Joseph
Ponthus Quatrième de couverture : "Au
fil des heures et des jours le besoin décrire sincruste Ouvrier intérimaire, Joseph embauche
jour après jour dans les usines de poissons et les abattoirs bretons.
Le bruit, les rêves confisqués dans la répétition
de rituels épuisants, la souffrance du corps saccumulent
inéluctablement comme le travail à la ligne. Ce qui le sauve,
ce sont lamour et les souvenirs de son autre vie, baignée
de culture et de littérature.
Quatrième de couverture : À la ligne est le premier
roman de Joseph Ponthus. Cest lhistoire dun ouvrier
intérimaire qui embauche dans les conserveries de poissons et les
abattoirs bretons. Jour après jour, il inventorie avec une infinie
précision les gestes du travail à la ligne, le bruit, la
fatigue, les rêves confisqués dans la répétition
de rituels épuisants, la souffrance du corps. Ce qui le sauve,
cest quil a eu une autre vie. Il connaît les auteurs
latins, il a vibré avec Dumas, il sait les poèmes dApollinaire
et les chansons de Trenet. Cest sa victoire provisoire contre tout
ce qui fait mal, tout ce qui aliène. Et, en allant à la
ligne, on trouvera dans les blancs du texte la femme aimée, le
bonheur dominical, le chien Pok Pok, lodeur de la mer. |
Joseph Ponthus (1978-23 février 2021)
|
Nos
18 cotes d'amour |
Fanny(avis
transmis)
J'ai lu le livre de Ponthus il y a deux ans environ, vite, emportée
par le fil du récit. Le style particulier, sans ponctuation m'a
emmenée avec lui, au cur des usines. J'aime l'engagement
dont il fait preuve et je trouve ce livre d'une grande humanité.
La manière dont il décrit les relations humaines, les émotions
et les résonances chez tout un chacun sonne je trouve très
juste. C'est notamment le cas lorsqu'il parle de son collègue gratteur
de clopes qui l'insupporte (p100 et suivantes livre de poche) pour se
demander ce qu'il y a en lui de cette personne pour qu'elle l'agace autant.
J'ai à plusieurs reprises cité ce passage en formation,
loin des concepts théoriques son récit est très explicite.
J'ai également été sensible à son humour,
à ses formules imagées (l'animatrice qui a les cheveux roulés
comme ses pétards.)
J'ai recommencé ma lecture il y a quelques jours, le manque de
temps fait que je ne l'ai pas encore terminé mais je le lis avec
le même plaisir et la même avidité que la première
fois.
J'ouvre en grand. Bel échange, hâte de vous lire.
Monique L(avis
transmis)
Ce qui caractérise ce texte c'est son phrasé. Le rythme
correspond à la vie hachée que mène l'auteur, avec
les gestes machinaux de son travail, les changements de poste et les appels
inopinés de l'agence d'intérim. C'est très convaincant.
C'est une poésie en vers libres sans rime, jouant sur les mots,
la répétition et la scansion.
C'est un récit sans langue de bois sur la précarité
et la fatigue engendrée par le travail physique et déshumanisant
des travailleurs à la chaîne qui sont ignorés dans
notre société.
L'auteur se définit comme "marxiste lacanien", je trouve
ce terme très approprié.
C'est une sorte de journal intime où l'on découvre que les
souvenirs de poèmes, de chansons comme celles de Trénet
peuvent faire tenir dans l'adversité.
C'est une uvre vraiment originale tout en finesse et poésie.
J'ouvre en entier.
Nathalie(avis
transmis)
Il est certain qu'il ne faut pas quinze jours pour lire ce livre. Je l'ai
lu en deux fois, je pense que j'aurais pu le lire d'une traite.
C'est un livre qu'on a envie que tout le monde lise ! Il forme pour moi
un savant mélange de références : Le
parti pris des choses de Ponge, LÉtabli
de Robert Linhart, Le
Quai
de Ouistreham de Florence Aubenas (ma seule idole sur terre),
Vies
minuscules de Pierre Michon, etc.
J'ai été très touchée tout au long de ma lecture,
très émue. J'ai ressenti son témoignage comme sincère
et précieux, honnête, terriblement humain. C'est un point
de vue intérieur auquel on a rarement accès. Il a la grâce
de faire naître des images, non pas générales, mais
extrêmement serrées : une crevette, un bulot, un coin de
carcasse, une tache de sang.
Cette idée géniale de faire coïncider une référence
littéraire, un jeu de mots en fin de récit a créé
en moi une attente joviale. Qu'allait-il pouvoir trouver à chaque
fois ? Je jubilais d'avance. Je craignais de passer à côté.
J'ai été très émue également par l'idée
qu'il était là pour pouvoir être aux côtés
de la femme aimée (quel cadeau), émue par cette fatigue
physique qui le fait s'écrouler à peine la porte franchie.
Et pourtant, le chien sera sorti, le passage sera écrit, la femme
sera aimée.
J'ai apprécié l'humour qu'il manie avec finesse ! On s'attendrait
à ce qu'il devienne végétarien mais il nous explique
simplement le plaisir de manger enfin de ces morceaux de choix achetés
à bas prix grâce au sacrifice d'un corps qui s'abîme
au fil du temps. J'ai été impressionnée par les images
de rails qu'il a fait naître en moi et l'inconscience de ceux qui
choisissent les bêtes les plus difficiles à atteindre. Il
y a donc aussi du Zola dans ce livre. Je l'ouvre en grand ! Et je vous
souhaite une très belle soirée.
Catherine(avis
transmis)
J'ai aimé ce livre qui m'a permis de m'immerger dans le monde de
deux usines agro-alimentaires bretonnes, et de vérifier que leurs
conditions de travail restent dignes du 19e siècle. À la
différence de LÉtabli,
il ne s'agit pas d'une description de l'usine vue par un intellectuel
qui vient, de façon temporaire, pour témoigner ou essayer
d'y importer des idées politiques. Le narrateur ne vient pas à
l'usine temporairement et par choix, il y travaille pour vivre, parce
qu'il n'a pas d'autre possibilité. Cela donne un côté
plus "vrai", moins artificiel. En même temps, il décrit
une usine un peu fantasmée, presque poétique, non dénuée
d'une certaine beauté, surtout au début quand il s'agit
de crustacés. Ça se corse lorsqu'on arrive à l'abattoir
et la poésie s'éloigne. Et encore, il parle très
peu de l'abattage même, seulement du nettoyage. Mais même
cette évocation a suffi à me conduire vers un régime
quasi complètement végétarien pendant cette deuxième
partie du livre. Il décrit ce travail à l'abattoir sans
sensiblerie, sans indignation vertueuse ; il raconte ce qu'il vit,
c'est tout et c'est suffisant.
