Quatrième de couverture : Dans certains villages de Catalogne, le nom du commissaire Avelino Pared éveille encore une terreur sourde. Responsable de la répression à l'époque de la guerre civile, ce fonctionnaire secret officie maintenant dans une petite ville du nord de l'Espagne : Huesca, où l'inspecteur Laredo, nouvellement nommé, entrera bientôt en fonction. Pour préparer leur rencontre, le jeune policier mène l'enquête, interroge d'anciens témoins, et pénètre peu à peu dans le silence glacé de l'époque franquiste. Le voyage serait sans danger si l'histoire d'Avelino Pared, avec ses craquelures infimes, ses places sombres et enneigées, son enfance perdue, ne renfermait une énigme. Prix Renaudot 1981 Michel del Castillo
Autres éditions
de poche :
Michel del Castillo adapte son roman pour
le théâtre : Quatrième de couverture : 1950, à Barcelone, sous la dictature franquiste. Après six ans dune traque méticuleuse, Avelino Pared décide de mettre un terme aux activités de Ramon Puig, professeur à luniversité de Toulouse et militant anarchiste en exil. Hasard ou signe du destin, larrestation du militant anarchiste coïncide avec larrivée de linspecteur Laredo dans la Brigade sociale et politique. Ce jeune idéaliste croit avec ferveur aux vertus dordre et de discipline. De réputation, il a conçu pour Pared un véritable culte. Petit à petit, le jeune policier découvrira ce que cache la folie de lordre : le cynisme désabusé, la manipulation, labsence de scrupules, une perversité exquise. Le Jour du destin fut mise en scène par Jean-Marie Besset et Gilbert Désveaux, au Théâtre Montparnasse, avec Michel Aumont (dans le rôle d'Avelino), Loïc Corbery (Laredo) et Christophe Malavoy. Voir vidéo ici |
Michel del Castillo (né en 1933)
|
DES
INFOS AUTOUR DU LIVRE Repères biographiques Livres de Michel del Castillo Interviews |
Les
12 cotes d'amour de l'ancien groupe Entre et Brigitte Christelle |
Annick
L(avis
transmis)
J'avais déjà lu, pour mieux cerner cet auteur dont on m'avait
parlé, Les
Portes du sang, un récit autobiographique
très émouvant dans lequel il revient sur ses souvenirs tragiques
d'enfance et de jeunesse. Mais jamais aucune fiction. Et j'ai beaucoup
aimé La nuit du décret.
Pour moi c'est un grand roman, écrit
dans une belle langue classique, précise et évocatrice des
lieux, de l'atmosphère générale et particulière
à certaines scènes, de la société espagnole
des années 1970, en cette fin de règne franquiste. Une atmosphère
très oppressante qui m'a fait penser au film Cria
cuervos de Carlos Saura, qui se situe à peu près
à la même époque.
Et puis j'ai été saisie par la tension qui s'instaure très
vite autour de la relation ambigüe que noue le "jeune"
inspecteur avec son futur chef : fascination, répulsion, appréhension
Les témoignages de ceux et celles qui ont connu Don Avelino Pared
sont contradictoires et laissent une part de mystère quant à
la véritable personnalité de celui-ci. Le lecteur se laisse
prendre à cette enquête et le suspense est habilement maintenu
jusqu'au dénouement, brutal. D'autant que l'inspecteur Santiago
Larido est quelqu'un de trouble également, avec ses propres failles.
Il y a comme un effet de miroir entre ces deux hommes. On parlerait aujourd'hui
d'une forme d'emprise.
Mais, au-delà du talent du romancier pour tisser sa toile, le plus
remarquable c'est la réflexion qui est menée, à travers
des discussions entre ces deux personnages, sur les notions de morale,
de métaphysique, sur ce qu'est un pouvoir totalitaire, avec la
mise en fiches généralisée des citoyens et citoyennes
de ce pays, mise en place pendant la Guerre civile et au-delà,
par Don Avelino, qui incarne le grand Inquisiteur, le pendant du Big Brother
orwellien.
Cette dimension donne une portée très large à ce
roman, au-delà du contexte espagnol.
Un livre que je ne suis pas près d'oublier. Ouvert en grand.
Jacqueline
J'avais gardé un bon souvenir de cet auteur dont, il y a longtemps,
j'avais lu un livre autobiographique émouvant. J'ai lu celui-ci
en entier, mais j'ai trouvé ça très pesant. Je crois
que c'est le style à l'ancienne avec des portraits physiques peu
intéressants et peu d'affects
, même si cela va bien
avec le métier de policier du narrateur. Et c'est assez rigolo
qu'il dise ne pas aimer rédiger ses rapports parce qu'au fond rédiger
c'est donner l'éclairage que l'on souhaite
J'ai été gênée que la scène terrible
rapportée par Marina et censée être le récit
de sa mère soit tout à fait dans le même style que
le reste
Je ne suis jamais vraiment entrée dans le suspense autour d'Avelino,
tout cela est lent et assez glauque
Je n'ai guère eu de plaisir à cette lecture et j'ouvre ¼.
Monique L
C'est un récit bien écrit, intelligent dans son approche,
mais qui me laisse désemparée car je n'ai pas compris ce
que cherchait l'auteur. Le titre ne m'a pas aidée car je ne sais
toujours pas ce que signifie cette nuit du décret. Pour
moi cela reste des mots sans que j'en comprenne la signification profonde.
(J'ai vu également cette expression dans l'Islam : nuit du
destin ou du décret, dans la sourate du Coran Al-Qadr ;
voir aussi ici)
La fin du roman me pose question : quel sens donner à celle mort
?
Je n'ai pas ressenti les deux personnages principaux comme véridiques
mais comme éléments d'une démonstration.
L'atmosphère est pesante.
C'est néanmoins une uvre attirante, rythmée, bien
écrite et que j'ai lu sans difficulté. C'est une réflexion
intéressante sur le pouvoir, la dictature franquiste, les exactions
commises par les deux camps, mais surtout sur la manipulation pour obtenir
des aveux.
Les descriptions successives de Pared montrent le pervers dans toute sa
splendeur, persuadé d'avoir raison, d'être le bras armé
de Dieu. Il suffit qu'il entre dans la pièce ou s'assoie en face
du suspect, pour que tous se sentent coupables. Et il en joue et rejoue
comme tout pervers. Il torture moralement ses victimes. Il a un mépris
absolu de tous les humains.
J'ai eu du mal par moment avec la passivité de Laredo, par exemple
quand il accepte de trouver Pared dans sa chambre tous les matins au réveil.
Sa fascination pour Pared ne m'a pas toujours été compréhensible.
Plus le récit avance plus on perçoit un parallélisme
entre Pared et Laredo. Laredo avait expérimenté dans sa
jeunesse le pouvoir qu'il pouvait exercer sur autrui et la joie perverse
que cela lui avait procuré d'avoir manipulé et réduit
à néant l'instituteur et cela avec raffinement l'ayant fait
en deux temps. C'est ce qui le lie à Pared. "Je découvrais
que la rétention d'une information vous faisait le maître
absolu d'un homme. Il suffisait que le coupable sût qu'on la gardait.
Ma vocation était née : j'entrerais dans la police."
Difficile de parler de tout mais il y a des moments difficiles à
passer sous silence :
- le récit de l'inspecteur Baza qui s'est senti humilié
et qui a trouvé une fuite dans la boisson.
- la rencontre avec Don Pedro Cortez, phalangiste idéaliste
- la lettre de la femme de Laredo qui a été pour moi un
moment de répit
- Franco meurt pendant la période de transition entre les deux
postes de Laredo, l'auteur décrit bien les réactions des
gens, la sidération puis le frémissement de la liberté.
L'écriture est fluide, il n'y a pas de pathos. Le rythme est très
maîtrisé. J'ouvre à moitié.
Christelle entre
et
J'en suis à 90%... et j'ai envie de le finir, car j'imagine une
fin peu banale à un livre aussi original.
Je ne connaissais rien de l'auteur, mais le dernier mail de Claire qui
renvoie à la page sur M de Castillo m'a mis l'eau à la bouche.
Dans la première partie, je me suis laissé prendre assez
rapidement. L'ambiance concernant l'enfance dans le village est rendue
de façon intéressante ; quant à l'instituteur pédophile
et au père qui condamne plus le fils que l'instituteur, on se rend
compte qu'on a changé d'époque...
L'ambiance est très pesante, mais j'ai été captée
par l'intérêt au début pour son futur chef, mais l'approche
de ce personnage, de passionnante, devient un peu laborieuse, les témoignages
finissent par s'éterniser et se recouper. Le passage chez Baza
est cependant très poignant, dans le salon glauque, les descriptions
et le dialogue ont très bien fonctionné sur moi.
Quand Laredo et Pared se rencontrent, ça redevient intéressant.
Ce Don Avelino a un côté délirant, ses réflexions
sur les liens entre religion et police, difficiles à suivre, montrent
à quel point il est tordu.
J'ai été fascinée par plusieurs passages sur la culpabilité,
sa capacité à hanter et détruire des vies, par exemple
celle de Baza. N'ayant pas fini le livre, j'espère encore que cette
culpabilité va rattraper Pared; la force de la manipulation est
également très bien montrée. Quant aux couples, je
les ai trouvés intéressants. Il y a une opposition entre
Laredo dont la femme le quitte quand il va dans une autre ville et Gonzalvo
qui, dans une autre ville, ne pense qu'à revenir chez lui. Pared
et sa femme... on se demande où ça peut aller...
À ce stade de ma lecture, j'ouvre entre ½ et ¾.
(Christelle ajoutera quelques jours plus tard :) La lecture des
10 derniers % n'ont pas renversé la donne.
Rozenn(à
l'écran : en place et lieu de son nom, apparaissent ces lettres
effrayantes... R... G..., rappelant le livre)
J'ai lu un peu dans le brouillard, mais j'ouvre en grand et je le relirais
volontiers.
J'avais lu Tanguy
jadis, n'en gardant qu'un souvenir très
fort, très dur : je veux le relire.
Ici dans ce livre, il y a le poids de ce qui n'est pas clair, de ce qui
n'est pas dit.
Sur les femmes... hum. Il serait aujourd'hui censuré pour grossophobie.
Alors que la description de la femme de Pared est fabuleuse.
Il y a des phrases d'une grande beauté.
À certains moments, trop de détails et des transitions étranges.
Je l'ai fini cet après-midi et j'en sors avec une fascination.
Avec Don Avelino, péremptoire, c'est le secret et jamais un doute
sur rien.
J'ouvre en grand. C'est un auteur que je redécouvre. Je relirai,
c'est certain.
Brigitte entre
et
(à
l'écran)
C'est un livre très déconcertant : un roman policier, mais
aussi un essai philosophique et historique. L'écriture est simple
mais très travaillée.
L'intrigue est très construite, chaque détail joue un rôle
dans le déroulement des événements ultérieurs,
le lecteur ne doit rien oublier, sinon il ne comprend pas la suite.
Ce qui m'a le plus gênée, c'est une certaine ambiance sous-jacente
de perversité, aussi bien chez Santiago Laredo que chez Avelino
Pared. Je qualifierais cette lecture d'inconfortable.
J'ai aussi été surprise de la façon dont est traitée
la pédophilie. Ici la victime c'est l'adulte pédophile,
le manipulateur c'est le jeune garçon de 13 ans !
Pour moi ce livre et cet auteur sont néanmoins une découverte
intéressante. J'ouvre entre ½ et ¾.
Muriel
J'ai été accrochée. Et le livre m'a bien plu.
Mais je suis d'accord avec Brigitte sur le côté inconfortable.
Et pénible est cette histoire d'instituteur très gentil
qui s'avère pédophile ; cela met mal à l'aise.
Tout est un peu glauque. Ces histoires malsaines et parfois cruelles font
mal au cur.
À certains moments, je ne savais plus qui était qui. Et
le livre m'a paru trop long. Plusieurs ont utilisé les adjectifs
pesant et pervers, bien choisis.
J'ouvre à moitié.
Jérémy
Avant la lecture
Je n'avais jamais rien lu de Michel Del Castillo, ni même entendu
parler de lui. Je l'ai donc abordé vierge de tout a priori. Sans
être un grand amateur de romans policiers, une enquête ayant
pour toile de fond le franquisme m'intéressait et j'étais
donc plutôt enthousiaste à l'idée de le lire.
Pendant la lecture
J'ai lu ce livre sans déplaisir, mais sans passion non plus. Il
se lit facilement et je l'ai terminé en une semaine mais je n'ai
jamais été impatient d'en reprendre la lecture, il ne m'a
pas "manqué". Cela tient peut-être à certaines
longueurs un peu pesantes dans les descriptions, de paysages notamment,
ou à des précisions apportées sur des détails
qui m'ont paru sans importance. Certains personnages sont un peu caricaturaux,
par exemple celui de Baza, flic "brisé" par Avelino Pared
: gros, alcoolique, vêtements souillés, appartement immonde,
femme repoussante, veste sans cesse recouverte d'une couche de pellicules,
tout y passe ! Enfin, si le livre est écrit dans une langue
fluide, je n'ai souligné aucun passage que j'aurais trouvé
d'une particulière beauté.
