Joseph Ponthus
À la ligne : feuillets d'usine, Folio, 288 p.

Quatrième de couverture :

"Au fil des heures et des jours le besoin d’écrire s’incruste
tenace comme une arête dans la gorge
Non le glauque de l’usine
Mais sa paradoxale beauté
"

Ouvrier intérimaire, Joseph embauche jour après jour dans les usines de poissons et les abattoirs bretons. Le bruit, les rêves confisqués dans la répétition de rituels épuisants, la souffrance du corps s’accumulent inéluctablement comme le travail à la ligne. Ce qui le sauve, ce sont l’amour et les souvenirs de son autre vie, baignée de culture et de littérature.
Par la magie d’une écriture drôle, coléreuse, fraternelle, l’existence ouvrière devient alors une odyssée où Ulysse combat des carcasses de bœuf et des tonnes de bulots comme autant de cyclopes.


Ed. de la Table ronde
, coll. Vermillon, 2019, 272 p.

Quatrième de couverture :

À la ligne est le premier roman de Joseph Ponthus. C’est l’histoire d’un ouvrier intérimaire qui embauche dans les conserveries de poissons et les abattoirs bretons. Jour après jour, il inventorie avec une infinie précision les gestes du travail à la ligne, le bruit, la fatigue, les rêves confisqués dans la répétition de rituels épuisants, la souffrance du corps. Ce qui le sauve, c’est qu’il a eu une autre vie. Il connaît les auteurs latins, il a vibré avec Dumas, il sait les poèmes d’Apollinaire et les chansons de Trenet. C’est sa victoire provisoire contre tout ce qui fait mal, tout ce qui aliène. Et, en allant à la ligne, on trouvera dans les blancs du texte la femme aimée, le bonheur dominical, le chien Pok Pok, l’odeur de la mer.
Par la magie d’une écriture tour à tour distanciée, coléreuse, drôle, fraternelle, la vie ouvrière devient une odyssée où Ulysse combat des carcasses de bœufs et des tonnes de bulots comme autant de cyclopes.

N
ombreux prix, dont certains très inconnus : - Grand Prix RTL-Lire
- Prix Amila-Meckert
- Prix Régine Deforges du premier roman
- Prix du Premier Roman des lecteurs des bibliothèques de la Ville de Paris
- Prix Coiffard, Prix Obiou
- Prix Eugène Dabit du Roman populiste
- Prix des Mots de l'Ouest
- Prix des Lycéens et Apprentis d'Ile-de-France
- Prix littéraire des Étudiants de Sciences Po
-
Prix du roman d’entreprise et du travail

Joseph Ponthus (1978-23 février 2021)
À la ligne : feuillets d'usine (2019)

Nous avons lu ce livre pour le 19 mars 2021.
Et le groupe de Tenerife pour le 7 septembre 2021.

Autour du livre
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On peut penser aussi à...

       Nos 18 cotes d'amour
Annick A Annick LDenis Danièle Fanny
Jacqueline Monique LNathalieRenée
CatherineGenevièveKatellRozenn
ClaireEtienne LauraSéverineManuel

