F. Stucin pour Le
Monde 2016
Quatrième de couverture :
Paula Modersohn-Becker voulait peindre et c'est tout.
Elle était amie avec Rilke. Elle n'aimait pas tellement être
mariée. Elle aimait le riz au lait, la compote de pommes, marcher
dans la lande, Gauguin, Cézanne, les bains de mer, être nue
au soleil, lire plutôt que gagner sa vie, et Paris. Elle voulait
peut-être un enfant sur ce point ses journaux et ses lettres
sont ambigus. Elle a existé en vrai, de 1876 à 1907.
En exergue :
"Être ici est une
splendeur"
Rilke, Élégies de Duino
Exposition "Paula
Modersohn-Becker L'intensité d'un regard"
8 avril-21 août 2016 au MAMVP
(musée d'art moderne de la ville de Paris) Commissaire de lexposition :
Julia Garimorth, avec le conseil de Marie Darrieussecq et de Wolfgang
Werner, Fondation Paula Modersohn-Becker
Paula en 1905
D'autres photos sont en ligne sur le site du
musée Paula Modersohn-Becker à Brême
TROIS AUTOPORTRAITS :
Autoportrait sur fond vert
avec des iris bleus
(vers 1905)
Autoportrait
à la branche de camélia
(1906-1907)
"Le chef-d'uvre de Paula" (M.D.)
Autoportrait au sixième
anniversaire de mariage
(25 mai 1906 )
Rilke (1906)
1906 - "C'est par ce grand nu que j'ai rencontré Paula (...).
Ils sont alanguis et symétriques, tous deux en position ftale,
la grande femme et le petit enfant. Ni mièvrerie, ni sainteté,
ni érotisme : une autre volupté. Immense. Une autre
force."
(Marie Darrieussecq)
"1902. Une jeune fille devant
une fenêtre. Le visage est encadré de deux vases. Derrière,
des arbres, et toujours, la colline en triangle. Le visage est penché,
le regard ailleurs, mélancolique et pensif."
(Marie Darrieussecq)
"Elle revoit avec adoration La Mer, un triptyque de Cottet,
aujourd'hui naufragé de l'art pompier."
(Marie Darrieussecq)
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Marie Darrieussecq
Être ici est une splendeur : vie de Paula M. Becker
Nous avons lu ce livre en janvier 2017.
L'auteure était présente.
Était également avec nous Helena
Chadderton (maître de conférences en Angleterre), spécialiste
de Marie Darrieussecq.
Voir en bas de page des infos sur
l'uvre de Marie Darrieussecq et sur la peintre Paula Modersohn-Becker,
ainsi que sur Helena Chadderton.
Remerciements d'abord à l'auteure
pour avoir "risqué" de venir dans l'inconnu, sans connaître
personne, dans ce groupe de lecture. Chapeau bas ! C'est la première
fois (et peut-être la dernière...) qu'elle fait cette expérience
(d'un club de lecture). De plus, Marie Darrieussecq
joue le jeu : nous réagissons à son livre (c'est donc
d'abord nous qui parlons...), puis nous échangeons.
Nathalie
J'ai d'abord vu l'expo, j'ai lu le livre deux fois. C'est un personnage
extraordinaire. En ce qui concerne l'aspect biographique du texte, j'ai
pensé à Rousseau et à Stendhal, qui étaient
conscients de combler les vides et qui s'engageaient non pas dire la vérité
mais à être au plus proches de qui avait pu être. Le
texte amène les personnages doucement, vous tissez votre toile :
au fil de ma lecture, j'ai monté l'arbre généalogique
et relationnel des personnages et c'était intéressant de
voir comment ils arrivaient au fur et à mesure de la narration
(Milly me semblant être une des dernières à apparaître
sous son prénom). Je rends aussi compte de ma lecture sous la forme
d'une longue liste liée à l'époque : une époque
où l'on meurt avec sa couleur de cheveux naturelle, une époque
où l'on doit décrire les couleurs du tableau parce que les
photos sont en noir et blanc, une époque où un homme abandonne
sa femme trois jours avant sa mort pour courir en rejoindre une autre,
une époque où comme dans de nombreux livres que nous avons
lus ici, l'Europe est hétéroclite, une époque où
"la mort infuse la
culture de [son] temps". Difficile de se projeter dans
cette urgence où l'on meurt à trente ans alors qu'aujourd'hui
même, on rage à plus de cinquante ans de n'avoir que des
journées de 24 heures pour faire tout ce qu'on a envie de faire.
J'ai aimé le jeu de mots où quand les filles "mineures"
qui portaient le nom de leur père passent sous la tutelle des maris,
vous écrivez qu'elles trouvent d'autres "repères"
(sic). J'ai aimé aussi les tournures magiques de certaines
phrases comme quand on parle de Rilke : "Tige surgie du bouquet".
Je pense que ce n'est pas très différent parfois d'aujourd'hui
quand il est écrit qu'il faut se créer un lieu de solitude
pour être "soi" quand on essaie d'être à
une autre place que celle que la société aimerait nous assigner.
Il y a un jeu de sonorité étrange avec les noms, tous en
deux syllabe "Paula", "Otto", "Clara" qui
renvoient à leurs liens si étroits.
Et s'il y avait d'autres femmes qui s'étaient peintes nues ?
On ne le saurait pas puisque comme Paula, elles n'avaient pas en tête
le projet d'être exposées. C'est peut-être cela aussi
la liberté de Paula et sa chance, cette idée qu'elle ne
peignait que pour elle, pour son propre art. On n'écrit pas pour
son lecteur, même si on écrit pour être lu. C'est peut-être
pareil avec la peinture
Il me semble qu'il y a aussi une définition
du projet inscrite au cur même de l'uvre : c'est
ce que je ressens à la lecture de la page 52 où il s'agit
de voir à Worpswede ce que l'autre a vu... Votre écriture
me plaît beaucoup.
L'auteure
Adressez-vous à tout le monde et pas à moi...
Henri (bien au groupe...)
C'est bien un livre pour le groupe de lecture. Je n'aime pas les biographies,
sauf de quelques musiciens de jazz. Je n'aime pas nonplus l'écriture
morcelée. Et j'ai aimé. Je l'ai fait lire à mon père
qui est germaniste et qui l'a aimé aussi. C'est un livre féministe,
un exemple à propos "des
femmes enfin nues : dénudées du regard masculin"
par rapport aux peintres
cités page 118. La mort est très vite éludée.
