Sándor MÁRAI
Les étrangers
,
trad. du hongrois Catherine Fay, Le Livre de poche, 456 p.
(Couverture :
Portrait de Paul Guillaume, Amedeo Modigliani, 1916, Musée de l'Orangerie)

Quatrième de couverture :
1926. Un jeune docteur en philosophie de Budapest arrive à Paris pour quelques mois. Étranger à ce pays qui le fascine et le rejette à la fois, il évolue parmi d’autres étrangers qui, comme lui, survivent tant bien que mal. Récit initiatique, fabuleuse peinture de Paris, ce roman largement autobiographique est une troublante réflexion sur l’exil, autant réel qu’intérieur, qui a nourri la vie et l’œuvre de Sándor Márai.

"Comme Zweig, Sándor Márai décrit avec une élégance rare le crépuscule pathétique d'une civilisation qui va être noyée sous les cendres du nazisme et du communisme" (La Vie).

Les étrangers, Albin Michel, 2012, 464 p.

(Couverture : Couple d'amoureux sous un réverbère, Halasz Gyula, 1899-1964, dit Brassaï, né en Transylvanie, alors partie intégrante du royaume de Hongrie, 1933, coll. particulière)

Quatrième de couverture :
Écrit en 1930 après un séjour de cinq ans à Paris, ce "roman français" d'inspiration autobiographique est un texte important dans l'œuvre de l'immense écrivain hongrois
Sándor Márai.
1926. Après un an d'études à Berlin, un jeune docteur
en philosophie de Budapest arrive à Paris pour quelques mois. Étranger à ce pays qui le fascine et le rejette à la fois, il évolue parmi d'autres étrangers. Comme lui, tous survivent
tant bien que mal dans le Paris de la fin des années folles, des cales de Montparnasse aux hôtels miteux du quartier latin. Philosophe déraciné, exilé volontaire, promeneur inquiet... l'identité floue du personnage évolue au gré d'une errance qui se prolonge dans une Bretagne idyllique où l'entraîne une femme rencontrée par hasard.
Récit initiatique, fabuleuse peinture de Paris, ce livre est une troublante réflexion sur l'exil, autant réel qu'intérieur, qui a nourri la vie et l'œuvre de
Sándor Márai.

Sándor MÁRAI (1890-1989)
Les étrangers (1930, traduction 2012)

Nous avons lu ce livre pour le 28 juin 2025 pour ouvrir notre septième semaine lecture.

Monique L(avis transmis de Dordogne)
Ce livre est avant tout une ambiance, qui décrit bien l'ambiguïté de l'homme pris entre le besoin d'enracinement et le désir de liberté. Ce qui m'a le plus marquée, c'est la désinvolture et l'indolence avec laquelle le narrateur, jeune homme fier, cérébral et qui se cherche lui-même, mène sa vie. Il laisse s'écouler les jours dans une bienheureuse insouciance.
Ce récit est un extraordinaire documentaire qui nous plonge avec précision dans le Paris et la Bretagne des années d'avant-guerre. Je l'ai vu comme un film en noir et blanc.
À Paris, on se promène de quartier en quartier ; d'hôtel miteux en bistrot, au "Dôme, comme but dans la vie". Le narrateur évolue parmi d'autres étrangers qui survivent comme ils peuvent. Il évoque le travail dur pour "les métèques" comme lui, l'intégration quasi impossible, et cela avec un regard pessimiste. Le narrateur n'est pas tendre sur l'allure des personnes qu'il y croise, sur leur hygiène, sur leur dentition. C'était peut-être le cas à l'époque ?
Le séjour en Bretagne est presqu'un autre livre. C'est une découverte d'un autre monde pour lui, une autre France à ses yeux d'étranger, qui découvre une des régions les plus pauvres, si ce n'est reculée, de l'époque, ses paysages et aussi les gens qui y vivent. Cela m'a paru assez convenu et cliché.
J'ai trouvé étrange tout ce qui concerne ses rapports à la "femme". Elle le rejette comme étranger mais lui, que veut-il ?
En tant qu'Hongrois pétri de culture allemande, le narrateur se sent étranger en France, pays qui le fascine et le rejette à la fois. Il se sentira toujours étranger : étranger en France, étranger à lui-même, étranger aux autres qu'il rencontre (qu'ils soient français ou étrangers).
C'est une œuvre pleine de mélancolie et de nostalgie et qui traite entre autres de l'identité. La quête chez l'auteur d'une identité nationale est pathétique.
Un passage m'a profondément marquée quand il quitte la femme "blonde et blanche" : "elle le toise - sale étranger - prononce-t-elle de sa voix rauque"…
L'écriture est élégante et soignée. Le style mêle l'ironie et la mélancolie. Il est réaliste, avec une tonalité qui s'apparente à une certaine douceur.
Il y a quelque chose de délicieusement suranné dans ce récit.
Mais j'ai trouvé cela beaucoup trop long. J'ouvre à ½.

