Édition d'Antoine Compagnon
comprenant un fascicule (Swann illustré) reproduisant des illustrations de Pierre Laprade, Hermine David, Kees Van Dongen, Philippe Jullian, Yan Nascimbene et Georges Lemoine, Gallimard, collection Folio classique, série Tirages limités sous étui, 2013, 600 p. L'étui au prix d'un poche comporte ce livre :

Quatrième de couverture
 :
"Et tout d'un coup le souvenir m'est apparu. Ce goût, c'était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray (parce que ce jour-là je ne sortais pas avant l'heure de la messe), quand j'allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m'offrait après l'avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. La vue de la petite madeleine ne m'avait rien rappelé avant que je n'y eusse goûté... Mais, quand d'un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l'odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur goutelette presque impalpable, l'édifice immense du souvenir."


Édition d'Antoine Compagnon, Gallimard, c
ollection Folio classique, 1988, 720 p.

Quatrième de couverture : Le Narrateur se souvient de l’enfant qu’il fut. L’attente du baiser maternel du soir, les déjeuners du dimanche chez tante Léonie, les cadeaux de la grand-mère. Il est fasciné par M. Swann, un ami de ses parents, amoureux fou d’une femme qui aime tout le monde sauf lui. Il tombe amoureux de sa fille, Gilberte, qui ne le rendra pas plus heureux. A travers ces scènes de vies – intimes ou mondaines, tragiques ou comiques – passent des impressions, des parfums, des visions. Des nymphéas à la surface d’une rivière, une madeleine oubliée dans une tasse de thé, des catleyas dans les cheveux d’une femme aimée, une bille d’agate offerte en gage d’amitié... Mais, une fois adulte, comment demeurer cet enfant émerveillé dans un monde que l’on ne reconnait plus, où l’amour est souffrance, où le désir est jalousie, où "le souvenir d’une certaine image n’est que le regret d’un certain instant" ? Réminiscences de l’enfance perdue, roman d’amour impossible, satire de la haute société emprisonnée dans l’éphémère de la mode, mais aussi étude philosophique sur la mémoire involontaire : Du côté de chez Swann est tout cela à la fois.
Qu’est-ce qu’un chef-d’œuvre ? Un palais du souvenir, aux mille portes d’entrée, où chaque lecteur éprouve une émotion singulière, toujours renouvelée.


Flammarion GF
, 688 p., avec interview de l'écrivain Daniel Mendelsohn, préface Jean Milly, présentation Bernard Brun : ces trois textes sont en ligne ici.

Quatrième de couverture : Le plaisir de la lecture, l’heure du thé, le drame du coucher… Par l’évocation d’innombrables petits moments tour à tour délicieux, humiliants, érotiques, décevants, Proust nous invite à prendre part à ses réflexions dans ce premier volume de la Recherche, où les souvenirs d’enfance ("Combray") et les premiers instants de l’adolescence ("Noms de pays") encadrent le récit des amours d’un riche collectionneur et d’une demi-mondaine ("Un amour de Swann").
À la manière de Schéhérazade dans Les Mille et Une Nuits, le romancier dévoile une histoire merveilleuse et complexe, qui nous conduit des jardins enchanteurs d’un village français aux sombres ruelles parisiennes, en passant par les feux de l’Opéra et les salons aristocratiques. Nous y suivons son narrateur-héros qui cherche à étancher sa soif d’émerveillement et prenons part à sa quête toujours renouvelée du sens de la vie.


texte établi, présenté et annoté par Elyane Dezon-Jones, Livre de poche, 489 p.

Quatrième de couverture :
Ce livre, les plus proches des amis de Marcel Proust en parlaient depuis quelque temps avec une discrétion passionnée et les lecteurs du Figaro eurent ici même plus d'une fois la fortune d'en connaître des extraits. Il forme la première partie d'une trilogie, et son titre Du côté de chez Swann, orienté, libre et fécond comme un départ pour la promenade, est la si violente et lumineuse projection d'une intelligence et d'une sensibilité qu'en le lisant on entend une voix profonde et révélatrice, plus encore qu'on n'accomplit l'habituel travail visuel et spirituel de la lecture, et qu'après l'avoir refermé, et avant de le reprendre, l'écho de cette voix se prolonge, évoquant la présence de l'auteur pour ceux qui le connaissent, et, pour les autres, capables de la reconstituer. (Lucien-Alphonse Daudet)


Pocket, 596 p.
Quatrième de couverture : Inimaginable pour ses contemporains, entre les murs de liège de son appartement du boulevard Haussmann, un dandy maladif, dont personne ne soupçonnait le génie, crée un monument romanesque qui allait dominer la littérature française. Explorant les méandres infinis de la mémoire, à partir de précieuses sensations retrouvées, il ressuscite une société défunte à travers le prisme de l'intelligence, du comique et de la poésie. Aujourd'hui, Swann, Combray, Balbec, Guermantes, Bergotte ou le terrible Charlus sont devenus les figures tutélaires d'une religion universelle. Conscient de la puissance de son œuvre, Marcel Proust prolonge celle de Balzac et réinvente les Mille et Une nuits de l'Occident.
Lire La Recherche du temps perdu, c'est vivre d'une seconde vie, c'est entrer dans une féérie où le temps et l'espace se confondent et renouvellent le miracle d'un éternel présent.


Gallimard
, collection Blanche, 408 p.
Quatrième de couverture : "Et tout d'un coup le souvenir m'est apparu. Ce goût, c'était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray (parce que ce jour-là je ne sortais pas avant l'heure de la messe), quand j'allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m'offrait après l'avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. La vue de la petite madeleine ne m'avait rien rappelé avant que je n'y eusse goûté... Mais, quand d'un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l'odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur goutelette presque impalpable, l'édifice immense du souvenir."

La Pléiade, tome I, éd.sous la direction de Jean-Yves Tadié


Gallimard, collection La Gerbe illustrée, préface André Maurois, illustrations Philippe Jullian, 496 p.


Edition Grasset, 1913


Illustrations Yan Nascimbene, collection Futuropolis/Gallimard, 192 p.
Quatrième de couverture : "Le regard de Proust est celui d'un voyeur, il observe pour nourrir sa réflexion et édifier ainsi sa 'démonstration'. Je suis resté plus en retrait encore, caché dans l'ombre du narrateur et de Swann, en espérant que cette discrétion me permette d'approcher de plus près, au-delà du décor et des costumes, leur silence, leur émotion. Bien entendu il aurait été absurde de prétendre 'enrichir' le texte de mes dessins ! J'espère cependant qu'ils pourront prolonger la rêverie du lecteur..."v(Yann Nascimbene)


Paperoles du fonds Proust, BnF, département des Manuscrits

Marcel Proust (1871-1922)
Du côté de chez Swann (tome 1 de la Recherche, 1913)
Nous avons lu ce livre pour le 18 novembre 2022, jour de la mort de Proust un siècle auparavant, et le groupe breton pour le 12 janvier 2023.

Avec ses trois parties :
- "Combray"
- "Un amour de Swann"
- "Noms de pays : le nom" (texte en ligne ici)

Nous avons visionné Un amour de Swann, un film de Volker Schlöndorff (1984), adaptation de la deuxième partie de Du côté de chez Swann.

Encore Proust ! Voir en bas de page ce qui nous a pris pour le reprogrammer...

Les 36 cotes d'amour des trois groupes
AntoineAudreyBrigitte LCatherineDavidÉdithFannyEtienneFrançoisFrançoise DFrançoise HJacquelineKatellKatherineLauraManuelMargotMonique MMurielNathalie BRenéeRomainSabine •Valérie
Anne Annick L Brigitte T Chantal Claire
•Jean Marie-Odile •Marie-Thé
•Suzanne
Jean-Paul Monique LRozenn


Marcel Proust par Jacques-Emile Blanche, 15 octobre 1891, Trouville, BNF

On dirait qu'il attend avec grande attention nos réactions..

Les 16 prousteries de l'ancien groupe
BrigitteCatherineFanny EtienneFrançoiseJacqueline Katell Laura Manuel
Muriel
Renée
Sabine

Annick LClaire
Monique LRozenn

Katell(avis transmis)
Je n'ai pas eu l'opportunité (ou le courage ?) de relire Du côté de chez Swann.
J'ai entendu à la radio que les vrais lecteurs de Proust (podcast Faut-il avoir lu Proust pour en parler ? sur France Culcul) évoquaient avant tout leur rencontre avec Proust. Donc, c'est ce que je vais faire...
Ma première rencontre ce fut au Bac français de 1986, le commentaire composé. Je pense un extrait de Du côté de chez Swann. J'ai le souvenir d'un texte parlant d'une lumière bleue derrière une vitre dépolie. Ce fut un échec car j'ai eu 8/20. Heureusement compensé par un 14 à l'oral...
Ensuite, j'ai rencontré Pierre, le père de mes filles, qui m'a impressionnée notamment par sa connaissance/lecture de Proust. D'ailleurs, il fut le graphiste de l'événement "Un Printemps proustien" il y a quelques années (2018 ?).
Grande lectrice, j'étais piquée au vif, et je me suis fait offrir pour mes 21 ans, l'intégrale de La Recherche chez Bouquin. Et j'ai tout lu. Et j'ai adoré. Je me souviens d'une lecture comme un ruban qu'on déroule... Où je ne comprenais pas tout, mais ne cherchais pas à tout comprendre. Et je suis entrée dans le club encore assez fermé des lecteurs de Proust.
Aujourd'hui, il y a tellement d'exégèse sur Proust que ça alimente ma paresse de le relire.
Il n'empêche, à la question du questionnaire de Proust* : "Quel livre emporteriez-vous sur une île déserte ?", je réponds toujours : À la recherche du temps perdu (suffisamment gros pour ne pas s'ennuyer sur une île déserte).
*Ahaha ! Ce n'est pas une question du questionnaire de Proust (précise Katell)

(On se demande pourquoi Katell a adoré Proust...)
Brigitte
(à l'écran)
Je n'ai pas pu relire Du côté de chez Swann en totalité : j'ai lu "Combray", j'ai commencé "Un amour de Swann". Mais j'avais lu il y a très longtemps La Recherche ; mes différentes lectures se sont mélangées : les choses que j'avais lues et un peu oubliées, que j'ai retrouvées. Il n'y a pas d'événement, tout est dans l'art de la description de la nature, des sentiments… J'ai retrouvé la tante Léonie et aussi certains lieux. On ne s'ennuie pas. J'ai particulièrement apprécié la description du nénuphar, dont une branche fait sans cesse le même aller et retour dans la Vivonne, allégorie de la répétition du déroulement des événements. Il écrit trois pages sur un événement qui pourrait tenir en trois mots, mais c'est intéressant, toujours justifié et subtil.
Ce qui m'a le plus intéressée, c'est que Proust, par son aptitude à aller jusqu'au fond des choses, inaugure le roman du XXe siècle. Par rapport à Flaubert et Zola, il approfondit beaucoup plus et décortique tout ce qui se passe, tout ce qui arrive. Il inaugure un nouveau type de roman, qui annonce le XXe siècle : Sarraute, Beckett, dans l'analyse des mots, mais peut-être aussi Picasso ! Il a initié un mouvement complètement nouveau. Il s'agit d'innovation, même à un niveau international. J'ouvre en grand évidemment.
Renée(à l'écran depuis Narbonne)
Après avoir tout lu à 20 ans, parce qu'il fallait le lire, puis deux fois ensuite : avec mon groupe, nous avons lu La recherche en entier en 2013 (un volume par mois).
Cette année-là, j'ai lu le livre de Céleste et des milliers de lignes de commentaires ; j'étais tellement plongée dans Proust qu'au théâtre, je cherchais Oriane et j'attendais que Mme Verdurin sonne à ma porte. J'ai lu avec jubilation, osant enfin rire dans certains passages.
En 2022, plus aucune exégèse, que le TEXTE : je me suis plongée dedans avec délice, relisant plusieurs fois une même page. Vague impression d'être acceptée dans la famille, d'en faire partie. J'ai vécu les scènes autour de la mère, (j'entendais sa voix) et déjà la peur de l'abandon qui ne cessera jamais pour le narrateur. L'appel de la nature m'a touchée : pages superbes sur "le désir" pour les sapins et les acacias du bois de Boulogne, mêlé il est vrai au désir des belles femmes. Quant à l'analyse de l'amour, Proust a TOUT dit : nos petites mesquineries, nos mensonges, notre envie de contrôle sur l'autre…
Sur le snobisme des Verdurin, sur les soirées, il est féroce, d'autant plus qu'il considérait que les mondanités l'éloignaient de la création, de l'écriture de son œuvre.
Et puis le plaisir de SAVOIR ce que deviendront les personnages, de deviner des allusions au futur : "La dame en rose" vue chez son oncle est Odette de Crécy ; de la même façon, au tout début, lorsqu'il est "à Tassonville, chez Mme de Saint-Loup" il est chez Gilberte adulte, la même Gilberte qui sera adoptée par Forcheville à la mort de Swann (d'où doute sur la paternité de Swann ?).
Plaisir absolu.
J'ai beaucoup aimé un tas d'expressions dont "son amour n'était plus opérable".
J'ouvre en très grand à 360 degrés.