La mort est "classique" pour l'époque. J'ai bien aimé
que Rilke ne soit pas sympathique. Je ne suis pas rentré dans l'idée
qu'on peut voir la vie de Paula avec un parallèle avec l'Allemagne.
J'ai bien aimé ce livre sur cette femme libre.
Jacqueline
Ce livre est une histoire d'amour. Une amie, lectrice que j'admire, m'a
incitée à l'offrir à une amie commune en me parlant
de l'expo que l'on doit à l'auteure. Je l'ai vue dans les derniers
jours et j'ai été sous le choc. Moi qui emprunte toujours
les livres, je me suis acheté celui-là en sortant, je l'ai
lu d'une traite. J'ai aimé ce livre. La peintre ou l'auteure ?
Je l'ai relu et j'en aime le projet : "et
par toutes ces brèches j'écris à mon tour cette histoire,
qui n'est pas la vie vécue de Paula M. Becker mais ce que j'en
perçois, un siècle après, une trace"
(p. 50). Contrairement à Henri, j'ai aimé que l'auteure
évoque ce qui a suivi en Allemagne (faits historiques ou citation
de Sebald)... J'ai découvert Rilke et admiré son art.
J'ai aimé que la sobriété de l'écriture du
livre laisse toute sa place à la réflexion du lecteur. Après
avoir fait sentir le travail de la matière du peintre, l'auteure
donne une suite rapide de réalisations (p.
90) dont "Des
chats dans les bras de fillettes."
(Jacqueline montre une reproduction)
Parmi ces nombreux portraits d'enfant avec chat, une histoire d'amour
très évocatrice !
Fanny
Contrairement à la plupart d'entre nous, je n'ai pas vu l'expo.
Mais j'ai beaucoup aimé le livre. J'ai lu peu de biographies, mais
je trouve que la construction du livre va au-delà de la biographie.
Par rapport à l'Allemagne, ce passé/présent, c'est
complet. C'est un portrait de l'artiste sur fond de paysage, très
riche et très prenant. L'approche de Paula est assez intime. Et
pour ce qui est de la condition féminine, c'est intime tout en
étant universel quant à la façon dont on traitait
les femmes. J'aime bien "le mélancolique rôti"
de la page 73.
Manuel
J'ai beaucoup aimé. C'est le premier livre pour moi de cette auteure.
J'y vois un écho au Monde
d'hier de Zweig que nous avons lu.
Marie Darrieussecq
Comment vous choisissez les livres ?
En chur
Aaaahhhh...
L'un
Il faut qu'il y ait un désir...
L'autre
Il faut faire campagne...
Une autre
On a des primaires...
Insistant
Il faut qu'il y ait du désir pour le livre ou l'auteur.
Manuel
Oui... Zweig... avec cette année 1900 qui revient au début,
une année-pivot (p. 18), on sent qu'il va se passer quelque
chose. Rilke arrive de Russie, Paula de Paris : "ils
sont au début du monde". Il y a beaucoup de formules-chocs :
peu de mots et qui visent juste. Il y a des clichés, comme chez
Zweig. Ce qui m'a plu, c'est le regard de l'auteure sur les événements
passés avec des éléments du présent (par exemple
Google maps pour chercher). J'aime l'insertion des lettres. Tout est-il
vrai ? Au cinéma, le film allemand qu'on a vu avec Claire
en avant-première (Paula
de Christian
Schwochow qui sort bientôt) comporte des éléments
inventés. J'aime le travail de réinvention de l'auteure.
Marie Darrieussecq
C'est le film qui réinvente...
Rozenn
J'ai beaucoup de mal à parler du livre. J'ai lu la première
partie il y a longtemps et la deuxième ce matin. Je n'avais pas
vu l'expo. Ce qui m'a frappée, c'est que j'avais l'impression de
voir les tableaux ! Les sources différentes sont tressées
et imbriquées, ça m'a plu. J'ai aussi aimé qu'on
reste sans savoir, c'est subtil. Avant, j'ai lu Il
faut beaucoup aimer les hommes et Le
bébé. J'avais lu Truismes qui m'avait donné
une petite gifle et j'en étais restée là. Maintenant
je veux tout lire. Il y a beaucoup de distance et d'humour dans la façon
d'écrire.
Christelle
C'est un livre que je n'aurais pas lu spontanément. D'habitude,
je lis des biographies sur Wikipédia ! Ce fut une lecture très
agréable et fluide. Malheureusement je n'ai pas eu le temps de
le relire. Les articulations rendent la lecture très vivante. J'avais
l'impression de voir les tableaux. Les journaux intimes c'est très
bien, on a l'impression d'être avec les personnages. Les
thèmes sont très riches : l'Allemagne, la maternité,
les femmes... Et j'étais contente de découvrir cette peintre.
Annick L
Ayant vu l'exposition à Paris, j'ai abordé ce livre avec
une grande curiosité : pourquoi Marie Darrieussecq a-t-elle
conçu ce projet ? Quel sentiment d'affinité profonde
avec cette jeune peintre allemande, morte si jeune, l'a poussée
à se lancer dans ce projet d'écriture ? Et comment
allait-elle faire revivre cette figure d'artiste dont j'ai trouvée
moi-même l'uvre très originale pour son époque
et très marquante ? J'ai trouvé, en lisant, quelques
éléments de réponse quant aux motivations de l'auteure
et surtout j'ai été comblée dans mes attentes :
loin d'une biographie classique, attachée aux faits et à
leur chronologie, la romancière esquisse par petites touches concrètes
et dynamiques, comme un peintre, un portrait vivant et attachant de cette
jeune femme qui à l'orée du 20ème siècle a
tenté d'imposer sa vision singulière d'artiste dans un milieu
culturel encore dominé par les hommes et enfermé dans les
conventions. Au-delà de cette histoire particulière, si
dramatique, j'ai aussi plongé avec beaucoup d'intérêt
dans ce tableau très documenté d'une époque :
carcan de l'éducation et du statut des femmes dans la société,
évocation contrastée du petit milieu provincial de Worpswede
et du tourbillon parisien, relation des échanges très riches
entre les artistes dans ce milieu cosmopolite, où nous croisons
quelques personnages célèbres, Rilke, un ami très
proche de Paula Becker, Rodin
Le récit se nourrit d'ailleurs
de multiples références, littéraires ou picturales.
Enfin j'ai trouvé remarquable la façon dont Marie Darrieussecq
réussit à nous offrir une représentation de l'uvre
de Paula Becker, dans toute sa singularité, à travers un
certain nombre de tableaux. Une représentation si efficace que
j'y ai projeté mes propres impressions lors de ma visite de l'exposition !
