Michel del CASTILLO,
La nuit du décret
,
Points, 384 p.

Quatrième de couverture : Dans certains villages de Catalogne, le nom du commissaire Avelino Pared éveille encore une terreur sourde. Responsable de la répression à l'époque de la guerre civile, ce fonctionnaire secret officie maintenant dans une petite ville du nord de l'Espagne : Huesca, où l'inspecteur Laredo, nouvellement nommé, entrera bientôt en fonction. Pour préparer leur rencontre, le jeune policier mène l'enquête, interroge d'anciens témoins, et pénètre peu à peu dans le silence glacé de l'époque franquiste. Le voyage serait sans danger si l'histoire d'Avelino Pared, avec ses craquelures infimes, ses places sombres et enneigées, son enfance perdue, ne renfermait une énigme.

Prix Renaudot 1981


Michel del Castillo
à trois âges de la vie :



Autres éditions
de poche :


Points, 1996


Seuil, 1981 :


Michel del Castillo adapte son roman pour le théâtre :
Le Jour du destin
, L'Avant-scène théâtre, collection des Quatre-Vents, 2003.

Quatrième de couverture : 1950, à Barcelone, sous la dictature franquiste. Après six ans d’une traque méticuleuse, Avelino Pared décide de mettre un terme aux activités de Ramon Puig, professeur à l’université de Toulouse et militant anarchiste en exil. Hasard ou signe du destin, l’arrestation du militant anarchiste coïncide avec l’arrivée de l’inspecteur Laredo dans la Brigade sociale et politique. Ce jeune idéaliste croit avec ferveur aux vertus d’ordre et de discipline. De réputation, il a conçu pour Pared un véritable culte. Petit à petit, le jeune policier découvrira ce que cache la folie de l’ordre : le cynisme désabusé, la manipulation, l’absence de scrupules, une perversité exquise.


Le Jour du destin fut mise en scène par Jean-Marie Besset et Gilbert Désveaux, au Théâtre Montparnasse, avec Michel Aumont (dans le rôle d'Avelino), Loïc Corbery (Laredo) et Christophe Malavoy. Voir vidéo ›ici

Michel del Castillo (né en 1933)
La nuit du décret (publié en 1981)

Nous avons lu ce livre pour le 20 octobre 2023 (ancien et nouveau groupe). Le groupe breton le lit pour le 18 avril 2024.

DES INFOS AUTOUR DU LIVRE
Repères biographiques
Livres de Michel del Castillo
Interviews

Les 12 cotes d'amour de l'ancien groupe
Annick LRozenn
CatherineClaireFanny

Entre et BrigitteChristelle

Jérémy Monique LMurielRenée

Jacqueline

Annick L(avis transmis)
J'avais déjà lu, pour mieux cerner cet auteur dont on m'avait parlé,
Les Portes du sang, un récit autobiographique très émouvant dans lequel il revient sur ses souvenirs tragiques d'enfance et de jeunesse. Mais jamais aucune fiction. Et j'ai beaucoup aimé La nuit du décret.
Pour moi c'est un g
rand roman, écrit dans une belle langue classique, précise et évocatrice des lieux, de l'atmosphère générale et particulière à certaines scènes, de la société espagnole des années 1970, en cette fin de règne franquiste. Une atmosphère très oppressante qui m'a fait penser au film Cria cuervos de Carlos Saura, qui se situe à peu près à la même époque.
Et puis j'ai été saisie par la tension qui s'instaure très vite autour de la relation ambigüe que noue le "jeune" inspecteur avec son futur chef : fascination, répulsion, appréhension… Les témoignages de ceux et celles qui ont connu Don Avelino Pared sont contradictoires et laissent une part de mystère quant à la véritable personnalité de celui-ci. Le lecteur se laisse prendre à cette enquête et le suspense est habilement maintenu jusqu'au dénouement, brutal. D'autant que l'inspecteur Santiago Larido est quelqu'un de trouble également, avec ses propres failles. Il y a comme un effet de miroir entre ces deux hommes. On parlerait aujourd'hui d'une forme d'emprise.
Mais, au-delà du talent du romancier pour tisser sa toile, le plus remarquable c'est la réflexion qui est menée, à travers des discussions entre ces deux personnages, sur les notions de morale, de métaphysique, sur ce qu'est un pouvoir totalitaire, avec la mise en fiches généralisée des citoyens et citoyennes de ce pays, mise en place pendant la Guerre civile et au-delà, par Don Avelino, qui incarne le grand Inquisiteur, le pendant du Big Brother orwellien.
Cette dimension donne une portée très large à ce roman, au-delà du contexte espagnol.
Un livre que je ne suis pas près d'oublier. Ouvert en grand.

Jacqueline

J'avais gardé un bon souvenir de cet auteur dont, il y a longtemps, j'avais lu un livre autobiographique émouvant. J'ai lu celui-ci en entier, mais j'ai trouvé ça très pesant. Je crois que c'est le style à l'ancienne avec des portraits physiques peu intéressants et peu d'affects…, même si cela va bien avec le métier de policier du narrateur. Et c'est assez rigolo qu'il dise ne pas aimer rédiger ses rapports parce qu'au fond rédiger c'est donner l'éclairage que l'on souhaite…
J'ai été gênée que la scène terrible rapportée par Marina et censée être le récit de sa mère soit tout à fait dans le même style que le reste…
Je ne suis jamais vraiment entrée dans le suspense autour d'Avelino, tout cela est lent et assez glauque…
Je n'ai guère eu de plaisir à cette lecture et j'ouvre ¼.
Monique L

C'est un récit bien écrit, intelligent dans son approche, mais qui me laisse désemparée car je n'ai pas compris ce que cherchait l'auteur. Le titre ne m'a pas aidée car je ne sais toujours pas ce que signifie cette nuit du décret. Pour moi cela reste des mots sans que j'en comprenne la signification profonde. (J'ai vu également cette expression dans l'Islam : nuit du destin ou du décret, dans la sourate du Coran Al-Qadr ; voir aussi ›ici)
La fin du roman me pose question : quel sens donner à celle mort ?
Je n'ai pas ressenti les deux personnages principaux comme véridiques mais comme éléments d'une démonstration.
L'atmosphère est pesante.
C'est néanmoins une œuvre attirante, rythmée, bien écrite et que j'ai lu sans difficulté. C'est une réflexion intéressante sur le pouvoir, la dictature franquiste, les exactions commises par les deux camps, mais surtout sur la manipulation pour obtenir des aveux.
Les descriptions successives de Pared montrent le pervers dans toute sa splendeur, persuadé d'avoir raison, d'être le bras armé de Dieu. Il suffit qu'il entre dans la pièce ou s'assoie en face du suspect, pour que tous se sentent coupables. Et il en joue et rejoue comme tout pervers. Il torture moralement ses victimes. Il a un mépris absolu de tous les humains.
J'ai eu du mal par moment avec la passivité de Laredo, par exemple quand il accepte de trouver Pared dans sa chambre tous les matins au réveil. Sa fascination pour Pared ne m'a pas toujours été compréhensible.
Plus le récit avance plus on perçoit un parallélisme entre Pared et Laredo. Laredo avait expérimenté dans sa jeunesse le pouvoir qu'il pouvait exercer sur autrui et la joie perverse que cela lui avait procuré d'avoir manipulé et réduit à néant l'instituteur et cela avec raffinement l'ayant fait en deux temps. C'est ce qui le lie à Pared. "Je découvrais que la rétention d'une information vous faisait le maître absolu d'un homme. Il suffisait que le coupable sût qu'on la gardait. Ma vocation était née : j'entrerais dans la police."
Difficile de parler de tout mais il y a des moments difficiles à passer sous silence :
- le récit de l'inspecteur Baza qui s'est senti humilié et qui a trouvé une fuite dans la boisson.
- la rencontre avec Don Pedro Cortez, phalangiste idéaliste
- la lettre de la femme de Laredo qui a été pour moi un moment de répit
- Franco meurt pendant la période de transition entre les deux postes de Laredo, l'auteur décrit bien les réactions des gens, la sidération puis le frémissement de la liberté.
L'écriture est fluide, il n'y a pas de pathos. Le rythme est très maîtrisé. J'ouvre à moitié.
Christelle
entre et

J'en suis à 90%... et j'ai envie de le finir, car j'imagine une fin peu banale à un livre aussi original.
Je ne connaissais rien de l'auteur, mais le dernier mail de Claire qui renvoie à la page sur M de Castillo m'a mis l'eau à la bouche.
Dans la première partie, je me suis laissé prendre assez rapidement. L'ambiance concernant l'enfance dans le village est rendue de façon intéressante ; quant à l'instituteur pédophile et au père qui condamne plus le fils que l'instituteur, on se rend compte qu'on a changé d'époque...
L'ambiance est très pesante, mais j'ai été captée par l'intérêt au début pour son futur chef, mais l'approche de ce personnage, de passionnante, devient un peu laborieuse, les témoignages finissent par s'éterniser et se recouper. Le passage chez Baza est cependant très poignant, dans le salon glauque, les descriptions et le dialogue ont très bien fonctionné sur moi.
Quand Laredo et Pared se rencontrent, ça redevient intéressant. Ce Don Avelino a un côté délirant, ses réflexions sur les liens entre religion et police, difficiles à suivre, montrent à quel point il est tordu.
J'ai été fascinée par plusieurs passages sur la culpabilité, sa capacité à hanter et détruire des vies, par exemple celle de Baza. N'ayant pas fini le livre, j'espère encore que cette culpabilité va rattraper Pared; la force de la manipulation est également très bien montrée. Quant aux couples, je les ai trouvés intéressants. Il y a une opposition entre Laredo dont la femme le quitte quand il va dans une autre ville et Gonzalvo qui, dans une autre ville, ne pense qu'à revenir chez lui. Pared et sa femme... on se demande où ça peut aller...
À ce stade de ma lecture, j'ouvre entre ½ et ¾.
(Christelle ajoutera quelques jours plus tard :) La lecture des 10 derniers % n'ont pas renversé la donne.

Rozenn
(à l'écran : en place et lieu de son nom, apparaissent ces lettres effrayantes... R... G..., rappelant le livre)
J'ai lu un peu dans le brouillard, mais j'ouvre en grand et je le relirais volontiers.
J'avais lu
Tanguy jadis, n'en gardant qu'un souvenir très fort, très dur : je veux le relire.
Ici dans ce livre, il y a le poids de ce qui n'est pas clair, de ce qui n'est pas dit.
Sur les femmes... hum. Il serait aujourd'hui censuré pour grossophobie. Alors que la description de la femme de Pared est fabuleuse.
Il y a des phrases d'une grande beauté.
À certains moments, trop de détails et des transitions étranges.
Je l'ai fini cet après-midi et j'en sors avec une fascination. Avec Don Avelino, péremptoire, c'est le secret et jamais un doute sur rien.
J'ouvre en grand. C'est un auteur que je redécouvre. Je relirai, c'est certain.
Brigitte
entre et (à l'écran)
C'est un livre très déconcertant : un roman policier, mais aussi un essai philosophique et historique. L'écriture est simple mais très travaillée.
L'intrigue est très construite, chaque détail joue un rôle dans le déroulement des événements ultérieurs, le lecteur ne doit rien oublier, sinon il ne comprend pas la suite.
Ce qui m'a le plus gênée, c'est une certaine ambiance sous-jacente de perversité, aussi bien chez Santiago Laredo que chez Avelino Pared. Je qualifierais cette lecture d'inconfortable.
J'ai aussi été surprise de la façon dont est traitée la pédophilie. Ici la victime c'est l'adulte pédophile, le manipulateur c'est le jeune garçon de 13 ans !
Pour moi ce livre et cet auteur sont néanmoins une découverte intéressante. J'ouvre entre ½ et ¾.
Muriel