Catherine
Ce que j'ai à dire n'est pas extrêmement élaboré.
J'ai découvert Proust très jeune. J'ai vu mes parents le lire, ce qui me donnait envie de le lire aussi (je faisais souvent ça, de prendre des livres dans la bibliothèque...). Je l'ai donc lu vers 14 ans. Je n'ai évidemment pas tout lu, "Combray" seulement, et sans doute en sautant des passages. J'étais gamine et je ne connaissais rien de Proust, mais j'ai été stupéfiée par ce livre, par le début la scène du coucher, les émotions ressenties : j'avais moi peur du noir ; j'avais l'impression d'être projetée dans la vie intérieure de quelqu'un d'autre - même si je ne me le disais pas comme ça. "Un amour de Swann", j'avais trouvé ça nul : et Odette n'était même pas belle !
Je l'ai relu plus tard ; j'ai lu d'autres tomes et j'ai retrouvé le charme, le fait de se retrouver dans l'univers de quelqu'un d'autre. Dans cette famille, qui est tout son monde, il ne se passe rien, c'est très lent, mais du fait de cette lenteur, on a l'impression de vivre aux côtés du narrateur. J'ai beaucoup aimé les descriptions du village de Combray, des toits. Il y a des passages et des personnages très drôles, tante Léonie, le salon des Verdurin, madame Verdurin qui se décroche la mâchoire en riant, Cottard, bien qu'il soit un peu caricatural. C'est souvent assez cruel en même temps. J'ai trouvé le personnage de la grand-mère très attachant.
"Un amour de Swann" est une partie très à part ; c'est une description assez extraordinaire de la jalousie poussée à l'extrême, plutôt que de l'amour. Swann n'aime Odette que lorsqu'il ressent de façon inattendue son absence et qu'il commence à douter d'elle. C'est parfois un peu long.
J'ai été aussi subjuguée par ce que raconte le narrateur de la mémoire, du processus de remémoration déclenché par une odeur, un morceau de musique et ce, bien avant qu'elle ne soit décrite scientifiquement, c'est une véritable description clinique ; ça, c'est génial.
C'est une lecture qui ne ressemble à aucune autre pour moi. Et je suis d'accord, pour une île déserte c'est bien. J'ouvre en très grand.
Fanny
Je suis fascinée par l'écriture, par le phénomène de la mémoire avec le regard d'adulte.
Il ne se passe rien et on ne s'ennuie pas.
J'ai lu La Recherche en entier quand j'étais plus jeune, mais les phrases longues ne se prêtent pas au rythme saccadé de ma vie actuelle et je n'ai pas tout à fait fini "Combray", ce que je ferai quand j'aurai le temps.
J'ouvre en grand évidemment.
Françoise D
Moi non plus, je suis allée pas plus loin que "Combray", non pas par lassitude, mais j'ai trop de choses à lire (avec échéance). J'ai adoré retrouver ma lecture de jeunesse. Oui, j'ai retrouvé le même plaisir. Moi qui aime les trucs qui dépotent, ben là pas du tout ! On se délecte des descriptions de tout : paysages, personnages, etc. Et il y a une dimension qui m'avait échappé je crois : c'est drôle.


Muriel
Je trouve pas ça drôle.

Le chœur
Oh si !

Muriel
Vous n'êtes pas difficiles !

Françoise
Par exemple, dans la description de la chambre de la tante Léonie, il y avait "une table qui tenait à la fois de l'officine et du maître-autel, où, au-dessous d'une statuette de la Vierge et d'une bouteille de Vichy-Célestins, on trouvait des livres de messe et des ordonnances de médicaments, tout ce qu'il fallait pour suivre de son lit les offices et son régime, pour ne manquer l'heure ni de la pepsine ni des vêpres". J'adore ! J'ai aimé retrouver la Tante Léonie qu'au passage, je signale, on appelle par le nom de son mari, Mme Octave, comme toutes les autres dames âgées.
Ou encore à propos de la lecture : "C'est ainsi que pendant deux étés, dans la chaleur du jardin de Combray, j'ai eu, à cause du livre que je lisais alors, la nostalgie d'un pays montueux et fluviatile, où je verrais beaucoup de scieries et où, au fond de l'eau claire, des morceaux de bois pourrissaient sous des touffes de cresson."
"Montueux" et "fluviatile", j'ai cru que c'étaient des adjectifs inventés par l'auteur. J'ai été déçue de les trouver dans le dictionnaire.
J'ouvre en grand, comment faire autrement. Et si on n'a rien à lire, c'est toujours un plaisir d'y revenir.
Annick L
Comment ajouter un commentaire de plus à l'avalanche d'hommages qui paraissent en ce moment ? L'exercice est difficile ! Mais je peux au moins parler de mon rapport personnel à cette œuvre.
J'ai lu l'ensemble de La Recherche quand j'étais une jeune étudiante, dans une période de ma vie où j'ai été malade et me suis retrouvée avec un espace de temps disponible pour cette découverte. J'ai pris un grand plaisir à me laisser porter par le flux si particulier de cette prose, avec ses incises, ses retours sur des faits déjà évoqués, ses commentaires extrêmement approfondis sur tel ou tel personnage, sur tel événement, sur l'art, etc. J'étais particulièrement sensible à son analyse extrêmement fine des fluctuations du sentiment amoureux, y compris dans les relations homosexuelles, ou du mécanisme subtil des réminiscences. J'ai adoré l'humour, l'ironie, parfois féroce, de sa mise en scène de certains milieux sociaux, chez les aristocrates, les bourgeois parvenus, les artistes… personne n'en réchappe, pas même le narrateur qui fait preuve d'une grande capacité d'autodérision.
J'ai relu plus tard certains passages qui m'avaient particulièrement marquée, et puis le dernier volume dont je n'avais gardé aucun souvenir et qui est, en soi, magistral.
Mon admiration pour cette grande fresque, très ancrée dans la société de l'époque, reste intacte. Et je suis toujours fascinée par cette capacité à faire revivre des souvenirs, heureux ou malheureux, avec une acuité incroyable.
Mais aujourd'hui la lecture de ce volume de La Recherche ne m'a pas procuré le plaisir attendu. Pas d'effet petite madeleine ! Je me suis parfois ennuyée, par exemple au fil de ces pages sur "les clochers de Martinville", sur l'architecture des églises ou sur la nature à l'occasion des promenades familiales sur les bords de la Vivonne. Au point de sauter des pages…
Mon intérêt s'est réveillé brutalement au moment où l'on entre dans le salon des Verdurin : quelle plume pour croquer les personnages, leurs tics de langage, leur pédantisme, leur sottise ! Une comédie humaine irrésistible…
Et j'ai été personnellement très touchée par le passage sur la fameuse sonate de Vinteuil, sur l'effet produit par cette révélation musicale sur celui qui l'écoute, Swann, et l'association qu'il fera avec son amour naissant pour Odette. Des pages d'une grande sensibilité artistique, d'une grande finesse psychologique. C'est très beau.
Mais ensuite je me suis lassée du récit des amours compliquées entre Swann et Odette, puis entre le narrateur et Gilberte, de l'extériorité avec laquelle ces sentiments contradictoires, fluctuants sont décortiqués, jour après jour, semaine après semaine.
Il m'en reste donc des impressions contradictoires difficiles à synthétiser. À 20 ans je l'aurais ouvert en très grand, aujourd'hui je ne saurais pas dire.
Muriel