Fanny(avis transmis)
J'ai lu le livre de Ponthus il y a deux ans environ, vite, emportée par le fil du récit. Le style particulier, sans ponctuation m'a emmenée avec lui, au cœur des usines. J'aime l'engagement dont il fait preuve et je trouve ce livre d'une grande humanité.
La manière dont il décrit les relations humaines, les émotions et les résonances chez tout un chacun sonne je trouve très juste. C'est notamment le cas lorsqu'il parle de son collègue gratteur de clopes qui l'insupporte (p100 et suivantes livre de poche) pour se demander ce qu'il y a en lui de cette personne pour qu'elle l'agace autant. J'ai à plusieurs reprises cité ce passage en formation, loin des concepts théoriques son récit est très explicite.
J'ai également été sensible à son humour, à ses formules imagées (l'animatrice qui a les cheveux roulés comme ses pétards.)
J'ai recommencé ma lecture il y a quelques jours, le manque de temps fait que je ne l'ai pas encore terminé mais je le lis avec le même plaisir et la même avidité que la première fois.
J'ouvre en grand. Bel échange, hâte de vous lire.
Monique L(avis transmis)
Ce qui caractérise ce texte c'est son phrasé. Le rythme correspond à la vie hachée que mène l'auteur, avec les gestes machinaux de son travail, les changements de poste et les appels inopinés de l'agence d'intérim. C'est très convaincant.
C'est une poésie en vers libres sans rime, jouant sur les mots, la répétition et la scansion.
C'est un récit sans langue de bois sur la précarité et la fatigue engendrée par le travail physique et déshumanisant des travailleurs à la chaîne qui sont ignorés dans notre société.
L'auteur se définit comme "marxiste lacanien", je trouve ce terme très approprié.
C'est une sorte de journal intime où l'on découvre que les souvenirs de poèmes, de chansons comme celles de Trénet peuvent faire tenir dans l'adversité.
C'est une œuvre vraiment originale tout en finesse et poésie.
J'ouvre en entier.
Nathalie(avis transmis)
Il est certain qu'il ne faut pas quinze jours pour lire ce livre. Je l'ai lu en deux fois, je pense que j'aurais pu le lire d'une traite.
C'est un livre qu'on a envie que tout le monde lise ! Il forme pour moi un savant mélange de références : Le parti pris des choses de Ponge, L’Établi de Robert Linhart, Le Quai de Ouistreham de Florence Aubenas (ma seule idole sur terre), Vies minuscules de Pierre Michon, etc.
J'ai été très touchée tout au long de ma lecture, très émue. J'ai ressenti son témoignage comme sincère et précieux, honnête, terriblement humain. C'est un point de vue intérieur auquel on a rarement accès. Il a la grâce de faire naître des images, non pas générales, mais extrêmement serrées : une crevette, un bulot, un coin de carcasse, une tache de sang.
Cette idée géniale de faire coïncider une référence littéraire, un jeu de mots en fin de récit a créé en moi une attente joviale. Qu'allait-il pouvoir trouver à chaque fois ? Je jubilais d'avance. Je craignais de passer à côté.
J'ai été très émue également par l'idée qu'il était là pour pouvoir être aux côtés de la femme aimée (quel cadeau), émue par cette fatigue physique qui le fait s'écrouler à peine la porte franchie. Et pourtant, le chien sera sorti, le passage sera écrit, la femme sera aimée.
J'ai apprécié l'humour qu'il manie avec finesse ! On s'attendrait à ce qu'il devienne végétarien mais il nous explique simplement le plaisir de manger enfin de ces morceaux de choix achetés à bas prix grâce au sacrifice d'un corps qui s'abîme au fil du temps. J'ai été impressionnée par les images de rails qu'il a fait naître en moi et l'inconscience de ceux qui choisissent les bêtes les plus difficiles à atteindre. Il y a donc aussi du Zola dans ce livre. Je l'ouvre en grand ! Et je vous souhaite une très belle soirée.
Catherine(avis transmis)
J'ai aimé ce livre qui m'a permis de m'immerger dans le monde de deux usines agro-alimentaires bretonnes, et de vérifier que leurs conditions de travail restent dignes du 19e siècle. À la différence de L’Établi, il ne s'agit pas d'une description de l'usine vue par un intellectuel qui vient, de façon temporaire, pour témoigner ou essayer d'y importer des idées politiques. Le narrateur ne vient pas à l'usine temporairement et par choix, il y travaille pour vivre, parce qu'il n'a pas d'autre possibilité. Cela donne un côté plus "vrai", moins artificiel. En même temps, il décrit une usine un peu fantasmée, presque poétique, non dénuée d'une certaine beauté, surtout au début quand il s'agit de crustacés. Ça se corse lorsqu'on arrive à l'abattoir et la poésie s'éloigne. Et encore, il parle très peu de l'abattage même, seulement du nettoyage. Mais même cette évocation a suffi à me conduire vers un régime quasi complètement végétarien pendant cette deuxième partie du livre. Il décrit ce travail à l'abattoir sans sensiblerie, sans indignation vertueuse ; il raconte ce qu'il vit, c'est tout et c'est suffisant.
J'ai aussi aimé la forme, avec ses retours à la ligne incessants, sans ponctuation, qui s'adapte aux pensées un peu hachées du l'aérateur, du fait de ce travail répétitif qui ne laisse pas beaucoup d'espace à la réflexion. C'est entrecoupé régulièrement de paroles de chansons ou de poésies qui l'aident à supporter le temps si long de ces journées à la ligne de production. Je craignais de m'en lasser, mais pour moi ça a fonctionné jusqu'au bout.
Un peu paradoxalement, ce travail harassant et répétitif qu'il pensait initialement ne pas supporter, le rend finalement moins anxieux et moins névrosé, qu'auparavant. Les dernières pages sont assez touchantes, d'autant plus que l'on connaît sa mort prématurée.
Je l'ouvre aux ¾ ; dommage de ne pas pouvoir écouter vos avis.
Laura
Petit livre étrange. Je suis restée dubitative du début à la fin, oscillant entre rire et lassitude. Je comprends l'intérêt et l'importance d'écrire et de publier un tel ouvrage, que ce soit pour le bien-être, ou plutôt la survie, du travailleur, que pour créer une sorte de manifeste politique à l'égard des néophytes d'usine. Je ne sais pas si l'auteur connaissait Simone Weil, mais son ouvrage m'a semblé se rapprocher, tout du long, de La condition ouvrière, qui est aussi un écrit sous forme de journal, avec la même thématique. Rapprochement fort, on pourrait presque dire un remake. Je me souviens avoir lu le témoignage de Weil quand je travaillais chez Zara Home, durant un long mois. J'y ai éprouvé la même fatigue physique et nerveuse que Ponthus dans son usine, travaillant toute la journée, et rêvant du travail la nuit. Même si mon expérience a nécessairement été moins puissante.
Je reviens au texte. Lassée donc, parce que j'ai déjà lu quelque chose de semblable, et de meilleur à mon humble avis. Lassée par cet incessant retour à la ligne sans intérêt (oui j'ai compris que c'était le rythme du travail à l'usine). Lassée à la fin par l'absence de retour à la ligne (j'ai fini par m'y faire et je voulais terminer le livre). Lassée par les bulots et les crevettes. Lassée par les petites références littéraires casées de-ci de-là. Lassée par la répétition. Pourtant, j'ai aussi bien ri de certaines de ces choses : la demande de l'heure de l'embauche "eh bien demain dès l'aube à l'heure ou blanchit la campagne" ; l'histoire de l'égoutteur de tofu qui a ensoleillé une de mes journées ; la "dimanchite", je pense que je vais réutiliser cette expression ! Mais bon. J'ai cru vomir pendant le nettoyage de l'abattoir (ce qui a eu de bonnes conséquences sur moi finalement). Encore une fois, mais bon. Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de publier 270 pages. Ceci dit, j'aurais pu ne pas le lire jusqu'au bout. Voici ma dubitation (je pensais créer un néologisme ici en copiant le procédé de Ponthus, c'est raté…) : je comprends l'intérêt du livre, mais j'ai trop soupiré pour l'apprécier. ½ ouvert.
Manuel
Je suis très content que nous ayons programmé le livre de Ponthus après celui de Shulem Deen. Ils ont un point commun : on ne peut pas dissocier l'auteur du narrateur. Les deux ouvrages sont autobiographiques avec un traitement très différent. Le parti pris d'écriture de Ponthus m'a d'emblée gêné. J'ai trouvé que c'était "fabriqué". Ma lecture en a été polluée, j'ai été agacé par l'absence de ponctuation. Les majuscules nous indiquent les débuts de phrase, pourquoi n'a-t-il pas été au bout de son procédé ? Je n'ai pas du tout ressenti le rythme, ça n'a pas marché pour moi.
Faire le rapprochement entre la Première Guerre mondiale et la boucherie m'agace, comme faire le rapprochement entre Apollinaire et sa condition… Il ne faut quand même pas pousser.
Plusieurs références ont piqué ma curiosité : le film Le Sang des bêtes de Franju, Fernand Braudel que je ne connaissais pas. Est-ce que Joseph Ponthus n'avait pas d'autre choix que de travailler à l'abattoir ? J'en ai douté tout au long de ma lecture, mais non de son côté humain. Son livre est profondément humain. Contrairement à d'autres, j'ai peiné à finir. J'ai trouvé dégueu le chapitre de l'ouvrier qui perd son doigt. La lettre à sa mère est émouvante, mais je ne savais pas pourquoi c'était là.
J'ai regardé l'interview que Ponthus a accordée à La Grande Librairie : pourquoi soi-disant tromper le lecteur en attribuant la citation de la cathédrale de Charles Péguy à Paul Claudel ? Il voulait faire le malin, comme avec sa vanne condescendante à l'agence d'intérim où il cite Victor Hugo ? Pourquoi Baptiste Cornet a pris un pseudonyme ? Pourquoi envoyer le manuscrit à son employeur et se plaindre sur un plateau télé qu'il ne l'a pas réembauché ?
Je n'ai pas eu l'impression qu'il faisait un portrait de l'usine sans égratigner son employeur ; par exemple avec le chapitre sur l'audit ou la visite d'un nouveau client. Et je n'adhère pas à son côté "gilet jaune" : "J'aurais été si heureux d'être parmi ces 'illettrés' que Macron conchie" (p. 185)
En revanche, il y a avec la bête de concours ce chapitre génial des coulisses du théâtre de l'usine : "Je vois un boucher hasarder sa tête derrière ce rideau de théâtre et regarder le reste du frigo (p. 207), le rideau étant "nos plus belles carcasses comme pour masquer le travail quotidien".
J'ai trouvé génial de le lire après Shulem Deen, puisque ce sont deux récits personnels : mais là, je trouvais que ça tombait à plat. Le style m'a bloqué, je l'ai trouvé fabriqué.
Annick A
Ce livre nous plonge dans la dureté du travail intérimaire en usine. Ponthus, qui est par ailleurs un militant de gauche, est embauché comme intérimaire dans les usines de poisson et les abattoirs bretons, non par militantisme comme Robert Linhart dans L’Établi, mais par besoin d'argent car au chômage, et on ressent tout au long du livre son angoisse de perdre son boulot, ne pas être appelé par la boîte d'intérim.
J'ai trouvé ce livre poignant pour bien des raisons.
L'auteur : sa dédicace m'a plu d'emblée. C'est une personne attachante, humaine, soucieuse des autres. Beaucoup de tendresse pour sa femme, sa mère, son chien, mais aussi capable de colère et de révolte. Il se nourrit de livres, de poésies, de chansons. À un moment où la culture est considérée comme activité non essentielle, ce livre démontre au contraire à quel point elle est vitale. De très beaux passages sur Trenet :
      Trenet me sauve le travail et la vie tous les jours
      Que l'usine fait
      Sans lui sans son absolu génie
      Je suis sûr que je n'aurais pas tenu
      Que je ne tiendrais pas
      Et aussi vrai que Barbara m'a rendu l'espoir en écoutant
Le Mal de
      vivre un soir il y a longtemps de ça où tout était si noir si noir à en
      vouloir crever
      C'est toi Charles comme un immense Charlot
      qui rends supportable l'enfer des temps modernes
      
