Traduction du catalan d'Edmond Raillard

Quatrième de couverture : Barcelone années cinquante, le jeune Adrià grandit dans un vaste appartement ombreux, entre un père qui veut faire de lui un humaniste polyglotte et une mère qui le destine à une carrière de violoniste virtuose. Brillant, solitaire et docile, le garçon essaie de satisfaire au mieux les ambitions démesurées dont il est dépositaire, jusqu’au jour où il entrevoit la provenance douteuse de la fortune familiale, issue d’un magasin d’antiquités extorquées sans vergogne. Un demi-siècle plus tard, juste avant que sa mémoire ne l’abandonne, Adrià tente de mettre en forme l’histoire familiale dont un violon d’exception, une médaille et un linge de table souillé constituent les tragiques emblèmes. De fait, la révélation progressive ressaisit la funeste histoire européenne et plonge ses racines aux sources du mal. De l’Inquisition à la dictature espagnole et à l’Allemagne nazie, d’Anvers à la Cité du Vatican, vies et destins se répondent pour converger vers Auschwitz-Birkenau, épicentre de l’abjection totale.
Confiteor défie les lois de la narration pour ordonner un chaos magistral et emplir de musique une cathédrale profane. Sara, la femme tant aimée, est la destinataire de cet immense récit relayé par Bernat, l’ami envié et envieux dont la présence éclaire jusqu’à l’instant où s’anéantit toute conscience. Alors le lecteur peut embrasser l’itinéraire d’un enfant sans amour, puis l’affliction d’un adulte sans dieu, aux prises avec le Mal souverain qui, à travers les siècles, dépose en chacun la possibilité de l’inhumain – à quoi répond ici la soif de beauté, de connaissance et de pardon, seuls viatiques, peut-être, pour récuser si peu que ce soit l’enfer sur la terre.


(publié en 2004 et traduit en 2009)

Quatrième de couverture : Dans un petit village de Catalogne, à l'orée des Pyrénées, Les voix du Pamano s'élèvent. Nées dans la douleur au cours de la Guerre civile de 1936, l'écho de leurs cris ne s'est jamais tu. Traversant les années, entredéchirant amis et amants, il résonne encore au nom d'Elisenda, archange maudit, qui n'hésita pas à séduire et trahir pour assouvir sa soif de vengeance...


(publié en 1996 et traduit en 2006)

Quatrième de couverture : Cette saga décrit l’histoire de la famille Gensana, installée depuis la fin du XVIIe siècle dans les environs de Barcelone. De leur montée en importance, grâce au développement de l’industrie textile au début du XXe siècle, à leur décadence au lendemain de la guerre civile, itinéraire d’une famille à travers deux destins entrecroisés.


(publié en 1991 et traduit en 2004)

Quatrième de couverture : 1799, novembre et décembre. Il n'arrête pas de pleuvoir sur Barcelone, la ville en semble paralysée. Mais la vie superficielle de l'aristocratie bourbonienne poursuit son cours. Son unique souci : fêter le changement de siècle sur le plan religieux et sur le plan civil. Te Deum à la cathédrale, réceptions dans les salons luxueux... L'assassinat d'une cantatrice française émeut le bon peuple et la bonne société. On arrête un suspect, on en fait le coupable. D'autant plus coupable qu'on trouve en sa possession un document qui peut entraîner la chute de "Sa Seigneurie", la plus haute autorité judiciaire de la Catalogne : don Rafel Masso, régent de l'Audience Royale. Au "je ne l'ai pas tuée" d'un accusé auquel on ne donne pas les moyens de se défendre fait écho le "je ne voulais pas le faire" du régent qui, lui, a bel et bien étranglé sa maîtresse et couvert d'or son jardinier pour qu'il cache le cadavre. Peu de temps s'écoule entre la confession du jardinier et celle du régent, c'est-à-dire de la vengeance de l'humble à la déroute du puissant. Assez de temps cependant pour que nous devienne familière une ville qui se reconstitue une santé en dépit et aux dépens d'une aristocratie aussi veule qu'abjecte.


Photo de Jaume Cabré prise le 25 avril 2015 par Claire au Palau de la Musica à Barcelone (classé au Patrimoine Mondial de l’Humanité par l’UNESCO)

 

Par ailleurs, Baudelaire,
dans Spleen,
a un poème intitulé... "Le Confiteor
de l'artiste
".

Jaume Cabré (né en 1947)
Confiteor (publié en 2011 et traduit en 2013)

Nous avons lu ce livre pour septembre 2015, et éventuellement d'autres livres, parmi les romans de Cabré traduits en français :
- Sa Seigneurie
- L'Ombre de l'Eunuque
- Les Voix du Pamano
- Confiteor
Pour un deuxième livre à lire, conseil a été donné de commencer de préférence par Les Voix du Pamano avant Confiteor.

Le nouveau groupe parisien a lu Confiteor en mai 2019.

Documentation sur Confiteor et Jaume Cabré en bas de page, incluant une étude approfondie du roman par Marie-France qui a participé à la séance de chacun des deux groupes parisiens.

Cliquez pour lire les 41 avis parisiens et bretons : Ana-CristinaAnne Annick AAnnick L AudreyBénédicte Brigitte •Claire Claude Danièle Denis Émilie Fanny FrançoisFrançoise D Françoise HJacqueline Lil Lisa Lona Marie-France avec l'ancien groupe Marie-France avec le nouveau groupe Marie-Odile Marie-ThéMireilleMonique LMonique M NicoleRenée RozennSerge •Séverine et 9 autres avis bretons "globalisés".

Cotes d'amour (certains en ont deux) dans l'ancien groupe :

Bénédicte (avis transmis)
Je ne pourrai venir ce soir une fois de plus. J'ai pratiquement tout lu Confiteor. Je dois dire que bien que le style soit intéressant et même surprenant (passage de je à nous, présent et passé se mélangeant), je me suis ennuyée à la lecture de ce livre. Alzheimer a bon dos dans cette histoire confuse et je ne vois pas vraiment où le narrateur veut aller. J'attends vos avis avec impatience.
Brigitte (avis transmis)
Ce livre est vraiment beaucoup trop long. Il m'a fallu un mois pour en venir à bout ; du coup je n'ai pas pu lire d'autres choses qui me tentaient. Malgré ce gros défaut, c'est un livre très intéressant tant par son projet que par sa réalisation. L'auteur se permet de passer d'un personnage à un autre, d'une époque à une autre à tout moment : dans une même phrase, il peut changer deux fois de protagoniste et de siècle. Dans l'ensemble c'est toujours réussi, et on arrive à peu près à le suivre. Cela lui permet d'écrire trois ou quatre romans à l'intérieur du même livre.
J'ai nettement préféré la première partie. En effet, quand on a saisi comment fonctionne son procédé, le charme opère beaucoup moins. Très bonne description de l'enfant évoluant dans une famille dont il ne comprend pas du tout les ressorts de fonctionnement. Très bonne description du héros si savant, si brillant intellectuellement et quasi nul dès qu'il s'agit des relations humaines, incapable d'assumer ses propres positions, alors que sa grande recherche est celle de la vérité. J'ai beaucoup aimé le passage où il est question de ranger sa bibliothèque, les divers thèmes traités par ses livres font l'objet d'un partage des eaux, telle la création du monde rapportée par la Bible. Certains personnages sont particulièrement intéressants : le père, le moine, le jeune homme qui sélectionne le bois qui fera chanter le violon, Lola Xica, Sara, Bernat et le héros lui-même.
La fin est beaucoup moins réussie. Était-il nécessaire qu'il soit victime d'une escroquerie quand il se sépare enfin de son violon ? Était-il nécessaire de la faire sombrer dans la maladie d'Alzheimer ? Cette fin trop prévisible dévalue quelque peu le livre. Pourquoi surcharger le roman avec les déboires informatiques d'Adrià ?
Je suis néanmoins contente d'avoir découvert cet auteur et d'être parvenue à achever cette lecture.
Jacqueline
La lecture est déjà loin, mais il me reste des choses sur l'enfance du héros. Je suis très intéressée par cette espèce de roman dans le roman, et cette réflexion sur la vérité. Ça fonctionne avec ce qui se passe quand le héros approche un objet et que ça déclenche son histoire. Je suis admirative du travail de l'écrivain. Je serais contente de vous entendre. Il y a des choses très belles sur la guerre. Confiteor est un grand moment, un vrai roman. D'un autre côté, je ne suis pas sûre d'avoir compris toutes les subtilités. J'ai commencé Les Voix du Pamano : c'est une très belle histoire, plus proche de nous. J'ai lu L'Ombre de l'eunuque, un très beau roman, une histoire d'une enfance déchirée : ça a l'air d'être la même chose, mais c'est très différent. Il y a aussi du je et de la troisième personne. Je "l'ouvrirai en grand", mais pas Confiteor : je suis admirative du travail d'écriture, mais en même temps... je n'ai pas été totalement convaincue : le mal, toujours semblable, c'est quand même un peu "bateau", lieu commun. Et Confiteor demande un trop grand effort.
Séverine
Merci au groupe lecture. Merci aussi à qui a dit attention au début. J'ai aimé être dans un huis clos (appartement, bureau) avec un sentiment d'enfermement. Je trouve que la photo de couverture est très bien choisie, avec l'enfant dans la bibliothèque : "Toute ma vie j'ai été un fils", dit-il ; ce personnage sera toujours un enfant dans ses comportements. J'ai été plus sensible à l'amitié entre les deux hommes qu'à l'amour avec Sara qui est plus un prétexte pour le violon, c'est un peu facile ; la relation d'amitié est plus creusée, plus intéressante. Comme les objets qui ont une histoire... Je me suis surprise à aller jusqu'au bout (les gros livres...). Je suis très admirative du travail pour agencer des histoires parallèles. Je ne sais pas si j'en lirai d'autres, car le sujet du livre m'a plu et en lisant leur quatrième de couverture, les autres livres m'intéressent a priori moins. Si le personnage m'a bien plu, je trouve la maladie d'Alzheimer en trop. J'ouvre en très grand...
Monique L
C'est un livre difficile à résumer. Il est inconfortable à lire, mais captivant. Le style est limpide, clair. Les thèmes que j'ai repérés, je les ai trouvés intéressants, en particulier le poids du passé, cette réflexion sur l'être humain, la barbarie. Ce qui n'est pas clair pour moi, c'est la consolation par les objets ; le violon représente la rencontre du bien et du mal. J'ai apprécié toutes ses connaissances, son érudition. Il y a à la fois de la réalité et les transformations qu'il en fait. Et le rôle du shérif et de l'indien ! Leurs critiques sont intéressantes. Ce qui m'a beaucoup intéressée aussi, c'est l'atmosphère de cette maison. Il y a des choses sur lesquelles je suis passée et c'est difficile de revenir sur des passages antérieurs pour faire d'éventuels liens. C'est un livre qui m'a passionnée, que je relirai peut-être.

Lisa
J'ai lu en priorité Les Voix du Pamano. C'était compliqué, et les 150 premières pages, je n'ai rien compris ; ça change tout le temps. Ensuite j'ai été subjuguée par l'histoire. Je découvre l'histoire de la guerre d'Espagne qu'on n'apprenait pas à l'école.