J'avais pour amoureux Marc Tadié, le frère du déjà grand spécialiste de Proust Jean-Yves Tadié qu'il m'avait fait rencontrer pour le choix de mon sujet de maîtrise que je voulais faire sur Proust : sur Proust ! Mais tout a été dit ! (On était en 1967 - qu'est-ce que ça doit être maintenant !) Restait Jean Santeuil où il m'a proposé d'étudier la préfiguration des principaux thèmes romanesques proustiens : faut dire que Jean Santeuil, découvert longtemps après la mort de Proust par Bernard de Fallois dans un carton à chapeau, est NUL. Jean-Yves Tadié m'a trouvé comme directeur de mémoire le professeur Castex - oui, Castex et Surer...
(Claire ouvre le parchemin de la maîtrise en question, relié comme ça ne se fait plus, et lit Muriel Stibbe dans le texte, disant à propos de métaphores ou comparaisons trouvées dans Jean Santeuil pas trop mauvaises : "Mais toutes ne sont pas aussi réussies, aussi originales, aussi spirituelles ; certaines sont franchement malheureuses, telle celle-ci : Et il se réveille, ne pouvant la resaisir avec la fureur d'un impuissant qui aurait fait une fausse couche"...)
Bref... non, non, rien ne s'est passé avec les Tadié... Je trouve très intéressante la peinture sociale, avec ces gens pleins de fric qui n'avaient rien à foutre qu'aller dans des dîners : il s'agit d'un véritable documentaire. J'aime aussi l'analyse des sentiments, de Swann pour Odette, même si cette relation malsaine est pour lui particulièrement maso. D'ailleurs parmi les avis du groupe en 2011 que j'ai lus, je ne sais plus qui disait que la correspondance de Proust montrait à quel point la relation avec sa mère était sado-maso.
Oui, c'est un très beau style, et si les phrases sont longues, elles sont très claires. (Voyant des mines dubitatives) Non, c'est pas un roman-photo !
Je me souviendrai toujours de la scène de la mort de la grand-mère, absolument poignante ! J'ouvre en grand évidemment.
Etienne (à l'écran depuis Rennes)
Difficile de trouver les mots après l'avalanche de superlatifs dont on a été baignés cette année ; je vais essayer de donner mon avis simplement et, comme on me l'avait conseillé il y a 5 ans quand j'ai ouvert La Recherche pour la première fois, tenter de m'affranchir de tout ce qui a été dit ou ce qui entoure le roman.
Je vous ai fait une infidélité car j'ai choisi de lire "La prisonnière" qui était tout simplement l'endroit où je m'étais arrêté il y a un an (j'ai pour projet d'en lire un par an) et je vous avoue que je me voyais mal "revenir en arrière".
La lecture de Proust, cela a probablement déjà été dit, s'apparente à la pratique d'un sport : il faut trouver son rythme, comprendre la structure de sa pensée et ensuite ça devient comme une foulée. Une fois qu'on a compris, un peu, la manière dont son esprit déroule sa pensée, cela devient logique même si une attention aiguë est indispensable.
"La prisonnière" traite principalement de deux thèmes majeurs : la jalousie évidemment et l'homosexualité. Pour qui a une fois ressenti de la jalousie une fois seulement dans sa vie, ce livre est essentiel, il s'agit d'une analyse qu'aucun manuel de psychologie ne pourra autant éclairer. Proust descend tellement profond, examinant le moindre des rouages de ce sentiment honteux (qui est évidemment néfaste autant pour l'objet que celui qui la déploie) que c'en est parfois effrayant. Rarement on sent un écrivain qui se met tant à nu. La thématique de l'homosexualité m'a moins frappé, mais c'est probablement parce qu'il s'agit d'un prolongement de "Sodome et Gomorrhe" (ou elle était déjà été bien exposée). Toutefois, quelques brillantes lignes où l'on voit passer Charlus du symbole de la virilité des premiers tomes à ses manières de vieille femme. Quelle étude du genre humain que le complot des Verdurin et la chute de Charlus ! Non, décidément, l'homosexualité chez Proust n'est pas heureuse… On comprend aussi, en ayant vu les différentes expositions à quel point le découpage des derniers tomes est discutable et devait revêtir probablement une autre forme puisque "La prisonnière" devait être une partie intégrale de "Sodome et Gomorrhe".
Si l'écriture de Proust me plaît et me parle tant, c'est que je ne crois pas à la simplicité. Il est vrai que les phrases sont à rallonge, longues, laborieuses, en "poupée russe". Il aime tourner autour d'un concept, d'une idée, alors il lance une phrase, puis une seconde, une troisième, etc., en espérant qu'à force d'accumulation on puisse s'en approcher au plus près, même si le centre reste parfois inatteignable, inintelligible, un peu comme un trou noir (il me semble que les parallèles entre Proust et l'astrophysique sont nombreux) ; c'est cela : Proust allie comme personne la rigueur scientifique et un état de grâce poétique.
Et l'exposition de la BNF met bien en valeur tout cela, où rarement un processus de création a été à ce point mis en lumière. Que dire des derniers tomes ? Peut-on véritablement les juger comme les autres ? Il est presque certains qu'ils auraient été largement remaniés au vu des incessantes épreuves imposées à Gallimard pour les premiers publiés, certains passages sont un peu décousus dans celui que j'ai lu (je pense à quelques saillies, notamment sur l'art sortant au milieu de nulle part ; quand on sait que Proust écrivait de façon fragmentaire, cela n'a rien d'étonnant). Peut-être est-ce ce qui a fait que j'ai eu un peu plus de mal à lire "La prisonnière" que "Du côté de chez Swann". Qu'importe, le frisson a été renouvelé, j'attaque l'année prochaine "Albertine disparue". Ouvert en grand.
Monique Lqui a préparé une tarte aux asperges proustiennes
Que dire d'intelligent qui n'a pas déjà été dit sur cette œuvre ? A priori rien.
Je ne peux qu'acquiescer aux louanges sur le style, la richesse et la précision de la langue, la reconstruction imaginative de la mémoire de l'auteur déclenchée aussi bien par l'odorat, le goût, l'audition ou le toucher, mais le texte est trop long, trop étiré pour me maintenir intéressée voire éveillée. La manifestation actuelle de l'idolâtrie, voire du fétichisme, ne m'aide guère.
Je n'avais encore jamais réussi à lire en entier un des volumes de La Recherche. Je me suis donc lancée dans cette lecture avec la volonté de lire ce recueil in extenso.
J'en ai été incapable. Cela m'ennuie au bout d'un moment. Je n'en ai même pas lu le quart. Je crois que c'est plus que les fois précédentes. Les descriptions de l'église ou plutôt des églises m'ont stoppée dans mon élan. J'ai picoré des passages par-ci, par-là, comme les autres fois. Pour moi il y a des longueurs, des tournures et images qui me fatiguent. Les descriptions par touches successives peuvent être parfois intéressantes si elles étaient moins systématiques. Je n'arrive à lire que quelques pages à chaque fois, avant que mon attention s'envole.
Il y a déjà plus de 30 ans, j'avais offusqué mon beau-frère, professeur de lettres classiques, par mon incapacité à apprécier cette œuvre. Il m'avait conseillé de lire quelques pages chaque jour, ce qu'il faisait sans doute lui-même puisque ses livres de chevet étaient des Proust. J'ai essayé pendant quelque temps et j'ai laissé tomber.
Je pensais qu'une fois à la retraite j'aurais plus de temps…
Je suis incurable. En tout cas mon beau-frère a mieux réussi avec ses enfants puisqu'un de ses petits-fils s'appelle Swann...
Difficile d'évaluer ma lecture dans laquelle je n'arrive pas vraiment à persévérer et donc à faire de critiques claires d'autant plus que certains passages m'ont vraiment plu.
Rozenn
qui fête ses trente ans dans le groupe en apportant deux bouteilles de champagne !
Passe-moi ton papier Monique, je vais le lire et dire exactement la même chose…
(On rigole, c'est du Rozenn tout craché)
Je retrouve dans ce qu'a dit Monique des termes que j'avais en tête : sommeil, picorer, et une distance critique.
Ce qui suit est écrit après coup. Il faut lire Proust quand on est malade, dit-on : chouette ! J'étais à l'hôpital. Et je venais de lire plusieurs livres de René Girard qui, entre autres, se réfère à Proust et Shakespeare.
J'avais toujours refusé de m'y mettre par esprit de contradiction : trop de pression. Même si j'avais lu À l'ombre des jeunes filles en fleurs quand j'étais très jeune (15, 16 ans), sans aucun souvenir réel. Mais pour le groupe lecture, allons-y !
D'une façon générale, je lis trop vite ; j'essaie de ralentir. Et avec Proust ce n'est pas possible, pas possible non plus sur une liseuse. Et pas possible quand on est shootée.
Je me suis donc mise à écouter en audio, y compris Sodome et Gomorrhe : et là, c'est fantastique. En fait, j'ai parcouru dans le désordre. Parce que je m'endormais et que je ne savais pas où j'avais décroché. Donc je reprenais un peu au hasard. J'ai entendu des passages savoureux, certains plusieurs fois avec le même ravissement : sur l'évocation de la musique, sur le tilleul… La partie "Un amour de Swann" me paraît placée de façon incongrue. Je ne voudrais pas qu'on réduise l'amour à la jalousie. Simplifions : si on n'est pas heureux, on s'en va. Mais alors "Les noms de pays"… j'ai fait une grande impasse. Ah oui, je me suis complétement projetée dans la Tante Léonie que j'adore.
Alors… avec ce type d'approche quel avis est-ce que je peux avoir pour le groupe lecture.
J'ai regardé deux DVD, bof ! J'ai tenté de comprendre à partir de commentaires sur internet (commentaires parce qu'il n'y a pas de critiques) comment l'ensemble de La Recherche était construit. Si j'avais été éditeur, je l'aurais fait reconstruire. Je ne l'aurais pas refusé pour des formulations comme les "vertèbres sur le front", même si cela m'avait arrêtée ; pas non plus parce que les phrases seraient trop longues, puisque lues par quelqu'un qui embrasse l'ensemble, la longueur est au contraire un plaisir.
J'ai ouvert… une page sur 10. Je continuerai certainement… un jour. Si je l'emportais dans une île déserte, ce serait pour la reprendre à ma façon… Oups… quelle prétention…
Peut-être que La Recherche est écrite, et pas terminée pour que nous puissions nous en saisir.
Laura
Comme certains, j'avais déjà lu en partie en l'ouvrage, mais comme ce n'était qu'en partie, je considérais que je ne l'avais pas lu du tout. J'ai donc découvert "Combray" à l'occasion d'un cours de philo de Terminale. Je ne sais même plus pourquoi il fallait lire ce passage. Dans tous les cas je l'avais lu, mais n'en gardais que peu de souvenirs (quelques passages dans la chambre au tout début, l'infusion de tilleul, les clochers vus de loin dans la calèche). J'ai donc tout relu, du début, et cette deuxième lecture s'est en vérité affirmée comme une première. J'ai pu plonger avec plus de concentration dans les descriptions des paysages, et parfois j'avais la sincère impression d'être moi-même à Combray, je plongeais dans le tableau (le passage au sujet des aubépines notamment). Proust me semble vraiment extrêmement doué pour la description, et par moments j'avais l'impression d'admirer un tableau impressionniste.
Mais le roman a pris une tout autre tournure dès la deuxième partie. Certains disent que tout ce passage sur l'amour n'est plus intéressant quand on a plus de 20 ans ; eh bien moi j'en ai 21 et je trouve cette illustration de l'amour absolument fabuleuse. Attention, je précise qu'il s'agit ici du passage où Swann tombe au fur et à mesure follement amoureux d'Odette (la jalousie m'exalte moins). J'aime l'idée que Swann tombe amoureux d'une image, comme par triangulation. C'est parce qu'il voit dans le visage d'Odette les modèles des grands peintres italiens qu'il l'aime. Il l'aime comme une œuvre d'art, par distinction, par bon goût. J'ai donc pensé aussi à Mensonge romantique et vérité romanesque de René Girard, comme l'a cité Rozenn. D'ailleurs, dans toute cette description de tableaux, et de musiques parfois, j'ai repensé à À rebours de Huysmans. Je ne sais pas si le lien est justifié… J'ai aimé aussi l'arrivée imprévu de l'affirmation de quelque vérité qui se veut universelle ou générale. Par exemple : "Les êtres nous sont d'habitude si indifférents que, quand nous avons mis dans l'un d'eux de telles possibilités de souffrance et de joie pour nous, il nous semble appartenir à un autre univers, il s'entoure de poésie, il fait de notre vie comme une étendue émouvante où il sera plus ou moins rapproché de nous.
Toutefois, j'ai une petite déception toute personnelle quant au personnage de Swann… Moi qui l'idéalisais dans "Combray" et qui le considérais comme l'homme parfait, j'apprends dans la deuxième partie qu'il est au fond une sorte de "mufle", et que par surcroît il est roux aux yeux verts alors que je l'imaginais brun aux yeux bleus… Au-delà de ma marotte esthétique, je pense que les Cottard dans ce passage sont un peu exagérés, le docteur notamment. Alors s'il apporte ce côté comique à la pièce qui se joue sans cesse chez les Verdurin, c'est parfois trop lourd, pas assez fin. Je sens le ridicule de la scène, mais quelque chose me gêne.
Ce qui n'empêche que j'ouvre en grand évidemment, et que je compte lire la suite !
Sabine
Comme certain.es d'entre nous, j'ai lu Proust à 20 ans, sur les bancs de la faculté, en licence. Proust était au programme de l'agrégation et le prof de stylistique a proposé des études de passages qui me sont revenus, telles des petites madeleines. Cela a été un vrai plaisir de les redécouvrir 40 ans plus tard.
J'apprécie la lecture de La Recherche, qui est exigeante, demande du temps, de la disponibilité. Cela m'a pris trois mois pour relire un seul tome !
J'ai beaucoup apprécié l'exposition sur la judaïté de Proust ("Du côté de la mère") et les commentaires sur les brouillons, qui semblent "mimer" la lecture du Talmud.



L'expo à la BNF m'a moins intéressée (étant bigleuse, je n'ai pas vu grand-chose).
Sur une île, je l'emporte, bien sûr !
Jacqueline
J'adore mais… mais il m'est impossible de dire comment j'ouvre. J'ai une édition des années 20 (livre en main) qui appartenait à mon père et une édition de la Pléiade de 1957 qu'il avait offerte à l'aîné de mes frères (sans réussir à ce qu'il apprécie et sa fille a égaré les trois premiers tomes de l'édition de 1925 !) Mon père était fan de Proust, il est mort en lisant Saint-Simon, qui n'est pas sans rapport avec Proust (voir ici) et dont il est beaucoup question dans La Recherche. Je l'ai donc lu très tôt et pas dans un cadre scolaire ou universitaire.
Beaucoup, beaucoup plus tard, en linguistique, j'ai entendu une intervention ponctuelle éblouissante, sans doute autour de l'attention de Proust au langage parlé : ce prof nous avait aussi lu la rencontre de Charlus avec Jupien et la comparaison botanique ; il nous en parlait comme d'une magnifique histoire d'amour, ce qui me surprenait (sans doute mon côté coinc  !)...
Et puis il y a eu toutes les relectures, les découvertes avec notre groupe, les expositions...
Pour cette fois, j'ai retrouvé avec délice "Du côté de Combray" : avec le plaisir du familier, mais aussi celui de découvrir du nouveau... (un regard amusé sur Bloch et l'envie de reconnaître Bergotte en lisant Anatole France qui en aurait été un modèle). Surtout le plaisir de voir les jalons plantés pour la suite, ce qui m'avait échappé jusque-là et qui ne peut apparaître à la première lecture : la construction. J'ai par contre eu un peu de regret à voir se superposer au texte seul et à son Combray, les images d'Illiers vues lors de notre visite, les aubépines pas en fleur, tout ce côté un peu factice d'Illiers rendant hommage à son écrivain ; et je ne suis pas arrivée à faire coïncider la maison du livre avec celle que j'avais vue. Ça m'a donc entraînée sur les rapports entre roman et réalité... Vive le roman et son grand romancier !
Je pourrais ouvrir en grand. Oui, j'ai eu un plaisir fou à certains moments, et une grande envie à vouloir avancer.
"Un amour de Swann", je ne l'avais pas vraiment compris autrefois, quand je l'avais lu, je n'avais guère vu d'intérêt à ce roman dans le roman. Il a d'ailleurs, dans l'ensemble de l'œuvre, un statut particulier puisque le narrateur en est absent. Je ne suis pas sûre de bien comprendre cette histoire d'amour (pas plus, d'ailleurs que Swann !). Je n'ai pas retrouvé dans le film que nous avons regardé ce qui pouvait me l'expliquer : ce qui est raconté d'un homme à femme, utilisant ses amis pour rencontrer celles qui lui plaisent et fréquentant des ouvrières, y compris alors qu'il est amoureux d'Odette... Dans cette partie, j'ai été très sensible par contre à l'analyse que fait Swann de ce qui lui apparaît contradictoire dans ses sentiments (description d'une névrose ?), pour une fois j'ai trouvé les paroles rapportées (celles de Swann !) invraisemblables et je trouve que le film ne rend pas justice à Odette, belle et pulpeuse certes, mais réduite à cette image. La dimension sociale de l'époque m'y semble bornée aux apparences (costumes, environnement) alors que le texte de Proust, permet me semble-t-il, une vision plus ample et une réflexion sur la société de cette époque comme en particulier la situation qu'elle fait aux femmes... Je suis très contente de l'avoir lu, mais ma tendance naturelle serait de sauter les descriptions de la nature (aubépines, automne à Boulogne...) qui me semblent des morceaux de bravoure dont je ne vois pas trop l'intérêt. Ayant des souvenirs éblouis des automnes à Versailles, j'ai lu avec application l'automne au bois de Boulogne et j'ai dû chercher ampelopsis dans le dictionnaire pour retrouver le flamboiement de la vigne vierge !
Quant à la partie "Noms de pays", j'avais le souvenir de quelque chose d'extraordinaire, que, là, je n'ai pas retrouvé. Je vais le relire pour comprendre pourquoi...
Manuel
Mon avis sera très court. Je suis d'accord avec Sabine sur l'exigence, car une certaine disponibilité est nécessaire : j'ai lu la moitié. J'avais lu il y a longtemps Du côté de chez Swann etça revient tout de suite.
Il y a des pages admirables et remarquables. Le moment où on est sur le coup : admirable. C'est un monument bluffant et Proust a la place qu'il mérite.
Quelle acuité ! Par exemple le passage sur le tilleul, c'est ttrès beau. Je compare à la peinture.
Il nous fait vivre une expérience de lecture.
J'ouvre en grand évidemment.
Clairefrimant avec son pin's proustien
Le plaisir du
livre de poche avec coffret, drôlement pratique, le livret d'illustrations, tout ça pour 9,40 €, c'est un luxe, vraiment un cadeau pour le lecteur. Même raffinement avec des notes d'une précision infinie et le résumé page par page presque : un appareil critique de la Pléiade qui nous est accordée à nous, populace… Et comment ne pas songer au plaisir annoncé du Texte Sacré, enrobé de tout le fétichisme de ce Grand Texte National... Voilà pour les trompettes précédant ma lecture.
D'abord vient l'impression de tourisme, comme quand on découvre pour de bon le Taj Mahal qu'on a vu plein de fois en photo : c'est donc d'abord reconnaissance de ce qui a été perçu à plusieurs reprises, en voyant réellement ce qu'on a vu représenté, et en l'occurence ici, cité, recité, et peut-être même lu ; car même si j'avais lu le tome "Du côté de chez Swann" - retrouvant après coup des notes datant de notre visite à Illiers en 1991 - comme j'oublie, tout est nouveau, ou comme dans ce cas, ah oui tiens, reconnaissance.
Ensuite, et non sans rapport avec mon impression, les éclairs concernant la subtilité du narrateur : par exemple quand il dit de sa grand-mère qui souhaite qu'il ait dans sa chambre l'image des monuments ou des paysages les plus beaux, qu'elle ajoute un degré d'art en choisissant non pas une photographie mais un peintre, introduisant ainsi plusieurs épaisseurs d'art : "au lieu de photographies de la Cathédrale de Chartres, des Grandes Eaux de Saint-Cloud, du Vésuve, elle se renseignait auprès de Swann si quelque grand peintre ne les avait pas représentés, et préférait me donner des photographies de la Cathédrale de Chartres par Corot, des Grandes Eaux de Saint-Cloud par Hubert Robert, du Vésuve par Turner, ce qui faisait un degré d’art de plus."
Les fameuses comparaisons apportent aussi de la pensée, comme pour l''idée un peu hindoue" de la société "composée de castes fermées". Ou de la jouissance pour des descriptions, comme celle du tilleul destiné à l'infusion de la tante : "Les feuilles, ayant perdu ou changé leur aspect, avaient l'air des choses les plus disparates, d'une aile transparente de mouche, de l'envers blanc d'une étiquette, d'un pétale de rose, mais qui eussent été empilées, concassées ou tressées comme dans la confection d'un nid" (j'ai pensé alors à la géniale exposition en ce moment au Louvre sur "Les choses").
En lisant, non seulement je visite en touriste un monument, mais je suis aussi au spectacle où viennent des applaudissements pour les comparaisons : un peu comme quand au cirque on entend le roulement de tambour pour les performances au trapèze, le moment attendu qui fait vibrer. Par exemple, "y a du monde devant la porte" devient : "Les domestiques ou même les maîtres, assis et regardant, festonnaient le seuil d'un liséré capricieux et sombre comme celui des algues et des coquilles dont une forte marée laisse le crêpe et la borderie au rivage, après qu'elle s'est éloignée".
Et il y a l'humour dont plusieurs ont parlé ; ainsi, après le morceau de bravoure sur la musique de Vinteuil, la comtesse s'exclame : "Je n'ai rien vu d'aussi fort… rien d'aussi fort… depuis les tables tournantes !" Moi je rigole intérieurement.
Il y a aussi "le genre" (Brigitte a souligné le rôle d'innovateur de Proust) : pas tellement un récit, mais des dissertations sur la réalité sensible, des analyses sur ce qu'est l'art, des exercices de style (le trapéziste...) ; tout juste si je ne dis pas comme le narrateur à propos de Bergotte : "j'étais déçu quand il reprenait le fil de son récit." Moi aussi ! Ou encore : "j'aurais voulu posséder une opinion de lui, une métaphore de lui, sur toute chose". C'est en cela que Proust se prête vraiment aux morceaux choisis du Lagarde et Michard, que voici :