J'ai aussi aimé la forme, avec ses retours à la ligne incessants,
sans ponctuation, qui s'adapte aux pensées un peu hachées
du l'aérateur, du fait de ce travail répétitif qui
ne laisse pas beaucoup d'espace à la réflexion. C'est entrecoupé
régulièrement de paroles de chansons ou de poésies
qui l'aident à supporter le temps si long de ces journées
à la ligne de production. Je craignais de m'en lasser, mais pour
moi ça a fonctionné jusqu'au bout.
Un peu paradoxalement, ce travail harassant et répétitif
qu'il pensait initialement ne pas supporter, le rend finalement moins
anxieux et moins névrosé, qu'auparavant. Les dernières
pages sont assez touchantes, d'autant plus que l'on connaît sa mort
prématurée.
Je l'ouvre aux ¾ ; dommage de ne pas pouvoir écouter vos
avis.
Laura
Petit livre étrange. Je suis restée dubitative du début
à la fin, oscillant entre rire et lassitude. Je comprends l'intérêt
et l'importance d'écrire et de publier un tel ouvrage, que ce soit
pour le bien-être, ou plutôt la survie, du travailleur, que
pour créer une sorte de manifeste politique à l'égard
des néophytes d'usine. Je ne sais pas si l'auteur connaissait Simone
Weil, mais son ouvrage m'a semblé se rapprocher, tout du long,
de La
condition ouvrière, qui est aussi un écrit sous
forme de journal, avec la même thématique. Rapprochement
fort, on pourrait presque dire un remake. Je me souviens avoir lu le témoignage
de Weil quand je travaillais chez Zara
Home, durant un long mois. J'y ai éprouvé la même
fatigue physique et nerveuse que Ponthus dans son usine, travaillant toute
la journée, et rêvant du travail la nuit. Même si mon
expérience a nécessairement été moins puissante.
Je reviens au texte. Lassée donc, parce que j'ai déjà
lu quelque chose de semblable, et de meilleur à mon humble avis.
Lassée par cet incessant retour à la ligne sans intérêt
(oui j'ai compris que c'était le rythme du travail à l'usine).
Lassée à la fin par l'absence de retour à la ligne
(j'ai fini par m'y faire et je voulais terminer le livre). Lassée
par les bulots et les crevettes. Lassée par les petites références
littéraires casées de-ci de-là. Lassée par
la répétition. Pourtant, j'ai aussi bien ri de certaines
de ces choses : la demande de l'heure de l'embauche "eh
bien demain dès l'aube à l'heure ou blanchit la campagne"
; l'histoire de l'égoutteur de tofu qui a ensoleillé une
de mes journées ; la "dimanchite", je pense que je vais
réutiliser cette expression ! Mais bon. J'ai cru vomir pendant
le nettoyage de l'abattoir (ce qui a eu de bonnes conséquences
sur moi finalement). Encore une fois, mais bon. Je ne pense pas qu'il
soit nécessaire de publier 270 pages. Ceci dit, j'aurais pu ne
pas le lire jusqu'au bout. Voici ma dubitation (je pensais créer
un néologisme ici en copiant le procédé de Ponthus,
c'est raté
) : je comprends l'intérêt du livre,
mais j'ai trop soupiré pour l'apprécier. ½ ouvert.
Manuel
Je suis très content que nous ayons programmé le livre de
Ponthus après celui de Shulem Deen. Ils
ont un point commun : on ne peut pas dissocier l'auteur du narrateur.
Les deux ouvrages sont autobiographiques avec un traitement très
différent. Le parti pris d'écriture de Ponthus m'a d'emblée
gêné. J'ai trouvé que c'était "fabriqué".
Ma lecture en a été polluée, j'ai été
agacé par l'absence de ponctuation. Les majuscules nous indiquent
les débuts de phrase, pourquoi n'a-t-il pas été au
bout de son procédé ? Je n'ai pas du tout ressenti le rythme,
ça n'a pas marché pour moi.
Faire le rapprochement entre la Première Guerre mondiale et la
boucherie m'agace, comme faire le rapprochement entre Apollinaire et sa
condition
Il ne faut quand même pas pousser.
Plusieurs références ont piqué ma curiosité
: le film Le Sang
des bêtes de Franju, Fernand Braudel que je ne connaissais
pas. Est-ce que Joseph Ponthus n'avait pas d'autre choix que de travailler
à l'abattoir ? J'en ai douté tout au long de ma lecture,
mais non de son côté humain. Son livre est profondément
humain. Contrairement à d'autres, j'ai peiné à finir.
J'ai trouvé dégueu le chapitre de l'ouvrier qui perd son
doigt. La lettre à sa mère est émouvante, mais je
ne savais pas pourquoi c'était là.
J'ai regardé l'interview que Ponthus a accordée à
La Grande Librairie
: pourquoi soi-disant tromper le lecteur en attribuant la citation de
la cathédrale de Charles Péguy à Paul Claudel ? Il
voulait faire le malin, comme avec sa vanne condescendante à l'agence
d'intérim où il cite Victor Hugo ? Pourquoi Baptiste Cornet
a pris un pseudonyme ? Pourquoi envoyer le manuscrit à son employeur
et se plaindre sur un plateau télé qu'il ne l'a pas réembauché
?
Je n'ai pas eu l'impression qu'il faisait un portrait de l'usine sans
égratigner son employeur ; par exemple avec le chapitre sur l'audit
ou la visite d'un nouveau client. Et je n'adhère pas à son
côté "gilet jaune" : "J'aurais
été si heureux d'être parmi ces 'illettrés'
que Macron conchie"
(p. 185)
En revanche, il y a avec la bête de concours ce chapitre génial
des coulisses du théâtre de l'usine :
"Je vois
un boucher hasarder sa tête derrière ce rideau de théâtre
et regarder le reste du frigo (p. 207),
le rideau étant "nos
plus belles carcasses comme pour masquer le travail quotidien".
J'ai trouvé génial de le lire après Shulem Deen,
puisque ce sont deux récits personnels : mais là, je trouvais
que ça tombait à plat. Le style m'a bloqué, je l'ai
trouvé fabriqué.
Annick A
Ce livre nous plonge dans la dureté du travail intérimaire
en usine. Ponthus, qui est par ailleurs un militant de gauche, est embauché
comme intérimaire dans les usines de poisson et les abattoirs bretons,
non par militantisme comme Robert Linhart dans LÉtabli,
mais par besoin d'argent car au chômage, et on ressent tout
au long du livre son angoisse de perdre son boulot, ne pas être
appelé par la boîte d'intérim.
