Extrait de
L'Express (2016)
Quatrième
de couverture :
"Ravel fut grand comme un jockey, donc comme Faulkner.
Son corps était si léger qu'en 1914, désireux de
s'engager, il tenta de persuader les autorités militaires qu'un
pareil poids serait justement idéal pour l'aviation. Cette incorporation
lui fut refusée, d'ailleurs on l'exempta de toute obligation mais,
comme il insistait, on l'affecta sans rire à la conduite des poids
lourds. C'est ainsi qu'on put voir un jour, descendant les Champs-Elysées,
un énorme camion militaire contenant une petite forme en capote
bleue trop grande agrippée tant bien que mal à un volant
trop gros.
J.E.
Ce roman retrace les dix dernières années
de la vie du compositeur français Maurice Ravel (1875-1937)"
Affiche de l'exposition à la BPI
du 29 novembre 2017 au 5 mars 2018
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Jean Echenoz
Ravel
Le nouveau groupe parisien a lu ce
livre en
février 2018.
L'ancien groupe avait lu Ravel
en
2006, ainsi que Cherokee
en 1990, Je
m'en vais en 2000 et Envoyée
spéciale en 2018.
Documentation
sur l'uvre de Jean
Echenoz :
ICI
Interview d'Echenoz sur Ravel :
ICI
Nathalie B
J'ai travaillé la musique de Ravel que j'aime
beaucoup, aussi ai-je été très déçue
de ce livre qui ne transmet pas la relation de Ravel à sa musique.
C'est un texte caricatural. Echenoz donne un aspect dandy au personnage,
angoissé, il le rend petit et ne met pas en avant les grands aspects
de l'homme. C'est une personnalité hyper sensible, dans la retenue,
précis, tout cela comme la musique ne se perçoit pas. Même
ce qu'il dit à propos du Boléro est superficiel.
Françoise H
Pour ma part je n'avais pas d'attente vis-à-vis de ce livre et
je dois dire que je n'aime pas la musique, alors
J'ai pourtant eu
du plaisir à lire ce livre avec ses heureuses formules, ses images,
ses découpages très cinématographiques. Toutefois
ce n'est pas un livre qui m'a nourrie en comparaison avec Gatsby
par exemple et que j'ai trouvé bien plus profond.
Ana-Cristina
Je comprends Nathalie ce que tu veux dire à
propos de l'homme Ravel, mais Echenoz à mon avis a voulu faire
un portrait et donc, je pense, n'a pas souhaité intégrer
la musique. Le style de cet écrivain est précis, c'est sa
façon de faire un portrait, comme un dessinateur, et il y a autant
de dessins du même objet que de personnes qui le dessinent. Ce livre
est donc l'expression de sa perception, ce n'est pas une biographie. C'est
une lecture qui m'a fait voir "un homme" et, la lecture terminée,
j'en ai gardé une impression très forte. La silhouette du
personnage, sa voix, peu importe si c'est l'homme réel, sont restées
en moi très prégnantes. Après lecture, j'ai été
lire des textes de Léon-Paul
Fargue sur Ravel et j'ai trouvé tout autre chose : heureusement
que j'ai commencé par Echenoz.
Nathalie
Léon-Paul Fargue parle-t-il du Boléro ? Car il n'est
pas répétitif. Par ailleurs ce n'est pas un aspect représentatif
de sa musique.
Ana-Cristina
Il parle plutôt de ses origines espagnoles.
Nathalie
Ce serait plutôt Debussy avec ses côtés impressionnistes.
Ana-Cristina
Eisenstein dit "la ligne est la trace du mouvement" : je
trouve que cela s'applique bien à Echenoz. Le mouvement et la trace
sont déjà un dessin et personnel à chacun ;
en ce sens le portrait de Ravel par Echenoz est un dessin qui me plaît.
Cela laisse aussi de la place à l'imagination, à l'attente,
à soi-même quand on lit. Ensuite j'ai lu Des
éclairs de cet auteur, c'est le portrait d'un ingénieur.
Nathalie
En fait, la fin de Ravel est due à une maladie dégénérative
et j'ai peu vu les angoisses de Ravel à ce propos, son désespoir.
Émilie
J'avais pas mal d'attentes à propos
de ce livre. De Ravel je ne connais que le Boléro. C'est
dix ans de la vie de ce compositeur et j'ai trouvé qu'il y a beaucoup
de longueurs et de choses factuelles. J'ai eu le sentiment que l'écriture
était trop comme une description, une écriture d'archives
laissant peu de place au romanesque. La partie du livre que j'ai préférée
est la fin, plus vivante et touchante. J'ai fait le parallèle avec
la vie de Tchaïkovski racontée par
Klaus Mann.