Annick A
C'est marrant les générations...
Lisa
Au fil de la lecture, j'en suis venue à apprécier le style de la narration. J'avais envie de retourner dedans. J'ai ensuite lu Confiteor que je n'ai pas encore fini : je suis plus surprise par la construction : ce qui était déroutant ne l'est plus. Ça perd de sa force. Je vais le finir quand même. Pamano, je l'ouvre en grand, Confiteor aux 3/4 : il aborde moins Franco, ça m'intéresse moins car la Deuxième Guerre mondiale c'est plus courant dans les livres. Mais je suis admirative du travail de l'écrivain.
Denis
Je n'ai pas tout lu. Mais le groupe, c'est fabuleux, car c'est un livre que je n'aurais jamais lu. A chaque fois, c'est une expérience de lecture, c'est extrêmement riche.
Je suis comme cet enfant : il fallait apprendre avant tout, les mathématiques par exemple. La figure du père est énigmatique, tandis que la mère est à la maison : le père est décrit tel que l'enfant peut le voir. C'est plein de points d'interrogation, mais je n'ai pas la patience, je ne suis pas sûr d'aller jusqu'au bout. C'est abusif par moment de changer tout le temps de narrateur : au cinéma, comment on rendrait ça ? Je ne vois pas.

Rozenn
Avec des voix off !

Denis
Il y a un climat, avec cette famille. On envie de savoir comment ça va évoluer. Mais j'en ai marre des redites sur les camps de la mort.
Françoise D
J'ai adoré. Je n'ai aucune restriction. Je ne dis pas j'ai tout compris. Je n'ai pas eu un instant de lassitude, même au début. J'ai beaucoup aimé l'humour. Il y a un grand talent pour entremêler les différentes strates dans l'histoire, j'étais scotchée. C'est un grand auteur et je suis contente de l'avoir découvert : je l'ai recommandé à tout le monde autour de moi ! Il y a une maîtrise incroyable, un style. Ça été un grand choc, une grande surprise. J'ai savouré. Ne serait-ce que cette saga du violon ! Ce gamin avec son cow-boy et son shérif, c'est inventif. Je suis très émue avec le petit chiffon à carreaux. Et la façon dont il finit… ça fait de la peine.
Annick A(qui avait proposé cet auteur)
J'ai beaucoup aimé ce livre que j'avais lu il y a deux ans. Il fallait que je me le remette en tête. Je l'ai relu avec le même plaisir, entièrement. Ce qui m'a plu, c'est son principe narratif qui colle avec sa théorie sur le mal : le mal est le même quelle que soit l'époque ; c'est un livre pessimiste. Mais je n'en garde pas de lourdeur ; il y a de l'humour. Il y a l'art, son importance. Il pose des questions : est ce qu'on est responsable de ses aïeux ? Adrien se sent coupable ; il y a la culpabilité collective et individuelle ; il se sent coupable mais refait un peu ce que son père a fait. Et la place des objets, l'objet pour l'objet ! Il n'est pas prêt à lâcher son violon. A la toute fin, il disparaît. Il devient ce moine, celui du début. Adrià est tout le temps ailleurs, il n'est pas en relation avec les autres. Il est sympathique, mais passe à côté des autres. Tout recommence. Adrià est l'ensemble de tous ces personnages et à la fin, il redevient celui du début.

Rozenn
T'en as lu d'autres ?

Annick A
J'ai lu Sa Seigneurie, ça parle d'Espagne, au XVIIe siècle, une peinture sociale, assez pessimiste, dans la grande bourgeoisie religieuse, c'est moins bien que Confiteor. Mais dans Confiteor, le processus littéraire, c'est trop à la fin. Bernart, j'ai au début pensé que c'était un salaud, car il lui prend son histoire ; mais je ne sais finalement pas trop quoi en penser ; il la redonne. Et Gertrud ! Ça, c'est en trop.
Rozenn
J'ai d'abord commencé Les Voix du Pamano : je ne comprenais rien, ça m'agaçait. J'ai laissé de côté. J'ai pris Confiteor, ça m'a franchement énervée : ce ne sont que des procédés, ça m'a rappelé Umberto Eco qui rend les débuts difficiles pour sélectionner ses lecteurs ; l'abus m'a déplu. J'ai écouté les interviews, il a donné les règles du jeu : il veut casser la linéarité, il veut faire un tableau, un puzzle, mais on ne connaît pas le motif, j'ai l'impression de reconstituer les coins, mais c'est tout. Et puis tout d'un coup, je ne pouvais plus le lâcher, mais j'étais toujours agacée. À la fin, j'ai accepté le mécanisme. Ce personnage est odieux. La maladie d'Alzheimer je n'y crois pas, ni à l'histoire d'amour, ni à l'amitié. Mais j'ai aimé le passage de l'inquisition au nazisme, c'est formidable. J'aurais été l'éditeur, j'aurais été sévère. J'ai discuté avec Brigitte N (qui lit les livres du groupe mais sans y venir) qui était en colère contre le livre. Ensuite j'ai lu L'Ombre de l'eunuque et j'ai fini Les Voix du Pamano entretemps.

Claire
Tu as entremêlé les trois livres !

Rozenn
Exactement. J'ai aimé la femme qui est un beau personnage. C'est l'histoire qui est plus forte. Il y a les mêmes thèmes dans les trois, le dernier, Confiteor, qui est le plus ambitieux est le moins réussi. J'ouvre Confiteor à demi, Pamano et L'Eunuque aux 2/3. Avec de l'exigence, du rabotage, Confiteor pouvait être un très grand livre !
Fanny
J'ai bien aimé. Je l'ai lu vite et j'ai trouvé qu'il se lisait facilement. J'ai été déconcertée par le style, mais passé les premières pages, ça va. C'est assez fort de passer du je au il, d'un siècle à l'autre. TOUT FAIT SENS. Le mal est le même cours des siècles : ce chapitre est long à lire, et dur à lire. Adrià est touchant. Ce même livre, écrit de façon continue, n'aurait pas eu la même force. Je n'ai pas vu venir la fin : j'ai pris ça comme une trahison. Gertrud, je n'ai pas compris ce qu'elle venait faire là. Le shérif et l'indien, c'est très frais. Ce sont des détails : mais il confond les prénoms de la nourrice, c'est vraiment répétitif ; et je n'ai pas cru du tout à l'histoire de l'abus de la petite fille par le père. Les relations d'amante entre la mère et Lola, sont suggérées mais pourquoi pas c'est subtil. En tout cas c'est une belle découverte : c'est un livre fort.
Danièle
Au bout de trois pages, je m'en suis prise au traducteur : j'ai cherché sur Internet qui avait pu faire une telle traduction, et manque de chance il a eu un grand prix pour cette traduction ! Je trouve ce livre extraordinaire. C'est l'anti Proust, et j'adore Proust. Tout est simultané, des fulgurances sont mises côte à côte. C'est ambitieux : il exige la collaboration du lecteur ; il faut écrire avec l'auteur. Ça donne donc lieu à des raccourcis, comme en mettant côte à côte l'inquisition et le nazisme. Il y a une recherche constante de comment l'esprit pense : c'est ça qu'il réussit à faire. Contrairement à toi Denis, pour moi je ne me demande pas ce que ça donnerait au cinéma, car je trouve que ça vient du cinéma, c'est comme ça qu'on fait au cinéma où c'est plus facile dans les changements car on voit les personnages. Puis j'ai pensé à Umberto Eco et à Elias Canetti : ce dernier est cité dans Confiteor, c'est le même rapport des enfants aux parents ; on est dépositaire des parents. J'ai trouvé extraordinaire ce livre. Je n'ai pas du tout pensé à Alzheimer dans le livre ; mais après tout, on peut penser à cela dès les premiers mots, où on est dans la maladie. Il y a dans ce livre un gros travail sur la mémoire. À la fin, je n'ai pas tout compris. Mais parce que je l'ai lu vite (en une semaine).
Marie-France
Je l'ai relu plusieurs fois. Ce qui se passe, c'est quoi et pourquoi cette construction ? J'ai été sensible à un aspect qui n'a pas été mentionné : le tragique. La vie est tragique. Cet homme intelligent perd tout ce par quoi il est grand. J'ai l'impression d'un livre en abyme : ces décrochages fonctionnent comme des figures de style. Il part dans tes rêveries ; il ne peut pas dire certaines choses mais il peut les rêver. Par exemple, pourquoi Gertrud ? Pour réfléchir à sa responsabilité ; il y a d'ailleurs une différence entre culpabilité et responsabilité. L'art peut nous sauver, mais les nazis aussi aimaient l'art, donc on revient dans le mal. À chaque épisode, il commence par la fin, comme pour la catastrophe en Afrique. Il joue ainsi avec le lecteur. Il y a la partie de l'autobiographie qui est ancrée dans la réalité avec de vraies personnes (j'ai vérifié pour une série de personnages cités).

Claire
Vico sur qui il fait sa thèse, il existe ?

Marie-France
Oui, Storioni, Nicolas Eymerich et bien d'autres. Ensuite, on décroche, comme s'il voulait obliger le lecteur à vivre ce qu'il vit dans sa tête. J'ai adoré. Ça fait un an que je suis dessus.

Claire
Ça t'arrive souvent de passer un an avec un livre ?...

Marie-France
Jamais !

Rozenn
Tu en as lu d'autres ?

Marie-France
J'ai lu Les Voix du Pamano, je me suis ennuyée avec Sa Seigneurie, je n'ai pas fini L'Eunuque.

Annick L
Tu me disais que tu voyais des doubles.

Marie-France
Adrià et Bernat ne seraient-ils pas un seul personnage double ? Il y a un jeu de l'auteur avec le lecteur. Bernat et Cabré, ne seraient-ils pas une seule personne, Cabré se mettant en scène ? Il y a aussi un lien je trouve avec W ou le Souvenir d'enfance de Perec où il y a deux plans. Il y a des énigmes mais en même temps tout est dit. C'est un livre qui m'a touchée profondément.
Annick L
Il y a plein de leitmotiv, il y a des choses qui reviennent, c'est construit comme de la musique. Quand j'ai lu ce livre, j'ai vécu une expérience originale. Quand j'ai compris les règles du jeu, je me suis laissé porter. C'est un romancier fabuleux, ça marche. J'ai lu pour bien voir les décrochages : c'est du grand art, c'est très bien fait. Mon admiration tient au fait qu'il ose tout, ça fonctionne. Au final, il y a de la cohérence. Je n'en ai fait une lecture intello, quand on m'emmène, je laisse aller. Plus on vieillit, moins on se laisse embarquer.

Plusieurs
Mimiques songeuses

Annick L
Il y a une orchestration, des mises en relation. Il fait par ailleurs un parallèle entre ce que les Juifs ont subi et ce que les Catalans ont subi. On se sent bien le franquisme qui pèse sur la société. Ce sont des années de plomb.

Lisa
C'est pas présent comme dans Les Voix du Pamano.

Annick L
Oui, mais on sent l'oppression. Il y a une grande puissance d'évocation. Ce qui m'a permis d'accrocher, c'est l'incarnation d'Adrià et de Bernat. Adrià est touchant, il est victime du poids de sa famille. L'amitié très bien évoquée. C'est un personnage fascinant qui sait se faire aimer. Il y a longtemps que je n'avais pas eu un livre avec autant d'intérêt.
Claire
Quand la décision a été prise de lire Cabré pendant l'été, je suis tombée sur un voyage organisé littéraire à Barcelone avec une rencontre de Jaume Cabré : je n'ai pas hésité...

Danièle
La veinarde !