J'ai trouvé ce livre poignant pour bien des raisons.
L'auteur : sa dédicace m'a plu d'emblée. C'est une
personne attachante, humaine, soucieuse des autres. Beaucoup de tendresse
pour sa femme, sa mère, son chien, mais aussi capable de colère
et de révolte. Il se nourrit de livres, de poésies, de chansons.
À un moment où la culture est considérée comme
activité non essentielle, ce livre démontre au contraire
à quel point elle est vitale. De très beaux passages sur
Trenet :
Trenet
me sauve le travail et la vie tous les jours
Que l'usine fait
Sans lui sans son absolu génie
Je suis sûr que je n'aurais
pas tenu
Que je ne tiendrais pas
Et aussi vrai que Barbara m'a rendu
l'espoir en écoutant Le Mal de
vivre un soir il y a longtemps
de ça où tout était si noir si noir à
en
vouloir crever
C'est toi Charles comme un immense
Charlot
qui rends supportable l'enfer des
temps modernes
L'écriture : originale et adaptée au sujet.
De courtes phrases sans ponctuation avec passage à la ligne qui
marquent le rapport à un temps qui à la fois n'en finit
pas de s'écouler et qui en même temps s'accélère
de façon speed pour éviter les embouteillages.
Plus
qu'une demi-heure
Une grosse demi-heure
Puis une petite demi-heure
plus que dix minutes
Et aussi :
Amener
les palettes
Cuterriser
Décartonner
Ranger
Recouper
Dégerber
Et les derniers mots de son livre :
Il n'y aura jamais
De
Point final
À la ligne
Et bien sûr le monde de l'usine et surtout celui des abattoirs.
Je n'avais pas vu les films tournés sur les abattoirs et donc j'ai
découvert l'horreur. Une véritable boucherie. Il ose le
parallèle avec la guerre de tranchées. Dans son écriture
tout y est : l'odeur, le bruit, la vue, le toucher, le goût ;
les cinq sens sont mis à l'épreuve. Les corps en souffrance,
fourbus, abîmés, usés, l'immense fatigue qui vous
bouffe les week-ends. Le passage sur la grève qui montre à
quel point les intérimaires sont vraiment le sous-prolétariat.
Faire grève est un luxe qu'ils ne peuvent se payer et dont ils
font les frais.
Et pour contrer tout ça, l'humour, beaucoup d'humour.
J'ouvre en grand.
Séverine
Je rejoins Laura quant à la longueur. Ça aurait pu être
plus ramassé
mais je me dis aussi que finalement, il ressasse,
ce qui rend compte du ressassement de lusine
donc peut-être
que ça fait son effet, le fait que je trouve cela long
comme
une journée à lusine ! Et je rejoins Manuel sur la
posture. Même si ça na peut-être rien à
voir avec le texte, jai été gênée par
le fait quil dise aller à lusine par nécessité
(il avait peut-être dautres choix), alors quon a limpression
quil y va volontairement, en tant quobservateur comme cela
était le cas dans LÉtabli.
Je trouve, par ailleurs, que le texte rend bien la fatigue du corps comme
l'a montré Annick. Et lhumanité qui existe. Lexemple
du bonbon quun collègue lui met dans sa poche est très
touchant. La boucherie m'a rappelé Berlin
Alexanderplatz que javais étudié à
la fac et donc je nai retenu que les scènes horribles des
abattoirs. Je m'attendais dailleurs au niveau narratif à
ce quon lui assigne finalement daller tuer les bêtes
on y a échappé ! Sinon, ce type de texte "témoignage"
m'a rappelé Debout-payé
de Ganz (un lettré qui témoigne de son expérience
de travail précaire) mais je l'avais préféré.
J'ouvre à moitié. C'est intéressant mais je reste
mitigée tout en étant contente de l'avoir lu.
Et ironie du sort ou du texte : cela fait bizarre en ayant appris son
décès dun cancer de lire que sa grand-mère
et mère sont mortes d'un cancer
Danièle
Ce fut un grand plaisir, dès le début, de lire un livre
avec ce parti pris de forme poétique, dans la graphie, l'absence
de ponctuation, le retour à la ligne, comme des vers mais sans
rime. L'explication est vite venue p. 17 :
J'écris
comme je pense sur ma ligne de production divaguant
dans mes pensées seul
déterminé
J'écris comme je travaille
À la chaîne
À la ligne
C'est encore mieux que ce que je pensais. Il y a fusion totale entre la
forme répétitive et hachée, et le fond. Nous avons
donc affaire à un auteur hybride, littéraire et prolétaire.
J'aime ce mélange des genres : les annotations matérielles
et professionnelles discrètement mêlées aux références
littéraires esquissées. Esquissées seulement, car
il souhaite éviter la pédanterie.
Contrairement à ce que pense Manu, je trouve ce livre très
original et ne lui trouve pas un côté fabriqué, mais
plutôt ciselé. L'impression produite au début d'une
écriture automatique et libératoire est certes travaillée
au fil du livre, mais tellement originale et parfaitement menée
jusque dans les détails : monotonie des retours à la
ligne, qui deviennent éprouvants et fastidieux, comme le travail ;
pas une seconde, pas une virgule d'arrêt, jusqu'au point unique
et final.
Le livre est d'autant plus poignant qu'il aborde le thème avec
une certaine légèreté, avec ses jeux de mots, ses
métaphores filées humoristiques, parfois à la Raymond
Devos (p. 33 à 34 il dépote des chimères), comme
pour garder malgré tout une certaine distance avec les difficultés
physiques de son travail. C'est même sa manière à
la lui de s'en évader, p. 52 :
J'échafaude
des contrepets qui me semblent bien sonner
Égoutteur de touffu,
Et fauteur de dégoût
Et au moment où je recopie ces citations, je vois comme j'ai de
la peine à ne pas mettre de ponctuation, alors qu'à l'inverse,
l'absence de ponctuation à la lecture ne m'a pas du tout gênée,
mais a maintenu un rythme lancinant et évocateur du travail en
usine.
En réponse à la question que nous nous posons, de savoir
pourquoi il ne recherche pas un emploi plus approprié à
sa condition, il semble qu'il trouve son compte dans l'engagement physique
et la confrontation avec le réel, aussi durs qu'ils paraissent.
Il nous dresse une image du travail salvateur en usine comme équivalent,
en mieux, d'une psychanalyse. Il décrit aussi un sentiment très
touchant de fraternité avec ses collègues ouvriers.
