1948, année de sa mort

PREMIÈRE TRADUCTION :

Osamu DAZAÏ, Soleil couchant, trad. du japonais Gaston Renondeau et Hélène de Sarbois, L'imaginaire, 1987, 210 p.

Quatrième de couverture : "Quand j’eus fini de ranger le bois, je demandai à Mère de me donner un peu d’argent. J’en fis des petits paquets de cent yen, et, sur chaque paquet, j’écrivis ces mots : “Toutes mes excuses.”
J’allai d’abord à la mairie. Le maire était absent, aussi donnai-je le paquet à la secrétaire en disant :
— Ce que j’ai fait hier est impardonnable mais dorénavant je serai plus attentive. […]
Je me rendis ensuite chez le chef des pompiers. Lui-même vint m’ouvrir la porte. Il me fit un petit sourire triste, mais ne dit rien. Je ne sais pourquoi, je fondis en larmes."

Une femme de l’aristocratie nippone doit quitter pendant la guerre son hôtel particulier de Tokyo pour aller vivre modestement dans un petit chalet de montagne. Sa fille Kazudo, mobilisée, travaille la terre. Son fils, Naoji, revient de la guerre intoxiqué par la drogue. Tous font face à « cette période de transition morale » et clament leur révolte et leur désespoir.
Document de première importance sur l’effondrement d’une société, Soleil couchant est aussi — et c’est ce qui donne à l’œuvre son accent dramatique si personnel — un document sur un homme en qui l’on s’accorde à reconnaître l’un des plus grands écrivains de son pays.


L'imaginaire, 1967

Quatrième de couverture :
Une femme de l'aristocratie nippone doit quitter pendant la guerre son hôtel particulier de Tokyo pour aller vivre modestement dans un petit chalet de montagne. Sa fille, Kazuko, mobilisée, travaille la terre. Son fils, Naoji, revient de la guerre intoxiqué par la drogue. Le frère et la soeur se durcissent contre le malheur des temps et clament leur révolte et leur désespoir. Tels sont les "gens du Soleil couchant" (lancée par Osamu Dazaï, cette expression a fait fortune au Japon, au point de qualifier aujourd'hui, jusque dans les dictionnaires, les membres déchus de l'aristocratie). En dépit de leur vie inquiète et désordonnée, ils ont gardé les meilleures traditions de leur pays. À cet égard, le testament de Naoji éclaire de façon émouvante son attitude devant la vie et devant le Japon. Kazuko veut un enfant, et sa foi en la vie force la sympathie, en dépit de ses écarts de conduite, de tout le nihilisme de son comportement et de son langage. Elle et son amant sont les "victimes d'une période de transition morale". Document de première importance sur l'effondrement d'une société, Soleil couchant est aussi - et c'est ce qui donne à l'œuvre son accent dramatique si personnel - un document sur un homme en qui l'on s'accorde à reconnaître l'un des plus grands écrivains de son pays.


Soleil couchant, trad. Gaston Renondeau, Hélène de Sarbois, Gallimard,
coll. Du monde entier, 1961

Quatrième de couverture : Une femme de l'aristocratie nippone doit quitter pendant la guerre son hôtel particulier de Tokyo pour aller vivre modestement dans un petit châlet de montagne. Sa fille, Kazuko, mobilisée, travaille la terre. Son fils, Naoji, revient de la guerre intoxiqué par la drogue. Le frère et la sœur se durcissent contre le malheur des temps et clament leur révolte et leur désespoir.

NOUVELLE TRADUCTION :
Osamu Dazai
Soleil couchant, trad. Didier Chiche, Les Belles Lettres, 2017

Quatrième de couverture : "Seigneur et maître de la création :
l’homme prétend fièrement à ce titre, mais au fond, il semble que rien ne le différencie des autres vivants, n’est-ce pas ? Pourtant, Mère, il y a bien une chose, une seule. Vous ne la voyez peut-être pas. Une chose qui manque absolument aux animaux et qui n’existe que chez les hommes. C’est ce qu’on appelle le secret.
"

Osamu DAZAÏ (1909-1948)
Soleil couchant (1947)

Nous avons lu ce livre pour le 21 mars 2025.

Des infos ›en bas de page autour du livre :
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Quelques éléments historiques
Livres japonais lus dans le groupe

Nous avons la chance d'avoir avec nous Antoine,
qui après son master en japonais, a passé une dizaine d'années au Japon d'où il est rentré en 2017 à Paris. Mais il vient quand même d'y passer trois mois pour son travail et nous a rapporté délicieux saké et délicats taiyakis... Nous lui devons cette soirée : la découverte de cet auteur et les innombrables éclairages qu'il nous a donnés sur le Japon.

Nos 17 cotes d'amour
Antoine
Brigitte Claire DanièleEtienne
Fanny ManuelMonique L
Renée Rozenn
  
Catherine 
FrançoiseJacqueline Richard
Annick L
Jérémy  Sabine

Et un commentaire de
Monique S

Sabine(avis transmis)
Soleil couchant que j'ai lu de façon très fragmentée ne m'a pas laissé un souvenir impérissable. J'ai eu quelques flashs cinématographiques, mais rien d'assez forts pour que je m'immerge vraiment dans l'histoire. Compte tenu de la présence d'un lecteur "nipponisant", je m'abstiendrai de dire que ce petit roman m'a gonflée. Bon saké à tous !

Fanny(avis transmis)
Après hésitation en ayant lu les deux extraits envoyés par Claire, j'ai choisi la version des Belles Lettres qui me semblait plus fluide.
Je me suis assez rapidement laissé emporter par ce roman et j'ai été très touchée par le lien mère-fille.
J'ai également beaucoup aimé la construction narrative dans toute la première partie du livre lorsque la narratrice se remémore ses souvenirs. Je trouve que cela forme comme des boucles entre ses souvenirs et le moment présent, ces deux dimensions temporelles se juxtaposant parfois sans transition, comme si elles se faisaient l'une et l'autre écho dans le cheminement de ses pensées.
J'ai trouvé qu'il y avait de beaux passages, avec une belle écriture. Je serais curieuse d'entendre ce que cela rend avec l'autre traduction.
Par exemple chapitre 5 à propos des mains de sa mère "cette main-là n'était pas la sienne ! C'était celle d'une femme étrangère." et un peu plus loin "des événements précis revenaient à ma mémoire et mes pleurs se prolongeaient sans fin, et sans fruits".
Je serais curieuse de découvrir ce qu'il en est de la symbolique du serpent au Japon.
J'ai par ailleurs trouvé très intéressant le personnage du frère. À mes yeux insupportable sur la première partie du roman, il prend progressivement autre dimension, en lien avec son attachement à sa mère. Ses agissements se lisent d'une autre manière lorsque celle-ci tombe malade et meurt. Le personnage du frère prend un autre sens à la lecture de la lettre qu'il écrit avant son suicide (exemple chapitre 7 : "j'ai eu beau m'amuser, cela ne m'a jamais apporté la moindre joie")
Enfin sur un plan sociétal, j'ai trouvé intéressant le portait de décadence financière et morale de cette famille, d'autant que rien ni dans le fond ni dans la forme ne porte à poser un jugement moral sur les personnages de ce roman.
J'ouvre aux ¾ car il manque cependant un petit quelque chose que je n'arrive pas bien à nommer pour avoir été totalement transportée et ouvrir en grand. La lecture de vos avis me permettra peut-être d'y voir plus clair.
Annick L(avis transmis)
Je ne sais pas bien pourquoi ce livre m'est tombé des mains. Ce n'est pas seulement à cause du manque de repères sociaux-culturels qui m'auraient permis, très vite, de situer cette famille d'aristocrates en pleine décadence, à la fois matérielle mais aussi morale : entre le personnage de son frère, drogué et alcoolique, dans un état de profonde dépression autodestructrice, qui finira par se suicider, ou celui de la mère dont la lente agonie est décrite avec force détails, personnage qui incarne visiblement tout un monde en voie de disparition.
Le plus déroutant pour moi a été la forme choisie, celle d'une sorte de journal, incarné à la première personne par la voix d'une jeune femme, observatrice et actrice de ce drame. C'est très factuel, très descriptif, très plat, très monotone, jusqu'à la mort de la mère. Ensuite, sans doute parce qu'elle a perdu le fil de ce qui donnait encore du sens à sa vie, le récit devient désordonné avec de longs soliloques durant lesquels elle cherche des modèles qui pourront l'aider à se reconstruire. À partir de là, j'ai franchement décroché devant le brouillamini des références : du divin au marxisme révolutionnaire..., c'était trop !
La fin de cette histoire, autour du personnage caricatural et odieux de cet artiste dégénéré, a mis un terme à mes tentatives pour m'y intéresser. Ou bien cette jeune femme est totalement stupide ou bien c'est moi qui ne comprends rien à rien. Mais je ne recommanderai cette lecture à personne.
Je l'ouvre à ¼ pour la nostalgie qui s'en dégage.