Le livre a également créé en moi un effet "déceptif"
: la rencontre entre Avelino et Laredo n'intervient que 100 pages avant
la fin du livre. Je pensais qu'elle arriverait plus tôt. Après
avoir compris que cela ne serait pas le cas et qu'une longue enquête
préliminaire précèderait la rencontre, j'ai pris
mon mal en patience. Malgré tout c'est un peu long. "L'enquête"
m'a par ailleurs aussi peu convaincu que celle qui se déroule dans
La
Petite-fille : tout le monde parle à Laredo avec une facilité
déconcertante. La plupart du temps on lui parle même sans
qu'il ait besoin de demander quoi que ce soit !
Je n'ai pas été très intéressé par
la relation entre Laredo et sa femme, dont le personnage n'est pas très
bien dessiné. Quand nous avions parlé de La
Boîte noire, j'avais appris que sa traductrice réécrivait
les scènes de sexe qu'elle trouvait mauvaises. Ici il n'y a pas
de scène de sexe, mais le désir que ressent Laredo pour
Marina est décrit avec une lourdeur qui frise le ridicule.
Malgré tout, ce livre m'a intéressé, pas tant pour
l'histoire qu'il développe que pour ce que l'auteur essaie selon
moi de faire, à savoir dresser le portrait d'un policier franquiste :
de quel bois était-il fait ? Quels sont les ressorts familiaux,
sociaux, philosophiques, religieux, qui peuvent nous permettre d'expliquer
comment un homme qui n'est pas dépeint comme un monstre sanguinaire
et violent a pu commettre les exactions qui lui sont reprochées
? Ce qui fonde l'agent de police Avelino, c'est son obsession pour l'ordre,
son détachement notarial, son goût pour la surveillance et
le fichage, le fait qu'il ne doute de rien, son aversion pour toute forme
de regret et de repentir, son refus de s'interroger sur la loi et sa seule
volonté de la servir et de l'appliquer quoi qu'il en coûte.
J'ai aussi trouvé intéressant le parallèle que l'auteur
établit entre la police et l'Église : toutes deux ont pour
idéal l'ordre et cherchent l'abnégation, la soumission totale
de l'individu : "L'ordre
achevé se fait dans les têtes. Là où l'esprit
critique, le désir et l'inquiétude persistent, là
aussi le désordre subsiste. La police est loin de cet ordre qui
se fait avec la participation de l'individu. [
] Heureusement nous
approchons d'une ère où les hommes ne supporteront plus
le fardeau de leur liberté [
] L'heure de la police aura alors
sonné. Plus personne ne songera à fuir son il tranquille.
La paix enfin s'installera." On comprend alors mieux pourquoi
l'homme Avelino a pris pour femme Amalia, une simple d'esprit qui vit
dans un monde de chimères et n'a d'autre désir que celui
de s'empiffrer. C'est parce qu'elle est l'incarnation de ce qu'est l'Homme
idéal pour le policier Avelino : un "peuple
d'automates" n'ayant plus que l'apparence du vivant.
J'ai également bien aimé le côté prophétique
du livre. Avelino dit en effet à un moment : "Le
jour approche où une machine étincelante contiendra non
pas une région mais une province, mais une nation. Il suffira d'appuyer
sur un bouton et le décret tombera [
] Alors la police aura
enfin accompli sa vocation. Elle sera cet il qui vous suit partout,
invisible." Non seulement on y est mais en plus nous alimentons
volontairement la machine !
J'ouvre donc ce livre à moitié car s'il m'a intéressé,
il ne m'a pas profondément marqué et je n'aurai envie ni
de le relire, ni de le conseiller.
Renée(à
l'écran)
Je n'ai pas terminé. Je ne comprends pas trop le narrateur. Enfant
pervers, il me met mal à l'aise. Où veut-il nous emmener ?
Mais j'ai envie de savoir la fin, ce qui est déjà pas mal,
bien que je ne lise pas avec une jouissance extraordinaire...
J'ai trouvé comme Rozenn qu'il y a de très belles phrases.
Et de belles idées.
Je suis proche de l'Espagne à Narbonne et j'ai connu aussi bien
des républicains réfugiés que des zélateurs
de Franco : tous détestaient parler du passé. Dans
le livre, c'est la toile de fond du roman mais c'est subtilement dissimulé
: seul reste LE MAL au fond de chaque homme.
L'anarchiste flamboyant Espuig, habilement manipulé par Avelino,
devient délateur et finit minable. Le pervers l'a détruit
en, subrepticement, lui redonner le goût d'une vie normale plutôt
que l'isolement en prison.
Je pense que je suis partie pour l'ouvrir à moitié.
Fanny
J'ai trouvé que ce livre écrit il y a plus de 40 ans était
terriblement d'actualité sur l'emprise, la perversion. Perversion
avec Amelia par exemple, qui, d'un vide sidéral, encouragée
par Don Avelino, ne fait que manger des gâteaux. Et ça se
répète pour plusieurs personnages.
Contrairement à vous, j'ai éprouvé beaucoup de plaisir
de lecture, en dépit des horreurs - peut-être est-ce par
habitude professionnelle... Mais j'avais hâte de le retrouver.
Pared interroge un des suspects et ça dure. Il y a une densité
dans certains dialogues très durs. Dans ce chapitre, l'écriture
est dense, ramassée sans passages à la ligne malgré
les dialogues, au point qu'effectivement on ne sait plus qui dit quoi.
Je pense que c'est intentionnel, en ce que cela sert à montrer
ce qu'il y a d'identique entre Pared et le suspect.
C'est un livre extrêmement bien construit. On peut
même se demander s'ils vont se rencontrer. On comprend à
la fin pourquoi le narrateur est revenu sur son enfance.
Laredo et Pared ont pour moi une relation entre deux mêmes. Il y
a comme un miroir entre eux. Si on lit le livre comme ça, on lit
autrement la fin. C'est peut-être en quelque sorte lui-même
que Laredo tue, pour symboliser un nouveau départ et/ou assumer
sa part d'ombre et de perversion ?
Juste deux réserves : le parallèle mystique..., je n'ai
pas bien suivi ; et le côté très construit du livre
qui devient un peu factice quand il y a une double enquête dans
le livre : sur le meurtre et sur les raisons de la présence dans
la ville d'Avelino. À ce moment-là, j'ai eu l'impression
que la construction prenait le pas sur le narratif.
J'ouvre aux ¾.
Claire
Quand j'ai vu le volume du livre et son contexte - la guerre civile espagnole
- j'ai intérieurement maugréé et me suis dit je n'hésiterai
pas à abandonner ce demi-pavé s'il me barbe, j'étais
donc remontée par mon préjugé, genre bien renfrognée...
En deux coups de cuillère à pot, j'étais retournée
et captivée, immédiatement conquise. Bien sûr, il
a fallu tenir sur la longueur.
Les pages avec la femme du narrateur, avec la secrétaire et le
chapitre 8 stupéfiant sur l'enfance et la saloperie de l'enfant
ignoble entraînent un retournement du lecteur par rapport au narrateur.
Le regard sur le père est également changé. Ta remarque,
Christelle, me fait me rendre compte que je lisais le livre avec les yeux
de cette époque-là... sans y voir de pédophilie,
car toute entière prise par le récit, faut le faire.
J'ai aimé les relations avec les femmes : épouse (avec cette
lettre merveilleuse p. 313 en poche), Marina, la veuve, Conchita,
l'épouse de Pared.
Le livre égrène avec subtilité un rapport au mal.
Le contexte historique m'a semblé comme un décor, irremplaçable
comme décor, mais un autre pays, une autre époque, une autre
dictature, auraient convenu.
Ce qui m'a le plu, c'est la tension, le suspense et notamment les deux
coups de théâtre dont celui de la fin, autour de l'instituteur.
Les va-et-vient présent/passé, témoignages/narrateur
m'ont semblé habiles.
Réserves :
- une verrue curieuse : le chapitre 6 où nous est racontée
la vie d'étudiant d'Avelino par un narrateur à la troisième
personne, je n'ai pas compris
- les dialogues rapportés dans un récit, par exemple p.
179, pas très vraisemblables
- je suis un peu lassée de tourner autour du pot et je saute des
passages ; c'est page 250 qu'il entre en scène (et il y en a 368...)
- les passages philosophiques de Don Avelino me sont restés obscurs
et le refrain de la Nuit du décret ne m'a pas convaincue (ou alors
il faut considérer ces élucubrations comme un délire,
ce qui un peu gros) ; j'ai relevé les occurrences
de l'expression et ce n'est vraiment pas clair
- la fin too much.
En dépit des réserves, j'ai envie d'ouvrir aux ¾
pour la découverte, confirmée avec tout ce que j'ai appris
de l'auteur qui m'a stupéfiée et attachée à
lui.
Alors qu'Avelino revient à cette analogie entre Dieu et la police,
je me demande, à propos des quatre couleurs de ses fiches infernales,
s'il n'y a pas une autre analogie à faire entre ses outils et ceux
du romancier quant à ses personnages... :
- "une première feuille, blanche, avec les renseignements d'état civil"
- "une seconde, verte, pour la vie professionnelle, carrière, activités, finances, bref ce qui, avec le nom et l'origine, enracine un individu. Voulez-vous savoir ce que vaut un homme ? Examinez son compte en banque. Au-dessus d'une certaine somme, c'est une crapule ; au-dessous, c'est une loque ; entre les deux c'est un couard."
- "Une troisième, rose, pour les murs : aime-t-il se faire fouetter, ramper sur le plancher, jouit-il à brutaliser les femmes, ne bande-t-il que s'il profère des insanités ? Dans tous les cas, vous le tenez. Un homme qui sait qu'on a percé ses secrets d'alcôve n'est pas tout à fait un homme. "
- "Le rouge enfin, la politique et le social, c'est-à-dire les rêves absurdes et les théories fumeuses qui font mourir tant d'hommes."
- "Quatre couleurs pour éclairer un destin. Tout ce qu'on appelle si pompeusement le mystère d'un homme tient dans ces paperasses."
Catherine
Je connaissais Michel del Castillo, j'ai lu Tanguy
il y a longtemps et ce livre m'avait marquée ; c'est un livre que
l'on n'oublie pas. Je l'ai relu, et il m'a tétanisée de
la même façon.
Je me suis plongée ensuite dans La nuit du décret et
j'ai été embarquée très vite dans cette histoire.
J'avais envie de connaître la suite et, comme l'inspecteur Laredo,
de comprendre cet homme, au début insaisissable et, au fil des
histoires, de plus en plus pervers et manipulateur. J'ai assez aimé
qu'on le rencontre très tardivement ; je me suis même demandé
aux trois quarts du livre si on le rencontrerait vraiment.
Il incarne le mal, avec en toile de fond l'Espagne déchirée
par la guerre civile. La guerre et ses horreurs ne sont évoquées
qu'en toile de fond, mais elle permet à la folie de s'exercer.
Il y a des passages saisissants : les interrogatoires de Ramon Espuig,
l'anarchiste, prêt à mourir et qui se retrouve piégé
dans la toile de Don Avelino avec ses discussions philosophiques et finit
par trahir sa cause, l'histoire de sa belle-sur qu'il "sauve"
après avoir fait tuer son mari, l'histoire de Baza qu'il réduit
à l'état de loque. Il y a toute une théorie derrière
le personnage de Don Avelino, obsédé par l'ordre et la Loi,
détestant le pardon, qui disserte longuement sur les rapports entre
police, loi et religion. C'est intéressant, mais un peu redondant
et il y a des longueurs.
Il y a pas mal de rebondissements : Laredo, que l'on prend pour quelqu'un
de bien au début mais dont on apprend qu'il a trahi son instituteur
et l'a dénoncé par une lettre anonyme (l'instituteur apparaît
comme une victime très sympathique mais il abuse quand même
des enfants
; comme a dit Christelle, ça a été
écrit à une autre époque) et à la fin bien
sûr où il y a plusieurs coups de théâtre (peut-être
un peu trop d'ailleurs).
J'ai bien aimé le délire final de Don Avelino (l'humanité
composée d'Amalia sur laquelle la police pourra établir
son règne), mais j'ai été un peu déçue
par la fin de Laredo que j'espérais plus flamboyante. Au fond,
c'est en accord avec le reste. Avelino l'a détruit lui aussi.
Les personnages féminins sont à l'arrière-plan, même
s'ils jouent un rôle non négligeable. Je passe sur le personnage
d'Amalia, un peu forcé tout de même ; Marina et Pilar m'ont
davantage intéressée, j'ai en particulier beaucoup aimé
la lettre de rupture de Pilar.
Au final, comme Tanguy, c'est un livre qui m'a marquée et
que je n'oublierai pas. Je l'ouvre aux ¾.
La nuit du décret,
c'est quoi ?...