Claire
J'ai acheté les quatre livres, que j'ai commencé à lire un petit peu, pour être dans le bain, en repérant l'ambition et la difficulté. De la rencontre avec l'auteur et sa femme (à qui est dédié le livre) au Palau de la Musica mentionné dans Confiteor (Adriá y retrouve Sara p. 214), je suis sortie totalement conquise… L'idée de commencer par Les Voix du Pamano avant Confiteor a suscité son approbation.
Le temps s'est mis à passer sans que je m'y mette, le mois d'août est arrivé je n'avais encore vraiment rien lu… : j'ai donc commencé par Les Voix du Pamano ; assez vite ça me barbe, je me mets à sauter des lignes, des pages, des chapitres... ; j'abandonne en ayant l'impression que le thème peut être résumé et le tout habillé par la composition et l'effort du lecteur. Bon voilà une bonne chose de faite… Mais le temps file et j'ai ce gros pavé devant moi ; je finis par diviser le nombre de pages du livre en nombre de jours qui me restent : j'ai 52 pages à lire chaque jour. J'ouvre le premier chapitre : titre et exergue incompréhensibles, je saute à la table des matières entièrement en latin ! Je rejoins Rozenn : avant même les premières lignes, qui s'agit-il d'éliminer ? J'ai eu du mal dans les 120 premières pages à dépasser mes incompréhensions et à me demander quel était le projet. Cependant, beaucoup d'aspects positifs : la virtuosité avec les passages du je au il et du passé au présent mêlés, c'est comme un jeu amusant, comme l'univers d'Escher dont Cabré parle dans une interview ; il y a le sentiment d'une composition ambitieuse, avec une maîtrise de l'ensemble sur un thème décliné, une énonciation qui bouge, un entrelacement des périodes, un objet pour faire un fil. Ce qui m'accroche le plus, c'est l'enfant prodige qui épie les adultes, son parcours, ses relations amicales, amoureuses ; mais plutôt que la tragédie, c'est le côté vaudeville qui m'intéresse... Il y a des scènes d'anthologie : le rangement de la bibliothèque, le passage sur le vin, la visite du cloître... J'aime des formes de sensibilité, quand c'est drôle ("C'est la première mondiale de la veste qu'elle l'avait obligé à acheter"), subtilement poignant ("Je me mis à pleurer en cachette de moi-même").
Mais mais mais, tout ce qui est va-et-vient dans l'histoire et qui décline le thème grave ne me mobilise guère ; l'auteur s'oblige à faire dire le mot "confiteor" pour nous rappeler le thème. J'ai eu souvent une impression de pensum... J'ai relu le début, susceptible d'arrêter le lecteur, sur plusieurs dizaines de pages tout est clair en relisant ; mais il a fallu se taper toutes les obscurités avant… Je suis tombée aussi sur des aspects qui me semblent raplapla : l'ordinateur, la lettre du père codée en hébreu et araméen, la coïncidence de l'infirmière qui comme par hasard reconnaît le premier violon, Lola amante de sa mère (cheveu sur la soupe). Le récit adressé à un tu dont on ignore l'identité me paraît lourd ; et par là-dessus un des personnages qui lui-même écrit, pffftt.
En revanche j'ai trouvé tout ce que dit Cabré sur son écriture très intéressant, éclairant. Par ailleurs, ce qu'écrit Laurent Mauvignier dans un article me semble donner un élément de réponse à notre éternelle question : "QU'EST-CE QU'UN LIVRE POUR LE GROUPE LECTURE ?" car je trouve en effet que Confiteor est tout-à-fait-un-livre-pour-le-groupe-lecture : "Tous les écrivains sont des lecteurs, mais souvent leurs lectures ont d'abord pour objectif de nourrir leur propre atelier. Comme beaucoup de romanciers, il m'arrive de conseiller des auteurs et des livres qui ne font plaisir qu'à d'autres auteurs, qui y trouvent eux aussi matière à puiser, à questionner, à enrichir leur propre pratique. Les auteurs qu'on peut conseiller aussi bien pour des raisons de cuisine littéraire, et qui peuvent convaincre et fasciner des lecteurs qui n'ont pas eux-mêmes une pratique d'écrivain, ne sont pas légion. En fait, ce sont souvent les plus grands. Fascinants sur le fond, exigeants et inventifs sur la forme. Jaume Cabré est de ceux-là."
Mireille (avis transmis)
Ai-je bien fait de lire en premier Les Voix du Pamano ? Ce livre de poche avec ses 763 pages, je n'oubliais jamais de le glisser dans mon sac partout où j'allais, car j'aimais retrouver le village de Torena et ses habitants sous le régime franquiste. La force de l'histoire, les secrets, les sentiments passionnés, la haine, la vengeance, la torture des phalangistes m'entraînaient loin de mon présent. Même en refermant momentanément le livre, je restais sous l'empreinte durable des personnages : Elisenda, la magnifique châtelaine sensuelle éclatante d'ombre funeste, est inoubliable ; de même, son amant l'instituteur qui confie à sa fille son combat caché contre les phalangistes ; une nouvelle institutrice trouvera son cahier dans l'école et s'en emparera comme dans un thriller… Les 50 premières pages, sans doute plus, ont exigé de ma part une grande concentration, tant la construction du roman et la narration sont inhabituelles : au fil de ma lecture, je me suis accoutumée à changer d'époque, de personnage, à voir surgir un autre récit et cela d'une phrase à l'autre. J'ai eu du mal à quitter ce roman. Je l'ouvre en grand.
Alors voilà, après Les Voix du Pamano, je n'ai pas souhaité me lancer aussitôt dans Confiteor vu les 771 pages d'un livre broché encombrant et lourd qui ne me suivrait pas partout. Conclusion, je n'ai pas terminé ce roman. Là encore, comme c'est mentionné dans la 4e de couverture, "Confiteor défie les lois de la narration pour ordonner un chaos magistral" extrêmement savant. J'ai découvert Jaume Cabré grâce au groupe de lecture. Cet auteur me touche, ses histoires me passionnent et j'admire son érudition. Dès la deuxième ligne de Confiteor, il nous confie les sentiments d'Adrià "ce n'est qu'hier soir (…) que j'ai compris que naître dans cette famille avait été une erreur impardonnable. Tout à coup, j'ai vu clairement que j'avais toujours été seul, que je n'avais jamais pu compter sur mes parents ni sur un Dieu à qui confier la recherche de solutions"... Il me reste 300 pages à lire, aussi je n'en dirai pas plus sur Adrià et ses deux fidèles soutiens : les figurines d'un shérif et d'un indien.
Renée (du club de lecture de Narbonne et qui avait assisté à une rencontre en 2014 avec Jaume Cabré à Rivesaltes, le jury du Prix des Vendanges littéraires ayant décerné le prix "Jean Morer" à Jaume Cabré, pour l’ensemble de son œuvre)
C'est un formidable livre, ambitieux, érudit, composé par Cabré avec l'idée d'écrire en trois dimensions. Effectivement, en le lisant j'ai pensé à un hologramme, ou plutôt à une multitude d'hologrammes. Lors de la rencontre à Rivesaltes en 2014 il a parlé de collage surréaliste. Au départ, deux nouvelles sur l'inquisition, puis il rapproche avec Auschwitz, imagine un enfant qui vit dans son quartier mais est plus riche, plus intelligent, dans une maison plus grande, un musicien, donc un violon, donc un luthier, donc un arbre, donc une graine, etc. Ces deux nouvelles - raconte-t-il - ont grossi, grossi… jusqu'à 770 pages et 7 ans de travail. Son roman précédent (Les Voix du Pamano) se terminait sur la phrase de Jankélévitch "Père, ne pardonne pas car ils savent ce qu'ils font" : c'est l'idée dominante de Confiteor.
Les thèmes principaux : le Mal, banal et en chaque homme, l'Art qui sauve de tout - pour lui, c'est ça la transcendance, l'art et la beauté - la Culpabilité, l'Humanisme, la Culture, le Pardon, l'Enfance, avec la description de cet enfant "précoce dans tous les domaines" : il est seul et, comme tous les surdoués, il a une acuité terrible, sur lui et sur les gens qui l'entourent ; il se sait différent des autres ; il est hyper lucide, donc malheureux puisque pas aimé ; enfant avec un mental d'adulte, il finira vieillard avec un mental de bébé. Cabré devait être précoce lui-même pour avoir décrit avec autant de justesse la connaissance de ce petit garçon sur sa différence ; enfant, il lisait indifféremment en catalan, en français et en castillan. Superbe idée aussi de la graine de l'arbre qui pousse en catalogne, qui est débité longtemps après, part pour Crémone, est transformé en violon, transite par des Juifs (j'en oublie…) et revient à Barcelone.
J'ai posé la question : "Pourquoi dans la même phrase vous écrivez je ou il ?" Réponse de Cabré : "J'avais commis un petit livre où j'employais la troisième personne et un ami me dit : c'est trop personnel, tu DOIS l'écrire à la première personne. J'ai tout recommencé et je n'étais pas satisfait. Depuis je zoome, je me rapproche ou je m'éloigne, c'est selon".
Ce roman est si riche et dense que depuis un an et demi que je l'ai lu, alors que j'ai oublié beaucoup de choses, il me revient le père, amateur de vieux documents, qui possède la dernière page du Temps retrouvé, formidable ! Je me souviens quand même que c'est un capharnaüm, un chaos d'époques, d'actions, de lieux. Il faut se concentrer pour tenir le fil. Cependant, on est ébloui par l'érudition, on s'attache aux personnages, on adore ce petit garçon, on a envie de le choyer. Cabré aime la musique, la peinture et pour lui, seul l'ART peut nous aider à accepter le réel, le trivial, notre petite vie…
Dans Pamano, que j’ai adoré car je l’ai lu comme l’histoire d’une rédemption, j’ai détesté l’affaire de la béatification ; je l’ai trouvée incroyable. Cabré voulait montrer l’entente des Franquistes avec l’église, ok, mais c’était l’église d'"Espagne", pas le Vatican. Pamano est proche de nous géographiquement et ici, en Catalogne d'où je suis, nous étions un peu témoins, en seconde main, de la guerre civile : 80% des employés de mon père étaient des réfugiés espagnols et leurs enfants étaient mes camarades de classe. Anecdote : ça m’amusait de les entendre traiter leurs compatriotes venus travailler en France dans les années 50 à 60 d’un air méprisant “ces Espagnols...”
Serge (d'Avignon)
A Barcelone, le narrateur, 60 ans, dit avoir fait une erreur karmique en naissant dans une famille sur laquelle il n'avait jamais pu compter pour trouver des solutions à ses problèmes existentielles. Il s'adresse à la seconde personne du singulier à quelqu'un d'inconnu pour le lecteur dans un monologue intérieur narcissique, revient 500 ans avant dans un monastère, dès lors on attend un nouveau Au Nom de la rose d'Eco. Peu à peu le cadre se révèle : un bureau avec un autoportrait, celui du fils, à qui il va léguer les clefs du mystère de sa vie. Il est un collectionneur de manuscrits. Sa généalogie se reconstruit autour de toute une famille de chats et d'une occupation : jouer du violon. Nous traversons toutes les époques, en partons, y revenons, mais toujours le violon et les chats nous suivent...
Je me suis arrêté à la page 499, désolé, j'ai capitulé sur la scène du meurtre des enfants dans le camp d'extermination par les nazis, scène violente et inutile et surtout cette phrase qui me semble très incorrecte : "Il leur administra l'injection dans le cœur sans explication" (Comment est-ce possible ? Dans les veines qui conduisent au cœur ? dans la poitrine ?...), je pense qu'un tel sujet exige qu'on se pose les bonnes questions narratives et qu'on s'interroge sur les images que le lecteur forme dans sa tête. Certes, de tout temps la barbarie a dominé. Y mettre un tel doigt : était-ce nécessaire ? Quel était le but recherché, là ? Jaume Cabré a refermé, pour le lecteur que je suis, la porte de son œuvre.