L'écriture : originale et adaptée au sujet.
De courtes phrases sans ponctuation avec passage à la ligne qui marquent le rapport à un temps qui à la fois n'en finit pas de s'écouler et qui en même temps s'accélère de façon speed pour éviter les embouteillages.
      Plus qu'une demi-heure
      Une grosse demi-heure
      Puis une petite demi-heure
      plus que dix minutes
Et aussi :
      Amener les palettes
      Cuterriser
      Décartonner
      Ranger
      Recouper
      Dégerber
Et les derniers mots de son livre :
      Il n'y aura jamais
      De
      Point final
      À la ligne

Et bien sûr le monde de l'usine et surtout celui des abattoirs. Je n'avais pas vu les films tournés sur les abattoirs et donc j'ai découvert l'horreur. Une véritable boucherie. Il ose le parallèle avec la guerre de tranchées. Dans son écriture tout y est : l'odeur, le bruit, la vue, le toucher, le goût ; les cinq sens sont mis à l'épreuve. Les corps en souffrance, fourbus, abîmés, usés, l'immense fatigue qui vous bouffe les week-ends. Le passage sur la grève qui montre à quel point les intérimaires sont vraiment le sous-prolétariat. Faire grève est un luxe qu'ils ne peuvent se payer et dont ils font les frais.
Et pour contrer tout ça, l'humour, beaucoup d'humour.
J'ouvre en grand.
Séverine
Je rejoins Laura quant à la longueur. Ça aurait pu être plus ramassé… mais je me dis aussi que finalement, il ressasse, ce qui rend compte du ressassement de l’usine… donc peut-être que ça fait son effet, le fait que je trouve cela long… comme une journée à l’usine ! Et je rejoins Manuel sur la posture. Même si ça n’a peut-être rien à voir avec le texte, j’ai été gênée par le fait qu’il dise aller à l’usine par nécessité (il avait peut-être d’autres choix), alors qu’on a l’impression qu’il y va volontairement, en tant qu’observateur comme cela était le cas dans L’Établi. Je trouve, par ailleurs, que le texte rend bien la fatigue du corps comme l'a montré Annick. Et l’humanité qui existe. L’exemple du bonbon qu’un collègue lui met dans sa poche est très touchant. La boucherie m'a rappelé Berlin Alexanderplatz que j’avais étudié à la fac et donc je n’ai retenu que les scènes horribles des abattoirs. Je m'attendais d’ailleurs au niveau narratif à ce qu’on lui assigne finalement d’aller tuer les bêtes… on y a échappé ! Sinon, ce type de texte "témoignage" m'a rappelé Debout-payé de Ganz (un lettré qui témoigne de son expérience de travail précaire) mais je l'avais préféré.
J'ouvre à moitié. C'est intéressant mais je reste mitigée tout en étant contente de l'avoir lu.
Et ironie du sort ou du texte : cela fait bizarre en ayant appris son décès d’un cancer de lire que sa grand-mère et mère sont mortes d'un cancer…

Danièle
Ce fut un grand plaisir, dès le début, de lire un livre avec ce parti pris de forme poétique, dans la graphie, l'absence de ponctuation, le retour à la ligne, comme des vers mais sans rime. L'explication est vite venue p. 17 :
       J'écris comme je pense sur ma ligne de production divaguant
       dans mes pensées seul déterminé
       J'écris comme je travaille
       À la chaîne
       À la ligne

C'est encore mieux que ce que je pensais. Il y a fusion totale entre la forme répétitive et hachée, et le fond. Nous avons donc affaire à un auteur hybride, littéraire et prolétaire. J'aime ce mélange des genres : les annotations matérielles et professionnelles discrètement mêlées aux références littéraires esquissées. Esquissées seulement, car il souhaite éviter la pédanterie.
Contrairement à ce que pense Manu, je trouve ce livre très original et ne lui trouve pas un côté fabriqué, mais plutôt ciselé. L'impression produite au début d'une écriture automatique et libératoire est certes travaillée au fil du livre, mais tellement originale et parfaitement menée jusque dans les détails : monotonie des retours à la ligne, qui deviennent éprouvants et fastidieux, comme le travail ; pas une seconde, pas une virgule d'arrêt, jusqu'au point unique et final.
Le livre est d'autant plus poignant qu'il aborde le thème avec une certaine légèreté, avec ses jeux de mots, ses métaphores filées humoristiques, parfois à la Raymond Devos (p. 33 à 34 il dépote des chimères), comme pour garder malgré tout une certaine distance avec les difficultés physiques de son travail. C'est même sa manière à la lui de s'en évader, p. 52 :
       J'échafaude des contrepets qui me semblent bien sonner
       Égoutteur de touffu,
       Et fauteur de dégoût