Voici, soulignées, les occurrences relatives à la nuit du
décret
dans le livre, chapitres 4, 8, 19, 23 :
Chapitre
4, le vieux Trévos qui communique au narrateur un dossier
s'explique : "Dans ma jeunesse, je rêvais de devenir
archiviste ou bibliothécaire. Jaimais déjà
lodeur du vieux parchemin, du cuir et du papier. Surtout, javais
la passion de ces lieux paisibles, baignés de silence, où
les plus folles visions peuvent sépanouir, sans que rien
ne vienne déranger leurs métamorphoses. Mes parents
étaient pauvres, jai dû changer mon fusil dépaule,
façon de parler. Je ne le regrette pas du reste. La bibliothèque
dAlexandrie ne peut rivaliser avec un bon fichier. Ce qui dort
là, sur ces rayons, cest rien moins que la création,
cher ami ! Tout y est, absolument tout ! Les pires folies,
les débauches les plus fantastiques, les appétits les
plus féroces, la lâcheté, la cupidité,
le sang même. Surtout, tout y est à létat
de signe, comprenez-vous ? Des passions non encore dégradées,
une pure énergie en quelque sorte. Lire des fiches nest
pas un travail dinformation, cest une activité
purement mentale qui consiste à repérer des traces,
à imaginer les actes qui peuvent en découler, comme
le chêne dérive du gland. Voilà pourquoi je vous
parlais de la création. Parfois, je me représente Dieu
comme un immense fichier contenant des millions de noms qui engendreront
lhéroïsme et le crime, le mensonge et lamour.
Dans les ténèbres et le silence, Dieu contemple cet
écheveau fantastique, et Il attend, recueilli, que tous les
fils soient dévidés. Alors, arrivera la Nuit du Décret
et une aube triomphante éclairera lhumanité, arrivée
au terme de son destin. (...) Quappelez-vous la Nuit du Décret ? fis-je dans lespoir dapaiser son agitation. Cest lultime Nuit de Dieu, chuchota-t-il en se penchant vers moi et en me fixant dun regard presque halluciné. La Nuit de lultime Révélation, qui précède le Jour de lÉternité. Croyez-vous en Dieu ? » Cette question abrupte me prit au dépourvu et jhésitai avant de répondre. Je suis baptisé, fis-je dune voix qui résonna bizarrement à mes oreilles. Ce nest pas une réponse, riposta avec brusquerie le lunatique bonhomme. Pour bien lire un fichier, poursuivit-il sur le même ton sec, hargneux presque, il faut croire en Dieu. Car une fiche, pour éloquente quelle soit, garde son secret, si on ne la lit pas avec les yeux de la foi. Sa vérité relève de lordre du virtuel. Vous, par exemple, êtes-vous certain davoir su interpréter les décrets que renferme ce vieux carton ?" Chapitre 19, juste avant la lettre de Pilar, Don Avelino dit à propos de ses dossiers aux feuilles de quatre couleurs : "ce sont là des méthodes artisanales, grossières pour tout dire. Le jour approche où une machine étincelante contiendra non pas une région ni une province, mais une nation, un continent, le monde même. Il suffira dappuyer sur un bouton et le décret tombera, scellant un destin. Alors, la police aura réellement accompli sa vocation : elle sera enfin cet il qui vous suit partout, invisible. En attendant, soupira-t-il, jai fait ce que jai pu." |
Chapitre
8, le narrateur enfant, à
propos d'un tremblement de terre, réponde à l'instituteur
qui va bientôt l'embrasser : " Il y en a
eu plusieurs à Benamid. On entend un grondement profond comme
dune bête qui grogne. Ensuite les lustres et les meubles
se mettent à valser. Une maison sest même écroulée
dans le village du bas. Tout le monde est sorti dans la rue en criant.
Cétait drôle. Tu nas pas eu peur ? Non. Je trouvais ça bizarre. De toute façon, le village, il est là depuis Ça fait des années, des siècles même. Tu as sans doute raison, Santi. Il ne sert à rien de sinquiéter inutilement. Quand notre heure arrive, il est vain de se lamenter. Avant il ne se passe rien. Notre destin ne nous appartient pas : le décret qui fixe notre sort repose dans les archives de la nuit. (...) Mon corps était maître du sien et mon esprit disposait de sa destinée. Ce décret quil imaginait au fond dune archive nocturne, il sécrivait en réalité dans ma tête. Il croyait naïvement quune obscure divinité décidait de son sort mais il tenait ce dieu cruel dans ses bras, et il lembrassait avidement, éperdu de reconnaissance. (...) Ma vocation était née : jentrerais dans la police ; je collectionnerais et rangerais les décrets qui annihilent la liberté des hommes. Caché dans lombre, je tirerais les ficelles de ces pantins. Je demeurerais invisible, anonyme, et je nen disposerais pas moins du sort de mes semblables." Chapitre 23, à propos de Don Avelino : "Mayant reconnu, il mavait appelé, tissant patiemment les fils où je viendrais méchouer. À quels signes il mavait reconnu, je le devinais. Notre complicité portait un nom : Angel Linarès. De ce premier crime, tout le reste découlait, obéissant à une logique supérieure, irréfutable. La nuit où, dans la maison de Benamid, je composais linfâme billet qui ruinerait une vie insouciante et libre, javais, sans le savoir, rencontré Don Avelino. Depuis, je navais fait que cheminer vers lui. Trevos ne se trompait pas : pour qui sait lire, un fichier contient les décrets fixant les destinées. Nul hasard. Une rigueur toute mathématique au contraire. Le développement organique dun thème dont les premières mesures renferment aussi la dernière." |
Les
8 cotes d'amour du nouveau groupe |
Anne
J'ai beaucoup aimé La nuit du décret comme on aime
un bon film, un thriller, un polar, mais qui a en même temps une
vraie dimension romanesque. Un homme est hanté par une rencontre
à venir. Il est policier et on l'a muté dans une autre région.
Tout le monde s'accorde pour dire qu'il n'a pas de chance car celui qui
sera son chef est réputé pour être cruel et craint.
Il se renseigne avidement sur cet homme. J'ai vu dans cette "annonciation"
la définition parfaite de ce que l'on appelle le transfert quand
on a pris la décision de commencer une psychanalyse et que l'on
s'est engagé sans le connaître encore, avec un psychanalyste.
Il s'organise alors en vous une attente pleine d'émotions et de
représentations que l'on prête à ce personnage. Toute
l'affectivité, qui va constituer votre travail psychique sur des
années, est là en concentré. Dans cette attente vous
lisez ses livres s'il en a écrit, vous interrogez des personnes
qui ont pu le connaître, ou même le consulter. Toute votre
problématique s'engouffre dans une voie imaginaire intense. Sur
de tels rails le livre part d'une manière très forte.
L'écriture est belle et le style ne fait pas défaut à
sa mission : dans le contexte historique du franquisme, il décrit
au lecteur la fascination étrange d'un homme pour un autre homme
dont on comprend qu'il est un froid destructeur, et la question de savoir
pourquoi notre protagoniste est si fasciné par lui reste entière
jusqu'à la fin. Certes, on comprend rapidement que l'inconscient
existe et qu'il est de la partie : un événement déterminant
de l'enfance rattrape le narrateur, qui parle au singulier. On ne connaîtra
d'ailleurs son nom que lorsqu'il rencontrera l'homme, nommé Don
Alvino, qui va le lui demander : inspecteur Santiago Laredo. La culpabilité
guide ce dernier tout au long du roman, mais il ne la cerne pas bien et
le lecteur la devine à peine, comme une ombre fatale cachée.
Le souvenir de l'enfance néanmoins la révèle et il
y a de très belles pages sur cet événement : il a,
vers la puberté, "abattu" un homme, un professeur, qui
se présentait comme un être lumineux d'amour et qui s'est
avéré être un pédéraste. Il lui envoie
alors des lettres anonymes pour le séparer d'un de ses camarades
avec qui cet homme entretient une relation sexuelle, mais en même
temps il parvient à découvrir avec lui la sexualité.
Son ambivalence est profonde et perverse, mais il est un enfant, et lors
de cette expérience il comprend qu'il veut devenir policier pour
dévoiler le mal sous ce qui se présente faussement comme
le bien. Il veut évidemment installer en lui-même un bien
là où il y a un mal. Il envoie de nouvelles lettres anonymes
qui vont amener l'homme à quitter les lieux et il grandit désormais
avec la culpabilité d'avoir trahi un homme aimé/haï
et de l'avoir symboliquement tué. Dans ce contexte psychologique
très intéressant (la relation avec son père s'avèrera
également très complexe et subtile), il fouille le passé
de Don Alvino dans des dossiers, ainsi qu'en écoutant ceux qui
l'on connus. Dossiers aux renseignements labyrinthiques annonçant
la période moderne de surveillance. Il rencontre ces "indics"
et tombe amoureux d'une collègue dont la tante a épousé
le mystérieux personnage. A partir de là, j'ai commencé
à trouver la structure du livre trop longue : je me suis essoufflée
dans un amas de renseignements alors qu'il ne rencontrait toujours pas
Don Alvino ! Et j'ai passé des pages (je l'avoue), accédant
au moment où il le rencontre enfin. Là, l'atmosphère
des lieux et de la situation m'a rappelé celle de certains films
d'Orson Welles, avec des personnages inquiétants évoluant
dans des jeux de double, notamment une scène où des personnages
se poursuivent et se tirent dessus dans un labyrinthe de miroirs. Don
Alvino se montre très obséquieux avec Laredo qui se demande
ce qu'il fomente à son égard
Il lui trouve une chambre
chez une logeuse, qui réside en face de chez lui, et comme dans
un livre de Kafka (dont j'ai oublié le titre), Don Alvino se trouve,
intrusif, tous les matins au réveil à son chevet. Tout évolue
alors dans le morbide. Il y a un meurtre, on rencontre un monstrueux tueur
de chats, une enquête par Don Alvino le présente avec une
froide et implacable intelligence, jusqu'au moment où Laredo entend
un coup de feu. Il découvre que c'est lui qui a tiré en
toute inconscience, et il comprend qu'il a été manipulé
par Don Alvino pour l'assassiner. Tout, dans ce roman, montre la présence
de l'inconscient ; il a été choisi pour être celui
par qui la mort adviendrait et il a suivi, à l'insu de sa conscience,
l'ordre qui lui était communiqué. Don Alvino, condamné
par une maladie mortelle, avait, lui aussi, étudié le dossier
de celui qui devrait se charger de sa mort. Il a vu en Laredo le meurtrier
idéal. L'événement "meurtrier" de son enfance
ne lui a pas échappé. Il saurait transformer un meurtre
symbolique en meurtre réel, une culpabilité inconsciente
en culpabilité réelle.
J'ai bien marché dans l'histoire, touffue mais passionnante, et
ouvre cet ouvrage aux trois quarts, laissant un quart fermé à
cause de sa construction trop longue et un peu lourde à mon goût
en son milieu.
Anne-Marie
Je ne savais rien ni de l'auteur, ni du livre. J'ai tout de suite été
happée par ce texte, par le style, la progression façon
polar, et en même temps la précision psychologique des personnages.
Il est vrai que ces descriptions étaient parfois longues, on n'en
finit pas de découvrir le personnage qui fascine tant le narrateur.
La présentation est aussi un peu artificielle, avec des interlocuteurs
successifs qui lui ouvrent chacun un petit aspect du personnage. L'intégration
de l'histoire personnelle du narrateur et de son "crime" est
artificielle, au début on ne comprend pas comment elle s'intègre
dans le déroulé des évènements. La fascination
qu'exerce le chef de la sûreté sur le narrateur est excessive,
l'autre a tout prévu, il anticipe ses moindres mouvements, il sait
tout de lui, c'est hypnotique, le narrateur se fait broyer complètement
jusqu'à accomplir l'acte final réclamé de lui, fin
de la tragédie.
C'est très bien mené, j'ai beaucoup aimé ce livre,
je l'ouvre en grand.
Monique M
C'est un livre étrange, sombre, dense. C'est le franquisme, avec
ses chasses à l'homme, sa perversité, les interrogations
de nuit, cette façon de tuer les gens moralement avant de les exécuter
physiquement. J'ai trouvé ça terrible, mais ça traduit
bien avec des mots justes toute cette horreur. C'est un peu ennuyeux quand
il enquête et se rend dans tous ces endroits différents,
mais le début et la fin sont extraordinaires. C'est une sorte de
polar philosophique, sur le rôle de l'enfant sur la destinée
d'un homme. La rencontre avec l'instituteur : pages sublimes. On voit
la perversité de l'enfant qui prend possession de l'homme, c'est
hallucinant, l'enfant utilise la faiblesse de l'homme, il est plus fort
que lui il dit d'ailleurs : "je
découvrais que la détention d'une information me rendait
le maître absolu d'un homme." La réaction
du père du narrateur qui lui dit "tu
as failli tuer un homme de bien" est forte. Il y a un
parallélisme entre la vie du narrateur Laredo et celle d'Avelino,
la même perversité, le même goût de l'ordre,
le même abus de la faiblesse des autres. Laredo n'est même
pas capable de comprendre les mots de son père quand il lui dit
il fait toujours trop chaud ou trop froid, en fait il rejette le franquisme.
Laredo ne comprend pas non plus sa femme, ni la mission que se donne Avelino
de traquer les gens. À la fin la relation entre les deux hommes
change, Avelino choisit Laredio pour que celui-ci le tue, mais on ne le
comprend qu'à la fin, seul un autre lui-même peut le tuer.
Pourquoi Laredo s'exécute-t-il ? Pour tuer le souvenir de sa lâcheté
passée. Ce livre est bouleversant, cette lutte entre le désir
de liberté et de l'ordre mais son côté malsain et
morbide m'empêche de l'ouvrir en très grand.