15 AVIS DES 2 GROUPES BRETONS Voix au chapitre réunis le 15 septembre 2015

Confiteor, lu par 12 lecteurs : 9 "ouvrent en entier", 2 aux ¾, 1 à ¼
Les Voix du Pamano, lu par 4 lecteurs : 3 en entier et 1 aux ¾
L'Ombre de l'Eunuque, lu par 3 lecteurs : 3 en entier

6 avis bretons détaillés :

Claude
Confiteor est un livre époustouflant.
Dans le regard qu'un homme porte sur sa vie, se trouvent englobés les pans d'autres histoires, d'autres vies.
Par heurts surprenants ou simples glissements, on passe d'un temps à un autre, d'un lieu à un autre, d'un personnage à un autre. C'est un livre très dense. Il suit l'épaisseur d'une vie, donne à voir l'importance des croisements de chemins et de personnes, réfléchit sur la permanence du mal, les doutes, la culpabilité, la recherche du bonheur aussi, les refuges de la connaissance et la valeur de l'art... et...
Lecture extraordinaire et jubilatoire dont j'ai eu l'impression qu'elle me faisait lectrice plus "professionnelle", en tous cas, pour ce livre là, lectrice tout à fait enthousiaste et admirative.
J'ouvre "en très très grand".
Lona
Dans Les Voix du Pamano, on évolue dans un puzzle d'écriture avec une flopée de personnages et dans une jungle chronologique en sautant d'une époque à l'autre, parfois au milieu de la même phrase. Les pedigrees patrimoniaux à rallonge, les citations en latin, les mots inachevés, m'ont déstabilisée en début de lecture. L'écriture est parfois insolite, incohérente (comme lors du premier assassinat de Targa). MAIS, dépassant cet inconfort, je me suis laissé envahir ou attendrir par certains personnages. Le récit commence dans une ambiance de roman policier ; on évolue sur une période de plus ou moins 70 ans, avec des allers-retours entre les époques et entre les personnages, parfois dans la même phrase.
La trame historique est la guerre d'Espagne. C'est un livre poignant sur cette guerre et de tout ce qui gravite autour : magouilles politiques, contrebandes, manipulations, délations, tortures et crimes, vengeances, influences, expropriations, spoliations et enrichissements, pouvoir de l'argent, place et poids de l'Église (Opus Dei) dans la société espagnole. On y parle de : phalange, maquis, fascisme, franquisme, république, anarchisme, communisme, nationalisme... (j'avais oublié cette Histoire), mais aussi de la vie quotidienne de gens ordinaires d'un village ordinaire de Catalogne : des gens de la carrière de marbre, des sculpteurs de stèles mortuaires, de paysans, de familles riches, de clergé. Dans la saga familiale de la famille Vilabru, le personnage central est ELISANDA : on l'aime ou on la déteste, mais elle ne laisse pas indifférente. L'histoire des sentiments y tient une grande place : séductions et trahisons, vengeances et violences, manipulations... TINA est un autre personnage important : elle se bat contre son cancer, contre son mari Jordi qui la trompe, contre les choix de son fils Arno, qui veut se faire moine ; Tina part à la recherche de la vérité historique concernant la vie et le décès d'un instituteur, ORIOL : qui était-il ? de quelle côté de l'Histoire était-il ? Ce livre est une quête de vérité, politique et familiale - peut-être d'une impossible vérité ? - où mensonges et secrets cohabitent avec lâcheté et cynisme. La place d'ORIOL dans le livre me semble plus secondaire.
De l'humour aussi : le chat Dr Jivago, les moqueries concernant le clergé...
Un livre très intéressant, à recommander.
Lil
J'ai adoré ce livre qui, outre sa virtuosité littéraire, son érudition et son humanité, m'a ouvert de nombreuses pistes de réflexion (ce que j'attends d'un livre !).
La construction du récit est époustouflante : on a l'impression d'une transcription du flux de la pensée qui, par fulgurantes associations, vole d'un lieu à l'autre, d'une époque à l'autre, d'un personnage à l'autre, parfois en superposant les plans, dans une même phrase, un même paragraphe, une même page. Et, malgré cela, on ne s'y perd pas : on prend très vite une sorte d'habitude à naviguer dans le récit avec plaisir et impatience d'en connaître la suite... Cette superposition des différentes époques, depuis le Moyen-Âge à nos jours, montre à quel point, l'histoire et les comportements humains se réécrivent indéfiniment, ce qui n'est guère réjouissant (voir le chapitre 24 "Palimpsestus" : éblouissant !)
J'ai aussi aimé retrouver, dans ce récit, l'utilisation de la langue comme outil de manipulation. Nous avions lu, à ce sujet, dans le groupe : LQR, d'Éric Hazan. Les passages en italique nous ramènent, de temps à autre, dans l'ici et maintenant : la réalité d'Adrià sombrant dans l'Alzheimer. Ces alternances entre l'excellence intellectuelle de ce personnage, qui ne vit que dans sa tête, et le terrible naufrage de ses facultés mentales, sont une piqûre de rappel douloureuse de la précarité de notre condition humaine. C'est l'humanité tout entière, décrite là, dans ce qu'elle a de meilleur et de pire. Lors d'un rêve d'Adrià, à la fin, l'auteur rassemble tous ses personnages dans le métro, montrant ainsi qu'ils sont bien le tissu d'une même humanité.
J'ai aussi aimé :
- l'imbrication des "petites" histoires dans la grande Histoire, la façon dont les actions des uns, des autres interagissent...
- le parallèle entre l'inquisition et le nazisme
- la réflexion sur le mal, universel et intemporel, la justification idéologique du mal (ni compassion, ni remords), Dieu et le mal, le mal gratuit = aucun avenir pour l'humanité ?, le corollaire mal et beauté
- le rappel des outils des dictatures de tout poil : la peur, la violence
- le personnage d'Adrià : son éducation sans amour, basée uniquement sur les projections parentales, qui va déterminer sa personnalité (l'amoureux, l'intellectuel brillant, le vieillard...) ; il est lâche, égoïste, enfermé dans sa bulle, mais si malheureux et si solitaire...
- l'invention très maligne des deux figurines : Carson et Aigle Noir qui interviennent lors d'un doute ou d'une émotion chez Adrià enfant ou en tant que conscience d'Adrià adulte  ; elles ne sont pas sans rappeler le criquet de Pinocchio
- l'amitié rude mais indéfectible entre Bernat et Adrià
- les réflexions sur la littérature, l'art, la beauté ("Survivre au chaos, grâce à l'art", est-ce possible ?) ; l'euthanasie (la difficulté des proches à accéder au souhait du malade...) ; le bonheur (via la vie compliquée de Bernat) ; la culpabilité, l'expiation, le pardon ; la lâcheté, la trahison, l'amour trahi.
Enfin, il faut souligner l'humour qui allège la gravité du livre !
Confiteor s'inscrit en tête des meilleurs livres rencontrés au cours de ma vie de lectrice.
Marie Thé
Arrivée vers la moitié, j'abandonne, je n'en peux plus de ce délayage, de ce chaos (délire ?). Un livre sur le Mal souverain ? Tout ça pour ça ? Je ne suis pas séduite par l'originalité rencontrée ici : les époques qui s'entrechoquent, le personnage principal passant du "tu" à "Adrià"... Cela me fait penser à ces films où on remarque surtout les effets spéciaux. Pour revenir au fond, même si on sent poindre le mal, s'il suinte même dans ce cadre de vie que s'est constitué Fèlix Ardèvol, mais aussi en d'autres lieux et en d'autres temps, pourquoi ces interminables pages qui partent dans tous les sens ? Cet éparpillement ? Fond et forme m'agacent. Je ne peux m'empêcher de penser au livre de Jonathan Littell, Les Bienveillantes (insoutenable, j'en ai arrêté la lecture en cours de route), ou encore à l'œuvre du réalisateur Michael Haneke, c'est autre chose...
Je retiendrai de Confiteor quelques passages glanés ça et là, impression d'être moi aussi chaotique et confuse : "je vois mon enfance comme un long et fastidieux après-midi de dimanche", l'évocation des photos passant du sépia au gris... comme Barcelone, "ce qui était clair dans mon enfance sombre", de Lola Xica : "elle me fit un baiser sur le front, comme ceux que maman ne me fait pas". J'ai aimé ces quelques lignes décrivant les têtards qu'on voudrait grenouilles, les nids d'hirondelles, et "l'apothéose des jours où on battait sur l'aire de Cancasic... Personne ne m'enlèvera ce souvenir." Impossibilité d'oublier le meilleur et le pire. A noter la place importante du violon qui traverse temps et espace ; à l'origine de l'instrument, du côté de Sant Pere del Burgal, le cadavre nourrit l'arbre qui deviendra le violon. L'étude de l'araméen voulue par le père m'interpelle, n'était-ce pas la langue parlée par le Christ ? J'oubliais, où est la beauté de l'écriture ? Même en laissant de côté "casser les couilles", "putain de sa mère", "aux chiottes l'esthétique", "putain de merde", etc., etc. pas terrible je trouve. Il est écrit (p. 157) "toute ma vie j'ai mélangé les choses", sans commentaires.
Comme je n'aimais pas ce livre je suis allée voir les avis de Paris, je rejoins les livres fermés. J'ai aimé l'interview de Jaume Cabré, l'évocation de Rudolf Höss qui voulait être prêtre et qui s'est retrouvé en enfer, de la photo d'Himmler enfant, et surtout de Vladimir Jankélévitch pour qui il est impossible de pardonner aux bourreaux et cette phrase : "Père, ne leur pardonne pas car ils savent ce qu'ils font"... J'ai encore pensé à Robert Merle, La mort est mon métier, à Marceline Loridan.
J'essaie encore de comprendre cet engouement pour Confiteor, si je n'en avais pas lu la moitié, après l'échange de Voix au chapitre-Morbihan, et la lecture de critiques élogieuses, plus la quatrième de couverture prometteuse, je me serais précipitée sur le livre.
Pour Mone, Confiteor est un grand livre, vraiment pas loin de crier au chef d'œuvre. Avis réducteur, attendons plus de développement de l'intéressée...
Marie-Odile (du groupe Voix au chapitre-Morbihan, mais également d'un groupe de lecture des Pyrénées orientales qui a programmé Confiteor) avait écrit ce texte pour nous convaincre de programmer ce livre... Elle n'a pas changé d'avis depuis.
Confiteor un récit d'une grande originalité, extraordinaire par sa construction et son style. Jamais de ligne droite. Passé et présent se mêlent. On passe de l'un à l'autre sans transition, mais avec une grande aisance. Les époques et les différents récits sont contenus les uns dans les autres, un peu à la manière des poupées russes : on ouvre une porte et à l'intérieur de celle-là une autre porte s'ouvre puis se referme et on revient à la première, tout cela de façon fluide. On finit par pressentir les articulations muettes qui font basculer le lecteur insensiblement d'une époque à une autre, d'un personnage à un autre…
Parfois les textes se récrivent, se redisent, se recoupent, se recouvrent, les dialogues s'enchevêtrent, un personnage peut en cacher ou en révéler un autre (cf. partie IV : Palimpsestus). On est confronté à des mystères (concernant le père par exemple) à des énigmes, un récit restant en suspens pour être repris parfois 100 pages plus loin. Dans cet intervalle, le lecteur toujours en éveil essaie d'anticiper sur ce qui lui sera confirmé plus tard, et il y parvient parce que les indices sont là même si simplement suggérés, implicites.
Parfois, l'écriture rapproche le vécu du personnage et certaines grandes œuvres, dans un enchevêtrement magique : le rangement de l'appartement et le récit de la Création de la Genèse (dans l'extraordinaire ch. 24), la mort du père et l'Opéra de Wagner, les retrouvailles de Sara et Adrià à Barcelone et Les Affinités électives de Goethe, les vacances à la campagne et le tableau de Poussin "Et in Arcadia ego".
Le style est étonnant : à l'intérieur d'une même phrase, le personnage principal, Adrià, est désigné par son prénom et le pronom il puis par le pronom je, ou l'inverse. On passe d'une personne à l'autre sans qu'il y ait cependant la moindre confusion. C'est absolument magique ! Des expressions en poupées russe aussi, par exemple : "Il commençait à avoir la nostalgie d'avoir la nostalgie du paysage froid de Tûbingen" (p. 360). Qu'on avance avec délice dans ce texte qui ressemble à un chaos est étonnant ! On comprend tout, là où on ne devrait rien comprendre. Peut-être parce que cette écriture reproduit les itinéraires intérieurs de nos pensées qui vagabondent d'un lieu à l'autre, d'une époque à l'autre, d'un personnage à l'autre, d'un destinataire à l'autre, sans que cela ne nous étonne jamais. Tour de force que cette adéquation entre l'écriture, figée, et la mouvance insaisissable de nos pensées.
Le récit de base est une gigantesque rétrospective autobiographique d'Adrià qui vit à Barcelone. On commence dans le monde de l'enfance, là où la conversation avec une statuette d'indien et de shérif tient lieu de petite voix intérieure pour Adrià et on suit le personnage au cours de sa vie. Il s'adresse à Sara, la femme aimée. Plusieurs digressions (le mot est mal choisi) aussi et même plus importantes que le récit de base se greffent sur ce fil conducteur biographique avec pour tremplin souvent des objets.
Car c'est un livre qui parle de la force des objets chargés d'histoire, de vies et de morts. On suit dans le plus grand désordre le parcours d'un violon dont on peut reconstituer la vie depuis et avant même sa fabrication, à la manière d'un puzzle. Il en est de même pour une médaille représentant une vierge à l'enfant, pour un petit chiffon sale à carreaux bleus et blanc qu'on déplie de façon liturgique et qui prend valeur de "poème écrit après Auschwitz", pour le tableau d'Urgell qui revient comme un leitmotiv.
C'est un livre foisonnant qui dit l'absence d'amour, l'amour, le mensonge, le secret, l'amitié, le vieillissement, la fin de vie, les idées, l'art, la musique et la littérature, la beauté, le hasard, la culpabilité (d'avoir survécu, de ne s'être pas révolté, d'avoir été lâche), le Mal surtout, la cruauté, ce que signifie être juif, le pardon, la vengeance. Un parallèle très fort est établi entre l'Inquisition et le Nazisme.
Bref, c'est un texte très dense qui donne à réfléchir, qui peut être terrible, bouleversant (p. 632), triste, avec un brin d'humour tendre parfois et un coup de théâtre final. Un texte qui aborde à la fois les grandes barbaries de l'Histoire et des questions d'aujourd'hui, qui entraîne le lecteur dans un véritable tourbillon. Je me suis laissé emporter pour mon plus grand plaisir.