Et au moment où je recopie ces citations, je vois comme j'ai de la peine à ne pas mettre de ponctuation, alors qu'à l'inverse, l'absence de ponctuation à la lecture ne m'a pas du tout gênée, mais a maintenu un rythme lancinant et évocateur du travail en usine.
En réponse à la question que nous nous posons, de savoir pourquoi il ne recherche pas un emploi plus approprié à sa condition, il semble qu'il trouve son compte dans l'engagement physique et la confrontation avec le réel, aussi durs qu'ils paraissent. Il nous dresse une image du travail salvateur en usine comme équivalent, en mieux, d'une psychanalyse. Il décrit aussi un sentiment très touchant de fraternité avec ses collègues ouvriers.

Annick A
Il dit qu'il n'a plus d'angoisse : elle se déplace vers autre chose.

Manuel
Annick, tu aurais pu envoyer des patients à l'usine, tu aurais perdu tous tes clients…

Annick
On sait bien qu'en temps de guerre, il y a moins de dépressions.
Danièle
J'ai regretté qu'on en sache si peu sur ses relations avec sa femme dans cette situation plutôt inattendue pour tous les deux, je suppose. Peut-on dire que ce n'est pas le sujet ? Je n'en suis pas si sûre. J'ai d'ailleurs cru à un moment qu'elle était morte, et que cela faisait partie des causes de sa flagellation par le travail.
En tout cas, c'est un livre qui fait aborder des sujets de réflexion très actuels : les conditions inhumaines du travail imposé aux ouvriers de l'agro-alimentaire pour des raisons de rentabilité, l'indignité du traitement des bêtes. Certes, on peut considérer que toute cette production contribue à nos besoins en alimentation, mais à quel prix ! Pour ma part, je me suis demandé (un instant seulement) si je n'allais pas plutôt devenir végane !
La fin est d'autant plus poignante que nous savons qu'il est mort d'un cancer à 42 ans, peu après la publication de ce livre.
C'est un livre poignant, que j'ouvre en grand.

Annick L
Je ne dirai pas mieux que Danièle et Annick sur les qualités de ce récit d'expérience à vif, un témoignage saisissant sur la vie d'un intérimaire employé dans l'industrie agro-alimentaire.
Je l'ai lu il y a deux ans et j'ai été d'emblée saisie par cette écriture au rythme si particulier, si nerveux, qui nous fait ressentir physiquement la violence, la brutalité de cette réalité. J'ai d'ailleurs dû ménager quelques pauses pour reprendre mon souffle.
Je trouve que c'est une œuvre très originale sur le plan littéraire, où la forme vient servir le propos, à la différence du livre de Shulem Deen, même si c'était aussi un témoignage mémorable.
Le plus étonnant c'est qu'il s'en dégage malgré tout une énergie formidable, à coup de moments de tendresse, d'échappées littéraires ou de chansons de Trénet, comme dans un manuel de survie ! Et j'ai été atterrée quand j'ai appris qu'il était décédé… à 42 ans. Ce premier livre était si prometteur…

Annick A
Moi aussi.
Annick L
J'ai été surprise que ce type d'expérience (le travail à la chaîne, à la ligne comme on dit aujourd'hui) pour un poste non choisi, très éloigné de ses compétences, ait eu une vertu thérapeutique (il est sorti de sa dépression, a cessé de prendre des médicaments) et je m'interroge encore sur ce qu'il a pu en tirer. Peut-être que cela correspondait à une motivation politique : un intellectuel qui travaille à l'usine ?

Rozenn
J'ai été emballée quand je l'ai lu d'une traite avant-hier. J'ai lu Journal d’un manœuvre de Thierry Metz et Fragmentation d'un lieu commun de Jane Saulière. Thierry Metz, c'est beaucoup mieux. Et Jane Saulière c'est extraordinaire !
Je n'ai pas trouvé ça fabriqué comme a dit Manuel, mais c'est un procédé : c'est comme les peintres qui ont un truc et tout est fait sur le même modèle. Dans les deux autres il y a plus de variations.
L'humour m'a énormément plu. Il y a des formulations comme le patron des bouchers, Saint-Barthélemy… Et il met la botte gauche avant la botte droite c'est codifié comme dans Shulem Deen, on n'a plus à réfléchir, c'est pratique.
J'avais lu moi aussi le livre de Simone Weil, un passage m'y a fait penser. Celui-ci est plus rapide, plus léger. J'y vois comme un très bel exercice de style, un joli truc. Mais pas plus que ça. J'admire l'objet.