François
Étrange roman d'un auteur jadis très connu et dont on ne
parle presque plus. Étrange parce qu'il se place bien sous le signe
de "l'inquiétante étrangeté" chère
à Freud. Et de fait, ce qui fait sa force est bien l'atmosphère
dans laquelle il nous plonge. Au centre, un personnage qui ne se découvrira
qu'à la fin et que l'on ne va connaître que par témoins
interposés. C'est le futur chef de police du narrateur qui va être
muté dans un nouveau poste. (Nous sommes en Espagne au moment de
la guerre civile, du franquisme et de ce qui va suivre.) C'est peu dire
qu'il va hanter tout le roman et que Del Castillo nous fait partager son
attente avec un art consommé du suspense... Tant l'image du personnage,
un peu comme une photo tremblée, va rester de bout en bout, trouble
et équivoque. Ce que le roman raconte très bien, c'est la
fascination qu'exerce progressivement son futur chef sur l'inspecteur
qui, avant même de le connaître, va littéralement tomber
dans sa toile, quelles que soient la lucidité et la distance qu'il
tente d'introduire par rapport à cette figure surplombante.
L'un ou l'une d'entre nous a très justement indiqué que
l'on pouvait trouver dans cette relation l'image la plus juste du transfert
dans l'analyse. La manière dont cette sorte de grand inquisiteur
agit avec les prévenus est minutieusement décrite. Elle
fait avant tout ressortir l'ambiguïté et la complexité
du personnage qui tient du monstre froid et très cultive qui place
la logique au-dessus de tout et est en même temps capable de jouer
de tous les ressorts humains avec son entourage et ceux qu'ils interrogent.
Le roman montre en même temps l'envers de tout ce décor.
Envers psychologique quand il raconte ou fait raconter la vie du personnage
qui ne manque pas de complexité. De nombreux rapprochements sont
possibles avec la vie du narrateur et de l'auteur quand il évoque
son enfance et notamment le rôle qu'a pu jouer dans sa névrose
la figure de la mère cultivée, fantasque et hyperséductrice.
Nous avons aussi à faire à un roman familial qui se développe
à plusieurs niveaux qui parfois s'entrecroisent. Cette épaisseur
romanesque, dont il n'est pas possible de rendre compte en détail,
fait que Del Castillo échappe à un certain côté
grand guignol qui le guette parfois. De cette complexité, je retiendrai
par exemple l'accent extraordinairement humain de la lettre par laquelle
l'épouse de l'inspecteur lui apprend qu'elle le quitte au moment
où il va justement prendre son poste. Le petit jeu du chat et la
souris auquel joue Pared et l'inspecteur avant le coup de théâtre
final est aussi très significatif. Enfin l'envers historique est
aussi important tant le destin des personnages (pour le dire vite) est
indissociable des vicissitudes de la guerre civile et du franquisme. Pour
toutes ces raisons et d'autres qui seraient trop longues (et peut-être
ennuyeuses) à développer, j'ouvre en grand ce roman qui
dans ses meilleurs moments m'a fait penser au Conformiste de Bertolucci.
Peut-être parce que je vois très bien Trintignant dans le
rôle de Pared.
Nathalie B
Je suis une inconditionnelle de Del Castillo dont j'ai lu un grand nombre
de ses romans. Dans plusieurs de ses écrits, il a creusé
le sillon autour du personnage de sa mère qui avait un côté
très monstrueux. J'aime beaucoup son écriture, sans avoir
encore compris d'ailleurs pourquoi elle me séduit tant. C'est le
seul auteur que j'aurais bien aimé rencontrer pour discuter avec
lui.
Dans ce roman, c'est l'étude du mal au nom d'une idéologie.
Qu'il s'agisse de l'ordre, du nationalisme, du catholicisme ou toute autre
idéologie. Cela parle de la guerre civile d'Espagne qui a déchaîné
les forces du mal. C'est l'histoire du remord de ceux qui survivent à
leur crime. C'est l'histoire d'hommes abîmés dans leur enfance,
dont l'un a du remord pour le mal commis et l'autre qui se donne des raisons
de le commettre. Il y a même des réflexions théologiques
autour de la comparaison entre le Dieu de l'Ancien Testament qui ordonne
et réclame qu'on lui obéisse (l'ordre toujours) sous peine
de destruction, et Jésus-Christ qui bouscule l'ordre établi
et qui ne condamne jamais et se trouve toujours du côté des
pêcheurs. Ce roman est écrit au début des années
1980. La pédophilie est un des aspects du roman. Celui qui aime
les enfants est ici décrit comme l'innocent dont l'innocence sera
détruite par un jeune garçon. Cela parle du mal, de la faute,
du pardon. Pour moi c'est un grand roman qui pose des questions existentielles
sans y répondre.
Lahcen
C'est un roman d'une morbidité lumineuse. J'ai aimé l'ambiance.
Laredo est très ambivalent, il est pervers. Le rôle des femmes
dans le livre est intéressant, Marina qui se sacrifie pour sa sur,
la mère d'Avelino très intelligente et excentrique. Avelino,
pédéraste, manipulateur est un personnage de tragédie.
On devine la fin. La structure du livre est un peu ennuyeuse, les descriptions
trop longues, alors que la confrontation entre les deux héros est
trop courte, le meurtre trop soudain. La lettre de Pilar est très
belle.
Katherine
En vous écoutant souvent dans les débats, j'adapte mon avis
en fonction de vos retours que j'adopte ou non, car ils m'éclairent.
Là non, je n'ai pas du tout aimé ce livre. Je trouve que
tout sonne faux, on est dans un milieu policier, mais les dialogues, je
n'y croit pas.
Quant au style, on n'a pas le temps de se plonger dans une ambiance, ça
va trop vite. Il fait tellement de choses très vite, c'est trop
pour ce qu'il décrit. Il rend lyrique ce qui n'a pas lieu de l'être.
J'ai trouvé la période de son enfance avec l'instituteur
la plus sincère, c'est moins pesant, il y a moins de descriptions.
Il essaie tellement de nous enfoncer ces descriptions dans la gorge que
c'est pesant. Rien ne m'a fait vibrer, je n'y croyais pas, je ne suis
pas entrée dans le livre, il n'y a pas de finesse, ce n'est pas
fluide, par moments il en fait trop, c'est tracé à gros
traits. Je ferme le livre.
Jean-Paul
Je ne me suis jamais ennuyé dans ce livre. Les personnages que
rencontre le narrateur amènent une montée en puissance,
c'est bien écrit, c'est simple mais lumineux. Il décrit
très bien l'atmosphère de la fin du franquisme. Ça
peut être transposé à notre époque : la dictature,
les fiches sur tout le monde, les documents enlevés dans la fiche.
Il montre que personne n'est tout blanc ou tout noir dans une guerre,
car on voit aussi les attentats anarchistes, les confrontations. Il décrit
aussi très bien la peur des gens à la fin du franquisme,
la nostalgie de l'autorité. Cet état policier, c'est très
actuel et très intéressant. Laredo promène sa culpabilité
toute sa vie. Le pervers Pared arrive à le transformer en assassin.
L'intervention du père est magnifique, l'enfance très bien
décrite. Le narrateur est plus manipulé qu'il ne manipule.
Les
9 cotes d'amour du groupe breton |
Marie-Odile
J'ai lu ce roman comme un
thriller. Le suspens lié aux avertissements successifs concernant
Avelino Pared a éveillé et constamment entretenu ma
curiosité. Ce roman ressemble à un policier (des
indices, des documents, des témoignages multiples éclairant
un personnage trouble). Santiago Laredo, le narrateur, joue le rôle
de l'enquêteur au premier abord innocent en quête d'une vérité
qui ne le laissera pas indemne, tant le personnage d'AP est redoutable,
il en est la victime, et peut-être le semblable.
Comme je m'y attendais, ce roman n'échappe pas aux fantômes
de la guerre civile et du franquisme qui
occupent une place de plus en plus grande au cours du récit. "Aucun
homme n'échappe à son passé". Cette
banalité se vérifie dans les destins individuels. AP et
SL découvrent tous deux "la
faille dans l'apparente harmonie du monde". SL ne découvre
qui était vraiment son père qu'à la fin. AP ne sait
pas vraiment qui est le sien (dipe). Le fait d'avoir "trahi
" Angel est pour SL une sorte de péché originel, et
aussi un moment fondateur de son métier de policier et de son destin.
À partir du moment où SL met le doigt dans l'engrenage,
il ne peut plus revenir en arrière, malgré ses tentations
fréquentes d'échapper à l'emprise de AP.
J'ai parfois ressenti le malaise du narrateur
face à AP tant il est morbide. Son délire m'a paru à
la fois intéressant, pesant et répétitif : allusions
à l'il de Caïn, notion d'ORDRE suprême. Il "collectionne
les décrets qui annihilent la liberté des hommes".
(Je me suis demandé ce qu'un tel personnage aurait pu faire avec
les outils technologiques d'aujourd'hui.) Son attitude à la fois
violente et sucrée (envers sa femme, envers Santi) m'a inspiré
du dégoût.
Le lien souligné entre policier et romancier
(et le psychologue) m'a paru intéressant. Les personnages
n'ont de secret ni pour l'un ni pour l'autre. Ils ont leur destin entre
leurs mains : le romancier est leur créateur et le policier devient
le maître absolu de l'homme dès lors qu'il détient
sur lui une information. L'enquête policière et la création
littéraire ne sont pas si éloignées...
Finalement, le narrateur vit peut-être une
épreuve qui lui permet de changer de vie, d'estomper la
trahison de l'enfance, de s'éloigner de Pilar, de retrouver une
paix relative après avoir tué "la lâcheté
et l'abjection" qui étaient en lui ?
J'ouvre aux ¾.
Chantal
Une lecture très agréable pour moi, voici pourquoi :
- L'écriture est simple mais belle, reposante après Sebald.
Et le suspense tout au long du livre m'intrigue, j'attends, je redoute
la fin...
- Le thème récurrent du père chez Santi, comme chez
Avelino, me pousse à aller fouiller dans l'enfance
de Del Castillo. A-t-il des comptes à régler ? Et là
j'ai été servie ! Trahison, pendant toute la Seconde
Guerre mondiale par ses deux parents : terrible.
- La construction du livre est vraiment très pensée, pour
nous entourer tout au long d'une atmosphère troublante, pesante,
menaçante...
Santi le gentil, le "normal" ? Aveline le monstre pervers, manipulateur,
sans état d'âme ? Pas si simpliste. L'auteur nous balade
du présent au passé, à travers les témoignages,
les recherches acharnées de Santi et, dans ce chemin tortueux,
on découvre un Santi tout aussi manipulateur, jouissant tout comme
Avelino de son pouvoir absolu sur un homme (Angel son instituteur, un
passage très beau, très fort et... horrible). Un Santi comme
un double d'Avelino, aussi machiavélique. Seule différence,
Santi regrette, culpabilise. Avelino rejette toute culpabilité,
tout sentiment, il tue avec l'assentiment de celui qu'il vise, dans la
douceur !
- Les portraits de tous les personnages sont forts, ciselés. Les
yeux vides et glacés d'Avelino me poursuivent. Je vois Angel "superbe
archange à la tignasse d'or".
- Les symboles m'ont marquée : la police comme religion, un dogme,
une orthodoxie. Avec des références bibliques parfois obscures
pour moi, là encore l'il qui regarde Caïn.
- Un passage, de ce livre écrit en 1981, résonne en moi.
Page 360 : "faire en
sorte que les hommes VEUILLENT leur soumission, voilà l'idéal
du vrai policier. Nous approchons d'une ère où les hommes
ne supporteront plus le fardeau de leur liberté, où ils
ne sauront même plus désirer. L'heure de la Police aura alors
sonné. Plus personne ne songera à fuir son il tranquille.
La paix, enfin, s'installera". 2024 ? Sommes-nous encore
plus proche de cette ère ?
Un bémol parce que la fin du roman m'a... interloquée. Je
ne comprenais pas ce crime. Pourquoi ? Mais la discussion, vive, âpre,
animée, dans le groupe, m'a éclairée. Santi n'a pas
pu refuser de tuer Avelino, il continue d'être entortillé
dans la toile d'araignée tissée patiemment par Pared, sous
emprise.
Santi croit être libéré par ce crime, libéré
de Pared, libéré de sa part d'ombre à lui, de son
remord, mais la page 367 nous dit que non. La peur d'être poursuivi,
par son double, sa conscience, sa culpabilité ne cesseront jamais.
Suprême victoire d'Avelino...
On s'est dit que Michel Del Castillo est toujours en vie... et que ce
serait dommage de ne pas connaître son sentiment de vieil homme
ayant traversé tous ces orages du 20e siècle. Serait-ce
possible ?...
Edith
J'ouvre aux ¾, en raison d'une lecture agréable qui m'a
entrainée à vouloir rapidement connaître la fin :
lecture rapide bien que le style soit recherché et la traduction
agréable à lire. Vertige du suspense et plaisir du texte.
..
J'ai aimé la façon dont del Castillo plante ses personnages,
dont il décrit les villes d'Espagne, la morne tranquillité
des petites villes, la chaleur ou le froid suivant les régions.