Quant au livre Les Voix du Pamano, c'est un texte foisonnant, un peu fouillis au début, ce qui a découragé ma première tentative de lecture, mais une fois passés les premiers chapitres, je me suis laissé emporter dans ce récit-puzzle que Cabré maîtrise si bien, dans ce va-et-vient qui s'accélère, d'un personnage à l'autre, d'une époque à l'autre (années 40, 50, 70, 2002).
Un style particulier, cassant totalement les règles du discours direct/indirect/indirect libre. Une façon particulière de présenter dans un dialogue à la fois ce que le personnage aurait dû (ou voulu) dire pour être en accord avec lui-même et ce qu'il dit vraiment, par exemple Elisenda devant son oncle mourant, pensant sa rupture avec Quique. Cela introduit une pointe d'humour, tout comme la façon de désigner les personnages ("Bouquet de Fleurs" = femme rencontrée par Targa, "Toi Toi Toi" = les hommes désignés pour assassiner le père et le frère d'Elisenda). Cabré s'amuse des noms de famille à rallonge qui rappellent l'importance de l'origine, de la filiation dans ces grandes familles (thème que l'on retrouve dans l'Ombre de l'Eunuque où deux arbres généalogiques sont dessinés, où un chapitre est consacré à la Guerre des Noms). En même temps il désacralise ce qui se veut respectable, soulignant le fossé entre l'apparence et la réalité (par exemple Elisenda, "mi-pute mi-mieux-vaut-ne-pas-en-parler", expression répétée de façon comique. Dans L'Ombre de l'Eunuque il ajoute au nom du personnage des termes exprimant son état d'esprit ou sa situation à un moment donné, souvent avec ironie, par exemple : Maurici Sans Terre, Maurici le Triste, Miquel II Gensana l'Indécis, Miquel le Séparé de Nouveau, Miquel le Séparé depuis Longtemps etc. Pour moi Cabre est un inventeur de noms. Aux noms de famille, aux surnoms, s'ajoutent les nombreux noms de lieux bien réels ceux-là, aux sonorités musicales, évoquant un contexte géographique particulier, noms des montagnes sillonnées par les contrebandiers puis les maquisards, noms de villages, noms de fleuves : Torena, Sort, Noguera, Douro etc… Le "Pamano" du titre n'est-il pas la rivière aux mille noms ? (p. 353)
Le cadre du récit est un village en proie aux haines familiales et à la vengeance (opposition entre phalangiste, fascistes et républicains, communistes, catalanistes), dans une période historique très perturbée et j'aime ces destins individuels marqués, forgés par l'Histoire. C'est un roman qui regorge de secrets (qui est qui ? avec qui couche Elisenda ? que s'est-il passé vraiment ?). Par exemple, Oriol travaille avec les maquisards, mais il est connu comme phalangiste, Marcel est le fils d'Oriol et Rosa et non d'Elisenda et Santiago… On avance de révélations en révélations. Ce récit retrace la quête d'une vérité qui une fois découverte s'échappe de nouveau. Marcel détruit les écrits de son père transmis par Tina et on sait dès les premières pages que l'ordinateur de Tina sera visité et les cahiers d'Oriol effacés. Le début et la fin du roman annulent tout le reste du récit, comme s'il n'était que ce trait d'union entre deux dates inscrites sur une pierre tombale. Seul Serallac, le graveur, garde peut-être une idée de la vérité. D'ailleurs, ils s'appellent Jaume, Jaumet, ces Serallac, comme l'auteur qui, lui, grave sur le papier. C'est un roman sur l'impossible vérité qui échappe toujours, sur le mensonge, le caché, l'ignorance, la trahison, la vengeance. Tout le monde est trompé (Targa, Elisenda, Oriol, Marcel). La version officielle des choses est souvent à l'opposé de la vérité, comme la mort d'Oriol.
Deux personnages sont fascinants : Elisenda, toute puissante grâce à l'argent ; elle achète tout, possède tout, fabrique ce monstre de Targa pour venger père et frère ; grande séductrice, personnage inaccessible, elle maîtrise tout, mais "trompée "par son cher amour, elle le trahira auprès de Targa à qui elle reprochera ensuite de l'avoir tué ; elle voudra se racheter en demandant la béatification, la sanctification d'Oriol. On tombe alors dans la parodie, la caricature. Quant à Oriol, victime naïve de Targa, il devient complice de la mort d'un enfant de 14 ans - cette mort étant le moment fondateur, le point de bascule du roman - et passe le reste de sa vie à tenter de se racheter. Mais le rachat est-il possible ? "mes actes m'accompagneront toute ma vie. Mes actes et mes omissions. Si l'on n'est pas disposé à vivre dans l'inconscience, il faut savoir accepter le poids de son passé", déclare Miquel dans L'Ombre de l'Eunuque. C'est un thème récurrent chez Cabré et le poids du passé est souvent le poids d'une vie ôtée.
Au final c'est un roman palpitant, un vrai plaisir de lecture, malgré quelques invraisemblances (les activités d'Oriol restées secrètes si longtemps, la façon dont il "se rend" se sentant démasqué par Bouquet de Fleurs). Le style annonce Confiteor qui, à mes yeux, le surpasse.
Nicole
Je ne vais pas reprendre les propos de Lil et de Marie-Odile, j'ajouterai simplement que ce livre m'a emportée, ce qui est d'autant plus remarquable que je suis beaucoup plus sensible à la littérature du Nord. Du même auteur, il me reste à lire L'Ombre de l'Eunuque, ayant lu Les Voix du Pamano avant Confiteor comme l'auteur, via Claire, l'avait recommandé. Bien que plus centré sur le franquisme et avec moins de personnages, Les Voix du Pamano ont été d'un abord plus difficile, surtout les cent premières pages...

 

8 AVIS du nouveau groupe parisien réuni quatre années plus tard le 10 mai 2019 autour de Confiteor (entretemps sorti en poche)

 