J'ai été accrochée. Et le livre m'a bien plu.
Mais je suis d'accord avec Brigitte sur le côté inconfortable. Et pénible est cette histoire d'instituteur très gentil qui s'avère pédophile ; cela met mal à l'aise. Tout est un peu glauque. Ces histoires malsaines et parfois cruelles font mal au cœur.
À certains moments, je ne savais plus qui était qui. Et le livre m'a paru trop long. Plusieurs ont utilisé les adjectifs pesant et pervers, bien choisis.
J'ouvre à moitié.
Jérémy
Avant la lecture
Je n'avais jamais rien lu de Michel Del Castillo, ni même entendu parler de lui. Je l'ai donc abordé vierge de tout a priori. Sans être un grand amateur de romans policiers, une enquête ayant pour toile de fond le franquisme m'intéressait et j'étais donc plutôt enthousiaste à l'idée de le lire.
Pendant la lecture
J'ai lu ce livre sans déplaisir, mais sans passion non plus. Il se lit facilement et je l'ai terminé en une semaine mais je n'ai jamais été impatient d'en reprendre la lecture, il ne m'a pas "manqué". Cela tient peut-être à certaines longueurs un peu pesantes dans les descriptions, de paysages notamment, ou à des précisions apportées sur des détails qui m'ont paru sans importance. Certains personnages sont un peu caricaturaux, par exemple celui de Baza, flic "brisé" par Avelino Pared : gros, alcoolique, vêtements souillés, appartement immonde, femme repoussante, veste sans cesse recouverte d'une couche de pellicules, tout y passe ! Enfin, si le livre est écrit dans une langue fluide, je n'ai souligné aucun passage que j'aurais trouvé d'une particulière beauté.
Le livre a également créé en moi un effet "déceptif" : la rencontre entre Avelino et Laredo n'intervient que 100 pages avant la fin du livre. Je pensais qu'elle arriverait plus tôt. Après avoir compris que cela ne serait pas le cas et qu'une longue enquête préliminaire précèderait la rencontre, j'ai pris mon mal en patience. Malgré tout c'est un peu long. "L'enquête" m'a par ailleurs aussi peu convaincu que celle qui se déroule dans La Petite-fille : tout le monde parle à Laredo avec une facilité déconcertante. La plupart du temps on lui parle même sans qu'il ait besoin de demander quoi que ce soit !
Je n'ai pas été très intéressé par la relation entre Laredo et sa femme, dont le personnage n'est pas très bien dessiné. Quand nous avions parlé de La Boîte noire, j'avais appris que sa traductrice réécrivait les scènes de sexe qu'elle trouvait mauvaises. Ici il n'y a pas de scène de sexe, mais le désir que ressent Laredo pour Marina est décrit avec une lourdeur qui frise le ridicule.
Malgré tout, ce livre m'a intéressé, pas tant pour l'histoire qu'il développe que pour ce que l'auteur essaie selon moi de faire, à savoir dresser le portrait d'un policier franquiste : de quel bois était-il fait ? Quels sont les ressorts familiaux, sociaux, philosophiques, religieux, qui peuvent nous permettre d'expliquer comment un homme qui n'est pas dépeint comme un monstre sanguinaire et violent a pu commettre les exactions qui lui sont reprochées ? Ce qui fonde l'agent de police Avelino, c'est son obsession pour l'ordre, son détachement notarial, son goût pour la surveillance et le fichage, le fait qu'il ne doute de rien, son aversion pour toute forme de regret et de repentir, son refus de s'interroger sur la loi et sa seule volonté de la servir et de l'appliquer quoi qu'il en coûte.
J'ai aussi trouvé intéressant le parallèle que l'auteur établit entre la police et l'Église : toutes deux ont pour idéal l'ordre et cherchent l'abnégation, la soumission totale de l'individu : "L'ordre achevé se fait dans les têtes. Là où l'esprit critique, le désir et l'inquiétude persistent, là aussi le désordre subsiste. La police est loin de cet ordre qui se fait avec la participation de l'individu. […] Heureusement nous approchons d'une ère où les hommes ne supporteront plus le fardeau de leur liberté […] L'heure de la police aura alors sonné. Plus personne ne songera à fuir son œil tranquille. La paix enfin s'installera." On comprend alors mieux pourquoi l'homme Avelino a pris pour femme Amalia, une simple d'esprit qui vit dans un monde de chimères et n'a d'autre désir que celui de s'empiffrer. C'est parce qu'elle est l'incarnation de ce qu'est l'Homme idéal pour le policier Avelino : un "peuple d'automates" n'ayant plus que l'apparence du vivant.
J'ai également bien aimé le côté prophétique du livre. Avelino dit en effet à un moment : "Le jour approche où une machine étincelante contiendra non pas une région mais une province, mais une nation. Il suffira d'appuyer sur un bouton et le décret tombera […] Alors la police aura enfin accompli sa vocation. Elle sera cet Œil qui vous suit partout, invisible." Non seulement on y est mais en plus nous alimentons volontairement la machine !
J'ouvre donc ce livre à moitié car s'il m'a intéressé, il ne m'a pas profondément marqué et je n'aurai envie ni de le relire, ni de le conseiller.
Renée(à l'écran)
Je n'ai pas terminé. Je ne comprends pas trop le narrateur. Enfant pervers, il me met mal à l'aise. Où veut-il nous emmener ?
Mais j'ai envie de savoir la fin, ce qui est déjà pas mal, bien que je ne lise pas avec une jouissance extraordinaire...
J'ai trouvé comme Rozenn qu'il y a de très belles phrases. Et de belles idées.
Je suis proche de l'Espagne à Narbonne et j'ai connu aussi bien des républicains réfugiés que des zélateurs de Franco : tous détestaient parler du passé. Dans le livre, c'est la toile de fond du roman mais c'est subtilement dissimulé : seul reste LE MAL au fond de chaque homme.
L'anarchiste flamboyant Espuig, habilement manipulé par Avelino, devient délateur et finit minable. Le pervers l'a détruit en, subrepticement, lui redonner le goût d'une vie normale plutôt que l'isolement en prison.
Je pense que je suis partie pour l'ouvrir à moitié.
Fanny

J'ai trouvé que ce livre écrit il y a plus de 40 ans était terriblement d'actualité sur l'emprise, la perversion. Perversion avec Amelia par exemple, qui, d'un vide sidéral, encouragée par Don Avelino, ne fait que manger des gâteaux. Et ça se répète pour plusieurs personnages.
Contrairement à vous, j'ai éprouvé beaucoup de plaisir de lecture, en dépit des horreurs - peut-être est-ce par habitude professionnelle... Mais j'avais hâte de le retrouver.
Pared interroge un des suspects et ça dure. Il y a une densité dans certains dialogues très durs. Dans ce chapitre, l'écriture est dense, ramassée sans passages à la ligne malgré les dialogues, au point qu'effectivement on ne sait plus qui dit quoi. Je pense que c'est intentionnel, en ce que cela sert à montrer ce qu'il y a d'identique entre Pared et le suspect.
C'est un livre extrêmement bien construit. On peut même se demander s'ils vont se rencontrer. On comprend à la fin pourquoi le narrateur est revenu sur son enfance.
Laredo et Pared ont pour moi une relation entre deux mêmes. Il y a comme un miroir entre eux. Si on lit le livre comme ça, on lit autrement la fin. C'est peut-être en quelque sorte lui-même que Laredo tue, pour symboliser un nouveau départ et/ou assumer sa part d'ombre et de perversion ?
Juste deux réserves : le parallèle mystique..., je n'ai pas bien suivi ; et le côté très construit du livre qui devient un peu factice quand il y a une double enquête dans le livre : sur le meurtre et sur les raisons de la présence dans la ville d'Avelino. À ce moment-là, j'ai eu l'impression que la construction prenait le pas sur le narratif.
J'ouvre aux ¾.
Claire
Quand j'ai vu le volume du livre et son contexte - la guerre civile espagnole - j'ai intérieurement maugréé et me suis dit je n'hésiterai pas à abandonner ce demi-pavé s'il me barbe, j'étais donc remontée par mon préjugé, genre bien renfrognée... En deux coups de cuillère à pot, j'étais retournée et captivée, immédiatement conquise. Bien sûr, il a fallu tenir sur la longueur.
Les pages avec la femme du narrateur, avec la secrétaire et le chapitre 8 stupéfiant sur l'enfance et la saloperie de l'enfant ignoble entraînent un retournement du lecteur par rapport au narrateur. Le regard sur le père est également changé. Ta remarque, Christelle, me fait me rendre compte que je lisais le livre avec les yeux de cette époque-là... sans y voir de pédophilie, car toute entière prise par le récit, faut le faire.
J'ai aimé les relations avec les femmes : épouse (avec cette lettre merveilleuse p. 313 en poche), Marina, la veuve, Conchita, l'épouse de Pared.
Le livre égrène avec subtilité un rapport au mal. Le contexte historique m'a semblé comme un décor, irremplaçable comme décor, mais un autre pays, une autre époque, une autre dictature, auraient convenu.
Ce qui m'a le plu, c'est la tension, le suspense et notamment les deux coups de théâtre dont celui de la fin, autour de l'instituteur. Les va-et-vient présent/passé, témoignages/narrateur m'ont semblé habiles.
Réserves :
- une verrue curieuse : le chapitre 6 où nous est racontée la vie d'étudiant d'Avelino par un narrateur à la troisième personne, je n'ai pas compris
- les dialogues rapportés dans un récit, par exemple p. 179, pas très vraisemblables
- je suis un peu lassée de tourner autour du pot et je saute des passages ; c'est page 250 qu'il entre en scène (et il y en a 368...)
- les passages philosophiques de Don Avelino me sont restés obscurs et le refrain de la Nuit du décret ne m'a pas convaincue (ou alors il faut considérer ces élucubrations comme un délire, ce qui un peu gros) ; j'ai relevé les occurrences de l'expression et ce n'est vraiment pas clair
- la fin too much.
En dépit des réserves, j'ai envie d'ouvrir aux ¾ pour la découverte, confirmée avec tout ce que j'ai appris de l'auteur qui m'a stupéfiée et attachée à lui.
Alors qu'Avelino revient à cette analogie entre Dieu et la police, je me demande, à propos des quatre couleurs de ses fiches infernales, s'il n'y a pas une autre analogie à faire entre ses outils et ceux du romancier quant à ses personnages... :

- "une première feuille, blanche, avec les renseignements d'état civil"
- "une seconde, verte, pour la vie professionnelle, carrière, activités, finances, bref ce qui, avec le nom et l'origine, enracine un individu. Voulez-vous savoir ce que vaut un homme ? Examinez son compte en banque. Au-dessus d'une certaine somme, c'est une crapule ; au-dessous, c'est une loque ; entre les deux c'est un couard."
-
"Une troisième, rose, pour les mœurs : aime-t-il se faire fouetter, ramper sur le plancher, jouit-il à brutaliser les femmes, ne bande-t-il que s'il profère des insanités ? Dans tous les cas, vous le tenez. Un homme qui sait qu'on a percé ses secrets d'alcôve n'est pas tout à fait un homme. "
- "Le rouge enfin, la politique et le social, c'est-à-dire les rêves absurdes et les théories fumeuses qui font mourir tant d'hommes."
- "Quatre couleurs pour éclairer un destin. Tout ce qu'on appelle si pompeusement le mystère d'un homme tient dans ces paperasses
."

Catherine
Je connaissais Michel del Castillo, j'ai lu Tanguy il y a longtemps et ce livre m'avait marquée ; c'est un livre que l'on n'oublie pas. Je l'ai relu, et il m'a tétanisée de la même façon.
Je me suis plongée ensuite dans La nuit du décret et j'ai été embarquée très vite dans cette histoire. J'avais envie de connaître la suite et, comme l'inspecteur Laredo, de comprendre cet homme, au début insaisissable et, au fil des histoires, de plus en plus pervers et manipulateur. J'ai assez aimé qu'on le rencontre très tardivement ; je me suis même demandé aux trois quarts du livre si on le rencontrerait vraiment.
Il incarne le mal, avec en toile de fond l'Espagne déchirée par la guerre civile. La guerre et ses horreurs ne sont évoquées qu'en toile de fond, mais elle permet à la folie de s'exercer. Il y a des passages saisissants : les interrogatoires de Ramon Espuig, l'anarchiste, prêt à mourir et qui se retrouve piégé dans la toile de Don Avelino avec ses discussions philosophiques et finit par trahir sa cause, l'histoire de sa belle-sœur qu'il "sauve" après avoir fait tuer son mari, l'histoire de Baza qu'il réduit à l'état de loque. Il y a toute une théorie derrière le personnage de Don Avelino, obsédé par l'ordre et la Loi, détestant le pardon, qui disserte longuement sur les rapports entre police, loi et religion. C'est intéressant, mais un peu redondant et il y a des longueurs.
Il y a pas mal de rebondissements : Laredo, que l'on prend pour quelqu'un de bien au début mais dont on apprend qu'il a trahi son instituteur et l'a dénoncé par une lettre anonyme (l'instituteur apparaît comme une victime très sympathique mais il abuse quand même des enfants… ; comme a dit Christelle, ça a été écrit à une autre époque) et à la fin bien sûr où il y a plusieurs coups de théâtre (peut-être un peu trop d'ailleurs).
J'ai bien aimé le délire final de Don Avelino (l'humanité composée d'Amalia sur laquelle la police pourra établir son règne), mais j'ai été un peu déçue par la fin de Laredo que j'espérais plus flamboyante. Au fond, c'est en accord avec le reste. Avelino l'a détruit lui aussi.
Les personnages féminins sont à l'arrière-plan, même s'ils jouent un rôle non négligeable. Je passe sur le personnage d'Amalia, un peu forcé tout de même ; Marina et Pilar m'ont davantage intéressée, j'ai en particulier beaucoup aimé la lettre de rupture de Pilar.
Au final, comme Tanguy, c'est un livre qui m'a marquée et que je n'oublierai pas. Je l'ouvre aux ¾.