Annick A
Il dit qu'il n'a plus d'angoisse : elle se déplace vers autre chose.
Manuel
Annick, tu aurais pu envoyer des patients à l'usine, tu aurais
perdu tous tes clients
Annick
On sait bien qu'en temps de guerre, il y a moins de dépressions.
Danièle
J'ai regretté qu'on en sache si peu sur ses relations avec sa femme
dans cette situation plutôt inattendue pour tous les deux, je suppose.
Peut-on dire que ce n'est pas le sujet ? Je n'en suis pas si sûre.
J'ai d'ailleurs cru à un moment qu'elle était morte, et
que cela faisait partie des causes de sa flagellation par le travail.
En tout cas, c'est un livre qui fait aborder des sujets de réflexion
très actuels : les conditions inhumaines du travail imposé
aux ouvriers de l'agro-alimentaire pour des raisons de rentabilité,
l'indignité du traitement des bêtes. Certes, on peut considérer
que toute cette production contribue à nos besoins en alimentation,
mais à quel prix ! Pour ma part, je me suis demandé
(un instant seulement) si je n'allais pas plutôt devenir végane !
La fin est d'autant plus poignante que nous savons qu'il est mort d'un
cancer à 42 ans, peu après la publication de ce livre.
C'est un livre poignant, que j'ouvre en grand.
Annick L
Je ne dirai pas mieux que Danièle et Annick sur les qualités
de ce récit d'expérience à vif, un témoignage
saisissant sur la vie d'un intérimaire employé dans l'industrie
agro-alimentaire.
Je l'ai lu il y a deux ans et j'ai été d'emblée saisie
par cette écriture au rythme si particulier, si nerveux, qui nous
fait ressentir physiquement la violence, la brutalité de cette
réalité. J'ai d'ailleurs dû ménager quelques
pauses pour reprendre mon souffle.
Je trouve que c'est une uvre très originale sur le plan littéraire,
où la forme vient servir le propos, à la différence
du livre de Shulem Deen, même si c'était
aussi un témoignage mémorable.
Le plus étonnant c'est qu'il s'en dégage malgré tout
une énergie formidable, à coup de moments de tendresse,
d'échappées littéraires ou de chansons de Trénet,
comme dans un manuel de survie ! Et j'ai été atterrée
quand j'ai appris qu'il était décédé
à 42 ans. Ce premier livre était si prometteur
Annick A
Moi aussi.
Annick L
J'ai été surprise que ce type d'expérience (le travail
à la chaîne, à la ligne comme on dit aujourd'hui)
pour un poste non choisi, très éloigné de ses compétences,
ait eu une vertu thérapeutique (il est sorti de sa dépression,
a cessé de prendre des médicaments) et je m'interroge encore
sur ce qu'il a pu en tirer. Peut-être que cela correspondait à
une motivation politique : un intellectuel qui travaille à l'usine
?
Rozenn
J'ai été
emballée quand je l'ai lu d'une traite avant-hier. J'ai lu Journal
dun manuvre de Thierry Metz et Fragmentation
d'un lieu commun de Jane Saulière. Thierry Metz, c'est
beaucoup mieux. Et Jane Saulière c'est extraordinaire !
Je n'ai pas trouvé ça fabriqué comme a dit
Manuel, mais c'est un procédé : c'est comme les peintres
qui ont un truc et tout est fait sur le même modèle. Dans
les deux autres il y a plus de variations.
L'humour m'a énormément plu. Il y a des formulations comme
le patron des bouchers, Saint-Barthélemy
Et il met la botte
gauche avant la botte droite c'est codifié comme dans Shulem
Deen, on n'a plus à réfléchir, c'est pratique.
J'avais lu moi aussi le
livre de Simone Weil, un passage m'y a fait penser. Celui-ci est plus
rapide, plus léger. J'y vois comme un très bel exercice
de style, un joli truc. Mais pas plus que ça. J'admire l'objet.
Bruissements à l'écran...
Rozenn
Non je ne suis pas dure... Avant-hier j'ouvrais à ¾, mais
après les deux autres livres lus
allez j'ouvre aux ¾.
Et Fragmentation
d'un lieu commun en entier.
Jacqueline
Je l'avais lu à sa sortie. J'aime beaucoup les livres qui parlent
du travail, et de l'usine en particulier. C'est peut-être dû
à la lecture de Élise
ou la vraie vie de Claire Etcherelli. Il y a quelque chose d'une
vraie vie dans les livres qui parlent du travail.
Je l'ai lu d'une traite. C'est un livre remarquable, différent
des autres par la manière dont c'est écrit. Oui c'est un
procédé, mais ça m'a paru un poème, avec une
scansion. J'aurais aimé l'entendre lu par quelqu'un d'autre. Il
y a un bel enregistrement
par Jacques Bonnaffé. La manière dont il a écrit
m'a beaucoup plu.
À la relecture, je me suis posé des questions sur son parcours
après la khâgne. Ses références sont très
intéressantes. Jane
Sautière, c'est vraiment extraordinaire, une plongée
dans un monde de la prison. Je suis allée voir son premier livre
où il est un metteur en forme (Nous
la cité : on est partis de rien et on a fait un livre)
et où il donne un éclairage sur son travail et son authenticité.
J'ai pris comme un choc le chapitre où il parle du cancer de sa
mère. J'ouvre en grand, et c'est un livre que j'ai envie de faire
lire.
Renée
L'écriture m'a interpellée. Déjà le titre
: "À la ligne" et il va sans arrêt à la
ligne. Ces phrases courtes présentées comme des vers libres
donnent un rythme particulier à ce texte. L'écriture est
intrinsèquement liée aux actes et aux pensées de
l'auteur.
Ce n'est pas un roman, ce n'est pas un recueil de poèmes, ce sont
des feuillets : "feuillets d'usine". C'est un hommage à
René Char ou une imitation de René Char qui a écrit
pendant la guerre les Feuillets
d'Hypnos qui ne sont pas non plus de vrais poèmes.
Nous sommes loin des envolées lyriques, Ponthus nous assène
phrase après phrase les gestes répétitifs comme des
outils de son aliénation : les conditions extrêmes de
travail, la douleur du corps, la maltraitance animale, les cadences à
soutenir. Ce livre est un cri que le rythme haché des mots rend
à la perfection.
Cependant c'est aussi un cri d'amour pour sa compagne : c'est pour
rester digne à ses yeux qu'il travaille "à la ligne".
Il avoue également que ce travail épuisant l'a guéri
de sa dépression mieux qu'une précédente psychanalyse.
