". C'est un homme qui ne comprend pas ce
qui lui arrive, ni les courriers déposés mystérieusement,
ni l'invitation à l'enterrement ; mais il y répond
avec une certaine naïveté et sans doute la conscience qu'il
n'a pas le choix.
Je dois dire qu'au fur et à mesure de ma lecture, lorsqu'on bascule
dans le "film d'épouvante", l'ennui a disparu et j'ai
eu hâte de connaître la suite. La fin confirme que tout est
imbriqué, qu'il n'y a pas possibilité d'échapper
au système et que l'issue est fatale.
Je trouve que d'une certaine manière ce récit fonctionne
comme un récit fantastique : un personnage un peu désociabilisé
met le doigt dans un engrenage, se trouve confronté à des
faits étranges (courriers et paquets trouvés dans l'appartement).
Il accepte un argent facile (qui lui arrive par Sonia ou le pingouin),
mais il lui faudra un jour payer la note. Cependant, ici rien n'est surnaturel.
Pour moi ce texte présente surtout un intérêt documentaire :
reflet d'une Ukraine corrompue jusque dans l'accès aux soins (pour
vivre encore trois mois, il faut donner son appartement au médecin !),
le trafic d'armes. On y découvre les nostalgiques du soviétisme,
la précarité de la vie, l'importance des denrées
alimentaires, l'atmosphère oppressante du système où
il faut se méfier de tous les pièges etc. J'ouvre à
moitié.
Marie-Odile (Les abeilles grises)
Si j'avais lu ce roman avant Le Pingouin, j'en aurais sans doute
terminé la lecture. Mais je n'ai pas persévéré
malgré la résonance de ce texte avec l'actualité
(l'Ukraine est présentée à la TV comme un instrument
avec lequel "ils veulent rayer la Russie de la carte politique du
monde").
Mais j'ai retrouvé une progression lente, une atmosphère
pesante, des gestes répétitifs (le charbon dans le poêle),
des remarques banales "La
mémoire peu à peu s'efface, les photographies elles restent".
Et j'ai abandonné honteusement malgré l'intérêt
suscité par le sujet, malgré le bourdonnement des ruches...
J'ai ouvert ¼ des pages environ...
Chantal (Les abeilles grises)
J'ai adoré ! Pourquoi ?
J'ai d'abord noté des fautes de traduction ou d'impression ? Exemple
: "mais es-tu allé de te faire enregistrer ?"
et quelques trucs comme ça ; je corrige un manuscrit en ce moment
et cela me saute aux yeux. Mais ça n'enlève rien à
mon plaisir de lecture.
Grande résonance en moi... Sergueïtch, je le vois... mon père,
son souffle court, sa toux de silicose, ancien mineur... ses 8 ruches,
le soin des abeilles qu'il faut nourrir l'hiver avec du sucre candi, qu'il
faut protéger des bostryches. Les gestes pour extraire le miel...
j'ai tout revu ! Et la vie lente en hiver, la routine quotidienne, l'obsession
de ne pas laisser le feu s'éteindre... : c'est toute mon enfance.
Le style est simple, les descriptions hyper détaillées,
mais non ce n'est jamais ch... absolument pas de la littérature
"de gare " comme le sous-entend Marie-Odile ! C'est la
vie, en vrai !
J'ai aimé la relation entre Sergueïtch et Pachka, amis--ennemis
d'enfance, avec une relation ambivalente : méfiance. Pachka
est-il le skipper ? Lui qui est approvisionné par les séparatistes ?
Mais aussi attachement, amitié ? Chacun s'inquiète
des absences de l'autre... peur de rester seul...
J'ai aimé la subtilité de Kourkov pour nous balader sans
cesse entre la paix bienfaisante de ce paysage ensoleillé rempli
de chants d'oiseaux et du bourdonnement des abeilles... et la menace de
la guerre jamais loin... bruit des bombardements, les morts.. Le quotidien
aux gestes paisibles, et brusquement l'inquiétude, jamais on ne
peut être complètement tranquille et pourtant on aimerait
tellement !
Et là, on se retrouve dans le Donbass de maintenant !
Quelques passages plus légers ? Ouf... les séances du gouverneur
allongé sur les ruches et ses chaussures de luxe ridicules mais
conservées religieusement...
Le miel antialcoolique !...
Les relations éphémères avec les femmes, son ex Vitalina,
Dalia, Aysilu tatar, amicales, presque tendres, promesses d'avenir meilleur,
mais non... l'amour de sa patrie, sa terre natale, sa zone grise, l'emportera.
Il rentre chez lui.
Le symbole de la grenade - cadeau ukrainien - qu'il fait sauter pour détruire
la ruche contenant les abeilles grises qui ont séjourné
chez les Russes et peut-être empoisonnées... il est certes
pro-ukrainien.
J'ai aimé ce voyage que l'auteur m'a permis de faire, dans son
pays déchiré, dans mon enfance aussi lointaine que... la
paix !
Voilà : ouvert en grand !
Marie-Thé (Le pingouin)
J'ouvre ce livre à moitié. Comment dire, j'ai un avis mitigé...
Ce livre, que j'avais trouvé à sa sortie drôle et
caustique, m'apparaît aujourd'hui très sombre et pas drôle
du tout. Atmosphère angoissante, suffocante, très bien rendue ;
zones d'ombre habitées par des personnages menaçants, danger
un peu partout. Tout ceci contraste tout de même avec la naïveté
de Victor. Je suis effarée par tant de violence, de corruption,
de règlements de compte.
Par ailleurs, l'actualité apporte une résonance particulière
à ces pages...
Si j'ai quelques réserves, c'est en partie à cause du côté
très répétitif de ce texte, des descriptions à
n'en pas finir d'un quotidien banal (combien de thés, de cafés,
de repas préparés par exemple...). Mais quel contraste,
je reconnais, avec l'intensité de ce qui se déroule dans
l'ombre. Situations rocambolesques mais tragiques aussi : incendie
de l'appartement de Pidpaly, aventures du pingouin, de sa présence
aux funérailles à sa greffe cardiaque, et surtout pour Victor
"le choc que lui avait
causé la lecture de sa propre petite croix. "
Je note encore cette infinie tristesse, si présente, même
l'amour avec Nina est triste. Où sont les sentiments d'ailleurs ?
Qu'éprouve Victor pour Sonia ? Pour Micha ? Au passage,
je lis ceci, à propos des membres de sa famille : "on
les aide (...), mais les sentiments et les émotions sont secondaires,
facultatifs. On souhaite juste que tout aille bien pour eux".
Je reviens au pingouin, même s'il est au cur du livre, sa
présence me dérange, il m'attire peu de sympathie et il
me fait pitié. Et puis, tout ça se termine un peu en queue
de... pingouin (ceux que ça intéresseraient, dont je ne
fais pas partie, liront Les
pingouins n'ont jamais froid).
À présent, je vais me tourner vers Les abeilles...
Marie-Thé (Les abeilles grises)
J'ouvre ce livre aux ¾. C'était pourtant mal parti pour
moi : d'ailleurs, arrivée page 136, je notais : ennui et banalité
à longueur de temps, pour les deux "amis-ennemis" et
pour le lecteur. Et que c'est répétitif !
Et puis, je me suis laissé embarquer. J'ai été captivée
par cette vie en zone grise, à la limite de l'oisiveté,
avec des personnages qui ne se laissent pas abattre, et que j'ai trouvés
finalement apaisés et apaisants. Je note même ceci, à
propos de Sergueïtch : "Il
était à présent tout à lui."
Je retiens l'attachement à la terre natale, se manifestant aussi
tout au long du périple qu'effectue Sergueïtch loin de chez
lui, jusqu'en Crimée où sa maison est : "tout
le monde environnant, avec ses montagnes, ses arbres, ses vignes, ses
oiseaux, ses hérissons et ses abeilles." "Je
suis là, donc mon village aussi !" Et après
une route semée de tant de bifurcations, de pistes possibles, le
retour au pays natal s'imposera, et là il retrouvera celui qui
est aussi attaché à la terre des origines que lui, "l'ami-ennemi
", le frère en quelque sorte : "Il
y a au moins quelqu'un qui m'attend. "
En suivant Sergueïtch dans ce long voyage avec ses abeilles, j'ai
été très sensible à la beauté des paysages
traversés, par cette Crimée où il semblerait bon
vivre. Mais en ces lieux, le pire côtoie le meilleur. Résonance
avec la situation du côté de l'Ukraine aujourd'hui. La famille
d'Ahtem est particulièrement éprouvée, entre autres.
Lors du passage de la frontière avec les abeilles au retour, la
tension est intense, l'atmosphère des plus oppressantes.
Pour moi, ce livre montre l'absurdité des tensions entre "peuples
frères", tensions entretenues par des mensonges de toutes
sortes, etc. Véhiculés par la télévision.
Édifiant...
J'ai souri en découvrant que le livre de Tolstoï servait à
abriter de l'argent, mais j'ai vu les choses autrement lorsque j'ai réalisé
que Guerre et paix traversait tout ce livre...
Traversait les paysages, les villages, les villes ; ainsi Albat la lumineuse,
où règnent douceur et bien-être, peut devenir Kouibychevo
l'obscure, où sévissent dureté et violence. Les abeilles,
qui peuvent apporter apaisement et même guérison à
qui dort sur les ruches, peuvent aussi devenir de terrifiants soldats
dans les rêves de Sergueïtch. Même s'il est dit que "que
les abeilles ne pouvaient pas passer de la paix à la guerre et
de la guerre à la paix, comme les humains."
Guerre et paix encore en Crimée : "ici
on est en sainte terre russe", exclusion des Tatars musulmans.
Etc., etc. Au fil des pages, je note encore cruauté et soupçons
chez les uns, générosité et confiance chez les autres.
Guerre et paix, toujours... L'évocation des funérailles
(différentes de celles décrites dans Le Pingouin),
est particulièrement éprouvante et Sergueïtch s'y sentira
"comme une abeille égarée
dans une ruche étrangère."
À noter encore, comme dans Le Pingouin, trafics en tout
genre, corruption, consommation impressionnante d'alcool. Même ressemblance
à l'évocation d'un amour sans amour, triste.
Émotion tout de même lors de l'appel de Vitalina, lors des
adieux à Ayse à la gare, et au moment de quitter Pachka
aussi... J'ai même rencontré quelques notes d'humour avec
les changements de noms de rues, avec l'évocation des cafés
parisiens, ou encore des sanatoriums, là où on trouve des
"maladies répondant
au profil de l'établissement."
Enfin, avec le mystère entourant les abeilles grises, je reste
sur ma faim : y a-t-il là arme biologique ? "Machin
électronique" pour surveillance ? "En
ce moment ils vident les coffres de tout le monde, ils cherchent quelque
chose", prévient Pachka. Comme pour Le Pingouin,
une suite nécessaire ? Peut-être ?...
J'ajouterai qu'en écoutant Andreï Kourkov à la radio,
je n'ai pu m'empêcher de faire des rapprochements avec le livre :
incertitude dans le temps et dans l'espace : "Avant-hier
encore je ne savais pas que je partirais aujourd'hui ! Et aujourd'hui
je ne sais pas où je serai demain
" Ou encore
évocation du voyage (ou plutôt de la fuite) de Kourkov, toujours
plus à l'Ouest, l'apiculteur aussi est en voyage
Force, apaisement,
espoir, ressentis dans l'entretien et dans le livre, même si le
gris prend beaucoup de place. Et puis, écriture et liberté
Nous sommes finalement loin de l'Ukraine "déboulonnée"
du pingouin.
Sylvie (Le pingouin)
On entre facilement dans ce livre qui nous happe dès le départ.
Les choses posées sont un peu mystérieuses, cet homme avec
son pingouin
On est entraîné par le contour flou du
contexte, de chaque chose, de chaque fait. On connaît peu le héros,
son métier, son passé, sa ville, sa vie sentimentale
Il n'a pas d'amis, fréquente peu de gens, vit dans un petit appartement.
Il trouve un travail mystérieux par le biais de gens qui le sont
tout autant. Il trouve de l'aide auprès d'un policier qu'il ne
connaît pas, juste son nom
Il en vient à s'occuper
d'une petite fille dont il ne sait rien
Kourkov nous brosse le portrait d'un pays où l'on ne pose pas de
questions, il ne faut pas. Rien n'est dit, la sentence peut être
terrible "quand tu sauras, il en sera fini de toi"
Il nous entraîne dans les méandres de la corruption, de la
surveillance et du contrôle politique, de ces malversations, de
ces trafics, sans pour autant les décrire. C'est par la partie
émergée qu'on en devine toute la part sombre. Nous sommes
plongés dans cet univers en sachant que c'est la vérité
et que c'est ce que vivent bien des gens. Cela prend tout son sens aujourd'hui
avec le conflit en Ukraine.
Au milieu de tout cela, le héros, écrivain raté dont
on ne connaît peu de choses, vit accompagné d'un pingouin
Un animal drôle, un oiseau à pattes, maladroit, un animal
sympathique, déprimé par son inadaptation à son milieu
de vie, affectueux, muet et attachant
quel décalage !
Cela devient presque drôle au milieu de cette ambiance ultra tendue
de peur du faux pas. Il est un peu comme son maître, il aimerait
être bien, mais son milieu ne lui convient pas et il doit composer
avec.
L'action, la construction de l'histoire, nous tiennent en haleine entre
ombre et lumière, entre amour/amitié et mort, entre bienveillance
et suicides organisés. Petit à petit, on entr'aperçoit
dans l'ombre la forme du monstre politique et corrompu à qui le
héros doit faire face. Et pour finir, le héros lui-même
découvre qu'il est un acteur dans tout ce système et il
y a toujours le pingouin
Le pingouin qui lui aussi devient un maillon
dans la chaîne
Ce livre n'est pas trépidant mais plutôt lent, il est écrit
d'une écriture simple, familière. Il se passe peu de choses
et on sent par le rythme que tout est empesé. Mais c'est ce qui
en fait sa force, car cela nous laisse deviner à quel point s'infiltre
la surveillance et les conséquences de la corruption dans le quotidien.
Il faut se faire oublier du pouvoir en place et donc renoncer à
beaucoup de choses. Ce livre je l'ouvre aux ¾. Je l'ai vraiment
beaucoup apprécié par son dénouement auquel je ne
m'attendais pas, par ce qu'il nous montre d'un système que nous
ne connaissons pas, par le détachement avec lequel Kourkov mène
l'histoire. Son humour décalé, un brin cynique, devient
très humain dans un monde complètement inhumain. C'est à
lire et je vais le partager.
Cindy (Le pingouin)
J'ouvre
en grand !
Un livre qui s'inscrit dans l'actualité, dans notre histoire européenne,
par conséquent cela est d'autant plus poignant, émouvant.