J'ai beaucoup aimé ce livre, lu d'une traite au départ,
et j'ai pris grand plaisir à revenir sur plusieurs passages (MD
a l'art des images et des formules saisissantes).
Du coup j'ai eu envie de lire un autre livre de Marie Darrieussecq, Le
Pays, un roman cette fois, inspiré en partie de sa vie
je crois (au moins pour les racines basques) dont les thèmes m'intéressaient
également : l'identité (à travers la famille,
les racines et la langue) et ce qui peut fonder la vie d'une femme (la
création, la vie amoureuse, la maternité). Ce roman - qui
fait alterner un récit objectivé à la troisième
personne avec des plongées dans le monologue intérieur du
personnage principal, une femme écrivain - m'a moins enthousiasmée
à cause, justement, de cette alternance systématique. Mais
j'ai beaucoup aimé les plongées dans ce flux intérieur
de pensées et de sentiments qui m'a fait penser à Virginia
Woolf.
Denis
Je n'aurais pas lu ce livre sans le groupe et c'est pourquoi j'apprécie
le groupe. J'ignorais tout de Paula. C'est un voyage dans un esprit féminin
pour moi qui suis un homme : une artiste femme, un auteur femme.
J'ai lu Truismes,
l'histoire de cochon, enfin de cochonne. Sans le portrait en couverture,
j'aurais patiné dans la lecture. Cette femme m'a obsédée.
Cette femme est incroyable, je suis presque tombée amoureux d'elle.
Je me répétais son nom : Paula, Paula. Et puis Rilke !
C'est quelqu'un quand même ! J'ai cherché des reproductions
sur Internet. Votre livre pour moi, c'est un guide de voyage à
travers l'uvre de Paula. Merci d'avoir écrit ce livre.
Danièle
Je n'ai pas pu aller à l'expo, mais je connaissais un peu Paula,
dans des reproductions de ses tableaux. Cette biographie est d'une grande
délicatesse et d'une grande légèreté. On sent
l'intimité entre l'auteure et la peintre. Les remarques de l'auteure
rappellent sa présence. C'est une étrange narration, vue
du dehors à partir d'un travail énorme de documentation
et de citations, prises de notes livrées telles quelles, des remarques
incidentes comme "Il
reste à Paula 55 jours de vie". Mais en même
temps une narration du dedans : c'est l'auteure qui choisit le fil
conducteur, au gré des images qui lui viennent à l'esprit,
mais comme si c'était des souvenirs personnels, comme si vous la
connaissiez !
Marie Darrieussecq
J'ai moi aussi cette impression !
Danièle
En ce sens, elle me fait penser aux biographies de Zweig. Mais la biographie
écrite par Marie Darrieussecq , mi-poète, mi-philosophe,
est d'une grande douceur. Paula apparaît comme une femme naturellement
émancipée, sans combat idéologique avec la société
: "Peut-être
sait-elle qu'elle peint après des siècles de regard masculin !",
dites-vous. Vous employez le mot "peut-être", ça
m'a plu. Vous laissez à Paula toute sa liberté. Au début,
les nombreux paragraphes m'ont dérangée, mais ça
donne de multiples éclairages aux personnages, dont on se fait
à la fin une idée globale et sans doute juste. En tout cas
Rilke vu par Zweig dans Le
monde d'hier est bien aussi ce personnage insaisissable et secret,
parfois un peu lâche, mais aussi au-dessus de la mêlée.
Les seules critiques viennent d'Otto, et tombent tellement à faux
maintenant, montrant son incompréhension de la peinture de Paula.
La question que vous soulevez, "Comment
écrire les tableaux ?", est au centre du livre.
Mais aussi, en fait, comment écrire une vie ? Vous y êtes
sublimement arrivée, mêlant la description à ce que
vous connaissez de la vie de Paula, dans une symbiose poétique
et bienveillante.
Annick A
Pour moi, c'est un livre d'amour entre deux femmes : l'auteure et
cette autre femme. Vous lui redonnez vie, c'est très réussi.
En parlant des personnages des tableaux de Paula, vous dites "ils
étaient là", c'est pareil dans ce livre : on vous
voit. On voit la féministe, la mère. On vous voit dans votre
sensibilité politique : « Quatre
mois qu'elle est là. Elle erre dans la ville, "dans l'immense
personnalité de Paris". Paris sort tout juste, déchirée,
de l'affaire Dreyfus ; Paula n'en parle pas. Elle trouve très beau
le Sacré-Cur en construction, ne dit mot de la Commune. »
Parfois je me demande : qui parle ? Est-ce qu'il s'agit de ce
que vous pensez de Paula ? Je suis ambivalente : j'ai adoré
la première moitié. La suite, je ne voulais plus continuer,
c'est triste.
Marie Darrieussecq
On sait qu'elle va mourir.
Annick
Je l'aime à moitié.
Claire
Heureusement que l'auteure avait dit ne parlez pas qu'à moi !
Marie Darrieussecq
En effet
Monique S
Le titre est magnifique. J'ai beaucoup aimé l'expo. J'ai acheté
le livre au musée. J'avais peur de ne pas trouver dans le livre
la passion que j'avais trouvée dans l'expo. J'ai beaucoup aimé
la narration par éclats de fragments. On rentre soudain dans la
vie de Paula. J'ai beaucoup aimé les différents plans de
Paula : sa vie, ses lettres, ses tableaux, le sort réserve
aux tableaux, l'art féminin..., ça fait beaucoup, comme
un mille-feuilles. Ce qui m'a le plus intéressée, c'est
comment mener le paradoxe d'une vie quotidienne imposée par le
matériel avec la vie d'artiste, et particulièrement d'artiste
femme. J'ai aimé l'expression de la qualité du corps des
femmes : elles sont nues du regard des hommes. J'ai aimé la
présentation du regard des hommes sur Paula : Otto et Rilke.
J'ai lu aussi Le
bébé, il y a un écho avec ce livre.
Catherine
Tout a été dit. J'ai lu sans avoir vu l'expo. Je suis contente,
car j'ai pu imaginer les tableaux. Le livre est court, pour une vie brève,
avec de courts paragraphes, comme un tableau par touches. J'ai aimé
la description des tableaux. Cette femme est fascinante, moderne, féministe.
C'est un livre très riche. J'avais lu Truismes,
ce sont des livres très différents. Ah oui, j'ai aimé
l'importance des regards.