Et il reste libre dans sa tête, il se raccroche à la poésie,
à la musique.
Ponthus se souvient de sa vie dans le social : "le
café, la clope, une pause ; le café une clope ; échanger
avec les collègues la clope, un café ; tout ça une
pause" (p. 34) Je ne peux m'empêcher
de penser que Ponthus découvre le monde du travail. Quelle chance
il avait avant ! Pas de stress ! Ce n'est le cas dans aucun autre
métier, même sans travail à la chaîne :
souvenons-nous des suicides à France Télécom, des
enseignants face aux élèves agités et démotivés,
des employés de commerce harcelés par les clients et les
supérieurs, la liste est longue.
Je n'ai pas aimé non plus le passage sur la maladie de sa mère.
Superfétatoire !
J'ouvre le livre en grand car il atteint son but : témoigner et
nous émouvoir avec un style original.
J'étais curieuse de savoir ce qu'il aurait écrit ensuite.
Hélas, nous ne le saurons jamais.
Denis
Je suis d'accord avec tout ce qui a été dit ici en faveur
du livre. Je croyais que tout aurait déjà été
dit dans les nombreux articles
qui l'évoquent, mais non, on a dit ici encore d'autres choses et
des choses différentes, c'est très riche.
Ce livre est un digne successeur de LÉtabli,
mais dans un registre totalement différent. Ponthus joue sur les
rythmes de l'écriture, par les mots et par la disposition visuelle.
Ce n'est pas Mallarmé ("Un
coup de dés...") mais on peut y penser. Il m'évoque
aussi le livre de Queneau
Courir les rues - Battre la campagne - Fendre les flots,
des poèmes rigolos et bien rythmés. Ponthus a une facilité
à modeler le langage, à inventer des mots et des rythmes,
à relever les mots de tous les jours, facilité que je trouve
chez Queneau (Doukipudonktan de Zazie,
Le dimanche de la vie pour le langage du quotidien).
C'est une écriture rythmique très réussie, c'est
vraiment un livre épatant. On a parlé de ressassement, je
ne suis pas d'accord. C'est plutôt comme le blues du Sud des États-Unis
(Dites-leur que je suis un homme d'Ernest
J. Gaines, lu en novembre dernier).
J'ai travaillé avec des gens qui pratiquaient l'analyse du travail,
qui attire l'attention sur les stratégies que les "opérateurs"
développent pour résister à la monotonie. Linhart
en parle abondamment, mais Ponthus va plus loin, plus profondément.
Il donne une foule d'exemples qui lui permettent de créer des irrégularités,
du relief, des tourbillons, dans l'écoulement du temps, mettant
à mal la notion de "temps linéaire" (que je n'ai
d'ailleurs jamais bien comprise).
Dans une interview donnée à la radio, il nous fait entrer
avec beaucoup de pudeur dans son intimité, dans sa vie domestique.
C'était certainement un gars gentil et sympathique. Il nous montre
comment le travail le libère de ses angoisses. La ligne est un
lieu de souffrance physique et morale, mais il ne s'y sent pas mal psychologiquement.
Il arrive que des personnes emprisonnées s'en trouvent bien, telles
Pierre Goldman
qui a pu faire des études, écrire un
livre...
J'ouvre en grand à cause de l'écriture et de l'intérêt
du sujet.
Rozenn
Lui, ça le délivre après une analyse.
Renée
J'ai été émue par son amour pour sa femme.
Rozenn
"Mon épouse" : il reprend sans arrêt cette
expression...
Etienne
Deux choses m'ont plu :
- la forme : c'est un livre très agréable à lire
; je l'ai lu comme de la poésie ;
- et la force : la véracité, la force du témoignage.
C'est comme du journalisme. On sent les gens qu'il côtoie, c'est
très journalistique. J'ai moi aussi travaillé plus jeune
en intérim, mais mes parents pouvaient me loger ; je n'ai pas retrouvé
un écho personnel. Il côtoie la mort avec l'abattoir. J'ai
travaillé deux mois dans le BTP pour porter du placo, mais je n'ai
pas le souvenir de ce néant qu'il côtoie. J'ai du mal à
imaginer qu'il ne trouve un emploi qu'à l'abattoir.
J'ai des petites réserves pour que le livre décolle. J'ai
eu du mal à comprendre son projet personnel, il y a un voile pudique
sur ses ambitions. Il y a des petites ouvertures sur l'analyse, entre
le choix et le subi p. 214, jusqu'à ces mots Le fin de l'usine
sera comme la fin de l'analyse
Elle
sera simple et limpide comme une vérité
Ma vérité
Je dois me coltiner encre cette
épreuve
tant que le travail ne sera pas
terminé
Il y a quelque chose de plus que "je vais à l'usine pour gagner
de l'argent", un aspect chrétien comme s'il s'agissait d'expier.
Ce n'est pas assez développé. Il y a un manque de transcendance.
Il n'y a pas assez non plus sur son épouse. J'aurais aimé
qu'il parle plus de lui et j'ouvre à moitié.
Claire
Je suis très contente d'avoir découvert ce livre, et cet
homme, son auteur, fort sympathique : difficile d'appliquer la devise
de Voix au chapitre "NUL N'ENTRE ICI
S'IL CONFOND L'AUTEUR ET LE NARRATEUR"...,
car je les ai allégrement confondus une fois que j'ai quitté
le livre pour lire autour ou écouter l'auteur en parler.
Mais revenons au livre même, dont j'ai trouvé étonnante
la forme et surprenant le fait que l'absence de ponctuation ne m'ait causé
aucun problème. J'ai trouvé fort, original, ce mélange
d'univers restitué très dur ET de goût de la littérature
et de la langue avec laquelle l'auteur joue avec jubilation. Vers la page
62, je me suis demandé si c'était la peine de continuer :
on a compris. On repart un peu avec l'abattoir, mais comme il n'y a quasiment
pas de "narratif", je me suis lassée. Je n'ai pas pensé
c'est trop long, mais plutôt ça tient pas dans la durée.
J'hésitais entre ½ et ¾, mais en vous entendant,
j'ai mieux situé mon rapport au texte et j'en resterai à
½.
J'ai été impressionnée par le fait qu'il apprécie
le travail bien fait ; il y a un savoir-faire dans ce boulot aliénant
et il n'aime pas les tire-au-flanc : l'important avec ce savoir-faire -
et c'est ça qui est fou et fort - c'est qu'il parvient à
l'automatisme qui est une libération ; car à ce moment-là,
il peut penser à la littérature, chanter, etc. J'ai apprécié
l'humour. Par contre, autant je comprends son désir de pouvoir
faire grève - pouvoir inaccessible à l'intérimaire
qu'il est - autant je le lâche complètement avec ces propos
:
Si
j'avais le temps et la force d'aller manifester
De péter encore quelques
vitrines de banques d'agences
immobilières ou d'intérim
(p.