J'ai vécu un grand plaisir de lecture parce que je me suis immiscée
dans la vie de Sergueïtch et de son ami Pachka, en partageant leur
quotidien et en comprenant aussi, au fil des pages, les conditions de
vie de ce village exposé et tranquille à la fois. Et pourtant
"la guerre n'avait pas
fait naître chez Sergueïtch de peur pour sa vie. Elle avait
fait naître (
) une certaine incompréhension ainsi qu'une
brusque indifférence à tout ce qu'il entourait".
C'est aussi grâce à la "force" de l'écriture
de Kourkov qui, au travers de ses descriptions simples, limpides et d'une
vérité absolue m'a fait ressentir émotion, peur,
doute, inquiétude, angoisse
mais aussi joie, chaleur, lumière,
humanité.
Tout n'est pas gris et triste dans cet univers bouleversé par la
guerre : "Le gris peut-être
lumineux (
) je peux moi en distinguer une vingtaine de nuances".
Et tout n'est pas désordre : les petites flammes des bougies colorent
la vie à l'abri des besoins, le réveil et les pendules donnent
la marche du temps et apportent de l'ordre. Il y a aussi des événements
qui font sourire, avec la venue de visiteurs désireux dormir sur
le lit au-dessus des abeilles.
Une profonde humanité émane de la nature avec les abeilles.
Celles-ci structurent la vie de Sergueïtch tout en lui apportant
les plus beaux moments de vie (p. 258-259).
Il y a des conquêtes et des itinéraires dignes d'un roman
policier et d'aventures quand il part en Crimée, mais aussi de
la "résistance" avec le changement de plaques de rues.
C'est un livre lumineux, livre d'histoires : humaines, politique,
naturelle, d'amour. Histoire d'amour entre un homme et ses abeilles. Et
quelle belle leçon de vie !
J'ajoute un autre livre à ne pas manquer : Le
mage du Kremlin de Giuliano da Empoliet. FORMIDABLE !
Édith (Le pingouin)
Aucune difficulté à accepter la trame du roman :
- L'adoption d'un pingouin dès les premières lignes et le
climat de méfiance lié à une vie si peu intéressante,
Victor qui reçoit des pavés et ne réagit que par
une fuite contrôlée par peur et depuis son appartement il
entend un coup de feu
suivi de rien
et qui devient matière
à une nouvelle. - Coupure d'électricité, marasme
de l'écrivain sans inspiration, frugalité du quotidien :
je n'ai pas de difficulté à me représenter Victor
dans la ville de Kiev dans les années 2000. Ainsi, Micha le pingouin
et Victor l'écrivain, deux "dépendances réciproques
plus que d'amitié" qui vont, au cours du déroulé
rencontrer Igor Lvovitch le chef du journal puis Sergueï et Micha
(pas le pingouin !), Sonia la fille de Micha, Pidpaly le spécialiste
pingouin, Anna
J'ai aimé le style et les dialogues souvent, ironiques ou cyniques
et parfois humoristiques.
J'ai aimé l'histoire absurde et surréaliste de Victor, sa
naïveté sur fond de prudence inquiète, héritée
de la méfiance ambiante de l'époque dans laquelle est situé
le roman. La chute du roman - "le pingouin c'est moi" -
boucle l'aventure sur une note optimiste : Victor va échapper
à son suicide organisé, il est son pingouin !
Je ressens tout au long de la lecture le malaise de vivre de tous les
personnages, le silence obligé, les pages concernant le récit
du "pinguouinologue" et sa triste fin à l'hôpital,
le "dévouement" de Viktor allant jusqu'à l'incendie
de l'appartement de ce dernier par respect de sa parole, sans qu'aucune
enquête ne suive ce délit. J'ai vu tel un film, la sépulture
grotesque et dérisoire de Pidpaly. Est-ce de la générosité
qui a dirigé Victor ?
Dans ce roman, tout est déroutant. La relation de Victor avec Sonia,
la réception macabre des cendres de Sergueï, la relation avec
Anna la gamine qu'il couche dans son lit et le dévouement comme
"absent" de cette dernière. Tout pourrait être
comme ici en France et je ressens que tout est biaisé subtilement
grâce à l'écriture de Kourkov.
Ce roman est une métaphore. Joyeusement absurde et gênante
pour moi, assez tordue dans les situations qui s'enchaînent pour
me procurer un réel plaisir de lecture.
À aucun moment je n'ai lu sans avoir en tête la situation
de guerre actuelle. Cela rend évidente la nécessité
du peuple ukrainien d'avoir rejeté le système corrompu précédent
par les nouvelles élections
et la guerre le 24 février
2022. P. 273 est mentionné le 9 mai, date de la victoire russe
(on en parle beaucoup ces jours
). Et le 9 mai, c'est pour Victor
la date du départ de Micha le pingouin pour l'Antarctique !
Quelle moquerie ! Comme je l'ai écrit plus haut c'est Victor qui
s'échappe.
Quand je lis sans sourciller que Micha va devoir être greffé
du cur avec celui d'un enfant, je frémis mentalement car
je ne peux que penser à l'assassinat d'un petit (l'argent peut
tout). Il ne nous en est rien dit
adresse de l'auteur qui préfère
nous laisser imaginer la situation et qui nous reparle de Micha le pingouin
guéri
: le peu de prix de la vie des humains ?
L'argent facile, les voitures de luxe, le succès au jeu de Victor
au casino au moment de sa fuite, car il vient de comprendre le piège
dans lequel il s'est mis, tout renvoie au dérisoire de la vie de
chacun dont le seul but est de ne pas la perdre
J'ouvre en grand.
Jean (Les abeilles grises)
Entre fiction et réalités Lire le roman d'Andreï
Kourkov, Les abeilles grises, tout en suivant les événements
qui se déroulent en Ukraine, provoque de singuliers échos
entre nos imaginaires et nos représentations (croyances) sur "ce
qui se passe vraiment" dans l'invisible
de la situation. Le parallèle entre la fiction, et la réalité,
qui tente de briser l'irréalité du discours du Kremlin et
sa langue orwellienne, prend alors un sens universel pour comprendre la
guerre sans l'avoir subie.
La réalité, celle de Sergueïtch et Pachka Contexte
: Une maison située au milieu des lignes de front, un petit village
de la "zone grise", coincé entre les deux armées,
le petit village de Mala Starogradivka ne compte plus que deux habitants
entretiennent une relation complexe qui leur permet d'échapper
à la solitude. Sergueïtch, le héros du livre,
est apiculteur. Séparé de sa femme et de sa fille, il vit
seul avec ses abeilles. Sergueï n'imagine pas de vivre ailleurs que
chez lui, et vit dans l'attente du moment où la paix reviendra,
et celle du printemps qui lui permettra de sortir à nouveau ses
ruches. Il vit dans un monde de rêves visionnaires, de souvenirs
et avant tout, pour ses abeilles. Il croit en leur pouvoir bénéfique
et organise des séances de "thérapie curative"
pour qui veut retrouver le sommeil, couché sur une ruche. Pachka
son ami-ennemi, tisse des relations fructueuses avec ses amis séparatistes
qui le pourvoient en pain et en vodka. La canonnade retentit régulièrement
dans les environs.
L'Odyssée d'un apiculteur aux semelles de vent Ses six ruches
chargées sur la remorque de sa vieille Tchetviorka, Sergueïtch
part à l'aventure. Méditant sur la beauté de la nature,
sur la société idéale des abeilles, le candide apiculteur
mise sur son instinct pour éviter que son périple ne tourne
au fiasco avant d'atteindre la Crimée. Il aidera la famille musulmane
qui l'a accueilli, sauvera ainsi ses précieuses ruches avant de
revenir au bercail, dans sa "zone grise" devenue aujourd'hui
rouge sang. Avec lui on croise des vétérans de la guerre
et des agents des services de la sécurité russe et leur
surveillance étouffante.
En guerre Loin des sentiments guerriers de ceux qui ne font que
vivre la guerre en imaginaire, Andreï Kourkov révèle
ce que vivent vraiment les gens dans la guerre et les mécanismes
mentaux de résilience qui nous permettent de continuer à
vivre: Sergueïtch est frappé "d'une
brusque indifférence à tout ce qui l'entoure".
Car le silence de la guerre n'est pas celui de la paix : à force
de lassitude, le fracas des armes devient coutumier, et l'on se glisse
sous les ailes du silence, et de l'indicible. Pas de rêve de victoire,
de vainqueur, mais juste que victoire signifie la fin de la guerre
le reste on s'en fout !
Résumé et synthèse Cette fable drolatique
d'une odyssée à travers un pays en guerre, du Donbass à
la Crimée, est empreinte de douceur, de mélancolie, d'innocence
et de poésie, et de goût pour la nature. Il n'est ici question
que de sentiments et d'humanité. Elle ouvre des fenêtres
sur le vécu de la guerre au quotidien bien loin des stéréotypes
qui nous aveuglent tant que l'on n'en a pas fait l'expérience encore.
"Andreï Kourkov
pose un regard implacable sur la cruelle confusion de nos temps modernes
et l'aspiration d'un homme au cur tendre à la rationalité
de la nature." (Financial Times)
Le pingouin
: Annick
L, Brigitte, Catherine,
Claire, Etienne,
Fanny, Françoise, Geneviève,
Jacqueline, Laura,
Manuel, Monique,
Muriel, Nathalie,
Renée, Rozenn,
Séverine |
4 avis transmis,
3 à l'écran, 11 en direct
goûtant le patisson ukrainien et buvant du kwas... |
|
Séverine (avis transmis)
(Le pingouin)
J'avais ce roman dans ma bibliothèque et je l'avais lu il y a très
longtemps. Et l'avantage d'avoir une mémoire défaillante,
c'est que j'ai pu le relire avec plaisir, presque comme une découverte.
Petit à petit des bribes de l'histoire me sont toutefois revenues.
Je crois que j'avais été attirée par ce roman à
l'époque car ayant pour métier de rédiger, cette
histoire "d'écrivain" de nécro m'avait plu. "Écrivain"
car il essaie vraiment de faire ça bien avec un peu de poésie.
Ce que je n'ai pas pu faire dans les deux ou trois nécros que j'ai
eu à rédiger (mais après la mort des personnes !
sacrée différence !).
Je crois que ce qui me plaît dans ce roman, c'est cette ambiance
improbable qui m'a fait penser d'ailleurs au Tango
de Satan, cette sorte d'univers étrange dépouillé,
où on a l'impression qu'il n'y a rien
en tout cas pas grand-chose
à manger pour les humains, mais toujours du poisson pour le pingouin
! Le pingouin, parlons-en : il est là, on a l'impression que
c'est naturel, tout comme d'appeler un policier pour venir le garder !
Improbable ! Ou qu'une petite fille s'habitue à sa nouvelle famille
sans poser de questions (et qu'elle n'aille jamais à l'école !).
Je n'ai pas cherché à trouver une symbolique à ce
pingouin (mais les notes de Claire m'ont vendu
la mèche)
et je pense que ça fonctionne sans le sens caché de cet
animal.
Je trouve tous les personnages attachants. Ils sont tous seuls et finissent
petit à petit par ne faire qu'un : Victor, seul et qui adopte
un pingouin. La fillette sans famille et qui trouve Victor (et son pingouin)
et Nina qui va perdre son cousin et trouve et Victor et Sonia et le pingouin !
Ce roman m'a fait penser à Tous
les noms de José Saramago où, là aussi, un
personnage solitaire voit sa vie bousculée à cause de noms,
de morts, de gens célèbres dont il retrace l'histoire puisqu'il
travaille à l'État civil. Il y a un côté policier
un peu comme dans Le pingouin de Kourkov et le héros se
cherche aussi. Je vous conseille ce roman. Et en tout cas s'agissant du
Pingouin, je l'ouvre en grand car j'ai eu un vrai plaisir de lecture.
On m'a raconté une histoire avec tout ce qu'il faut dedans : du
suspens, de l'amour, de l'exotisme, du fantastique
Allez, j'arrête de parodier une vieille bande-annonce promo de film
de seconde zone car ce roman est loin d'en être un !
Sabine (avis transmis) entreet(Le
pingouin)
Difficile de se replonger dans la froidure ukrainienne avec le soleil
qui règne depuis quelques jours !
Je commence par l'édition format poche que j'ai beaucoup appréciée,
souple, facilement maniable, qui m'a semblé participé de
l'aspect ludique de l'histoire : le titre et la quatrième
de couverture amènent le lecteur vers la fable, l'invraisemblable,
voire l'absurde. J'ai donc d'emblée accepté ce pingouin
dépressif, ces nécrologies fossoyeuses. Pourtant, je me
suis assez vite lassée de certaines scènes d'appartement
et de repas répétitives : même si celles-ci traduisent
l'enkystement de la société post-soviétique, elles
m'ont un tantinet barbée. L'arrivée tout aussi improbable
de la petite Sonia puis de la bravette Nina qui subit les humeurs d'un
Victor qui a décidément bien du mal avec ses petites amies
(je renvoie à l'incipit, pit, pit), cette arrivée donc a
relancé l'intrigue. En dépit de moments laborieux, j'ai
apprécié la touche kafkaïenne du récit qui nous
amène à réfléchir à ce qui est vraiment
absurde dans nos vies. J'ai beaucoup aimé la pirouette finale.
J'ouvre le livre entre le milieu et le trois-quarts !
Annick L (avis transmis)(Le
pingouin, Les pingouins n'ont jamais froid, Les abeilles grises)
J'aime beaucoup ce romancier russo-ukrainien, dont j'avais déjà
lu Le pingouin, puis Les
pingouins n'ont jamais froid, parus il y a plus de 20 ans, à
l'époque du démantèlement de l'Union soviétique
et de l'avènement d'un libéralisme sauvage. Une époque
de perte de repères et de grand désordre. Deux romans très
ancrés dans ce contexte, autour du personnage de Victor, un jeune
pseudo-journaliste, naïf et sympathique, qui va vivre des aventures
burlesques, de Kiev à Saint Petersburg, en passant par la Tchétchénie
en compagnie de son pingouin préféré.
Dans Les abeilles grises, paru en 2019, le cadre est différent
(les relations entre l'Ukraine et la Russie se sont encore dégradées)
et le personnage central, Sergueïtch, n'est qu'un brave villageois
retraité qui a pour seul bien quelques ruches (et plein de souvenirs).
Celui-ci a pourtant un point commun avec Victor : comme lui, l'apiculteur
ne comprend plus rien à ce qui se passe autour de lui, comme lui,
il subit les contrecoups de ce monde devenu fou, il tente de protéger,
envers et contre tout, sa vie et ses intérêts .
Sergueïtch, dans un premier temps, va tenter de faire le dos rond
et de survivre, avec ses abeilles, dans son village déserté.
Le temps semble suspendu au tic-tac du réveil, le silence règne,
troué parfois par les tirs sporadiques des deux camps opposés.