Jacqueline(en direct)
J'ai commencé à lire ce livre dans l'édition des Belles Lettres. L'effet m'a désarçonnée. Je trouvais ça curieux ; trop japonais ? L'écriture était inattendue et cela m'intéressait. Pensant à une traduction maladroite, je suis allée voir
l'autre et je n'ai pas senti beaucoup de différences. Bref, un sentiment d'étrange dû au livre et pas à la traduction.
Je n'accrochais pas beaucoup avec cette narratrice, complètement dépendante, même si cela avait à voir avec le statut de la femme au Japon et dans son milieu. Et puis, alors qu'elle m'avait donné l'impression d'une très jeune fille, presque une ado, voilà qu'on lui découvrait tout un passé…
La mère est un très beau personnage, bien rendu dans sa fragilité et sa tenue face aux circonstances. Tous les personnages secondaires de femmes sont intéressants et bien rendus.
Le frère, Naoji, tient une grande place. Son personnage m'a beaucoup intéressée, mais pas tout à fait à la première lecture. Il m'a fait penser au David Segré de La Storia, ce juif dans l'Italie de la dernière guerre, révolutionnaire, anarchiste, en rupture avec sa classe et en décalage avec ceux qu'il voudrait convaincre, qui finit aussi alcoolique et drogué…
Je n'ouvre qu'à moitié, parce qu'a priori, le livre me résistait. Par contre, dans l'après-coup, il ne me laisse pas du tout indifférente et donne matière à réflexion.

Monique L
C'est une fin de règne décrite avec le raffinement traditionnel japonais. Tout y est raffinement : le ton, le maintien, la distance. Il s'y dégage une grande sensibilité. C'est le désespoir d'une civilisation en mutation qui reste subit le poids des traditions et c'est ce qui donne un côté universel à ce texte. Je le compare, en ce sens, aux grandes tragédies classiques. Ce qui m'a marquée, c'est que cette déchéance ne se limite pas à la perte des privilèges de cette aristocratie, mais à la dépréciation de leur raffinement culturel et de leur extrême sensibilité.
C'est un roman touchant où la quête de l'amour est très présente. Les personnages sont tous intéressants.
Je me suis laissé porter par les analyses que fait Kazuko de son quotidien et des présages qu'elle interprète (comme les serpents). C'est une femme attachante qui, malgré son jeune âge, se considère comme vieille, qui voudrait changer, voudrait être "révolutionnaire" de sa vie et décider de ce qu'elle veut. Elle fait face et croit encore en un avenir possible. J'ai eu du mal à croire à son histoire d'amour à sens unique.
La mère est décrite comme totalement dévouée à ses deux enfants, comme une personne digne, mais on sait peu d'elle si ce n'est qu'elle est très raffinée et a toujours été servie. La relation entre Kazuko et sa mère m'a émue. La bonté de ses deux femmes transpire à chaque page. J'ai été assez étonnée que ces femmes distinguées qui ont toujours été servies puissent se mettre aussi facilement au travail de la terre pour subvenir à leurs besoins. L'épisode du début d'incendie est un épisode marquant.
Je n'ai pas compris l'oncle. A-t-il été un profiteur ou non de la situation ? Naoji est décrit comme un fils indigne, opportuniste et opiomane, qui contracte des dettes contribuant à ruiner sa famille tout du moins un peu plus vite. Mais c'est un être plus contrasté que la guerre a transformé. Son retour, qui devait être une fête, est bien au contraire un accélérateur de la déchéance familiale. Il perd pied, dans cette société qui n'a plus de place pour lui. À la fin il se révèle être un être sensible et conscient de ce qu'il est. Sa lettre-testament est un texte magnifique et très émouvant. Ça a été une vraie surprise après la façon dont il s'est comporté avec sa mère et sa sœur. Il devient même attendrissant quand il demande à être enterré dans le kimono de sa mère.
Le style épistolaire de ce roman le rend plus efficace que ne l'aurait fait un récit plus classique. Tout est peint avec un soin particulier par petites touches.
J'ouvre aux ¾.
Renée
Ce court roman m'a beaucoup intéressée par le portrait de ces aristocrates ruinés, exactement comme le Japon après la guerre : destins parallèles.
L'écriture est très poétique, il y a de très belles images.
L'auteur insiste sur la culture des personnages sur la peinture (sont cités Monet, Renoir et Utrillo - je crois que c'est au Japon qu'il y a le plus grand nombre d'Utrillo), ainsi que sur la littérature.
Ils ont gardé l'allure, la façon de se mouvoir, de s'habiller, des aristocrates, à tel point que certains les croient étrangers. D'autres les méprisent un peu : princesse de... Madame de... je ne sais quoi...
La mère représente l'ancien régime : rien ne la touche que ses enfants. Le fils représente la déchéance : il rêvait d'écriture, mais sombre dans le désespoir, la dépravation, ne supportant pas la culpabilité d'être né aristocrate, sa seule issue est le suicide.
Ce n'est qu'en prenant son destin en main, et en agissant à l'inverse de son éducation, que Kasuko pourra sortir de la pente descendante sur laquelle elle se trouve. Kasuko assume sa situation. Elle se révolte en lisant des révolutionnaires et elle élèvera un bâtard ; elle est prête à travailler comme les gens du peuple.
Une phrase
(éd. Belles Lettres, p. 140) évoque le titre "Soleil couchant" : "Le couchant d’une vie. Le couchant de l’art. Le couchant de l’humanité." ... couchant du Japon ? Et ensuite ? La nuit ou la renaissance avec Kasuko et son bébé. Il semble chez Dasaï comme plus tard chez Mishima qu'il y ait une esthétisation de la dépravation, de la déchéance de soi, parallèlement à celle du Japon. En conséquence : désespoir et suicide sont les seules options.
J'ouvre aux ¾.
Manuel
Je complète mon avis après avoir terminé ma lecture, ce qui n'était pas tout à fait le cas lors de notre rencontre.
Il y a beaucoup de références que je n'ai pas, comme lorsqu'on regarde une estampe dont on ne comprend pas tout - le serpent par exemple : merci à Antoine qui nous a expliqué que le serpent est symbole de fertilité au Japon, ce qui apporte un éclairage à l'épisode des œufs.
J'ai apprécié le mélange de types de narration : épistolaire, narratif et poésie. Cela donne du rythme et des ruptures dans le récit. Je ne me suis pas ennuyé.
Le contexte historique m'a énormément intéressé. L'histoire se passe au sortir de la guerre. Le Japon est ruiné, la présence américaine est évoquée par des petits détails. Il en va de même pour cette famille, on la devine, par petites touches, déchue et ruinée, proche de l'empereur : ainsi, lors de la mort de la mère, sa coterie ne peut se rendre dans la montagne car ils seraient trop nombreux.
Les deux enfants appartiennent à une génération perdue ; leur portrait est éclairant : ils prennent deux chemins différents. L'un n'a pas renoncé à son statut d'aristocrate, ne s'est pas "mélangé" avec le peuple, tandis que l'autre décide d'avoir un enfant avec un roturier. Le fils possède des livres marxistes que la fille lit : elle est convaincue concernant la révolution et l'amour.
J'ai aimé les descriptions de la nature, c'est très beau les évocations de changements de saison à travers la végétation et la forêt.
La fille ne peut nier qu'elle vient de la ville malgré ses tentatives de s'intégrer (avec ses travaux aux champs) : elle manque de brûler sa propre maison !
L'auteur évoque aussi bien des références japonaises qu'occidentales en peinture ou la littérature. Les références à la religion chrétienne m'ont étonné. Je pensais que la religion chrétienne avait été éradiquée. Cela m'a rappelé le livre Silence que nous avions lu ; c'est étonnant pour l'aristocratie.
J'ouvre aux ¾. C'était un voyage. La mère est bien campée, j'ai beaucoup aimé l'épisode de sa mort qui m'a rappelé celle de la grand-mère dans Proust ; c'est la partie la plus émouvante du roman, de même que la lettre du frère. Un roman étrange, froid. Le voyage en vaut la peine.
Etienne
Mon avis rejoint celui de Fanny. J'ai beaucoup aimé cette lecture.
J'ai lu dans la première traduction, dont l'aspect désuet est finalement parallèle à la décrépitude de la noblesse.
Cette plongée dans le Japon d'après-guerre m'a beaucoup plu, avec cette noblesse déchue. Le serpent ah oui, je n'avais pas remarqué.
Je n'ai pas lu Mishima et cette esthétisation de la décadence qu'évoque Renée est surprenante, intéressante.
Le rapport à la mère est lui aussi très intéressant. On est tout de suite dans le vif du sujet.
Il y a de l'humour dont je ne sais pas s'il est au premier ou au second degré, notamment quand le frère devient alcoolique.
Pour apprécier davantage le livre, pour que je m'attache aux personnages, peut-être aurait-il fallu pour moi que le livre soit plus long : j'aurais aimé être au zénith pour apprécier la décadence. Il manquait quelques petites choses pour m'intéresser aux personnages. J'ouvre aux ¾.