Marie-Odile(avis transmis de Bretagne)
J'ai beaucoup apprécié la première partie. Un récit à la 3e personne (sauf dans la lettre) qui, de manière très habile, donne à percevoir et à sentir comme un récit à la première personne.
J'ai particulièrement aimé les moments où il est question de la quête d'identité du personnage et de son ressenti, par exemple lorsqu'il entend le "chez eux là-bas", sorte de blessure sans intention de la donner...
J'ai rencontré en ce jeune homme sans nom les multiples facettes d'un étranger et peut-être de tout étranger :

celui qui découvre un lieu d'abord par l'imaginaire, ici la littérature, avant de le découvrir en vrai
celui qui ne poste pas la lettre au pays
celui qui fait des rencontres furtives, à la fête foraine ou dans une église
celui qui est confronté aux problèmes d'argent, de papiers faux, de nourriture, de travaux dégradants
celui qui envisage différemment les choses suivant qu'il se pense de passage ou installé définitivement
celui dont on craint "qu'il défigure Paris"
celui pour qui il est plus difficile "de pénétrer dans une salle à manger française que chez le dalaï-lama à Lhassa".

L'humour s'introduit dans les descriptions, les portraits, les remarques pleines de dérision, le leitmotiv du "petit ménage", l'anecdote du patron multimillionnaire qui va consommer ailleurs parce que c'est moins cher que chez lui, la critique des Français qui ont produit "toute une littérature sur l'inutilité de l'écriture" etc.
Les personnages secondaires et leurs idées sur l'art ou la liberté m'ont peu intéressée. Mais j'ai lu avec plaisir les descriptions de la foule tourbillonnante du 14 juillet superposant habilement 1926 et 1789.
J'ai eu un peu de mal à passer de la 1ère à la 2e partie, même si on y retrouve des trains des larmes et de l'argent toujours compté.
L'usage de la 1ère personne qui raconte minutieusement, mais après coup, m'a semblé étrange puis je me suis habituée.
Paradoxalement, le personnage qui s'est familiarisé avec Paris m'a paru ici étranger à sa propre vie : il assure un job absurde qui consiste à ne pas vendre. Il vit une liaison qu'il n'a pas vraiment choisie.
Je me suis laissé gagner par la beauté du tableau près de la Seine, lors de l'excursion, cette sorte de temps suspendu, d'équilibre flottant, cette capacité à peindre le silence, le sommeil et les souvenirs qui affleurent comme dans un rêve. J'ai aimé la pudeur du récit, toutes ces phrases minimales au présent, la curiosité naïve de la femme sur l'étranger, la fuite en Bretagne décrite de façon si simple et si fidèle. J'ai eu l'impression de passer des tableaux impressionnistes aux tableaux de Mathurin Méheut, du musée d'Orsay au musée de Pont-Aven.
J'ai été frappée par le contraste entre les pages silencieuses, muettes, énigmatiques mais apparemment paisibles, et la violence inouïe de la femme qui exprime "dégoût et l'horreur", ce à quoi je ne m'attendais pas.
Nombreuses sont les pages qui m'ont plu dans cette partie : celle qui évoque le chant des Noirs, des opprimés, l'incendie de forêt aux accents actuels, l'incroyable repas de funérailles.
Finalement j'ai apprécié le retour à une certaine dérision salvatrice du jeune homme "assez blanc" qui ne veut pas être un "fait divers".
J'ouvre en grand ce roman pour sa façon originale d'aborder la question de l'étranger, celui qui souvent se trouve à NE PAS : poster la lettre, vendre, visiter les lieux célèbres de Paris...
J'ai pensé au Monde d'hier de Zweig avec entre autres ces problèmes d'inflation démesurée !
J'ai pensé aussi au film It must be heaven pour la découverte d'un Paris inconnu ou inattendu.
J'ai pensé à Caillebotte en voyant les toits de Paris à travers la fenêtre de l'hôtel.
Rozenn
Chantal
Annie
Danièle