Bruissements à l'écran...
Rozenn
Non je ne suis pas dure... Avant-hier j'ouvrais à ¾, mais après les deux autres livres lus… allez j'ouvre aux ¾. Et Fragmentation d'un lieu commun en entier.
Jacqueline
Je l'avais lu à sa sortie. J'aime beaucoup les livres qui parlent du travail, et de l'usine en particulier. C'est peut-être dû à la lecture de Élise ou la vraie vie de Claire Etcherelli. Il y a quelque chose d'une vraie vie dans les livres qui parlent du travail.
Je l'ai lu d'une traite. C'est un livre remarquable, différent des autres par la manière dont c'est écrit. Oui c'est un procédé, mais ça m'a paru un poème, avec une scansion. J'aurais aimé l'entendre lu par quelqu'un d'autre. Il y a un bel enregistrement par Jacques Bonnaffé. La manière dont il a écrit m'a beaucoup plu.
À la relecture, je me suis posé des questions sur son parcours après la khâgne. Ses références sont très intéressantes. Jane Sautière, c'est vraiment extraordinaire, une plongée dans un monde de la prison. Je suis allée voir son premier livre où il est un metteur en forme (Nous… la cité : on est partis de rien et on a fait un livre) et où il donne un éclairage sur son travail et son authenticité.
J'ai pris comme un choc le chapitre où il parle du cancer de sa mère. J'ouvre en grand, et c'est un livre que j'ai envie de faire lire.
Renée
L'écriture m'a interpellée. Déjà le titre : "À la ligne" et il va sans arrêt à la ligne. Ces phrases courtes présentées comme des vers libres donnent un rythme particulier à ce texte. L'écriture est intrinsèquement liée aux actes et aux pensées de l'auteur.
Ce n'est pas un roman, ce n'est pas un recueil de poèmes, ce sont des feuillets : "feuillets d'usine". C'est un hommage à René Char ou une imitation de René Char qui a écrit pendant la guerre les Feuillets d'Hypnos qui ne sont pas non plus de vrais poèmes.
Nous sommes loin des envolées lyriques, Ponthus nous assène phrase après phrase les gestes répétitifs comme des outils de son aliénation : les conditions extrêmes de travail, la douleur du corps, la maltraitance animale, les cadences à soutenir. Ce livre est un cri que le rythme haché des mots rend à la perfection.
Cependant c'est aussi un cri d'amour pour sa compagne : c'est pour rester digne à ses yeux qu'il travaille "à la ligne".
Il avoue également que ce travail épuisant l'a guéri de sa dépression mieux qu'une précédente psychanalyse. Et il reste libre dans sa tête, il se raccroche à la poésie, à la musique.
Ponthus se souvient de sa vie dans le social : "le café, la clope, une pause ; le café une clope ; échanger avec les collègues la clope, un café ; tout ça une pause" (p. 34) Je ne peux m'empêcher de penser que Ponthus découvre le monde du travail. Quelle chance il avait avant ! Pas de stress ! Ce n'est le cas dans aucun autre métier, même sans travail à la chaîne : souvenons-nous des suicides à France Télécom, des enseignants face aux élèves agités et démotivés, des employés de commerce harcelés par les clients et les supérieurs, la liste est longue.
Je n'ai pas aimé non plus le passage sur la maladie de sa mère. Superfétatoire !
J'ouvre le livre en grand car il atteint son but : témoigner et nous émouvoir avec un style original.
J'étais curieuse de savoir ce qu'il aurait écrit ensuite. Hélas, nous ne le saurons jamais.
Denis
Je suis d'accord avec tout ce qui a été dit ici en faveur du livre. Je croyais que tout aurait déjà été dit dans les nombreux articles qui l'évoquent, mais non, on a dit ici encore d'autres choses et des choses différentes, c'est très riche.
Ce livre est un digne successeur de L’Établi, mais dans un registre totalement différent. Ponthus joue sur les rythmes de l'écriture, par les mots et par la disposition visuelle. Ce n'est pas Mallarmé ("Un coup de dés...") mais on peut y penser. Il m'évoque aussi le livre de Queneau Courir les rues - Battre la campagne - Fendre les flots, des poèmes rigolos et bien rythmés. Ponthus a une facilité à modeler le langage, à inventer des mots et des rythmes, à relever les mots de tous les jours, facilité que je trouve chez Queneau (Doukipudonktan de Zazie, Le dimanche de la vie pour le langage du quotidien).
C'est une écriture rythmique très réussie, c'est vraiment un livre épatant. On a parlé de ressassement, je ne suis pas d'accord. C'est plutôt comme le blues du Sud des États-Unis (Dites-leur que je suis un homme d'Ernest J. Gaines, lu en novembre dernier).
J'ai travaillé avec des gens qui pratiquaient l'analyse du travail, qui attire l'attention sur les stratégies que les "opérateurs" développent pour résister à la monotonie. Linhart en parle abondamment, mais Ponthus va plus loin, plus profondément. Il donne une foule d'exemples qui lui permettent de créer des irrégularités, du relief, des tourbillons, dans l'écoulement du temps, mettant à mal la notion de "temps linéaire" (que je n'ai d'ailleurs jamais bien comprise).
Dans une interview donnée à la radio, il nous fait entrer avec beaucoup de pudeur dans son intimité, dans sa vie domestique. C'était certainement un gars gentil et sympathique. Il nous montre comment le travail le libère de ses angoisses. La ligne est un lieu de souffrance physique et morale, mais il ne s'y sent pas mal psychologiquement. Il arrive que des personnes emprisonnées s'en trouvent bien, telles Pierre Goldman qui a pu faire des études, écrire un livre...
J'ouvre en grand à cause de l'écriture et de l'intérêt du sujet.

Rozenn
Lui, ça le délivre après une analyse.

Renée
J'ai été émue par son amour pour sa femme.

Rozenn
"Mon épouse" : il reprend sans arrêt cette expression...
Etienne
Deux choses m'ont plu :
- la forme : c'est un livre très agréable à lire ; je l'ai lu comme de la poésie ;
- et la force : la véracité, la force du témoignage. C'est comme du journalisme. On sent les gens qu'il côtoie, c'est très journalistique. J'ai moi aussi travaillé plus jeune en intérim, mais mes parents pouvaient me loger ; je n'ai pas retrouvé un écho personnel. Il côtoie la mort avec l'abattoir. J'ai travaillé deux mois dans le BTP pour porter du placo, mais je n'ai pas le souvenir de ce néant qu'il côtoie. J'ai du mal à imaginer qu'il ne trouve un emploi qu'à l'abattoir.
J'ai des petites réserves pour que le livre décolle. J'ai eu du mal à comprendre son projet personnel, il y a un voile pudique sur ses ambitions. Il y a des petites ouvertures sur l'analyse, entre le choix et le subi p. 214, jusqu'à ces mots Le fin de l'usine sera comme la fin de l'analyse
       Elle sera simple et limpide comme une vérité
       Ma vérité
       Je dois me coltiner encre cette épreuve
       tant que le travail ne sera pas terminé