La nuit du décret, c'est quoi ?...
Voici, soulignées, les occurrences relatives à la nuit du décret
dans le livre, chapitres 4, 8, 19, 23 :


Chapitre 4, le vieux Trévos qui communique au narrateur un dossier s'explique : "Dans ma jeunesse, je rêvais de devenir archiviste ou bibliothécaire. J’aimais déjà l’odeur du vieux parchemin, du cuir et du papier. Surtout, j’avais la passion de ces lieux paisibles, baignés de silence, où les plus folles visions peuvent s’épanouir, sans que rien ne vienne déranger leurs métamorphoses. Mes parents étaient pauvres, j’ai dû changer mon fusil d’épaule, façon de parler. Je ne le regrette pas du reste. La bibliothèque d’Alexandrie ne peut rivaliser avec un bon fichier. Ce qui dort là, sur ces rayons, c’est rien moins que la création, cher ami ! Tout y est, absolument tout ! Les pires folies, les débauches les plus fantastiques, les appétits les plus féroces, la lâcheté, la cupidité, le sang même. Surtout, tout y est à l’état de signe, comprenez-vous ? Des passions non encore dégradées, une pure énergie en quelque sorte. Lire des fiches n’est pas un travail d’information, c’est une activité purement mentale qui consiste à repérer des traces, à imaginer les actes qui peuvent en découler, comme le chêne dérive du gland. Voilà pourquoi je vous parlais de la création. Parfois, je me représente Dieu comme un immense fichier contenant des millions de noms qui engendreront l’héroïsme et le crime, le mensonge et l’amour. Dans les ténèbres et le silence, Dieu contemple cet écheveau fantastique, et Il attend, recueilli, que tous les fils soient dévidés. Alors, arrivera la Nuit du Décret et une aube triomphante éclairera l’humanité, arrivée au terme de son destin. (...)
– Qu’appelez-vous la Nuit du Décret ? fis-je dans l’espoir d’apaiser son agitation.
– C’est l’ultime Nuit de Dieu, chuchota-t-il en se penchant vers moi et en me fixant d’un regard presque halluciné. La Nuit de l’ultime Révélation, qui précède le Jour de l’Éternité. Croyez-vous en Dieu ? »
Cette question abrupte me prit au dépourvu et j’hésitai avant de répondre.
–   Je suis baptisé, fis-je d’une voix qui résonna bizarrement à mes oreilles.
– Ce n’est pas une réponse, riposta avec brusquerie le lunatique bonhomme. Pour bien lire un fichier, poursuivit-il sur le même ton sec, hargneux presque, il faut croire en Dieu. Car une fiche, pour éloquente qu’elle soit, garde son secret, si on ne la lit pas avec les yeux de la foi. Sa vérité relève de l’ordre du virtuel. Vous, par exemple, êtes-vous certain d’avoir su interpréter les décrets que renferme ce vieux carton ?"

Chapitre 19, juste avant la lettre de Pilar, Don Avelino dit à propos de ses dossiers aux feuilles de quatre couleurs : "ce sont là des méthodes artisanales, grossières pour tout dire. Le jour approche où une machine étincelante contiendra non pas une région ni une province, mais une nation, un continent, le monde même. Il suffira d’appuyer sur un bouton et le décret tombera, scellant un destin. Alors, la police aura réellement accompli sa vocation : elle sera enfin cet Œil qui vous suit partout, invisible. En attendant, soupira-t-il, j’ai fait ce que j’ai pu."

Chapitre 8, le narrateur enfant, à propos d'un tremblement de terre, réponde à l'instituteur qui va bientôt l'embrasser : "– Il y en a eu plusieurs à Benamid. On entend un grondement profond comme d’une bête qui grogne. Ensuite les lustres et les meubles se mettent à valser. Une maison s’est même écroulée dans le village du bas. Tout le monde est sorti dans la rue en criant. C’était drôle.
– Tu n’as pas eu peur ?
– Non. Je trouvais ça bizarre. De toute façon, le village, il est là depuis… Ça fait des années, des siècles même.
– Tu as sans doute raison, Santi. Il ne sert à rien de s’inquiéter inutilement. Quand notre heure arrive, il est vain de se lamenter. Avant… il ne se passe rien. Notre destin ne nous appartient pas : le décret qui fixe notre sort repose dans les archives de la nuit. (...)
Mon corps était maître du sien et mon esprit disposait de sa destinée. Ce décret qu’il imaginait au fond d’une archive nocturne, il s’écrivait en réalité dans ma tête. Il croyait naïvement qu’une obscure divinité décidait de son sort mais il tenait ce dieu cruel dans ses bras, et il l’embrassait avidement, éperdu de reconnaissance. (...)
Ma vocation était née : j’entrerais dans la police ; je collectionnerais et rangerais les décrets qui annihilent la liberté des hommes. Caché dans l’ombre, je tirerais les ficelles de ces pantins. Je demeurerais invisible, anonyme, et je n’en disposerais pas moins du sort de mes semblables."

Chapitre 23, à propos de Don Avelino : "M’ayant reconnu, il m’avait appelé, tissant patiemment les fils où je viendrais m’échouer. À quels signes il m’avait reconnu, je le devinais. Notre complicité portait un nom : Angel Linarès. De ce premier crime, tout le reste découlait, obéissant à une logique supérieure, irréfutable. La nuit où, dans la maison de Benamid, je composais l’infâme billet qui ruinerait une vie insouciante et libre, j’avais, sans le savoir, rencontré Don Avelino. Depuis, je n’avais fait que cheminer vers lui. Trevos ne se trompait pas : pour qui sait lire, un fichier contient les décrets fixant les destinées. Nul hasard. Une rigueur toute mathématique au contraire. Le développement organique d’un thème dont les premières mesures renferment aussi la dernière."