Philippe(avis transmis de Bretagne)
Après une lecture que je qualifierai de longue et fastidieuse d'un roman trop dense, je
vais m'efforcer d'être court et concis. L'écriture de Márai est précise, faite de descriptions, de phrases interminables (38 lignes p. 35), de répétitions, qui finissent par agacer plutôt que de susciter l'intérêt.
Le roman situé en 1926, publié en 1931, est très autobiographique. L'auteur hongrois jeune marié a vécu à Paris plusieurs années. Le Montparnasse des Années Folles, la célèbre brasserie Le Dôme avec les artistes étrangers en devenir et désargentés, me semble bien documentés, de même dans la 2e partie du roman pour Morlaix, Trégastel et la Bretagne du début 20e. Pour faire le lien avec une précédente lecture, j'ai attendu en vain l'apparition de Paulette Nardal qui, à la même époque, tenait salon à Clamart où elle aurait pu inviter Sándor Márai. Je n'ai pas non plus retrouvé Modigliani, Foujita, Picasso, Chagall, Hemingway, Joyce et tant d'autres.
Le narrateur souligne à plusieurs reprises la xénophobie des parisiens "il est plus difficile pour un étranger de pénétrer dans une salle à manger française que chez le Dalaï-lama à Lhassa", "En France, il est plus facile à un étranger de rentrer dans une chambre à coucher que dans une salle à manger". Il souligne "une forme particulière d'entraide obéissant à une loi non écrite d'interdépendance face au danger". Les paroles d'Eva sont violentes "La seule pensée d'avoir un enfant de toi m'a rempli de dégoût et d'horreur. Moi porter l'enfant d'un étranger ! C'est pour cela que je t'ai quitté, sale étranger". Un siècle plus tard, quelque chose a-t-il changé ?...
Je n'ai pas réussi mon pari, faire court, mais il y a trop à dire sur ce roman, l'auteur et cette époque.
Je comprends après la découverte de l'auteur le parallèle avec les autres auteurs Austro-hongrois que sont Zweig et Joseph Roth.
André Comte-Sponville écrivait récemment "la plupart des livres sont trop longs et trop bavards", raison pour laquelle je garde ce roman ouvert à demi.
Brigitte(avis transmis de Paris)