260)
propos que je trouve nuls par rapport à l'esprit,
la nuance que l'on trouve ailleurs dans le livre.
Il dit que le livre de Thierry Metz Le
journal d'un manuvre est un chef-d'uvre (p.
76) : je l'ai donc lu, ce journal sur un chantier de construction,
mais contrairement à Rozenn, le livre de Ponthus l'emporte de loin.
Je suis d'accord avec Manuel, c'est très intéressant de
lire l'un après l'autre Shulem Deen et Ponthus,
qui chacun prennent un bout de vie à la première personne
: mais y a pas photo, car dans Celui qui va...
il y a justement un mouvement, tandis que dans À la ligne,
ça patine, ça n'avance pas dans l'écriture. On va
voir comment Bergman
que nous lisons bientôt s'en tire...
Katell
Je suis très contente, très très contente de l'avoir
lu. Je retrouve vraiment le sens du groupe lecture avec cette petite pépite,
d'autant que j'étais dans Les
Buddenbrook
Je n'ai pas complètement fini il me reste
encore un petit bout. J'ai beaucoup aimé l'écriture. Je
pensais qu'il jetait des idées et que comme il était talentueux
c'était très bien.
Je me suis pas posé la question : si j'avais absolument à
travailler ? Je crois que je serai caissière. Ça m'a frappée
comme Manuel était hyper dur. C'est tellement difficile que ça
peut pas être une posture.
Manuel
Il aurait pu être caissier, mais il a sciemment choisi l'usine.
Katell
Il aurait pu être cariste
Manuel
C'est de l'ordre de l'expiation.
Claire
À l'agence d'intérim, on ne lui propose que ça !
Rozenn, citant pour montrer qu'il n'a pas choisi l'usine
Je
veux croire que lusine
Jy suis en transition
En attendant de trouver mieux
Même si ça fait
un an et demi quand même que je ne trouve pas
Je veux croire
Que je suis là sans y
être
Katell
C'est très très poignant, j'étais à fond avec
lui, ça m'a rappelé Bacon, c'est horrible, j'ai vécu
avec lui.
Moi aussi j'ai assez envie de le faire lire ce livre.
Annick A
Il y a un passage où il parle de joie.
Etienne
Il y en a plusieurs, comme le Jeudi Saint, qui évoquent quelque
chose de christique en effet.
Katell
Et "mongolitos", ça ça m'a plu, alors qu'on doit
parler de "personnes en situation de handicap"...
Et le fait qu'il soit mort, c'est impressionnant
c'est vrai qu'il
fume énormément...
Quand je l'ai lu, j'étais vraiment très au premier degré.
J'ai été très ébranlée par l'avis de
Laura et de Manuel, j'ouvre aux ¾.
Geneviève
J'ai passé ma journée sur zoom et c'est peut-être
parce que je n'en peux plus que je me demande si toutes les règles
du groupe ont été dissoutes dans zoom
Claire
C'est vrai, y en a plus aucune
on se limite plus dans le temps
on parle d'un autre livre que de celui qu'on a lu
on n'attend pas
que le tour soit fini pour parler
c'est l'anarchie totale
mais est-ce zoom
ne serait-ce pas Ponthus
Geneviève
Oui il exprime le soulagement qu'entraîne la contrainte car il n'a
plus d'angoisse.
L'expression du corps, de la fatigue, du poids, c'est très intéressant.
Pour ce qui est des interrogations sur les raisons pour lesquelles il
ne trouve pas de travail comme éducateur, je pense que ce n'est
pas si simple. Il est manifestement très ambivalent sur son métier
comme le sont beaucoup d'éducateurs qui ont longtemps été
issus des milieux populaires mais sont souvent maintenant des jeunes des
classes moyennes, avec un idéal confronté à une dure
réalité. À ce propos, je rassure Katell : il arrive
toujours dans ce milieu qu'on parle de "mongolitos", le "politiquement
correct" vole vite en éclats dans la vraie vie. Le personnage
est constamment ambivalent : certes, il pourrait faire autre chose
mais il lui arrive d'éprouver un certain bonheur face à
une fatigue écrasante mais qui lui vide la tête et lui épargne
les crises d'angoisse. C'est une réalité que j'ai souvent
rencontrée : des collègues qui pourraient faire autre
chose, monter en grade mais qui refusent que leur travail envahisse leur
espace mental. Et puis il respecte ses collègues, et apprécie
leur solidarité.
Annick A
Il n'a pas la tête si libre quand il arrive chez lui.
Geneviève
C'est vrai. Il décrit aussi la manière dont la fatigue l'envahit,
même le week-end et sa difficulté à se détendre
le vendredi soir.
Et il y a cet amour mythique pour sa femme, une espèce d'idéalisation
; c'est pour ça que le mot mon épouse c'est très
important. Justement parce qu'il est décalé par rapport
au personnage.
J'attendais que le groupe m'explique pourquoi ce livre ne m'est pas tombé
des mains alors qu'il a une forme poétique et que je suis incapable
de lire de la poésie. Mais je n'ai pas d'explication, certainement
le rythme de l'écriture, malgré tout.
Annick A
Ce rythme change.
Geneviève
Oui, un peu comme en musique : un thème de fond, puis d'autres
qui s'entrecroisent. En tant que création, c'est réussi.
Je l'ai lu avec plaisir tout en étant toujours perplexe sur ce
personnage à la fois totalement crédible et toujours mal
calé mais je pense que c'est justement ça l'intérêt.
J'ouvre aux ¾.
Etienne
Je pense que si ça marche si bien c'est parce que c'est truffé
d'anecdotes criante de vérité ce qui donne de la cohésion.
Claire
Quand j'ai lu p. 159 qu'il se trouvait avec son épouse sur l'ïle
de Houat devant le monument aux morts qui inclut "Antoine
Le Gurun mort pour la France le 17 avril 1917", c'est-à-dire
l'arrière-grand-père de celle qu'il a épousée
dans l'église et à la mairie de l'île, j'ai pensé
à Chantal Le Gurun, lectrice de notre groupe breton, dont le mari
Luc fut maire de Houat
(moins de 300 habitants), mais avant que Ponthus se marie.