Ana-Cristina
J'ai trouvé intéressante l'idée d'entrelacer les histoires (petites histoires et grande Histoire, et petites histoires entre elles) qui convergent vers celle d'Adrià. Il y a un but à tout cela bien que je ne sache pas encore lequel. Petit à petit je comprends qu'il s'agit d'ôter les voiles qui cachent des secrets. J'assiste à la levée des mystères. La dispersion des indices est une invitation à jouer avec l'auteur. J'accepte l'invitation avec plaisir.
L'idée qu'un événement se répercute ad vitam aeternam est juste. En effet, jamais un événement ne peut s'isoler, et encore moins devenir une abstraction. Il bouscule ou frôle, laisse rarement indemne, bouleverse des vies, indéfiniment et à l'infini.
Les procédés littéraires ici sont très efficaces. Les ruptures soudaines (entre le "je" et "Adrià", entre les époques, entre la narration et les paroles rapportées sans préavis), paradoxalement, donnent à la lecture une grande fluidité, comme un long fleuve qui s'écoule, aucun obstacle ne pouvant l'arrêter. Long fleuve donc, mais fleuve tranquille (trop tranquille ?), malgré les nombreuses péripéties.
Jaume Cabré a le sens de l'humour. La courte scène dans le bus (p. 338) en Allemagne est drôle. Adrià et son meilleur ami Bernat s'installent dans le bus et ont une conversation très sérieuse. Une passagère les prend pour des Turcs. Et l'auteur donne à ses personnages, abruptement, des prénoms turcs (Ismaïl et Kemal), comme si cela allait de soi. Les inventions de ce type sont abondantes dans le roman et ce n'est pas pour me déplaire.
Les conversations d'Adrià avec le shérif Carson et le chef arapaho Aigle-Noir sont très bien écrites. Ce sont sans doute les dialogues les plus réussis du roman.
"Rythme binaire du violon enchâssé dans les triolets de l'accompagnement de l'orchestre" (p. 223) : je ne sais pas bien exactement ce que cela signifie, mais intuitivement je trouve que cette phrase rend bien compte du livre que je suis en train de lire. Peut-être que j'associe le son du violon à la vie d'Adrià et l'orchestre à la grande Histoire.
Adrià veut être un historien des idées et de la culture parce qu'il veut "tout savoir. Ce qu'on sait maintenant et ce qu'on savait avant. Et comment ça se fait qu'on savait ou qu'on ne savait pas encore." (p. 221) : je trouve que c'est une très belle façon de définir cette profession.
"Tout commence comme ça […] la vie comme les récits, par un grain de sable." (p. 368) : J'aime beaucoup cette idée. Je pense que tout ce qui est lisse est inhumain.
"Confiteor" est un joli titre. J'en vois un autre possible : "Capharnaüm". Quand j'ai commencé la lecture, c'était l'impression de désordre qui dominait. Mais cette impression disparaît parce que je m'y habitue. Je crois que c'est une des raisons pour lesquelles je vais me lasser petit à petit de ce livre. J'aimais beaucoup voir ce désordre apparent. Cela faisait tout son charme !
Dans les pages 298-300, l'auteur imbrique en un seul temps la période de l'Inquisition et celle du nazisme. Je ne m'interroge pas ici sur la pertinence du rapprochement, je remarque simplement que son écriture perd de sa force et me paraît artificielle. Le mécanisme se grippe. Cela ne fonctionne pas. C'est comme s'il enfilait un vêtement trop grand. Je trouve que Cabré est très doué pour raconter les "petites choses" de la vie. Il a le sens du détail qui rend une scène vivante. Quand il ne perd pas de vue le destin d'Adrià, il est à son avantage.
Donc petit à petit mon intérêt pourtant grand au départ va "diminuendo". Pourquoi ce roman perd-il tout son attrait pour moi ? Certes, des épisodes ne m'ont pas plu, mais dans un roman-fleuve, ce pourrait-être une goutte d'eau. Je crois que c'est parce que l'écriture devient de plus en plus "molle". Les procédés littéraires ne sont peut-être pas assez affirmés ; ils s'usent. Une écriture "molle ", qu'est-ce que je veux dire par là ? Pour continuer ma lecture, je ne peux plus m'accrocher à l'écriture. Il n'y a plus de surprises, les procédés sont usés, ils n'ont plus une force suffisante, et ne mènent plus nulle part… Ma lecture est à l'image d'un vélo qui, après avoir descendu une pente à toute vitesse, arrive sur un terrain plat : au bout d'un certain temps, l'élan n'agit plus et le vélo finit par s'arrêter si le cycliste ne pédale plus. Eh bien, le cycliste ici est Jaume Cabré. Il a arrêté de pédaler ! Et moi je n'ai plus aucune raison de pédaler, car la balade proposée ne me plaît plus. Je m'ennuie trop. Je subis alors cette lecture comme j'ai pu parfois subir enfant "un silence aussi lent et aussi long qu'un après-midi de dimanche" (p. 220). Page 400, je ferme définitivement le livre car il y a encore 400 pages...
J'ouvre le livre à moitié.
Audrey
C'est étonnant, car les histoires reviennent en boucle. On sent la transmission d'une sorte de mémoire familiale. Pour moi, le livre a été un voyage dans l'histoire personnelle d'Adrià.
Comment résumer cette œuvre ? Histoire à travers les époques d'un violon ? L'autobiographie d'un savant passionné de langues, d'histoire, d'esthétique, de connaissances ? Réflexion sur la beauté et sur le mal ? Difficile de la résumer évidemment, mais en tout cas pour moi ce fut un voyage. D'abord un voyage au sein de l'histoire personnelle et intime d'un homme, Adrià, qui d'emblée pose au cœur de sa vie une relation avec des parents mal aimants, ou en tout cas dont il se sent mal aimé avec un père qui incarnera en bonne partie le "mal", sujet important du livre. Un voyage aussi à partir d'objets dans le temps dans l'Histoire dans des histoires, dans le monde de l'érudition et de la connaissance.
En fait, un voyage dans la pensée d'un homme. Ce livre, ce sont des récits déroulés par la pensée foisonnante et perpétuelle d'Adrià qui souhaite tout connaître et vouer sa vie à l'étude. Nous suivons ici son érudition, ses connaissances qui le conduisent à effectuer des liens entre imagination et faits réels. Les objets pourrait-on dire prennent vie, corps et cœur avec cette phrase d'Adrià qui dit "l'histoire de n'importe quelle chose explique l'état présent de cette chose quelconque" (p. 329). Ainsi à partir du violon, mais aussi de la médaille, de tableaux, de manuscrits, etc., s'imbriquent des époques, des récits individuels, des destins et j'y vois au fond la métaphore de la création, c'est-à-dire à partir du matériel du réel, de l'ici et du maintenant, Adrià s'échappe, crée de l'ailleurs, de la différence, de l'altérité et du nouveau. De quoi l'artiste ou le créateur s'inspire-t-il ? D'où part-il ? Je trouve que ce livre raconte cela : ce cheminement, cette création. On suit la façon l'élaboration de la pensée d'Adrià. On la voit se façonnerà partir justement du matériel, et se muer en une forme d'abstraction, d'imagination ou de récit.
Bref, c'est un bel hommage, à mon sens, au plaisir de la pensée, à la curiosité, au plaisir d'apprendre et de comprendre. Adrià parle du "bonheur de s'approcher de belles idées de beaux concepts" (p. 282).
J'ai aussi voyagé, sinon dans une nouvelle langue en tout cas dans une grammaire propre au sein d'un objet littéraire très surprenant. On sent que cet auteur est un homme qui a réfléchi sur les langues, leur construction, leur sens et qui a une très grande maîtrise de la narration. À la fois, il maîtrise les codes classiques et il les déconstruit, les bouscule et part dans les ramifications, des enchevêtrements extrêmement novateurs et très osés. Je trouve que ça marche et même que c'est très fluide. Ce sont des tiroirs dans les tiroirs. Quel mélange de temps, de personnages, de lieux... dans une même phrase ! On passe aussi d'un mode d'échange à d'autres, par exemple du style direct au style indirect, de la phrase pensée à la phrase dite et puis évidemment de la première personne à la troisième personne pour le même narrateur. C'est parfois bluffant et cela nous permet parfois d'entrer par palier au sein de certaines situations et puis cet enchevêtrement extrême permet parfois d'établir une pensée ou un parallèle. Je pense notamment à celui effectué entre l'Inquisition et le nazisme, À ce moment-là Fra Nicolau et un certain nazi se confondent par cette imbrication très caractéristique. (Ainsi Jaume Cabre parvient-il à les faire fusionner autour de leur quête commune de "Vérité".)
Se pose une question tout du long : qui parle ? Pour moi, il s'agit vraiment du déroulé de la pensée et de l'imagination abondante d'Adrià. Ce qui n'est pas tout à fait pareil que la voix intérieure qui me semble beaucoup plus incarnée par les deux figurines, Carson et aigle noir (qui ressembleraient plus à des surmois).
Je me demande néanmoins si le passage de la première personne à la troisième personne pour le narrateur ne pourrait pas s'expliquer, puisque c'est Bernat et Adrià qui écrivent ce livre, comme une double plume (Bernat écrit les passages en italique). Au fond n'est-ce pas lui qui introduirait la troisième personne ? Pour moi ce livre néanmoins n'est pas un livre érudit, mais un livre sur l'érudition. Il ne "pousse" pas les concepts qu'il aborde. C'est aussi un livre qui maintient un certain suspense.
L'autre voyage serait un voyage au sein de l'humanité entre le bien et le mal. D'abord inévitablement, nous pensons à tout ce "mal" qui est décrit à l'intérieur de quasiment chaque histoire : le mal semble inhérent à l'homme à travers toutes les époques. Destruction domination, soumission, anéantissement, viol, lapidation, impunité, vol, avidité… Il y a vraiment des récits très très forts et très violents, même sidérants, autour du nazisme, de l'Inquisition notamment. Néanmoins, j'avoue avoir été frappée par le peu de présence du franquisme ; ça se rattrape un peu sur la fin avec l'explication du meurtre du père, mais pour un Barcelonais de cette époque, le franquisme n'est pas très présent, surtout dans un ouvrage qui fait autant de place à la religion et encore une fois la question du Mal...
La beauté et le bien semblent aussi appartenir à l'empreinte de l'humanité. Ils parsèment également l'œuvre de J. Cabré. En effet, ce livre est aussi un livre sur la beauté, notamment la beauté de la vie et la beauté de l'art. Omniprésent est le rapport quasi-fusionnel entre Adrià et ses peintures ou ses manuscrits.
Et puis, c'est aussi un livre sur l'amour, l'amitié, l'Humanité, la tolérance. Citons les magnifiques cadeaux d'amitié : celui de Bernat et de Sara à Adrià qui lui permettent de rencontrer l'auteur qu'il admire tant ; ou encore le cadeau de Max et Adrien à Sara qui édite son livre ; et puis il y a l'amour de Sara et Adrià, par-delà les secrets, les silences, les mensonges, les incompréhensions ; la tendresse de Lola Xica, l'attention de Catherine et puis quand même Bernat qui accompagne Adrià jusqu'au bout...
Et pour terminer, je dirais que ce fut un voyage au sein des remords et de la culpabilité : celle de plusieurs personnages qui parsèment le livre, notamment Fra Miguel et le médecin nazi, mais surtout le confiteor d'Adrià qui confesse sa lâcheté, ses mensonges, qui incarne sa façon à lui de faire du mal, son absence au moment de l'accident de Sara et son incapacité à répondre à sa dernière volonté qu'elle voulait pour preuve d'amour. Enfin c'est aussi le confiteor de Bernat qui s'appropriera tout le travail de son ami.
Mais de qui lisons-nous le livre ? Est-ce celui de l'auteur ? Celui d'Adrià ? Celui de Bernat ? Une double voix ?
Bref j'ai fait un beau voyage ! J'ouvre ce livre aux trois quarts.
Ce qui m'étonne, c'est la place faible qu'occupe le franquisme dans le livre alors que Jaume Cabré consacre de longs passages à la barbarie nazie.

Monique M
Si, si, il l'évoque !

Audrey
Je trouve ces passages très superficiels.

Monique
L'histoire principale est au fond une réflexion sur le mal.

Audrey
Oui, le mal est au cœur du récit, mais il y a aussi une place pour l'art et la beauté. A ce propos je voudrais vous lire ce passage :
"Finalement, c'est l'option Bebenhausen qui l'emporta parce qu'Adrià, ce jour-là avait l'humeur très historique et
- Non : c'est dans ta vie que tu as l'humeur historique. Pour toi, tout est histoire.
- C'est plutôt que l'histoire de n'importe qu'elle chose explique l'état de cette chose quelconque. Et aujourd'hui j'ai l'humeur historique et on va à Bebenhausen
" (p. 329).