Nous avions lu Les Braises, que j'avais bien apprécié.
Sándor Márai décrit avec virtuosité les atmosphères ; c'est parfois un peu lent, au point que j'ai failli abandonner cette lecture avant la fin du premier livre. Finalement, j'ai eu le courage de continuer. Bien m'en a pris, parce que la suite est plus rythmée.
J'ai beaucoup aimé cette lecture, qui fait revivre divers quartiers de Paris au début des années 30 : le quartier Montparnasse et Le Dôme, l'avenue de Wagram et le quartier des Ternes avec le théâtre de l'Empire. Ensuite, c'est la région de Tregastel et la magnifique séquence de la pêche, puis l'été au bord de la mer, et les touristes anglais, que l'auteur lui-même qualifie d'étrangers, et pour qui il ressent un certain mépris !
Je terminerai par la scène de l'hôpital, qui m'a rappelé que, au début des années 60, il y avait encore, dans certains hôpitaux parisiens, ce genre de salle commune.
Si tout cela sonne vrai, je n'en dirai pas autant du mystérieux personnage d'Eva ; plutôt que de représenter une femme française, elle évoque pour moi le fantasme féminin du narrateur.
Je m'interroge sur l'évolution des interventions du narrateur, parfois à la première personne du singulier, puis à la troisième ; est-ce pour mieux communiquer au lecteur ses sensations ?
J'ouvre aux ¾.
Fanfan
Suzanne
Annick L
Jacqueline(avis transmis de Paris)
J'ai aimé ce livre, cette vision de Paris, mais aussi de la Bretagne, par un étranger avec qui je me sens assez en sympathie : il veut connaître les choses à sa façon sans suivre tout de suite les circuits habituels ; il découvre par hasard le "Bullier" qui lui est familier parce qu'il en a lu quelque chose dans Anatole France... Même s'il prend les choses un peu comme elles viennent, il analyse ses sentiments et ses réactions…
En même temps, c'est un Paris, ou une Bretagne différents de ce que je peux en connaître aujourd'hui et cela aussi est intéressant. La partie parisienne m'a donné envie de relire Paris est une fête qui est aussi une vision de Montparnasse et du Quartier latin ou de lire Jours tranquilles à Clichy (je n'ai jamais réussi à le faire !). Les deux se passent, me semble-t-il, à peu près à la même époque…
J'ai été très intéressée par le premier chapitre sur l'Allemagne de la République de Weimar, avec l'inflation et quelques artistes, Max Pechstein dont j'avais vu une nature morte au Musée Picasso dans l'exposition L'art "dégénéré",

Georg Kaiser, un auteur de théâtre qui mourra exilé en Suisse et Rathenau cité comme écrivain, en fait homme d'État, abattu peu après…
Par contre, je regrette de ne pas pouvoir prendre plus de temps pour déguster l'ensemble du livre à cause de sa densité : entre les évocations de lieux, les descriptions de personnages croisés au hasard ou bien qui jouent un rôle important dans le récit, et les sentiments divers du narrateur, il faudrait pouvoir s'attarder…
L'ensemble du livre est une variation sur le thème annoncé par le titre : j'ai été sensible à tous ces portraits d'exilés, à cette espèce de réflexion sur l'essence de l'étrangéité, ou de l'identité. Le jeune narrateur est à la recherche de la sienne : un Albanais, qui partage sans doute avec lui quelque chose de l'histoire de l'empire austro--hongrois, lui affirme "Tu es turc" ! À travers cette vision de l'autre, il s'empare de cette assignation jusqu'à se dire nègre dans la dernière partie, un peu comme notre conférencier inclut Malek Oussekine dans sa visite du Paris noir… Or l'action du roman se passe juste à la naissance du nazisme. Je reviendrais bien à Delphine Horvilleur et à son Il n'y a pas de Ajar : monologue contre l'identité...
Au moins dans les deux premières parties, le narrateur se cherche. Dans la lettre du troisième chapitre (envoyée ?), il explique bien sa position de refus d'une nationalité autre qu'européenne et son désir de liberté. Quand son pécule sera épuisé, il va mener une vie précaire sans engagement, au jour le jour, trouvant des petits boulots quand cela est nécessaire (cela serait-il possible aujourd'hui ?). De même, cette légèreté lui a permis de suivre impromptu en Bretagne une belle sans doute désireuse de concrétiser sa rupture avec l'ingénieur. Mais il ne songera à l'épouser et à l'emmener en Hongrie que lorsqu'elle lui échappera pour une vie de femme mariée !
Je regrette un peu de ne pas avoir eu le temps de revenir plus attentivement à la troisième partie.
C'est un livre attachant. J'ouvre aux ¾.
Édith entre et
Fanny(avis transmis de Paris)
Je suis assez mitigée sur cette lecture. J'ai aimé l'écriture et le style, à mes yeux c'est de la belle littérature.
Je trouve également qu'il y a une réflexion intéressante sur la notion d'étrangers, par exemple p. 30 du Livre de poche "Singulièrement, ce fut précisément là-bas à Berlin, cette ville tellement patiente, qu'il prit pour la première fois conscience qu'il était hongrois." Cette réflexion sur l'identité individuelle et collective est pour moi le fil conducteur du roman, abordé de manière intime à travers les personnages.
Il y a de beaux portraits, notamment Émile et Eva, que j'ai trouvé touchante dans sa manière de vivre les différentes périodes de sa vie, associées à des histoires d'amour. C'est un peu comme si elle se laissait porter au jour le jour, mais tout en étant actrice de sa vie (c'est elle qui décide de la fin des histoires sentimentales et du début d'une nouvelle relation).
Seulement, à mon sens, ce roman manque d'action, ce qui fait que malgré l'écriture et les personnages, je me suis souvent ennuyée à la lecture.
À la fin de la première partie, lorsqu'il se retrouve sans le sou, j'ai espéré que le récit prenne une autre tournure. Ce manque d'action fait peut-être écho à la passivité du personnage qui me semble se laisser totalement porter par les hasards des rencontres.
Par ailleurs, je n'ai pas bien compris le découpage en chapitres, et je dois dire que le chapitre de 200 pages au début du livre ne m'a pas facilité la lecture.
J'ouvre à moitié.