Les 8 cotes d'amour du nouveau groupe
réuni le 20 octobre

Anne-MarieFrançoisJean-PaulNathalie BAnneLahcen Monique M
Katherine

Anne
J'ai beaucoup aimé La nuit du décret comme on aime un bon film, un thriller, un polar, mais qui a en même temps une vraie dimension romanesque. Un homme est hanté par une rencontre à venir. Il est policier et on l'a muté dans une autre région. Tout le monde s'accorde pour dire qu'il n'a pas de chance car celui qui sera son chef est réputé pour être cruel et craint. Il se renseigne avidement sur cet homme. J'ai vu dans cette "annonciation" la définition parfaite de ce que l'on appelle le transfert quand on a pris la décision de commencer une psychanalyse et que l'on s'est engagé sans le connaître encore, avec un psychanalyste. Il s'organise alors en vous une attente pleine d'émotions et de représentations que l'on prête à ce personnage. Toute l'affectivité, qui va constituer votre travail psychique sur des années, est là en concentré. Dans cette attente vous lisez ses livres s'il en a écrit, vous interrogez des personnes qui ont pu le connaître, ou même le consulter. Toute votre problématique s'engouffre dans une voie imaginaire intense. Sur de tels rails le livre part d'une manière très forte.
L'écriture est belle et le style ne fait pas défaut à sa mission : dans le contexte historique du franquisme, il décrit au lecteur la fascination étrange d'un homme pour un autre homme dont on comprend qu'il est un froid destructeur, et la question de savoir pourquoi notre protagoniste est si fasciné par lui reste entière jusqu'à la fin. Certes, on comprend rapidement que l'inconscient existe et qu'il est de la partie : un événement déterminant de l'enfance rattrape le narrateur, qui parle au singulier. On ne connaîtra d'ailleurs son nom que lorsqu'il rencontrera l'homme, nommé Don Alvino, qui va le lui demander : inspecteur Santiago Laredo. La culpabilité guide ce dernier tout au long du roman, mais il ne la cerne pas bien et le lecteur la devine à peine, comme une ombre fatale cachée. Le souvenir de l'enfance néanmoins la révèle et il y a de très belles pages sur cet événement : il a, vers la puberté, "abattu" un homme, un professeur, qui se présentait comme un être lumineux d'amour et qui s'est avéré être un pédéraste. Il lui envoie alors des lettres anonymes pour le séparer d'un de ses camarades avec qui cet homme entretient une relation sexuelle, mais en même temps il parvient à découvrir avec lui la sexualité. Son ambivalence est profonde et perverse, mais il est un enfant, et lors de cette expérience il comprend qu'il veut devenir policier pour dévoiler le mal sous ce qui se présente faussement comme le bien. Il veut évidemment installer en lui-même un bien là où il y a un mal. Il envoie de nouvelles lettres anonymes qui vont amener l'homme à quitter les lieux et il grandit désormais avec la culpabilité d'avoir trahi un homme aimé/haï et de l'avoir symboliquement tué. Dans ce contexte psychologique très intéressant (la relation avec son père s'avèrera également très complexe et subtile), il fouille le passé de Don Alvino dans des dossiers, ainsi qu'en écoutant ceux qui l'on connus. Dossiers aux renseignements labyrinthiques annonçant la période moderne de surveillance. Il rencontre ces "indics" et tombe amoureux d'une collègue dont la tante a épousé le mystérieux personnage. A partir de là, j'ai commencé à trouver la structure du livre trop longue : je me suis essoufflée dans un amas de renseignements alors qu'il ne rencontrait toujours pas Don Alvino ! Et j'ai passé des pages (je l'avoue), accédant au moment où il le rencontre enfin. Là, l'atmosphère des lieux et de la situation m'a rappelé celle de certains films d'Orson Welles, avec des personnages inquiétants évoluant dans des jeux de double, notamment une scène où des personnages se poursuivent et se tirent dessus dans un labyrinthe de miroirs. Don Alvino se montre très obséquieux avec Laredo qui se demande ce qu'il fomente à son égard… Il lui trouve une chambre chez une logeuse, qui réside en face de chez lui, et comme dans un livre de Kafka (dont j'ai oublié le titre), Don Alvino se trouve, intrusif, tous les matins au réveil à son chevet. Tout évolue alors dans le morbide. Il y a un meurtre, on rencontre un monstrueux tueur de chats, une enquête par Don Alvino le présente avec une froide et implacable intelligence, jusqu'au moment où Laredo entend un coup de feu. Il découvre que c'est lui qui a tiré en toute inconscience, et il comprend qu'il a été manipulé par Don Alvino pour l'assassiner. Tout, dans ce roman, montre la présence de l'inconscient ; il a été choisi pour être celui par qui la mort adviendrait et il a suivi, à l'insu de sa conscience, l'ordre qui lui était communiqué. Don Alvino, condamné par une maladie mortelle, avait, lui aussi, étudié le dossier de celui qui devrait se charger de sa mort. Il a vu en Laredo le meurtrier idéal. L'événement "meurtrier" de son enfance ne lui a pas échappé. Il saurait transformer un meurtre symbolique en meurtre réel, une culpabilité inconsciente en culpabilité réelle.
J'ai bien marché dans l'histoire, touffue mais passionnante, et ouvre cet ouvrage aux trois quarts, laissant un quart fermé à cause de sa construction trop longue et un peu lourde à mon goût en son milieu.
Anne-Marie
Je ne savais rien ni de l'auteur, ni du livre. J'ai tout de suite été happée par ce texte, par le style, la progression façon polar, et en même temps la précision psychologique des personnages.
Il est vrai que ces descriptions étaient parfois longues, on n'en finit pas de découvrir le personnage qui fascine tant le narrateur. La présentation est aussi un peu artificielle, avec des interlocuteurs successifs qui lui ouvrent chacun un petit aspect du personnage. L'intégration de l'histoire personnelle du narrateur et de son "crime" est artificielle, au début on ne comprend pas comment elle s'intègre dans le déroulé des évènements. La fascination qu'exerce le chef de la sûreté sur le narrateur est excessive, l'autre a tout prévu, il anticipe ses moindres mouvements, il sait tout de lui, c'est hypnotique, le narrateur se fait broyer complètement jusqu'à accomplir l'acte final réclamé de lui, fin de la tragédie.
C'est très bien mené, j'ai beaucoup aimé ce livre, je l'ouvre en grand.
Monique M
C'est un livre étrange, sombre, dense. C'est le franquisme, avec ses chasses à l'homme, sa perversité, les interrogations de nuit, cette façon de tuer les gens moralement avant de les exécuter physiquement. J'ai trouvé ça terrible, mais ça traduit bien avec des mots justes toute cette horreur. C'est un peu ennuyeux quand il enquête et se rend dans tous ces endroits différents, mais le début et la fin sont extraordinaires. C'est une sorte de polar philosophique, sur le rôle de l'enfant sur la destinée d'un homme. La rencontre avec l'instituteur : pages sublimes. On voit la perversité de l'enfant qui prend possession de l'homme, c'est hallucinant, l'enfant utilise la faiblesse de l'homme, il est plus fort que lui il dit d'ailleurs : "je découvrais que la détention d'une information me rendait le maître absolu d'un homme." La réaction du père du narrateur qui lui dit "tu as failli tuer un homme de bien" est forte. Il y a un parallélisme entre la vie du narrateur Laredo et celle d'Avelino, la même perversité, le même goût de l'ordre, le même abus de la faiblesse des autres. Laredo n'est même pas capable de comprendre les mots de son père quand il lui dit il fait toujours trop chaud ou trop froid, en fait il rejette le franquisme. Laredo ne comprend pas non plus sa femme, ni la mission que se donne Avelino de traquer les gens. À la fin la relation entre les deux hommes change, Avelino choisit Laredio pour que celui-ci le tue, mais on ne le comprend qu'à la fin, seul un autre lui-même peut le tuer. Pourquoi Laredo s'exécute-t-il ? Pour tuer le souvenir de sa lâcheté passée. Ce livre est bouleversant, cette lutte entre le désir de liberté et de l'ordre mais son côté malsain et morbide m'empêche de l'ouvrir en très grand.
François
Étrange roman d'un auteur jadis très connu et dont on ne parle presque plus. Étrange parce qu'il se place bien sous le signe de "l'inquiétante étrangeté" chère à Freud. Et de fait, ce qui fait sa force est bien l'atmosphère dans laquelle il nous plonge. Au centre, un personnage qui ne se découvrira qu'à la fin et que l'on ne va connaître que par témoins interposés. C'est le futur chef de police du narrateur qui va être muté dans un nouveau poste. (Nous sommes en Espagne au moment de la guerre civile, du franquisme et de ce qui va suivre.) C'est peu dire qu'il va hanter tout le roman et que Del Castillo nous fait partager son attente avec un art consommé du suspense... Tant l'image du personnage, un peu comme une photo tremblée, va rester de bout en bout, trouble et équivoque. Ce que le roman raconte très bien, c'est la fascination qu'exerce progressivement son futur chef sur l'inspecteur qui, avant même de le connaître, va littéralement tomber dans sa toile, quelles que soient la lucidité et la distance qu'il tente d'introduire par rapport à cette figure surplombante.
L'un ou l'une d'entre nous a très justement indiqué que l'on pouvait trouver dans cette relation l'image la plus juste du transfert dans l'analyse. La manière dont cette sorte de grand inquisiteur agit avec les prévenus est minutieusement décrite. Elle fait avant tout ressortir l'ambiguïté et la complexité du personnage qui tient du monstre froid et très cultive qui place la logique au-dessus de tout et est en même temps capable de jouer de tous les ressorts humains avec son entourage et ceux qu'ils interrogent. Le roman montre en même temps l'envers de tout ce décor. Envers psychologique quand il raconte ou fait raconter la vie du personnage qui ne manque pas de complexité. De nombreux rapprochements sont possibles avec la vie du narrateur et de l'auteur quand il évoque son enfance et notamment le rôle qu'a pu jouer dans sa névrose la figure de la mère cultivée, fantasque et hyperséductrice. Nous avons aussi à faire à un roman familial qui se développe à plusieurs niveaux qui parfois s'entrecroisent. Cette épaisseur romanesque, dont il n'est pas possible de rendre compte en détail, fait que Del Castillo échappe à un certain côté grand guignol qui le guette parfois. De cette complexité, je retiendrai par exemple l'accent extraordinairement humain de la lettre par laquelle l'épouse de l'inspecteur lui apprend qu'elle le quitte au moment où il va justement prendre son poste. Le petit jeu du chat et la souris auquel joue Pared et l'inspecteur avant le coup de théâtre final est aussi très significatif. Enfin l'envers historique est aussi important tant le destin des personnages (pour le dire vite) est indissociable des vicissitudes de la guerre civile et du franquisme. Pour toutes ces raisons et d'autres qui seraient trop longues (et peut-être ennuyeuses) à développer, j'ouvre en grand ce roman qui dans ses meilleurs moments m'a fait penser au Conformiste de Bertolucci. Peut-être parce que je vois très bien Trintignant dans le rôle de Pared.
Nathalie B
Je suis une inconditionnelle de Del Castillo dont j'ai lu un grand nombre de ses romans. Dans plusieurs de ses écrits, il a creusé le sillon autour du personnage de sa mère qui avait un côté très monstrueux. J'aime beaucoup son écriture, sans avoir encore compris d'ailleurs pourquoi elle me séduit tant. C'est le seul auteur que j'aurais bien aimé rencontrer pour discuter avec lui.
Dans ce roman, c'est l'étude du mal au nom d'une idéologie. Qu'il s'agisse de l'ordre, du nationalisme, du catholicisme ou toute autre idéologie. Cela parle de la guerre civile d'Espagne qui a déchaîné les forces du mal. C'est l'histoire du remord de ceux qui survivent à leur crime. C'est l'histoire d'hommes abîmés dans leur enfance, dont l'un a du remord pour le mal commis et l'autre qui se donne des raisons de le commettre. Il y a même des réflexions théologiques autour de la comparaison entre le Dieu de l'Ancien Testament qui ordonne et réclame qu'on lui obéisse (l'ordre toujours) sous peine de destruction, et Jésus-Christ qui bouscule l'ordre établi et qui ne condamne jamais et se trouve toujours du côté des pêcheurs. Ce roman est écrit au début des années 1980. La pédophilie est un des aspects du roman. Celui qui aime les enfants est ici décrit comme l'innocent dont l'innocence sera détruite par un jeune garçon. Cela parle du mal, de la faute, du pardon. Pour moi c'est un grand roman qui pose des questions existentielles sans y répondre.
Lahcen
C'est un roman d'une morbidité lumineuse. J'ai aimé l'ambiance. Laredo est très ambivalent, il est pervers. Le rôle des femmes dans le livre est intéressant, Marina qui se sacrifie pour sa sœur, la mère d'Avelino très intelligente et excentrique. Avelino, pédéraste, manipulateur est un personnage de tragédie. On devine la fin. La structure du livre est un peu ennuyeuse, les descriptions trop longues, alors que la confrontation entre les deux héros est trop courte, le meurtre trop soudain. La lettre de Pilar est très belle.
Katherine
En vous écoutant souvent dans les débats, j'adapte mon avis en fonction de vos retours que j'adopte ou non, car ils m'éclairent. Là non, je n'ai pas du tout aimé ce livre. Je trouve que tout sonne faux, on est dans un milieu policier, mais les dialogues, je n'y croit pas.
Quant au style, on n'a pas le temps de se plonger dans une ambiance, ça va trop vite. Il fait tellement de choses très vite, c'est trop pour ce qu'il décrit. Il rend lyrique ce qui n'a pas lieu de l'être. J'ai trouvé la période de son enfance avec l'instituteur la plus sincère, c'est moins pesant, il y a moins de descriptions. Il essaie tellement de nous enfoncer ces descriptions dans la gorge que c'est pesant. Rien ne m'a fait vibrer, je n'y croyais pas, je ne suis pas entrée dans le livre, il n'y a pas de finesse, ce n'est pas fluide, par moments il en fait trop, c'est tracé à gros traits. Je ferme le livre.
Jean-Paul
Je ne me suis jamais ennuyé dans ce livre. Les personnages que rencontre le narrateur amènent une montée en puissance, c'est bien écrit, c'est simple mais lumineux. Il décrit très bien l'atmosphère de la fin du franquisme. Ça peut être transposé à notre époque : la dictature, les fiches sur tout le monde, les documents enlevés dans la fiche. Il montre que personne n'est tout blanc ou tout noir dans une guerre, car on voit aussi les attentats anarchistes, les confrontations. Il décrit aussi très bien la peur des gens à la fin du franquisme, la nostalgie de l'autorité. Cet état policier, c'est très actuel et très intéressant. Laredo promène sa culpabilité toute sa vie. Le pervers Pared arrive à le transformer en assassin. L'intervention du père est magnifique, l'enfance très bien décrite. Le narrateur est plus manipulé qu'il ne manipule.

Les 9 cotes d'amour du groupe breton
réuni le 18 avril 2024
BrigitteSoaz
AnnieChantal CindyÉdith Marie-OdileMarie-Thé
Suzanne

Marie-Odile
J'ai lu ce roman comme un thriller. Le suspens lié aux avertissements successifs concernant Avelino Pared a éveillé et constamment entretenu ma curiosité. Ce roman ressemble à un policier (des indices, des documents, des témoignages multiples éclairant un personnage trouble). Santiago Laredo, le narrateur, joue le rôle de l'enquêteur au premier abord innocent en quête d'une vérité qui ne le laissera pas indemne, tant le personnage d'AP est redoutable, il en est la victime, et peut-être le semblable.
Comme je m'y attendais, ce roman n'échappe pas aux fantômes de la guerre civile et du franquisme qui occupent une place de plus en plus grande au cours du récit. "Aucun homme n'échappe à son passé". Cette banalité se vérifie dans les destins individuels. AP et SL découvrent tous deux "la faille dans l'apparente harmonie du monde". SL ne découvre qui était vraiment son père qu'à la fin. AP ne sait pas vraiment qui est le sien (Œdipe). Le fait d'avoir "trahi " Angel est pour SL une sorte de péché originel, et aussi un moment fondateur de son métier de policier et de son destin.
À partir du moment où SL met le doigt dans l'engrenage, il ne peut plus revenir en arrière, malgré ses tentations fréquentes d'échapper à l'emprise de AP.
J'ai parfois ressenti le malaise du narrateur face à AP tant il est morbide. Son délire m'a paru à la fois intéressant, pesant et répétitif : allusions à l'Œil de Caïn, notion d'ORDRE suprême. Il "collectionne les décrets qui annihilent la liberté des hommes". (Je me suis demandé ce qu'un tel personnage aurait pu faire avec les outils technologiques d'aujourd'hui.) Son attitude à la fois violente et sucrée (envers sa femme, envers Santi) m'a inspiré du dégoût.
Le lien souligné entre policier et romancier (et le psychologue) m'a paru intéressant. Les personnages n'ont de secret ni pour l'un ni pour l'autre. Ils ont leur destin entre leurs mains : le romancier est leur créateur et le policier devient le maître absolu de l'homme dès lors qu'il détient sur lui une information. L'enquête policière et la création littéraire ne sont pas si éloignées...
Finalement, le narrateur vit peut-être une épreuve qui lui permet de changer de vie, d'estomper la trahison de l'enfance, de s'éloigner de Pilar, de retrouver une paix relative après avoir tué "la lâcheté et l'abjection" qui étaient en lui ?
J'ouvre aux ¾.
Chantal
Une lecture très agréable pour moi, voici pourquoi :
- L'écriture est simple mais belle, reposante après Sebald. Et le suspense tout au long du livre m'intrigue, j'attends, je redoute la fin...
- Le thème récurrent du père chez Santi, comme chez Avelino, me pousse à aller fouiller dans l'enfance de Del Castillo. A-t-il des comptes à régler ? Et là j'ai été servie ! Trahison, pendant toute la Seconde Guerre mondiale par ses deux parents : terrible.
- La construction du livre est vraiment très pensée, pour nous entourer tout au long d'une atmosphère troublante, pesante, menaçante...
Santi le gentil, le "normal" ? Aveline le monstre pervers, manipulateur, sans état d'âme ? Pas si simpliste. L'auteur nous balade du présent au passé, à travers les témoignages, les recherches acharnées de Santi et, dans ce chemin tortueux, on découvre un Santi tout aussi manipulateur, jouissant tout comme Avelino de son pouvoir absolu sur un homme (Angel son instituteur, un passage très beau, très fort et... horrible). Un Santi comme un double d'Avelino, aussi machiavélique. Seule différence, Santi regrette, culpabilise. Avelino rejette toute culpabilité, tout sentiment, il tue avec l'assentiment de celui qu'il vise, dans la douceur !
- Les portraits de tous les personnages sont forts, ciselés. Les yeux vides et glacés d'Avelino me poursuivent. Je vois Angel "superbe archange à la tignasse d'or".
- Les symboles m'ont marquée : la police comme religion, un dogme, une orthodoxie. Avec des références bibliques parfois obscures pour moi, là encore l'œil qui regarde Caïn.
- Un passage, de ce livre écrit en 1981, résonne en moi. Page 360 : "faire en sorte que les hommes VEUILLENT leur soumission, voilà l'idéal du vrai policier. Nous approchons d'une ère où les hommes ne supporteront plus le fardeau de leur liberté, où ils ne sauront même plus désirer. L'heure de la Police aura alors sonné. Plus personne ne songera à fuir son œil tranquille. La paix, enfin, s'installera". 2024 ? Sommes-nous encore plus proche de cette ère ?

Un bémol parce que la fin du roman m'a... interloquée. Je ne comprenais pas ce crime. Pourquoi ? Mais la discussion, vive, âpre, animée, dans le groupe, m'a éclairée. Santi n'a pas pu refuser de tuer Avelino, il continue d'être entortillé dans la toile d'araignée tissée patiemment par Pared, sous emprise.
Santi croit être libéré par ce crime, libéré de Pared, libéré de sa part d'ombre à lui, de son remord, mais la page 367 nous dit que non. La peur d'être poursuivi, par son double, sa conscience, sa culpabilité ne cesseront jamais. Suprême victoire d'Avelino...
On s'est dit que Michel Del Castillo est toujours en vie... et que ce serait dommage de ne pas connaître son sentiment de vieil homme ayant traversé tous ces orages du 20e siècle. Serait-ce possible ?...