L'auteur nous fait participer à la vie de ses héros : Pilar
la femme de Santiago qui écrira la lettre de rupture assez glaçante
reçue par Santiago en poste à Huesca, Pilar à la
hauteur de son mari par son cynisme assumé ! Des lignes presque
"réjouissantes", avec une désinvolture assumée
pour vivre enfin ?
La morne répétition, jour après jour, des activités
du poste de police, à Murcie et à Huesca, indique peut-être
l'endormissement du pays l'après la fin de la dictature de Franco,
avec les sourdes compromissions dont chacun peut se sentir auteur, avec
une culpabilité enfouie ?
Je me suis doutée que le caractère de Santiago Laredo et
que les actes détestables (récit de la toute jeunesse de
Santiago dans les premiers chapitres) auraient à voir et se joueraient
avec le caractère et la personnalité de Avelino Pared dont
il est grandement question dès le début du récit.
Celui-ci apparaît par les récits de ceux qui l'on connut
autrefois ; ce n'est pas le cas de Laredo trop jeune à qui l'on
vient raconter - du fait de sa nomination - les antécédents
de son futur chef Pared le second héros du roman.
Excité et intrigué tout à la fois par l'annonce de
sa mutation à Huesca, Santiago se laisse imprégner du mystère
de Pared et cherche à en percer l'histoire. Il obtient de lire
des dossiers tenus "secrets" et je suis, moi lectrice, dans
la soif de connaître, ça marche bien, façon roman
policier ! Tous les personnages sont contemporains de la Guerre civile
espagnole. Pared est un policier gradé et craint ce jeune policier
dans le début de la Guerre civile. Les pages expliquant qui est
Pared m'invitent à vouloir aller encore plus vite vers le dénouement.
Si j'évoque ici le récit de la trahison de Laredo à
l'endroit de l'instituteur Angel c'est pour en relever le double aspect
pour moi très dérangeant : celui de la lettre anonyme écrite
par Santiago, menaçant de dénoncer Angel, et celle de la
révélation de l'homosexualité de Angel - instituteur
engagé dans sa fonction de pédagogue, admiré et aimé
de ses élèves et dont l'un deux sera "victime de son
désir". Je remarque que c'est la jalousie seule de Santiago
qui le fera agir en écrivant ce courrier et non pas la condamnation
de la pédophilie qui est moteur de l'acte accusateur ; l'homosexualité
est un délit en Espagne ! Nous sommes bien en deçà
des condamnations actuelles ! Nous parlons de crime actuellement pour
la pédophilie j'entends bien !
Je comprends bien, par le récit de Santiago et l'aventure de sa
jeunesse avec son instituteur et son "rival" - très tôt
dans le texte - que le nud de la "nuit du décret"
va se dérouler et se révéler de ces faits. Mais comment
cela va-t-il s'articuler ?
La qualité littéraire de Castillo, l'habile progression
du récit, vont me conduire au dénouement
la scène
de l'assassinat de Pared par Santiago : récit rapide un peu surprenant
dans la conclusion des faits, sans préparation du lecteur si ce
n'est l'indice du pistolet sur le bureau de Pared et le sentiment de danger
ressenti par Santiago : angoisse dont il ne peut se défaire et
il ne peut non plus reculer ; la mise en acte décidée par
Pared est imparable dans ce face-à-face avec un manipulateur sournois
maléfique et la scène d'un désespéré
qui attend la sanction, Pared, dont le suicide décidé ne
peut venir que de la main d'une autre, être aussi malsain et dont
la punition pour ce dernier sera de porter cet "assassinat commandé".
Suprême vengeance ou suprême désespoir ? Mourir
de son cancer, pense Pared, est sans panache, mais partir de ce monde
"ignoble à ses yeux" par l'arme pointée d'un semblable
lui procure, je pense, une dernière jouissance.
Je charge le personnage de Pared, mais je crois que de telles gens, dans
des situations extrêmes, ont de fait agit ainsi. La guerre produit
des héros et aussi des lâches. Il y a du tragique, Santiago
va vers son destin, il doit le savoir, il ne peut y échapper. Je
ne m'attendais pas à ce dénouement, mais j'étais
préparée à une violence de fait.
Tout au long du roman, on a des dialogues peu nombreux mais efficaces
et même si les silences de Pared valent dialogue. Je revois son
regard à la fixité inquiétante, et ses deux mains
sous son menton, son masque de vieillard dont le cancer gagne le visage
et le corps. Glaçant.
Les corps sont présents et fidèlement décrits pour
chaque personnage, presque cinématographiques dans leur apparence,
dérangeants souvent, car criants de vérité humaine
dans leur banalité. Quant à Pilar dont j'ai évoqué
la vie et son désir de partir pour trouver mieux, on la sent obéissante
et fourbe : mais que lui reste-t-il de possible vu l'époque et
les murs ? Amelia, pauvre créature, objet manipulé
par le biais de sa gloutonnerie par son mari Pared : scène
difficile dans sa vérité que celle du désarroi d'Amelia
tentée par la pâtisserie "corps
difforme", "écrasé par le poids d'une graisse
morbide", à
la "poitrine monstrueuse", au "ventre qui s'affaisse".
Et encore le portrait de Marina femme célibataire et dévouée,
secrétaire et objet du fantasme sexuel de Santiago. Et puis la
scène du nain du nabot et sa relation au chat (gatito) et
l'usage manipulatoire qu'en fait Pared : il sait le nain meurtrier de
Bastet (car une enquête pour meurtre à l'endroit de Bastet
est en cours), mais la négation du meurtre par ce dernier est accusateur
: il suffit à l'auteur de nous décrire la scène du
cimetière p. 349, scène de nuit dans le cimetière,
lieu de l'exécution au temps de la Guerre civile : "dix-neuf
fois le nain regarda le spectacle dix-neuf fois il mourut par procuration"
; "Le nain trop méprisable
dans son affreuse disgrâce" fut épargné
le 19 juillet (récit cynique de Pared) : cela met en lumière
le mépris d'un humain. Dieu est utilisé dans les actes dit
de justice : "Là
où le pardon intervient, la Lio se dissout.(...) l'Église
l'a bien compris, qui pardonne d'abord et livre ensuite le coupable au
bras séculier, s'inclinant ainsi devant la nécessité
de la Loi" (p. 351)
Ce roman est situé dans l'histoire contemporaine de l'Espagne et
la Guerre civile, la dictature Franco et les désordres de l'Église,
complice dans ses institutions. Dieu y est évoqué à
tout moment ainsi que le mal, Dieu manipulé dans la logique folle
de Pared et du moment historique de l'Espagne et de la guerre.
La vie de Michel del Castillo (du fait des infos reçues) lui ont
semble-t-il inspiré, à plus d'un titre, les éléments
romanesques. Il est mon contemporain encore vivant. Il pourrait ainsi
nous révéler ce qui est vrai de ce qui est romanesque, que
n'a-t-il pas souffert ?
La quatrième de couverture dit : "l'uvre
de Castillo nous parle de la destinée, de la culpabilité
et de la guerre". C'est le premier livre que je lis de
cet auteur, vais-je me laisser tenter ?
Je laisse un quart pour avoir ressenti à de rares occasions le
manque de clarté de la chronologie (du moins au début),
mais c'est vraiment pour ne pas dire grand ouvert...
Annie(avis
transmis)
J'avais comme beaucoup de gens entendu parler de Michel del Castillo mais
je n'avais jamais rien lu de lui.
Je m'attends à un roman policier, mais je découvre qu'il
s'agit davantage d'un roman sur des policiers, d'un thriller, car il y
a bel et bien une tension psychologique qui s'installe Les premières
pages me feraient presque tousser tant je m'imagine dans des bureaux mal
éclairés et poussiéreux. L'ambiance est plutôt
glauque et sombre. Le ton est donné !
Les phrases sont longues et bien écrites, mais je me dis que ça
va manquer de rythme, mon cerveau comparant probablement avec les policiers
actuels. Et puis petit à petit, on y est, on s'accroche, on veut
savoir.
Savoir comment chacun va se sortir de sa situation, connaître cet
Avelino Pared dont tout le monde parle et semble avoir peur. On devine
que sous Franco il a fait des horreurs, qu'il a été mis
à l'écart mais qu'il règne toujours. Pourquoi Larido
a-t-il été envoyé là-bas ? Que cache-t-il
? Rien n'est tout blanc ou tout noir chez eux ni chez chacun. C'est peut-être
le message central qu'a voulu nous faire passer l'auteur...
Les allers-retours avec le passé ne sont pas toujours très
clairs, mais indispensables à la compréhension. Tous les
personnages sont bien décrits, avec cependant des notes un peu
vieillottes qui n'ont plus cours de nos jours (et heureusement).
J'ai particulièrement aimé la 2e partie du livre. J'ai retenu
comme un avertissement qui fait froid dans le dos ou un rappel des heures
sombres de notre histoire collective : "faire
en sorte que les hommes veuillent leur soumission, voilà l'idéal
du vrai policier. Heureusement, nous approchons d'une ère où
les hommes ne supporteront plus le fardeau de leur liberté, où
ils ne pourront même plus désirer. L'heure de la police aura
alors sonné [...] La paix enfin s'installera".
J'y ai vu là aussi que tout comme ses personnages de romans, l'auteur
d'un livre n'est jamais tout blanc ou tout noir et que le lecteur peut
se poser la question de ce qu'il veut dénoncer ou adouber. Un vrai
jeu de passe-passe. J'ouvre aux ¾.
Marie-Thé
J'ouvre aux ¾ ce livre qui m'a entraînée dans un périple
surprenant. J'y ai vu une représentation du mal, incarné
par Avelino Pared, mais aussi par Santi quand il était un enfant.
Le mal que font les enfants (p. 94-95). Si j'aime beaucoup le passage
avec Angel, refusant l'ignorance, personnage lumineux avec cependant une
part d'ombre, j'en retiens aussi ceci : "Je
découvrais que la détention d'une information vous faisait
le maître absolu d'un homme. (...) Ma vocation était née
: j'entrerais dans la police." Acte fondateur pour Santi,
qui lui, à la différence de Pared connaît les remords.
"Notre complicité
portait un nom : Angel Linares. De ce premier crime, tout le reste découlait"...
Par ailleurs, je me suis assez souvent demandé à la lecture
de ce livre trouble et troublant, où se situait Santi par rapport
à Pared : fasciné par un être redoutable ? "A
votre rigueur, Don Avelino", ces mots prononcés
lors de leur dernier repas m'interpellent. Ces deux personnages se ressemblent,
mais Santi ne suit pas son chef dans son délire, retenant essentiellement
ceci : "Par lui j'avais
en effet découvert qu'aucun homme n'échappe au passé."
J'ajouterai que je ne m'attendais vraiment pas au coup de théâtre
final, retentissant au propre et au figuré. "Jusqu'au
bout Don Avelino s'était joué de moi, menant la partie à
sa guise. Par-delà la mort, il continuait de se moquer de moi."
Et puis, ainsi qu'il est dit, la vérité n'est pas si simple,
comprenne qui pourra... Je vois enfin, arrivée au dernier chapitre,
Santi se moquant de lui-même, tombé dans une vie très
banale.
Je complète mon chemin dans ce roman policier très espagnol,
accaparant, déroutant, et souvent effarant, en précisant
que j'ai été sensible à la beauté de l'écriture,
par exemple dans les passages décrivant l'attachement viscéral
à la terre, l'émotion éprouvée par Santi découvrant
un père loyal et digne dans l'amitié, l'évocation
de la maison de Sanguesa et de son passé : "A
l'origine de cette vie énigmatique (...) coulait donc cette source
empoisonnée."
La description des personnages, des lieux, des paysages, m'a fait penser
à des tableaux, j'ai d'ailleurs aimé les allusions à
Zurbaran, au Caravage, à la peinture florentine (Salamanque). D'autre
part, je n'ai pas aimé que Cervantes, Machado ou Lorca soient sur
le bureau de Pared.
Pour revenir au mal, à son origine, j'ai pensé à
Michael Haneke : Le
ruban blanc.
Je retiens encore les références à Caïin et
Abel, et l'adhésion de Don Avelino à ceci : "Dieu
lui-même renonce à empêcher le crime, s'inclinant devant
la toute-puissance du Mal." Victor Hugo dans "La
conscience" nous montre Caïn ne cessant de fuir jusqu'à
: "L'il était
dans la tombe et regardait Caïn"
Point de "conscience" chez Pared et l'il est le sien,
l'il auquel rien n'échappe. Sous l'il de la police,
"la paix enfin s'installera".
La nuit du décret a son inquisiteur, son exterminateur, en la personne
de ce Don Avelino, et je découvre, effarée, un passage terrifiant
de l'histoire espagnole, que je connaissais, mais pas si bien que ça...
Guerre fratricide dans la grande et dans la petite histoire... Avec son
lot de soupçons, de trahisons, de lâcheté, de cruauté,
de tromperies par le langage : il est question de conflit et non de guerre,
un disparu est "tué par l'époque", etc.