Il y a quelque chose de plus que "je vais à l'usine pour gagner de l'argent", un aspect chrétien comme s'il s'agissait d'expier. Ce n'est pas assez développé. Il y a un manque de transcendance. Il n'y a pas assez non plus sur son épouse. J'aurais aimé qu'il parle plus de lui et j'ouvre à moitié.
Claire
Je suis très contente d'avoir découvert ce livre, et cet homme, son auteur, fort sympathique : difficile d'appliquer la devise de Voix au chapitre "NUL N'ENTRE ICI S'IL CONFOND L'AUTEUR ET LE NARRATEUR"..., car je les ai allégrement confondus une fois que j'ai quitté le livre pour lire autour ou écouter l'auteur en parler.
Mais revenons au livre même, dont j'ai trouvé étonnante la forme et surprenant le fait que l'absence de ponctuation ne m'ait causé aucun problème. J'ai trouvé fort, original, ce mélange d'univers restitué très dur ET de goût de la littérature et de la langue avec laquelle l'auteur joue avec jubilation. Vers la page 62, je me suis demandé si c'était la peine de continuer : on a compris. On repart un peu avec l'abattoir, mais comme il n'y a quasiment pas de "narratif", je me suis lassée. Je n'ai pas pensé c'est trop long, mais plutôt ça tient pas dans la durée. J'hésitais entre ½ et ¾, mais en vous entendant, j'ai mieux situé mon rapport au texte et j'en resterai à ½.
J'ai été impressionnée par le fait qu'il apprécie le travail bien fait ; il y a un savoir-faire dans ce boulot aliénant et il n'aime pas les tire-au-flanc : l'important avec ce savoir-faire - et c'est ça qui est fou et fort - c'est qu'il parvient à l'automatisme qui est une libération ; car à ce moment-là, il peut penser à la littérature, chanter, etc. J'ai apprécié l'humour. Par contre, autant je comprends son désir de pouvoir faire grève - pouvoir inaccessible à l'intérimaire qu'il est - autant je le lâche complètement avec ces propos :
      Si j'avais le temps et la force d'aller manifester
       De péter encore quelques vitrines de banques d'agences
       immobilières ou d'intérim
(p. 260)
propos que je trouve nuls par rapport à l'esprit, la nuance que l'on trouve ailleurs dans le livre.
Il dit que le livre de Thierry Metz Le journal d'un manœuvre est un chef-d'œuvre (p. 76) : je l'ai donc lu, ce journal sur un chantier de construction, mais contrairement à Rozenn, le livre de Ponthus l'emporte de loin.
Je suis d'accord avec Manuel, c'est très intéressant de lire l'un après l'autre Shulem Deen et Ponthus, qui chacun prennent un bout de vie à la première personne : mais y a pas photo, car dans Celui qui va... il y a justement un mouvement, tandis que dans À la ligne, ça patine, ça n'avance pas dans l'écriture. On va voir comment Bergman que nous lisons bientôt s'en tire...

Katell
Je suis très contente, très très contente de l'avoir lu. Je retrouve vraiment le sens du groupe lecture avec cette petite pépite, d'autant que j'étais dans Les Buddenbrook… Je n'ai pas complètement fini il me reste encore un petit bout. J'ai beaucoup aimé l'écriture. Je pensais qu'il jetait des idées et que comme il était talentueux c'était très bien.
Je me suis pas posé la question : si j'avais absolument à travailler ? Je crois que je serai caissière. Ça m'a frappée comme Manuel était hyper dur. C'est tellement difficile que ça peut pas être une posture.

Manuel
Il aurait pu être caissier, mais il a sciemment choisi l'usine.

Katell
Il aurait pu être cariste…

Manuel
C'est de l'ordre de l'expiation.

Claire
À l'agence d'intérim, on ne lui propose que ça !

Rozenn, citant pour montrer qu'il n'a pas choisi l'usine
       Je veux croire que l’usine
       J’y suis en transition
       En attendant de trouver mieux
       Même si ça fait un an et demi quand même que je ne trouve pas
       Je veux croire
       Que je suis là sans y être

Katell
C'est très très poignant, j'étais à fond avec lui, ça m'a rappelé Bacon, c'est horrible, j'ai vécu avec lui.
Moi aussi j'ai assez envie de le faire lire ce livre.

Annick A
Il y a un passage où il parle de joie.

Etienne
Il y en a plusieurs, comme le Jeudi Saint, qui évoquent quelque chose de christique en effet.
Katell
Et "mongolitos", ça ça m'a plu, alors qu'on doit parler de "personnes en situation de handicap"...
Et le fait qu'il soit mort, c'est impressionnant… c'est vrai qu'il fume énormément...
Quand je l'ai lu, j'étais vraiment très au premier degré. J'ai été très ébranlée par l'avis de Laura et de Manuel, j'ouvre aux ¾.

Geneviève
J'ai passé ma journée sur zoom et c'est peut-être parce que je n'en peux plus que je me demande si toutes les règles du groupe ont été dissoutes dans zoom…

Claire
C'est vrai, y en a plus aucune… on se limite plus dans le temps… on parle d'un autre livre que de celui qu'on a lu… on n'attend pas que le tour soit fini pour parler… c'est l'anarchie totale… mais est-ce zoom… ne serait-ce pas Ponthus…

Geneviève
Oui il exprime le soulagement qu'entraîne la contrainte car il n'a plus d'angoisse.
L'expression du corps, de la fatigue, du poids, c'est très intéressant.
Pour ce qui est des interrogations sur les raisons pour lesquelles il ne trouve pas de travail comme éducateur, je pense que ce n'est pas si simple. Il est manifestement très ambivalent sur son métier comme le sont beaucoup d'éducateurs qui ont longtemps été issus des milieux populaires mais sont souvent maintenant des jeunes des classes moyennes, avec un idéal confronté à une dure réalité. À ce propos, je rassure Katell : il arrive toujours dans ce milieu qu'on parle de "mongolitos", le "politiquement correct" vole vite en éclats dans la vraie vie. Le personnage est constamment ambivalent : certes, il pourrait faire autre chose mais il lui arrive d'éprouver un certain bonheur face à une fatigue écrasante mais qui lui vide la tête et lui épargne les crises d'angoisse. C'est une réalité que j'ai souvent rencontrée : des collègues qui pourraient faire autre chose, monter en grade mais qui refusent que leur travail envahisse leur espace mental. Et puis il respecte ses collègues, et apprécie leur solidarité.

Annick A
Il n'a pas la tête si libre quand il arrive chez lui.

Geneviève
C'est vrai. Il décrit aussi la manière dont la fatigue l'envahit, même le week-end et sa difficulté à se détendre le vendredi soir.
Et il y a cet amour mythique pour sa femme, une espèce d'idéalisation ; c'est pour ça que le mot mon épouse c'est très important. Justement parce qu'il est décalé par rapport au personnage.
J'attendais que le groupe m'explique pourquoi ce livre ne m'est pas tombé des mains alors qu'il a une forme poétique et que je suis incapable de lire de la poésie. Mais je n'ai pas d'explication, certainement le rythme de l'écriture, malgré tout.

Annick A
Ce rythme change.
Geneviève
Oui, un peu comme en musique : un thème de fond, puis d'autres qui s'entrecroisent. En tant que création, c'est réussi. Je l'ai lu avec plaisir tout en étant toujours perplexe sur ce personnage à la fois totalement crédible et toujours mal calé mais je pense que c'est justement ça l'intérêt. J'ouvre aux ¾.

Etienne
Je pense que si ça marche si bien c'est parce que c'est truffé d'anecdotes criante de vérité ce qui donne de la cohésion.