Non, la femme de Ponthus et le mari de Chantal n'ont pas d'ancêtres
communs ou alors il faudrait remonter jusqu'à la Révolution...
En revanche, Luc connaît bien le secteur agro-alimentaire pour avoir
été délégué syndical CFDT pendant de
nombreuses années et Chantal pour avoir vu, à l'hôpital
de Vannes où elle travaillait, l'état de santé terrible
d'ouvriers de ce secteur et avoir entendu un patron employer le mot de
viande en parlant de ses ouvriers... Une messe devait ces jours-ci
être dite à Houat pour Ponthus...
Nous listons les livres lus dans le groupe qui
évoquent le monde ouvrier :
- LÉtabli
de Robert Linhart, dont plusieurs ont parlé (lu en 2018)
- Marie-Claire
suivi de L'Atelier de Marie-Claire de Marguerite Audoux
(séance avec le biographe Bernard-Marie Garreau en 2017)
- Un
petit boulot de Iain Levison (lu en 2016)
- Le
Quai
de Ouistreham de Florence Aubenas (lu en 2010)
- Atelier
62 de Martine Sonnet (séance avec l'auteure en 2008)
Et sur le monde du travail, pas à l'usine mais
au bureau, nous avions programmé :
- deux livres de Nicole
Maliconi en 2008
Le groupe de Tenerife
a lu ce livre pour le 7 septembre 2021
José Luis - Nieves - Rosa
José Luis
Livre étrange, celui du feu Joseph Ponthus, dans lequel j'ai eu
beaucoup de mal à pénétrer. Ce n'est qu'à
partir à peu près de la moitié du récit que
j'ai commencé à me sentir à l'aise. Avant, j'avais
des difficultés à suivre le développement des événements
et même à comprendre ce qu'y était raconté.
Était-ce dû à l'originalité de l'écriture
qui me destabilisait et que, à cause de cela, je refusais de lire
en profondeur me contentant de la survoler, mû par un préjugé
qui la disqualifiait sans argument aucun ? Je ne saurais pas le dire.
Or, à partir du chapitre 32, le premier concernant le travail dans
la ligne de l'abattoir, un déclic a eu lieu et j'ai commencé
à m'intéresser et même à aimer ce non roman.
Est-ce moi qui ai changé de regard parce qu'habitué
à la nouveauté scripturale, ou parce que le sujet, plus
rude et âpre que ceux des chapitres précédants, et
exposé sans ménagement aucun, m'a ébranlé
et comme éveillé ou c'est Joseph Ponthus qui,
après l'avoir cherché opiniâtrement, a trouvé
finalement et sa voix et sa voie. Peut-être un peu les deux :
lui, travaillant son texte jour après jour, à la fin de
la dure journée de labeur, il a appris à écrire...
et moi, j'ai appris à le lire. Et à le lire à voix
haute, chose que j'aurais dû avoir fait depuis le début.
Ce petit geste a changé pour moi entièrement le rapport
au texte.
Mon bilan final après la lecture de ce chant d'hommage
à la classe ouvrière la moins en vue et la plus maltraitée,
et cet éloge de l'amour se doit donc d'être très
positif. Éloge aussi, il ne faut pas l'oublier de la culture...
française qui se fait présente tout le long du texte, très
souvent de manière implicite, par des citations qui ne sont pas
présentées comme telles, sans doute en tout
cas je l'imagine parce que Ponthus considère qu'elles
font partie du patrimoine culturel de la nation, et, donc, de tous les
Français. Si c'était ainsi, cela signifierait y aller un
peu trop vite, parce que la plupart de ses compagnons de galère
souvent étrangers auraient été
bien incapables de dénicher, si non de comprendre, ces citations
implicites. Mais laissons passer : ce n'est pas à eux que
ce livre s'adresse, même s'il a pu être, en partie au moins,
écrit pour eux. Et, en fait de culture, je ne peux m'empêcher
de dire à quel point j'ai été heureux de lire les
multiples références, implicites et explicites elles aussi,
à la chanson française, sans laquelle moi et
je pense que cela a peut-être été aussi son cas à
lui je ne saurais pas vivre. Mais là, une question
me taraude depuis que j'ai conclu la lecture de À la ligne :
Pourquoi Georges Brassens n'est jamais cité, ni lui ni son uvre ?
J'en ai une petite idée, mais, pour l'instant, je la garderai dans
le secret de mon cur.
Nieves
Au départ, j'ai eu du mal à m'y accrocher à cause
de ces phrases sans signes de ponctuation ni structure narrative d'usage.
Cependant, petit à petit, l'auteur m'a emmenée à
l'intérieur de ce monde souterrain où travaillent et habitent
tous ces travailleurs anonymes qui, avec leur effort, fournissent la matière
première des mets consommés par les classes aisées.
Tous ces gens, en bonne partie étrangers, font un travail mécanique
et ont des conditions de travail inhumaines qu'on a du mal à imaginer
dans un pays défenseur des libertés et de droits de l'homme.
Ce texte, en effet, m'a assené un coup fort dans ma conscience
d'Européenne, fière de l'être.
Pourtant, malgré cette non-vie, il y a des instants très
humains où fumer une clope, prendre un café ou pouvoir sortir
au soleil dix minutes si une machine tombe en panne, deviennent d'agréables
instants de relaxation partagée, très sincèrement
vécus. Mais est-ce que ça suffit pour combler une vie ?
On dirait que Ponthus a un plus : il a une formation, il est cultivé,
il connaît la littérature et la musique, et, il semble que
ça l'aide à supporter la terrible corvée de ce travail
d'intérimaire. Il faut donc conclure que la solution pour le supporter,
c'est d'avoir une formation, un bagage culturel ? Peut-être,
mais lui il a eu une vie antérieure où il a pu l'acquérir,
et pas le reste des travailleurs
Rosa
Je viens de finir le libre de Ponthus. Je l'ai trouvé intéressant
du point de vue de la forme. Le manque de ponctuation ne m'a pas dérangée
pour la lecture, au contraire. J'ai apprécié le côté
poétique du texte avec une série de vers libres, l'utilisation
d'un registre familier du langage et les connaissances littéraires
et musicales de l'auteur.
Ce que j'ai découvert, ce sont les pénibles conditions de
travail des intérimaires, la plupart d'eux immigrants.
C'est dommage pour Ponthus, qui avait une très bonne formation.
Bon, à la fois, ses connaissances lui ont permis de s'évader
et d'écrire.
Côté dur, la manipulation et les commentaires sur les crustacés,
que, d'ailleurs, il aimait bien. Moi, je dois attendre pour en manger
à nouveau.