Lisa
J'ai commencé sans avoir rien lu, sans avoir vu l'expo. Quand j'ai
cherché et trouvé des reproductions, je n'ai pas aimé
la peinture. J'imaginais plus beau. L'auteure arrive très bien
à rendre son amour pour l'uvre. J'aime beaucoup, contrairement
à certains, les biographies et j'en lis beaucoup. J'aime découvrir
les vies, raccrochées au réel. Ici l'Allemagne. J'ai apprécié
la dimension féministe ("Les femmes n'ont pas de nom",
p. 42). J'ai été un peu déçue car il
n'y a pas assez, ça ne me suffit pas... J'aime quand c'est plus
gros : Fidel
Castro il y a 800 pages et on connaît la couleur de son tee-shirt.
Mais c'est une agréable surprise. Et j'ai Truismes
à lire.
Claire
La première chose dont j'ai envie de parler, qui a été
évoqué déjà, c'est du tissage : entre
la narration de la vie de Paula, de courts extraits de lettres, de journaux,
des repérages d'ambiance sur place de votre part (la maison, les
paysages, un musée à Brême), des liens avec des personnages
de la peinture, de la littérature ; j'ai aimé cette
composition. Maintenant, le genre : je suis étonnée
que l'auteure, j'ai envie de dire la narratrice, nomme biographie ce
livre : ce n'est pas un roman, mais pourtant c'est une histoire,
l'histoire d'une relation. Les codes de la biographie ne sont d'ailleurs
pas respectés : pas de chronologie par exemple (ce qui d'ailleurs
est un peu vache pour le lecteur). Alors que dès la deuxième
page, comme pour Titanic, on connaît la fin (elle va mourir
jeune), j'ai été tenue par l'histoire comme on l'est dans
un roman. J'ai été sensible aux moments où le je
arrive - comme une dramaturgie -, sensible à ce qui est dit
du projet du livre.
Quant à l'écriture, je vois que des Bretons du groupe soulignent
la froideur de l'écriture, que je ne ressens pas : pour moi,
il y a une distance qui (re)tient une passion (le mot amoureux figure
dans le livre), on comprend que le chemin parcouru pour faire le livre
repose sur la fascination ; et de loin en loin, il y a des émotions
fugitives rendues. J'ai apprécié, comme tu disais Annick,
l'approche par touches de la singularité de la peinture
- ce qu'elle n'est pas, plus que ce qu'elle est d'ailleurs. Je retrouve
ce que j'ai aimé dans Truismes,
que j'ai relu 20 ans après avec grand plaisir, et dans Clèves
que je viens de découvrir, c'est la CRUDITÉ :
par exemple à propos du mariage non consommé : "Quand
j'entends consommé, je pense à du potage, et à des
yeux qui flottent sur du bouillon." - j'adore... J'ai
retrouvé aussi avec plaisir les phrases nominales qui modifient
le rythme : "Voyez-les canoter sur la Marne, rossignols et
peupliers" ; et après la
fameuse phrase dans le Journal de Paula sur le rôti : "La
routine, la cuisine. La matérialité des choses. La lumière
du matin tombant sur le carnet. Le mélancolique rôti."
Et j'ai marché aussi quand il y a une sorte d'immixtion de l'oral
qui crée un zoom avec le lecteur, qui le rapproche : "Mais
elle ne se met pas tout de suite à ce travail-là, non."
J'ai enfin bien sûr appris plein de choses : sur cette peintre,
sur la colonie de peintres (qui me fascine), sur Rilke (qui n'emballe
pas) et tout au long du livre sur une perspective féministe qui
prend notamment la forme de figures fortes qui contrastent avec la situation
des femmes d'alors.
Si je résume, j'ai aimé les "ingrédients"
suivants : composition, forme (originale), écriture, découverte
du monde et des valeurs qui sous-tendent la démarche : il
s'agit donc pleinement pour moi de LITTÉRATURE, et de littérature
riche !
Geneviève
Je n'avais pas aimé Truismes.
Les élèves d'un lycée professionnel industriel où
j'étais alors documentaliste l'avaient ressenti comme de la provocation
gratuite - c'était dans le cadre du Goncourt des lycéens.
Je devrais le relire. Je lis les chroniques de Marie Darrieussecq dans
Charlie avec plaisir. J'y apprécie une sincérité,
une honnêteté que j'ai retrouvées dans le livre. Je
suis heureuse que le groupe de lecture m'ait encore une fois donné
l'occasion de lire un livre d'un genre un peu hybride, vers lequel je
ne serais pas allée spontanément. J'ai lu le livre sans
avoir la possibilité d'aller voir l'exposition, j'ai pris plaisir
à le lire, comme une sorte de ballade de tableau en tableau, plutôt
qu'une biographie. Le tissage entre les différentes voix, les aller-retour
dans le temps passent naturellement et créent un rythme. J'ai beaucoup
aimé le passage consacré au tableau qui montre une femme
allaitant et j'ai ensuite retrouvé cette vérité lorsque
j'ai regardé sur Internet les tableaux. Pour moi, quelle ironie,
cette femme qui ne veut pas être mère et qui meurt quand
elle le devient. Le personnage du mari est intéressant dans son
ambivalence, entre conformisme et respect de la créativité
de sa femme. Je retrouve aussi dans ce livre une période passionnante
de l'histoire de l'Allemagne où cohabitent modernisme, avec le
naturisme et les communautés d'artistes, et premiers signes d'un
nationalisme profondément réactionnaire.
Monique L
J'ai vu l'expo. Ce qui m'a intéressée, c'est que ce n'est
pas une biographie classique. On voit l'empathie de l'auteure. La description
évocatrice laisse place à l'imaginaire. De temps en temps,
l'auteure indique son ignorance. Ce livre ne pouvait être écrit
que par une femme, avec cette question qui se pose : peut-on conjuguer
la force créatrice et la maternité ? L'ouvrage est
tout en retenue, même si bien documenté ; on l'a dit,
c'est un livre écrit par touches légères comme un
tableau. Je n'avais lu que Truismes que je n'avais pas du tout
aimé. J'ai lu Le
bébé, où je me suis retrouvée ainsi
que Tom
est mort. Mon a priori sur Truismes
est à revoir. Le style j'ai bien aimé, les phrases courtes.
Séverine
C'est difficile de finir, mais vos avis m'ont permis de mettre des mots
sur ce que je pensais. Je l'ai lu en pointillés et je le regrette.