Ana-Cristina
J'ai été voir l'exposition sur Echenoz et j'ai en effet
apprécié ses montages littéraires comme des montages
cinématographiques. Des portraits ironiques parfois. C'est un peu
agaçant d'ailleurs. Ce n'est pas une façon de faire chez
Léon-Paul Fargue.
Nathalie
Oui, ce sont des portraits ironiques et Echenoz ne représente pas
Ravel de façon généreuse. Ravel n'était pas
si mondain que dans le livre.
Françoise
En effet, le personnage n'est pas représenté de façon
sympathique, il y a un peu d'aigreur.
Julius
J'ai trouvé qu'Echenoz ne s'impliquait pas dans un jugement positif
ou négatif, il reste à distance et j'ai bien aimé
ce livre. Au début je me suis demandé ce que je lisais,
un peu comme un "objet écrit non identifié". Je
l'ai pris comme un exercice de style, car la tournure littéraire
m'a semblé en elle-même musicale, comme si la musique de
Ravel était incarnée dans l'écriture elle-même.
Je pense qu'Echenoz a écrit son Ravel comme une partition
de musique, et que cette musique (d'Echenoz) est le thème central
du livre en l'absence de tout "héros". Certes, il a fait
de Ravel un personnage plutôt désagréable et qui ne
semble voué à aucun destin en dépit de sa renommée.
Il n'est en tout cas jamais décrit comme "héroïque"
et jamais congru à l'immensité de son talent. Oui, pour
moi, c'est un récit construit comme une partition à l'intérieur
de laquelle il y a un thème central qui est celui de l'absence
de héros. Et ce thème est développé et décliné
avec des variations, un long voyage aux États-Unis, puis un autre
voyage en Europe centrale, puis un voyage en Afrique du Nord et puis en
Espagne. A chaque fois, le thème revient : absence de destinée,
absence de héros, et des postures récurrentes, des traits
de caractère... Cette écriture peut, elle aussi, revêtir
parfois des aspects extrêmement dissonants comme la musique de Ravel.
Et finalement, on se rend compte que Ravel demeure inchangé en
lui-même du début jusqu'à la fin. Il n'y a pas d'évolution
du personnage et tous les acteurs qui gravitent autour de lui ne semblent
pas bouger pas non plus : ils se déplacent certes, ils l'entourent
et font cortège, mais ils me paraissent néanmoins statiques,
comme des figures de marionnettes dans un théâtre d'ombres
ou un peu comme un univers de bande dessinée. Et l'histoire se
termine sur un accident. Ravel serait-il lui-même tombé dans
la musique par accident ? Finalement j'ai refermé le livre
avec l'impression de n'avoir pas appris sur l'homme beaucoup plus que
ce que j'aurais trouvé par moi-même sur Wikipédia,
mais il demeure une atmosphère, un charme de l'écriture
qui me semble proprement musical, un peu comme si je venais d'écouter
un morceau de musique. J'ai vraiment bien aimé.
Nathalie
Mais ce n'est pas une réalité de Ravel !
Julius
Ce livre n'est pas une biographie, ce n'est pas un hommage, c'est une
fiction. Un exercice d'écriture talentueux.
Françoise
Ce livre serait-il une commande ? C'est comme si Echenoz était
peu concerné par Ravel
Ana-Cristina
Je ne trouve pas Ravel désagréable dans ce roman, c'est
un homme intéressant et il a forcément une grande intériorité.
Echenoz installe des pions, sans doute statiques, mais ça fait
des chocs qui permettent au lecteur d'être actif dans sa compréhension
du personnage. Au début, il y a la valse des prénoms. Echenoz
veut reproduire des effets de caméra. Ravel est le pivot au centre
et tous ceux qui gravitent autour donnent du relief.
Nathalie
Mais c'est un relief faux ! Commencer Ravel en parlant de
lui dans son bain c'est gonflé. Si j'étais Ravel ça
ne me plairait pas ! Il dit des choses erronées. Ravel était
très exigeant avec son uvre, il le décrit désinvolte.
Echenoz n'a rien compris à la musique de Ravel. Celui-ci écrivait
pour une main plus grande que la sienne. C'était un homme humble,
sans prétentions. Poli et chaleureux.
François
Ce livre m'a ému. Echenoz fait de Ravel un
prince foudroyé. C'est une histoire que l'on peut mettre en abyme.
Ce n'est ni une biographie, ni un portrait, je dirais plutôt une
mise en question de la narration.
L'auteur fait un Ravel que je trouve assez grandiose avec une insolence
magnifique, il sait dire les vérités avec une désinvolture
et une impertinence grinçantes mais très justes, comme sa
musique parfois. J'ai trouvé excellents et comiques les passages
sur les techniques pour se défendre de l'insomnie. Cela pour dire
aussi que le sommeil comme Ravel se refusent à l'embrigadement.