L'apiculteur est entièrement absorbé par sa lutte pour subsister,
il se sent très isolé, coupé du monde extérieur.
Et le lecteur partage son sentiment d'oppression, de menace latente.
Dans la seconde partie, quand Sergueïtch décide, pour sauver
ses abeilles bien-aimées, de quitter le village et de partir vers
l'ouest du pays, loin de la guerre, vers des terres plus riantes, on se
trouve embarqué dans un roadmovie burlesque. Le récit accélère,
on voit du pays, on redécouvre la société humaine,
des conditions de vie normales, avec le confort moderne. L'apiculteur
réapprend à nouer des liens avec ses "compatriotes",
voire une relation amoureuse inespérée avec une femme sympathique.
Ses abeilles peuvent bourdonner en paix et produire beaucoup de miel.
Mais ce Candide découvre aussi que son pays (où il avait
déjà circulé autrefois) a profondément changé :
il est maintenant fracturé, découpé par des frontières
difficiles à traverser (belle caricature de la bureaucratie policière !)
et il voit bien qu'il y est perçu comme un étranger indésirable.
La dernière partie du récit en Crimée est particulièrement
terrible : le narrateur y représente fictivement tout ce que subit
la communauté Tatar, depuis 2014, avec l'occupation russe :
harcèlement policier, enlèvements-assassinats de civils
Un roman bouleversant à cause de ses enjeux dramatiques, sociaux
et politiques, mais déroulé comme une sorte de comédie
humaine dérisoire, au fil de la vie quotidienne, sans commentaires
surplombants. Et je trouve incroyable la prescience de cet auteur quant
à la menace que représentait déjà la Russie
pour l'Ukraine. La réalité a rejoint la fiction.
Je l'ouvre en très grand.
Fanny (avis tranmis)(Le
pingouin)
En transit à Barcelone, j'ai fini les 15 dernières pages
du livre dans le premier vol.
J'ai beaucoup aimé ce roman pour ses multiples facettes :
la dénonciation du système, le côté fantasque
et je trouve poétiques la présence de Micha (le pingouin
pas l'autre), le profil des personnages que j'ai tous trouvés attachants.
J'ai trouvé également que les descriptions étaient
très visuelles. Je me voyais bien avec eux luttant contre le froid
en buvant de la vodka au poivre au coin de la cheminée ou mangeant
une glace au parc.
Il y a peut-être quelques longueurs sur la dernière partie,
avant que Victor prenne la fuite. Par ailleurs le fait qu'il devienne
lui-même la cible de ces rubriques nécrologiques est sans
surprise.
Mais cela ne m'a pas gênée outre mesure. Je trouve surtout
que le pari d'allier humour, légèreté du style, belle
écriture et dénonciation d'une société corrompue
est parfaitement réussi.
J'ai commencé à en parler autour de moi et je vais le conseiller.
J'ouvre donc en grand, mais comme d'habitude je suis impatiente de lire
vos avis... surtout les moins enthousiastes.
Geneviève (à l'écran)
(Le pingouin)
J'aurais bien aimé lire Les abeilles plus récent,
mais plus difficile à obtenir. Je me suis repliée sur Le
Pingouin, dont je n'étais pas sûre de ne pas l'avoir
lu. Je n'en suis toujours pas sûre d'ailleurs, bizarrement. En tout
cas, je l'ai lu ou relu avec grand plaisir, un côté loufoque
et doux-amer qui fait penser au Lièvre
de Vatanen. J'ai en fait aimé beaucoup de choses :
ce personnage du Pingouin qui représente l'innocence, la tendresse
mais aussi la tristesse et la trahison toujours possible; la petite fille,
Sonia, totalement confiante et prête à s'attacher; la jeune
fille Nina, dont les sentiments sont ambigus mais qui elle aussi est tout
de suite prête à s'attacher, à créer un semblant
de famille ; un petit monde fragile entouré de loups, au double
discours permanent, à la fois protecteurs et terrifiants. J'aime
aussi beaucoup l'idée des "petites croix" qui sont en
fait des condamnations à mort, à l'insu de leur auteur,
qui finit par lire l'annonce de la sienne. Ce double jeu, entre ce qui
est dit et ce qui est vécu, entre l'apparente tranquillité
et la violence constamment en filigrane est passionnant parce que pour
moi il est le reflet de cette société de L'Homme
rouge décrit par Svetlana Alexievitch, d'êtres humains
résignés à accepter le mensonge et la menace permanentes
en échange de leur survie... On voit à quel point le sujet
est actuel, mais c'est surtout son traitement qui est intéressant,
à travers l'ambiguïté de ce personnage, qui oscille
toujours entre tendresse et indifférence, entre soumission et révolte.
J'avoue avoir eu un petit passage à vide avant que les choses ne
s'accélèrent finalement et j'ai beaucoup aimé la
fin, inattendue (donc, je ne l'avais sûrement pas lu !) et
qui nous ramène au loufoque et à l'espoir.
Bref, encore une lecture bien intéressante et qui plus est un plaisir
de lecture.
Monique L(Les
abeilles grises)
Ce livre qui raisonne avec l'actualité m'a permis d'approcher le
vécu de personnes vivant dans la zone grise, sur la ligne de front
entre les séparatistes ukrainiens pro-russes et l'armée
ukrainienne gouvernemental.
Avec humour et une grande humanité, Kourkov nous décrit
l'absurdité de cette vie de survie : maisons abandonnées,
bombes pouvant pleuvoir n'importe quand, trous d'obus dans les champs
remplis d'herbes et de fleurs sauvages, pas de courrier, pas d'électricité,
dans une pénurie de tout, avec des cadavres de soldats sans qu'on
parvienne à déterminer à quel camp ils appartiennent.
Seuls deux habitants vivent toujours dans cette zone, sous les bombes.
Sergueïtch et Pachka, la petite cinquantaine, ex-ennemis d'enfance
forcés à se serrer les coudes pour ne pas sombrer dans la
solitude et l'angoisse. L'un est apiculteur, l'autre magouilleur. On rencontre
d'autres personnages touchants dont le soldat ukrainien Petro, l'épicière
Galia, et une famille de tatare en Crimée.
L'apiculteur que nous suivons dans ce roman est un homme plein d'humanité.
En suivant son périple pour permettre à ses abeilles de
voler librement, nous traversons de multiples tracasseries administratives,
nous expérimentons les rejets de certaines populations, nous rencontrons
des Tatars de Crimée et nous apprenons beaucoup sur les abeilles.
Ce qui est marquant dans ce roman, c'est la douceur et la poésie
qui s'en dégage grâce au regard, à la tendresse, au
goût de la vie et à l'amour de la nature et à l'humanisme
presque naïf de Sergueïtch. Ce livre se lit très aisément
et on aurait envie de rencontrer cet apiculteur qui dégage une
force tranquille... Livre ouvert aux ¾.
Monique L
(Le pingouin)
Je ne sais pas s'il est fréquent d'avoir un pingouin comme animal
de compagnie.
C'est l'histoire de Victor, un dépressif, qui semble ne plus avoir
de prise sur la vie et qui peine à survivre lorsque le patron d'un
quotidien lui propose d'entreprendre, sur sa commande, la rédaction
de notices nécrologiques. Il accepte car c'est assez rémunérateur.
L'argent lui permet bien vite de s'acheter le nécessaire, et même
de nourrir correctement Micha, un pingouin récupéré
au zoo de Kiev qui se trouvait au bord de la faillite. La vie s'écoulerait
tranquillement si les nécrologies fleuries et élogieuses,
écrites pour des VIP encore en vie, ne coïncidaient avec la
disparition, souvent par mort violente, de ces dites personnalités.
S'agirait-il de crimes commandés par la mafia locale ? De règlements
de comptes politiques ?
L'auteur dresse un tableau assez consternant de la société
ukrainienne post-soviétique : corruption généralisée,
surveillance permanente et souvent indécelable, délabrement
de la médecine et des hôpitaux, violence sociale, pessimisme
collectif qui ne trouve d'exutoire que dans l'alcool. Les gens normaux
s'adaptent, l'essentiel étant de rester en vie. C'est un univers
flou, kafkaïen et parfois inquiétant
Le roman mélange
le désespoir le plus noir avec le cocasse et le saugrenu.
Il y a des personnages attachants comme Sonia, l'enfant laissé
par un ami qui s'est fait liquider, Nina, la jeune fille chargée
de s'en occuper, les deux Micha, le pingouin et le rédacteur qui
passe les commandes (ce sont les deux faces de l'homme soviétique
: celui qui fait des affaires très louches et s'enrichit au risque
de sa vie, et celui qui subit, hagard et dépressif), Pidpaly, un
scientifique auto-proclamé "pingouinologue", l'employé
du zoo qui s'occupait des pingouins. C'est très allégorique
et décrit un monde noir avec beaucoup d'humour. Livre ouvert à
moitié.
Rozenn (Le
pingouin, Les abeilles)
J'avais lu Le pingouin, qui m'avait plu, sans plus ; et je n'avais
d'ailleurs pas de souvenir. J'ai lu Les abeilles que j'ai trouvé
fantastique. J'ai eu l'impression d'être là, à ce
moment-là. Le livre fait entendre le silence, alors qu'on est en
temps de guerre. Les deux personnages ne peuvent se passer l'un de l'autre.
Dans le livre, il n'y a ni méchants ni gentils. Et c'est très
fort quand l nous emmène en Crimée où on découvre
les Tatars ; j'ai fait un voyage en Crimée, en Ukraine, et le guide
nous disait du mal des Tatars, affirmant : la Crimée, c'est
russe.
Je me suis rendu compte que j'ai une position assez occidentale
or en Ukraine tout n'est pas rose, car il n'y a pas de bons et de méchants.
J'ai lu d'autres livres : Le
mage du Kremlin de Giuliano da Empoliet et Kiev
Kaput de Limonov, auteur que vous n'avez pas voulu lire... : il
s'agit du journal de Limonov pendant la période de Maïdan
et de l'invasion de la Crimée : c'est une expérience étonnante
que d'être dans la tête de ce mec, qui trouve Poutine trop
mou, je n'ai pas fini car c'est trop éprouvant.
J'ouvre Les abeilles en grand. Le pingouin, c'est gentil,
j'ouvre à moitié, c'est agréable à lire. Tout
cela donne envie de comprendre, avec des points de vue différents.
Renée (à l'écran)(Le
pingouin)
Victor Solotarev adopte un pingouin au zoo qui ne peut plus nourrir ses
animaux ; il écrit des nécrologies pour des personnages
vivants, connus, et le plus souvent malhonnêtes : je suis très
déçue par ce livre.
Il est écrit en 1996, il faut en tenir compte. L'Ukraine n'était
indépendante de la Russie que depuis 5 ans.
Que représente ce pingouin dépressif et malade du cur ?
La population d'Ukraine, ainsi que Victor, sous le joug de la Russie ?
Certainement, cette passivité, cette dépendance absolue
par rapport à son "maître", le peu d'affection
qui existe entre eux
Ce livre est d'un pessimisme absolu : la vie d'un humain ne vaut absolument
rien ; la corruption et la violence sont constitutives de la société
ET de l'esprit des Ukrainiens. C'est la mafia qui règne sur tout
le pays, sur la police, sur la presse pendant que le peuple mène
"une vie sans histoire". D'où vient le cur greffé
au pingouin ? D'un trafic que nous n'osons pas imaginer.
La fillette orpheline et l'exil de Victor nous rappellent les malheurs
de la guerre actuelle, nous compatissons, bien sûr. Mais je suis
restée à l'extérieur, aussi insensible que Victor
qui, finalement, les abandonne, incapable d'aimer ni Nina, ni Sonia, ni
Micha. J'ouvre au ¼.
Nathalie (Le pingouin)
Le pingouin est un roman un peu "ovni". On me l'avait
offert il y a déjà une dizaine d'années et je ne
l'avais pas lu ou j'avais dû l'avoir abandonné dès
les premières pages. J'ai entamé la lecture comme un long
voyage très plaisant.
Le personnage m'a fait penser à L'Étranger d'Albert
Camus, il semble complètement en dehors de ce qui lui arrive. C'est
un peu comme s'il ne choisissait pas ce qui lui arrive, comme s'il n'avait
pas la capacité de décider, il me semble juste subir sa
vie. Par exemple, il semble complètement indifférent à
la présence de cette petite fille qu'on lui dépose pour
une durée indéterminée et qu'il se contente de nourrir
et de laisser devant un écran de télé jusqu'à
pas d'heure. Ainsi, accepte-t-il tout ce que le destin place en travers
de son chemin. L'ouverture du roman est déjà une sorte de
"refus" de se confronter à la réalité.
L'agression dont il est victime provoque une peur dont il se débarrasse
en fuyant.
Il y a une lenteur particulière dans le roman. On se laisse balader
sans bien savoir où l'auteur nous emmène. C'est aussi un
livre de solitudes qui se croisent. Celle de Victor qui croise celle du
pingouin, puis celle de l'enfant, enfin celle de la jeune femme. Il me
semble que le récit met en place un tissage étroit de dépendances
réciproques. J'ai aimé qu'il ne réussisse pas à
écrire plus d'une page. J'ai eu l'impression que le roman était
de fait, cette unique page, dilatée sur 270 pages. Car il ne se
passe pas grand chose de fondamental. C'est un récit drôle,
loufoque et plaisant. J'ai souvent souri à l'évocation de
ce pingouin très silencieux qui apparaît dans certaines pièces
de l'appartement, le plus drôle ou émouvant étant
lorsqu'il se cache derrière le divan.
Je ne sais pas si vous vous êtes posé la même question
que moi : et à sa place qu'auriez-vous fait ? Auriez-vous
accepté la mission et surtout l'auriez-vous maintenue alors que
vous auriez commencé à comprendre l'impact et la responsabilité
de vos actes ?
Il y a quelque chose d'extraordinaire dans ces trois solitudes qui se
regroupent. Chacun des personnages est terriblement seul, sans véritable
choix autre que celui de poursuivre, jour après jour, ce qu'il
a entrepris. C'est quand même une lecture facile, il n'y a pas grand
chose à dire. Ce n'est pas vraiment un livre qui permet d'ouvrir
le débat. Peut-être le débat moral ? Mais à
aucun moment l'auteur ne donne l'impression qu'il propose ce débat,
donc, nous non plus ; c'est peut-être ça aussi qui détermine
le personnage : en aucun cas, il ne pose de question morale. Bref, en
conclusion j'aime l'ambiance, la simplicité des lieux, la frugalité
des repas, la légèreté du récit dans lesquels
le lecteur est promené. Je l'ouvre aux ¾.
Jacqueline
(Le pingouin, Les abeilles)
Je suis un peu dépassée par la guerre en Ukraine et pour
avoir un avis en ce moment sur Kourkov.