J'ai aimé l'agencement d'anecdotes. C'est la situation de la femme
qui m'a intéressée, qui me semble au cur de votre
littérature. La façon dont le mari parle de sa femme, c'est
surprenant, comme s'il y avait une jalousie par rapport à son uvre.
Il y a aussi une ambiguïté de la position de la femme alors :
elle veut son indépendance, mais elle demande de l'argent. C'est
une belle découverte.
DES QUESTIONS, DES ÉCHANGES
Ils ont porté :
- sur le livre lui-même, sa conception : l'utilisation des sources,
la réduction du livre à partir d'un énorme matériau
(une version Fidel Castro...), l'incorporation (à force de les
fréquenter) des écrits de Paula qui surgit dans le
style indirect (où commencent les guillemets, demandent les traducteurs),
les notes en bas de page (vestiges de la version à réduire),
le travail d'entrelacs, le sens du mot schade prononcé par
Paula quand elle meurt (dommage, tant pis, désolée),
un parallèle entre se peindre soi-même nue et l'autofiction
(?)...
- sur d'autres biographies concernant Paula : qui se projettent,
inventent ou gauchissent, par exemple dans le film allemand mentionné,
c'est l'amant supposé de Paula qui lui fait découvrir l'importance
de Cézanne - ce n'est bien sûr pas envisagé que ce
soit elle !! Ce qui renvoie au test de Bechdel (une
uvre réussit le test de Bechdel, qui vient d'Alison
Bechdel, bédéiste américaine :
- si luvre a deux femmes identifiables qui portent un nom
- si elles parlent ensemble
- si elles parlent d'autre chose que d'un personnage masculin)
- sur des constantes de l'uvre de MD : la diversité
des livres ; toujours de la fiction, sauf celui-ci ; oui, toujours
des personnages féminins (mais il y a parfois un personnage masculin
associé)...
- les autres livres : certains moins "accessibles" ;
pourquoi le succès de Truismes ; une autre biographie
non, à part Mary Stuart mais Zweig l'a déjà fait...
; l'habitude d'écrire sur l'art... ; des livres d'autres écrivains
aimés (Marie sort sa tablette où elle en a des centaines)...
- écrire : c'est dur, c'est un grand plaisir, c'est très
dur, seule ; le rôle de l'éditeur ; la prise en
compte du lecteur (absente, ou plutôt une sorte de nébuleuse
pendant l'écriture) ; des lecteurs qui écrivent à
l'auteur, de la distance ; un projet sur l'insomnie...
Helena Chadderton a parlé de sa thèse (en Angleterre) qui
fait suite à une maîtrise de littérature comparée
à Paris 8 dans les années 2000 avec Tiphaine Samoyault,
déjà sur Marie Darrieussecq ; elle a ensuite passé
plusieurs années avec Marie Darrieussecq (plus exactement ses livres,
puisqu'elle ne l'avait jamais rencontrée avant ce soir, et en particulier
Le bébé, Le Pays, Bref séjour chez les vivants).
Pourquoi cette auteure ? La diversité des livres, l'association
qu'ils présentent entre un thème social, humain et un enjeu
technique et de forme, l'ont particulièrement motivée.
Marie Darrieussecq a précisé qu'il y avait deux sortes
d'universitaires : ceux qui croient que l'auteur a une vérité
à dire sur ses textes et ceux qui n'ont pas besoin de la personne
de l'auteur pour étudier ses textes. Helena est de cette deuxième
catégorie...
Pareillement, dans notre groupe, nous n'aimerions pas avoir régulièrement
avec nous l'auteur du livre que nous lisons, ce sont les effets de son
texte sur les autres qui nous intéressent. Mais la présence
de l'auteur reste savourée comme une exception, et qui nous passionne
quand c'est Marie Darrieussecq...
VIFS REMERCIEMENTS EXPRIMÉS
PAR LE GROUPE
Manon (avis transmis juste avant la séance)
Je ne pourrai malheureusement pas être présente durant cette
formidable soirée qui s'annonce et je le regrette infiniment.
Je tenais malgré tout à vous faire parvenir mon avis qui
n'est pas bien tranché, pas très clair, un peu confus.
J'ai été transporté dans la vie de Paula dont je
n'avais jamais entendu parler. Cet artiste est tellement non conventionnelle,
je trouve ça incroyable d'avoir, à l'époque, osé
tenir tête à son mari pour aller vivre - et ce à
plusieurs reprises - une histoire d'amour avec la ville de Paris.
Je pouvais ressentir sa frustration dans son petit village allemand, son
besoin de liberté.
Paula est un personnage incroyable ! Je suis allée voir ses
tableaux. Je me suis également renseignée sur Rilke, sur
Clara... j'ai réellement été transportée dans
son monde.
J'ai ADORÉ la scène où elle tente de se peindre nue !
Mais quelle audace pour son époque !
Tout au long de ma lecture j'ai beaucoup pensé à Frida Khalo :
le même style de femmes indépendantes, sabordant les règles
établies... - j'ai revu le
film avec Salma HAYEK qui lui est consacré il y a peu, c'est
peut être aussi pour ça... J'ai aussi beaucoup pensé
à Christine de Pisan, BEAUCOUP, BEAUCOUP.
Je me rends compte que finalement mon avis est assez tranché...
Merci à Marie Darrieussecq qui m'a permis de découvrir Paula
M. Becker.
Françoise D et Katell (qui fêtent chaque année leur
anniversaire le même jour en faisant un voyage)
Nous sommes aux Canaries, mais nous pensons quand même à
vous. Voici notre avis (bref), commun car nous avons à peu près
la même opinion.
Ce livre a le mérite de nous faire connaître cette peintre
talentueuse avec émotion. Pour autant nous restons un peu sur notre
faim. Pourquoi ne pas s'être autorisée à s'emparer
de la matière (journal et correspondances) pour en faire une uvre
plus romanesque et littéraire ?
Voix au chapitre n'est pas seul à
établir des cotes d'amour des livres.
Les nôtres, de l'enthousiasme au rejet :
à
la folie, beaucoup, moyennement, un peu, pas du tout
Ainsi, dans le roman de Marie Darrieussecq Clèves,
l'un des personnages, la jeune Rosa, « a établi un
système, un classement de ses lectures, dans un cahier de textes.
Sept catégories de livres, du pire au meilleur, rangés par
jour de la semaine. Le lundi, nul. Le mardi, médiocre.
Le mercredi, moyen. Le jeudi, bon. Le vendredi, très bon. Le samedi,
excellent. Et le dimanche, super. (...) L'enthousiasme organisé
qui caractérise Rose lui a fait ranger la plupart des livres en
vendredi et en samedi,
très bon et excellent.