J'ai trouvé très dérangeant le regard mortifère
que porte Pared sur Concha, sur Amelia son épouse, êtres
difformes dont "la tête
ne renferme pas la plus petite idée (...) C'est
sur une humanité composée d'Amelias que la police pourra
enfin établir son règne." Don Avelino de
toutes façons me répugne avec ses "effusions suspectes"
près de Santi.
À noter encore propos misogynes, critique de l'homosexualité
au passage : "le seul
héros de la corporation"...
Voici un livre qui m'a accaparée de la première à
la dernière page, c'est rare.
Une atmosphère oppressante très bien rendue m'empêche
cependant de l'ouvrir en entier.
Cindy
Mon avis revu aux ¾ et non plus à ½ après
la séance...
J'ai bien aimé le choix de ce roman de Michel del Castillo avec
le souvenir d'en avoir entendu parler à l'époque, avec éloges
et merci à Voix au chapitre de m'avoir donné l'occasion
de le découvrir aujourd'hui.
Le titre m'évoquait une histoire sous la forme d'une enquête
et en effet, dès les premières pages, on plonge dans un
polar, dans le cadre d'une brigade criminelle.
Dès le début, il est évident que les relations entre
les personnages seront rudes et, en même temps, il y a de la sensibilité
chez le narrateur Larido, et l'on va s'attacher à lui dans son
cheminement de savoir "quel
homme suis-je donc" (p. 133)
Le ton est donné grâce aux dialogues sulfureux, aux personnages
pittoresques avec leurs caractères et leurs physiques. Tout cela
offre une mise en scène, un cadre théâtral, pour élucider
une énigme autour d'un personnage clé du roman : "j'eus
beau chercher pourtant le dossier ne contenait rien concernant Pared.
Du coup le trait tiré par le scribe suggérait chez ce personnage
anonyme l'existence d'un secret, d'une énigme à élucider"
(p. 23).
C'est une belle écriture limpide, littéraire et descriptive.
C'est un polar littéraire avec des phrases d'une élégance
simplicité et crue parfois.
On rentre dans l'Histoire de plusieurs histoires en lien avec les différents
régimes espagnols et des guerres "dans
une Espagne de silence, des couvents, de la pauvreté cachée
sous les oripeaux de la dignité"
(p. 155).
Une fois l'atmosphère bien restituée de villages de Catalogne,
avec ce cadre policier et le choix des noms, tout annonce "que
la vie n'est pas une plaisanterie" (p.
72) et cela sous-tend que les deux protagonistes inspecteurs s'affronteront
à travers leur terribles et douloureux vécus sombres et
secrets. On comprend assez vite ou nous mènera l'enquête
du narrateur.
La réussite du texte de del Castillo est de nous procurer une fascination
et une recherche de vérité, grâce aux nombreux dialogues
qui apportent un rythme dynamique.
Il y a du cynisme, de la moquerie, de la lâcheté : "comment
un homme courageux pourrait-il comprendre un lâche ?"
(p. 218) ; "mon ami a toujours été un policier
triste" (p. 75) ; "le
soupçon désormais aiguisait mon regard. Je savais que les
apparences peuvent mentir et que sous l'ordre le plus accompli des ombres
glissent menaçantes" (p. 85).
Le récit est aussi philosophique à travers les observations
réflexions des personnages : "les
évènements ne font pas les caractères ils les dévoilent"
(p. 245).
C'est l'histoire d'un homme blessé rejeté construit
par des actes dont il ne pourra jamais s'échapper. Son destin sera
lié par ça. Et le hasard qui n'en est pas le conduira vers
un être abominable une sorte de bourreau qui le délivrera
: "je n'avais fait que
cheminer vers lui (...) enfin je me sentais délivré, dépouillé
de tout, plus libre que je ne l'avais été"
(p. 355)
Chaque personnage rencontré, interrogé, le mettra sur des
pistes. Des retours en arrières expliqueront son mal être
(comme à la p. 85 la rupture avec le père et p. 89 avec
des plaidoyers enflammés) ; "l'harmonie
que mon père avait détruite en me révélant
sa trahison et sa désertion. Je la rétablirais en la fondant
sur le soupçon universel. (
) le savais désormais :
tout homme est coupable chacun cache un secret de honte"
(p. 107) ; "pour
qui sait lire un fichier contient les décrets fixant les destinées.
Nul hasard. Une rigueur toutes mathématiques (
) Je partageais
sa culpabilité ou sa folie (
) excluant avec une inexorable
lucidité le remords et le repentir, ces fuites piteuses"
(p. 355)
La fin est "théâtrale" brutale, bouleversante
mais elle représente une libération. Elle est aussi romanesque
et j'ai été touchée.
Michel del Castillo me laisse un superbe souvenir de lecture car cet homme
est vraiment un grand maitre des mots rares, descriptifs, de dialogues
succulents et pittoresques. Merci pour ce plaisir de lecture enrichissant.
Toute l'uvre romanesque de Michel del Castillo brasse destinées
individuelles et collectives, drames intimes et historiques en éclairant
le présent à la lumière du passé. Chez cet
écrivain né de père français et de mère
espagnole en 1933 à Madrid, les fantômes et les déchirures
de la guerre civile ont irrigué bien des romans.
Soaz
La nuit du Décret, ultime nuit de Dieu. Au nom de Dieu, tous les
agissements sont-ils possibles ?
Cette enquête se déroulant en Espagne avant, pendant, après
Franco - gouvernement qui annihile le raisonnement, les revendications,
la liberté d'une population manipulée par l'oppression -,
Don Avelino policier est la main de ce pouvoir.
Son futur collègue, fasciné par cet homme, décortique
cette vie de manière obsessionnelle, il rentre dans une spirale
infernale, au détriment de la sienne.
Histoire d'un homme haïssable, séducteur, avec des capacités
de manipulation psychologique hors norme, pouvant être soit compréhensif,
empathique, calculateur, violent, machiavélique, le but étant
d'obtenir des résultats.
Cette histoire, menée comme une enquête policière,
m'a tenue en haleine jusqu'au dernier mot.
Quel dénouement, la manipulation poussée à son extrême,
quel jeu, tout étant calculé depuis le début... l'utilisation
de Laredo pour arriver à sa fin.
"Caché dans l'ombre
je tirerais les ficelles de ces pantins" (p. 97)
LIVRE GRAND OUVERT.
Brigitte(avis
transmis)
J'ouvre le livre en grand. Il me donne envie de découvrir d'autres
romans de Michel Del Castillo.
Je ne l'ai pas lu comme un roman policier, mais comme une fiction entremêlée
avec un témoignage, une réflexion sur les rapports humains
en temps de guerre, sur la force du destin et des rencontres. J'ai aimé
le récit à la fois lent et rythmé. Si on s'intéresse
à la vie de Michel del Castillo, je me dis qu'il s'est inspiré
de ce qu'il a vécu douloureusement avec ses parents sous Franco.
Je pense que ce roman pourrait être lié à n'importe
quelle dictature. Pour moi il est source de réflexion et pleinement
d'actualité sur le plan mondial avec la montée des extrêmes.
J'ai aimé le mystère entretenu dès les premières
pages sur un personnage anonyme, l'énigmatique Pared. Le narrateur,
Santiago Larido, en arrive par ses rencontres et par les témoignages
qu'il recueille à vouer à Pared une fascination qui monte
crescendo et me donne envie de poursuivre ma lecture, je perçois
un danger, une toile d'araignée indestructible se tisse. Je perçois
un drame. À noter que l'auteur a gâté SL par ces rencontres
où ses interlocuteurs se livrent facilement et sans pudeur
Mais quel est le lien qui unit ces deux hommes se pose rapidement lors
de la lecture.
Le narrateur se plonge dans la vie de Pared pour découvrir ce qui
se cache sous un passé scolaire et universitaire élogieux ;
ce qui se cache derrière un être brillant, sage, pieux, poète.
Quelles sont ces infimes craquelures qui tissent une trame décrite
comme redoutable par des collègues ? Quels sont ses secrets qui
attisent la curiosité du lecteur ? Pourquoi s'acharne-t-il à
cultiver le mystère ? Ses collègues parlent de "maladie
du secret". Pilar, sa femme lui dit avec un ton de répulsion
"il est fou, ce type". Son collègue le prévient
à son arrivée au commissariat de Huesca : "il
fait partie des hommes à ne pas regarder de trop près."
Larido a lui aussi ses failles que l'auteur prend le temps de nous décrire.
Ces failles le rendent étrange, avec des traits de perversité.
Cela commence enfant avec Angel, son bel instituteur, qui entraîne
les enfants pour des combats libérateurs. Enfant, le narrateur
découvre la "puissance enivrante" de mener une enquête
sur la pédophilie de ce dernier. Initiation à son futur
métier
, dit-il, et initiation à développer
une attitude perverse : il découvre un plaisir insatiable
à disposer du sort de ses semblables. Le lien entre cette histoire
et Pared reste en suspens jusqu'à la fin du livre.
Quel lien avec le titre ? La nuit du décret : "la
Nuit de l'ultime Révélation, qui précède le
Jour de l'Éternité". Pared est un homme
qui ne doute de rien. Dans ses interrogatoires sous la dictature de Franco,
il agit non comme un policier mais comme s'il officiait dans un rite religieux.
"Il célébrait
la cérémonie de l'Inquisition, ressuscitée à
la faveur de la guerre". Qu'est-ce que la vie pour lui
?
J'ai relevé des phrases
, je ne dis pas que j'adhère
mais je trouve que tout un chacun peut y réfléchir :
-"si la vie était
une plaisanterie il ne resterait d'autre issue que le suicide."
-"Il faut lire avec l'esprit non avec les yeux"
- "tout homme est coupable ; chacun cache un secret de honte".
- "Dans notre monde..., notre conscience s'endort dans le confort".
"Les patrons n'enseignent pas la loi, ils se contentent de la faire".
DES
INFOS AUTOUR DU LIVRE Repères biographiques Livres de Michel del Castillo Interviews |
REPÈRES BIOGRAPHIQUES |
De sa naissance
à la publication de son premier livre à 24 ans
- 1933 : naissance à Madrid en 1933 ; le père français,
ingénieur ; la mère espagnoleoriginaire
de Murcie, journaliste républicaine a déjà
deux fils d'un autre mariage ; la grand-mère avec qui l'enfant
vivra aussi est franquiste.
- 1935 : le père quitte femme et enfant deux ans après sa
naissance, rejoint la France et ne s'occupe
plus de son jeune fils.
- 1936 : Michel a trois ans, la guerre
civile se déclare, c'est la faim, le froid, le bruit des combats
à Madrid.
- de 1936 à 1937
: sa mère, très
engagée politiquement, proche du parti républicain de Manuel
Azaña, est emprisonnée par ces mêmes républicains
pour sêtre inquiétée du sort des prisonniers
politiques. Durant son emprisonnement, Michel lui rend visite accompagné
de sa grand-mère ; elle sera plus tard condamnée à
mort par les franquistes.
- 1939 : la
mère fuit avec
son fils l'avancée franquiste jusqu'en
Auvergne, via Marseille
et il se réfugient en France ; le père les aide un peu financièrement
sans pour autant renouer avec son épouse.
- 1940
: durant la Seconde Guerre mondiale, alors
qu'elle réclame de l'argent à son mari, celui-ci la dénonce
aux autorités pour quelle ne porte pas préjudice à
sa carrière à Michelin à Clermont-Ferrand : elle
est internée au camp
de Rieucros à Mende, tandis que
son fils Michel
est en sécurité chez des paysans du Puy-de-Dôme. Pourtant
sa mère l'arrache à ce havre et le fait venir à ses
côtés, sachant qu'en agissant ainsi elle met la vie de l'enfant
en péril.
Ce camp de réfugiés politiques est une des épreuves
que l'écrivain décrira notamment dans son roman Tanguy.
Cependant, il gardera une certaine attache pour la ville de Mende,
où une école porte son nom. ("J'écrivais
déjà dans mon enfance, au camp de Rieucros, près
de Mende : mes historiettes eurent même l'honneur d'un affichage
au tableau de la baraque n° 5, celle des Espagnoles, avec des aquarelles,
faites par une communiste allemande").
Del Castillo témoignera dans le film de Rolande Trempe et Claude
Aubach, Camps de femmes, de 1994, qu'on peut visionner ici
sur Canal U.
- 1941
: la mère s'évade
du camp.
- 1942 : au terme d'un marché sur lequel del Castillo garde le
secret, sa mère obtient sa propre libération tandis que
Michel est envoyé en Allemagne : il baissera son pantalon pour
montrer qu'il n'est pas juif, voyagera dans le wagon des enfants : "Je
me suis retrouvé otage de guerre, un parmi d'autres, les jours
se sont ajoutés aux jours d'errance, de Stuttgart à Berlin,
puis, au fur et à mesure de l'avancée russe, ce furent d'autres
déplacements. Ce n'était pas l'horreur absolue d'un camp
d'extermination mais l'effroyable banalité d'une guerre."
-
1945 : il rentre en Espagne ;
livré à lui-même, il est pris en charge par les autorités
barcelonaises et conduit en tant que "fils de rouge" à
lAsilo Durán. Il passe trois ans et demi dans ce véritable
bagne : travail dans des ateliers très
durs, faim, violence et sexualité...