Claire
Je crois que ce qui résume le mieux mes impressions est le mot ÉTONNEMENT...
D'abord, en main, un
objet-livre splendide, avec sa couverture légèrement glacée, son rabat délicat, qui incite à des gestes lents correspondant bien au titre de la collection "L'exception" des Belles Lettres ; et enfin des notes en bas de page, sans avoir à tournicoter...
Quelles étonnantes premières pages sur la mère pour ce chapitre qui se finit en boucle sur la cuillérée de soupe...
Après la Russie où nous sommes devenus experts en télègue et tarantass, j'ai aussi aimé faire du tourisme et aller du salon chinois à la pièce occidentale, imaginer les paravents, le papier fin, les panneaux coulissants... : comme lorsqu'on voyage, il y a ce qu'on voit et ce qu'on apprend, avec plein d'indices sur le contexte historique liés à la vie des personnages : la présence des Américains ("Pour la soupe de ce matin, j'avais pris des petits pois en conserve distribués par les Américains"), la noblesse finissante ("À l'heure qu'il est, appartenir à la famille impériale ou à la noblesse, ce n'est plus ce que c'était ; et pourtant, si cela doit périr, j'ose le dire : périssons en beauté."), les conséquences de la défaite du Japon ("depuis la défaite, nous avons perdu toute confiance envers ces aînés, et nous en sommes venus à nous demander si en toute chose, vivre dans le vrai, suivre le bon chemin, ce n'était pas prendre le contre-pied de leur enseignement.")
Tout comme dans nos romans russes, j'ai été épatée par la présence familière de la culture étrangère : Hugo, Dumas, Musset, Daudet ; Marie Laurencin, Monet, Renoir, Utrillo ; mais aussi Goethe et Nietzche, Lawrence et Byron ; et surtout Tchekhov, La Mouette et La Cerisaie (évoquant aussi un monde finissant ?) ; plus étonnants : l'évocation qu'on pisse dans les couloirs à la cour de France et surtout les références à La Bible, Jésus, Judas, Marie, la Pietà... Les références non japonaises sont plus nombreuses que les Japonaises ("Pendant le voyage l'oncle était de fort belle humeur et fredonnait des airs du répertoire de Nô" ; "tu es comme la petite fille du Journal de Sarashina").
Très vite, j'ai dit chapeau ! au fait que le narrateur soit une femme de façon parfaitement crédible - n'apprenant qu'après que Dazaï s'est largement inspiré de son admiratrice et amante, qui aspirait à avoir un enfant de lui, qu'elle eut en échange de son carnet comme matériel d'écriture...
J'ai aimé le fait que le lecteur doive être attentif car, sous l'apparence d'une prose simple, au détour d'une phrase des éléments du passé ressurgissent donnant des clés ("Ma mère ne m'avait jamais, au grand jamais, parlé de sa détresse jusqu'à ce jour ; et ces violents sanglots étaient un spectacle qu'elle ne m'avait jamais encore donné. Ni lorsque mon père était mort, ni lorsque je m'étais mariée, ni lorsque j'étais revenue enceinte chez ma mère, ni lorsque j'avais à l'hôpital mis au monde un enfant mort-né ni, lorsque, moi-même malade, je m'étais alitée, ni non plus lorsque Naoji s'était mal conduit… non, jamais ma mère n'avait laissé voir une telle détresse".)
J'ai apprécié que chaque chapitre forme un tout : avec une nouvelle page, on passe vraiment à autre chose tout en étant dans le même univers.
Le genre varie : récit, dialogues nombreux, lettres, journal ; il y a de discrets commentaires sur la narration ("cette histoire de bottes m'a entraînée dans une digression superflue"), non sans humour, quand le frère donne une définition inattendue : "Devant Goethe même je peux en faire le serment : j’ai tous les artifices d’un écrivain. Construction irréprochable, humour parfaitement dosé, pathos susceptible de mettre les larmes aux yeux du lecteur ; ou encore ton solennel, prose édifiante, à vous remonter les bretelles, comme on dit : bref, le roman parfait !). Et puis, on a tout à coup des réflexions politiques incroyables de la part de la narratrice qui veut la révolution...
J'ouvre aux ¾ : j'ai eu une baisse non pas d'intérêt mais d'adhésion, à partir des lettres qui m'ont semblé délirantes, difficilement crédibles, et de l'antipathie ressentie pour le fils (bon d'accord ce n'est pas un sentiment très littéraire).
J'avais lu un livre de la fille de Osamu Dazaï, Yûko Tsushima, Territoire de la lumière, des nouvelles qui ne sont pas vraiment des nouvelles, étranges aussi, qui m'avaient beaucoup plu.
Enfin, j'ai trouvé extrêmement éclairant l'article du traducteur sur la traduction de ce livre, éclairant au-delà du livre, sur la littérature japonaise et le Japon.
Richard
J'ai toujours eu un grand intérêt pour le Japon. J'ai été directeur d'une agence de publicité à Paris, mais une agence japonaise : Hakuhodo. J'ai un peu appris le japonais.
J'ai commencé par la traduction en anglais avant de recevoir le livre en français et la version française m'a semblé meilleure, car la traduction anglaise employait des expressions désuètes.
Le livre, en tant que document sur les mœurs japonaises, est un très bon document.
Les personnages sont intéressants, mais pas très convaincants : le livre présente plus des représentations de style de vie, que des personnages.
C'est facile à lire. Il y a des moments intéressants. J'ai moi aussi aimé le premier chapitre. Quand la narratrice se met à pourchasser l'écrivain, ce n'est pas très crédible.
J'ouvre à moitié pour la description du Japon.
Brigitte
Je ne connaissais pas du tout cet auteur. Le moins qu'on puisse dire c'est qu'il est torturé, à l'image du personnage de Naoji.
Le début est très réussi avec l'image de la façon dont la mère mange sa soupe. Le but est de nous montrer une caractéristique du savoir-vivre de l'aristocratie japonaise. Cette classe sociale est à l'agonie à l'issue de la deuxième guerre mondiale. Le Japon a subi une grave défaite et toute la société en est transformée. L'aristocratie est appelée à disparaître.
Le destin de Naoji est l'emblème de cette décomposition douloureuse. Sa sœur Kazuko décide finalement de se donner un avenir à travers l'enfant qu'elle porte.
Les détails de la vie de Kazuko et de sa mère et de leur dégringolade sociale sont très typiques d'une certaine culture japonaise que je découvre ici.
L'écriture est originale, intéressante et poétique. Je citerai particulièrement ce passage sur le thème de l'arc-en-ciel : "Ma première lettre faisait allusion à un arc-en-ciel déployé dans mon sein. Cet arc-en-ciel n'a pas la beauté fine de l'éclat des étincelles ou des étoiles. S'il était aussi léger, aussi lointain, je ne souffrirais pas de cette manière et il est probable qu'avec le temps je vous oublierais. L'arc-en-ciel déployé dans mon sein est un pont de flammes. La sensation en est si vive qu'elle me brûle le sein. Le besoin de narcotiques pour un intoxiqué privé de drogues ne peut être aussi pénible. Je suis certaine que je ne me trompe pas, que ce n'est pas perversion de ma part ; mais, bien que j'en sois tout à fait persuadée, je frémis parfois à la pensée que je peux être tentée de commettre un acte extraordinairement fou."
Le personnage de Kazuko fait référence à Tourgueniev (Récits d'un chasseur), me rappelant les nihilistes de l'époque où la Russie entamait la transition entre les Tsars et les Bolcheviques, comparable à celle traversée par la Japon à la fin des années 1940.
J'ouvre aux ¾.
Catherine