Il y a aussi une subdivision en "très
bon +" et "excellent +". Elle classe ses
lectures depuis ses onze ans, depuis qu'elle a lu Le Journal d'Anne
Franck qui lui a tellement plu qu'elle a inventé la catégorie
"super +" et décidé
qu'aucun livre ne pourrait surpasser celui-là. »
En présence de Marie Darrieussecq, nous ne nous
sommes pas livrés à ce rite primaire habituel. En revanche,
notre groupe breton, réuni le 5 janvier 2017, a procédé
comme à l'habitude.
SYNTHÈSE DES AVIS DANS LE
GROUPE BRETON
suivie d'avis individuels
: Marie
Thé, Lona, Chantal, Marie Odile
:
Suzanne:
Jean-Luc :
Édith, Odile, Yolaine
Malgré un beau sujet féministe, cet ouvrage n'a pas provoqué
une adhésion totale dans notre assemblée de lectrices, alors
qu'il a été bien défendu par notre seul lecteur.
La faute en revient peut-être au genre littéraire choisi
: ni vraiment une biographie, ni une histoire de la peinture, mais une
rencontre entre l'auteur et un destin poignant. Plusieurs ont évoqué
une difficulté à entrer dans le livre à la première
lecture, d'autres n'ont pas aimé le style elliptique, parfois trivial,
certaines ont été rebutées par l'omniprésence
des références au monde de la peinture. Et contrairement
aux Contes de Perrault, la fin est trop triste
Et puis il y a ceux qui ont eu le courage d'une deuxième lecture,
ou qui ont d'emblée adhéré au coup de foudre de Marie
Darrieussecq pour un personnage hors norme qui a entièrement voué
sa vie à sa passion artistique. Au-delà de l'intérêt
historique de ce peintre et de sa vie tragique, la découverte de
son uvre inconnue en France nous a tous enthousiasmés et
fait regretter d'avoir manqué l'exposition de ses tableaux à
Paris.
La découverte du monde littéraire et artistique en ce début
du XXe siècle, dans cette Allemagne innocente et en France à
laquelle sont réservées de très belles pages, est
un prolongement intéressant de la description de l'Europe heureuse
que Stefan Zweig fait revivre dans Le
monde d'hier.
C'est aussi une femme moderne que cette Paula, farouchement défendue
par une féministe dont le militantisme en agace plus d'un... Ses
difficultés à obtenir une reconnaissance de son art et à
exister de sa peinture, sa déception devant le mariage, ses questions
face à la maternité (qu'elle exprime de façon très
novatrice ses tableaux) suscitent une adhésion totale chez ceux
qui ont aimé ce livre. La dernière parole de Paula "dommage"
est aussi la nôtre.
Marie Odile
J'aurais aimé que l'auteure focalise plus nettement
le récit sur elle (et son cheminement vers l'artiste) ou sur Paula
elle-même. J'avoue avoir été déroutée
par le style de cet ouvrage où tout est juxtaposé, où
les phrases nominales sont abondantes. J'ai lu ce récit comme une
sorte de documentaire un peu morcelé, regrettant que la "superbe
lettre" de Mathilde pour les 30 ans de Paula ne soit que résumée.
J'ai ressenti peu d'émotion, de sympathie pour les personnages
ou ce qui se passe entre eux. Mais j'ai aimé lire que "les
rencontres nous signent. Nous devenons des livres d'or", c'est vrai.
J'ai aimé que ces personnages soient parfois présentés
comme marchant en toute innocence et par anticipation, dans ce qui deviendra
le cadre des guerres et horreurs à venir, comme si le futur était
déjà là.
Je reconnais à ce texte le mérite de m'avoir fait découvrir
le difficile parcours de cette femme-artiste, et surtout, surtout, son
uvre (que j'ignorais). J'y retrouve Gauguin et Matisse. Ces portraits
de femmes et d'enfants m'impressionnent. Mais il est difficile d'écrire
les tableaux. Ils "existent. Ils se suffisent", comme
dit l'auteure p. 98. J'ouvre ce livre au quart.
Pure coïncidence : je côtoie en ce moment, dans un ouvrage
très différent (La
longue attente de l'ange de Melania Mazzuco), une autre femme
peintre du XVIe siècle celle-là, Marietta Robusti dite la
Tintoretta, fille du Tintoret (qui n'avait ni prénom ni nom de
peintre, seulement un surnom).
Chantal
J'ai aimé apprendre la vie de cette femme peintre méconnue ;
femme née trop tôt pour que sa peinture soit reconnue, pour
avoir une indépendance financière et une véritable
autonomie, pour une maternité vraiment désirée (pas
de contraception !), pour avoir une longue vie et pas cette mort
brutale due à une médecine balbutiante...
J'ai adoré le titre, "être ici est une splendeur",
phrase qui survient chaque matin au réveil !
Je n'ai pas du tout aimé le style : trop froid, trop sec...
qui m'a évoqué un rapport clinique : "voyez...
voyez...", eh bien oui, je vois ! Et je ne ressens rien !!
Moi qui adore "être avec" mes personnages, les accompagner...
RIEN ! Grande déception donc, pour moi qui attendais cette
lecture... tant pis !
Yolaine
Étant paresseuse et pas du tout motivée pour n'écrire
qu'en mon seul nom (Yolaine rédige pour le site une synthèse
des avis bretons), j'adresse juste un petit mot de soutien pour confirmer
mon avis enthousiaste sur le livre de Marie Darrieussecq.
Dans notre commentaire collectif, il a d'abord été fait
état des points négatifs évoqués par celles
qui n'ont pas aimé, puis les aspects positifs, auquel j'adhère
complètement et que je ne répéterai donc pas.
J'ai ressenti exactement le contraire de ce qu'expriment Marie-Odile et
Chantal : j'aime la démarche archivistique de l'auteur, et
par voie de conséquence sa méthode, qui consiste à
suivre Paula tout au long de ses cahiers intimes, avec simplicité,
sobriété et respect, m'a paru naturelle, et le style limpide.
Je ne m'intéresse pas particulièrement à la peinture,
et je suis d'autant plus ravie d'avoir découvert cette artiste
ignorée en France. J'ai ressenti beaucoup d'émotion devant
cette belle figure féminine, devant toutes ces possibilités,
ce talent évident, cette ardeur et cette passion, puis cette fin
tragique et ce destin inachevé. Personnage marqué par son
époque, qui présente un intérêt historique,
mais surtout parcours d'une femme confrontée aux grandes étapes
de toute vie humaine - naissance, mariage, amour, maternité,
maladie, mort - et qui rue un peu dans les brancards. Cet ouvrage
m'a paru riche de plusieurs niveaux de lecture. Il m'a réellement
intéressée.