Katell

Claire
Je l'ai lu à petites goulées sur trois semaines, par bouts de chapitre, et j'avais un grand plaisir à le retrouver, à retrouver le narrateur, au point que j'aurais voulu, charmée, que ça continue. Je souscris à tout ce qui a été dit de positif.
J'ai du mal à exprimer le cœur de ce que je veux dire : toutes les qualités du livre sous-tendent ce cœur :
- la composition et sa boucle : comme dirait Coluche, "c'est l'histoire d'un mec" qui prend le train pour aller à Paris et qui en revient
- les voix liées aux pronoms qui accompagnent le cheminement : le il de la 1ère partie qui étonnamment paraît un je, le vous au père, le je breton, le il parisien
- l'autodérision et l'humour : "bien que je sois assez imbu de moi-même, j'ai du mal à deviner ce qui les a séduits chez moi."
- des scènes grandioses : Paris qui danse, le repas funèbre, l'univers du Dôme... ; et aussi maints détails, le troupeau de chèvres à Paris par exemple, les timbres non édentés qui révèlent l'époque...
- le goût de ses mots : "C’est l’été, cette minute étirée en longueur" et de ses pensées "Le bonheur est rarement un état conscient – si nous nous rendons compte, ne serait-ce qu’un instant, que nous sommes heureux, cela nous emplit d’une insoutenable inquiétude." Et parfois le brio : "des 'ah !' et des 'Vraiment, c'est vous ?' et des 'Quel plaisir !' qu'on dirait sortis tout droit d'un manuel de conversation lui échappaient avec légèreté, comme des bulles d'eau gazeuse."