J'avais très envie de lire ce livre et au final j'ai été un peu déçue. J'ai commencé par lire la traduction de 1961 : j'ai trouvé le style assez désuet, l'abondance de passés simples m'a gênée. J'ai ensuite lu celle de 2017 que j'ai trouvée plus agréable, mais je ne sais pas quelle est celle qui correspond le mieux au texte original.
J'ai plutôt aimé le début, les deux premiers chapitres, le personnage de la mère, la façon de découvrir les personnages petit à petit, par des détails, la soupe par exemple. Il y a un côté poétique, de belles descriptions de la nature, un peu d'exotisme et de magie, les serpents par exemple. On assiste à la chute d'une famille aristocratique après la guerre, décrite par petites touches. La fille est au service de sa mère qui se tait et se laisse mourir, elle se débat comme elle peut pour continuer à vivre, son frère se réfugie dans l'alcool et la drogue. J'aurais dû être touchée par ces personnages, mais je ne l'ai été que rarement, à certains moments par les échanges entre Kazuko et sa mère, au moment de la mort surtout. Le plus souvent je suis restée plutôt extérieure. C'est très descriptif, assez froid, assez japonais sans doute. La guerre est à peine évoquée, vue par le prisme de cette famille aristocratique, le souvenir le plus notable de Kazuko semble être d'avoir mis des bottes en caoutchouc, Naomi n'a réussi à survivre que grâce à l'opium.
J'ai un peu décroché ensuite, l'obsession de Kazuko pour ce vieil écrivain, ivrogne, édenté, plutôt grossier et les lettres qu'elle lui adresse, m'ont paru assez peu crédibles. J'ai raccroché avec le testament de Naoji, qui permet de mieux comprendre son histoire et son désespoir, j'ai eu l'impression d'entendre Dazaï s'exprimer par sa bouche. Le livre, très noir dans l'ensemble, finit sur une note d'espoir et de renaissance.
Une impression mitigée au final, je suis peut-être passée à côté de ce livre, considéré comme un chef-d'œuvre de la littérature japonaise. Je l'ouvre à moitié.
Rozenn

J'ai bien failli passer à côté du livre.
La scène de la soupe m'a agacée. Et ce frère qui fait des manières. Et la fille, dévouée ! Et le comble, les lettres ! Quand je les ai lues, j'ai cru que je m'étais trompée de bouquin. J'ai arrêté là.
Puis, quand je suis revenue au livre, je me suis rappelé qu'il l'avait embrassée ; et qu'il était le maître de son frère.
Elle n'a pas de mec. Elle a déjà perdu un enfant. Voilà ce que je comprends : elle se fabrique un destin comme mère.
Les relations sont inexistantes : j'ai eu l'impression de me les fabriquer, les relations entre les personnages : entre la mère et la fille, la relation n'existe qu'au moment de la mort ; entre le frère et la fille : en fait, avec sa lettre, on découvre qu'il aime sa sœur. Et l'oncle, il pique leurs sous ? J'avais du mal donc à comprendre les relations. Le serpent je n'ai pas compris.
À la fin, j'ai beaucoup aimé que la fille reprenne en main sa vie. Hier j'ouvrais au ¼. Ce soir j'ouvre aux ¾.

Françoise
J
e fais partie des mitigées.
Je n'ai pas beaucoup accroché.
Mais certains aspects ont intéressée.
Cela m'a rappelé un des livres d'Ogawa, Le restaurant de l'amour retrouvé, dont le titre est cucuchon (mais ce n'est pas la traduction du japonais) ; il y a aussi une relation mère/fille, ambiguë : elles vont ouvrir un restaurant dans les montagnes ; j'y retrouve une certaine image du Japon, avec une ambiance très pesante.
Je ne comprends pas qu'elle se soit fait faire un enfant par ce mec ; c'est aussi une relation compliquée avec son frère. Le passage obligé de son émancipation ?
Je n'ai pas été emballée par l'écriture.
La référence au catholicisme m'a étonnée : était-ce la religion de l'aristocratie ?
J'ouvre à moitié.
Danièle
Cette lecture a été pour moi un enchantement. Dès le début je suis tombée sous le charme, séduite par les merveilleuses descriptions des gestes quotidiens, de l'osmose entre la nature environnante et les sentiments des personnages, et aussi, dans une moindre mesure, par la personnification des animaux familiers. Pour exemple, ces réflexions de Kazuko, la narratrice (p. 62 dans la traduction de Didier Chiche)
: "Mais tout en tricotant [la laine du foulard retrouvé], il m'a semblé qu'à ce rose pâle se mêlait la couleur cendrée du ciel pluvieux, et que cela donnait une harmonie chromatique d'une inexprimable douceur. C'était une chose que j'ignorais : oui, l'importance qu'il pouvait y avoir à accorder la couleur d'un costume à celle du ciel m'avait jusque-là échappé. L'harmonie… quelle belle, quelle merveilleuse chose ! songeais-je, quelque peu étonnée de ma découverte et tout étourdie." Poésie pure du quotidien, avec cette laine toute en nuances de couleurs assorties au ciel nuageux, évocatrice d'un temps oublié puis retrouvé ! C'est très proustien ! D'ailleurs la question s'est posée de savoir si Dazaï avait lu Proust, son contemporain. Il semble que non, d'après Chat GTP...
Souvent aussi, dans le roman on retrouve la poésie de l'inattendu. On lui a prêté des livres politiques, qu'elle n'a pas lus. Pour s'excuser, elle dit (p. 112) qu'elle n'a pas aimé la couverture...
Peut-on dire de la mère qu'elle est froide et n'inspire pas la sympathie ? Je ne le pense pas. J'ai trouvé au contraire dans son comportement une retenue et une pudeur qui font toute sa personnalité et toute sa force. C'est par respect pour les autres qu'elle n'affiche pas ses sentiments, ce qui est sans doute typique de la culture japonaise. Elle laisse son fils libre d'agir, sans pour autant se désintéresser de lui. "Naoji est chez Mme Saki, en train de boire, lui ai-je dit. Et ma mère, esquissant un sourire, m'a répondu : - Ah bon. C'est qu'il ne prend sans doute plus d'opium…"
Cependant, involontairement, elle est parfois cruelle envers sa fille en montrant par certains actes où certaines réflexions qu'elle le préfère à sa fille : "Cette nuit nous dormirons tous les trois dans cette pièce. Place le futon de Naoji entre nous deux. - J'avais envie de pleurer".
Tout ce que dit ou fait la mère est empreint d'une certaine élégance (aristocratique ?). C'est ainsi que le charme opère sur sa fille.
Kazuko est-elle pour autant une fille soumise ? Il me semble que c'est une plutôt une femme en pleine émancipation que l'on voit ici, une femme moderne, qui gère sa vie. Par respect pour sa mère mourante elle diffère, mais n'abandonne pas, son intention de poursuivre l'homme dont elle est tombée amoureuse, Uehara.
Tandis que son frère termine sa vie sur une magnifique lettre à sa sœur en affichant en conclusion "je suis un aristocrate" (et peut-être fier de l'être, finalement ?), sa sœur fait le chemin inverse. Elle vit la révolution marxiste à sa manière, de l'intérieur, en passant par son vécu, elle qui tombe d'amour fou pour Uehara : "La Révolution, je n'y ai jamais rêvé ; je n'ai même pas été amoureuse. Jusqu'à présent, dans notre monde, nos aînés nous avaient enseigné que la Révolution et l'amour étaient les deux choses les plus folles et les plus haïssables qui existent", p
uis : "la Révolution et l'amour, c'est en fait ce qu'il y a de meilleur au monde, c'est si exquis et si merveilleux que par malveillance, nos aînés nous ont enseigné, mensongèrement, que ce n'étaient là que des raisins verts. Je veux m'accrocher à cette conviction : c'est pour l'amour et pour la Révolution que l'homme est sur cette terre" (p. 113).
J'ai aimé le contexte historique d'après-guerre au Japon, qui m'en a appris sur le Japon de cette époque.
J'ai été surprise par la quantité de références à l'art et la religion occidentale.
Mais je n'ai pas vraiment compris quand et comment elle a pu tomber amoureuse d'un être tel que Uehara.
J'ouvre donc aux ¾.
Jérémy
Avant la lecture : J'étais assez enthousiaste à l'idée de lire ce livre. Je pensais n'avoir jamais lu d'auteur japonais mais j'ai commencé à lire Confession d'un masque de Mishima. En plus, le livre est édité dans la collection "L'Imaginaire" de Gallimard, ma collection préférée. J'ai choisi la
"vieille" traduction bien sûr, que je trouvais plus épurée que la moderne, et par amour pour le passé simple aussi.
Après la lecture : J'ai beaucoup aimé le premier chapitre, cette histoire de soupe, ça m'a tout de suite pris. Je me suis dit "Ah, ça va être très élégant, très chic !".
Assez vite pourtant, j'ai déchanté. Je trouve le livre globalement très noir, crépusculaire, désabusé. Cela m'a laissé un arrière-goût amer. Je pense que c'est trop pour moi, ou alors que ce n'était pas le bon moment. Ce côté sombre et ma déception ont peut-être également été renforcés par le fait que j'avais bien aimé le début du livre et que je ne m'y "attendais" pas.
L'atmosphère m'a fait penser, dans cette espèce de complaisance envers la dépravation morale et la déchéance physique, au Feu follet de Drieu la Rochelle, avec des personnages drogués, alcooliques, dans un milieu interlope. C'est en tout le souvenir que j'en ai gardé.