Edith
J'ouvre aux ¾, en raison d'une lecture agréable qui m'a entrainée à vouloir rapidement connaître la fin : lecture rapide bien que le style soit recherché et la traduction agréable à lire. Vertige du suspense et plaisir du texte. ..
J'ai aimé la façon dont del Castillo plante ses personnages, dont il décrit les villes d'Espagne, la morne tranquillité des petites villes, la chaleur ou le froid suivant les régions. L'auteur nous fait participer à la vie de ses héros : Pilar la femme de Santiago qui écrira la lettre de rupture assez glaçante reçue par Santiago en poste à Huesca, Pilar à la hauteur de son mari par son cynisme assumé ! Des lignes presque "réjouissantes", avec une désinvolture assumée pour vivre enfin ?
La morne répétition, jour après jour, des activités du poste de police, à Murcie et à Huesca, indique peut-être l'endormissement du pays l'après la fin de la dictature de Franco, avec les sourdes compromissions dont chacun peut se sentir auteur, avec une culpabilité enfouie ?
Je me suis doutée que le caractère de Santiago Laredo et que les actes détestables (récit de la toute jeunesse de Santiago dans les premiers chapitres) auraient à voir et se joueraient avec le caractère et la personnalité de Avelino Pared dont il est grandement question dès le début du récit. Celui-ci apparaît par les récits de ceux qui l'on connut autrefois ; ce n'est pas le cas de Laredo trop jeune à qui l'on vient raconter - du fait de sa nomination - les antécédents de son futur chef Pared le second héros du roman.
Excité et intrigué tout à la fois par l'annonce de sa mutation à Huesca, Santiago se laisse imprégner du mystère de Pared et cherche à en percer l'histoire. Il obtient de lire des dossiers tenus "secrets" et je suis, moi lectrice, dans la soif de connaître, ça marche bien, façon roman policier ! Tous les personnages sont contemporains de la Guerre civile espagnole. Pared est un policier gradé et craint ce jeune policier dans le début de la Guerre civile. Les pages expliquant qui est Pared m'invitent à vouloir aller encore plus vite vers le dénouement.
Si j'évoque ici le récit de la trahison de Laredo à l'endroit de l'instituteur Angel c'est pour en relever le double aspect pour moi très dérangeant : celui de la lettre anonyme écrite par Santiago, menaçant de dénoncer Angel, et celle de la révélation de l'homosexualité de Angel - instituteur engagé dans sa fonction de pédagogue, admiré et aimé de ses élèves et dont l'un deux sera "victime de son désir". Je remarque que c'est la jalousie seule de Santiago qui le fera agir en écrivant ce courrier et non pas la condamnation de la pédophilie qui est moteur de l'acte accusateur ; l'homosexualité est un délit en Espagne ! Nous sommes bien en deçà des condamnations actuelles ! Nous parlons de crime actuellement pour la pédophilie j'entends bien !
Je comprends bien, par le récit de Santiago et l'aventure de sa jeunesse avec son instituteur et son "rival" - très tôt dans le texte - que le nœud de la "nuit du décret" va se dérouler et se révéler de ces faits. Mais comment cela va-t-il s'articuler ?
La qualité littéraire de Castillo, l'habile progression du récit, vont me conduire au dénouement… la scène de l'assassinat de Pared par Santiago : récit rapide un peu surprenant dans la conclusion des faits, sans préparation du lecteur si ce n'est l'indice du pistolet sur le bureau de Pared et le sentiment de danger ressenti par Santiago : angoisse dont il ne peut se défaire et il ne peut non plus reculer ; la mise en acte décidée par Pared est imparable dans ce face-à-face avec un manipulateur sournois maléfique et la scène d'un désespéré qui attend la sanction, Pared, dont le suicide décidé ne peut venir que de la main d'une autre, être aussi malsain et dont la punition pour ce dernier sera de porter cet "assassinat commandé". Suprême vengeance ou suprême désespoir ? Mourir de son cancer, pense Pared, est sans panache, mais partir de ce monde "ignoble à ses yeux" par l'arme pointée d'un semblable lui procure, je pense, une dernière jouissance.
Je charge le personnage de Pared, mais je crois que de telles gens, dans des situations extrêmes, ont de fait agit ainsi. La guerre produit des héros et aussi des lâches. Il y a du tragique, Santiago va vers son destin, il doit le savoir, il ne peut y échapper. Je ne m'attendais pas à ce dénouement, mais j'étais préparée à une violence de fait.
Tout au long du roman, on a des dialogues peu nombreux mais efficaces et même si les silences de Pared valent dialogue. Je revois son regard à la fixité inquiétante, et ses deux mains sous son menton, son masque de vieillard dont le cancer gagne le visage et le corps. Glaçant.
Les corps sont présents et fidèlement décrits pour chaque personnage, presque cinématographiques dans leur apparence, dérangeants souvent, car criants de vérité humaine dans leur banalité. Quant à Pilar dont j'ai évoqué la vie et son désir de partir pour trouver mieux, on la sent obéissante et fourbe : mais que lui reste-t-il de possible vu l'époque et les mœurs ? Amelia, pauvre créature, objet manipulé par le biais de sa gloutonnerie par son mari Pared : scène difficile dans sa vérité que celle du désarroi d'Amelia tentée par la pâtisserie "corps difforme", "écrasé par le poids d'une graisse morbide", à la "poitrine monstrueuse", au "ventre qui s'affaisse". Et encore le portrait de Marina femme célibataire et dévouée, secrétaire et objet du fantasme sexuel de Santiago. Et puis la scène du nain du nabot et sa relation au chat (gatito) et l'usage manipulatoire qu'en fait Pared : il sait le nain meurtrier de Bastet (car une enquête pour meurtre à l'endroit de Bastet est en cours), mais la négation du meurtre par ce dernier est accusateur : il suffit à l'auteur de nous décrire la scène du cimetière p. 349, scène de nuit dans le cimetière, lieu de l'exécution au temps de la Guerre civile : "dix-neuf fois le nain regarda le spectacle dix-neuf fois il mourut par procuration" ; "Le nain trop méprisable dans son affreuse disgrâce" fut épargné le 19 juillet (récit cynique de Pared) : cela met en lumière le mépris d'un humain. Dieu est utilisé dans les actes dit de justice : "Là où le pardon intervient, la Lio se dissout.(...) l'Église l'a bien compris, qui pardonne d'abord et livre ensuite le coupable au bras séculier, s'inclinant ainsi devant la nécessité de la Loi" (p. 351)
Ce roman est situé dans l'histoire contemporaine de l'Espagne et la Guerre civile, la dictature Franco et les désordres de l'Église, complice dans ses institutions. Dieu y est évoqué à tout moment ainsi que le mal, Dieu manipulé dans la logique folle de Pared et du moment historique de l'Espagne et de la guerre.
La vie de Michel del Castillo (du fait des infos reçues) lui ont semble-t-il inspiré, à plus d'un titre, les éléments romanesques. Il est mon contemporain encore vivant. Il pourrait ainsi nous révéler ce qui est vrai de ce qui est romanesque, que n'a-t-il pas souffert ?
La quatrième de couverture dit : "l'œuvre de Castillo nous parle de la destinée, de la culpabilité et de la guerre". C'est le premier livre que je lis de cet auteur, vais-je me laisser tenter ?
Je laisse un quart pour avoir ressenti à de rares occasions le manque de clarté de la chronologie (du moins au début), mais c'est vraiment pour ne pas dire grand ouvert...
Annie(avis transmis)
J'avais comme beaucoup de gens entendu parler de Michel del Castillo mais je n'avais jamais rien lu de lui.
Je m'attends à un roman policier, mais je découvre qu'il s'agit davantage d'un roman sur des policiers, d'un thriller, car il y a bel et bien une tension psychologique qui s'installe Les premières pages me feraient presque tousser tant je m'imagine dans des bureaux mal éclairés et poussiéreux. L'ambiance est plutôt glauque et sombre. Le ton est donné !
Les phrases sont longues et bien écrites, mais je me dis que ça va manquer de rythme, mon cerveau comparant probablement avec les policiers actuels. Et puis petit à petit, on y est, on s'accroche, on veut savoir.
Savoir comment chacun va se sortir de sa situation, connaître cet Avelino Pared dont tout le monde parle et semble avoir peur. On devine que sous Franco il a fait des horreurs, qu'il a été mis à l'écart mais qu'il règne toujours. Pourquoi Larido a-t-il été envoyé là-bas ? Que cache-t-il ? Rien n'est tout blanc ou tout noir chez eux ni chez chacun. C'est peut-être le message central qu'a voulu nous faire passer l'auteur...
Les allers-retours avec le passé ne sont pas toujours très clairs, mais indispensables à la compréhension. Tous les personnages sont bien décrits, avec cependant des notes un peu vieillottes qui n'ont plus cours de nos jours (et heureusement).
J'ai particulièrement aimé la 2e partie du livre. J'ai retenu comme un avertissement qui fait froid dans le dos ou un rappel des heures sombres de notre histoire collective : "faire en sorte que les hommes veuillent leur soumission, voilà l'idéal du vrai policier. Heureusement, nous approchons d'une ère où les hommes ne supporteront plus le fardeau de leur liberté, où ils ne pourront même plus désirer. L'heure de la police aura alors sonné [...] La paix enfin s'installera".
J'y ai vu là aussi que tout comme ses personnages de romans, l'auteur d'un livre n'est jamais tout blanc ou tout noir et que le lecteur peut se poser la question de ce qu'il veut dénoncer ou adouber. Un vrai jeu de passe-passe. J'ouvre aux ¾.
Marie-Thé
J'ouvre aux ¾ ce livre qui m'a entraînée dans un périple surprenant. J'y ai vu une représentation du mal, incarné par Avelino Pared, mais aussi par Santi quand il était un enfant. Le mal que font les enfants (p. 94-95). Si j'aime beaucoup le passage avec Angel, refusant l'ignorance, personnage lumineux avec cependant une part d'ombre, j'en retiens aussi ceci : "Je découvrais que la détention d'une information vous faisait le maître absolu d'un homme. (...) Ma vocation était née : j'entrerais dans la police." Acte fondateur pour Santi, qui lui, à la différence de Pared connaît les remords. "Notre complicité portait un nom : Angel Linares. De ce premier crime, tout le reste découlait"...
Par ailleurs, je me suis assez souvent demandé à la lecture de ce livre trouble et troublant, où se situait Santi par rapport à Pared : fasciné par un être redoutable ? "A votre rigueur, Don Avelino", ces mots prononcés lors de leur dernier repas m'interpellent. Ces deux personnages se ressemblent, mais Santi ne suit pas son chef dans son délire, retenant essentiellement ceci : "Par lui j'avais en effet découvert qu'aucun homme n'échappe au passé." J'ajouterai que je ne m'attendais vraiment pas au coup de théâtre final, retentissant au propre et au figuré. "Jusqu'au bout Don Avelino s'était joué de moi, menant la partie à sa guise. Par-delà la mort, il continuait de se moquer de moi." Et puis, ainsi qu'il est dit, la vérité n'est pas si simple, comprenne qui pourra... Je vois enfin, arrivée au dernier chapitre, Santi se moquant de lui-même, tombé dans une vie très banale.
Je complète mon chemin dans ce roman policier très espagnol, accaparant, déroutant, et souvent effarant, en précisant que j'ai été sensible à la beauté de l'écriture, par exemple dans les passages décrivant l'attachement viscéral à la terre, l'émotion éprouvée par Santi découvrant un père loyal et digne dans l'amitié, l'évocation de la maison de Sanguesa et de son passé : "A l'origine de cette vie énigmatique (...) coulait donc cette source empoisonnée."
La description des personnages, des lieux, des paysages, m'a fait penser à des tableaux, j'ai d'ailleurs aimé les allusions à Zurbaran, au Caravage, à la peinture florentine (Salamanque). D'autre part, je n'ai pas aimé que Cervantes, Machado ou Lorca soient sur le bureau de Pared.
Pour revenir au mal, à son origine, j'ai pensé à Michael Haneke : Le ruban blanc.
Je retiens encore les références à Caïin et Abel, et l'adhésion de Don Avelino à ceci : "Dieu lui-même renonce à empêcher le crime, s'inclinant devant la toute-puissance du Mal." Victor Hugo dans "La conscience" nous montre Caïn ne cessant de fuir jusqu'à : "L'œil était dans la tombe et regardait Caïn"
Point de "conscience" chez Pared et l'œil est le sien, l'œil auquel rien n'échappe. Sous l'œil de la police, "la paix enfin s'installera". La nuit du décret a son inquisiteur, son exterminateur, en la personne de ce Don Avelino, et je découvre, effarée, un passage terrifiant de l'histoire espagnole, que je connaissais, mais pas si bien que ça... Guerre fratricide dans la grande et dans la petite histoire... Avec son lot de soupçons, de trahisons, de lâcheté, de cruauté, de tromperies par le langage : il est question de conflit et non de guerre, un disparu est "tué par l'époque", etc.
J'ai trouvé très dérangeant le regard mortifère que porte Pared sur Concha, sur Amelia son épouse, êtres difformes dont "la tête ne renferme pas la plus petite idée (...) C'est sur une humanité composée d'Amelias que la police pourra enfin établir son règne." Don Avelino de toutes façons me répugne avec ses "effusions suspectes" près de Santi.
À noter encore propos misogynes, critique de l'homosexualité au passage : "le seul héros de la corporation"...
Voici un livre qui m'a accaparée de la première à la dernière page, c'est rare.
Une atmosphère oppressante très bien rendue m'empêche cependant de l'ouvrir en entier.
Cindy
Mon avis revu aux ¾ et non plus à ½ après la séance...
J'ai bien aimé le choix de ce roman de Michel del Castillo avec le souvenir d'en avoir entendu parler à l'époque, avec éloges et merci à Voix au chapitre de m'avoir donné l'occasion de le découvrir aujourd'hui.
Le titre m'évoquait une histoire sous la forme d'une enquête et en effet, dès les premières pages, on plonge dans un polar, dans le cadre d'une brigade criminelle.
Dès le début, il est évident que les relations entre les personnages seront rudes et, en même temps, il y a de la sensibilité chez le narrateur Larido, et l'on va s'attacher à lui dans son cheminement de savoir "quel homme suis-je donc" (p. 133)
Le ton est donné grâce aux dialogues sulfureux, aux personnages pittoresques avec leurs caractères et leurs physiques. Tout cela offre une mise en scène, un cadre théâtral, pour élucider une énigme autour d'un personnage clé du roman : "j'eus beau chercher pourtant le dossier ne contenait rien concernant Pared. Du coup le trait tiré par le scribe suggérait chez ce personnage anonyme l'existence d'un secret, d'une énigme à élucider" (p. 23).
C'est une belle écriture limpide, littéraire et descriptive. C'est un polar littéraire avec des phrases d'une élégance simplicité et crue parfois.
On rentre dans l'Histoire de plusieurs histoires en lien avec les différents régimes espagnols et des guerres "dans une Espagne de silence, des couvents, de la pauvreté cachée sous les oripeaux de la dignité" (p. 155).
Une fois l'atmosphère bien restituée de villages de Catalogne, avec ce cadre policier et le choix des noms, tout annonce "que la vie n'est pas une plaisanterie" (p. 72) et cela sous-tend que les deux protagonistes inspecteurs s'affronteront à travers leur terribles et douloureux vécus sombres et secrets. On comprend assez vite ou nous mènera l'enquête du narrateur.
La réussite du texte de del Castillo est de nous procurer une fascination et une recherche de vérité, grâce aux nombreux dialogues qui apportent un rythme dynamique.
Il y a du cynisme, de la moquerie, de la lâcheté : "comment un homme courageux pourrait-il comprendre un lâche ?" (p. 218) ; "mon ami a toujours été un policier triste" (p. 75) ; "le soupçon désormais aiguisait mon regard. Je savais que les apparences peuvent mentir et que sous l'ordre le plus accompli des ombres glissent menaçantes" (p. 85). Le récit est aussi philosophique à travers les observations réflexions des personnages : "les évènements ne font pas les caractères ils les dévoilent" (p. 245).
C'est l'histoire d'un homme blessé rejeté construit par des actes dont il ne pourra jamais s'échapper. Son destin sera lié par ça. Et le hasard qui n'en est pas le conduira vers un être abominable une sorte de bourreau qui le délivrera : "je n'avais fait que cheminer vers lui (...) enfin je me sentais délivré, dépouillé de tout, plus libre que je ne l'avais été" (p. 355)
Chaque personnage rencontré, interrogé, le mettra sur des pistes. Des retours en arrières expliqueront son mal être (comme à la p. 85 la rupture avec le père et p. 89 avec des plaidoyers enflammés) ; "l'harmonie que mon père avait détruite en me révélant sa trahison et sa désertion. Je la rétablirais en la fondant sur le soupçon universel. (…) le savais désormais : tout homme est coupable chacun cache un secret de honte" (p. 107) ; "pour qui sait lire un fichier contient les décrets fixant les destinées. Nul hasard. Une rigueur toutes mathématiques (…) Je partageais sa culpabilité ou sa folie (…) excluant avec une inexorable lucidité le remords et le repentir, ces fuites piteuses" (p. 355)
La fin est "théâtrale" brutale, bouleversante mais elle représente une libération. Elle est aussi romanesque et j'ai été touchée.
Michel del Castillo me laisse un superbe souvenir de lecture car cet homme est vraiment un grand maitre des mots rares, descriptifs, de dialogues succulents et pittoresques. Merci pour ce plaisir de lecture enrichissant.
Toute l'œuvre romanesque de Michel del Castillo brasse destinées individuelles et collectives, drames intimes et historiques en éclairant le présent à la lumière du passé. Chez cet écrivain né de père français et de mère espagnole en 1933 à Madrid, les fantômes et les déchirures de la guerre civile ont irrigué bien des romans.
Soaz
La nuit du Décret, ultime nuit de Dieu. Au nom de Dieu, tous les agissements sont-ils possibles ?
Cette enquête se déroulant en Espagne avant, pendant, après Franco - gouvernement qui annihile le raisonnement, les revendications, la liberté d'une population manipulée par l'oppression -, Don Avelino policier est la main de ce pouvoir.
Son futur collègue, fasciné par cet homme, décortique cette vie de manière obsessionnelle, il rentre dans une spirale infernale, au détriment de la sienne.
Histoire d'un homme haïssable, séducteur, avec des capacités de manipulation psychologique hors norme, pouvant être soit compréhensif, empathique, calculateur, violent, machiavélique, le but étant d'obtenir des résultats.
Cette histoire, menée comme une enquête policière, m'a tenue en haleine jusqu'au dernier mot.
Quel dénouement, la manipulation poussée à son extrême, quel jeu, tout étant calculé depuis le début... l'utilisation de Laredo pour arriver à sa fin.
"Caché dans l'ombre je tirerais les ficelles de ces pantins" (p. 97)
LIVRE GRAND OUVERT.
Brigitte(avis transmis)
J'ouvre le livre en grand. Il me donne envie de découvrir d'autres romans de Michel Del Castillo.
Je ne l'ai pas lu comme un roman policier, mais comme une fiction entremêlée avec un témoignage, une réflexion sur les rapports humains en temps de guerre, sur la force du destin et des rencontres. J'ai aimé le récit à la fois lent et rythmé. Si on s'intéresse à la vie de Michel del Castillo, je me dis qu'il s'est inspiré de ce qu'il a vécu douloureusement avec ses parents sous Franco. Je pense que ce roman pourrait être lié à n'importe quelle dictature. Pour moi il est source de réflexion et pleinement d'actualité sur le plan mondial avec la montée des extrêmes.
J'ai aimé le mystère entretenu dès les premières pages sur un personnage anonyme, l'énigmatique Pared. Le narrateur, Santiago Larido, en arrive par ses rencontres et par les témoignages qu'il recueille à vouer à Pared une fascination qui monte crescendo et me donne envie de poursuivre ma lecture, je perçois un danger, une toile d'araignée indestructible se tisse. Je perçois un drame. À noter que l'auteur a gâté SL par ces rencontres où ses interlocuteurs se livrent facilement et sans pudeur… Mais quel est le lien qui unit ces deux hommes se pose rapidement lors de la lecture.
Le narrateur se plonge dans la vie de Pared pour découvrir ce qui se cache sous un passé scolaire et universitaire élogieux ; ce qui se cache derrière un être brillant, sage, pieux, poète. Quelles sont ces infimes craquelures qui tissent une trame décrite comme redoutable par des collègues ? Quels sont ses secrets qui attisent la curiosité du lecteur ? Pourquoi s'acharne-t-il à cultiver le mystère ? Ses collègues parlent de "maladie du secret". Pilar, sa femme lui dit avec un ton de répulsion "il est fou, ce type". Son collègue le prévient à son arrivée au commissariat de Huesca : "il fait partie des hommes à ne pas regarder de trop près."
Larido a lui aussi ses failles que l'auteur prend le temps de nous décrire. Ces failles le rendent étrange, avec des traits de perversité. Cela commence enfant avec Angel, son bel instituteur, qui entraîne les enfants pour des combats libérateurs. Enfant, le narrateur découvre la "puissance enivrante" de mener une enquête sur la pédophilie de ce dernier. Initiation à son futur métier…, dit-il, et initiation à développer une attitude perverse : il découvre un plaisir insatiable à disposer du sort de ses semblables. Le lien entre cette histoire et Pared reste en suspens jusqu'à la fin du livre.
Quel lien avec le titre ? La nuit du décret : "la Nuit de l'ultime Révélation, qui précède le Jour de l'Éternité". Pared est un homme qui ne doute de rien. Dans ses interrogatoires sous la dictature de Franco, il agit non comme un policier mais comme s'il officiait dans un rite religieux. "Il célébrait la cérémonie de l'Inquisition, ressuscitée à la faveur de la guerre". Qu'est-ce que la vie pour lui ?
J'ai relevé des phrases…, je ne dis pas que j'adhère mais je trouve que tout un chacun peut y réfléchir :
-"si la vie était une plaisanterie il ne resterait d'autre issue que le suicide."
-"Il faut lire avec l'esprit non avec les yeux"
- "tout homme est coupable ; chacun cache un secret de honte".
- "Dans notre monde..., notre conscience s'endort dans le confort".
"Les patrons n'enseignent pas la loi, ils se contentent de la faire".