Jean-Luc
Le livre est l'étude d'un cas, celui de Paula : l'intérêt
supérieur de la passion artistique guide sa vie ("Un
seul but occupe mes pensées, consciemment et inconsciemment",
"Oh, peindre, peindre,
peindre"), avec en toile de fond une description intéressante
de certains milieux artistiques européens.
L'originalité de Paula est montrée ainsi à travers
des phrases de Marie Darrieussecq : « elle,
qui ne vend rien, écrit que "l'art, comme abondance et
naissance perpétuelle, n'est dirigé que vers l'avenir"» ;
dans ses tableaux, il y a "de
vraies femmes" qui sont "dénudées
du regard masculin", elles sont "ni
aguicheuses, ni..." :
Paula montre ce qu'elle voit.
Mon impression générale : le style de vie de Paula
fait écho aux recommandations de Nietzsche, comme celle-ci :
expérimente-toi, vis ta passion à fond, crée ta liberté,
va vers l'avenir sans te retourner...
Odile
J'ouvre en grand alors qu'au premier jet c'était à moitié,
mais quand j'ai vu sur internet les tableaux de Paula, j'ai révisé
mon jugement.
L'écriture : originale , spéciale, inaccoutumée
pour présenter une artiste peintre dont je n'avais jamais entendu
parler.
C'est intéressant de connaître le mode de vie, le fonctionnement
des artistes (femmes) du début du 20ème siècle. La
suffisance, l'incompétence, la prétention de ses proches,
allemands, surtout par rapport à son art. Il y a de la fraîcheur,
de la couleur, de l'authenticité dans son uvre, qui peut
être comparée à celles de Gauguin, Matisse...
Marie Darrieussecq nous la fait connaître comme une jeune femme
gaie, chaleureuse, douée, avec de l'empathie pour ceux et celles
qu'elle côtoie, pleine d'énergie pour peindre en si peu de
temps 700 tableaux, se contentant de peu d'argent, avec un côté
enfant car sans détour, confiante dans sa façon de peindre,
de sa vie à Paris qui l'inspire. Le livre est non seulement une
splendeur mais un vrai bonheur. Mais quel gâchis que Paula n'ait
pas été reconnue...
Marie Thé
C'est un livre que j'aurais voulu aimer, et qui m'a déçue.
J'avais savouré dans ce genre, il y a quelques années Sundborn
ou les jours de lumière de Philippe Delerm où était
évoquée, imaginée, la vie d'une communauté
de peintres scandinaves autour de Carl Larrsson à Grez-sur Loing.
Cette biographie qui n'en est pas une, cela m'a vraiment gênée ;
je dirais plutôt qu'il s'agit de la rencontre de Marie Darrieussecq
et de Paula Becker ; froide rencontre... Où est l'émotion ?
Peut-être masquée par ce côté manichéen,
ce féminisme qui suinte souvent.
Pour l'auteure, Paula est peintre et femme, et donc... parfaite. Par contre,
son mari Otto apparaît comme un personnage plutôt négatif...
Mais enfin, grâce à ce qu'est Otto justement, Paula peut
prendre son envol, vivre intensément loin des contraintes du mariage,
à Paris, par exemple. On est loin de la soumission et du renoncement,
c'est bien Otto qui lui apporte l'aide financière et la liberté
souhaitées. Faisant allusion au mariage de Paula : "Quand
j'entends consommé, je pense à du potage..."
(p. 62). Sans commentaires. Dans un autre domaine, il y a l'insupportable
paragraphe (p. 51) où il est question entre autres de "mouette
mazoutée", page suivante : "on
y entre comme dans du beurre" (!)
C'est surtout le parcours du peintre qui m'a intéressée,
grâce à ce livre je découvre une artiste dont je n'avais
jamais entendu parler et c'est là qu'apparaissent des inégalités.
Je noterai tout de même ceci : " Il
n'y a chez Paula aucune revanche. Aucun discours. Aucun jugement. Elle
montre ce qu'elle voit." Quelle idée se fait donc
l'auteur de tous ces hommes peintres qu'elle vient de nommer ? (Degas,
Renoir, Picasso... p. 118)
Je retiendrai les représentations artistiques de la mère
et de l'enfant, à la fois naissance et mort, comme le jardin évoquant
la tombe. J'ai aimé l'évocation de Paris vers 1900, très
vite dérangée par ceci : "Qu'il
est bon d'être allemand, d'être simple et meilleur."
(p. 24). Qui parle ? L'auteure ? Paula ? Et finalement
je préfère retourner au Monde
d'hier de Stefan Zweig, ou à Gertrude
Stein.
Que retiendrai-je de ce livre ? J'ai l'impression que je me souviendrai
autant de Rilke que de Paula Becker.
DOCUMENTATION
SUR NOS INVITÉES
MARIE DARRIEUSSECQ
Pour prendre connaissance de :
- son parcours, cliquez ICI
- la présentation de chacune de ses uvres,
cliquez LÀ.
La liste de ses livres parus chez P.O.L (et en folio) :
- Truismes (1996)
- Naissance des fantômes (1998)
- Le Mal de mer (1999)
- Précisions sur les vagues (1999),
16 p. (offert aux lecteurs du premier tirage du Mal de mer). Précisions
sur les vagues (2008), 48 p.
- Bref séjour chez les vivants (2001)
- Le Bébé (2002)
- White (2003)
- Le Pays (2005)
- Zoo (2006)
- Tom est mort (2007)
- Le Musée de la mer (2009)
- Rapport de police : accusations de plagiat et autres
modes de surveillance de la fiction (2010)
- Clèves (2011)
- Il faut beaucoup aimer les hommes (2013)
- Être ici est une splendeur (2016)
Pour voir des uvres de Paula Modersohn-Becker
(présentées lors de l'exposition
au musée d'art moderne de la ville de Paris en 2016)
- on
peut feuilleter un portfolio ici d'une dizaine
de tableaux, sur le site du Monde
- voir une quinzaine de tableaux, commentés oralement par Marie
Darrieussecq elle-même en téléchargeant l'application
de l'exposition sur un smartphone ou une tablette (cliquez la touche audio
et non lecture en face de l'uvre) pour Apple
ou Android
- en vidéo, une visite guidée par Marie Darrieussecq (4
min) sur le site de
Télérama
- en vidéo, un commentaire de l'exposition par la commissaire Julia
Garimorth réalisé par le
musée d'art moderne (3 min 30).