Pas la peine de lire toute La Recherche, le Lagarde et Michard suffit ! Et le moment où le narrateur pond son texte sur les deux clochers de Martinville, c'est formidable, avec l'approche du rôle de l'écriture. Et le moment où... Et le moment où...
Mais, mais, il y a pour moi "des longueurs", non pas que la phrase est longue, mais parce que c'est ennuyeux, avec des morceaux de bravoure pénibles, par exemple la description du couronnement d'Esther sur une tapisserie dans l'église (même si c'est à cette occasion qu'est évoqué l'espace à quatre dimensions - la quatrième étant celle du Temps). Ou bien sur Odette quand elle prend de la distance ça n'en finit pas... Et puis, des exercices de style virent parfois au kitch : "C'est ainsi qu'au pied de l'allée qui dominait l'étang artificiel, s'était composée sur deux rangs, tressés de fleurs de myosotis et de pervenches, la couronne naturelle, délicate et bleue qui ceint le front clair-obscur des eaux, et que le glaïeul, laissant fléchir ses glaives avec un abandon royal, étendait sur l'eupatoire et la grenouillette au pied mouillé les fleurs de lis en lambeaux, violettes et jaunes, de son sceptre lacustre." Ouh ouh (contraire des applaudissements...) ; comme dirait Proust à propos d'une musique assez merdique, c'est vraiment stercoraire... Et comme Rozenn (qui ne l'a pas dit comme ça), je trouve qu'"Un amour de Swann" arrive comme un cheveu sur la soupe question contruction (mais j'ai aimé lire ce contraire de roman Harlequin). Par conséquent, vu ces réserves d'admiratrice, j'ouvre aux ¾.
Je suis frappée par le nombre de "j'ouvre en grand évidemment", comme s'il convenait d'adorer Proust ; j'aime beaucoup le témoignage de Monique L qui nous montre à quel point elle était limite anormale de ne pas aimer Proust, avec son beau-frère prof de lettres classiques qui lui administrait un médicament : un cachet de Proust par jour. Heureusement qu'elle était là parmi nous pour apporter une note discordante à ce concert
de pâmoisons obligées...
Et pour enfin (!) finir, les produits dérivés de Proust m'amusent bien, j'en ai réuni une petite collection ci-dessous...

Renée, après la séance, en pensant à ce qu'a dit Laura
Swann tombe amoureux d'Odette lorsqu'il est frappé par sa ressemblance avec Zéphora, la fille de Jéthro sur une fresque de Botticelli (Les épreuves de Moïse) à la chapelle Sixtine. Ce supplément d'art la lui rend plus précieuse. Un livre qui me suit lorsque je lis Proust : Le musée imaginaire de Marcel Proust d'Éric Karpeles où figurent tous les tableaux évoqués dans La Recherche.

Claire, faisant semblant d'avoir ouvert des livres épais de sa bibliothèque...
Pas mal... j'ai celui-ci, Proust et les peintres, ne se limitant pas à La Recherche, un livre aussi excessif qu'elle, car il pèse 4 kilos... Je vois aussi qu'avec l'année Proust, vient de sortir Proust et les arts, c'est sans fin...

Les 13 cotes d'amour du nouveau groupe
réuni le 18 novembre 2022
AntoineAudreyDavidFrançoisFrançoise
KatherineMargotMonique MNathalie BRomainValérie
Anne Jean-Paul

Margot (avis transmis)
Voici ma participation à la lecture du roman de Proust. Je ne pouvais pas moins que de faire court. Tout se tient dans le titre.
Le roman est l'histoire d'un petit personnage qui ne peut se séparer de sa mère, petit cocon douillet dont les bras sont sans arrêt réclamés, tout en haut d'une chambre perchée au terme d'un escalier, qui semble à la Piranèse, l'éloigner du monde et l'immerger dans l'univers du nocturne, du coucher, du rêve et du réveil incertain dans la nuit qui, elle, ouvrirait sur un songe d'une tout autre étoffe…
En relisant "Du côté de chez Swann" avec beaucoup d'attention, il m'est apparu que tout démarrait à l'heure du coucher, à l'heure du songe, teintant de la sorte tout le roman de cette incertitude du rêve (rêve d'enfance, paradis perdu qui jamais n'exista) et que chaque épisode déployé renaissait alors dans une coquille de noix, selon cette petite madeleine matricielle, creuset d'écriture de tout le roman me semble-t-il… Tout est ainsi forme d'une coque de noix qui se déploie : la maison, le coucher, la mère, Combray, et ce mystérieux Monsieur Swann. Toujours du côté de… Magie du titre où se tout love déjà dans une coquille de noix.
À ouvrir en grand, mais pas dans toutes les mains. Pas entre toutes les mains, surtout celles des trop jeunes que l'on ennuie avec des lectures si denses, ni les pressés en quête d'aventure et de mouvements marqués. Ce serait peine perdue pour ces lecteurs et pour le roman je crois.

Romain(avis transmis)
Je l'ouvre à fond et plus qu'à l'époque de ma première lecture, car quand je l'ai lu sans en connaître la fin, je comprenais mal pourquoi un narrateur qui est le personnage principal passe autant de temps sur des aventures si peu palpitantes que d'aller se coucher sans un baiser de maman, et de ducs et de duchesses. Et surtout ce style dans lequel je me noyais.
Mais en le relisant grâce au club, j'ai pris vraiment beaucoup de plaisir maintenant que je sais ce qu'il finit par trouver au bout de sa recherche et que je me suis familiarisé à son style, en n'hésitant plus à découper ses phrases pour le lire à mon rythme. J'aime bien que son style soit un style de l'analyse qui dure tant que se déploie la phrase car il décortique et il est ainsi capable d'arrêter le temps sur une sensation qu'il a eue, sur une réminiscence qui ressurgit, un peu comme du slow motion. J'aime bien que l'œuvre soit très personnelle et qu'il y ait Proust dans tous les personnages, et évidemment le narrateur ; la grand-mère et la mère hypersensibles, bienveillantes, aimantes ; Swann le collectionneur dandy roturier comme modèle, mais aussi l'amoureux malheureux comme il le sera d'Albertine, quoique l'étant déjà de Gilberte ; la Tante Léonie maniaque comme Proust, mais si attachante : "elle ne parlait jamais qu'assez bas, parce qu'elle croyait avoir dans la tête quelque chose de cassé et de flottant qu'elle eût déplacé en parlant trop fort".
Ses images aussi sont personnelles et pourtant universelles, elles nous parlent quoiqu'elles viennent de l'expérience, du vécu de Proust lui-même. J'aime bien que le narrateur soit aussi le personnage principal qui sait tout sur tous les autres personnages, quoiqu'il s'efface dans la deuxième partie pour faire place à Swann. Il prend le temps de nous les présenter vieillissant et évoluant et dès "Un amour de Swann", celui-ci, avant même les prochains tomes, qu'on voit déjà devenir différents, évoluer, changer, vieillir sous l'influence d'Odette. J'aime que le thème de l'amour soit traité sous différentes formes et points de vue et j'ai bien mieux compris le sens de la partie sur "Les noms" qui d'ailleurs m'amène une dernière remarque : je me sens plus intelligent en lisant Proust.
Audrey

Avant de vous accueillir, n'ayant pas relu le premier tome (j'avais déjà lu "Un amour de Swann"), j'ai quand même voulu lire quelques pages de Proust et cette fois-ci j'ai commencé "Le côté de Guermantes", quelques dizaines de pages seulement. Mais j'ai retrouvé instantanément cette sensation absolument incroyable et difficilement descriptible que je n'ai jamais ressenti qu'avec Proust : cette descente dans le tréfonds des mécanismes de la pensée.
Proust, au fond, nous décrit, nous montre, nous explique, décortique, analyse, comprend, comment nous, hommes et femmes, pensons, vivons et ressentons... inconsciemment. Inconsciemment !
Alors là, en vous parlant, je me souviens tout à coup de quelque chose d'important que je dois dire très brièvement : j'ai moi-même arrêtée ma psychanalyse avec Proust ! Proust m'éclairait certainement (c'était plutôt un éblouissement)... sur ce qu'il me restait à éclairer avant de terminer une analyse. Je comprenais des choses qu'il me dévoilait... J'ai fini, à la demande de ma psychanalyste, par apporter des photocopies des passages du livre... Fin de la parenthèse sur ma vie...
Mais je fais soudain ce lien, là, sur le moment, en vous parlant... J'ai l'impression qu'il y a quand même quelque chose de l'ordre de la remontée de l'inconscient à la conscience ; quelque chose de l'ordre d'une sorte d'inconscient collectif qui remonte à la conscience individuelle. Pour moi, il y a une profonde dimension analytique chez Proust. Elle explose par exemple dès la deuxième page dans "Le côté de Guermantes" par l'analyse qu'il fait, très très longuement, de notre attachement à des noms, à la façon dont nous pouvons les associer à des lieux, des personnes, et ne plus nous défaire de ces images créées par nous, puis y rêver, finalement s'en éloigner, y revenir... Quelle acuité du regard !
Je me demande comment il pouvait vivre normalement... Mais en fait j'ai la réponse à ma question car il ne vivait pas "normalement" ! Et sans doute que quand il sortait dans les salons et dans le monde, il devait être sans arrêt en position d'observateur, de scrutateur, "décortiqueur". D'écrivain entièrement dédié à son œuvre ! Proust suit les méandres de notre fonctionnement mental. De nos associations. Je dis-nous... Quand je lis Proust, je me lis moi-même. Je ne me lis pas moi-même en tant qu'auteure, malheureusement, mais moi-même en tant qu'être humain qui traverse la vie.
J'ouvre en très grand.