DES INFOS AUTOUR DU LIVRE
Repères biographiques
Livres de Michel del Castillo
Interviews

REPÈRES BIOGRAPHIQUES

• De sa naissance à la publication de son premier livre à 24 ans

- 1933 : naissance à Madrid en 1933 ; le père
français, ingénieur ; la mère espagnoleoriginaire de Murcie, journaliste républicaine a déjà deux fils d'un autre mariage ; la grand-mère avec qui l'enfant vivra aussi est franquiste.
- 1935 : le père quitte femme et enfant deux ans après sa naissance, r
ejoint la France et ne s'occupe plus de son jeune fils.
- 1936 : Michel a trois ans, la guerre civile se déclare, c'est la faim, le froid, le bruit des combats à Madrid.
-
de 1936 à 1937 : sa mère, très engagée politiquement, proche du parti républicain de Manuel Azaña, est emprisonnée par ces mêmes républicains pour s’être inquiétée du sort des prisonniers politiques. Durant son emprisonnement, Michel lui rend visite accompagné de sa grand-mère ; elle sera plus tard condamnée à mort par les franquistes.
-
1939 : la mère fuit avec son fils l'avancée franquiste jusqu'en Auvergne, via Marseille et il se réfugient en France ; le père les aide un peu financièrement sans pour autant renouer avec son épouse.
-
1940 : durant la Seconde Guerre mondiale, alors qu'elle réclame de l'argent à son mari, celui-ci la dénonce aux autorités pour qu’elle ne porte pas préjudice à sa carrière à Michelin à Clermont-Ferrand : elle est internée au camp de Rieucros à Mende, tandis que son fils Michel est en sécurité chez des paysans du Puy-de-Dôme. Pourtant sa mère l'arrache à ce havre et le fait venir à ses côtés, sachant qu'en agissant ainsi elle met la vie de l'enfant en péril. Ce camp de réfugiés politiques est une des épreuves que l'écrivain décrira notamment dans son roman Tanguy. Cependant, il gardera une certaine attache pour la ville de Mende, où une école porte son nom. ("J'écrivais déjà dans mon enfance, au camp de Rieucros, près de Mende : mes historiettes eurent même l'honneur d'un affichage au tableau de la baraque n° 5, celle des Espagnoles, avec des aquarelles, faites par une communiste allemande").
Del Castillo témoignera dans le film de Rolande Trempe et Claude Aubach, Camps de femmes, de 1994, qu'on peut visionner ici sur Canal U.
-
1941 : la mère s'évade du camp.
- 1942 : au terme d'un marché sur lequel del Castillo garde le secret, sa mère obtient sa propre libération tandis que
Michel est envoyé en Allemagne : il baissera son pantalon pour montrer qu'il n'est pas juif, voyagera dans le wagon des enfants : "Je me suis retrouvé otage de guerre, un parmi d'autres, les jours se sont ajoutés aux jours d'errance, de Stuttgart à Berlin, puis, au fur et à mesure de l'avancée russe, ce furent d'autres déplacements. Ce n'était pas l'horreur absolue d'un camp d'extermination mais l'effroyable banalité d'une guerre."
- 1945 : il rentre en Espagne ; livré à lui-même, il est pris en charge par les autorités barcelonaises et conduit en tant que "fils de rouge" à l’Asilo Durán. Il passe trois ans et demi dans ce véritable bagne : travail dans des ateliers très durs, faim, violence et sexualité...
- 1949 : il s'en échappe. Quelques mois plus tard, il est accueilli dans une école de Jésuites à Úbeda, en Andalousie, où il est bien traité et et peut étudier ;
avec le père Mariano Prados, il découvre la littérature et notamment Dostoïevski.
-
1950 : son père ne répond pas à ses lettres désespérées ; il devient ouvrier dans une cimenterie au sud de Barcelone ; il a 17 ans.
- 1953 : il franchit clandestinement la frontière avec la France et retrouve son père, avec qui il vivra huit mois.
- 1954 : il trouve refuge à Paris auprès de son oncle Stéphane et sa tante Rita, allemande,
qui seront pour lui des parents chers, acceptant de plus son homosexualité ; il passe les deux bacs et il entame des études de sciences politiques et droit, puis il obtient une licence de lettres à la Sorbonne et de psycho-pathologie à Sainte-Anne. Il raconte qu'il veillera à ce que sa tante ne manque de rien, jusqu'à sa mort - elle mourra chez lui.
- 1955 : il retrouve sa mère qu'il n'avait pas revue depuis l'âge de 9 ans.