Des femmes remarquables citées
par Marie Darrieussecq dans Être
ici est une splendeur
- Hélène
Bertaux, sculptrice française, militante des droits des femmes
et notamment concernant leur place dans l'art (1825-1909)
- Virginie
Demont-Breton,
peintre, engagée aussi pour la cause des femmes artistes
(1859-1935)
- Jeanne
Hébuterne, peintre française (1898-1920)
- Marie
Bashkirtseff, peintre et sculptrice d'origine ukrainienne (1858-1884)
- Artemisia
Gentileschi, peintre italienne (1593-1652)
"la première femme à avoir peint une femme nue :
mais on discute encore pour savoir si sa géniale Suzanne et
les vieillards est un autoportrait."
- Les quatre femmes artistes présentes au Louvre quand Paula le
visite : Élisabeth
Vigée-Lebrun, la première à y être entrée,
Constance
Mayer, Adélaïde
Labille-Guyard, Hortense
Haudebourt-Lescot
- Deux photographes
du XXe siècle : Francesca
Woodman, photographe
américaine, (1958-1981) et Kate
Barry, photographe britannique,
fille de Jane Birkin (1967-2013).
- "Les
femmes peintres dans la seconde moitié du XIXe siècle" :
un article cité par Marie Darrieussecq dans la bibliographie terminant
Être
est une splendeur, de
Denise Noël, revue Clio :
Femmes, Genre, Histoire, n° 19, "Femmes et images",
2004.
Les écrivains cités par
Marie Darrieussecq dans Être
ici est une splendeur (outre Rilke) :
- Knut Hamsun : "Tout l'après-midi je suis restée
étendue dans le sable et la bruyère à lire
Pan de Knut Hamsun", écrit Paula dans son Journal
en 1900.
- Paul Celan et son poème Fugue
de mort "écrit trois mois après la libération
d'Auschwitz. C'est un poème qui se tient aux côtés
des grands témoignages, ceux de Primo Levi, d'Elie Wiesel, de Charlotte
Delbo. C'est un poème qui modifie celui ou celle qui le lit."
- Jens Peter Jacobsen, que lisent Paula, Rilke et Clara : "Entre
les trois amis circule un beau roman danois aujourd'hui oublié,
Niels
Lyhne de Jens Peter Jacobsen. Niels Lyhne court après
la pureté. Il sait qu'il rêve. Le désir féminin
est réel, et le réel le rend malade. Le roman raconte un
jeune couple détruit par le dégoût du sexe, dans une
ferme au fond d'un fjord."
- W. G. Sebald : lAllemagne de Paula d'avant les deux guerres, avant
dêtre coupée en deux, puis réunifiée,
est associée au livre Les
Émigrants, que MD cite longuement : "Quand
je pense à l'Allemagne, elle se présente à mon esprit
comme quelque chose de démentiel (...)"
- Virginia Woolf : elle "souligne dans Un lieu à
soi que l'éducation des filles consiste à les habituer
à mettre de côté leur égoïsme pour s'occuper
d'un plus égoïste" (traduit sous ce titre "Un
lieu à soi" et non "Une chambre à soi"
par Marie Darrieussecq en 2016).
- Bettina
Brentano, nouvelliste allemande : Paula « lit en dînant,
bonheur de solitaire. La Correspondance de Goethe avec une enfant
de Brettina Brentano. En français, George Sand, ses fascinantes
liaisons masculines, son style qui manque un peu de "pudeur féminine" ».
- Ibsen : "Comme la Nora de Maison
de poupée, Paula quitte tout, maison et mari, pour autre
chose, pour l'inconnu."
- Kafka : "Kafka, je ne sais pas comment il a écrit
ce qu'il a écrit. Rilke, je vois ses difficultés, ses réussites,
ses triomphes, le difficile. Je peux me dire que nous faisons atelier
commun."
- Arno
Schmidt, « mon autre "cher Allemand" ».
HELENA CHADDERTON
Maître de conférences
à l'Université
de Hull en Angleterre, elle a fait sa thèse sur Marie Darrieussecq,
publiée chez Peter Lang. Elle était venue nous voir pour
une séance sur
Jonathan Coe (avec télévision...)
Elles se
rencontrent toutes deux ce jour-même, Helena ayant choisi, lorsqu'elle
a fait sa thèse, de ne travailler que sur les textes, sans souhaiter
connaître l'auteure.
Ses publications entièrement consacrées
à Marie Darrieussecq
- Marie
Darrieussecq's Textual Worlds: Self, Society and Language, Bern,
Peter Lang, 2012
- Dalhousie
French Studies, numéro consacré à Marie Darrieussecq
dirigé avec Gill Rye Halifax, Canada, Dalhousie University, n°
98, été 2012.
Chapitres sur les uvres
de Marie Darrieussecq
Ses publications entièrement consacrées à Marie Darrieussecq
- Marie
Darrieussecq's Textual Worlds: Self, Society and Language, Bern,
Peter Lang, 2012
- Dalhousie
French Studies, numéro consacré à Marie Darrieussecq
dirigé avec Gill Rye Halifax, Canada, Dalhousie University, n°
98, été 2012.
Chapitres sur les uvres
de Marie Darrieussecq
- Controversy,
Ambivalence, Innovation, Dalhousie French Studies, vol.
98, 2012
- "Experience and Experiment in the Work of Marie Darrieussecq",
Women's
Writing in Twenty-First-Century France, Cardiff, Royaume-Uni,
University of Wales Press, 2013
- "Identity Negotiation in Marie Darrieussecq's Le bébé
and Le Pays",
Une et divisible? Plural Identities in Modern France, Barbara
Lebrun and Jill Lovecy, Bern, Peter Lang, 2010
- "Transposing
the Thought Process in Marie Darrieussecq's Bref séjour chez
les vivants", Language and its Contexts: Transposition
and Transformation of Meaning, Alex Mével and Helen Tattam,
Bern, Peter Lang, 2010
- "Writing Motherhood: Marie Darrieussecq's Le Bébé",
Aimer et Mourir: Love, Death, and Women's Lives in Texts of French
Expression, Eilene Hoft-March and Judith Holland Sarnecki, Newcastle
upon Tyne, Royaume-Uni, Cambridge Scholars Publishing, 2009.
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