Le cœur c'est quoi ? Ce jeune homme hongrois fait une thèse à Berlin payé par une bourse américaine sur le gothique, européen. A Berlin "il prit pour la première fois conscience qu’il était hongrois". Dès la deuxième page, une liste : cathédrale de Cologne, Georges Bernard Show, Krupp, tour Eiffel, S.D.N, Maurice Chevalier, Zeppelin, etc. à travers l'Europe et l'histoire.
Où va-t-il pour chercher qui il est ? A Paris, lieu alors cosmopolite par excellence, où lui qui se sent européen, parrainé par un Hongrois qui se dit citoyen du monde, tout cela opposé au "patriotisme honteux, celui de la goulash", il est renvoyé à son étrangeté.
Il cherche qui il est, mais que faire aussi : faut-il vendre des chaussettes ou écrire ? Double recherche inséparable...
La rupture avec la femme est un grand moment, car quand gentiment elle évoque l'intérêt qu'il avait suscité chez elle parce qu'il était étranger "je ne pouvais pas savoir comment c'était, un Hongrois. Si chez vous il y avait des gramophones", il retourne la situation et à son tour fait mine avec provocation de l'avoir considérée comme on regarde un sauvage "comment prend-elle sa fouchette, comment fait-elle sa toilette ?", ce qui amènera l'insulte "sale étranger".
Il y a ensuite l'extraordinaire dialogue entre deux "sauvages", le voisin sénégalais et lui le Hongrois, avec au passage mention de la vitrine de l'avant-gardiste Paul Guillaume qui fait la couverture du livre ("vous n'avez pas vu les statues du Sénégal dans la vitrine de monsieur Guillaume ?"), se terminant par la question "suis-je un vrai Blanc ?". Je rejoins Jacqueline et son évocation de Delphine Hervilleur avec le refus des assignations identitaires : il est européen, et même un peu noir.
Le dernier paragraphe est l'apothéose :
"Il fut brusquement saisi d’une douloureuse nostalgie pour une patrie dont il n’arrivait pas à déterminer la position géographique et qui contenait le Vérmezo, les rues de Buda, le département japonais du Louvre, Rainer Maria Rilke, les usines de Billancourt, la chapelle Saint-Engelbert, il ressentit de la nostalgie ainsi que de la solidarité envers les gens qui arrivent à la porte du consulat à six heures du matin pour ensuite attendre en silence dans les couloirs ou ceux qui sont seuls, debout dans une pièce, à peindre des tableaux, ceux qui déambulent sur les routes nationales et dans les musées et ceux qui déferlent sur le boulevard, qui passent leur temps dans des promenades aussi légères qu’inutiles ou bien encore ceux qui sont allongés à cinquante dans des salles communes et regardent avec curiosité l’espace devant eux de leurs yeux vitreux. Cette nostalgie lui parut tellement douloureuse, tellement désespérée et immuable qu’il se sentit profondément blessé et il lui sembla évident que, quoi qu’il fasse et où qu’il aille dans l’avenir, il ressentirait toujours cette nostalgie et cette solidarité, à Gyarmat comme à Puteaux."
Pour moi un magnifique livre, dense et aimanté, donc j'ouvre en grand.
Manuel

Marie-Thé
Je pensais ouvrir à moitié ce livre qui m'a souvent ennuyée, mais en me remémorant la trajectoire du personnage principal, le jeune homme qui n'a pas de nom, je l'ouvre aux 3/4, pour l'écriture aussi.
Au lecteur de se faire une opinion, peut-être... de se tromper, de s'égarer, de se morfondre, comme le narrateur. De se poser un tas de questions, et sur ce point j'ai l'impression que le jeune homme ne se réveille que vers la fin.
Après une errance interminable de Paris aux côtes bretonnes, le festin funèbre que je n'ai pas aimé me paraît être ce qu'il y a de plus vivant (de juste aussi hélas, c'était en un temps, en un lieu...). Personnages impitoyables, taiseux, rustres, qui jugent et qui condamnent. Portraits, propos incroyables, mais chez le narrateur cela sent le vécu... A propos de la mer, on dirait que la marée basse est toujours aux mêmes heures, mais non ! Et ceci, archi faux : "chaque matin, la mer laisse derrière elle d'immenses catastrophes, des milliers d'animaux marins meurent sur le sable sec"...
Après donc des pages et des pages qui m'ont ennuyée, le dénouement d'une histoire à Saint-Malo m'a stupéfaite, choquée ("sale étranger"), mais ne m'a pas étonnée non plus, ce rejet de l'étranger jalonnant le livre.
Propos racistes encore, misogynes. La fille, alias Eva, est un peu sotte, "il n'a pas la mer, le pauvre". Veut-elle vraiment le consoler ? Prend-elle l'étranger pour un attardé ?
Difficile aussi pour moi de comprendre l'attitude de ce jeune homme qui se laisse porter par la vie, par ce qui se présente, par l'air du temps, par les autres, jusqu'à cet enlèvement incroyable dans le train ! Je me suis beaucoup posé de questions sur sa relation avec Eva.
En dehors de tout ça, j 'ai été très sensible à ceci : "tous étrangers et tous membres d'une seule famille, compliquée et désunie : les Européens." Ou encore : à Berlin "il prit pour la première fois conscience qu'il était hongrois." (Pensée pour Maryse Condé ou pour les sœurs Nardal arrivant à Paris)
Mépris du sculpteur pour les Français, les artistes en particulier, pour Emile Boudin avec ce "Ce n'est pas la même chose chez eux là-bas." Antipathique Borsi, personnage faux, allant faire la distinction entre peuple et populace dans ce Paris qui ne sait même pas ce qu'il commémore (résonance avec aujourd'hui). Travaux divers à Paris, misère d'étrangers exploités, inspirant méfiance (même de l'incendie de la forêt ils pourraient être coupables). Quelques passages drôles, chez Leroy : surtout ne pas vendre les tissus et être payé pour ça !
J'ai aimé les beaux passages évoquant le père, entre ses écrits et ses vignes, les plaines d'Europe centrale...
Je retiens encore ceci : "Les jours les plus rares de la vie sont ceux où nous avons conscience d'être heureux."
Ce livre est une quête, un chemin vers l'inconnu : "Je ne sais pas. (...) Pendant tout ce temps (...) rien ne s'est passé (...) Rien ne porte de nom."
Ce jeune homme m'apparaît quelquefois comme un apatride, mais je vois en lui un exilé (corps et âme), un déraciné, profondément inquiet, écartelé entre Hongrie et Paris, tellement indécis que, jusqu'à la dernière ligne, je me suis demandé s'il allait retourner dans sa terre natale ou suivre l'homme au Baedeker. Et finalement, "il lui sembla évident que, quoiqu' il fasse et où qu'il aille dans l'avenir, il ressentirait toujours cette nostalgie et cette solidarité, à Gyarmat comme à Puteaux."
J'ai bien sûr pensé à Stefan Zweig, à Joseph Roth.
Annick A
Françoise