Je l'avais découvert il y a six mois par des petites nouvelles :
Surprises
de Noël, Truite
à la slave. J'avais beaucoup aimé le format, ainsi
que le mélange de prosaïque, d'absurde et d'humour noir on
y est au début de l'indépendance de l'Ukraine, pas très
démocratique.
Voulant lire un roman, j'avais enchaîné sur Les
pingouins n'ont jamais froid, ça qui m'avait bien plu :
on y retrouve, au détour d'un voyage en Tchétchénie,
une guerre pour l'indépendance et, en Ukraine, des élections
étonnantes et encore les oligarques... Intéressant !!!
Malheureusement quand, plus tard et pour le groupe, j'ai voulu lire Le
pingouin, cela lui avait enlevé beaucoup d'intérêt
hormis peut-être le personnage du savant et l'atmosphère
de la datcha... J'ouvre un petit quart.
Les abeilles, je ne sais pas si je l'ai aimé et je ne l'ouvre
qu'à moitié : la guerre actuelle y est trop proche,
même si cela a dû être écrit un peu avant sa
phase actuelle. En même temps, cela confirme qu'elle existe depuis
plus longtemps que l'on ne le croit. Il me semble que j'ai apprécié
ce héros, simple et pragmatique et qu'à son point de vue,
comme le dit Rozenn, il n'y a ni bons ni méchants...
Ce parcours dans l'uvre de Kourkov m'a, un peu, fait découvrir
une histoire de l'Ukraine que je connais mal et que j'aimerais comprendre.
Pour continuer avec Kourkov, j'aurais envie de lire le Journal
de Maïdan.
Rozenn
J'ai arrêté, j'ai trouvé ça chiant.
Manuel (Le pingouin, Les abeilles)
J'ai adoré le premier paragraphe du Pingouin et sa chute
:
Ce fut dabord une pierre qui tomba à un mètre de son pied. Victor se retourna. Au bord de la chaussée aux pavés disjoints, deux types le regardaient, lair narquois. Lun deux se baissa, ramassa un nouveau projectile, et, comme sil jouait au bowling, le lança vers Victor, en contrebas. Celui-ci fit un bond de côté, et, dun pas rapide proche de celui des marcheurs de compétition, gagna le coin de la rue, où il tourna, se répétant : "Surtout ne pas courir !" Il ne sarrêta quà proximité de son immeuble. Un coup dil à lhorloge publique lui apprit quil était vingt et une heures. Lendroit était calme et désert. Il entra dans le hall. La peur lavait abandonné. La vie des gens ordinaires est si ennuyeuse, les distractions sont devenues hors de prix. Cest pour cela que les pavés volent bas
Contrairement à d'autres, je n'ai pas eu l'impression qu'il ne
se passe rien ; au contraire, il se passe plein de choses et je ne
me suis pas du tout ennuyé ; et j'ai ri à certaines situations.
La société ukrainienne n'est pas à son meilleur.
Merci à ceux qui m'ont rappelé que le livre a été
écrit avant l'indépendance de l'Ukraine. C'est le régime
en place qui était corrompu. Le héros est très désabusé,
mais contrairement à ce qui a été dit, je pense qu'il
n'est pas sans affects. Il fuit les situations qui pourraient amener un
changement radical à sa vie.
Le livre verse souvent dans le surréalisme ou des situations improbables
: la greffe de cur d'enfant au pingouin ou la première nuit
dans la datcha. L'humour est souvent noir !
Quant aux Abeilles, ça résonne évidemment
avec l'actualité. J'ai découvert la situation du Donbass
avec les témoignages d'habitants qui vivaient en guerre depuis
2014 et le début de l'invasion russe. C'est terrible à dire,
mais comme disait certains habitants, on les avait laissé tomber
avant l'invasion russe. Les abeilles se trouve aujourd'hui en tête
de gondole. C'est paradoxal. J'ai aimé les descriptions du silence
ponctué par les bruits de la guerre, de la nature environnante.
Vivement que nous lisions des livres ancrés en été
après tous ceux qui se passent en hiver... : Tango
de Satan, Le
Joueur, La
Fille du capitaine, Croire
aux fauves...
(Deux semaines plus tard) Je viens de finir de lire Les abeilles
Je suis très lent. Cest un livre prodigieux. Le grenade se
trouvait bien dans une des ruches. Cest très fort la métaphore
de la ruche occupée, la ruche abritant des soldats et des espions.
Kourkov avait anticipé linvasion russe. Jai appris
que les Tatars avaient été déportés. Le livre
est une odyssée à travers lUkraine et jusquen
Crimée
cest un livre que jai ADORÉ !!
Claire(La
truite à la slave, Le pingouin, Les abeilles)
J'ai lu les livres en ordre de taille, truite minus, pingouin moyen, grosse
abeille. Dans les trois livres, j'ai aimé retrouver à peu
près le même narrateur, genre un peu bartleby qui "préfère
pas" chercher à comprendre et encore moins à se rebeller
- attitude qui nous montre bien comment on vit dans ce système.
Il est bonne pomme, bon même, assez seul, assez désenchanté,
mais avec des formes d'enthousiasme, d'amour de la vie, de tendresse.
Il y a plein de moments rigolos. J'ai aimé l'art de la narration
; on a l'impression qu'il ne se passe rien, mais c'est "truffé
de rebondissements" : il se passe tout le temps quelque chose sur
fond de vide de la vie ; il y a un léger suspense permanent.
On bouffe et on boit beaucoup dans Les abeilles, non ? Les courts
chapitres donnent un rythme à un récit qui est assez long
l'air de rien.
Mes quelques réserves : la fin du Pingouin car pour moi,
vivre avec un pingouin me semblait parfaitement normal ; la fin, je ne
marche pas. Et la môme qui ne va pas aller à l'école...
Mêmes petits problèmes d'invraisemblance dans Les abeilles :
Sergueïtch qu'on suit de très près au quotidien, nomade,
ne se lave jamais, ne lave jamais ses vêtements... non mais !
On comprend beaucoup de choses essentielles de de l'intérieur et
avec un tel plaisir à lire ! J'ouvre aux ¾ les deux premières
bestioles lues et Les abeilles me semblent un grand livre que j'ouvre
donc en grand.
Brigitte L (à l'écran)àet(Le
pingouin - Les abeilles - Vilnius, Paris, Londres)
J'ai bien aimé Le Pingouin, ce livre sans prétention,
facile à lire. L'auteur, avec la complicité du lecteur,
traite avec un certain humour de sujets très graves. Nous partageons
avec lui la vie à Kiev dans les années 90, où un
journaliste utilise encore sa machine à écrire, et où
les tirs à balles réelles font partie de la vie quotidienne.
J'y ai trouvé une parenté certaine avec la série
Serviteur
du peuple, où Zelenski s'attaque de front à la corruption
omniprésente dans son pays. J'ouvre aux ¾.
Maintenant que nous connaissons presque bien la géographie de l'Ukraine,
Les abeilles grises nous devient accessible. Nous accompagnons
Sergueï Sergueïevitch, l'apiculteur, pendant toute une année.
D'abord l'hiver dans la zone grise du Donbass. Sa maison est située
sur la ligne de front. Il vit là sans électricité
en compagnie de ses abeilles et de son ami-ennemi Pachka. Quand le printemps
arrive, il emmène ses ruches en Ukraine et nous vivons le printemps
en compagnie de Galia la vendeuse amoureuse de lui. L'été
nous sommes en zone russe en Crimée, où les abeilles sont
en villégiature active. Ce sont les passages de frontière,
les incidents locaux, l'exclusion de Tatars, détestés de
Poutine. Livre très intéressant, surtout actuellement. L'auteur
fait preuve de son talent d'écrivain et de conteur pour immerger
son lecteur dans ce monde rural et cette vie sous l'il du grand
frère russe. Il s'agit sans conteste d'un ouvrage polémique.
J'ignore si son intérêt se maintiendra dans la durée,
car les ficelles utilisées pour la construction du récit
sont un peu trop visibles à mon goût... J'ouvre à ½.
J'ai aussi entamé la lecture de Vilnius,
Paris, Londres, où il est question du traité de
Schengen. On y retrouve Kourkov dans son travail d'écrivain à
la tâche ; selon moi, il ne met pas suffisamment de lui-même
pour atteindre un niveau vraiment littéraire.
Catherineetà(Le
pingouin, Les abeilles)
Dans Le Pingouin, j'ai beaucoup aimé la coexistence drôle/sombre
qu'on découvre par petites touches, la rédaction de nécrologies
de personnage encore vivants mais qui meurent les uns après les
autres, le pingouin aux enterrements, la greffe d'un cur à
un pingouin. Le narrateur est naïf, peut-être un peu trop,
il met vraiment beaucoup de temps à comprendre. Il paraît
peu probable qu'il gobe tout. De même, la petite fille ne pleure
jamais à 4 ans, ne va pas à l'école, ne réclame
pas son père
Il y a pas mal d'action, de rebondissements ;
parallèlement à ce côté burlesque, on découvre
un univers sombre, anarchique, les personnages sont désenchantés,
assez passifs, ils survivent. Le personnage principal est parfois indifférent,
parfois plus humain, avec le pingouinologue par exemple.
Ça s'essouffle un peu au milieu, mais j'ai bien aimé la
fin quoique un peu frustrée qu'il abandonne son pingouin...
Les abeilles grises, j'ai énormément aimé
: c'est moins burlesque, on découvre le quotidien de deux personnages
qui se retrouvent seuls dans un village du Donbass. J'ai trouvé
Sergueï très attachant, très humain. On est en zone
grise, il n'est pas vraiment d'un bord, pas très concerné
au début, davantage au fil du livre, l'autre personnage étant
pro-russe et moins sympathique. L'écriture est très simple,
on vit le quotidien au jour le jour, sans s'ennuyer, c'est assez poétique
malgré la guerre, j'ai aimé la place qu'il accorde à
ses abeilles ; dans les deux livres d'ailleurs, les animaux sont importants,
ils paraissent plus sages que les humains. J'ai aimé la partie
qui se déroule en Crimée, ça m'a intéressée
et touchée, on évoque le sort réservé aux
Tatars : disparitions, enrôlement forcé dans l'armée ;
je n'ai rien trouvé d'artificiel, c'est une esquisse assez subtile.
Il me manque quelques pages avant la fin, je ne sais toujours pas où
est la grenade.
J'ouvre en grand, tandis que ce sera de ½ à ¾ pour
Le Pingouin.
Françoise(Le
pingouin, Le dernier amour du président)
J'avais lu Le Pingouin, mais l'avais oublié. Et je n'ai
pas beaucoup plus aimé. Certes l'éclairage de l'actualité
donne davantage de repères. Mais j'ai eu du mal avec ce personnage
; c'est très flou ; oui, il y a des choses qu'il nous suggère
(avec des passages assez durs sur la mafia) ; mais lui, le personnage,
n'est pas tout à fait là ; j'ai eu du mal à décrypter,
à comprendre sur quel plan se situer. Et je me suis un peu ennuyée.
Et j'ai été choquée qu'il abandonne son pingouin
! Quant à la greffe de cur d'enfant sur un pingouin, dans
un pays où la corruption règne, on ne s'étonne de
rien. J'ouvre donc à moitié, pas enchantée, pas emballée.
Dans Le
dernier amour du président, on retrouve l'atmosphère
et on passe à la série
de Zelinsky : c'est assez drôle ; mais le récit
balaie trois époques différentes, dont une d'anticipation,
et passe sans arrêt de l'une à l'autre ; ça ne facilite
pas la lecture. Je me demande si Zelinsky ne s'est pas inspiré
de ce livre pour écrire sa série.
Comme Brigitte, je pense que ce n'est pas un grand écrivain. Il
écrit de façon parcimonieuse, comme on vit. Il faut le prendre
comme il est.
Etienne(Le
pingouin)
C'est un livre assez sympa qui coche beaucoup de cases. Mais je ne l'ai
pas lu si facilement, car il se passe trop de trucs. C'est sympa, mais
je me suis un peu lassé, une fois que j'ai compris. J'ai eu un
petit sursaut avec les enterrements.
Il y a quelque chose d'impersonnel dans l'écriture. J'ouvre à
moitié. Peut-être faut-il vraiment lire Les abeilles.
J'y ai vu un lien avec Tango
de Satan, j'ai pensé aux Frères
Cohen en retrouvant une ambiance de leurs films.
Laura (Le
pingouin)
Je suis mitigée. J'ai tenu jusqu'à la fin et en suis fière.
Le premier paragraphe, c'est vraiment très bien :
Ce fut dabord une pierre qui tomba à un mètre de son pied. Victor se retourna. Au bord de la chaussée aux pavés disjoints, deux types le regardaient, lair narquois. Lun deux se baissa, ramassa un nouveau projectile, et, comme sil jouait au bowling, le lança vers Victor, en contrebas. Celui-ci fit un bond de côté, et, dun pas rapide proche de celui des marcheurs de compétition, gagna le coin de la rue, où il tourna, se répétant : "Surtout ne pas courir !" Il ne sarrêta quà proximité de son immeuble. Un coup dil à lhorloge publique lui apprit quil était vingt et une heures. Lendroit était calme et désert. Il entra dans le hall. La peur lavait abandonné. La vie des gens ordinaires est si ennuyeuse, les distractions sont devenues hors de prix. Cest pour cela que les pavés volent bas
Mais l'écriture m'a déçue, un peu au-dessous d'un
roman de gare. C'est l'absurdité qui m'a tenue jusqu'à la
fin. Je me suis sentie lointaine du livre, restée au-dessus dans
les nuages.
Quand Micha n'est plus là, il voit une femme par la fenêtre,
c'est très beau.
Mais j'ai trouvé l'image de la femme dans l'ouvrage sincèrement
déplaisante. Nina s'occupe de tout, elle garde Sonia, fait à
manger, et paye son loyer en nature. Victor lui, ne fait rien, il écrit
une pauvre petite nécro par jour, c'est tout, et à côté
il vit quelques petites aventures étranges. Sinon il est totalement
détaché de celles et ceux qui l'entourent. Ça m'a
vraiment gênée.
C'est un petit bouquin sympa, j'ouvre à moitié.
Muriel(Le
pingouin, Les abeilles)
Le pingouin, je l'ouvre à ½ et Les abeilles
à ¾, d'accord avec beaucoup de choses qui ont été
dites. J'ajouterai comme réserve au Pingouin que j'ai quand
même apprécié, c'est le côté conte pour
enfants, qui l'a un peu discrédité.
Les abeilles, c'est beaucoup plus intéressant et accrocheur.
La fin, où il confie une jeune fille tatare à son ex-femme
est très touchante. Je me suis interrogée sur la détente
allongée sur une ruche pleine d'abeilles. Quant à la grenade...
Cris de ceux qui n'ont pas encore lu la fin
et qui refusent qu'elle soit divulgâchée...