- 1957 : Tanguy est publié aux éditions René Julliard ; l’auteur a 24 ans à peine ;
François Le Grix, chez Julliard, l'aura, en mentor, aidé à peaufiner le livre.
- 1995 : le père, âgé de 87 ans, demande prise en charge médicale et pension alimentaire à son fils dont il se sera occupé 39 mois.

• Carrière littéraire

-  S
on premier roman, Tanguy, remporte un grand succès.
- Ses romans ultérieurs recevront de nombreux prix, dont le Renaudot pour
La Nuit du décret (1981) et le prix Femina de l'essai pour Colette, une certaine France (1999).
- En 1975, pour Antenne 2, il produit une série télévisée, La Saga des Français, qui retrace un panorama de la société française en 13 tableaux.
- Outre des romans, il publie des essais et écrit des pièces de théâtre.
- En 1997, il est élu membre de l'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, succédant à l'historien Georges Duby. Voir le beau discours de réception de l'écrivain Pierre Mertens parcourant l'œuvre de del Castillo.
- En
2016, il reçoit le Grand Prix de l'Académie française pour l'ensemble de son œuvre.

Par ailleurs :
- il
est membre du comité d'honneur de l'Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD).
- Il est ouvertement homosexuel.
- Il vit à La Calmette, dans une belle maison située à une dizaine de kilomètres de Nîmes.

- Il a acquis la nationalité espagnole et a donc deux passeports.

LIVRES de Michel del Castillo

Ses romans ont été publiés dans diverses maisons d'édition : chez Julliard, qui maintenant n'existe plus, chez Fayard, au Seuil, chez Stock, chez Plon, chez Gallimard, en poche, aux éditions Points, en Folio, au Livre de poche, en Pocket.
Les livres sont présentés
sur book note et sur le site de la Bnf.

• Les romans et récits

- 1957 : Tanguy : histoire d'un enfant d'aujourd'hui, Julliard ; Folio. En Espagne, le livre fait scandale, explique Amélie Nuq dans “L’affaire Michel del Castillo", une campagne de protestation contre les maisons de redressement espagnoles (1957-1959)”, Revue d’histoire de l’enfance "irrégulière", n° 13, 2011
- 1958 : La Guitare, Julliard ; Seuil, 1984 ; Points
- 1959 : La mort de Tristan, Julliard
- 1959 : Le Colleur d'affiches, Julliard ; Seuil, 1985 ; Points
- 1960 : Le Manège espagnol, Julliard ; Points
- 1962 : Tara, Julliard ; Points
Sa mère a une réaction très violente.
- 1965 : Les Aveux interdits : Le Faiseur de rêves, René Julliard
- 1966 : Les Aveux interdits : Les Premières Illusions, René Julliard
- 1967 : Gerardo Laïn, Christian Bourgois, 1967 ; Seuil ; Livre de poche ; Points
- 1972 : Le Vent de la nuit, Julliard - prix des libraires et prix des Deux Magots ; Seuil 1985 ; Points
- 1975 : Le Silence des pierres, René Julliard - prix Chateaubriand ; Points
- 1977 : Le Sortilège espagnol : les officiants de la mort, René Julliard ; Folio
- 1979 : Les cyprès meurent en Italie, Julliard ; Points
- 1981 : La Nuit du décret, Seuil - prix Renaudot ; Points.
À la veille de la remise du Goncourt (à l'époque très Galligrasseuil), François Nourissier, auteur Grasset, a,  raconte Le Monde, "descendu en flammes" dans le Figaro-Magazine le livre de Michel Del Castillo, publié au Seuil, et considéré jusqu'alors comme le grand favori. Heureusement, le jury Renaudot était là pour repêcher Michel Del Castillo... on peut voir aussi la perplexité de Michel Tournier, juré, dans Le Figaro...
Voir la critique du Monde (avant la remise du prix) : "Michel del Castillo et ses deux 'flics' : la tendresse sous la cruauté" par Paul Morelle (Le Monde, 23 octobre 1981) et celle de l'écrivaine Françoise Xénakis dans Le Matin de Paris ("Michel del Castillo : un enfant qui sait à jamais l'horreur du monde"
, 25 septembre 1981)
- 1984 : La Gloire de Dina, Seuil ; Points
- 1985 : La Halte et le Chemin, Bayard
- 1987 : Le Démon de l'oubli, Seuil ; Points
- 1989 : Mort d'un poète, Mercure de France ; Folio
- 1991 : Une femme en soi, Seuil - prix du Levant
- 1993 : Le Crime des pères, Seuil - grand prix RTL-Lire ; Points
- 1994 : Rue des Archives, Gallimard
- prix Maurice-Genevoix ; Folio
- 1997 : La Tunique d'infamie, Fayard
- 1998 : De père français, Fayard ; Folio
- 2001 : Les Étoiles froides, Stock, tome 1 de sa trilogie ; Folio
- 2003 : Les Portes du sang, Seuil, tome 2 de sa trilogie
- 2006 : La Religieuse de Madrigal, Fayard ; Points
- 2007 : La Vie mentie, Fayard - prix des écrivains croyants ; Livre de poche
- 2010 : Mamita, Fayard ; Livre de poche
- 2018 : L'Expulsion : 1609-1610, Fayard

• Non-fiction

- 1969 : Attitudes espagnoles, photos de Richard de Combray, Julliard
- 1970 : Écrous de la haine : vous avez tué Gabrielle Russier, Julliard : livre saisi et interdit en juillet 1970 (voir Le Monde du 9 juillet 1970 et Le Monde du 10 juillet 1970)
- 1980 : Les Louves de l'Escurial : la volupté de la mort, une Espagne hallucinée, Perrin
- 1985 : La Halte et le chemin, éd. du Centurion
- 1986 : Séville, Autrement, coll. L'Europe des villes rêvées
- 1991 : Andalousie, Seuil ; Points
- 1993 : Carlos Pradal, collab. Yves Belaubre, éd. Loubatières
- 1995 : Mon frère l'Idiot, Fayard - prix de l'écrit intime ; Folio
- 1999 : Colette, une certaine France, Stock - prix Femina essai ; éd. Cendres ; Folio
- 2000 : L'Adieu au siècle - journal de l'année 1999, Seuil ; Points. Extrait : “Je me suis également rappelé mes rendez-vous avec Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir (…) dans les années 60. Nous allions manger la Palette ou à la Coupole (…) Les serveurs déroulaient un paravent qui nous cachaient de la salle et à peine installés dans notre coin, Sartre allumait sa cigarette avant de me raconter l’Espagne, qu’il connaissait mal, d’analyser le franquisme, qu’il n’avait pas vécu.

- 2000 : Droit d'auteur, Stock
- 2002 : Colette en voyage, éd. des Cendres : fac-similés des autographes (lettres et cartes postales) adressés par Colette à Sido, à ses frères, à Missy, à ses maris... lors de ses nombreux voyages en France et à l'étranger, accompagnés d'un texte de Michel del Castillo présentant le contexte de leur rédaction. Publié à l'occasion de l'exposition tenue au Musée de la poste à Paris, de mai à août 2002.
- 2004 : Sortie des artistes : de l'Art à la Culture, chronique d'une chute annoncée, Seuil
- 2005 : Dictionnaire amoureux de l'Espagne, Plon - prix Méditerranée
- 2008 : Le Temps de Franco, Fayard ; Livre de poche
- 2015 : Goya : l'énergie du néant, Fayard ; Points

• Théâtre

- 1967 : dans l’adaptation du Mur, la nouvelle de Jean-Paul Sartre réalisée par Serge Roullet, il incarne le rôle de Pablo.
- 2002 : Une répétition, pièce consacrée à Jean Sénac, mise en scène d’Armel Veilhan. La pièce est publiée sous le titre Algérie, l'extase et le sang (Stock, 2002) : le livre évoque l’itinéraire singulier de Jean Sénac, assassiné en 1973 à Alger, à travers les réflexions de trois personnages attelés à un spectacle autour de la figure du poète algérien.
- 2003 : Le Jour du destin, L'Avant-scène théâtre, collection des Quatre-Vents, adaptation du roman La nuit du décret.
- 2005 : La Mémoire de Grenade, lue par le comédien François Marthouret dans le cadre du Festival des Lettres d’Automne à Montauban.

INTERVIEWS

• À écouter et regarder

- Comme il vous plaira, RTS (Radio Télévision Suisse), 1er novembre 2015, 1h 56.
- Le bon plaisir de Michel del Castillo, par Christian Giudicelli, France Culture, 17 novembre 1984, rediffusé dans Les Nuits de France Culture de Philippe Garbit, 21 février 2015, 3h 29.
- Une biographie rapide par Catherine Gueguen, suivie d'une interview, sur youtube, 6 novembre 2020, 14 min.
- Vidéo au sujet du roman Mamita que Del Castillo présente, Librairie Mollard, 20 septembre 2010, 2 min 20.

Voici maintenant des extraits d'interviews de Michel Castillo dans la presse écrite sur le mal, sur les camps, sur sa mère, les femmes, la psychanalyse, les livres, le style...

Sur le mal

Oui, tout mon univers romanesque est hanté par le mal. Sans doute l'ai-je connu trop tôt. J'avais neuf ans lorsque nous avons été arrêtés en 1942. Le gouvernement de Vichy nous avait internés : nous avons été ensuite transférés en Allemagne, dans un camp de concentration. Il y avait vingt-cinq mille petits Espagnols à Mauthausen. J'ai connu l'horreur absolue à un âge où l'on essaie généralement de préserver la sensibilité des enfants. On ne guérit jamais de son enfance. La mienne m'a marqué pour toujours.

N'y a-t-il pas une indulgence pour le mal dans votre livre ?

Mon premier mouvement a été une condamnation absolue, aveugle du mal, dont le mufle de bête n'est jamais loin d'apparaître sous le vernis de la civilisation. Je ne cherchais même pas à entrer dans les raisons qui avaient poussé les nazis à torturer ainsi d'autres hommes. Puis je me suis posé d'autres questions. Je me suis dit qu'un vent de folie peut parfois souffler sur un être ou sur une collectivité et les déformer profondément. Je crois maintenant que personne n'est à l'abri de la contagion. (Le Monde, 6 octobre 1962)

Dans le camp de Rieucros

Mon souvenir le plus fort, c'est l'obscurité. Enfant, cela vous terrifie. Il devait y avoir une ou deux ampoules de 25 watts pour toute la baraque. On arrivait au bout du monde, on ne savait plus où on était et, dans ce magma de femmes espagnoles dépenaillées, j'étais une crevure qui allait de pneumonie en pneumonie. Je ne bougeais plus, collé contre ma mère, je lisais des partitions de musique. Le froid, la faim, bien sûr, inutile d'en parler. J'allais surtout dans la baraque des Allemandes, les Espagnoles n'arrêtaient pas de se hurler dessus. L'enfermement concentre des gens qui n'ont rien en commun, socialement, politiquement. Ma mère est arrivée avec un beau manteau, très maquillée, on l'a regardée méchamment. Des femmes seules, confinées, sans contact avec les hommes, ne restent pas longtemps gentilles. Mais, chez les Allemandes, tout était propre, c'était des communistes cultivées, qui lisaient, écrivaient, dessinaient, me racontaient des histoires. J'avais besoin d'une loi, elles avaient cette discipline qui leur avait permis de tenir en Allemagne.
On avait été chassés d'Espagne en 1939 et on m'avait dit que la France était un pays où l'on mange bien, où l'on est poli. Le plus triste pour moi, c'est que mon père, qui nous avait dénoncés, était français. Je trouvais ça scandaleux, je n'arrêtais pas de répéter : je ne suis pas espagnol.
C'est à Rieucros que j'ai commencé à écrire. Des petits contes. L'un d'eux parlait d'un des sept nains qui avait très froid dans une baraque... Ils ont été affichés à l'exposition organisée à Mende par le maire : il était furieux contre ce camp, dont les habitants croyaient au départ qu'il ne renfermait que des droits communs et, pour les obliger à prendre en compte les détenues, il avait exposé des objets qu'elles avaient fabriqués. Certaines prisonnières sont venues à Mende, les Français les regardaient, ils étaient gentils, ils essayaient de comprendre. Le dimanche, ils venaient se promener autour du camp, le vallon de Rieucros ayant toujours été un lieu de villégiature. Certaines détenues se livraient à la prostitution, derrière le camp.
Ces camps furent très représentatifs du merdier français. Cela aurait pu être bien pire : on aurait pu être livré, battu, tué. Moi-même, je pouvais aller à l'école à Mende. On pataugeait dans l'improvisation, on nous laissait avoir froid, avoir faim, un climat étrange où se mêlaient la débâcle, la peur de l'étranger et une gentillesse foncière. Quelque chose de bizarre, d'un peu merdique.
("Ces camps furent très représentatifs du merdier français", Michel del Castillo, Le Point, 4 novembre 2010)

Trois années en Allemagne

J'en parlerai probablement un jour plus longuement. Ça a été une chute très insensible. Je ne comprenais pas bien pourquoi j'avais échoué là. J'avais 9 ans, je n'étais pas un déporté politique, je n'avais pas combattu, je n'étais pas juif. Je n'arrivais pas à avoir une vision claire des méchants et des bons. Je voyais tous ces Russes massacrés par les Allemands remplis de haine, et après, quand on nous a évacués de camp en camp au fur et à mesure de l'avancée russe, j'ai eu une grande pitié pour les enfants allemands que je voyais dans les gares. C'était l'apocalypse. Rien n'était simple. À Berlin, c'était terrifiant, les bombes pleuvaient, j'étais terrorisé, je vivais plaqué au sol. (Lire, 1er octobre 1995).