Monique M
J'ai écouté un neurologue dans La Grande Librairie sur Proust, qui disait exactement ce que tu viens de dire, que le processus utilisé dans l'analyse, le fait de faire remonter de l'inconscient des choses enfouies, c'est exactement ce que fait Proust dans La Recherche.
Valérie

Je suis ravie de le lire à 60 ans ; je l'avais lu très jeune et avais eu l'envie d'écrire quelque chose sur Proust ; j'ai compris qu'il y avait des clés qui allaient m'être livrées ; j'ai relu plusieurs fois les premiers volumes ; c'était magique de le relire aujourd'hui ; je vais lire toute La Recherche.
Ce que j'ai beaucoup apprécié dans "Du côté de chez Swann" (j'ai fait tous les lieux proustiens, à Illiers la maison de tante Léonie, au Pré Catelan, l'église de Combray, Cabourg, la rue Hamelin où il est décédé, donc tout un pèlerinage ; il existe une avenue Proust très petite dans le 16e arrondissement) et adoré relire le passage de la madeleine ; au début, il croit que c'est le thé, il se rend compte que c'est l'odeur et se souvient de la tante Léonie.

Nathalie lit le passage sur la madeleine.

Valérie
Et toute cette merveilleuse citation : "Et tout à coup le souvenir m'apparut (…) l'édifice immense du souvenir". Pour moi, Marcel Proust est inégalé ; les odeurs restent ancrées dans le souvenir ; ce qui me fascine c'est comment il arrive à tirer des fils de son passé, l'odeur étant un sens déterminant.
Ce que j'ai beaucoup aimé aussi, ce sont les après-midis de lecture à Combray et puis, les tourments de l'amour.
C'est le livre de ma vie. J'ouvre en grand. Je vous recommande Maman de Michel Schneider où il écrit sur Proust.
Nathalie B

J'ai découvert Proust en 1ère, grâce à ma professeure de français. Je suis tombée amoureuse de son écriture. Puis j'ai commencé À la recherche du temps perdu (quel titre magique) et m'y suis plongée tout un été. Et j'ai profondément adoré. C'était mon univers ; j'ai encore les sensations de lecture de À l'ombre des jeunes filles en fleurs, en plein été, sous un chêne. Les descriptions que Proust fait des sensations, des odeurs, des couleurs, pour les arracher au temps qui passe, m'ont habitée et ont fait partie de ma construction mentale. Jusqu'au temps retrouvé. Je suis admirative de son sens de l'observation, son analyse, sa connaissance et compréhension de l'humain. De cela je n'avais rien oublié.
En revanche, lorsque j'ai relu le premier volume, j'ai découvert un autre plaisir. Je ne me souviens pas, peut-être ne l'avais-je pas perçu, de l'humour qu'il avait. J'ai eu des fous-rires en le lisant cette fois. Parfois il peut être cruel mais il y a des choses très drôles sur les expressions des personnages, ce qu'ils ressentent, la façon dont ils sont… Par exemple, sa description de la première rencontre entre Swann et le Dr Cottard. Proust a un sens de la dérision des comportements humains qui est joyeux et nous les rend proches. Je pense qu'il aurait pu être Swann s'il n'avait pas eu l'écriture et son œuvre à construire. Bien sûr, il décrit un monde, son monde, où il y a des domestiques et des maîtres... Parfois il est un peu condescendant avec eux.

François
Il avait un rapport fusionnel avec ses domestiques, très dur aussi. Il avait le génie du pastiche et faisait beaucoup rire avec ça. Il a une capacité d'empathie, il s'identifie complètement et retrace le langage de Françoise, c'est très drôle, mais aussi d'une méchanceté fabuleuse. Quand il décrit la duchesse de Guermantes, son grand nez, cette complexité inouïe avec le monde…

Nathalie
Quoi qu'il en soit… Dans ma deuxième lecture, j'ai fait un retour vers l'analyse de ce qu'on ressent avec une acuité incroyable. Il y a des descriptions de sensations où chacun peut reconnaitre les siennes, comme celle de la lecture au soleil, avec les heures qui passent et que l'on entend de l'église. Proust a l'art de faire rejaillir chez nous des émotions fortes que l'on a pu avoir dans le passé. Ce qui est assez extraordinaire…C'est avec la description de l'église que je me suis rendu compte à quel point Proust œuvrait pour que les objets, les lieux, les sensations continuent d'exister malgré le temps qui efface tout. Il les arrache à l'oubli. C'est cela que personnellement je trouve absolument sublime… J'ouvre en très grand.

Audrey
C'est la même idée avec une nouvelle forme, une nouvelle lumière, il déploie l'idée.

Nathalie
À chaque fois, il l'écrit avec un éclairage différent, à la fois la même et une autre chose ; il creuse et approfondit ce qu'il donne à voir.
Françoise
Je me sens très proche de Nathalie : première lecture il y a 10 ans, aussi très frappée par les sensations.
Et là, me suis vraiment vraiment vraiment ennuyée.
J'adhère aux propos de Nathalie quand elle parle d'ennui et de souffrance. Les comportements, les tics de l'attente, c'est très cérébral. Je trouve ça spécieux : à quoi ça sert ? C'est une machine à penser pour finalement arriver à quoi ? Les sensations, les tics qu'il écrit des personnages qu'il côtoie ça ne m'apporte rien.
Ce qui m'a intéressée, c'est un monde qu'il décrit qui n'existe plus aujourd'hui : il y a un million de domestiques à cette époque ! Pour moi c'est plutôt un ethnologue. Son rapport à ces gens se situe entre supériorité et humilité. Il sait où il est.
Mais il y a de très beaux passages sur Françoise, par exemple le portrait d'elle sous la pluie : c'est un portrait magnifique, elle est là, on la voit, on sent qu'il fait ce portrait avec son cœur.
Je suis partagée donc, car je suis aussi éblouie par son humanité et la dimension historique et anthropologique ; mais je me suis arrêtée à la page 150. J'ouvre en grand quand même bien sûr, car on apprend, et que c'est génial par moment. Et aussi, en raison de cette temporalité avec ses limites floues : j'adore quand il est dans la position de cet homme qui dit quelque chose de passé dans sa jeunesse et qui confirme que oui, ça s'est bien passé, sans que l'on sache exactement où est Proust. C'est une leçon de vie : voyez, la vie m'a donné raison ou a confirmé quelque chose de ressenti.

Nathalie
Oui c'est ça, dans un homme il rend ce mélange des temporalités : être en même temps l'enfant, l'adulte, plus âgé.

François
Oui c'est ça, il y a un dévoilement philosophique. Il détestait qu'on s'intéresse aux détails : il voulait appeler ça "la recherche de la vérité". Le narrateur veut toujours écrire, il se dit sans cesse "ça me rappelle quelque chose", comme on dirait aujourd'hui.
J'admire ceux qui sont de plain-pied dans La Recherche ; j'ai fait grâce à vous une nouvelle lecture. Parfois même au bout de 10 fois, je reste sans comprendre une phrase.
Proust est capable de transfigurer tout ce qu'il voit. À la fin il y a une réalité.
La jalousie de Swann, c'est extraordinaire, vraiment extraordinaire. Son problème en fait, c'est de passer de l'impression à l'expression, et de comprendre qu'on ne peut l'exprimer ; Proust savait les hiatus entre la vie et la littérature, c'est ce qu'il écrit pour à la fin dire que la vie et la littérature sont deux choses différentes. Alors qu'il décrit sublimement la vie ; quelle description de fleurs et des aubépines, et il découvre le plaisir, et le lie à ce qu'il voit dehors. Ça reste impensable pour moi sa qualité d'observation.
Jean-Paul
Moi je n'avais jamais lu Proust.
Pendant longtemps je me suis couché de bonne heure, 20 pages là-dessus et je me suis dit que moi j'allais vite me coucher de bonne heure.
Ses stratagèmes pour faire venir sa mère, quel ennui ! Puis je me suis quand même senti emporté et un peu perdu dans les jardins, lors des balades. Il y a l'impression qu'il y a un bon côté et un mauvais côté. Description des fleurs, des odeurs, des jardins... je ne dirai pas que ça ne m'a pas plu, mais je ne lirai pas la suite.
Il n'arrête pas d'analyser le passé, il fait appel aux réminiscences tout en disant que l'on ne retrouve pas son passé. Est-ce que l'on n'idéalise pas son passé ?

Nathalie
Retrouver son passé c'est de l'ordre du hasard, selon Proust.

Jean-Paul
Après "Combray", j'ai été désarçonné car après c'est un autre livre "Un amour de Swann". J'ai essayé de tout lire mais j'avais envie d'arrêter après 40 pages.
Parmi vous, tout le monde semble idolâtrer cette œuvre. Mais je vais quand même ne l'ouvrir qu'à demi et non pas en entier.