- 1949 : il s'en échappe. Quelques mois plus tard, il est accueilli
dans une école de Jésuites à Úbeda, en Andalousie,
où il est bien traité et et peut étudier ;
avec le père Mariano Prados, il découvre la littérature
et notamment Dostoïevski.
- 1950
: son père
ne répond pas à ses lettres désespérées
; il devient ouvrier dans une cimenterie
au sud de Barcelone ; il a 17 ans.
- 1953 : il franchit clandestinement la frontière avec la France
et retrouve son père, avec qui il vivra huit mois.
- 1954 : il trouve refuge à Paris auprès de son oncle Stéphane
et sa tante Rita, allemande, qui seront pour lui des parents chers,
acceptant de plus son homosexualité ; il passe les deux bacs et
il entame des études de sciences politiques et droit, puis il
obtient une licence de lettres à la Sorbonne et de psycho-pathologie
à Sainte-Anne. Il raconte qu'il veillera à ce que sa tante
ne manque de rien, jusqu'à sa mort - elle mourra chez lui.
- 1955 : il retrouve sa mère qu'il n'avait pas revue depuis l'âge
de 9 ans.
- 1957 : Tanguy est publié aux
éditions René Julliard ; lauteur a 24 ans
à peine ; François Le Grix,
chez Julliard, l'aura, en mentor, aidé à peaufiner le livre.
- 1995 : le père, âgé de 87 ans, demande prise en
charge médicale et pension alimentaire à son fils dont il
se sera occupé 39 mois.
Carrière
littéraire
- Son
premier roman, Tanguy, remporte un grand succès.
- Ses romans ultérieurs recevront de nombreux prix, dont le Renaudot
pour La
Nuit du décret
(1981) et le prix Femina de l'essai pour Colette,
une certaine France
(1999).
- En 1975, pour Antenne 2, il produit une série télévisée,
La Saga des Français, qui retrace un panorama de la société
française en 13 tableaux.
- Outre des romans, il publie des essais et écrit des pièces
de théâtre.
- En 1997, il est élu membre de l'Académie royale de langue
et de littérature françaises de Belgique, succédant
à l'historien Georges Duby. Voir le beau discours
de réception de l'écrivain Pierre Mertens parcourant
l'uvre de del Castillo.
- En 2016, il reçoit le Grand
Prix de l'Académie française pour l'ensemble de son
uvre.
Par ailleurs :
- il est membre du comité
d'honneur de l'Association pour le droit de mourir dans la dignité
(ADMD).
- Il est ouvertement homosexuel.
- Il vit à La Calmette, dans une belle maison située à
une dizaine de kilomètres de Nîmes.
- Il a acquis la nationalité espagnole et a donc deux passeports.
LIVRES de Michel del Castillo |
Ses romans ont été publiés dans
diverses maisons d'édition : chez Julliard, qui maintenant
n'existe plus, chez Fayard,
au Seuil,
chez Stock,
chez Plon,
chez
Gallimard, en poche, aux éditions Points,
en Folio, au Livre
de poche, en Pocket.
Les livres sont présentés sur book
note et sur le site de la Bnf.
Les romans
et récits
- 1957 : Tanguy
: histoire d'un enfant d'aujourd'hui, Julliard ; Folio. En Espagne,
le livre fait scandale, explique Amélie Nuq dans Laffaire
Michel del Castillo", une campagne de protestation contre les maisons
de redressement espagnoles (1957-1959), Revue dhistoire
de lenfance "irrégulière", n° 13,
2011
- 1958 :
La Guitare, Julliard ; Seuil, 1984 ; Points
- 1959 : La mort de Tristan, Julliard
- 1959 : Le
Colleur d'affiches, Julliard ; Seuil, 1985 ; Points
- 1960 : Le
Manège espagnol, Julliard ; Points
- 1962 : Tara,
Julliard ; Points
Sa mère a une réaction très violente.
- 1965 : Les
Aveux interdits : Le Faiseur de rêves, René Julliard
- 1966 : Les
Aveux interdits : Les Premières Illusions, René
Julliard
- 1967 : Gerardo Laïn, Christian Bourgois, 1967 ; Seuil ;
Livre de poche ; Points
- 1972 : Le Vent de la nuit, Julliard - prix des libraires et prix
des Deux Magots ; Seuil 1985 ; Points
- 1975 : Le
Silence des pierres, René Julliard - prix Chateaubriand ;
Points
- 1977 :
Le Sortilège espagnol : les officiants de la mort, René
Julliard ; Folio
- 1979 : Les cyprès meurent en Italie, Julliard ; Points
- 1981 : La
Nuit du décret, Seuil - prix Renaudot ; Points.
À la veille de la remise du Goncourt (à l'époque
très Galligrasseuil), François Nourissier, auteur Grasset,
a, raconte Le
Monde, "descendu en flammes" dans le Figaro-Magazine
le livre de Michel Del Castillo, publié au Seuil, et considéré
jusqu'alors comme le grand favori. Heureusement, le jury Renaudot était
là pour repêcher Michel Del Castillo... on peut voir aussi
la perplexité de Michel Tournier, juré, dans Le
Figaro...
Voir la critique du Monde (avant la remise du prix) : "Michel
del Castillo et ses deux 'flics' : la tendresse sous la cruauté"
par Paul Morelle (Le Monde, 23 octobre 1981) et celle de l'écrivaine
Françoise Xénakis dans Le Matin de Paris ("Michel
del Castillo : un enfant qui sait à jamais l'horreur du monde",
25 septembre 1981)
- 1984 : La
Gloire de Dina, Seuil ; Points
- 1985 : La Halte et le Chemin, Bayard
- 1987 : Le
Démon de l'oubli, Seuil ; Points
- 1989 : Mort
d'un poète, Mercure de France ; Folio
- 1991 : Une
femme en soi, Seuil - prix du Levant
- 1993 : Le
Crime des pères, Seuil - grand prix RTL-Lire ; Points
- 1994 : Rue
des Archives, Gallimard - prix Maurice-Genevoix ;
Folio
- 1997 : La
Tunique d'infamie, Fayard
- 1998 : De
père français, Fayard ; Folio
- 2001 : Les
Étoiles froides, Stock, tome 1 de sa trilogie ; Folio
- 2003 : Les
Portes du sang, Seuil, tome 2 de sa trilogie
- 2006 : La
Religieuse de Madrigal, Fayard ; Points
- 2007 : La
Vie mentie, Fayard - prix des écrivains croyants ; Livre
de poche
- 2010 : Mamita,
Fayard ; Livre de poche
- 2018 : L'Expulsion
: 1609-1610, Fayard
Non-fiction
- 1969 : Attitudes espagnoles, photos de Richard de Combray, Julliard
- 1970 : Écrous
de la haine : vous avez tué Gabrielle Russier, Julliard :
livre saisi et interdit en juillet 1970 (voir
Le Monde du 9 juillet 1970 et Le
Monde du 10 juillet 1970)
- 1980 : Les Louves de l'Escurial : la volupté de la mort, une
Espagne hallucinée, Perrin
- 1985 : La Halte et le chemin, éd. du Centurion
- 1986 : Séville, Autrement, coll. L'Europe des villes rêvées
- 1991 : Andalousie, Seuil ; Points
- 1993 : Carlos Pradal, collab. Yves Belaubre, éd.
Loubatières
- 1995 : Mon
frère l'Idiot, Fayard - prix de l'écrit intime ;
Folio
- 1999 : Colette,
une certaine France, Stock - prix Femina essai ; éd. Cendres
; Folio
- 2000 : L'Adieu
au siècle - journal de l'année 1999, Seuil ; Points.
Extrait : Je me suis également rappelé mes rendez-vous
avec Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir (
) dans les années
60. Nous allions manger la Palette ou à la Coupole (
) Les
serveurs déroulaient un paravent qui nous cachaient de la salle
et à peine installés dans notre coin, Sartre allumait sa
cigarette avant de me raconter lEspagne, quil connaissait
mal, danalyser le franquisme, quil navait pas vécu.
- 2000 : Droit
d'auteur, Stock
- 2002 : Colette
en voyage, éd. des Cendres : fac-similés des autographes
(lettres et cartes postales) adressés par Colette à Sido,
à ses frères, à Missy, à ses maris... lors
de ses nombreux voyages en France et à l'étranger, accompagnés
d'un texte de Michel del Castillo présentant le contexte de leur
rédaction. Publié à l'occasion de l'exposition tenue
au Musée de la poste à Paris, de mai à août
2002.
- 2004 : Sortie
des artistes : de l'Art à la Culture, chronique d'une chute annoncée,
Seuil
- 2005 : Dictionnaire
amoureux de l'Espagne, Plon - prix Méditerranée
- 2008 : Le
Temps de Franco, Fayard ; Livre de poche
- 2015 : Goya
: l'énergie du néant, Fayard ; Points
Théâtre
- 1967 : dans ladaptation du Mur, la nouvelle de Jean-Paul
Sartre réalisée par Serge Roullet, il incarne le rôle
de Pablo.
- 2002 : Une répétition, pièce consacrée
à Jean Sénac, mise en scène dArmel Veilhan.
La pièce est publiée sous le titre Algérie,
l'extase et le sang (Stock, 2002) : le livre évoque litinéraire
singulier de Jean Sénac, assassiné en 1973 à Alger,
à travers les réflexions de trois personnages attelés
à un spectacle autour de la figure du poète algérien.
- 2003 : Le
Jour du destin, L'Avant-scène théâtre, collection
des Quatre-Vents, adaptation du roman La nuit du décret.
- 2005 : La Mémoire de Grenade, lue par le comédien
François Marthouret dans le cadre du Festival des Lettres dAutomne
à Montauban.
INTERVIEWS |
À écouter et regarder
- Comme
il vous plaira, RTS (Radio Télévision Suisse),
1er novembre 2015, 1h 56.
- Le
bon plaisir de Michel del Castillo, par Christian Giudicelli, France
Culture, 17 novembre 1984,
rediffusé dans Les Nuits
de France Culture de Philippe Garbit, 21 février 2015, 3h
29.
- Une biographie rapide par Catherine Gueguen,
suivie d'une interview, sur
youtube, 6 novembre 2020, 14 min.
- Vidéo
au sujet du roman Mamita que Del Castillo présente, Librairie
Mollard, 20 septembre 2010, 2 min 20.
Voici maintenant des extraits d'interviews de Michel Castillo dans la presse écrite sur le mal, sur les camps, sur sa mère, les femmes, la psychanalyse, les livres, le style...
Sur le mal
Oui, tout mon univers romanesque est hanté par le mal. Sans doute l'ai-je connu trop tôt. J'avais neuf ans lorsque nous avons été arrêtés en 1942. Le gouvernement de Vichy nous avait internés : nous avons été ensuite transférés en Allemagne, dans un camp de concentration. Il y avait vingt-cinq mille petits Espagnols à Mauthausen. J'ai connu l'horreur absolue à un âge où l'on essaie généralement de préserver la sensibilité des enfants. On ne guérit jamais de son enfance. La mienne m'a marqué pour toujours.
N'y a-t-il pas une indulgence pour le mal dans votre livre ?
Mon premier mouvement a été une condamnation absolue, aveugle du mal, dont le mufle de bête n'est jamais loin d'apparaître sous le vernis de la civilisation. Je ne cherchais même pas à entrer dans les raisons qui avaient poussé les nazis à torturer ainsi d'autres hommes. Puis je me suis posé d'autres questions. Je me suis dit qu'un vent de folie peut parfois souffler sur un être ou sur une collectivité et les déformer profondément. Je crois maintenant que personne n'est à l'abri de la contagion. (Le Monde, 6 octobre 1962)
Dans le camp de Rieucros
Mon souvenir le plus fort, c'est l'obscurité. Enfant, cela vous terrifie. Il devait y avoir une ou deux ampoules de 25 watts pour toute la baraque. On arrivait au bout du monde, on ne savait plus où on était et, dans ce magma de femmes espagnoles dépenaillées, j'étais une crevure qui allait de pneumonie en pneumonie. Je ne bougeais plus, collé contre ma mère, je lisais des partitions de musique. Le froid, la faim, bien sûr, inutile d'en parler. J'allais surtout dans la baraque des Allemandes, les Espagnoles n'arrêtaient pas de se hurler dessus. L'enfermement concentre des gens qui n'ont rien en commun, socialement, politiquement. Ma mère est arrivée avec un beau manteau, très maquillée, on l'a regardée méchamment. Des femmes seules, confinées, sans contact avec les hommes, ne restent pas longtemps gentilles. Mais, chez les Allemandes, tout était propre, c'était des communistes cultivées, qui lisaient, écrivaient, dessinaient, me racontaient des histoires. J'avais besoin d'une loi, elles avaient cette discipline qui leur avait permis de tenir en Allemagne.
On avait été chassés d'Espagne en 1939 et on m'avait dit que la France était un pays où l'on mange bien, où l'on est poli. Le plus triste pour moi, c'est que mon père, qui nous avait dénoncés, était français. Je trouvais ça scandaleux, je n'arrêtais pas de répéter : je ne suis pas espagnol.