Claire
Quand j'ai lu p. 159 qu'il se trouvait avec son épouse sur l'ïle de Houat devant le monument aux morts qui inclut "Antoine Le Gurun mort pour la France le 17 avril 1917", c'est-à-dire l'arrière-grand-père de celle qu'il a épousée dans l'église et à la mairie de l'île, j'ai pensé à Chantal Le Gurun, lectrice de notre groupe breton, dont le mari Luc fut maire de Houat (moins de 300 habitants), mais avant que Ponthus se marie.
Non, la femme de Ponthus et le mari de Chantal n'ont pas d'ancêtres communs ou alors il faudrait remonter jusqu'à la Révolution...
En revanche, Luc connaît bien le secteur agro-alimentaire pour avoir été délégué syndical CFDT pendant de nombreuses années et Chantal pour avoir vu, à l'hôpital de Vannes où elle travaillait, l'état de santé terrible d'ouvriers de ce secteur et avoir entendu un patron employer le mot de viande en parlant de ses ouvriers... Une messe devait ces jours-ci être dite à Houat pour Ponthus...

Nous listons les livres lus dans le groupe qui évoquent le monde ouvrier :

- L’Établi de Robert Linhart, dont plusieurs ont parlé (lu en 2018)
- Marie-Claire suivi de L'Atelier de Marie-Claire de Marguerite Audoux (séance avec le biographe Bernard-Marie Garreau en 2017)
- Un petit boulot de Iain Levison (lu en 2016)
- Le Quai de Ouistreham de Florence Aubenas (lu en 2010)
- Atelier 62 de Martine Sonnet (séance avec l'auteure en 2008)

Et sur le monde du travail, pas à l'usine mais au bureau, nous avions programmé :
- deux livres de Nicole Maliconi en 2008


Le groupe de Tenerife
a lu ce livre pour le 7 septembre 2021
José Luis - Nieves - Rosa

José Luis
Livre étrange, celui du feu Joseph Ponthus, dans lequel j'ai eu beaucoup de mal à pénétrer. Ce n'est qu'à partir à peu près de la moitié du récit que j'ai commencé à me sentir à l'aise. Avant, j'avais des difficultés à suivre le développement des événements et même à comprendre ce qu'y était raconté. Était-ce dû à l'originalité de l'écriture qui me destabilisait et que, à cause de cela, je refusais de lire en profondeur me contentant de la survoler, mû par un préjugé qui la disqualifiait sans argument aucun ? Je ne saurais pas le dire. Or, à partir du chapitre 32, le premier concernant le travail dans la ligne de l'abattoir, un déclic a eu lieu et j'ai commencé à m'intéresser et même à aimer ce non roman. Est-ce moi qui ai changé de regard — parce qu'habitué à la nouveauté scripturale, ou parce que le sujet, plus rude et âpre que ceux des chapitres précédants, et exposé sans ménagement aucun, m'a ébranlé et comme éveillé — ou c'est Joseph Ponthus qui, après l'avoir cherché opiniâtrement, a trouvé finalement et sa voix et sa voie. Peut-être un peu les deux : lui, travaillant son texte jour après jour, à la fin de la dure journée de labeur, il a appris à écrire... et moi, j'ai appris à le lire. Et à le lire à voix haute, chose que j'aurais dû avoir fait depuis le début. Ce petit geste a changé pour moi entièrement le rapport au texte.
Mon bilan final — après la lecture de ce chant d'hommage à la classe ouvrière la moins en vue et la plus maltraitée, et cet éloge de l'amour — se doit donc d'être très positif. Éloge aussi, il ne faut pas l'oublier de la culture... française qui se fait présente tout le long du texte, très souvent de manière implicite, par des citations qui ne sont pas présentées comme telles, sans doute — en tout cas je l'imagine — parce que Ponthus considère qu'elles font partie du patrimoine culturel de la nation, et, donc, de tous les Français. Si c'était ainsi, cela signifierait y aller un peu trop vite, parce que la plupart de ses compagnons de galère — souvent étrangers — auraient été bien incapables de dénicher, si non de comprendre, ces citations implicites. Mais laissons passer : ce n'est pas à eux que ce livre s'adresse, même s'il a pu être, en partie au moins, écrit pour eux. Et, en fait de culture, je ne peux m'empêcher de dire à quel point j'ai été heureux de lire les multiples références, implicites et explicites elles aussi, à la chanson française, sans laquelle moi — et je pense que cela a peut-être été aussi son cas à lui — je ne saurais pas vivre. Mais là, une question me taraude depuis que j'ai conclu la lecture de À la ligne : Pourquoi Georges Brassens n'est jamais cité, ni lui ni son œuvre ? J'en ai une petite idée, mais, pour l'instant, je la garderai dans le secret de mon cœur.

Nieves
Au départ, j'ai eu du mal à m'y accrocher à cause de ces phrases sans signes de ponctuation ni structure narrative d'usage. Cependant, petit à petit, l'auteur m'a emmenée à l'intérieur de ce monde souterrain où travaillent et habitent tous ces travailleurs anonymes qui, avec leur effort, fournissent la matière première des mets consommés par les classes aisées.
Tous ces gens, en bonne partie étrangers, font un travail mécanique et ont des conditions de travail inhumaines qu'on a du mal à imaginer dans un pays défenseur des libertés et de droits de l'homme. Ce texte, en effet, m'a assené un coup fort dans ma conscience d'Européenne, fière de l'être.
Pourtant, malgré cette non-vie, il y a des instants très humains où fumer une clope, prendre un café ou pouvoir sortir au soleil dix minutes si une machine tombe en panne, deviennent d'agréables instants de relaxation partagée, très sincèrement vécus. Mais est-ce que ça suffit pour combler une vie ?
On dirait que Ponthus a un plus : il a une formation, il est cultivé, il connaît la littérature et la musique, et, il semble que ça l'aide à supporter la terrible corvée de ce travail d'intérimaire. Il faut donc conclure que la solution pour le supporter, c'est d'avoir une formation, un bagage culturel ? Peut-être, mais lui il a eu une vie antérieure où il a pu l'acquérir, et pas le reste des travailleurs…

Rosa
Je viens de finir le libre de Ponthus. Je l'ai trouvé intéressant du point de vue de la forme. Le manque de ponctuation ne m'a pas dérangée pour la lecture, au contraire. J'ai apprécié le côté poétique du texte avec une série de vers libres, l'utilisation d'un registre familier du langage et les connaissances littéraires et musicales de l'auteur.
Ce que j'ai découvert, ce sont les pénibles conditions de travail des intérimaires, la plupart d'eux immigrants.
C'est dommage pour Ponthus, qui avait une très bonne formation. Bon, à la fois, ses connaissances lui ont permis de s'évader et d'écrire.
Côté dur, la manipulation et les commentaires sur les crustacés, que, d'ailleurs, il aimait bien. Moi, je dois attendre pour en manger à nouveau.
C'est dommage que Ponthus soit mort si jeune. Y aurait-il un rapport entre les conditions de travail et sa maladie ?