Nathalie B (avis transmis)(Le
pingouin)
Le pingouin ne sera pas finalement celui auquel on pense. J'ai aimé
lire ce roman décalé qui nous décrit un homme, seul,
même s'il vit depuis un an avec son animal de compagnie, un manchot
royal, dépressif, et peu expressif, qui somme toute lui ressemble,
dans un monde froid, terne et sans couleur, dangereux et dans lequel penser
peut s'avérer mortel. "A
chaque époque sa 'normalité'. Ce qui, auparavant, semblait
monstrueux, était devenu maintenant quotidien, et les gens pour
éviter de trop s'inquiéter, l'avait intégré
comme norme de vie, et poursuivaient leur existence. Car pour eux, comme
pour Victor, l'essentiel était et demeurait de vivre, vivre à
tout prix." Cet homme, Victor donc, semble avoir gelé
tout sentiment ; il ne sait pas s'il ressent de l'amitié ou de
l'amour pour ceux qu'il approche. Pourtant il sera là quand ils
auront besoin de lui, et il les aidera chaque fois, sans jamais s'y soustraire
alors même que cela peut s'avérer dangereux. Il vit à
l'économie de sentiments, de projections et d'avis critiques. Il
évite de réfléchir à ce qui pourrait lui montrer
qu'il participe en fermant les yeux à des meurtres que le lecteur,
lui, a su anticiper très tôt. Victor ne veut pas savoir.
"Et sa totale ignorance
de cette collaboration elle-même à cette sale histoire semblait
garantir la stabilité de son univers et sa tranquillité."
Il vit au jour le jour, savoure des instants fugaces, mais qui se répètent,
comme boire le café devant sa fenêtre. Jusqu'au jour, bien
sûr où lui-même verra sa propre vie en danger
Kourkov décrit le monde post-soviétique, une société
ukrainienne, livrée à la corruption et à la mafia
(le roman est écrit en 1996), avec des services publics n'étant
plus ni services, ni publics. Le tour par l'Hôpital fait froid dans
le dos. Sans compter le reste "La
vie des gens ordinaires est si ennuyeuse,
les distractions sont devenues hors de prix. C'est pour cela que les pavés
volent bas". J'ai bien aimé
son écriture qui correspond au propos, une écriture détachée
et qui pourtant relie les uns et les autres (animal compris) dans de petits
instants de tendresse. La fin est un peu rapide et décevante. Comme
si l'auteur devait rapidement rendre son ouvrage alors qu'il n'était
pas vraiment terminé. Mais peu importe puisque finalement il a
décidé d'écrire une suite que je lirais bien volontiers
Les pingouins n'ont jamais froid.
Valérie (avis
transmis)(Les
abeilles grises)
En lisant le roman d'Andreï Kourkov, je n'ai pu le dissocier du vol
du bourdon composé par Rimsky Korsakov. Je l'ai écouté
plusieurs fois joué par un quatuor à cordes. Et, j'ai pensé
que ces instruments à corde sont les plus proches pour définir
et qualifier l'écriture de Kirkov. La contrebasse jouit de ce son
grave, parfois un peu grinçant comme l'humour de Kourkov que j'avais
déjà apprécié dans Le Pingouin. Le violon
et le violoncelle nous offrent ces notes de poésie, de tendresse,
de mélancolie portée dans les abeilles grises. Notre "héros"
ou anti-héros se prénomme Sergueïtch et vit pas loin
de la ligne de front où sévit la guerre entre séparatistes
russes et ukrainiens. La guerre devient la toile de fond du décor
de Sergueïtch, il vit reclus entre sa maison et son garage où
vivent ses ruches et ses abeilles. C'est pour qu'elles puissent continuer
à vivre et à butiner qu'il entreprend un périlleux
voyage qui le conduit en Crimée pour qu'elles puissent polliniser.
Kourkov nous séduit par les descriptions de ses petites amies indissociables
d'un amour de la nature qui nous attache. J'ai beaucoup aimé aussi
quand il vit dans sa maison avec son poêle à charbon, sa
vodka et son miel. L'écriture d'Andrei Kourkov est revigorante.
Pourquoi ne pas croire dans les forces que la nature nous offre ? Et ces
traits d'humour sur le communisme des abeilles sont décapants.
Je n'avais pas continué à suivre son parcours d'écrivain
après le caméléon mais je sens que je vais m'y remettre.
Ce livre m'a fait du bien.
David (Les
abeilles grises)
J'ai pris un plaisir particulier à lire ce livre, que j'ouvre aux
trois quarts.
La première partie introduit par petites touches progressives le
personnage principal et nous laisse peu à peu nous acclimater aux
qualités humaines de cette sorte d'ermite un peu bourru et reclus
dans le no-man's land d'une guerre à la fois proche et lointaine.
Il nous est dit peu sur son passé, sa femme partie avec sa fille
sans qu'on sache trop pourquoi, mais beaucoup sur son quotidien monotone,
que la présence d'un ami-ennemi voisin égaie parcimonieusement
en évitant aux deux drôles de sombrer dans une solitude mortifère.
Dans ce long et lent prologue, j'ai particulièrement pensé
au film magnifique Winter
Sleep, même si les personnages ont ici une plus grande simplicité.
La seconde partie apporte plus d'action. Enfin pourrait-on dire car le
plaisir de lecture de la première partie s'apparente quand même
à "En attendant Godot", la seule péripétie
notable de la première partie ayant tourné autour de l'enterrement
plus ou moins raté du cadavre d'un soldat. Cet épisode annonce
d'ailleurs les qualités morales de notre héros, mais c'est
bien la seconde partie qui déclenche une suite ininterrompue d'événements
révélant de nouvelles qualités de Serguei : empathie,
opiniâtreté, tendresse, recherche de justice et de réparation,
etc.
La rencontre "amoureuse" avec la serveuse d'une échoppe
isolée est une irruption de lumière gaie dans ce monde gris.
En somme, et malgré son voisin Pachka et leur relation quelque
peu de vieux garçons, on voyait jusqu'ici Serguei s'intéresser
moins aux humains qu'à la seule communauté qui ait besoin
de lui : ses abeilles. Et c'est d'ailleurs le miel de ces dernières
qui sert de transaction initiale profitable aux deux personnages, prologue
d'un autre commerce fort agréable des sentiments et des corps !
Certes Kourkov n'invente rien, la figure d'une femme apportant un rayon
de joie dans la morne vie de solitaires étant classique en littérature
(Mouret dans Au Bonheur des dames, Molly dans Le voyage au bout
de la nuit, une grande partie des romans de Houellebecq
) , mais
il le fait là aussi à sa manière, fluide, sans cérébralité,
comme si les personnages n'avaient pas une grande prise sur leur destin,
sauf celui de se rencontrer par les jolis hasards de la vie La fin du
roman m'a paru un peu tirer à la ligne, avec l'arrivée de
nouveaux personnages en proie aux arbitraires de bureaucrates, et j'ai
été alors moins captivé par la facette de chevalier
justicier du héros, malgré de bons moments encore (le passage
de la frontière pour la jeune fille par exemple).
Je ne connaissais pas Kourkov, et je ne sais si le style de ce livre reflète
son auteur en général ou un parti-pris, totalement réussi
à mes yeux, du roman : donner la voix à des gens simples
cherchant des solutions de survie dans un monde déboussolé,
sans autre secours que leur intelligence pratique, des amitiés
tenaces sur lesquelles compter, des solidarités écloses
au fil des circonstances et qui ne se paient pas de longs discours.
Au-delà de cette réussite, c'est aussi une uvre qui
ne laisse pas de charmer par sa poésie, sa description d'un monde
que je n'ai pas senti lugubre malgré le bruit proche de la guerre,
un monde dont la tristesse apparente ne masque pas la lumière des
âmes humaines. À l'instar des patientes butineuses qui uvrent
pour le bien de leur communauté.
Laure (Les
abeilles grises)
Roman quelque peu terne et plat au démarrage. Le temps est suspendu
dans un village sans vie et en guerre. On se laisse bercer par le phrasé
et on avance au gré des turpitudes de l'apiculteur qui essaie de
vivre dans un présent ralenti par la guerre, dans un passé
révolu mais enchanteur et enfin dans un futur incertain qui le
ramène à son domicile même si isolé et isolant.
Françoise H
Le pingouin ? Oui, c'est un pingouin qui occupe le cur de
ce récit qui se passe en Ukraine un peu après l'effondrement
de l'URSS. Certes, Micha ne parle pas, Micha attend gentiment son tour
derrière le canapé du salon de la maison du narrateur, Micha
se fait traiter comme une peluche par la petite fille recueillie aussi
dans cet appartement et Micha est promené à des enterrements
parce qu'il est en smoking. Micha, le pingouin prend froid sur un lac
gelé... Étonnant, non ? Pas tout à fait si l'on
comprend qu'il cristallise les contradictions de l'Ukraine post-soviétique.
Une ancienne république socialiste où les pionniers d'antan
vivent aujourd'hui seuls, où le Parti est devenu un groupe de camarades
qui s'entretuent, où les élites nouvelles volent un pays
qu'elles prétendent aimer. Kourkov nous livre le tableau glaçant
d'une Ukraine qui voit disparaître ses solidarités, ses traditions,
ses richesses. Un pays privé d'âme où ne reste pour
ses habitants que l'alternative de l'exil.
Anne(Les
abeilles grises)
Après L'ancêtre de Juan José
Saer, encore un livre qui parle de fringale de nourriture. Sergueï
ne cesse de se préparer des plats et de manger
mais à
l'extrême opposé du thème du cannibalisme, cela se
fait avec toute la sobriété et l'économie qu'imposent
la guerre et la survie. C'est un texte sur la simplicité de la
vie quotidienne quand elle est soumise à la violence sociale, la
guerre, qui d'ailleurs n'est présente qu'en fond de toile avec
ses bruits et parfois un obus qui tombe. C'est un texte sur la simplicité
de la vie quotidienne où chaque objet à sa place, son sens,
comme dans un tableau.
Ce livre parle des relations qui s'établissent entre les individus
mis en situation extrême. Des relations bourrues, authentiques et
solidaires au milieu du silence de l'hiver Ukrainien. Le silence, Sergueï
l'écoute sans cesse, et, avec lui, j'ai écouté quelque
chose qui n'existe pas en tant que tel car il est fait d'une infinité
de bruits. Comme les couleurs, il a des tonalités très différentes
tout au long du roman, et s'il est un son qui parcours le texte comme
un fil rouge, c'est celui des abeilles. Un son enchanteur car l'apiculteur
est amoureux de celles-ci, au point de mettre un matelas sur les ruches
pour se soigner par leurs vibrations, et d'y inviter quelques oligarques
aux splendides et spéciales chaussures... Sergueï prend un
soin particulier de ses ruches, toute son attention est tournée
vers les abeilles et elles le lui rendent bien puisqu'un kilo de miel
a la valeur, réelle et symbolique, d'un trésor. Et puis
les abeilles ont un sens social, un vrai système communautaire,
voire communiste. Est-ce un clin d'il à la Russie qui, elle,
en ce domaine
Avec ce livre, j'ai établi une relation profondément amicale
avec un homme qui n'est pourvu d'aucune perversité. C'est assez
rare dans la littérature et peut-être aussi dans la réalité...
J'ai été habitée par cet anti-héros exceptionnel
et, ayant fermé le livre, sa présence continue à
m'habiter, il me manque.
Dans ce roman, d'emblée, il semble ne rien se passer et pourtant
à chaque page tournée, j'ai été surprise par
l'inventivité des événements qui surviennent. C'est
que l'esprit de Sergueï est très actif, judicieux, il parvient
sans cesse à imaginer des situations pleines d'humour, ludiques,
comme lorsqu'il décide en pleine nuit d'interverser le nom des
rues car il ne veut plus habiter rue Lénine, oniriques aussi, le
livre est traversé par ses rêves dont l'un d'entre eux déterminera
la fin du roman et du titre. C'est donc une fiction qui présente
plusieurs niveaux : la réalité d'une situation sociale conflictuelle
et complexe, l'imaginaire très riche du protagoniste, son inconscient.
À propos de ce dernier, le livre est construit autour d'un événement
cocasse : un jour un militaire se met en danger pour lui rendre visite
et lui offre une grenade
qu'il range, mais après une cuite,
il oublie où ! Tout du long, je me suis demandé comment
elle réapparaîtrait, et je n'ai pas été déçue
mais je ne dévoile pas la fin de l'histoire.
Ce livre est profondément humain, composé de riches sentiments,
contradictoires mais cohérents. La relation au temps est drôle :
en voyage, et ayant oublié son réveil, Sergueï, angoissé
à l'idée qu'il ne s'arrête, se voit contraint de demander
à Pachka, son ami/ennemi d'enfance (le seul habitant du village
avec lui), de le remonter en son absence ! De même qu'il a
un jour forcé la porte de celui-ci, absent de chez lui, pour empêcher
son horloge de s'arrêter. À chacun sa façon de vivre
le temps : Pachka, lui, barre chaque jour révolu d'une croix rouge
et se fiche de l'heure.
Quelques mots encore sur le voyage qu'il entreprend à travers l'Ukraine
au printemps pour permettre à ses abeilles de butiner. Un peu comme
dans une fable, il rencontre des épreuves, des méchants
et des gentils, des rencontres où sa sexualité se révèle,
bien qu'il soit déterminé à fuir la dépendance,
à moins qu'il n'ait pas fait le deuil de son ex-femme Vitalina
(prénom signifiant) et de sa fille, auxquelles il pense sans arrêt
sans jamais pouvoir les appeler. La fable est moderne, il a un téléphone
portable, mais sans cesse déchargé
Il est vrai qu'il
vit à la belle étoile et sa relation à la nature
est superbe. Tout du long, en hiver, au printemps, en été,
la nature est omniprésente. Ce voyage montre aussi le pays avec
ses frontières en 2014, Dombas, Crimée, Russie, et passer
celles-ci est une aventure kafkaïenne, surtout à cause de
son allure d'homme errant et de sa voiture déglinguée qui,
suite à une mésaventure violente, n'a plus de vitres - qu'il
ne remplacera jamais en dépit d'une somme qui lui a été
offerte pour ça lors d'un événement très comique.
C'est un livre plein de situations fantaisistes, humaines, généreuses,
profondes, mais cruelles aussi, où le racisme n'est pas absent.
Je l'ouvre entièrement.
Monique M(Le
pingouin)
Comment un apprenti écrivain un peu naïf, totalement bohème,
parvient à force de nonchalance et de besoin de reconnaissance,
à devenir l'instrument d'un gang mafieux.
Fiction politique ou reflet de la réalité, le récit
de Kourkov sonne vrai et accroche le lecteur en dépit de ses invraisemblances.