Françoise
Non pas idolâtrer, ce n'est pas de cet ordre-là.
Monique M
Vous avez déjà tout dit. Ce livre est un monde de sensations exprimées avec érudition, un talent fou et une sensibilité exaspérée ; c'est avec cette anxiété, cette sensibilité extrême, quasiment maladive, qui le faisait attendre dans l'angoisse le baiser de sa mère, que le narrateur porte dans ce livre son regard sur le monde, la nature, les hommes et ce qui les fait vivre. L'écriture, le style, les images surgies de ses développements, ses arabesques littéraires, sont splendides. Ce sont des digressions, des enroulements sans fin, parfois épuisants, souvent atteignant des sommets de beauté. C'est aussi l'histoire d'une époque et d'un milieu social aisé, cultivé, au regard amoureux sur l'aristocratie dont le narrateur admire le raffinement, l'esprit, la culture ; et d'une ironie mordante envers la petite bourgeoisie qui les singe. C'est aussi la relation paternaliste de ce milieu envers les domestiques, les commerçants, les gens du peuple que côtoie la famille ; le livre souligne aussi l'importance des rituels, de la religion, des réceptions entre gens de même milieu social, les coteries de l'époque, le regard sur les cocottes, tout autant méprisées que secrètement admirées, la troupe de cuirassiers qui passe en les rues de Combray avant d'aller se faire tuer au front (on est entre 1870 et 1914). Les promenades en fiacre au bois de Boulogne, les jeux d'enfants aux Champs Élysées… toutes choses si éloignées de notre époque, qu'elles sont passionnantes à lire.
Mais c'est avant tout un talent immense pour décrire des réminiscences, des surgissements de la conscience qu'il fait surgir intacts du passé aussi vivants, palpables, qu'au moment où ils ont été vécus. C'est bien sûr, la madeleine de la tante Léonie, mais aussi bien d'autres moments tout aussi saisissants. Il y a une similitude, une sorte de continuité, entre l'attachement maladif du narrateur à sa mère ou à Gilberte, et dans l'amour fou, irrationnel de Swann pour Odette, une sorte de soumission, de dépendance totale à l'autre, à celle dont dépend apparemment entièrement son existence, son destin. Cette sensibilité débordante, irrationnelle traverse tout le livre. J'ai beaucoup aimé ces passages qui réveillent des sensations visuelles ou olfactives simples, évidentes, vécues au quotidien, qu'il décrit si justement et magnifiquement : c'est par exemple ces "chambres d'été où l'on aime être uni à la nuit tiède, où le clair de lune appuyé aux volets entr'ouverts jette jusqu'au pied du lit son échelle enchantée" ou bien "les impalpables irisations, les surnaturelles apparitions" des personnages de la lanterne magique dont on coiffait sa lampe de chevet pour le distraire, qui s'animent sur les murs, prennent réalité dans le volume des rideaux ; passage magique de l'univers clos de sa chambre à un univers extensible sans cesse renouvelé, issu du vagabondage de sa pensée. Ou encore, lors des visites de Swann à ses parents : "nous entendions au bout du jardin, non pas le grelot profus et criard qui arrosait, qui étourdissait au passage de son bruit ferrugineux, intarissable et glacé, toute personne de la maison qui le déclenchait en entrant, mais le double tintement timide, ovale et doré de la clochette pour les étrangers", ou encore le clocher de Saint-Hilaire qui "lâchait, laissait tomber à intervalles réguliers des volées de corbeaux qui, pendant un moment tournoyaient en criant, comme si le vieilles pierres qui les laissaient s'ébattre sans paraître les voir, devenues tout d'un coup inhabitables, les avaient frappés et repoussés. Puis, après avoir rayé en tous sens le velours violet de l'air du soir, brusquement calmés ils revenaient s'absorber dans la tour, de néfaste redevenue propice", admirable de justesse. Mais ce sont aussi toutes les blessures affectives, ces sanglots de l'enfance "qui n'ont jamais cessé ; et c'est seulement parce que la vie se tait maintenant davantage autour de moi que je les entends de nouveau, comme ces cloches de couvent que couvrent si bien les bruits de la ville pendant le jour qu'on les croirait arrêtées mais qui se remettent à sonner dans le silence du soir".
Je pourrais citer encore bien des passages éblouissants d'ironie, ou d'humour comme le dîner chez les Verdurin ; la description mordante des valets de pied puis des invités lors de la soirée de la marquise de Saint-Euverte ; les tourments jaloux de Swann à Compiègne ; la tombée en extase du narrateur enfant, en mal de Gilberte, devant les galons de la livrée du laquais à la porte des Swann, sous l'œil effaré de Françoise… C'est une œuvre essentielle magnifique que j'ouvre en grand.
François
Impossible de ne pas s'arrêter un instant sur le début qui nous montre le narrateur en train de se débattre entre la veille et le sommeil, le rêve et la réalité dans des états bien surprenants. Proust ajoutera que quand il est profond, le sommeil nous entraîne dans les abysses de l'existence telle qu'elle "peut frémir au fond d’un animal (...). Quelquefois comme Eve naquit, une femme naissait pendant mon sommeil". Toute La Recherche n'est peut-être que l'histoire "d'un homme qui s'éveille et qui parle." Réveil paradoxal, car après voir évoqué (et avec quel génie si l'on pense à l'écriture), dans des milliers de pages les sortilèges du temps perdu, le narrateur découvre que la "vraie vie est ailleurs". C'est-à-dire en soi. Et dans la création. Et qu'il décide alors d'écrire une œuvre que nous ne lirons jamais. Tous les signes mondains sont trompeurs, mais encore faut-il les vivre pour s'en apercevoir. Nous avons tous besoin d'intercesseurs… Et Proust est un magnifique intercesseur, même s'il n'est pas toujours facile de le suivre dans les méandres compliqués de sa phrase et de sa pensée. Dans "Du côté de chez Swann", il jette les bases où, comme il le dit quelque part, propose les gisements d'où va émerger toute la suite. On sait à quel point il tenait à ce qu'on ne perde pas de vue le plan de son œuvre, en ne s'attachant qu'à des détails ou des épisodes particuliers. Qu'importe, j'ai redécouvert ces épisodes avec plaisir. Qu'il s'agisse des émois du narrateur à cause du baiser refusé par la mère, des manies de la tante Léonie, de la vie cachée de Swann qui nous sera racontée plus tard. Mais il y a aussi le dévouement de Françoise et son incroyable faconde... qui l'ont fait passer à la postérité ! Combray c'est tout un monde qui, de fil en aiguille, va remonter de la célèbre tasse de thé. Mais aussi le caractère d'un narrateur toujours sur le qui-vive et attentif au moindre signe qui pourrait lui révéler ce qui se cache sous les apparences. Génie de Proust quand il décrit la jalousie Swann comme un besoin pathologique de découvrir la vérité. La jalousie... grande fenêtre sur l'Autre et l'inconnu. (On peut comprendre qu'Odette trouve Swann qu'elle épousera plus tard, insupportable). Difficile d'en dire plus, La Recherche est une œuvre complexe et déroutante dont il n'est pas facile de parler. Dès qu'on le fait, on s'aperçoit toujours qu'on a oublié tel détail, telle pensée, ou tel passage qui nous semblait essentiel. Celui-ci par exemple, quand le narrateur dit son désappointement devant les choses : "Et voyant sur l’eau et à la face du mur un pâle sourire répondre au sourire du ciel, je m’écriai dans mon enthousiasme en brandissant mon parapluie refermé : 'Zut, zut, zut, zut.' Mais en même temps je sentis que mon devoir eût été de ne pas m’en tenir à ces mots opaques et de tâcher de voir plus clair dans mon ravissement." J'ouvre en grand.
Antoine

J'ai commencé La Recherche il y a à peu près un an. J'en suis à "Sodome et Gomorrhe". Je vais partager deux expériences personnelles.
D'abord une rencontre avec Jean-Yves Tadié, spécialiste de Proust. Il se trouve que je me suis aperçu il y a peu (parce que je lisais Proust) qu'il était voisin de notre maison de famille à Dinard. J'ai fini par le croiser - le jour où je venais d'acheter Proust et la société - et ai reçu depuis ce monsieur âgé à plusieurs reprises, sans lui parler particulièrement de Proust d'ailleurs. Cet homme charmant, d'une personnalité assez fascinante, est d'une érudition incroyable.
L'autre expérience est celle d'une lecture initialement entreprise avec l'idée d'une pensée magique. On peut passer à côté d'un chef-d'œuvre. Ainsi j'avais totalement oublié avoir lu "Du côté de chez Swann" qui était pourtant à mon programme de classe préparatoire ; je n'ai vraiment aucun souvenir de cette lecture. Mais suite à une rupture amoureuse, avec une cette pensée magique style "si je lis tout Proust, on va se remettre ensemble", j'ai commencé À la recherche du temps perdu. J'ai trouvé la première partie très chiante, en fait. J'ai vraiment eu du mal à entrer dedans. La partie "Combray" avec descriptions de fleurs, de personnes, de costumes… ne m'intéresse absolument pas. Bon, évidement, l'épisode de la madeleine tellement connu m'a un peu titillé. Mais arrivé à la partie, "Un amour de Swann", cela fut vraiment une expérience très forte, liée avec la relation que j'avais eue. Il a une vision déprimante de l'amour qui en fait m'a beaucoup aidé. Pour moi, c'était l'anti-romantisme absolu. Il tombe amoureux à cause de la sonate de Vinteuil, mais surtout parce qu'il lui apparaît qu'elle ressemble à une fresque de Botticelli, ce qui valide cette femme qui pourtant ne lui plaisait pas la première fois qu'il l'avait vue. Certes ce n'est pas ma façon d'aimer, mais en même temps il montre qu'il y a un côté un peu artificiel à l'amour, quelque chose qu'on crée. Il écrit "Nous faussons la mémoire de l'amour par la suggestion" : une définition par la négative assez déprimante de prime abord, mais qui m'a paradoxalement remonté. Il ne voit l'amour que par le prisme de la possession, la douleur et la jalousie, qui personnellement m'éloignent de l'amour proustien. Je l'ouvre en grand.
Katherine

L'amour qu'on a pour une personne naîtrait de l'intérêt qu'elle vous porte, si on en croit Proust, ce que je trouve triste comme idée de l'amour. Je ne l'ai pas terminé, mais je l'ouvre quand même en grand. Cette lecture me conforte dans l'idée que j'aime les univers mélancoliques et nostalgiques. Proust réalise un travail prodigieux, décrire chaque souvenir comme une photographie philosophique de sa conscience.
Intéressante, l'expo à la BNF.
Lire Proust est une expérience : il faut pouvoir et vouloir prendre le temps de la (re)lecture, avec une tasse de thé fumante, pour s'immerger avec plaisir dans des descriptions à rallonge. Je fais un parallèle avec l'examen minutieux d'un tableau quand, souvent, d'autres formes de lecture ne nous invitent pas à nous arrêter.
Beaucoup d'humour aussi. Sans être joyeux, ce livre fait du bien, certaines vérités sont certes tristes mais universelles. On sent que cet ouvrage est le fruit d'une intense réflexion écrit "deux fois" jusqu'à la fin de sa vie.

David

Je suis perplexe sur ma lecture. Proust pour moi c'est un roc auquel il allait falloir m'attaquer. J'avais abandonné à chaque tentative. Voix au chapitre, société proustienne, il y avait un rang à tenir ! Du coup poussé par cette nécessité, je m'y suis mis. Mais la marche était haute dans mon inconscient.
Pourquoi on aime ? Plus que le fond ce qui m'intéresse, c'est la forme, Proust entre dans la littérature avec la Madeleine entrée dans l'inconscient collectif par le rapport au temps.
Toutes et tous, on est ramenés à notre rapport au temps, à notre passé, nos souvenirs, et il en est le spécialiste, il y a quelque chose d'émouvant.
C'est unique, on peut trouver ça aberrant, dans ces phrases interminables - que j'ai découvertes moi par une dictée dans mon enfance et me je me suis dit déjà à cette époque-là que c'était un phénomène.
Mais qui lit encore ça aujourd'hui avec passion dans la nouvelle génération ?
Pour moi, c'est un style daté, suranné, mais c'est pas grave car ça me fait penser aux choses très datées de ma vie.
Il y a une expérience physique et sensuelle à lire ce truc.
Pourquoi ça réveille quelque chose en moi ? Car oui on est proustien.
Moi je suis fan de Perec qui se trouve en permanence aussi dans ses souvenirs. On pourrait peut-être les mettre en parallèle.

Anne (avis transmis après la séance et à partir d'une invitation à voyager de la part de Claire)

Oui, rire ! Et me voilà moins embarrassée d'avoir un peu de mal avec Swann, Verdurin et compagnie, qui ne m'ont pas mise sur une autoroute pour la lecture...
Je me trouve en effet très embarrassée d'avoir autant de mal à lire un grand auteur comme Proust, je ne parviens pas à dépasser le malaise que j'éprouve lorsqu'il me faut entrer dans les salons parisiens fin 19e début 20e siècle. Néanmoins, ceci n'est rien en regard de la problématique de l'attachement de l'enfant envers sa mère. Je ne surmonte pas la souffrance et l'ennui, donc la déprime, que cela exerce sur moi, en dépit de l'humour qui parsème les textes. La beauté de l'écriture me fascine pourtant, mais sur du court terme. Avec mon évitement répété des lectures de Proust, je me rends compte que je passe à côté d'un plaisir littéraire de grande qualité, aussi ai-je trouvé une solution pour pallier ce manque, je vais parfois écouter des acteurs lire des fragments de texte, et, ô bonheur, j'éprouve alors un émerveillement à les écouter ! Récemment Lambert Wilson a superbement bien lu cet auteur à la salle Gaveau. Je peux donc apprécier Proust à dose homéopathique et à condition que cela me soit raconté comme un conte à un enfant. Les textes sur la madeleine et sur la mort de Bergotte en train de regarder le petit pan de mur jaune sont superbes.
J'ouvre grands ces extraits, mais je m'en tiens là, ne pouvant pas m'engager sur sept tomes… Pour l'ouverture de ce livre gigantesque, je vais aussi m'en tenir à une cote mal taillée en l'ouvrant à moitié, qui représente mon ambivalence vis à vis de ce grand auteur.

Les 7 cotes d'amour du groupe breton
réuni le 12 janvier 2023
Édith
Brigitte T •Chantal •Jean •Marie-Odile •Marie-Thé
  •Suzanne   