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On peut penser aussi à...

QUELQUES REPÈRES

- Né en 1978 à Reims, il s'appelle Baptiste Cornet. Sa mère l'élève seule, il est fils unique. À Reims puis Nancy : hypokhâgne et khâgne.
- 2005 : diplôme d'école d'éducateurs à Nancy.
- Trouve du travail dans une région qui recrute dans ce domaine : pendant 10 ans, travaille à la mairie de Nanterre comme éducateur ; habite à Montreuil. Publie dans Article 11 (journal indépendant libertaire) ; v
oici un choix de 5 articles ou entretiens de 2011 à 2013 : "Garder la pêche", entretien avec Gé, ex-marin pêcheur breton - "Wajdi Mouawad, luciole incendiaire" (sur Anima que nous avons lu) - "Les fleurs du mâle" (sur la prison) - "L'écrit en habit de Dressing" (de Jane Sautière) et entretien avec elle.
- 2012 : publication de Nous… la cité : on est partis de rien et on a fait un livre (éd. de La Découverte, label "Zones") co-signé par Joseph Ponthus et quatre jeunes, résultat d’un atelier d’écriture durant 2 ans : témoignage de ces jeunes et de l'éducateur. Postface de Jane Sautière.
- Fait une analyse lacanienne.
- 2015 : par amour pour une Bretonne va vivre à Lorient. Il s’inscrit dans une agence d’intérim et devient ouvrier intérimaire dans l'agro-alimentaire. Publie des textes sur Facebook.
- 2019 : La Table ronde publie À la ligne : feuillets d'usine - Succès et nombreux prix ; 7 traductions en cours.
- Février 2021 : meurt à Lorient d'un cancer, entouré de son épouse Krystel, de sa mère, de Pok Pok le chien et de son chat.
- 2021 : parution de Je ne sais écrire que ma vie, de Henri Calet, Presses universitaires de Lyon, 2021 ; Ponthus admirait Henri Calet (dont nous n'avons lu aucun livre) et a écrit la belle préface de ce livre.

RADIO (France Culture)

- "L'usine a enlevé tout le gras de mes textes", par Marie Richeux, Par les temps qui courent, 15 février 2019
- "Joseph Ponthus, feuillets d’usine", Jean Lebrun, La marche de l'histoire, 22 mars 2019
- "Travaux manuels", Alain Finkielkraut, Répliques, 2 mai 2019, avec Joseph Ponthus et Arthur Lochmann pour La vie solide : la charpente comme éthique du faire.

VIDÉOS

- Joseph Ponthus présente son livre à la Librairie Mollat, 16 janvier 2019, 3 min 56
- La Grande Librairie en fait un coup de cœur, 6 février 2019, 19 min
- Son livre est adapté par Michel Cloup Duo & Pascal Bouaziz en concert musical, 5 min. Lecture musicale ici, 53 min.

PRESSE ÉCRITE

• Sur le livre Nous… la cité
- Jean-Baptiste François, "À lire Nous... la cité", La Croix, 25 septembre 2012
- Marianne Langlet, "Nous… la cité. On est partis de rien et on a fait un livre", Lien social, 15 novembre 2012.

• Sur le livre À la ligne
- Antoine Perraud, "À la ligne de Joseph Ponthus", La Croix, 17 janvier 2019
- Claire Devarrieux, "Joseph Ponthus : allez, aux bulots", Libération, 18 janvier 2019
- Ramsès Kefi, "L'épreuve de l'usine s'est peut-être substituée à celle de l'angoisse", Libération, 19 janvier 2019
- "Joseph Ponthus lauréat du grand prix RTL/Lire", Le Figaro, 14 mars 2019
- Sophie Divry, "Joseph Ponthus, À la ligne : feuillets d'usine", Études, avril 2019
- Interview par Carobookine, 3 mai 2019
- Interview par Marie-Line Vitu, Le journal des activités sociales de l'énergie, 1er juillet 2019.

• Le lendemain même de la mort de l'auteur, le 24 février 2021
- Sophie Pujas, "Mort de Joseph Ponthus, auteur d'À la ligne", Le Point
- Raphaëlle Leyris, "La mort de l'écrivain Joseph Ponthus", Le Monde
- "Mort d'un éducateur ouvrier", Lien social
- Ramsès Kefi, "Joseph Ponthus sans filtre", Libération
- Éric Poindron, "Joseph Ponthus, forçat et poète", Marianne.
- Une BD et un film sont en projet, annonce L'Union à Reims.

ON PEUT PENSER AUSSI À...

- L’Établi de Robert Linhart (que nous avons lu), éd. Minuit
- Un petit boulot de Iain Levison (lu dans le groupe), Liana Levi
- Le Quai de Ouistreham de Florence Aubenas (lu aussi), Points
- Atelier 62 de Martine Sonnet (séance avec l'auteure), Le Temps qu'il fait
- Marie-Claire suivi de L'Atelier de Marie-Claire de Marguerite Audoux (séance avec le biographe), Grasset
- Petites natures mortes au travail de Yves Pagès, Gallimard
- Nous étions des vivants de Nathalie Kupferman, Folio
- Grain de sable sous le capot de Marcel Durand, éd. Agone
- À quelques pas de l'usine de Jean-Pierre Levaray, Chant d'orties
- Journal d’un manœuvre de Thierry Metz, Folio
- Carnets d’un intérimaire de Daniel Marinez, Agone
- Notre usine est un roman de Sylvain Rossignol, La Découverte
- Chroniques des années d'usine de Robert Piccamiglio, Albin Michel
- Temps machine de François Bon, Verdier
- Génération précaire de Abdel Mabrouki, Le Cherche midi
- Mémoires de l'enclave de Jean-Paul Goux, Babel
- Le laminoir de Jean-Pierre Martin, Champ Vallon
- Métaleurop : paroles ouvrières de Frédéric H. Fajardie, 1001 nuits.

À compléter, par exemple avec la bibliographie très développée extraite de l'étude suivante : Usines en textes, écritures au travail : témoigner du travail au tournant du XXIe siècle de Corinne Grenouillet, Classiques Garnier, 2015.


 

Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :
                                        
à la folie
grand ouvert
beaucoup
¾ ouvert
moyennement
à moitié
un peu
ouvert ¼
pas du tout
fermé !

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