Il mêle pour cela les détails prosaïques de la vie quotidienne,
le ressenti inquiet que laisse entendre l'anormalité des situations,
à la montée d'une tension qui s'accélère au
fur et à mesure du récit et nous plonge dans l'atmosphère
oppressante d'un roman noir. C'est un récit rocambolesque, truculent,
truffé d'humour, d'absurde, de poésie tendre et d'intelligence
qui, tout en décrivant les pratiques mafieuses d'une société
corrompue, ne reculant devant rien pour éliminer ses opposants,
nous conte une histoire pleine de tendresse.
Tout commence tranquillement, benoîtement : un homme seul adopte
un pingouin dans un zoo pour combler sa solitude. Ecrivain sans le sou,
la publication de ses nouvelles lui ayant été refusée,
il accepte d'écrire des nécrologies de personnalités
encore en vie. Il les écrit dans sa cuisine et parfois, dressé
sur le pas de la porte, le pingouin le regarde taper ses nécros,
telle la conscience muette de son destin et de ce qui va advenir. Car
très vite, tout se complique.
L'écriture accroche le lecteur, elle est alerte, très vivante,
illustre la vie à Kiev, ses rues, son métro, la rudesse
de l'hiver, les habitudes culinaires et celles des habitants, repas de
saucisses, pommes de terre frites ou bouillies, vin rouge, vodka, les
cérémonies religieuses, le manque de soins hospitaliers,
la succession effrénée des spots télévisés,
les logements au mobilier sommaire, les datchas
Beaucoup d'idées géniales dans ce récit : le pingouin
comme animal de compagnie ; le rôle dévolu à l'auteur
des nécrologies, le mystérieux "service postal"
nocturne qui fait monter l'angoisse, les nécros enfermées
dans le coffre-fort frappées du tampon "Traité"
avec la date d'exécution, le pingouinologue Pidpaly, la visite
de Sergueï Tchikaline tendant à Victor la nécro qu'il
lui avait écrite
Celle aussi d'avoir su alterner les moments
de tension, avec ceux d'une vie familiale bien vivante, égaillée
par les rondeurs et la bonne humeur de Nina, les repas de poissons congelés
du pingouin et les réflexions pleines de fraicheur de Sonia. Par
exemple :
" Cest quoi
le point commun entre le pingouin et la télé ? demanda
Sonia en passant la tête par la porte de la véranda.
Sergueï et Victor se regardèrent.
Ils dorment debout tous les deux ? tenta Victor.
Non, répondit la fillette. Ils sont tous les deux noir et
blanc !"
Ou encore :
" Sonia, ça
te dirait daller en Italie ? demanda Victor pour plaisanter.
La fillette, qui léchait sa cuillère en plastique, fit «
non » de la tête.
Tu voudrais aller où, alors ? senquit Nina.
À la balançoire, répondit-elle."
Et au moment du dégel : "Tonton
Vitia ! sécria Sonia, émerveillée, un beau
matin où elle regardait dehors par la porte-fenêtre du balcon.
Les glaçons pleurent !"
J'ai aussi aimé les descriptions exprimant l'atmosphère
des lieux, par exemple : "La
neige crissait sous leurs pas. Au-dessus d'eux, le ciel était clair,
pur, émaillé d'étoiles glacées, mais sans
lune. C'était sans doute pour cela que la nuit semblait plus sombre
que d'habitude, privée de son astre." D'autres
passages aussi comme la partie de pêche et la baignade de Micha
au lac gelé, le réveillon dans la datcha
C'est une gageure pour un écrivain d'avoir traité avec autant
d'humour un sujet aussi terrifiant. La fin, le sauvetage de Victor, résulte
de son amour pour Micha, c'est en voulant le sauver, le rendre à
sa banquise, qu'il se sauve lui-même. Cet argent qu'il gagne au
casino, qui pleut autour de lui, le lave en quelque sorte de l'argent
sale qu'il a gagné en participant aux opérations de nettoyage
des mafieux ; il est comme le symbole d'un mode de fonctionnement qui
survient une dernière fois et ne sera jamais plus. Là où
il va, en Antarctique, c'est l'inconnu d'un univers dont on ne sait s'il
va revenir. Ce que l'on sait, c'est que son amour pour son pingouin Micha,
sa volonté de le sauver agit comme un déclic et une rédemption.
Il comprend qu'il ne doit pas aller chercher Micha à la clinique
où l'attendent les tueurs, mais filer à l'usine d'aviation
où Valentin Ivanovitch l'attend avec son pingouin pour embarquer
pour l'Antarctique. Il y va seul et la chute du récit est admirable
: "Et le pingouin ?"
demande Valentin ;"Le
pingouin c'est moi" répond Victor.
J'ouvre en grand.
Margot (Le
pingouin)
Une écriture du jour le jour, comme une chronique de vie quotidienne,
très précise et qui dans sa précision semble tellement
coller au réel que rien ne semble devoir se passer, une sorte d'anti
narration, d'anti-événement, d'anti suspens : "La
vie des gens ordinaires est si ennuyeuse, les distractions sont devenues
hors de prix" (fin du premier paragraphe).
Et pourtant, Kourkov démontre une grande maîtrise du principal
déclic de la fiction qui consiste pour le lecteur à suspendre
sa méfiance. Plus le cadre est réaliste, mieux on la suspend.
Et alors même que cette banalité se contredit par le titre
"Le pingouin" - car que fait donc un pingouin en Ukraine ? -
"Micha" en appartement est un inédit qui vient du zoo
en faillite.
Deux fils d'écriture s'entrelacent tout au long du roman, celui
de la vie ordinaire et une scansion du drame et du tragique, qui vire
au roman policier, avec des séries d'événements qui
mettent sur le qui-vive.
L'ordinaire reprend pourtant sans arrêt le dessus au fil des pages,
avec l'immense isolement et solitude du narrateur. Excepté qu'il
reçoit une offre de travail : écrire des nécrologies
qui deviennent aussi une sorte de routine. En réalité cette
routine est le cur du livre, sa colonne vertébrale, et le
génie littéraire de Kourkov est de faire de l'écriture
le principe actif du registre policier.
C'est l'écriture qui crée l'événement : l'écriture
est un principe actif. Ces nécrologies signent la mort des personnes
et se révèlent le déclencheur de règlement
de comptes entre mafieux ; elle a lieu dans un univers de disparitions
successives, presque tous les personnages rencontrés disparaissent
et laissent tour à tour des êtres dans un immense abandon.
En même temps qu'elle gèle les vies dont elle parle, cette
écriture se déroule dans une saison glaciale, l'hiver ukrainien,
qui sera l'antichambre d'un départ pour un pays encore plus froid,
l'antarctique. Avec elle, se dessine l'univers de gangsters et de corruption,
de hors la loi, et elle devient une arme, un des modes opératoires
du crime des plus efficaces. "Le
responsable de tout ça [fusillade
et règlements de compte]
(...) c'est toi (...) Pas que toi, bien sûr
Mais sans toi,
ça ne serait pas arrivé" lui dit le rédacteur
en chef. Chacun peut être instrumentaliser à son insu, c'est
effrayant.
A partir de là, le récit poursuit deux registres : celui
de la banalité d'une vie de tous les jours où tous les nouveaux
événements ne font pas événement, mais s'intègrent
dans une forme de normalité étrange : la présence
de Sonia, fille adoptive et de Nina, la fille de l'amie policier qui devient
la maîtresse de Victor, presque une petite famille ronronnant avec
la datcha et le coin du feu. Mais ce cadre réconfortant va peu
à peu glisser. Et le registre du polar à suspens, avec des
chroniques de meurtres annoncés, et des disparitions soudaines
: Micha d'abord, la disparition temporaire de Victor, la disparition de
son ami policier, la porte de chez lui fermée à clé
mais qui n'empêche pas l'entrée d'un inconnu qui dépose
des choses dans l'appartement en pleine nuit, la présence de beaucoup
d'argent numéraire, d'une arme à feu dans le fond du sac
qui ne quittera plus Victor jusqu'à la fin... Bref, une insécurité
permanente et intense. A quoi s'ajoute la menace constante et voilée
du rédacteur en chef "moins on en sait plus on vit vieux",
un appel à l'ignorance et au silence qui intrigue, d'autant que
ce rédacteur en chef va lui-même se mettre au frais, avant
de disparaître. En bref il ne fait jamais suffisamment froid pour
anesthésier les dangers.
La règle d'écriture est donnée, dans un entre-deux
entre son intérieur "chez lui" et l'extérieur,
le contexte qui poursuit, croit-il, une route parallèle : "À
force de travailler chez lui, il ne distinguait plus les jours ouvrables
des week-ends : sil en avait envie, il écrivait, sinon non,
mais les jours où il désirait travailler étaient
les plus nombreux ; de fait, il navait pas dautre occupation.
Il ne parvenait pas à rédiger de récits, ni à
commencer une véritable nouvelle ou un roman. Il semblait avoir
trouvé le genre qui lui convenait et était tellement conditionné
que même lorsquil nécrivait pas de 'petites croix',
il y pensait, ou du moins avait en tête des phrases au rythme et
aux tournures funèbres, dignes de figurer comme parenthèses
philosophiques dans ses futures nécrologies. Alors que
l'écriture ici crée le contexte, pilote la réalité,
elle est non détachable du contexte, elle est l'objet d'une instrumentalisation.
Rivé au narrateur, le lecteur découvre l'instrumentalisation
de l'écriture, l'imbrication du contexte de guerre mafieuse et
l'écriture des nécrologies. Il subit aussi le désenchantement
de la dernière inversion : la chaleur familiale de la vie quotidienne
est un leurre. Le cadre idyllique glisse vers un nouveau protagoniste.
Les liens tissés entre trois personnages tout aussi abandonnés
n'ont aucune consistance réelle. La coquille de protection face
à la mort qui émerge (la série des enterrements où
les vivants sont plus morts que vif et où le seul vivant est le
pingouin) s'effrite, et cela coïncide aussi avec la greffe du cur
pour le pingouin qui a pris froid. Doucement Sonia et Nina vont migrer
vers un autre cadre, avec un autre homme, successeur de Victor dans les
nécrologies.
La prise de conscience de Victor correspond au moment où il se
substitue à Micha et confesse que le pingouin c'est lui. Plus rien
n'est ni vrai, ni vivant, dans un roman où l'écriture est
hyperréaliste ; c'est sidérant. Une sorte de glaciation
soviétique. Mais déception de la fin qui s'achève
presque comme une pirouette littéraire : le pingouin était
une figure de style, une figure de substitution qui désignait autre
chose que la réalité de l'animal. Le détachement
est brutal et difficile.
Le petit groupe (Ana, José Luis, Manuela, Nieves) qui s'est réuni le 7 juin 2022 est tombé d'accord sur plusieurs éléments :
- Tout d'abord sur la facilité et le plaisir que la lecture de ce petit livre leur a causés.
- Après, sur le fait que ce plaisir était sans doute dû au fait que l'écriture est faite de l'alliage d'un humour un peu cynique et distancé, d'une bonne dose d'absurdité et d'une savante composante de mystère. Comme l'une des personnes l'a souligné, le lecteur se sent entraîné, happé même, comme s'il était en train de lire un polar, et d'une certaine manière le roman pourrait bien faire partie de cette catégorie littéraire.
- En troisième lieu, tous ont souligné l'étrangeté un peu déroutante du héros du roman : sa vie solitaire sans, apparemment, d'objectif personnel, de telle façon qu'il semble accepter de manière presque passive ce qui lui arrive (prendre en charge la vie d'un pingouin du zoo ainsi que, l'on dirait au même niveau, celle de la petite fille d'un ami qui disparaît sans laisser de trace ; coucher, sans aucun attachement, avec la jeune femme qui l'aide à s'occuper de la petite, écrire - pour des raisons alimentaires - de troubles nécrologies qui ne sont que l'annonce d'une mort violente à venir, etc.) sans jugement moral d'aucune sorte, ce qui a amené certains membres du groupe à le juger froid, insensible, voire, surtout à la fin du texte, corrompu.
- Cette corruption individuelle, au cas où elle en soit, ne serait que le point logique d'aboutissement de quelqu'un forcé de vivre dans une société corrompue elle-même, désagrégée, faisant partie d'un État failli, où ceux qui mènent la danse sont des groupes de pouvoir et d'argent, travaillant dans l'ombre, s'opposant entre eux et se succédant de manière hasardeuse et imprévisible à la tête des affaires publiques ordinaires.
- Enfin, le livre serait un portrait de l'Ukraine d'avant le conflit actuel et permettrait de comprendre certains des enjeux de la situation présente.
Tenant compte de l'ensemble de ces variables, le petit groupe a fait
un bilan très positif de cette lecture, au point d'avoir pris la
décision de proposer au grand groupe, pour la prochaine échéance,
la lecture d'un autre roman de Kourkov, Les abeilles grises.
Nieves(Le
pingouin)
C'est un livre vraiment surprenant. On commence à lire et on ne
sait pas à quoi bon ce personnage, Victor, avec son pingouin sauvé
du démantèlement du zoo de Kiev ; or, on a tout de
suite envie de continuer la lecture dans l'attente de trouver une explication.
Déjà dans cette remarque sur le zoo, on devine la situation
dans laquelle vivent les gens dans cet endroit. Or, cet homme gris, écrivain
raté et très confus à propos de ce qui peut lui apporter
encore la vie, arrive quand même à aller de l'avant.
Donc, ce récit d'une écriture très claire, qui avance
comme un polar teinté d'humour et d'absurdité, est arrivé
à susciter mon intérêt pendant tout le parcours et,
en particulier, m'a inspiré de la sympathie pour ce personnage
maladroit et des fois très naïf qu'est Victor. Les réflexions
qu'il se fait à propos de sa vie et de la vie en général
m'ont vraiment attendrie car on le sent dérouté, toujours
à la merci d'un entourage où il ne semble contrôler
jamais les ficelles. C'est toujours les autres, Sergheï, Micha, Sonia,
Nina, le pingouinologue
qui décident ce qu'il doit faire,
où il doit aller. Cependant, à la fin il nous surprend avec
son ultime mouvement : comprenant le sens de son travail et voyant
que sa mort est imminente, avant de se laisser tuer, il choisit de partir
pour l'Antarctique. L'absurde vient résoudre le problème.
Je trouve que c'est qui est différent dans ce roman, c'est la superposition
de différents plans narratifs : d'une part, l'histoire triste
et mélancolique de Victor, reconverti en rédacteur de "petites
croix", nécrologies de personnages distingués. D'autre
part, le chaos d'une ville morne, sinistre, où la vie n'a aucune
valeur, les gens se soûlent à la vodka pour survivre et où
on aperçoit tout le temps la misère (on travaille pour les
mafias pour pouvoir survivre, on ne peut pas tomber malade car il n'y
a pas de médicaments
). Et finalement, les coulisses de ceux
qui détiennent le pouvoir et l'argent qui ne sont que des mafieux
s'entretuant quand l'un des bénéficiaires commence à
être vu par les autres comme une menace. C'est le résultat
d'un pays où règnent l'incertitude et la corruption la plus
absolue. Mais ce qui est insolite, c'est le décalage du premier
plan avec le reste, car il a un ton surréaliste, presque loufoque
par rapport au fond très inquiétant et plein de dangers
des deux autres.