C'est dommage que Ponthus soit mort si jeune. Y aurait-il un rapport entre
les conditions de travail et sa maladie ?
QUELQUES REPÈRES
- Né en 1978 à Reims, il s'appelle Baptiste Cornet. Sa mère
l'élève seule, il est fils unique. À Reims puis Nancy
: hypokhâgne et khâgne.
- 2005 : diplôme d'école d'éducateurs à Nancy.
- Trouve du travail dans une région qui recrute dans ce domaine :
pendant 10 ans, travaille à la mairie de Nanterre comme éducateur ;
habite à Montreuil. Publie dans Article
11 (journal indépendant libertaire) ; voici
un choix de 5 articles ou entretiens
de 2011 à 2013 : "Garder la pêche", entretien
avec Gé, ex-marin pêcheur breton - "Wajdi Mouawad, luciole
incendiaire" (sur
Anima que nous avons lu) - "Les fleurs du mâle"
(sur la prison) - "L'écrit en habit de Dressing"
(de Jane
Sautière) et entretien avec elle.
- 2012 : publication de Nous
la cité : on est partis de rien et on a fait un livre (éd.
de La Découverte, label "Zones") co-signé par
Joseph Ponthus et quatre jeunes, résultat dun atelier décriture
durant 2 ans : témoignage de ces jeunes et de l'éducateur.
Postface de Jane Sautière.
- Fait une analyse lacanienne.
- 2015 : par amour pour une Bretonne va vivre à Lorient. Il sinscrit
dans une agence dintérim et devient ouvrier intérimaire
dans l'agro-alimentaire. Publie des textes sur Facebook.
- 2019 : La Table ronde publie À
la ligne : feuillets d'usine - Succès
et nombreux prix ; 7 traductions en cours.
- Février 2021 : meurt à Lorient d'un cancer, entouré
de son épouse Krystel, de sa mère, de Pok Pok le chien et
de son chat.
- 2021 : parution de Je
ne sais écrire que ma vie, de Henri Calet, Presses universitaires
de Lyon, 2021 ; Ponthus admirait Henri Calet (dont nous n'avons lu aucun
livre) et a écrit la belle
préface de ce livre.
RADIO (France
Culture)
- "L'usine
a enlevé tout le gras de mes textes", par Marie Richeux,
Par les temps qui courent, 15 février 2019
- "Joseph
Ponthus, feuillets dusine", Jean Lebrun, La marche de
l'histoire, 22 mars 2019
- "Travaux
manuels", Alain Finkielkraut, Répliques, 2 mai
2019, avec Joseph Ponthus et Arthur Lochmann pour La
vie solide : la charpente comme éthique du faire.
VIDÉOS
- Joseph Ponthus présente son livre à la Librairie
Mollat, 16 janvier 2019, 3 min 56
- La Grande Librairie
en fait un coup de cur, 6 février 2019, 19 min
- Son livre est adapté par Michel Cloup Duo & Pascal
Bouaziz en concert
musical, 5 min. Lecture musicale ici,
53 min.
PRESSE ÉCRITE
Sur le livre Nous
la cité
- Jean-Baptiste François, "À
lire Nous... la cité", La Croix, 25 septembre
2012
- Marianne Langlet, "Nous
la cité. On est partis de rien et on a fait un livre",
Lien social, 15 novembre 2012.
Sur le livre À
la ligne
- Antoine Perraud, "À
la ligne de Joseph Ponthus", La Croix, 17 janvier
2019
- Claire Devarrieux, "Joseph
Ponthus : allez, aux bulots", Libération, 18 janvier
2019
- Ramsès Kefi, "L'épreuve
de l'usine s'est peut-être substituée à celle de l'angoisse",
Libération, 19 janvier 2019
- "Joseph
Ponthus lauréat du grand prix RTL/Lire", Le Figaro,
14 mars 2019
- Sophie Divry, "Joseph
Ponthus, À la ligne : feuillets d'usine", Études,
avril 2019
- Interview
par Carobookine, 3 mai 2019
- Interview
par Marie-Line Vitu, Le journal des activités sociales de l'énergie,
1er juillet 2019.
Le lendemain même de la
mort de l'auteur, le 24 février 2021
- Sophie Pujas, "Mort
de Joseph Ponthus, auteur d'À la ligne", Le
Point
- Raphaëlle Leyris, "La
mort de l'écrivain Joseph Ponthus", Le Monde
- "Mort
d'un éducateur ouvrier", Lien social
- Ramsès Kefi, "Joseph
Ponthus sans filtre", Libération
- Éric Poindron, "Joseph
Ponthus, forçat et poète", Marianne.
- Une BD et un film sont en projet, annonce L'Union
à Reims.
ON PEUT PENSER
AUSSI À...
- LÉtabli
de Robert Linhart (que nous avons lu), éd. Minuit
- Un
petit boulot de Iain Levison (lu dans le groupe), Liana Levi
- Le
Quai
de Ouistreham de Florence Aubenas (lu aussi), Points
- Atelier
62 de Martine Sonnet (séance avec l'auteure), Le Temps
qu'il fait
- Marie-Claire
suivi de L'Atelier de Marie-Claire de Marguerite Audoux
(séance avec le biographe), Grasset
- Petites
natures mortes au travail de Yves Pagès, Gallimard
- Nous
étions des vivants de Nathalie Kupferman, Folio
- Grain
de sable sous le capot de Marcel Durand, éd. Agone
- À
quelques pas de l'usine de Jean-Pierre Levaray, Chant d'orties
- Journal
dun manuvre de Thierry Metz, Folio
- Carnets
dun intérimaire
de Daniel Marinez, Agone
- Notre
usine est un roman de Sylvain Rossignol, La Découverte
- Chroniques
des années d'usine de Robert Piccamiglio, Albin Michel
- Temps
machine de François Bon, Verdier
- Génération
précaire de Abdel Mabrouki, Le Cherche midi
- Mémoires de
l'enclave de Jean-Paul Goux, Babel
- Le
laminoir de Jean-Pierre Martin, Champ Vallon
- Métaleurop
: paroles ouvrières de Frédéric H. Fajardie,
1001 nuits.
À compléter, par exemple avec la bibliographie
très développée extraite de l'étude suivante
: Usines
en textes, écritures au travail : témoigner du travail au
tournant du XXIe siècle de Corinne Grenouillet, Classiques
Garnier, 2015.
Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme
au rejet :
|
||||
à
la folie
grand ouvert |
beaucoup
¾ ouvert |
moyennement
à moitié |
un
peu
ouvert ¼ |
pas
du tout
fermé ! |
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