Jérémy

Catherine
entre et


QUELQUES INFOS AUTOUR DU LIVRE


NOUS AVIONS LU...
N
ous avions lu un autre livre de cet auteur, et finalement bien peu d'écrivains hongrois... :
- en 1991 : Le Grand cahier (1986) d'Agota Kristof, écrit en français.
- en 2005 : La porte (1987) de Magda Szabó
- en 2006 :
Être sans destin (1975) d'Imre Kertèsz
- en 2006 : Les Braises (1945) de Sándor Márai
- en 2017 : Épépé (1970) de Ferenc Karinthy
- en 2022 : Le tango de Satan
(1985) de László Krasznahorkai.

PRÉSENTATION DE L'AUTEUR
En 1900, il naît à Kassa, dans l’ancienne Autriche-Hongrie, aujourd’hui en territoire slovaque.
En 1989, il se donne la mort en Californie, après plus de quarante ans passés en exil.

Pour voir ce qui se passe entre ces deux dates... :
- consulter ›wikipédia
- écouter "
Sándor Márai, l'odyssée mélancolique d'un bourgeois dans l'âme", par Ulysse Manhes, avec la traductrice Catherine Fay, Voix d'Europe centrale, France Culture, 29 juillet 2023, 30 min.

LIVRES TRADUITS
Tous sont en Livre de poche après avoir été publiés par Albin Michel.
Catherine Fay est LA traductrice de Sándor Márai : voir ›ici un entretien où elle évoque largement Márai.

- Le Premier Amour
- Les Révoltés

- Les Étrangers
- Un chien de caractère
- L'Étrangère
- Les Confessions d'un bourgeois
- Divorce à Buda
- L'Héritage d'Esther
- La Conversation de Bolzano
- Dernier jour à Budapest
- Les Braises
- Les Mouettes
- La Sœur
- Paix à Ithaque !
- Le Miracle de San Gennaro
- La Nuit du bûcher
- Métamorphoses d'un mariage
- L'orpheline
- Les grand romans : Le Premier Amour - Les Révoltés - La Conversation de Bolzano - Les Braises - Métamorphoses d’un mariage
- Mémoires de Hongrie
- Ce que j'ai voulu taire :
dernier volet inédit des Confessions d'un bourgeois
-
Journal, tome 1 : Les années hongroises 1943-1948
- Journal, tome 2 : Les années d'exil 1949-1967
- Journal, tome 3 : Les années d'exil 1968-1989

LE DÔME
Le Dôme, qui joue un rôle dans le roman a été fondé en 1898 par l’auvergnat Paul Chambon ; il est rapidement connu comme lieu de rassemblement intellectuel, c’est le premier café à Montparnasse.