Enfin, découverte d'un auteur et lecture différente et intéressante
qui nous fait comprendre très subtilement la corruption qui étranglait
l'Ukraine à l'époque où elle venait de se dégager
de l'URSS, nous ramenant d'immédiat au conflit actuel.
José Luis(Le
pingouin)
Entre roman existentialiste et drôle de roman de l'absurde, voilà
l'impression que la lecture de Le Pingouin, d'Andréï
Kourkov, me laisse. D'un côté, l'indifférence aux
événements quotidiens de Victor - le héros de
ce très réussi roman de l'écrivain ukrainien -
m'a rappelé souvent les attitudes du camusien Meursault, dont le
leitmotiv était "cela m'est égal", ou "cela
n'a aucune importance". De l'autre, la présence centrale,
et tout à fait naturelle, dans le monde des humains, du pingouin
récupéré du zoo de la ville, en manque de moyens
pour l'entretenir, teint l'ensemble du roman des couleurs réjouissants
de l'absurde, d'autant plus que personne, et pas seulement Victor, semble
voir dans la forte présence de la petite bête, qui mène
une vie sociale bien riche, rien d'anormal. Que, vers la fin du livre,
des savants et sages médecins décident, pour lui sauver
la vie, de lui greffer le cur d'un enfant, ne fait que souligner
la naturalisation sociale de ce bizarre compagnon du héros et l'absence
totale, dans la société, de valeurs autre que l'économique.
Et cela sans compter la présence très demandée de
l'étrange être dans les cérémonies d'enterrement
de personnes illustres.
Je sais, je sais, que ces comportements de et à l'égard
de la petite bestiole, son utilisation par les humains, n'ont, pour ces
derniers, je viens de le dire, d'autre intérêt que monétaire,
mais cela ne fait qu'ajouter au texte sa dimension surréaliste :
n'importe quel moyen est bon pour s'enrichir... ou paraître, ce
qui revient au même, si l'on veut bien admettre le bien fondé
de l'affirmation que l'argent et la vanité régissent le
monde !
Or, sous ces deux dimensions, l'indifférence existentialiste et
le surréalisme cupide et vaniteux, c'est toute la société
qui est visée : un peuple qui ne vit en liberté se
laisse gagner facilement par l'indifférence et renonce à
toute authentique créativité ou à tout sentiment
supérieur comme l'amour ; un peuple qui ne voit autour de
lui que des exemples de corruption liés à l'argent ne voit
d'autre solution de survie que de se corrompre lui-même.
Mais Victor échappe en bonne partie à cette destinée.
Son indifférence existentielle ne l'empêche pas de s'occuper
des autres sans rien attendre en échange : il n'attend rien,
au moins au début, de Micha, le pingouin, dont il s'occupe presqu'avec
une certaine tendresse ; il n'attend rien de Sonia, l'enfant d'un
ami, qui part sans retour, la laissant entièrement à ses
soins ; il n'attend rien de Nina, la jeune femme de vingt ans, qu'il
engage pour s'occuper de Sonia, avec laquelle il entretiendra des rapports
amoureux libres mais sans chaleur...
D'un autre côté, il est loin d'être cupide ou de chercher
à occuper des postes de pouvoir pour s'enrichir, comme c'est l'habitude
autour de lui. Il n'attend des autres que l'argent nécessaire à
sa survie sans se préoccuper de négocier un meilleur salaire
pour l'étrange travail de rédacteur de nécrologies
pour lequel un journal l'a engagé, renonçant, du même
coup, sans nostalgie ou frustration aucune, au métier d'écrivain
qui était son aspiration première. Étrange travail
au sujet duquel il ne se posera jamais de questions, sauf vers la fin
quand ce sera trop tard et là il prendra la seule décision
égoïste de sa vie pour sauver sa peau : prendre la place de
Micha le pingouin dans le bateau qui part vers l'Antarctique dont le passage
lui-même avait préparé pour l'animal, fuyant ainsi
le risque d'une mort sûre.
Le pingouin c'est un roman étrange, étonnant même,
qui se lit très facilement, avec un grand plaisir, de la première
à la dernière ligne, après laquelle on reste sur
sa soif, parce qu'on voudrait le prolonger, ce plaisir.
Personnellement je n'ai pas attendu pour le satisfaire, en lisant à
sa suite Les abeilles grises, un autre roman de Kourkov, bien plus
long et complexe et beaucoup plus centré sur l'actualité
de l'Ukraine que le précédent. Mais, pour l'instant, je
me garderai bien d'exprimer les sensations que cette lecture m'a procurées...
Le groupe réuni le 20 septembre 2022 pour discuter du livre du
mois, Les abeilles grises, a tiré les aspects suivants :
- le contexte du roman
- les thèmes
- les appréciations personnelles.
À propos du contexte, un sujet d'actualité de la guerre
entre l'Ukraine et la Russie, tellement commenté dans tous les
domaines, politiques, économiques, sociologiques
, on n'a
pas trop parlé, même dans le roman. On s'est attaché
surtout aux sentiments et aux expériences suivies par le protagoniste.
Ce qui nous a touchés, c'est la façon dont le personnage
engage toute une série d'événements vécus
ou rêvés pour nous dégager la lecture du roman - en
paraphrasant Sartre.
L'amour pour les abeilles, ce qui l'a soutenu dans un monde gris, est
une métaphore qui nous montre l'essence du roman. L'amour pour
les animaux est une constante, la robe de sa femme avec les fourmis
,
tout cela dans la recherche de la solitude et la mélancolie. Il
s'agit de l'existence humaine auprès des ennemis, ou plutôt
avec son ennemi d'enfance, avec lequel on doit partager son existence
pour survivre.
Le roman invite à profiter de sa lecture calme et séduisante
dans un monde à l'envers.
Nieves(Les
abeilles grises)
Si j'ai bien aimé ce roman, c'est à cause de sa façon
de nous raconter la guerre sous le regard des vrais protagonistes, les
personnes qui la subissent au jour le jour. Cette guerre qui tracasse
le monde depuis 2014 et qui persiste encore tuant chaque jour des Ukrainiens
innocents et des centaines de soldats russes.
D'après moi, il y a quelques aspects qui rendent ce récit
captivant.
Tout d'abord la présence permanente des abeilles qui a deux finalités.
La première donner un sens à la vie de Sergueïtch.
En effet, pour subsister dans ce village abandonné avec la seule
compagnie de Pachka son ennemi d'enfance, il a ses ruches auxquelles il
porte un dévouement inouï.
Mais les abeilles sont aussi un recours narratif fantastique pour contraster
l'absurdité et le chaos de la guerre vis-à-vis des colonies
d'abeilles qui symbolisent une société idéale, unie
et solidaire.
Un autre aspect à signaler, ce sont les descriptions pleines de
poésie, en particulier, par rapport à des éléments
de la nature :
La sagesse de la nature, voilà ce qui enchantait Sergueïtch. Partout où la sagesse de la nature lui était apparente et intelligible, il en comparait les manifestations avec l'existence humaine. Il les comparait et ce n'était pas l'avantage de la seconde.
Un exemple de cette écriture poétique :
Les étoiles brillaient vivement au-dessus de Kouïbychevo et d'Albat. Les étoiles se moquent de savoir au-dessus de qui elles scintillent, pour qui elles éclairent la nuit comme autant de lampes minuscules.
Et aussi de la poésie dans la description d'un paysage, un coucher
de soleil, le "bortsch" de Dalia
J'ai également apprécié le traitement respectueux
du protagoniste envers les femmes, des femmes fortes et bienveillantes,
qui offrent des solutions aux problèmes. Même avec sa propre
femme qui l'avait abandonné, il arrive à lui faire confiance
en lui demandant de l'aide pour la fille tartare.
Sergueï, c'est donc un personnage avec lequel je me suis sentie de
plus en plus attachée. C'est quelqu'un de fragile, d'un peu naïf
même, mais capable de mettre toujours au-dessus ce côté
compatissant, généreux et tendre dans les rencontres hasardeuses
qu'il trouve au long de son parcours. Son comportement rend humain l'absurde
de la guerre.
Et pour finir mes remarques sur le roman, je vais évoquer cette
métaphore de la couleur grise qui va tout imprégner, y comprises
les abeilles et qui contribue à donner une idée très
imagée de comment est la survie dans un état de guerre.
C'est presque troublant de voir la quantité de petites choses qui
se passent sous cette triste couche grise où l'incertitude est
toujours présente car un projectile peut tomber à côté
à tout instant, ou un militaire venir te chercher pour t'envoyer
au combat ou tout simplement pour te tuer.
Donc, lecture fort intéressante. J'ai bien aimé la découverte
de cet écrivain qui sait si bien contrôler les ficelles de
la littérature.
José Luis(Les
abeilles grises)
Ce qui m'a surtout intéressé dans ce roman, c'est la personnalité
de son héros, Sergueïtch, homme calme, tranquille, responsable
de soi et des autres, généreux, disponible pour rendre service
sans jamais rien demander en échange, amoureux et respectueux de
la nature - et des femmes !, qui, elles aussi (Galia, Aysélu,
Vitaline, son ex-femme, et même la jeune Ayse) - sont présentées
pleines de qualités. C'est sans doute à cause de tout cela
que la lecture du livre laisse (m'a laissé, à moi) une sorte
de paisible et agréable sédiment, comme cela arrive après
avoir longuement - 400 pages de parcours ensemble, c'est un bon bout
de chemin ! - côtoyé un homme ou une femme bons
et forts. Si l'on pense à la célèbre catégorisation
des romans proposée par Lucien
Goldmann à la suite G.
Lukàcs (souvenez-vous : le roman de l'idéalisme
abstrait, caractérisé par un héros actif mais
qui a une conscience trop étroite par rapport à la complexité
du monde, dont un des exemples serait Don Quijote ;
le roman psychologique, dont le héros est passif et a une
conscience trop large par rapport à ce qu'on peut attendre de la
réalité du monde, par exemple le Frédéric
Moreau de L'Éducation sentimentale, et le
roman éducatif, où le héros renonce à
la recherche problématique qui caractérise les autres héros,
sans pour autant accepter les valeurs dominantes ni renoncer à
l'échelle et à la recherche implicite d'un système
de valeurs qui lui sont propres ), c'est à la troisième
typologie que Les abeilles grises appartient, puisque Kourkov nous
confronte à un héros (mais aussi, secondairement, à
des héroïnes) qui ont été éduqués
par la vie à une maturité exemplaire.
Sergueï semble, d'une certaine manière, une prolongation de
Victor, le héros de Le Pingouin, mais arrivé à
un degré de maturité et complexité plus grande, celle
qui correspond au degré plus grand de complexité de la vie
ukrainienne qui sépare les deux époques où les événements
des deux romans ont lieu : une paix apparente, gouvernée par la
corruption et la surveillance généralisées dans le
premier cas, une véritable guerre bien active dans le deuxième
après l'invasion de la Crimée, dans le second.
Soyons plus précis :
1. Sergueï est capable de vivre en harmonie avec son plus grand ennemi
depuis l'enfance, en s'aidant mutuellement dans ce village de Mala Starogradiva,
à moitié en ruines, à moitié vidé par
le reste de ses anciens habitants par peur de la guerre et où ils
sont les seuls deux habitants, mais dans le rapport inégal entre
les deux ennemis forcés de s'entendre pour survivre, c'est toujours
Sergueïtch qui a la plus grande générosité et
la plus grande préoccupation pour son voisin Pachka, qui, lui,
cherche toujours à taquiner l'autre, malgré quoi, à
la fin du livre, Sergueï semble être pressé de revenir
dans leur village pour rencontrer celui qui, en fin de compte, semble
être devenu un ami.
2. Cette même générosité, issue d'un sentiment
d'amitié et de confiance mutuelle, qui surgit à première
vue, dans leur première rencontre, explique les rapports de Sergueï
avec le soldat Petro, sans compter les risques qu'il prend pour essayer
d'enterrer le corps du soldat inconnu mort sur la neige.
3. Et c'est aussi la générosité qui le conduit à
affronter les possibles conséquences négatives d'aller s'enquérir
auprès des autorités russes de Crimée sur la situation
d'abord de l'époux d'Ayselu, son ancien ami Athem, et après
de leur fils Békir, disparu comme son père.
4. Enfin, c'est la générosité qui régit les
rapports de Sergueïtch avec les femmes, des rapports libres de toute
coloration d'emprise, y compris avec son ancienne compagne, Vitaline,
avec laquelle il continue à conserver des sentiments de confiance
et d'amitié. Sergueï, aussi bien par respect que parce qu'il
aime trop sa liberté, ne fait jamais le premier pas.
"C'est sûr, c'est une femme chouette, songeait Sergueïtch. Et un sacré cordon bleu [ ] elle est d'une grande simplicité. Même son prénom est sans prétention : Galia. Et la vie avec elle serait sûrement trop simple. [ ] Ce soir-là, Sergueïtch se sentit si bien chez elle qu'il prit peur. Il craignit qu'après deux ou trois autres dîners comme celui-ci, l'envie lui passe de retourner sous la tente où chaque nuit, à travers la fine enveloppe du sac de couchage, à travers la toile caoutchoutée tapissant le sol, la terre lui meurtrissait les côtes de toute sa rudesse. Il finirait par prendre ses aises, sans en demander la permission à la maîtresse de la maison. Car il savait déjà ce qu'elle désirait. Et son désir à son endroit était légitime. La loi de la nature avait fait en sorte que toutes les créatures vivantes veuillent vivre en couples. Toutes excepté les abeilles."
Mais il ne se laissera prendre dans le confort physique et psychique que lui est clairement offert :
"Tu es si tranquille", lui murmura-t-elle à l'oreille, et il sentit la chaleur de son souffle. "Je n'aurais aucun mal à vivre avec toi."
Or, il écartera la douce et tiède tentation et partira à la recherche de son ami Athem en Crimée. Et là, une foi connue sa mort, les mêmes sentiments vont se renouveler avec la veuve de celui-ci, Aysélu. Et avec la même force prudente, il en écartera la tentation de rester auprès d'elle. C'est que ce que Sergueïtch aimait par-dessus de tout, c'était sa liberté et le contact avec la nature, dont il parle très souvent en termes lyriques le long du livre, et dont il fera ce résumée saisissant vers la fin du roman :
La sagesse de la nature, voilà ce qui enchantait Sergueïtch. Partout où l'apparence de la nature lui était apparente et intelligible, il en comparait les manifestations avec l'existence humaine. Il les comparait et ce n'était pas à l'avantage de la seconde.