J'ai bien aimé la relation mère-fille, complexe, mais à mon sens pleine de tendresse et d'amour, faite de petits gestes, comme les repas préparés avec amour par la fille qui fait en sorte de se procurer les aliments que sa mère apprécie le plus. Le triangle formé avec le frère m'a fait penser à Un barrage contre le Pacifique. Même si les personnages et les relations qu'ils entretiennent n'ont rien à voir, hormis le fait que, dans le Barrage aussi, la mère préfère son fils à sa fille et que le fils est lui aussi dépravé, d'une autre manière, et méchant également. Par exemple lorsque Naoji dit à sa sœur : "Tu t'es vulgarisée. Ta figure semble être celle d'une femme qui a deux ou trois hommes." Charmant !
L'écrivain dégueulasse qui est le maître de Naoji et dont Kazudo s'entiche m'a fait penser à Gainsbourg, c'est vraiment lui que je voyais en lisant. On ne comprend vraiment pas ce qu'elle lui trouve, encore moins pourquoi elle tient absolument à avoir un enfant avec lui, voire un enfant tout court. La fin du livre est encore plus incompréhensible pour moi ! Page 200 : "J’aimerais que votre épouse prenne mon enfant dans ses bras… une seule fois suffirait… et que vous me permettiez de dire alors : 'Naoji a, en secret, eu cet enfant d’une certaine femme.''' Cela n'a ni queue ni tête.
En lisant le livre, j'ai aussi pensé aussi à Cioran, à De l'inconvénient d'être né, avec ces phrases : "En tout cas, on peut être sûr d’une chose : l’homme doit feindre pour continuer à vivre" ou encore "la vie est trop douloureuse, la réalité confirme la croyance universelle que mieux vaudrait n’être pas né." C'est vraiment désabusé, cynique. Je crois que j'y suis resté assez extérieur.
Pourtant, il y a de très beaux passages, des moments très poétiques que j'ai vraiment appréciés. J'ai beaucoup aimé cette histoire de serpents.
J'ai été un peu déconcerté par la forme également, ces longues lettres et le mode narratif, la ponctuation, et la chronologie. Parfois je ne savais plus si nous étions au temps présent ou dans le passé.
Enfin, je n'ai pas aimé la dernière longue lettre de Naoji, je ne suis pas allé jusqu'au bout. J'ai trouvé que c'était trop plaqué, trop programmatique. On sent vraiment l'écrivain qui a voulu placer sa petite théorie et bien faire comprendre "Ceci est mon personnage marxiste". Bref, je ne trouve pas cela très subtil et je n'aime pas ce genre de procédés.
En définitive, j'ouvre ¼, pour certains beaux passages.
Antoine
Je n'ai pas lu la dernière traduction de Didier Chiche. Il y a une mode de retraduire certaines œuvres japonaises pour faire un coup marketing. Les Belles Lettres abusent un peu de cela. J'ai même trouvé des coquilles dans leur retraduction d'un autre ouvrage de Dazaï, Déchéance d'un homme : j'aurais mieux fait de prendre le Poche plutôt que la nouvelle édition à 24 €...
J'ai donc lu dans la première traduction qui m'a plu.
C'est un auteur qui fait partie des grands du XXe siècle au Japon avec Soseki et Akutagawa (un prix prestigieux porte son nom). Non pas Mishima - les Japonais ne le lisent pas, c'est l'Occident qui a fait le succès de Mishima. Et j'allais oublier Kawabata.
Soleil couchant, c'est pour moi c'est un roman total, avec tous ses thèmes : la fin de l'aristocratie, l'artiste déchu, les références à Marx, la mort de la mer, le suicide...
C'est traité d'une manière fluide et cohérente : c'est une performance et il a été pris comme tel au Japon. Ça a été un succès incroyable. Et peu après l'auteur s'est suicidé. La lettre du fils dans le roman est une sorte de testament de l'auteur.
Le roman est froid ? L'aristocratie, c'est la froideur au carré. Ce n'est pas froid, au contraire, c'est chaleureux. Il y a des symboles certes : le serpent est maléfique chez les Chrétiens et, au Japon, symbole de fécondité.
J'ai étudié le livre en cours : le prof expliquait qu'il était parvenu à une épuration du style qu'il n'avait pas début. Bref, c'est une espèce de chef-d'œuvre.
Pour ce qui est de la narratrice, l'excentricité passe très bien au Japon. Pour moi, le livre est très féministe, Kazuko est divorcée, elle a un bébé toute seule et l'auteur écrit du point de vue d'une femme.
J'ai aimé également les nouvelles de Dazaï dans Cent Vues du mont Fuji.

Monique S (ancienne du groupe devenue spécialiste de haïku, et lauréate de concours au Japon !)
J'ai lu vos avis. L'histoire me fait penser à mon amie Atsuko, qui vit à Paris maintenant. Elle était d'une famille de samouraïs, et elle a vécu tout ce cheminement : son grand-père fut le premier homme de la famille à travailler pour vivre ; sa grand-mère est restée fidèle à elle-même et lui a donné toute la culture japonaise traditionnelle, malgré tout.
Atsuko a grandi dans les années d'après-guerre, quand les Américains occupaient le pays durant 10 ans. Elle pensait que c'étaient comme des dieux, qui savaient comment vivre...
Mais dans sa vie, elle a vécu ensuite à Bruxelles, puis en Californie (et la Chine après) : quand elle a découvert la vie américaine, toutes ses pensées d'enfance se sont effondrées : et elle a compris alors la force et la profondeur de la culture japonaise.
Par ailleurs, elle est chrétienne ! si ! si. Et pas comme certains Occidentaux le pensent pour pouvoir s'inscrire dans les grandes écoles. Il n'était pas rare que les samouraïs deviennent chrétiens, car ils vivaient avec l'idée de la mort toute proche, et seule la religion chrétienne leur donnait un espoir de vie éternelle.


DES INFOS AUTOUR DU LIVRE
Repères biographiques
Livres traduits en français
Radio et images

Traducteurs et traduction
Le genre watakushi shishosetsu
Quelques éléments historiques
Livres japonais lus dans le groupe

REPÈRES BIOGRAPHIQUES

Présentation rapide par le traducteur Didier Chiche
"Dazai est considéré comme le type même de l’écrivain décadent (terme d’ailleurs souvent transcrit tel quel en japonais), du marginal assumé et même revendiqué. Ce qui le caractérise, c’est le mal de vivre et la haine de soi. De fait, Dazai a toujours été en en situation de rupture : rupture d’abord avec son milieu d’origine, une riche et puissante famille du Japon septentrional ; rupture avec le milieu littéraire de son temps ; rupture enfin avec lui-même, avec la vie, puisqu’il a tenté plusieurs fois de se suicider et que la dernière fois a été la bonne, si l’on peut dire (c’était en 1948, lorsque l’écrivain à succès qu’il était devenu incarnait justement le désarroi d’un pays détruit). Ce qui marque son œuvre, c’est le culte de la souffrance et la recherche de l’exil affectif et intellectuel. Autant d’éléments constitutifs du personnage qu’il se compose non sans un certain narcissisme. À ce mal de vivre complaisamment affiché, Dazai ajoute un nihilisme souriant, faisant montre plus d’une fois d’un humour cruel et désabusé. Tout cela aboutit à une œuvre au ton très singulier et qui ne raconte le plus souvent que des échecs."