Il apparaît chez les écrivains suivants, outre Sándor Márai dans Les étrangers, 1931 et Les Confessions d'un bourgeois, 1934 :
- Simone de Beauvoir, L'Invitée, 1943 et La force de l'âge, 1960.
- Ernest Hemingway, Le soleil se lève aussi, 1933 et Paris est une fête, 1964
- William Somerset Maugham, Le Fil du rasoir, 1944.
- Henry Miller, Tropique du Cancer, 1945.
- Elliot Paul, Murder at the Cafe Du Dome, 1939.
- Jean-Paul Sartre, L'Âge de raison, 1945.
Et aussi dans :
- Paroles de Paris, chanson d'Édith Piaf
- une séquence du film Cléo de 5 à 7 d'Agnès Varda sorti en 1962, qui se déroule dans le café
- dans le film Le Tatoué, sorti en 1968, où Jean Gabin dit s'être fait tatouer son Amedeo Modigliani au Dôme
- Sadorski et l'ange du péché, roman de 2018 de Romain Slocombe, où l'un des personnages relate que le Dôme avait apposé en 1940 l'affiche suivante en langue allemande : "Entrée interdite aux militaires et aux civils allemands".

Les artistes habitués du Dôme se faisaient appeler "les dômiers", dont :
- Robert Capra
- Henri Cartier-Bresson
- Max Ernst
- Tsugouharu Foujita
- Paul Gauguin
- Ernest Hemingway
- Gibran Khalil Gibran
- Vassily Kandinsky
- Marie Laurencin
- Sinclair Lewis
- Henry Miller
- Anaïs Nin
- Amedeo Modigliani
- Pablo Picasso
- Ezra Pound
- Man Ray
- Henri Pierre Roché
- Chaïm Soutine

LA CITATION EN EXERGUE dans le livre Les étrangers
Notre petite journée sera bientôt finie : les dernières
années s’ouvrent devant nous comme ces rues ;
......................................................................
« Porque sabes que siempre te he querido... »
Et un passant, qui m’a entendu, se retourne.

Valery Larbaud
La Rue Soufflot

Voici le poème entier, inclus dans une édition collective en hommage à Marie Laurencin, Éventail (NRF, 1922) avec des poésies de Allard, Carco, Chevrier, Codet, Fleuret, Gabory, Max Jacob, Valéry Larbaud, Pellerin, André Salmon, illustrés de 10 eaux-fortes originales de Marie Laurencin.

La Rue Soufflot

Romance pour l’éventail de Madame MARIE LAURENCIN

Notre petite journée sera bientôt finie : les dernières
Années s’ouvrent devant nous comme ces rues ;

Et le collège est toujours là, et cette place
Quadrillée, et la vieille église où nous avons vu
Entrer Verlaine mort. Au fond, malgré la mer
Et tant de courses, nous ne sommes jamais sorti
D’ici, et toute notre vie aura été
Un petit voyage en rond et en zigzag dans Paris.
Et même après, nous resterons encore ici,
Invisible, oublié, mais habitant toujours
La ville de l’enfance et du premier amour,
Avec l’étonnement des douze ans et de la rencontre,
Qui nous fait murmurer encore dans la foule :
« Porque sabes que siempre te he querido... »
Et un passant, qui m’a entendu, se retourne.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :
                                        
à la folie
grand ouvert
beaucoup
¾ ouvert
moyennement
à moitié
un peu
ouvert ¼
pas du tout
fermé !


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