C'est à Rieucros que j'ai commencé à écrire. Des petits contes. L'un d'eux parlait d'un des sept nains qui avait très froid dans une baraque... Ils ont été affichés à l'exposition organisée à Mende par le maire : il était furieux contre ce camp, dont les habitants croyaient au départ qu'il ne renfermait que des droits communs et, pour les obliger à prendre en compte les détenues, il avait exposé des objets qu'elles avaient fabriqués. Certaines prisonnières sont venues à Mende, les Français les regardaient, ils étaient gentils, ils essayaient de comprendre. Le dimanche, ils venaient se promener autour du camp, le vallon de Rieucros ayant toujours été un lieu de villégiature. Certaines détenues se livraient à la prostitution, derrière le camp.
Ces camps furent très représentatifs du merdier français. Cela aurait pu être bien pire : on aurait pu être livré, battu, tué. Moi-même, je pouvais aller à l'école à Mende. On pataugeait dans l'improvisation, on nous laissait avoir froid, avoir faim, un climat étrange où se mêlaient la débâcle, la peur de l'étranger et une gentillesse foncière. Quelque chose de bizarre, d'un peu merdique. ("Ces camps furent très représentatifs du merdier français", Michel del Castillo, Le Point, 4 novembre 2010)
Trois années en Allemagne
J'en parlerai probablement un jour plus longuement. Ça a été une chute très insensible. Je ne comprenais pas bien pourquoi j'avais échoué là. J'avais 9 ans, je n'étais pas un déporté politique, je n'avais pas combattu, je n'étais pas juif. Je n'arrivais pas à avoir une vision claire des méchants et des bons. Je voyais tous ces Russes massacrés par les Allemands remplis de haine, et après, quand on nous a évacués de camp en camp au fur et à mesure de l'avancée russe, j'ai eu une grande pitié pour les enfants allemands que je voyais dans les gares. C'était l'apocalypse. Rien n'était simple. À Berlin, c'était terrifiant, les bombes pleuvaient, j'étais terrorisé, je vivais plaqué au sol. (Lire, 1er octobre 1995).
La mère de Michel del Castillo
Jusquen 1935, elle a eu une jeunesse dorée. Elle vivait dans un tumulte à la Fitzgerald : les amants, les maris, tous valsaient dans sa vie avec une liberté incroyable. En même temps, sa très grande beauté et son immense fortune lont rendue très tôt doublement vulnérable. On ne la pas vendue, mais enfin son premier mariage à lâge de quinze ans et demi y ressemblait fort. Sa vie était faite de nuds. Elle était trop libre pour son époque. Par exemple, cétait une excellente pianiste, elle aurait pu faire une grande carrière de concertiste et pourtant elle nen a rien fait car elle papillonnait. Elle ne travaillait pas assez et avait une vie trop décousue. Quand jai fait mon travail de recherches, je suis allé voir deux de ses professeurs à Paris et ils mont confirmé son talent.
Que vous a-t-elle transmis ?
Une éducation. Aujourdhui, cela peut paraître ridicule, mais élevée par les surs, elle avait lallure et les gestes dune très grande dame, et possédait cette politesse des gens très bien élevés. Elle ma notamment inculqué son respect pour les gens qui travaillent. Si je parlais mal à un serveur, elle menvoyait lui présenter des excuses. Elle était impitoyable. Et en même temps, elle ne voyait même pas sa propre famille, elle se regardait tous les matins dans le miroir, je nexistais pas. Sa grande générosité financière allait de pair avec son horreur de la pauvreté. Elle pouvait donner des sommes astronomiques à des clochards dans la rue. Elle a aussi vécu une page très noire de lhistoire espagnole... Quand la guerre éclate et que sinstalle alors à Madrid une terreur effroyable, elle est emprisonnée avec des milliers de gens. Elle meurt de trouille et elle est obligée de donner des gages aux communistes. Elle passe alors de lautre côté. Or ses amis, son mari sont tous des franquistes convaincus. Et tout le monde est persuadé quelle est des leurs. Cest un milieu de droite ! Le jour où la vérité éclate, cest un énorme scandale : non seulement, elle a abandonné ses enfants, mais elle a aussi trahi son camp et défendu les rouges. Il ne lui reste plus que lexil. En fait, elle était journaliste non pas communiste, encore moins anarchiste, mais plutôt radicale de gauche. Elle soutenait les républicains car ils défendaient la loi sur le divorce... elle était logique avec elle-même ! Elle a été jusquà entamer un procès à Rome pour viol afin de faire annuler son premier mariage !
Vous êtes le seul de ses enfants quelle emmène avec elle en exil...
Je pouvais lui être utile afin damadouer mon père qui était déjà en France. Mais lorsquelle arrive devant lui, il nest pas dupe, il est au courant de ses frasques à Madrid et sort les papiers qui prouvent le remariage de ma mère avec un lieutenant dune brigade internationale.
Pour elle qui na jamais compris que lon pouvait lui résister, cest un effondrement. Tout à coup, elle sest retrouvée sans argent. Elle a appris à écrire des articles et pondu deux romans exécrables. Elle avait des idées excentriques jusque dans la politique, prônant par exemple que toutes les femmes devraient porter des manteaux de vison. Mon père avait proposé de me placer dans une pension. Elle a refusé tout en lui demandant lintégralité de ma pension alimentaire jusquà ma majorité. Elle dépensera tout en deux mois ! Exaspéré, mon père commet un acte irréparable : il la dénonce à la police. Nous sommes alors internés dans un camp de concentration. Doù elle sévadera seule. Je ne la reverrai plus avant lâge de 20 ans.
Et votre père ?
Je lai revu en 1953 quand jai réussi à revenir en France. Mais je le détestais trop. Son milieu, cette grande bourgeoisie hypocrite, mexaspérait aussi. (L'Orient littéraire, avril 2020).
Sur la psychanalyse
Je suis très marqué par la psychanalyse. Elle a contribué à me guérir, car j'ai frôlé la névrose. J'ai appris à accepter le passé, et mon uvre me sert de soupape. Au fond, l'écrivain est un malade : il n'y a pas de quoi se vanter. Écrire, c'est un moyen de ne pas étouffer, de ne pas mourir. Je ne crois qu'au livre qu'on écrit avec son sang. C'est pourquoi j'ai une horreur profonde du byzantinisme intellectuel. (Le Monde, 6 octobre 1962)
La liberté et en particulier des
femmes
Aujourd'hui en 2023, l'avortement est en péril
aux USA, il est question de l'intégrer pour protéger ce
droit dans la Constitution française. En 1995, il y a presque 30
ans, Del Castillo, dénonçait :
cette pression de plus en plus sournoise contre les libertés individuelles, l'avortement. J'ai pour vieux réflexe de regarder la condition féminine, car c'est là que se jauge finalement l'état d'une société. Dans les années 60, la liberté sexuelle a commencé par les femmes, la pilule, puis toutes les minorités sexuelles ont été libérées. (Lire, 1er octobre 1995)
Sur les livres
Grâce
à sa mère, Michel Del Castillo avait déjà
beaucoup lu dans son enfance : Les Contes des mille et une nuits,
de Grimm, Dumas, Balzac, et ce avant 10 ans...
"Il y a des livres qui vous convertissent. Cette fonction quasi religieuse, Dostoïevski l'a jouée pour moi ; cette notion religieuse de l'art, c'est lui qui me l'a apprise", explique-t-il. Et c'est en lisant Dumas qu'il a une illumination - pour reprendre le terme de Rimbaud, auquel il voue un véritable culte, tout comme à Lorca : "Milady, c'était elle. C'était ma mère. Cette menteuse, cette séductrice. À partir de cette découverte, j'ai eu moins peur. Parce qu'elle devenait un objet esthétique, je pouvais l'aimer littérairement. Je la retirais de la psychologie pour l'installer dans l'esthétique. La retrancher de la réalité la rendait moins dangereuse." (Le Monde, Emilie Grangeray, 16 mai 2003 ; voir aussi après sa publication sur Dostoïevski en 1995 (Mon frère l'Idiot) l'interview de Marianne Payot sur les lectures de Michel del Castillo, Lire, 1er octobre 1995).
Pas de trace dans vos livres des recherches où s'applique le nouveau roman ?
Chaque écrivain est d'abord un tempérament. Il trouve instinctivement la forme qui lui convient le mieux. Le problème de la technique m'a toujours semblé un faux prétexte. Nathalie Sarraute et Claude Simon, qui sont, eux, de véritables écrivains, ont trouvé le ton le plus juste pour traduire leur sensibilité. C'est un accord, non un choix délibéré. Toute uvre d'art est la découverte d'une intonation. (Le Monde, 6 octobre 1962) :
À propos d'un livre lu à Voix au chapitre, Proust contre la déchéance :
Cure de désintoxication polonaise, toujours, avec la lecture de Proust contre la déchéance, de Joseph Czapski (chez le même éditeur que Bobkowski). Il arrive que la littérature sauve de la déchéance, et ce fut aussi le cas pour moi. Ce livre magnifique parle certes de Proust, mais, dans la déréliction d'un camp soviétique, il parle plus encore de ce qui fonde l'humanité: l'art, quand il se dresse contre la mort. (Libération, 29 avril 2000)
Le style
On confond le style avec le bien-écrire. Or le bien-écrire, c'est le normalisé, la langue canonique. Le style, c'est trouver une musique personnelle telle que le lecteur la reconnaît immédiatement. La voix de Céline, ce n'est pas seulement les points de suspension, c'est le triturage de l'argot, l'invention des néologismes. Le style de Gide, c'est le chant d'une pureté à la limite de la préciosité - j'appelle ça du remue-ménage de hanches. Dostoïevski, lui, a une voix populaire, petit-russien, très proche du langage parlé et de ce fait proche du genre feuilletonesque. Il a besoin de se mettre dans des situations d'urgence pour écrire, d'où le style catastrophique, haletant de celui qui écrit contre la mort. Il appartient à la catégorie des écrivains de la parole. A l'instar d'un Céline et de son désespoir absolu ou d'un Bernanos et de sa mystique. Il n'y a pas d'écrivains de la parole qui soient neutres. Vous n'imaginez pas Guy de Maupassant autrement qu'écrivant quelque chose de joli, qui soit bien mené, avec une conception esthétique mais sans métaphysique. Chez Dostoïevski comme chez Tolstoï ou comme chez Tchekhov, si vous enlevez la métaphysique il reste très peu de chose. (Lire, 1er octobre 1995)
Écrire en français
Mon hispanité est très profonde, il est indéniable que c'est sur l'Espagne que j'ai le plus réfléchi, que je suis allé le plus en profondeur, mais je sais que je suis incapable d'écrire un livre en espagnol. Je lis beaucoup dans cette langue, comme je lis en anglais ou en allemand. Cela va même plus loin. Quand j'ai lu Dostoïevski pour la première fois, c'était dans une traduction en espagnol, mais j'ai longtemps cru que je l'avais lu en français. Je sais comment j'ai pu faire cette confusion. Mon désir de France occultait tout. Mais c'était un désir qui se trompait sur lui-même : je n'avais pas encore les outils. J'ai retrouvé des lettres que j'écrivais quand j'avais vingt ans, j'écrivais franchement très mal. Quelqu'un m'a fait remarquer un jour que je n'avais pas aimé en Espagne. Pourquoi ? Je n'en sais rien, je n'ai aucune réponse. En Espagne, je suis considéré comme un hispano-français. Mais ils ont l'impression que j'ai un peu renoncé à quelque chose, que j'ai un peu trahi ("Michel del Castillo : la littérature comme salut", propos recueillis par Danièle Brisson, Le Magazine littéraire, n° 355, 1997)
Une note légère pour finir, sur l'Espagne
Quelle est la première chose que vous faites quand arrivez en Espagne ?
Dès le premier soir, je me remets aux tapas, vers sept ou huit heures, parce que je sais quon va dîner deux ou trois heures plus tard. Il vaut donc mieux manger un petit quelque chose en attendant. À Madrid, je vais autour de la place Santa Ana, là où il y a le Théâtre espagnol, lhôtel Victoria. Dans ce quartier, les bars à tapas sont innombrables et noirs de monde. Je me suis toujours demandé comment font tous ces gens que lon voit en permanence un verre à la main. Ils picolent avant et pendant le dîner, puis après, ils remettent ça en boîte Et le lendemain matin, ils sont au boulot ! Madrid est vraiment une ville déjantée, très almodovarienne (rires) ! Donc, je prends la température, jécoute les débats en cours, je repère les nouveaux endroits, car tout change tellement vite. Je flâne quoi, je mabandonne au flux. On vit tout le temps dehors à Madrid.
Y a-t-il un autre pays où lon vit autant le soir et la nuit ?
Jai vécu à Rome, à Capri, à Naples. On y sort la nuit, mais cela ne donne pas la même impression dagitation frénétique. À Madrid ou à Barcelone, on a le sentiment quil sagit dun impératif catégorique : il faut sortir ! On ne reste pas chez soi. On retrouve un petit peu ça à Naples qui a conservé quelque chose despagnol. (propos recueillis par Michel Doussot, Blogpasblog, 26 décembre 2011).
Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme
au rejet :
|
||||
à
la folie
grand ouvert |
beaucoup
¾ ouvert |
moyennement
à moitié |
un
peu
ouvert ¼ |
pas
du tout
fermé ! |
Nous écrire
Accueil | Membres
| Calendrier | Nos
avis | Rencontres | Sorties
| Liens