Des détails
- 1909 : Naissance dans une province retirée du nord du Japon. Il est le dixième enfant d’une riche famille de propriétaires terriens et de banquiers ; son père est membre de la Chambre des pairs.

                                               Père et mère

                        Photo prise en 1920 : il est le deuxième en partant de la gauche
- Après la mort de leur père en 1922, son frère Bunji prend en charge la famille et deviendra le principal soutien financier de Dazaï.
- À 16 ans, il publie dans le magazine du collège sa première nouvelle critique inspirée de sa famille.
- 1929 : Première tentative de suicide, suite à celui de son écrivain favori, Ryunosuke Akutagawa.
- 1930 :
Dazaï s'inscrit à l'Université impériale de Tokyo pour étudier la littérature française ; ses études sont marquées par ses difficultés personnelles, il néglige ses cours et il abandonnera sans obtenir de diplôme. En attendant..., il se jette à la mer avec une jeune hôtesse de bar : elle meurt, il en réchappe ; il s’en inspirera plus tard pour la nouvelle La Fine Fleur des Bouffons. Il adhère au Parti Communiste, alors interdit au Japon, et mène une vie clandestine. Il se marie avec une apprentie geisha de 18 ans, Hatsuyo, à qui il apprend à lire. Inculpé pour ses activités communistes, il cesse toute activité militante, condition fixée par son frère pour le pensionner.
- 1933 : Paraît la nouvelle Le Train, la première qu’il signe de son nom de plume, où il expérimente pour la première fois le watakushi shosetsu, genre autobiographique écrit à la première personne, dont il deviendra un des représentants les plus éminents.
- 1935 : Une appendicite aggravée lui fait découvrir la morphine et il devient toxicomane. Alors qu’il est nominé au 1er Prix Akutagawa, Kawabata écrit dans la presse : "Je pense que les nuages de scandale suspendus au-dessus de la vie privée de Dazaï nuisent à son génie." Réponse de Dazaï : "Je le poignarderai. Ce n’est qu’un scélérat !" ; Kawabata s’excuse. Il publie à 26 ans son premier recueil de nouvelles, Mes dernières années. Il apprend que son épouse le trompe. Ils tentent de se suicider ensemble puis divorcent.
- 1939 : Il se remarie avec une professeure de collège, Michiko Ishihara, et se stabilise. Premier prix littéraire pour Le Train (in Cent Vues du mont Fuji). Dazaï commence à publier énormément.
- 1941 : Naissance de sa fille Sonoko qui lui donne l’espoir d’une vie "normale". Ils auront avec Michiko un garçon, Masaki en 1944 et une autre fille, Satoko, en 1947 qui fera une carrière d’écrivain sous le nom de Yuko Tsushima. Souffrant de la tuberculose, Dazaï est exempté de service à l’entrée en guerre du Japon.
- 1944 : Dans Pays Natal, il raconte les retrouvailles avec les anciens domestiques de sa riche famille.
- 1946 : À partir des carnets tenus par Shizuko Ota, admiratrice de l’auteur, enceinte de lui, il commence à écrire Soleil couchant (leur enfant, Haruko Ota, publiera un livre sur cette filiation : père écrivain Dazaï et mère poétesse Shizuko Ota...)
- 1947 : Au sommet de sa popularité, il publie après-guerre ses récits les plus marquants, telle la nouvelle
La femme de Villon (1947). D'abord publié sous forme de feuilleton dans un magazine entre juillet et octobre 1947, le roman Soleil Couchant devient immédiatement un bestseller. L’œuvre donne naissance à l’expression "les gens du soleil couchant" qui désigne la société impériale en déclin. Dazaï est désormais célèbre, particulièrement auprès de la jeunesse.
-
Dazaï, qui sombre dans l’alcoolisme, voit sa santé se détériorer rapidement. Il a quitté femme et enfants en 1948 pour s’installer avec Tomie Yamazaki, jeune veuve de guerre exerçant le métier d’esthéticienne. Il écrit alors le roman La Déchéance d’un Homme. Il commence à rédiger un nouveau texte Goodbye qu’il laissera inachevé. Le 13 juin, après avoir absorbé des médicaments, Dazaï et Tomie se jettent dans le canal Tamagawa. Les corps sont retrouvés le 19 juin, jour du 39e anniversaire de l’écrivain. Tous les 19 juin, ses admirateurs se réunissent sur sa tombe, sur laquelle ils déposent bouteilles de bière, cigarettes et autres offrandes.

LIVRES TRADUITS en français

Dans l'ordre chronologique de publication, avec, entre parenthèses, la date de publication au Japon :

- Mes dernières années (1936), 15 récits, trad. Juliette et Yuko Brunet, Fayard, 1997.

- Pays natal (1944), trad. Didier Chiche, Picquier, 1995 ; publié en Poche avec la même couverture sous le titre Retour à Tsugaru, Poche, 2022.

- Les deux bossus (1944), quatre contes (Les deux bossus, Monsieur Urashima, Le mont Crépitant, Le moineau à la langue coupée), trad. Silvain Chupin, Picquier, 1997 ; rééd. sous le titre Le mont crépitant, Picquier, 2009.

- La femme de Villon, trad. Paul Anouilh, Bulletin de l'Association des Français du Japon, 1969 ; rééd. Sillage, 2017.
- Nouvelle traduction et édition : La femme de Villon (1947),
trad. Silvain Chupin, éd. du Rocher, 2005.

- Soleil couchant : crépuscule de l'aristocratie (1947), trad. du japonais par Hélène de Sarbois et G. Renondeau, Gallimard, coll. Du monde entier, 1961 ; rééditions coll. L'imaginaire 1986 ; L'imaginaire 1993
- Nouvelle traduction et édition :
Soleil couchant, trad. Didier Chiche, Les Belles Lettres, 2017.

- La déchéance d'un homme (1948), trad Gaston Renondeau, Gallimard, coll. Du monde entier, 1962 ; rééd. coll. Connaissance de l'Orient, 1990 ; rééd. Imaginaire, 1967.
- Nouvelle traduction et édition, La déchéance d'un homme, trad. Patrick Honnoré, ill. Aline Zalko, annexes Isabelle Lavelle et Guillaume Loiret, IMHO, 2022.
- La déchéance d'un homme, manga de Usamaru Furuya, IMHO, 2022
- La déchéance d'un homme, manga seinen de Junji Itô, Delcourt Tonkam : Intégrale, 2024 ou trois tomes, 2021-2022.
- Nouvelle traduction et édition : Déchéance d'un homme suivi de Goodbye (1948)
, deux romans traduits et présentés par Didier Chiche, Belles Lettres, 2024.

- Écolière suivi de La Boîte de Pandore (1933-1946), trad. Hervé Audouard, éd. Motifs, 2018.

- Bambou-bleu et autres contes (1933-1948), trois contes (Bambou-bleu, Lanternes romantiques, À propos d'amour et de beauté), trad. Hélène Morita, Serpent à plumes, 2008.
- Nouvelle édition : Bambou bleu et autres contes, Cambourakis Poche, 2019.

-
Cent vues du mont Fuji (1933-1948), 19 récits, trad. Didier Chiche, éd. établie par Ralph F. Mc Carthy, Picquier, 1993 ; Poche, 2003 ; rééd., 2021.

- Souvenirs de saké
(1948), trad. Ryoko Sekiguchi et Patrick Honnoré, in Le Club des Gourmets et autres cuisines japonaises, P.O.L., 2013, poche, 2019.