Ana-Cristina
Si vous le permettez, je voudrais répondre sur deux points parce qu'après je crains d'oublier. En premier lieu, à propos d'Adrià et du "je", il ne me reste que le nom du personnage et les souvenirs deviennent alors la matière du roman. Est-ce que le livre aurait été le même s'il n'avait pas été fait mention de la maladie neurologique d'Adrià ? Ensuite, à propos des connaissances, j'ai été dérangée par l'idée que les connaissances puissent être des entités nuisibles :
"Il me dit regarde, regarde cette merveille et il me montra des cahiers : c'était un manuscrit des derniers écrits de Proust. De la Recherche. Un fouillis de lettres minuscules, de paragraphes écrits dans la marge, de notes, de flèches, de petits papiers attachés avec des trombones… Allez, lis-moi ça…
- Mais on n'y comprend rien.
- Mais comment ça ! C'est la fin. Les dernières pages ; la dernière phrase : ne me dis pas que tu ne sais pas comment se finit
La Recherche.
Je ne répondis pas. Papa, tout seul, comprit qu'il avait trop tiré sur la corde et prit la tangente comme il savait si bien le faire :
- Ne me dis pas que tu ne sais pas encore le français !
- Oui, bien sûr, mais je n'arrive pas à lire l'écriture.
- Ce ne devait pas être la bonne réponse correcte parce que papa, sans ajouter de commentaire, referma le cahier et le rangea dans le coffre-fort en marmonnant entre ses dents il va falloir que je fasse quelque chose il commence à y avoir trop de trésors dans cette maison. Et moi je compris il commence à y avoir trop de morts dans cette maison.
" (p.130)
Dans ce roman, les connaissances sont comparables à la pâté avec laquelle les fabricants de foie gras gavent leurs oies, mais elles sont aussi une raison de vivre pour Adrià.
Monique M
Pour moi, le thème du livre, c'est le problème du mal constitutif de l'être humain, toujours présent et si difficile à extraire de chacun et de la société.
Il m'a fallu des pages et des pages pour entrer dans le livre. Je ne pars jamais à l'entracte au théâtre, j'espère toujours que quelque chose d'intéressant va advenir… Alors j'ai fait la même chose avec ce livre extrêmement complexe et difficile à lire qui évoque les massacres et persécutions de l'Histoire, de l'inquisition à Auschwitz, en passant par Franco, Pol Pot et tous les autres.
C'est difficile, car dans ce livre cohabite une foule de personnages aux destins enchevêtrés, détaillés par l'auteur sur plusieurs pages, avec des sauts intempestifs d'une histoire à l'autre, d'une époque à une autre, des intrigues multiples où le lecteur se perd, revient en arrière, essaie de reprendre le fil du récit. Il faut vraiment s'accrocher et avoir lu près de 300 pages pour comprendre l'objectif de l'auteur : "Le problème du mal". Je me suis interrogée sur ce principe d'écriture et j'ai pensé que le fait de passer de l'horreur des camps, de l'ignoble des persécutions, à la vie quotidienne, dans sa plus extrême banalité, des personnages, dont certains sont les descendants de ces persécutions, est une façon pour l'auteur de mettre en évidence leur incapacité à se libérer de ce drame, que leur vie en est marquée à jamais et qu'elle se poursuit dans l'effarement et le ressassement de cette douleur. C'est aussi une façon de maintenir le suspense et de montrer que le mal est toujours présent.
Mais on n'en prend conscience qu'après des pages et des pages de récit meublées de dialogues pas toujours passionnants entre Adrià et Bernat, sur leurs talents d'écriture ou leurs histoires amoureuses, entrecoupés d'incursions brutales extrêmement bien écrites et très prenantes dans l'univers musical, le monde des collectionneurs, la vie monacale, celle des camps de concentration ou de l'inquisition.
Ainsi ai-je apprécié plusieurs passages traitant :
- de Joachim le coupeur de bois qui sait choisir le bois qui chante pour que les maîtres luthiers en fassent de bons instruments, violes ou violons (p. 90)
- de l'acquisition du fameux Storioni par Voigt dans le cadre d'un chantage envers Hoss, son supérieur, à propos de la détenue 15428 qu'il a séduite (p. 257)
- du soldat qui se tire une balle dans la bouche parce qu'il ne supporte pas d'avoir poussé dans une chambre à gaz une fillette qui ressemblait à son Ursula (p. 304)
- d'Amelia, la petite fille flamande qui triture sa serviette à carreaux bleu et blanc et appelle sa mère face au Docteur Budden qui l'a sélectionnée pour ses expériences médicales destinées à vérifier les bienfaits de la pommade Bauer. Opérée et mourante, elle ne cessera de fixer son bourreau du regard en interrogeant : "Warum ? Warum ?" On voit le regard de l'enfant, la lucidité terrible de l'enfant (p. 496-500)
- de Netje de Boeck la belle-mère qui serre le Storioni entre ses bras dans le wagon qui emporte la famille vers Auschwitz et de Mathias Alpaerts, le propriétaire du fameux violon, qui calme ses filles en pleurs en leur donnant un morceau de la serviette à carreaux de leur dernier repas en famille.
- du Dr Budden en prison hanté par les patients qu'il a torturés (p. 502) et du récit de sa mort (p. 528)
- de la visite du malfrat qui se fait passer pour Mathias Alpaerts et se fait remettre le Storioni (p. 629)
- de Carson et Aigle Noir, les jouets de l'enfance, dont on s'interroge sur l'utilité de les conserver si longtemps et dont on comprend qu'ils deviennent la voie intérieure d'Adrià et le délivrent de lui-même (p. 737)
- de la trahison de Bernat qui profite de la maladie d'Adrià pour lui voler son roman en le faisant publier sous son nom.
Ces passages sont saisissants de vérité. Néanmoins, j'ai un demi-enthousiasme pour ce livre. Je l'ouvre donc à demi. C'est trop long. J'aurais préféré qu'il élague ! Il aurait pu être plus synthétique !

Marie-France
Juste une phrase qui me frappe. Vous avez parlé de la page 400. Je crois que c'est un moment creux. La première partie me semble centrée sur l'histoire du violon. La deuxième partie, il y a un nouveau personnage : Matthias Alpaerts et à partir de là, une nouvelle histoire s'enclenche…

Ana-Cristina
D'après ce que vous dites, je comprends pourquoi j'ai calé à ce moment-là…

Marie-France
Le tournant, c'est la scène de la télévision…
François
Tous ces objets, c'est un peu comme le talisman dans les Mille et une nuits…
J'ai beaucoup pensé à cette phrase de James Joyce : "L'histoire est un cauchemar dont j'essaie de m'éveiller".
J'ai fait une lecture beaucoup trop rapide, superficielle et incomplète d'un roman que j'ai moi aussi découvert grâce à notre groupe, sans en avoir lu d'autres de cet auteur. De cette lecture fragmentée, le plan que j'ai d'abord préféré est celui du roman familial et d'éducation. L'histoire d'Adrià via les sortilèges de la narration a bien été mon fil conducteur. Dès le début, le ton est donné : "Naître dans cette famille fut une erreur impardonnable". L'histoire, vous la connaissez, je n'y reviendrai pas, sinon pour dire qu'elle contient de grands moments d'émotions liés aux détails et aux circonstances. Par exemple, la place qu'occupe la bibliothèque du père avec des relents parfois dignes de Borges ou d'Umberto Eco, mais aussi le rôle que tient le violon de Crémone comme un talisman digne des Mille et une Nuits qui va nous entraîner aux quatre coins de l'Histoire et du monde dans une odyssée aussi tragique qu'implacable, toujours placée sous le signe de l'horreur, du malentendu et de l'incompréhension. Car tout se mélange étroitement dans ce roman. La folie qui règne dans les vies privées est à l'égal de celle de L'Histoire : toute ma vie, j'ai mélangé les choses... j'ai eu beau essayer, je n'ai pas su créer des compartiments étanches et tout se mélange comme dans cet instant où je t'écris…, avoue Adrià. Une confession dans laquelle Jaume Cabré va nous entraîner, en bousculant les règles de la narration, et surtout en ne reculant pas devant tout ce qui est susceptible de révéler au lecteur les arcanes d'un Mal profond sur lequel il ne semble pas cesser de s'interroger. Mal sur lequel je n'ai pas le courage de m'avancer plus avant aujourd'hui tout en reconnaissant la puissance de ce livre.
Je l'ouvre aux trois quarts.

Audrey
On peut comprendre aussi ce livre comme l'histoire d'un atavisme. Finalement, les enfants se retrouvent confrontés aux mêmes problématiques que celles qu'ont vécues leurs parents…

François
Il reproduit les démons qui survivent aux générations. C'est extraordinaire cette répulsion et cette attraction autour duquel le livre tourne. C'est un peu un livre-catalogue. C'est un très grand roman, mais c'est un massif qu'on peut retailler ! Il y a une certaine gratuité et si on veut être un peu méchant, on peut qualifier ce livre de "palimpsestueux" où l'écriture joue un rôle fondamental.

Anne
J'ai été bloquée comme un âne ! Par sa capacité à écrire des histoires dans l'histoire, Jaume Cabré boucle quelque chose de sa sensibilité !

Audrey
Oui, par la façon dont il écrit, il verrouille ses émotions.
Anne
C'est sans doute extrêmement intéressant, mais je m'en suis fatiguée. J'ai lu 200 pages et je n'ai plus pu avancer. Je l'ouvre au quart.

François
L'affect joue un rôle fondamental. Prise par un système narratif, l'écriture visse toute la sensibilité.
C'est une performance. C'est un roman très conscient mais avec une conscience qui joue un rôle défensif. On peut reprocher à l'auteur cette propension à montrer ce qu'il sait faire comme quand il passe dans la même phrase du je au il.

Anne
Moi, je n'aime pas la performance.
Françoise H
Moi, je n'ai pas dépassé la page 50. Le livre m'est tombé des mains… Je venais de lire Oblomov d'Ivan Gontcharov. Un chef-d'œuvre ! Ça a fait barrage au livre de Jaume Cabré ! Je n'ai pas eu le courage de persister. Quand je vois le nombre d'heures que Confiteor aurait mobilisé... Même si je ne suis pas malade, je me dis que je peux mourir demain. Alors, autant ne pas perdre son temps…
Je ne l'ouvre donc pas !
Émilie
Je l'ai lu il y a un ou deux ans. Aujourd'hui, pour Voix au chapitre, je fais avec mes souvenirs. En vous entendant, je retrouve le livre. Je m'aperçois que les passages sur l'Inquisition m'étaient sortis de la mémoire. J'aime beaucoup la créativité dans la narration, le va-et- vient entre les différentes époques. Pour certains passages, j'ai seulement parcouru rapidement. Je n'ai pas fait l'effort de me concentrer, je me suis laissé porter. Ce qui m'a le plus plu, c'est la description du quotidien, les relations entre les personnages. Il y a une vraie construction des personnages. Cette histoire de mal, on dirait que c'est un sable mouvant dans lequel les personnages se laissent entraîner malgré eux. Je l'ouvre aux trois quarts.

Monique
Il y a un mystère à la fin. Il disparaît. Je n'ai pas compris la fin.

Audrey qui se bouche les oreilles
S'il vous plaît, ne racontez pas la fin, il me reste à lire 20 pages. Je vais les terminer dans le métro en revenant !

François sans avoir entendu Audrey
Moi aussi, je n'ai pas bien compris la fin.

Audrey qui se bouche les oreilles
S'il vous plaît ne racontez pas la fin !

Monique sans avoir entendu Audrey
C'est vraiment la trahison de Bernat. C'est ça que j'ai trouvé très juste dans le livre. Le mal est parfois si proche !

François
Comment en êtes-vous arrivée à travailler sur ce texte ?
Marie-France
Je l'ai lu une première fois car Laurent Mauvignier avait fait une remarquable analyse dans Le Monde.
Je l'ai lu une première fois. J'ai calé à la page 400. J'ai continué malgré tout. Ensuite, pour comprendre cette œuvre, je l'ai relue et j'ai pris des notes. Ma vision à l'époque de la première lecture était une vision tragique. Elle a changé au moment où j'ai assisté à la séance du groupe ancien de Voix au chapitre. J'ai eu un déclic lorsque Claire a affirmé (par provocation ?) qu'il s'agissait d'un vaudeville. Oui, finalement, je pense qu'elle a en partie raison, même si le terme est excessif. . Je crois que le narrateur est quelqu'un qui sans arrêt se raconte des histoires. Il dit qu'il parle de la vérité. On s'aperçoit que cela ne colle pas. Si on prend comme exemple le récit que fait Adrià Ardèvol de sa relation à Sara, on s'aperçoit qu'il le met en scène comme il aurait aimé que cela fût. Or leur relation est plutôt fondée sur le mensonge, le chantage et la fuite.
Dans Fictions, Borges dit : "nous nous étions attardés à polémiquer longuement sur la réalisation d'un roman à la première personne, dont le narrateur omettrait ou défigurerait les faits et tomberait dans diverses contradictions, qui permettraient à peu de lecteurs – à très peu de lecteurs – de deviner une réalité atroce ou banale."("Tlön Uqbar Orbis Tertius", Fictions, p. 11). Il m'a semblé que cette citation résumait le travail d'écriture de Cabré qui, pour ce faire, articule le vécu mémorisé et transformé aux rêveries éveillées, lesquelles révèlent l'imaginaire du personnage. C'est particulièrement visible avec l'histoire de Gertrude. Celle-ci partage de nombreux traits avec Sara : la situation à l'hôpital et la détermination. Mais le personnage masculin, lui, a cherché à tuer sa femme. Faut-il y voir de la part du narrateur l'expression d'un désir ou d'une culpabilité ?