En attente de la cote d'amour de •Sylvie

Édith
Heureuse d'avoir enfin lu ce "monument "que j'ai eu très souvent entre les mains dans mon ancienne activité de bouquiniste… et vendu a des lecteurs - que je pensais mieux qualifiés que moi - pour le lire !… ou le relire !!!
Eh bien je suis ravie de l'aventure, à tel point que ce matin j'ai acheté le volume deux À l'ombre des jeunes filles en fleurs, espérant éprouver autant de plaisir au bercement des phrases - celles que j'appréhendais de lire "autrefois" - et à me laisser entraîner de bonne grâce et en imagination (tous les détails y aident) à la description du monde de Proust, ses codes, ses rosseries, ses regrets, ses saveurs et odeurs, ses goûts, etc., ce que sa mémoire lui retraduit si finement analysé, décrit… je m'y croyais parfois ! Pouvoir évocateur des détails précis et du rythme, richesse du vocabulaire sans "écraser "la lectrice que je suis.
Je découvre qu'un peu de disponibilité en moi et de silence autour de moi donnent la clé pour pénétrer là où sa mémoire m'entraîne, et, ainsi confortable et pour plusieurs heures, je suis à Combray, dans le salon de Madame Verdurin et sur les Champs-Élysées, inquiète du départ de Gilberte. Les personnages au cours du récit me sont devenus familiers, j'en préfère certains et j'ai beaucoup de mal à dissocier Proust, l'auteur, de son personnage qui se souvient. Monsieur Swann le mystérieux devient le personnage à suivre.
Je n'ai pas voulu lire la préface de Mathieux Vernet au moment où j'écris, je le ferai ensuite. Cependant la biographie largement diffusée de Proust du fait des médias en lien avec son centenaire, mais aussi par d'autres souvenirs scolaires, a, bien à propos, enrichit ma lecture.
J'avais lu il y a bien des années le livre de Céleste Albaret et je viens de revoir le documentaire la plaçant- par des archives photos et une reconstitution (par une voix off) - au centre de la maison Proust
J'ai lu, crayon en main, le livre. Je m'attendais à des difficultés de "mémoire", sachant que Proust ne faisait qu'évoquer une époque, celle des débuts du XXe siècle, redonnant vie à des personnages de la grande et petite bourgeoisie ainsi que l'aristocratie, ce petit monde évoluant (en images couleurs pour moi) dans les lieux et espaces de sa mémoire. Les repères des chapitres habituels et constitutifs des textes littéraires sont absents et pourtant ce n'est pas qu'une longue évocation. Trois parties ("Combray", "Un amour de Swann", et "Nom de Pays") à ce long roman mais pas de chronologie ?
Des faits marquant pour le personnage, le narrateur (jalousie, regret, effondrement, attente, chagrin, mauvaise foi et les personnages qui les illustrent) éveillent la lectrice que je suis et m'apportent, par une suite en trois chapitres distincts - mais qui se répondent - le grand désir de poursuivre encore et encore la lecture. Les quelques semaines qu'il m'a fallu pour terminer le tome furent des semaines "habitées" par le projet : je suis en train et "entrain" de lire et d'apprécier Proust et je n'en suis qu'au début de son œuvre et de la découverte !!!
Pour paraphraser Proust "souvent", toujours, je me suis installée confortablement pour rencontrer Proust et son monde…, devenant ainsi par la grâce et le balancement de ses longues phrases mon propre monde. La précision et le pouvoir évocateur, l'acuité de ses analyses (trop humaines…, mesquines et gênantes parfois dans leur vérité : voir sa relation avec Odette avec les partenaires et Madame Verdurin), l'humour et le retour moqueur sur soi, la description du SAMEDI référentiel pour la famille de l'auteur, le pouvoir évocateur de la sonate de Vinteuil et son usage que sa mémoire en fait, le tendre et parfois moqueur sinon répulsif pour ses ancêtres (tante Léonie)… TOUS ses mots et leur agencement troublent par leur justesse, leur vérité et leur acuité la lectrice que je fus… Qu'en sera-t-il du tome deux ?
Le volume Des jeunes filles en fleur, le deuxième, en trois parties lui aussi et prix Goncourt, a moins soutenu mon enthousiasme. La découverte et la naissance de son amour pour d'Albertine en fin de récit projette je suppose le troisième tome ?
J'ouvre en grand le livre. J'ai eu du mal à me décider à lire autre chose et notamment Mahmoud, bientôt partagé.
Par ailleurs, j'ai relu en même temps Les Années de Annie Ernaux. Analogie dans le thème que j'ai tenté de retrouver dans sa démarche d'écriture, elle fait d'ailleurs référence à Proust très rapidement quand elle raconte son projet d'écrire sur sa traversée de vie (Folio, p. 214).
Chantalet
Tout d'abord, merci à Voix au chapitre ! J'ai presque terminé le livre, et je vais le faire, exploit pour moi qui me suis toujours arrêtée à la
page 50 ! Vertus de la lecture… "obligatoire"…
J'ai beaucoup aimé la première partie, "Combray". La deuxième, "Un amour de Swann", beaucoup moins.
Combray, je l'ai vu, à travers l'évocation du narrateur (Proust) adulte qui "veut" se souvenir : " je passais la plus grande partie de la nuit à me rappeler notre vie d'autrefois (...) me rappeler les lieux, les personnes que j'y avais connues."
Je me suis attachée à cet enfant asthmatique, même si son père était un professeur de médecine reconnu ; aucun traitement à cette époque et cette angoisse terrible des malades asthmatiques, je l'ai côtoyée dans ma vie professionnelle. Ce "supplice du coucher", ce "tombeau" dont il qualifie sa chambre, réveillent en moi des souvenirs. Cette scène du désespoir de l'enfant couché qui attend en vain le baiser de sa mère ? Terrible.
La solitude de cet enfant entouré uniquement d'adultes (père, mère, grand-père, grand-mères, grand-tantes) coincés, engoncés dans leurs principes... que lui en reste-t-il ?
- l'observation quotidienne, très affûtée, de ces proches et de leur fonctionnement, "société de castes fermées où chacun, dès sa naissance, se trouvait placé dans le rang qu'occupaient ses parents et d'où rien ne pouvait les tirer"
- la lecture : avec des passages remarquables sur l'écriture, la lecture, le roman, les émotions ressenties par nous lecteurs qui intégrons la "réalité" du personnage comme LA réalité
- et j'oubliais..., les promenades, la lenteur de cette vie, je me suis laissé embarquer, enchantée, dans ces promenades, du côté de Méséglise, du côté de Guermantes, dans ces chemins, odeurs de fleurs, poésie absolue ; le regard clandestin du garçon qui aperçoit la jeune fille Gilberte, puis la fille Vinteuil à la vie dissolue de lesbienne au grand désespoir de son père.
Embarquée dans l'église de Combray, son clocher, ses vitraux qui emmènent littéralement l'enfant à vivre dans le moyen-âge, avec la duchesse de Guermantes magnifiée par son imagination. Jusqu'au moment où la vraie duchesse, réalité triviale, entre... avec son bouton sur le nez !
J'ai aimé son analyse du milieu social où il vit, les gens qu'on doit fréquenter, ceux qu'il faut éviter. Les gens supérieurs, les gens inférieurs... Le terrible passage de la fille de cuisine, enceinte, obligée à des travaux pénibles et... comparée à un tableau de Giotto La charité...
L'épisode de la madeleine bien sûr, chef-d'œuvre d'analyse neurobiologique, à cette époque étonnante. Intuition de ces sciences très avancées aujourd'hui du fonctionnement corps-cerveau - Jean a provoqué une discussion très intéressante sur ce lien science d'aujourd'hui -
Cette partie "Combray", je l'ouvre en grand !

Dans "Un amour de Swann", je reconnais le talent d'écriture de l'auteur, son talent pour décortiquer sa société, avec humour, féroce souvent... et sa prouesse : plusieurs centaines de pages pour fouiller tous les recoins de l'âme de Swann ! Mais je me suis ennuyée, barbée, fini le plaisir de lecture de "Combray". Donc je l'ouvre aux ¾.
Marie-Odile qui, la veille de la rencontre, s'est trouvé chez un usurpateur breton...
et qui a deux avis proustiens :
• Proust 1
Au cours de ma lecture, il m'est apparu, souvent, de manière inattendue, bien que répétée, que le narrateur s'arrangeait pour susciter en moi de passagères mais réelles satisfactions engendrées par la compréhension soudaine d'un passage particulièrement limpide et qui s'étalait souvent sur plusieurs pages (pages comportant par exemple de magnificentes descriptions de l'aubépine, de l'église ou des vallons, les portraits implacables de Léonie ou de Françoise, ou encore des scènes pittoresques allant jusqu'à inclure même des dialogues ou des remarque triviales), avant de me replonger comme par jeu dans les méandres obscurs d'une réflexion approfondie et étendue de nature souvent introspective, parfois futile. J'avais alors l'étrange impression d'avoir affaire sinon à deux narrateurs différemment accessibles, du moins à deux "présences" différentes d'un même narrateur, à moins que ces variations ne fussent plutôt le reflet chez moi, lectrice, d'un état d'âme ou d'une capacité d'attention variables en fonction du moment et/ou de la durée de ma lecture qui, si je ne me la sentais pas imposée, m'apparaissait quand même comme une sorte de défi non dénué de plaisir. Je lisais ce texte avec en arrière-plan le souvenir de tous les autres textes que j'avais déjà lus et qui, même si certains m'avaient résisté, ne m'avaient jamais donné cette impression que je n'aurais pas accès à tout ou plutôt que malgré mon désir je ne pourrais pas tout embrasser à première lecture, comme l'enfant dont la main trop petite ne peut contenir tous les osselets que la règle du jeu lui impose cependant.
J'alternais donc les moments de plaisir et de frustration, regrettant de n'avoir pas assez de temps ou de vigilance pour que toutes les pages s'éclairent de la même lueur. Me revenait le souvenir de documents d'archives calligraphiés à l'ancienne dont l'esthétique élaborée, travaillée, raffinée, m'avait attirée parfois mais dont le sens m'était refusé pour la raison même de cette attirance. Je me disais enfin que, probablement, Proust infusait en moi, m'amenant inconsciemment à observer chaque détail de mon quotidien, y compris dans mon activité de lectrice, comme s'il était d'une importance capitale. Il était donc urgent que je referme cette Recherche du temps perdu si je ne voulais pas perdre le mien dans une introspection stérile, puisqu'il n'était pas question, en raison de mon âge, et plus encore de mon manque d'intérêt, que j'en fasse le point de départ de ma propre Recherche.

• Proust 2
De même que des œuvres d'art sous-jacentes affleurent dans les portraits de la fille de cuisine qui révèle La Charité de Giotto ou d'Odette qui révèle un Botticelli, de même que chaque être semble le reflet d'une image lui préexistant comme si une représentation, artistique, ou pas, le précédait, de la même façon l'idée que Marcel se fait de la Duchesse de Guermantes préexiste à la rencontre lors de laquelle il doit ajuster cette idée à la réalité qui lui apparaît et, de la même façon, une lecture de Proust n'est jamais vierge car elle contient en arrière-plan, mais en elle-même, l'idée de Proust véhiculée par les critiques innombrables et la lecture précédente que tout un chacun en a déjà faite, comme s'il n'y avait pas de première fois.
C'est ainsi que, relisant "Un amour de Swann", j'ai retrouvé ce que je n'avais pas oublié de ma toute première lecture, au lycée où Mme D de M mettait l'accent sur cette femme "qui n'était pas son genre". Et alors que dans mes souvenirs cette expression était l'aboutissement du roman, la découverte ultime d'une grossière erreur, je réalise aujourd'hui que ce constat est déjà présent et répété dès les premières pages du roman... Je retrouve aussi en leitmotiv la petite phrase de Vinteuil, l'expression "faire catleya" qui me semble aussi ridicule aujourd'hui qu'à 17 ans, mais j'avais oublié le sourire prudent de Cottard, son goût des expressions toutes faites, la mâchoire de Mme Verdurin et, de manière générale, tout ce qui donne à ce roman une dimension satirique qui n'est pas, à mes yeux vieillissants, la moindre de ses qualités.
Progressant dans cette deuxième partie, je finis par éprouver de la sympathie, une sorte de compassion, pour ce pauvre Swann, prisonnier de sa relation toxique mais "non opérable" avec Odette, dans laquelle ce qu'il imagine et ce qu'il réfléchit après coup l'emportent largement sur ce qu'il vit vraiment avec elle et je me suis demandé comment le narrateur, présent bien que discret dans ce volume, pouvait tout en s'exprimant à la première personne se doter d'un regard omniscient bien que se limitant toujours au point de vue de Swann, avoir accès à tout ce qui se passe dans la tête et dans le cœur de Swann, à tous ses tourments, à toutes ses ruses, à toutes ses maladresses, alors même que cette relation amoureuse est antérieure au temps de Combray, au temps de Marcel enfant !
En lisant, du moins "Combray", je faisais, le constat suivant (qui ne résisterait sans doute pas à la lecture de toute la Recherche ou même de tout le Côté de chez Swann) que le roman me semble tout entier présent en chacune de ses pages, œuvre métonymique donc, dont chaque passage contient le tout, sorte de fractale littéraire, inépuisable, inusable. Ainsi, pour parler de l'ensemble, il suffit de parler d'une partie car on y trouve presque tout ce qui à mes yeux pourrait le définir : la sensualité impressionniste (les couleurs, la lumière, les sons etc…), le long balancement rythmé des phrases, les allusions à l'art, l'hypersensibilité du narrateur, une touche d'humour ou même d'ironie, quelques futilités hypertrophiées, enfin, le désir d'écrire, inscrit en filigrane.
Mais, pour ma part, bien que sensible à l'esthétique du texte, je n'ai senti d'émotion véritable que dans les dernières pages de "Combray", dont la nostalgie et la sincérité me touchent plus que les angoisses du petit Marcel attendant désespérément le maternel et freudien baiser du soir.
J'ai souvent pensé que le plaisir que j'avais à écrire sur une œuvre était proportionnel au plaisir que j'avais eu à la lire et, bien que je ne sois pas tout à fait sûre que ce soit le cas ici, je dois reconnaître que si Du côté de chez Swann me laisse inassouvie du point de vue de la lecture pour la raison que je ne peux tout appréhender, la possibilité d'écrire sur cette œuvre me semble néanmoins infinie...
Mais il faut bien mettre un terme à tout cela et décider de l'ouverture ou de la fermeture selon nos codes habituels. Je décide donc d'un trois quarts totalement arbitraire.
Brigitte T
Livre ouvert aux trois quarts. Parce que j'ai le sentiment depuis quelques semaines que tout le monde aime Proust et il en résulte une sorte d'injonction : il est de bon ton d'aimer Proust. Tout simplement, je suis sensible à ce beau texte plein de douceur, de sensibilité, d'attention à l'autre. Je ne m'ennuie pas. J'oublie le décalage d'un siècle et je me plonge aisément dans la lecture. Aujourd'hui ça me fait du bien, surtout dans la première partie.
Moment de lecture privilégié que je conseillerais bien volontiers à qui veut partager avec le romancier dans la première partie Combray ses émotions et son humour, partager ses souvenirs, ses bonheurs comme ses malheurs qui accompagnent le petit "traintrain" de la vie. Je me plais à rencontrer avec l'écrivain tante Léonie, sa maman, sa grand-mère, Françoise la fidèle employée de maison… J'en retiens : prendre le temps de se poser, d'observer, de chercher la force salvatrice de tous ces moments de turbulence que nous vivons et garder son humour. À poser sur la table de chevet et à lire et relire sans restriction… si vous avez le temps car Proust "décortique" les situations, les décors, les émotions.