RADIO et IMAGES

- "Osamu Dazaï, le retour à la vie", Aurélie Charon, L'Expérience, France Culture, 14 septembre 2024, 57 min. Des variations personnelles, mais aucunement une biographie en ondes.
- Présentation en images d'Osama Dazaï, Luministe sur YouTube, 2020 (depuis, plusieurs titres sont ressortis, sans compter les bd), 7 min. Voilà des informations bien plus claires !
- Hélas, La Vie murmurée, film documentaire de Marie-Francine Le Jalu et Gilles Sionnet, sorti en salles, en 2011 est inaccessible : la bande annonce ›ici.
- En anglais, un documentaire de NHK World-Japan sur YouTube ›ici.

TRADUCTEURS et TRADUCTIONS

Ils sont nombreux. Certains ont des parcours particuliers...

N'ont traduit qu'un seul livre de Dazaï :
- Juliette et Yuko Brunet : Mes dernières années
- Hervé Audouard : Écolière suivi de La Boîte de Pandore
- Hélène de Sarbois avec G. Renondeau : Soleil couchant
- Paul Anouilh (prêtre missionnaire au Japon) : La femme de Villon
- Hélène Morita (a enseigné la littérature française au Japon, traductrice, notamment de Haruki Murakami) : Bambou bleu et autres contes
-
Patrick Honnoré (diplômé en japonais, enseignant à Tokyo, spécialisé dans la traduction de BD, directeur de la collection Picquier Manga) : La déchéance d'un homme (en bd).

Deux livres traduits :
- Gaston Renondeau (militaire au Japon et traducteur) : Soleil couchant, La déchéance d'un homme
-
Silvain Chupin (traducteur) : Le mont crépitant, La femme de Villon.

Plusieurs titres traduits, dont Soleil Couchant, par Didier Chiche (professeur à l'Université à Kôba, traducteur) : Retour à Isugaru, Les deux bossus, Soleil Couchant, Déchéance d'un homme, Goodbye, Cent vues du mont Fuji.

À propos de Soleil couchant :

Deux traductions sont disponibles :
-
1961 : de Gaston Renondeau et Hélène de Sarbois
- 2017 :
de Didier Chiche, avec un avant-propos et une postface.

"J’ai pris l’initiative de proposer une nouvelle traduction de son texte le plus connu : Shayô (en français Soleil couchant), roman publié au Japon en 1947. Une première traduction de Soleil couchant a été donnée au public français au début des années soixante. Pourquoi alors retraduire ce texte ? La traduction déjà existante se lit toujours avec plaisir et intérêt. Simplement, il me semble que cette traduction est fondée sur des a priori littéraires qui auraient mérité d’être remis en question", précise Didier Chiche dans son article "Une réécriture sous contrainte : la traduction d’un roman japonais (Soleil couchant, de Dazai)", revue Trans (Revue de littérature générale et comparée), n° 22, 2017.

On voit, dès la première page, des différences et on a la chance d'avoir, dans un de ses articles, un commentaire sur ses choix par Didier Chiche.

1961, H. de Sarbois et G. Renondeau

Mère poussa un faible cri.
Elle prenait sa soupe dans la salle à manger.
Je pensai que quelque chose de désagréable était tombé dans son assiette.
— Un cheveu ? demandai-je.
— Non.

Mère porta une autre cuillerée à sa bouche comme s’il ne s’était rien passé. Cela fait, elle tourna la tête d’un côté, dirigea son regard vers le cerisier en pleine floraison qui était derrière la fenêtre de la cuisine et, la tête toujours détournée, fit voler une autre cuillerée de soupe entre ses lèvres. Mère a des manières de table si différentes de celles qui sont prescrites dans les revues féminines que, pour elle, l’expression : faire voler n’est pas une simple figure de style.
Un jour où il avait trop bu, Naoji, mon frère cadet, me dit :
"Le fait qu’un être ait un titre de noblesse ne suffit pas à faire de lui un aristocrate. Certains sont de grands aristocrates qui n’ont d’autre noblesse que celle que la nature leur a donnée et d’autres, comme nous qui n’avons que des titres, d’autres sont plus près des parias que des aristocrates."

2017, Didier Chiche

Le matin, dans la salle à manger, ma mère, ayant lestement aspiré une cuillerée de soupe, a lâché un petit cri :
— Ah !
— Un cheveu ? lui ai-je demandé, pensant qu’elle avait vu quelque chose de déplaisant tombé dans son assiette.
— Non, a-t-elle répondu.
Et comme si de rien n’était, elle a repris une cuillerée de soupe d’un geste toujours aussi leste ; puis, tournant la tête d’un air serein, elle a fixé, par la fenêtre de la cuisine, le cerisier de montagne en pleine floraison, et dans cette position, a fait glisser avec une agilité gracieuse une autre cuillerée de soupe entre ses lèvres fines. Agilité gracieuse : oui, pour ma mère, c’est bien le mot ; absolument rien à voir avec ce qu’on trouve par exemple dans les magazines féminins sur les bonnes manières de table. Un jour que mon frère Naoji était en train de boire, il s’était tourné vers moi, son aînée, et m’avait dit : "Ce n’est pas le titre qui fait la noblesse, voyons ! Même sans être titrés, il y a des gens qui sont touchés par une grâce innée : des nobles, des vrais ! Et puis il y a ceux qui sont comme toi et moi : le titre, ils l’ont, mais en fait, bien loin de le mériter, ils sont tout en bas de l’échelle ou presque !"

Commentaires du traducteur Didier Chiche : La question cruciale qui se pose et qui déterminera toute la réécriture en français de ce texte, c’est : est la narratrice ? Où se situe-t-elle par rapport à ce qu’elle raconte, c’est-à-dire quand ? S’agit-il d’un journal, c’est-à-dire d’un récit écrit au jour le jour, d’un témoignage quotidien, ou bien est-ce un récit de souvenirs, c’est-à-dire un récit écrit avec un certain recul par rapport aux événements ? Au début, on ne le sait pas : la première scène, celle du petit déjeuner, commence par le mot japonais : asa, qui signifie matin. Un matin, le matin ? Ce matin ou ce matin- ? Ambiguïté ; mais au départ le lecteur français aurait spontanément tendance à considérer que c’est un souvenir plus ou moins lointain.
C’est d’ailleurs ce qu’apparemment ont pensé les premiers traducteurs français de Soleil couchant, mais leur texte, qui commence simplement par : "Mère poussa un faible cri. Elle prenait sa soupe dans la salle à manger", escamote la difficulté, puisque ce premier mot : asa, n’est pas traduit (même chose, d’ailleurs, dans la traduction anglaise). L’usage, en français, du passé simple prouve en tout cas que les traducteurs se sont situés d’emblée dans la perspective d’un récit distancié et maîtrisé. Ce qui suit, c’est donc la digression sur les manières de table ; après quoi la narratrice revient à cet épisode, à ce moment du petit déjeuner ; mais cette fois, levant l’ambiguïté initiale, elle dit kesa : ce matin, terme utilisé à quatre reprises (la traduction anglaise dit également : this morning). C’est donc bien ce matin, et non pas ce qu’on lit dans la première traduction française : "… en avalant sa soupe ce matin-là". Ce matin-là, ce serait en japonais sono asa, et non kesa.

Didier Chiche a également écrit : "Visages de la marginalité chez un intellectuel japonais - le ‘cas’ Dazai", in Étrangeté de l’autre, singularité du moi : les figures du marginal dans les littératures, dir. Ève Feuillebois-Pierunek et Zaïneb Ben Lagha, Classiques Garnier, 2015.

LE GENRE watakushi shishosetsu

D'où vient le watakushi shôsetsu ?
Philippe Forest, romancier représentant de l'autofiction, lauréat de la Villa Kujoyama, sorte de Villa Médicis japonaise, affirme d'une manière qui peut paraître assez abrupte, dans le cadre d'un colloque à Cerisy sur les lisières de l'autofiction : "dès les premières années du XXe siècle, s'invente au Japon un genre baptisé donc watakushi shôsetsu (littéralement : "roman du je"), né de l'influence soudaine exercée sur les écrivains japonais par l'idée en partie erronée que ceux-ci se font de la modernité européenne, se revendiquant d'un naturalisme qui n'est aucunement celui de Zola (avec son projet de produire scientifiquement une sorte de panorama objectif de la réalité sociale) mais dont la figure tutélaire est étrangement celle de Rousseau (avec son ambition emphatiquement exprimée en tête des Confessions d'exprimer la vérité subjective d'une conscience témoignant, devant Dieu et devant les hommes, pour toutes les autres). D'une telle méprise naît donc le watakushi shôsetsu, forme spécifiquement japonaise du roman autobiographique et qui n'a cessé depuis lors et jusqu'à aujourd'hui, à travers toute une histoire complexe et controversée, faite d'éclipses et de retours, de constituer l'un des principaux genres de la littérature concernée." ("Watakushi shôsetsu et autofiction : quelques notes en marge d’un texte fameux de Kobayashi Hideo", Lisières de l’autofiction, dir. Arnaud Genon et Isabelle Grell, Presses universitaires de Lyon, 2016)

Quelles sont les différences entre l'autofiction et le watakushi shishosetsu ?
Ils impliquent toute deux une narration à la première personne et se fondent sur les expériences personnelles de l'auteur.
Ils se distinguent par leurs origines culturelles bien sûr, leurs objectifs et leurs techniques narratives.