Et voici l'avis de Thérèse, une amie du groupe
DES
INFOS sur Andreï Kourkov |
FAMILLE, ENFANCE, ÉTUDES, BOULOTS |
- Né en 1961 en Russie à Budogochtch à 200 km de Leningrad (qui deviendra Saint-Pétersbourg), Kourkov a évoqué sa famille avec Yasmine Chouaki (émission En sol majeur, rfi, 23 mai 2014) :
Du côté de son père, c'était une famille de la "bourgeoisie communiste" : sa grand-mère fut chirurgien militaire sur le front, puis après la guerre directrice et médecin-chef d'un sanatorium à Kiev, et également députée au conseil de la ville ; elle divorça de son grand-père qui était commissaire dans l'armée, stalinien, cosaque du Don, originaire du Caucase du Nord ; après la guerre, il devint directeur d'école.
Son père était pilote militaire d'essai et sa mère qui n'était pas communiste était docteure à Kiev où la famille a déménagé quand Andreï avait 2 ans, pour le travail de son père dans l'usine des avions Antonov. Quand il a dû faire son service militaire à 24 ans, comme il faisait des études de langues et avait un diplôme de traducteur en japonais, il était destiné à faire de l'espionnage pour le KGB en écoutant des conversations entre officiers depuis les îles Kouriles près du Japon : le problème est que cela entraînait de ne pas quitter l'URSS pendant 25 ans pour raison d'État ! Sa mère ayant un général de police parmi ses patients..., celui-ci a changé ses papiers au commissariat et Andreï a pu choisir parmi quatre la prison où être gardien pendant son service militaire : il a choisi Odessa, belle ville, dit-il, créée par un Français ; et là, il a commencé à écrire des histoires pour enfants...
- À 10 ans, il commence une collection de cactus : il en aura 1500, la septième collection d'Ukraine (ce qu'il sait en tant que membre de la société des amateurs de cactus d'Ukraine...) : apprendre leurs noms latins lui donne le goût des langues étrangères. Il parlera russe, ukrainien, polonais, anglais, allemand, français, japonais.
- Après l'école, il travaille à
la bibliothèque du sanatorium de Pushcha-Vodytsya.
- En 1983, à 22 ans, il est diplômé
de l'Institut pédagogique d'État des langues étrangères
de Kiev (aujourd'hui Université
nationale des langues de Kiev). Il est rédacteur en chef du
journal de lInstitut polytechnique de Kiev.
- De 1985 à 1987, il est donc gardien à
la colonie pénitentiaire d'Odessa n° 51.
- Vie professionnelle ensuite : il a travaillé
comme éditeur dans la maison d'édition Dnipro, a été
scénariste au studio de cinéma Dovzhenko
et chargé de cours au Bell
College (à Cambridge en Angleterre).
POTINS |
En 1988, il se marie à Londres avec Elizabeth
Sharp (consultante au British Council en Ukraine,
une organisation de rapprochement culturel et uvrant pour léducation).
Principal potin intriguant : pour
elle, Andreï Kourkov se serait converti au protestantisme (Oursmagazine.fr).
Ils ont trois enfants : une fille Gabriella qui vit à Londres et
deux fils Théo et Anton qui sont en Ukraine.
VOIR ET ÉCOUTER KOURKOV |
À
l'écran
Sur deux livres présentés par Kourkov lui-même à
la Librairie Mollat :
- Le jardinier
d'Otchakov, 17 oct. 2013, 4 min.
-
Le
concert posthume de Jimi Hendrix,
11 avr. 2015, 4 min.
Dans le journal TV en France ou depuis la cuisine de l'appartement où
il est hébergé :
- juste
avant la guerre sur Les abeilles grises : L'invité
du jour sur France 24,
4 février 2022, 11 min
- au début de la guerre 28
min sur Arte, 14 mars 2022, 12 min
- en pleine guerre : C
à vous sur la 5, 31 mars 2022.
À
la radio
sur Les abeilles grises, 3
février 2022
:
- avec Pascal Paradou dans De
vive(s) voix, rfi
- avec Guillaume
Erner dans L'invité
des matins, France Culture.
PUBLICATIONS de Kourkov |
De l'autoédition au succès international
- 1991 : L'Ukraine devient indépendante avec la
dislocation de l'URSS. Kourkov publie son premier roman Le Monde de
Bickford à Kiev, deux semaines avant cet événement.
Avec l'effondrement de l'Union soviétique, la plupart des entreprises
d'édition ont cessé de fonctionner : pour le publier, il
emprunte de l'argent, achète lui-même le papier, contrôle
l'impression et assure la diffusion des 75000 exemplaires...
Comme de nombreux écrivains, Kourkov a eu du mal à obtenir son premier contrat d'édition. Il aurait reçu 500 refus avant d'être accepté, période au cours de laquelle il avait écrit près de 8 romans complets...
- 1996 : premier succès du Pingouin, vendu à plus de 250 000 exemplaires, ce qui est un record pour un auteur contemporain en Ukraine ; il est alors le seul écrivain des pays post-soviétiques à figurer parmi les best-sellers européens.
- 2005 : Kourkov devient persona non grata en Russie. La distribution de ses livres est interrompue et son affiliation avec la maison d'édition des écrivains de Saint-Pétersbourg en Russie résiliée. L'une des raisons, selon Kourkov, était ses propos dans la presse pendant la révolution orange qui critiquaient la Russie et en particulier son ingérence lors des élections de 2004 en Ukraine ; son livre Le dernier amour du président ne retourne pas Poutine en sa faveur.
Il est l'auteur de plus de 20 livres pour adultes et pour enfants, ainsi que de nombreux scénarios de longs métrages et de documentaires.
Ses livres traduits en français
- 2000 : Le
Pingouin, trad. Nathalie Armagnier
- 2001 : Le
Caméléon, trad. Christine Zeytounian-Beloüs
- 2002 : L'Ami
du défunt, trad. Christine Zeytounian-Beloüs
- 2004 : Les
pingouins n'ont jamais froid, trad. Nathalie Armagnier
- 2005 : Le
dernier amour du président, trad. Annie Epelboin
- 2005 : Truite
à la slave, trad. Annie Epelboin
- 2010 : Surprises
de Noël, trad. Paul Lequesne
- 2010 : Laitier
de nuit, trad. Paul Lequesne
- 2012 : Le
jardinier d'Otchakov, trad. Paul Lequesne
- 2014 : Journal
de Maïdan, trad. Paul Lequesne (essai)
- 2015 : Le
concert posthume de Jimi Hendrix, trad. Paul Lequesne
- 2018 : Vilnius,
Paris, Londres, trad. Paul Lequesne
- 2022 : Les
abeilles grises, trad. Paul Lequesne.
Ni romans, ni essais :
- 2014 : Face
Nord, photographies de Charles Delcourt, éditions Light
Motiv, 2014, édition trilingue (français, anglais, russe)
- 2019 : Pourquoi
personne ne caresse Petit Hérisson, ill. Tania Goryushina,
Borealia (dès 3 ans) :
Gros plan sur Les
abeilles grises
Le
livre a été publié en 2018, entre les deux situations
représentées par les cartes ci-dessous. Mars 2014 : Moscou annexe la Crimée par référendum Avril 2014 : les séparatistes du Donbass proclament leur indépendance en avril, déclenchant la guerre dans cette région avec la soutien militaire russe (cartes publiées dans Le Monde, 24-25 avril 2022) |
24 février 2022 :
sous prétexte de protéger les Russes ethniques et
les russophones d'un Etat "nazi" et "sans existence
légale", Poutine envahit l'Ukraine en utilisant notamment
les troupes basées en Biélorussie et ses alliés
des républiques autoproclamées de Donetsk et de Louhansk.
|
Voici l'itinéraire de lapiculteur, de
la "zone grise" à la Crimée, dans lédition
russe de louvrage.
Pour bien comprendre l'histoire de l'Ukraine, le rôle des Cosaques,
du poète ukrainien Chevtchenko évoqués
dans le roman, voir une vidéo du Monde très claire
de 9 min ici.
Pour se situer dans la littérature ukrainienne, Iryna Dmytrychyn, maîtresse de conférences en langue et civilisation ukrainiennes à l'Inalco, évoque lhistoire de l'Ukraine à travers sa littérature et sa langue : "Ukraine : la littérature pour exister", podcast Book club de Louïe, par Agathe le Taillandier 22 mars 2022, 37 min.
Pour les bons vivants, des idées gustatives directement tirées du livre : kacha au sarrasin, pelmeni "cuits à leau puis revenus à la poêle dans de lhuile de tournesol jusquà devenir croustillants, et enfin jetés dans le bortch", des yantiks, le ratafia au miel, le ratafia au galanga, layran et les samsas, ces "chaussons délicieusement farcis dagneau haché", voir Langue sauce piquante, le blog de Martine et Olivier, camarades de casse..., en vérité correcteurs au Monde... ici
Sur le livre Les abeilles grises, revue de presse ici
KOURKOV SCÉNARISTE |
Il a travaillé sur une trentaine
de scénarios de film et fait partie de lUnion des cinéastes
ukrainiens depuis 1993, un an avant de rejoindre lUnion des écrivains
ukrainiens.
Il a aussi été scénariste pour le studio
Dovjenko, premier studio du pays. Il est membre de lAcadémie
européenne du film.
La passion de Kourkov pour le cinéma est donc presque aussi importante
que celle quil a pour la littérature.
MEMBRE D'INSTITUTIONS CULTURELLES |
- 1988 : Kourkov devient membre du PEN club de Londres.
- 1993 : membre de l'Union des cinéastes d'Ukraine.
- 1994 : membre de l'Union nationale des écrivains.
- 1998 : membre de l'European Film Academy et membre
permanent du jury du European Film Academy Felix Award.
- 2018 : élu président de PEN Ukraine.
En 2022, cette section du PEN club na reçu aucun message
de soutien des écrivains russes membres de PEN International. Une
pétition a même été publiée dans la
Literatournaïa Gazeta [une revue littéraire russe] signée
par des centaines d'écrivains qui soutiennent Poutine et la guerre.
L'écrivain russe Zakhar Prilépine, dont nous avions lu San'kia,
avait en 2014 soutenu lannexion de la Crimée par la Russie
et, en 2017, avait même rejoint les combattants séparatistes
de lest de lUkraine et formé son propre bataillon,
ce qu'avait ainsi commenté Viktor Pelevine dont nous avions lu
Amon-Ra... : "Quand tes livres sont de la merde, il faut
bien que tu gagnes de largent avec le terrorisme" (Livres
Hebdo, 22 février 2017).
KOURKOV POLYGLOTTE |
Vous parlez de nombreuses langues. Comment expliquez-vous cette sorte de boulimie linguistique?
Je parle aujourdhui six langues russe, ukrainien, polonais, allemand, français et anglais. Jai oublié, ou presque, le japonais, le roumain, le géorgien et le danois. Jai commencé à apprendre des langues étrangères durant la période soviétique, une période où il était impossible de voyager. Or je rêvais de voyages. Parler dautres langues, écouter des chansons, lire des livres dans le texte original est devenu ma façon de découvrir dautres cultures, dautres pays.
Avez-vous songé un jour à écrire
en ukrainien?
J'ai composé des poèmes en ukrainien quand j'avais entre 16 et 20 ans. J'ai aussi écrit dans cette langue des contes pour enfants. Et l'an dernier, j'ai publié un livre de non-fiction sur l'abbé Pierre et Emmaüs ainsi que sur la présence de la communauté en Ukraine (Le Temps, 16 mai 2019).
TRADUCTIONS |
Kourkov est traduit en 36 langues.
En France, ses livres sont successivement
traduits par plusieurs traductrices, puis à partir de 2010 par
le même traducteur.
De
2000 à 2005, 3 traductrices spécialisées dans les
titres animaliers pour 5 livres :
- Nathalie Armagnier (2 livres) : Le
Pingouin, Les
pingouins n'ont jamais froid
- Christine Zeytounian-Beloüs (2 livres) :
Le Caméléon,
L'Ami
du défunt
- Annie Epelboin (1 livre) : Truite
à la Slave.
À partir de 2010, tous les livres sont traduits par Paul Lequesne (7 livres) : Surprises de Noël, Laitier de nuit, Le jardinier d'Otchakov, Journal de Maïdan, Le concert posthume de Jimi Hendrix, Vilnius, Paris, Londres et Les abeilles grises.
QUE D'ANIMAUX ! |
Il avait 6 ans quand il a écrit son premier poème après le décès de deux des trois hamsters que son père lui avait offerts pour lui tenir compagnie, ses parents étant très pris par leur travail : le poème concernait la solitude du hamster restant et déterminait ainsi son inspiration animalière...
Que vient faire un pingouin dans votre roman ?
J'ai écrit le Pingouin en Angleterre. Il y a un animal dans chacun de mes romans. Ici, j'ai d'abord essayé sans animal. Ça ne marchait pas. C'était plus facile avec un pingouin d'approfondir la psychologie du personnage. C'est un animal collectif. Quand ils se promènent, tous les pingouins font la même chose en même temps. Un pingouin seul est perdu, désorienté. L'homme soviétique était aussi un animal collectif. On lui disait ce qu'il faut faire, où il faut aller, où trouver à manger. Après la destruction de l'URSS, beaucoup d'hommes et d'intellectuels se sont retrouvés seuls, isolés de leur groupe. Ils avaient peur d'avoir des amis et de devoir les aider, leur donner de l'argent, c'était bien aussi sans amis. Dans le roman, le pingouin et le héros, ça fait deux solitudes qui coexistent.
Quels sont les animaux de vos autres romans?
J'ai écrit des romans avec un rat, un caméléon et un perroquet. Le maître du perroquet est un acteur. L'oiseau a une très bonne mémoire. Il a appris beaucoup de poésie soviétique propagandiste. Il travaille pour les organismes officiels. Il est invité au congrès du PC. Il est arrêté, emprisonné, réhabilité. Mais pas redonné à son maître. Il dit les vers d'un grand poète dont personne ne connaît le nom. Des chercheurs font une thèse sur ce poète introuvable, qui était peut-être dans la même cellule que le perroquet en prison. On élève un monument au poète inconnu comme on fait au soldat. On organise un concours pour le nouvel hymne national et le perroquet gagne. Et quelqu'un comprend qu'en fait le perroquet écrit lui-même de la poésie (Libération, 27 avril 2000).
UN CONSEIL LITTÉRAIRE DE KOURKOV |
Pour comprendre ce pays qu'est l'Ukraine, quel est le livre que vous conseilleriez ?
Pour comprendre l'Ukraine et son histoire, je conseille avant tout de lire des auteurs de non-fiction tels que Martin Pollack, Timothy Snyder, Anne Applebaum, Serhii Plokhii. Mais il y a aussi de la grande littérature. Tout d'abord, le roman de Maria Matios, Daroussia la Douce, publié il y a quelques années par Gallimard (Les Inrocks, 7 mars 2022).
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