C'est une écriture qui met toujours en jeu une tension. Beaucoup
de passages sont intéressants, comme le début qui commence
par le bain, sorte de protection amniotique qui montre en fait la fragilité
du compositeur. La description sur le bateau de la salle des machines
est très bien écrite et met en évidence la manière
dont Ravel aime la technique, la réalité. Il ressort bien
de ce livre la complexité d'un tel homme. C'est émouvant
qu'à la fin de sa vie il se soit vu ne pas se reconnaître.
Je trouve qu'il sort de ce livre grandi. C'est un portrait comme fait
à la pointe sèche.
Anne
J'ai mis du temps à entrer dans Ravel.
C'est un beau livre mais
j'ai failli parfois ne pas le rouvrir (ce
qui est différent de le fermer). Un peu d'ennui peut être
jusqu'à la fin du voyage aux USA. Peut-être néanmoins
l'intention d'Echenoz est-elle de produire chez le lecteur l'état
profond de Ravel ? Le beau style de l'auteur m'a toutefois fait patienter.
Echenoz décrit par ailleurs, non sans humour, cette étonnante
insomnie au centre de la vie du compositeur, avec les descriptions fines
des méthodes désespérées pour combattre celle-ci.
Drôles de techniques pour domestiquer l'insondable ! Méthodique
aussi est le raffinement vestimentaire de Ravel qui adoucit, mais laisse
bien transparaître, ses angoisses existentielles. Ces techniques
viennent isoler les émotions, comme la technique d'Echenoz pour
construire son texte par moments. J'ai en effet senti l'écrivain
très organisé dans son travail, rigoureusement penché
sur ses documents et photos. Le style ne manque pas pour autant d'envergure
et de beauté. N'ayant trouvé aucun indice sur l'enfance
du compositeur, je me suis tout de même demandé si l'enfant
Ravel a connu l'insomnie. Sous la forme de peurs nocturnes ? Aurait-il
construit sa musique pour y échapper ? Comment vient à
un homme la composition musicale ? Comment les émotions, les
sensations, les émois, se transforment-ils en une musique transmissible ?
Le récit n'en dit rien et m'aurait emballée dans ce contexte
si ça avait été le cas.
Après le voyage aux États-Unis durant lequel je me suis
ennuyée, mon intérêt s'est animé dès
la création du Boléro, puis avec le conflit avec
Wittgenstein. A partir de là, à plusieurs reprises, Ravel
se montre mordant, voir impertinent et très intelligent. Du désir
émerge dans cette seconde partie. Ravel y défend son existence,
la musique, la musique uniquement, immense mouvement de vie dans un long
couloir d'ennui où il ne parvient pas à aimer les autres.
Cette partie du livre devient vivante, moins factuelle. J'ai commencé
à percevoir les conflits intérieurs du compositeur, la place
que prend la musique dans sa vie affective et combien le désir
de réussir à s'exprimer à travers elle est un enjeu
crucial. De la même manière, la force de l'écriture
de l'auteur est là au service d'un homme de chair et d'os (peu
importe qu'il s'agisse du vrai Ravel ou d'un personnage de fiction, il
s'agit du portrait complexe d'un homme). Jusqu'alors je ne voyais que
la dépression, froide comme neige, recouvrant un Ravel inhumain
s'agitant, fébrile. Aussi est-ce fort émouvant quand ce
qui me semblait "déjà mort" en lui, revient tel
un fantôme sous la forme de sa maladie dégénérative,
confondue avec l'explosif traumatisme de l'accident, qu'Echenoz décrit
remarquablement bien. Vient alors l'oubli de lui-même. C'est-à-dire
que Ravel ne reconnaît pas sa musique, perd le contact avec ce qu'il
y a de plus vivant en lui, sa musique. Le mortifère apparaît
tel un revenant qui l'aurait toujours habité. Il lui fait une grimace
et l'attaque sous l'apparence de l'handicapé Wittgenstein qui nie
cruellement, avec une certaine perversité, sa musique, là
où bat son cur. Blessé à mort, Ravel lutte
comme l'ange avec le démon mais le mortifère vient le chercher
comme on retourne un gant et c'est poignant !
En complément des 7 avis de 2018
d'Ana-Cristina, Anne, Émilie, Julius, François, Françoise
H et Nathalie B, voici 17
avis en 2006 d'Annick L, Christine, Claire, Dervila, Ève,
Florence, Françoise D, Françoise O, Geneviève, Jacqueline,
Katell, Manuel, Marie-Jo, Monique S, Renée, Sandrine, Vincent :
ICI
Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme
au rejet :
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à
la folie
grand ouvert
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beaucoup
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