- L'autofiction est un terme créé par l'écrivain français Serge Doubrovsky en 1977. Ce genre littéraire combine l'autobiographie et la fiction, permettant à l'auteur de se raconter tout en intégrant des éléments fictifs. L'autofiction dépasse les limites de l'autobiographie traditionnelle en permettant une exploration plus libre et créative de l'identité et de la mémoire.
Elle
brouille les frontières entre réalité et fiction et permet d'utiliser des techniques narratives inventives, avec notamment des ruptures temporelles. Elle est souvent marquée par une certaine distance ironique et une réflexion méta-narrative sur le processus d'écriture lui-même. L'autofiction encourage une lecture active et critique, incitant le lecteur à questionner la véracité des événements décrits.

- Le watakushi shishosetsu, également connu sous le nom de "roman du je", est apparu au Japon au début du 20e siècle. Ce genre littéraire est étroitement lié au mouvement littéraire Shirakaba, inspiré par l'individualisme et l'expression personnelle. Les auteurs de watakushi shishosetsu s'efforcent de représenter leur vie intérieure et leurs expériences personnelles sans recours à la fiction.
Le watakushi shishosetsu est souvent caractérisé par une écriture simple et directe, qui cherche à révéler la sincérité de l'expérience humaine. Les récits suivent un déroulement chronologique. Les descriptions détaillées de la vie quotidienne et les interactions interpersonnelles sont courantes dans ce genre.

QUELQUES ÉLÉMENTS HISTORIQUES

La noblesse japonaise

Le kuge constituait la classe aristocratique japonaise qui a dominé la cour impériale de la capitale Kyoto jusqu'à l'avènement du shogunat au XIIe siècle : ce sont alors les daimyos, les seigneurs féodaux, qui dominèrent.
Le kuge continua de former une cour restreinte autour de l'empereur jusqu'à la restauration Meiji.

En 1869, les oligarques de la période Meiji, dans le cadre de leurs réformes d'occidentalisation du système politique, fusionnèrent le kuge et les daimyos en une seule classe aristocratique : le kazoku, qui comporte 5 titres de noblesse, inspirés de la noblesse britannique : prince ou duc, marquis, comte, vicomte, baron.

La Constitution actuelle du Japon, datant de 1947, abolit le kazoku et met fin à l'utilisation des titres de noblesse en dehors de la famille impériale. Néanmoins, les descendants des anciennes familles du kazoku continuent à occuper des postes de première importances dans la société et l'industrie.

La capitulation japonaise

- Le 8 mai 1945 : l’Allemagne nazie signe ses actes de capitulation mettant fin aux opérations militaires en Europe.
- Le 9 juillet : les Américains planifient l’opération Downfall destinée à envahir l’archipel du Japon.
- Le 26 juillet : depuis la conférence de Potsdam, ultimatum aux Japonais.
- Le 29 : déclaration du Premier ministre nippon, interprétée comme une volonté d'ignorer cet avertissement.
- Le 2 août 1945 : quittant Potsdam, le président américain Harry Truman apprend que la première phase de l’opération Downfall consistant en l’invasion de l'île de Kyushu prévue pour novembre 1945 est compromise par l’augmentation des forces de l’armée japonaise sur l’île. L’option Bombe A est alors retenue.
- 6 et 9 août 1945 : bombardements atomiques sur Hiroshima et Nagasaki.
- 9 août : décision de l'empereur Hirohito d’ordonner la fin des combats après l'entrée en guerre de l'Union soviétique dans les territoires contrôlés par le Japon, débutant par la Mandchourie.
- Dans la nuit du 9 au 10 : lors d'une conférence, l’Empereur annonce sa décision de se rendre à l’ultimatum des Alliés.
- Le 12 : Hirohito informe officiellement la famille impériale de sa décision.
- Le 14 : un petit groupe de militaires opposés à la reddition tente de subtiliser l’enregistrement sur disque phonographique qui venait d’être effectué.
- Le 15 : le disque sur lequel la déclaration fut gravée est diffusé sur les ondes de la radio nationale japonaise, bien que ce jour-là un deuxième groupe de mutins tente, sans succès là aussi, de prendre le contrôle de la station de radio. Pour la première fois, plusieurs millions de Japonais entendirent la voix de leur souverain, mais ne purent saisir tout le sens des déclarations de l’Empereur, celui-ci s’exprimant dans un japonais archaïque, utilisé uniquement dans l’ancienne cour impériale, et qui était donc incompréhensible pour le commun de la population. De plus, l’enregistrement audio de mauvaise qualité et l’Empereur ne faisant pas directement référence à la capitulation et à la défaite, mais plutôt à l’acceptation des termes de la conférence de Potsdam, ajoutèrent à la confusion. Un commentateur japonais de la radio expliqua clairement aussitôt après la diffusion du discours le sens du message aux auditeurs, à savoir que le Japon avait perdu la guerre et que celle-ci était enfin terminée.
- Le 17 : Hirohito ordonne aux soldats et marins de déposer les armes et lie sa décision de procéder à la reddition à l’invasion soviétique de la Mandchourie, passant sous silence les bombardements atomiques.
- Le 2 septembre : le Japon signe ses actes de capitulation en présence du général Douglas MacArthur, commandant du sud-ouest Pacifique et commandant suprême des forces alliées, ainsi que des représentants des autres puissances alliées, sur le pont de l'USS Missouri, ancré dans la baie de Tokyo.

Ce qui de ce fait mit fin :
- à une guerre contre la Chine menée depuis 1931 en Chine du Nord et depuis 1937 dans le reste de la Chine
- à la guerre du Pacifique liée à la Seconde Guerre mondiale.

LIVRES JAPONAIS lus dans le groupe

Nos lectures japonaises sont assez régulières...

Auteurs japonais traduits du japonais
- 1987 Yasunari Kawabata Les Belles endormies
- 1990 Abe Kobo La Femme des sables
- 1991 Yashushi Inoué Le fusil de chasse
- 1991 Junichi Tanizaki La confession impudique
- 1994 Saikaku Ihara Les cinq amoureuses
- 1998 Yukio Mishima L'École de la chair
- 2002 Banana Yoshimoto Kitchen
- 2004 Ryû Murakami Ecstasy
- 2004 Yasunari Kawabata Pays de neige
- 2004 Yôko Ogawa La Piscine - Les Abeilles - La Grossesse
- 2005 Haruki Murakami Au Sud de la frontière, à l'ouest du soleil
- 2009 Yukio Mishima Le Pavillon d'or
- 2012 Akira Yoshimura Le convoi de l'eau
- 2014 Kobayashi Issa Journal des derniers jours de mon père
-
2016 Kenzaburô Ôé Dites-nous comment survivre à notre folie

- 2019 Shûsaku Endô Silence

-
2023 Fumiko Hayashi Vagabonde (en présence du traducteur)
-
2023 Ito Ogawa La papeterie Tsubaki

Auteurs écrivant en anglais
- 2004 Kazuo Ishiguro Un artiste du monde flottant
- 2014 Julie Otsuka Certaines n'avaient jamais vu la mer
- 2018 Kazuo Ishiguro Les vestiges du jour

Auteurs écrivant en français
- 2016 Ryoko Sekiguchi La voix sombre
- 2021 Aki Shimazaki
- 2022 Akira Mizubayashi Une langue venue d'ailleurs et Âme brisée.


Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :
                                        
à la folie
grand ouvert
beaucoup
¾ ouvert
moyennement
à moitié
un peu
ouvert ¼
pas du tout
fermé !


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