La deuxième partie "Un amour de Swann" ou je dirais "le malheur d'aimer" est savoureuse bien que cynique. C'est avant la naissance du narrateur que Swann a connu Odette, cependant je pourrais croire qu'il a été présent à tous les instants. Quel observateur et fin psychologue ! Proust joue avec les mots, les contextes, la vie dans les salons et les dîners qu'il connaît bien ; il joue avec les situations proches parfois du vaudeville.
Magnifique, la scène où Swann se meurt de jalousie et se trompe de fenêtre en voulant surprendre Odette dont il doute de la fidélité. Beaucoup d'humour à la fois décapant et subtil. J'adore la futilité fort à propos de madame Verdurin, son rire, ses confidences comme quand elle parle des fruits : "je n'ai pas besoin de les mettre dans la bouche je jouis par les yeux", ses remarques sur le décor, la sonate au piano qu'elle trouve voluptueuse et qui provoque ses larmes ! Charmante et charmeuse, madame Verdurin joue à conseiller Odette qu'elle trouve également charmante mais peut-être pas vertueuse. Madame Verdurin devient quasiment une entremetteuse et y prend du plaisir. L'histoire lui donne raison et le portefeuille de Swann s'en souvient. Mais ce dernier, aveuglé par la passion, perd tout discernement. Pour finir, je trouve que madame Verdurin est une peste de salon, une manipulatrice qui se réjouit de provoquer des situations équivoques qui rendent malheureux Swann, que je trouve tour à tour agaçant puis touchant.
Odette est une femme envoûtante avec qui Charles Swann surfe sur les vagues du désir et qu'il décrit, soit tel un collectionneur avec orgueil, sensualité et égoïsme, soit comme un peintre florentin : il y voit un chef-d'œuvre d'une beauté précieuse et voluptueuse. Swann est dérangé par le manque de culture d'Odette, trop peu pour les gens du monde qu'il côtoie - lui est un mondain, il aime les arts et les titres de noblesse bien qu'il n'en possède pas ! Mme Verdurin, qui utilise à merveille les métaphores, dit de lui, après un dîner aux échanges acerbes : il n'est pas franc, c'est un monsieur cauteleux, toujours entre le zist et le zest. Je rejoins Mme Verdurin. Malade d'amour, il devient dérangeant en société. Quel sens donner quand il affirme que Odette n'est pas intelligente, trop peu "profonde" selon sa définition ? Il dit, parlant de Wagner : elle s'en soucie comme un poisson d'une pomme.
Aveuglé, manipulé par Odette comme elle le ferait avec une marionnette luxueuse, il entrevoit difficilement la dérive de sa passion amoureuse pour cette femme entretenue et vénale, mais si belle et désirable. Au prix d'une grand souffrance, il discerne une femme objet qu'il est enfin capable de voir perfide et surtout qui sait se rendre si désirable aux yeux des autres hommes. Le réveil est pour Swann très douloureux : "je suis trop bête, se disait-il, je paie avec mon argent le plaisir des autres"… Ensorcelé par sa passion pour Odette, il consomme sa vie. Comme on dit en chirurgie, son amour n'était pas opérable. Il se meurt de jalousie. La jalousie attise son amour. Proust pose une question : peut-on aimer sans souffrir ?
Mais Odette "gagne"… on ne sait comment, et elle est l'épouse de Swann puisque le narrateur, jeune adolescent maladif s'éprend de Gilberte, fille de Swann et d'Odette dans la courte troisième partie que je trouve moins savoureuse. Je ne vois pas vraiment le lien entre ces trois parties, mais ce n'est que le premier tome de A la recherche du temps perdu... tout un programme de vie !
Marie-Thé
J'ouvre ce livre aux ¾. Si je le ferme ¼, c'est uniquement à cause de la lecture de ces interminables pages sur les lectures du narrateur (sauf quand il s'agit de Bergotte), cela m'a complètement assommée. Pages pourtant intéressantes parfois, mais de quoi m'ôter l'envie de lire, un comble... Un autre passage m'a perdue, la description de l'église aimée de Combray dans tous ses détails, jusqu'au clocher : "le doigt de Dieu". Intéressante cependant la dimension de temps : "sa tour qui avait contemplé Saint Louis et semblait le voir encore ; et s'enfonçant avec sa crypte dans une nuit mérovingienne..." Je pense à Pierre Bergounioux. Passage à ne pas confondre avec celui où Monsieur le curé évoque cette même église, avec ce même clocher, où peut être ressenti "le froid de la mort". Ainsi la tante Léonie est indignée que le curé l'ait crue capable de monter au clocher. C'est pittoresque, savoureux, et drôle !
J'ai adoré la description des lieux, intérieurs, extérieurs. Il y a beaucoup de clochers du côté de Combray, les églises sont des repères, des points de départ et de retour... Les messes et autres offices religieux rythment la vie de chacun. J'ai beaucoup aimé à la lecture de ces pages, me souvenir de mon enfance, mêmes repères, les messes, le "mois de Marie", les rogations... J'ai aimé retrouver les aubépines du mois de mai, les églantines, nous vivions aussi au rythme des saisons. Les boutons d'or, les têtards que nous capturions dans des bocaux ressemblaient à ceux de la Vivonne. Je reconnais aussi la torpeur des étés, l'ombre recherchée, la lecture... (dommage qu'il n'y ait pas d'hivers passés à Combray).
J'ai été très intéressée par la description des repas (j'adore le samedi où on déjeune une heure plus tôt) : ici règnent souvent l'opulence, le faste, les relations choisies, une certaine mondanité, une "conception des castes ". Chez nous les repas étaient tout simplement nécessaires.
Je note encore dans ces pages l'importance du souvenir des odeurs, des saveurs, de l'atmosphère, douillette, changeante bien sûr en fonction des lieux et des situations, si bien décrite, que j'ai l'impression d'être là, même chez la tante Léonie, allant "du lit au fauteuil, et puis du lit au lit..."
J'ai aimé les portraits, les paysages, la description des plats, asperges, etc. Impression d'être devant l'œuvre d'un peintre. Les personnages m'ont fascinée, avec leurs qualités ou leurs défauts, en particulier Françoise, la mère, la grand-mère, Swann, monsieur Vinteuil, etc. Ils sont si nombreux. La Duchesse de Guermantes à l'apparence quelconque sera "transformée" par le narrateur, à cause de ses origines...
La lanterne magique m'a bien sûr fait penser à Bergman, mais ici elle perturbe l'enfant, elle est une intrusion qui dérange.
Sous la plume de Proust, ce qui pouvait paraître banal a revêtu une importance considérable, je suis très sensible à cela. Ce que la nature a d'éphémère où "un bruit de pas sans écho sur le gravier d'une allée", "mon exaltation les a portés et a réussi à leur faire traverser tant d'années successives, tandis qu'alentour les chemins se sont effacés et que sont morts ceux qui les foulèrent et le souvenir de ceux qui les foulèrent."
Le chemin menant à la naissance, à "l'éclosion" de l'écriture, à "l'illusion d'une sorte de fécondité" a été long et semé d'obstacles, mais le narrateur est devenu l'écrivain qu'on "connaît". Du temps perdu au temps retrouvé, où "il comprend que la vraie vie, le seul salut, est dans l'art." Parmi tant d'autres, deux phrases m'interpellent :
"On croit qu'on crée ce qu'on nomme."
"Les faits ne pénètrent pas dans le monde où vivent nos croyances." (Vinteuil face à sa fille)
Ce livre où le temps a tant de place, (l'oisiveté en a aussi), m'a fascinée ; que lire à présent ? Je répète tout de même que la lecture m'a parfois été pénible. Par ailleurs, j'avais il y a longtemps lu avec plus de facilité des passages de Sodome et Gomorrhe et de A l'ombre des jeunes filles en fleur, des passages... Peut-être devrais-je lire Proust "souvent, mais peu à la fois." (Allusion aux pensées de Swann père pour sa défunte femme).


POURQUOI AVOIR REPROGRAMMÉ PROUST ?!
Oui, encore Proust !
- En juillet 1991, nous avons lu Un amour de Swann avant de visiter ensemble "La maison de la Tante Léonie" à Illiers-Combray.
- En juillet 2011, nous avons visité la chambre de Proust au musée Carnavalet, vu au Louvre des tableaux avec les textes de Proust correspondant en main, et terminé la déambulation proustienne au salon de thé Angelina que fréquentait Proust, le tout sous la houlette de Monique S. De ces précédentes festivités proustiennes dans le groupe, pas de trace sur le site... contrairement aux suivantes.
- Pendant l'été 2011 qui suivait, nous avons lu au choix "du" Proust ou autour de Proust : voici nos lectures et réactions (découvrez qui d'entre nous a sa grand-mère qui a fréquenté Proust...)
- En juin 2017, 25 ans après une première visite, nous avons à nouveau visité la maison de tante Léonie devenue Musée Marcel Proust à Illiers-Combray, vu le Pré Catalan, l'église, le sentier des aubépines..., guidés par "le fou de Proust", Patrice Louis. Quelques jours plus tard, nous avions visité l'hôtel littéraire Swann à Paris, avec Jacques Letertre, propriétaire de plusieurs autres hôtels littéraires : Flaubert où nous sommes allés en 2021, Jules Verne, Vialatte, Rimbaud, Marcel Aymé...
Nous avons choisi Proust, émoustillés par trois expositions successives liées au 150e anniversaire de sa naissance, puis au 100e anniversaire de sa mort :
1. "Marcel Proust, un roman parisien" au musée Carnavalet, 16 décembre 2021-10 avril 2022 2. "Marcel Proust, du côté de la mère" au musée d’art et d’histoire du Judaïsme, 14 avril-28 août 2022

3. Et principalement l'exposition Marcel Proust : la fabrique de l’œuvre à la BNF du 11 octobre au 22 janvier 2023

L'
exposition constitue le point d'orgue d'une année de célébrations proustiennes à Paris.


Elle propose une traversée de l'œuvre À la recherche du temps perdu, organisée tome par tome, pour donner à voir la fabrique du texte : elle met en valeur l'exceptionnel fonds Proust de la BnF, mais aussi des objets et œuvres picturales qui rendent compte de l'univers proustien.

Le parcours présente des pièces capitales inédites, récemment entrées dans les fonds de la BnF ou issues de collections extérieures, qui sont ici rassemblées pour la première fois.

La présentation met aussi en avant les apports du numérique dans l'histoire de la réception et de l'interprétation des manuscrits.

Issues des fonds de la BnF et de collections extérieures, 350 pièces invitent donc à plonger au cœur de l'œuvre proustienne : manuscrits, objets (meubles, costumes, appareils de projection), extraits audiovisuels (musique, entretiens), peintures.Voir :
- la présentation en détail
- un entretien avec les commissaires.


Paperole du fonds Proust de la BNF

Juste un mot sur l'histoire de la publication du tome que nous lisons : devant un refus sec de Fasquelle, la Nouvelle Revue française et Ollendorff, Proust se tourne vers l’éditeur Bernard Grasset pour faire publier son livre à compte d’auteur : Du côté de chez Swann paraît en novembre 1913. La NRF se rend rapidement compte de son erreur, et publie quelques mois plus tard dans sa revue des extraits de la suite d’À la recherche du temps perdu, avant de donner, en 1919, une nouvelle édition de Swann.

Des repères biographiques de Proust en une page ? Ici, par la BNF.

Un podcast exceptionnel sur Proust, une odyssée radiophonique à la mesure de l'œuvre : des dizaines d'émissions concoctées par France Culture en 2022 : Marcel-Proust-le-podcast

Il y a 100 ans exactement : Le Figaro, 19 novembre 1922 :

Un siècle plus tard,
les produits dérivés s'en donnent à cœur joie...

De la tête aux pieds :



La broche Au lit / Série Marcel Proust :

Le magnet sur le réfrigérateur :

Quand je bois, je pense à Marcel :
Quand je mange aussi :

Inévitables, les madeleines ! Apparentes :

ou dans une boîte bien plus chouette :

Le sac pour mettre mes emplettes :

Et dans l'attente impatiente de Noël... :


 

Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :
                                        
à la folie
grand ouvert
beaucoup
¾ ouvert
moyennement
à moitié
un peu
ouvert ¼
pas du tout
fermé !

 

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