Quelqu'un remarque
Pourtant, le récit se réfère à la vie d'Adrià.

Marie-France
Oui, mais avec d'énormes contradictions. Par exemple, au niveau personnel, cette incapacité à agir contredit le besoin de tout maîtriser ("vaille que vaille, je réussissais à être le seul habitant de la maison à en contrôler tous les recoins, toutes les conversations, les discussions et les pleurs inexplicables", p. 46). Cette notation alterne avec l'expression réitérée d'être une victime. Ces contradictions sont invisibles à la première lecture du fait de la discontinuité du texte. En fait, il me semble que les histoires qui composent ce livre sont des moments où le narrateur se met à rêver. Ce sont des sortes de rêves éveillés…

Audrey
Pour moi, le narrateur pense plutôt…

Marie-France .
Le narrateur refuse de conceptualiser après l'échec d'Essai sur le mal. Il me semble que les rêves éveillés ouvrent des perspectives sur ce qui aurait pu être conceptualisé ou sur ce qui est fantasmé, laissant le lecteur imaginer ce qui est en jeu.

Monique
Pourtant, Bernat publie Le Problème du mal !

Marie-France
C'est le livre d'Adrià que ce dernier récusait. Il s'agit donc d'une trahison. Je me suis même demandé si Bernat ne représentait pas Jaume Cabré lui-même. Mais j'ai renoncé à cette interprétation.
À mon avis, il y a trois livres : celui qu'écrit Adrià et que l'on ne connaît pas, celui que Bernat donne au médecin et dont on ignore ce qu'il contient (Les Mémoires d'Adrià sans les ajouts de Bernat ?) et celui que nous lisons qui est celui que rédige Cabré et qui contient les notes vengeresses de Bernat. La question étant quel est le statut de ce livre-là, dans une perspective de vraisemblance fictionnelle ?

Audrey
A quoi voit-on que ses notes sont vengeresses ?

Marie-France
On le voit quand il est noté qu'Adrià est sur un fauteuil roulant à la page 446. Or cette notation succède immédiatement au chapitre 35, où est raconté le retour de Sara à Barcelone, après son séjour à Paris. Le lecteur se réjouit avec Adrià de ce fait. Il tourne la page et on lui annonce cette mauvaise nouvelle : "Adrià sur un fauteuil roulant". Le choix de l'emplacement de cette note de Bernat est particulièrement cynique. L'on voit comme c'est compliqué parce qu'on ne comprend pas au premier abord. Si on considère Bernat comme personnage agissant par l'écriture, cette note peut être envisagée comme vengeresse. Mais ne peut-on aussi voir ce rapprochement comme un jeu de Jaume Cabré avec le lecteur ?

Monique
Quel est l'intérêt de ce livre alors ?

Marie-France
Pour moi, c'est un livre sur la vérité. Regardez tous les mensonges qu'Adrià se fait à lui-même !

Ana-Cristina se cognant la tête
Alors, les passages en italiques c'était le présent !

Marie-France
Les passages en italiques sont les annotations de Bernat. Le dernier chapitre comporte un énorme problème. D'après les italiques, on est avec Bernat. Mais il y a des caractères romains, traces de l'écriture d'Adrià Ardèvol, lequel est censé avoir conclu ses Mémoires, bien plus haut dans le texte !

François
Ah c'est l'instance de l'auteur ! Il est omniprésent dans l'histoire !

Audrey
Tous ces personnages nourrissent l'auteur. On pourrait penser qu'il s'agit de la métaphore de la création…

Marie-France
Oui, c'est l'histoire d'un livre en train de s'écrire.

François s'adressant à Marie-France
Ce qui vous donne raison, ce sont les dernières pages de la Recherche que le père veut faire absolument lire à son fils. C'est la clé du livre.

Marie-France
Oui. Au moment, où Bernat essaie de faire chanter Tito Carbonnell, celui-ci lui dit qu'il sait que lui, Bernat, s'est approprié le livre d'Adrià en apposant son nom sur la couverture. Sous nos yeux, un livre de confessions (comme l'indique le titre) se transforme en roman. Je trouve très fort d'arriver à faire changer le genre du livre sous les yeux du lecteur !
Quand on regarde l'œuvre de Jaume Cabré, on voit, et c'est vraiment touchant, un romancier en progression. Il y a une recherche continue, à mon avis parachevée par Confiteor. Il y a un jeu avec le lecteur. Dans ce livre qui est le plus abouti, Cabré excelle à nous perdre. Il y a plein d'endroits où on est dans les invraisemblances au niveau de la fiction. Qui de Mathias Alpaerts ou du détective Elm Gonzaga est allé en Afrique récupérer le chiffon sale auquel Amalia s'est accrochée jusqu'à sa mort à Auschwitz et que Budden aurait gardé ? Celui que le faux Mathias Alpaerts dépose sur le bureau et qu'Adrià rapproche de la serviette à carreaux dont se sert Sara ?

Audrey
Par exemple ?

Marie-France
Sur la relation avec Sara.

Monique se tournant vers Marie-France
Alors, que pensez-vous de notre vision de Confiteor ? Pour vous donc, Confiteor c'est l'aboutissement d'une recherche littéraire entreprise par Cabré. Car il retombe toujours sur ses pieds, c'est ça ?

Ana-Cristina
C'est plutôt une recherche d'écriture. Pour moi, il manque de la force à sa proposition. Cabré ne va pas jusqu'au bout. Vous voyez, par exemple, s'il était allé au bout de sa démarche, il n'aurait pas précisé qu'Adrià est un personnage est un personnage en perte de mémoire. C'aurait été plus fort, non ?

Monique
Je suis comme Ana !

Marie-France
En fait, c'est Bernat qui le raconte dans sa première note, page 99. Adrià Ardèvol y fait référence dans l'incipit en parlant de Dalmau, mais le lecteur ignore à ce moment de sa lecture qui est ce personnage. Je vois les coutures. C'est cela que j'aime. Les invraisemblances dans ce qui n'est pas dit. Par exemple, la chambre 54.

Émilie
Ah oui, je vois ! C'est comme dans le film Usual Suspects. A la fin, on comprend que le héros qui est censé dire la vérité au policier qui l'interroge a fabriqué de toutes pièces un récit à partir de détails qu'il aperçoit lors de son interrogatoire !

Marie-France
En fait, on ne saura jamais quel est le livre que Bernàt a signé ! Dans ce cas, il n'y aurait pas de passages en italiques…

Audrey
On sent une très forte amitié entre Adrià et Bernat. Pourquoi ce livre ne serait-il pas celui de Bernat ?

Marie-France
Parce que Bernat parle d'Adrià dans des termes laudatifs, mais il détruit l'œuvre d'Adrià et Adrià lui-même en tant qu'auteur de littérature.

Monique
Bernat n'a pas la même nature qu'Adrià. Bernat a besoin d'être reconnu par autrui. Ce n'est pas le cas d'Adrià. Adrià a une richesse intérieure qui le met à l'abri de cette quête narcissique.

Audrey
C'est tellement l'histoire de Confiteor que je veux croire que c'est le livre d'Adrià.

Monique
Pour moi, c'est le livre d'Adrià.

Marie-France
Oui, amendé par Bernat …

François
Merci à Marie-France du précieux éclairage que tu nous as apporté !

 

UN PEU DE DOCUMENTATION

Jaume Cabré en quelques dates
1947 : Naissance de Jaume Cabré à Barcelone.
1972 : Diplômé de philologie catalane, il devient enseignant.
1974 : Il publie son premier récit, Faules de mal desar (Fables gênantes, non traduit).
1978 : Il publie son premier roman, Galceran, l'heroi de la guerra negra (Galceran, le héros de la guerre noire, non traduit).
1984 : La toile d'araignée (éd. du Chiendent 1985)
1991 : Sa Seigneurie (Christian Bourgois 2004, Babel 2017).
1996 : L'Ombre de l'eunuque (Christian Bourgois 2006, Babel 2014).
2000 : Voyage d'hiver, quatorze nouvelles (Actes Sud 2017)
2004 : Les Voix du Pamano (Christian Bourgois 2009, 10/18 2012).
2011 : Confiteor (Actes Sud 2013, Babel 2016)

Une bibliographie complète avec les livres non traduits figure ICI, sur le site de Jaume Cabré : https://jaumecabre.cat.
Outre des essais, il a écrit pour la jeunesse, pour le théâtre, l'opéra, le cinéma...

Autour de Jaume Cabré et de Confiteor
Dans les interviews sélectionnées ci-dessous, Jaume Cabré parle des œuvres musicales liées à son livre : vous trouverez les liens pour les entendre.
Il évoque la bouteille du mathématicien Felix Klein, le ruban de Moebius et les tableaux d’Escher qu’il dit avoir “regardé de manière obsessionnelle” pendant qu’il composait Confiteor : vous avez les liens sur les images.

Entretiens à la radio
- France Culture : "Jaume Cabré, prodigieux Catalan polyphonique", par Antoine Perraud, émission "Tire ta langue", 22 septembre 2013 (30 min)
- France Inter, émission "Humeur vagabonde", par Kathleen Evin, 17 septembre 2013 (53 min)

Entretiens vidéo
- Courrier international : "Confiteor exprime la perplexité devant le mal", interview Paul Grisot et Lucie Mizzi, 5 février 2014 (3 min 30)
- Mediapart, 20 septembre 2013, interview Antoine Perraud : Jaume Cabré 1/2 (4 min 40), Jaume Cabré 2/2 (4 min)

Presse écrite
- "Jaume Cabré : confessions autour d'un verre de blanc", rencontre avec Florence Noiville ; "
L'art de la fugue : Confiteor de Jaume Cabré", le point de vue élogieux de l'écrivain Laurent Mauvignier, Le Monde, 19 septembre 2013 (dont nous avions lu Loin d’eux dans le groupe).
- "La petite boutique des terreurs de Jaume Cabré", entretien avec Philippe Lançon, Libération, 25 septembre 2013
- "Jaume Cabré : J'ai toujours la sensation de ne pas avoir fini", grand entretien avec Philippe Lefait, Le Magazine littéraire n° 537, novembre 2013.

Pour lire ou télécharger en un seul document cette revue de presse, cliquez ICI.

Une étude approfondie
Marie-France Faure, qui a participé à notre séance parisienne de septembre 2015, était alors plongée avec passion depuis de longs mois dans Confiteor. Plus de trois ans après, elle a transmis à Voix au chapitre une étude approfondie de cette œuvre, intitulée Une lecture de Confiteor, de Jaume Cabré.
Elle y analyse la composition originale de ce roman, l'entrecroisement de récits, l'usage inventif de la langue, ainsi que la place du lecteur que propose le roman – lecteur qui commence par être désarçonné et finit enthousiaste.

Et pour les groupies plus légères, l'inévitable dédicace de l'auteur recueillie à Barcelone pour les filles (uniquement les filles) des groupes de lecture Voix au chapitre de Paris et du Morbihan... :

Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :

grand ouvert
¾ ouvert
à moitié
ouvert  ¼
fermé !
à la folie
beaucoup
moyennement
un peu
pas du tout

 

 

Nous écrire
Accueil | Membres | Calendrier | Nos avis | Rencontres | Sorties | Liens