La mère de Michel del Castillo

Jusqu’en 1935, elle a eu une jeunesse dorée. Elle vivait dans un tumulte à la Fitzgerald : les amants, les maris, tous valsaient dans sa vie avec une liberté incroyable. En même temps, sa très grande beauté et son immense fortune l’ont rendue très tôt doublement vulnérable. On ne l’a pas vendue, mais enfin son premier mariage à l’âge de quinze ans et demi y ressemblait fort. Sa vie était faite de nœuds. Elle était trop libre pour son époque. Par exemple, c’était une excellente pianiste, elle aurait pu faire une grande carrière de concertiste et pourtant elle n’en a rien fait car elle papillonnait. Elle ne travaillait pas assez et avait une vie trop décousue. Quand j’ai fait mon travail de recherches, je suis allé voir deux de ses professeurs à Paris et ils m’ont confirmé son talent.

Que vous a-t-elle transmis ?

Une éducation. Aujourd’hui, cela peut paraître ridicule, mais élevée par les sœurs, elle avait l’allure et les gestes d’une très grande dame, et possédait cette politesse des gens très bien élevés. Elle m’a notamment inculqué son respect pour les gens qui travaillent. Si je parlais mal à un serveur, elle m’envoyait lui présenter des excuses. Elle était impitoyable. Et en même temps, elle ne voyait même pas sa propre famille, elle se regardait tous les matins dans le miroir, je n’existais pas. Sa grande générosité financière allait de pair avec son horreur de la pauvreté. Elle pouvait donner des sommes astronomiques à des clochards dans la rue. Elle a aussi vécu une page très noire de l’histoire espagnole... Quand la guerre éclate et que s’installe alors à Madrid une terreur effroyable, elle est emprisonnée avec des milliers de gens. Elle meurt de trouille et elle est obligée de donner des gages aux communistes. Elle passe alors de l’autre côté. Or ses amis, son mari sont tous des franquistes convaincus. Et tout le monde est persuadé qu’elle est des leurs. C’est un milieu de droite ! Le jour où la vérité éclate, c’est un énorme scandale : non seulement, elle a abandonné ses enfants, mais elle a aussi trahi son camp et défendu les rouges. Il ne lui reste plus que l’exil. En fait, elle était journaliste non pas communiste, encore moins anarchiste, mais plutôt radicale de gauche. Elle soutenait les républicains car ils défendaient la loi sur le divorce... elle était logique avec elle-même ! Elle a été jusqu’à entamer un procès à Rome pour viol afin de faire annuler son premier mariage !

Vous êtes le seul de ses enfants qu’elle emmène avec elle en exil...

Je pouvais lui être utile afin d’amadouer mon père qui était déjà en France. Mais lorsqu’elle arrive devant lui, il n’est pas dupe, il est au courant de ses frasques à Madrid et sort les papiers qui prouvent le remariage de ma mère avec un lieutenant d’une brigade internationale.
Pour elle qui n’a jamais compris que l’on pouvait lui résister, c’est un effondrement. Tout à coup, elle s’est retrouvée sans argent. Elle a appris à écrire des articles et pondu deux romans exécrables. Elle avait des idées excentriques jusque dans la politique, prônant par exemple que toutes les femmes devraient porter des manteaux de vison. Mon père avait proposé de me placer dans une pension. Elle a refusé tout en lui demandant l’intégralité de ma pension alimentaire jusqu’à ma majorité. Elle dépensera tout en deux mois ! Exaspéré, mon père commet un acte irréparable : il la dénonce à la police. Nous sommes alors internés dans un camp de concentration. D’où elle s’évadera seule. Je ne la reverrai plus avant l’âge de 20 ans.

Et votre père ?

Je l’ai revu en 1953 quand j’ai réussi à revenir en France. Mais je le détestais trop. Son milieu, cette grande bourgeoisie hypocrite, m’exaspérait aussi. (L'Orient littéraire, avril 2020).

Sur la psychanalyse

Je suis très marqué par la psychanalyse. Elle a contribué à me guérir, car j'ai frôlé la névrose. J'ai appris à accepter le passé, et mon œuvre me sert de soupape. Au fond, l'écrivain est un malade : il n'y a pas de quoi se vanter. Écrire, c'est un moyen de ne pas étouffer, de ne pas mourir. Je ne crois qu'au livre qu'on écrit avec son sang. C'est pourquoi j'ai une horreur profonde du byzantinisme intellectuel. (Le Monde, 6 octobre 1962)

La liberté et en particulier des femmes

Aujourd'hui en 2023, l'avortement est en péril aux USA, il est question de l'intégrer pour protéger ce droit dans la Constitution française. En 1995, il y a presque 30 ans, Del Castillo, dénonçait :

cette pression de plus en plus sournoise contre les libertés individuelles, l'avortement. J'ai pour vieux réflexe de regarder la condition féminine, car c'est là que se jauge finalement l'état d'une société. Dans les années 60, la liberté sexuelle a commencé par les femmes, la pilule, puis toutes les minorités sexuelles ont été libérées. (Lire, 1er octobre 1995)

• Sur les livres

Grâce à sa mère, Michel Del Castillo avait déjà beaucoup lu dans son enfance : Les Contes des mille et une nuits, de Grimm, Dumas, Balzac, et ce avant 10 ans...

"Il y a des livres qui vous convertissent. Cette fonction quasi religieuse, Dostoïevski l'a jouée pour moi ; cette notion religieuse de l'art, c'est lui qui me l'a apprise", explique-t-il. Et c'est en lisant Dumas qu'il a une illumination - pour reprendre le terme de Rimbaud, auquel il voue un véritable culte, tout comme à Lorca : "Milady, c'était elle. C'était ma mère. Cette menteuse, cette séductrice. À partir de cette découverte, j'ai eu moins peur. Parce qu'elle devenait un objet esthétique, je pouvais l'aimer littérairement. Je la retirais de la psychologie pour l'installer dans l'esthétique. La retrancher de la réalité la rendait moins dangereuse." (Le Monde, Emilie Grangeray, 16 mai 2003 ; voir aussi après sa publication sur Dostoïevski en 1995 (Mon frère l'Idiot) l'interview de Marianne Payot sur les lectures de Michel del Castillo, Lire, 1er octobre 1995).

Pas de trace dans vos livres des recherches où s'applique le nouveau roman ?

Chaque écrivain est d'abord un tempérament. Il trouve instinctivement la forme qui lui convient le mieux. Le problème de la technique m'a toujours semblé un faux prétexte. Nathalie Sarraute et Claude Simon, qui sont, eux, de véritables écrivains, ont trouvé le ton le plus juste pour traduire leur sensibilité. C'est un accord, non un choix délibéré. Toute œuvre d'art est la découverte d'une intonation. (Le Monde, 6 octobre 1962) :

À propos d'un livre lu à Voix au chapitre, Proust contre la déchéance :

Cure de désintoxication polonaise, toujours, avec la lecture de Proust contre la déchéance, de Joseph Czapski (chez le même éditeur que Bobkowski). Il arrive que la littérature sauve de la déchéance, et ce fut aussi le cas pour moi. Ce livre magnifique parle certes de Proust, mais, dans la déréliction d'un camp soviétique, il parle plus encore de ce qui fonde l'humanité: l'art, quand il se dresse contre la mort. (Libération, 29 avril 2000)

Le style

On confond le style avec le bien-écrire. Or le bien-écrire, c'est le normalisé, la langue canonique. Le style, c'est trouver une musique personnelle telle que le lecteur la reconnaît immédiatement. La voix de Céline, ce n'est pas seulement les points de suspension, c'est le triturage de l'argot, l'invention des néologismes. Le style de Gide, c'est le chant d'une pureté à la limite de la préciosité - j'appelle ça du remue-ménage de hanches. Dostoïevski, lui, a une voix populaire, petit-russien, très proche du langage parlé et de ce fait proche du genre feuilletonesque. Il a besoin de se mettre dans des situations d'urgence pour écrire, d'où le style catastrophique, haletant de celui qui écrit contre la mort. Il appartient à la catégorie des écrivains de la parole. A l'instar d'un Céline et de son désespoir absolu ou d'un Bernanos et de sa mystique. Il n'y a pas d'écrivains de la parole qui soient neutres. Vous n'imaginez pas Guy de Maupassant autrement qu'écrivant quelque chose de joli, qui soit bien mené, avec une conception esthétique mais sans métaphysique. Chez Dostoïevski comme chez Tolstoï ou comme chez Tchekhov, si vous enlevez la métaphysique il reste très peu de chose. (Lire, 1er octobre 1995)

Écrire en français

Mon hispanité est très profonde, il est indéniable que c'est sur l'Espagne que j'ai le plus réfléchi, que je suis allé le plus en profondeur, mais je sais que je suis incapable d'écrire un livre en espagnol. Je lis beaucoup dans cette langue, comme je lis en anglais ou en allemand. Cela va même plus loin. Quand j'ai lu Dostoïevski pour la première fois, c'était dans une traduction en espagnol, mais j'ai longtemps cru que je l'avais lu en français. Je sais comment j'ai pu faire cette confusion. Mon désir de France occultait tout. Mais c'était un désir qui se trompait sur lui-même : je n'avais pas encore les outils. J'ai retrouvé des lettres que j'écrivais quand j'avais vingt ans, j'écrivais franchement très mal. Quelqu'un m'a fait remarquer un jour que je n'avais pas aimé en Espagne. Pourquoi ? Je n'en sais rien, je n'ai aucune réponse. En Espagne, je suis considéré comme un hispano-français. Mais ils ont l'impression que j'ai un peu renoncé à quelque chose, que j'ai un peu trahi ("Michel del Castillo : la littérature comme salut", propos recueillis par Danièle Brisson, Le Magazine littéraire, n° 355, 1997)

Une note légère pour finir, sur l'Espagne

Quelle est la première chose que vous faites quand arrivez en Espagne ?

Dès le premier soir, je me remets aux tapas, vers sept ou huit heures, parce que je sais qu’on va dîner deux ou trois heures plus tard. Il vaut donc mieux manger un petit quelque chose en attendant. À Madrid, je vais autour de la place Santa Ana, là où il y a le Théâtre espagnol, l’hôtel Victoria. Dans ce quartier, les bars à tapas sont innombrables et noirs de monde. Je me suis toujours demandé comment font tous ces gens que l’on voit en permanence un verre à la main. Ils picolent avant et pendant le dîner, puis après, ils remettent ça en boîte… Et le lendemain matin, ils sont au boulot ! Madrid est vraiment une ville déjantée, très almodovarienne (rires) ! Donc, je prends la température, j’écoute les débats en cours, je repère les nouveaux endroits, car tout change tellement vite. Je flâne quoi, je m’abandonne au flux. On vit tout le temps dehors à Madrid.

Y a-t-il un autre pays où l’on vit autant le soir et la nuit ?

J’ai vécu à Rome, à Capri, à Naples. On y sort la nuit, mais cela ne donne pas la même impression d’agitation frénétique. À Madrid ou à Barcelone, on a le sentiment qu’il s’agit d’un impératif catégorique : il faut sortir ! On ne reste pas chez soi. On retrouve un petit peu ça à Naples qui a conservé quelque chose d’espagnol. (propos recueillis par Michel Doussot, Blogpasblog, 26 décembre 2011).

 


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