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Ernest James Gaines (1933-2019)
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Deuxième
période de confinement...
Nous étions 19 à l'écran, en notre tour de table rituel. "Auditrices libres" qui n'avaient pas lu le livre mais avaient envie de nous retrouver : Brigitte et Françoise. |
Nos
19 cotes d'amour
:
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Annick
A
Je ne resterai peut-être pas jusqu'au bout parce que j'ai une autre
réunion zoom...
Claire
Quoi !!!
Tu peux peut-être commencer alors...
Annick A
C'est la première fois que je commence (précise Annick
qui est dans le groupe depuis plus de 12 ans).
J'ai énormément apprécié ce livre tant
par son contenu que par sa forme. C'est un livre extrêmement percutant
sur la condition des hommes noirs dans les années 40 en Louisiane.
À partir de la condamnation à mort d'un Noir par les Blancs,
Gaines nous plonge dans les années 40 en Louisiane et nous fait
vivre dans un style direct, sobre et très percutant, l'horreur
des relations sociales entre Noirs et Blancs. C'est à la fois très
dur et plein d'humanité.
Les personnages sont très bien campés. Grant Wiggins est
un homme complexe et tiraillé. Conscient que sa condition de Noir
ne lui autorise aucun avenir en Louisiane, il rêve de partir dans
le Nord mais en tant qu'instituteur, il se sent redevable à sa
communauté. "Nous,
les hommes noirs, nous avons échoué à protéger
nos femmes depuis l'époque de l'esclavage. Nous restons ici dans
le Sud et nous sommes brisés, ou nous nous sauvons en les laissant
seules pour s'occuper d'elles-mêmes et des enfants."
(p. 197) :
ce tiraillement associé à la culpabilité entre partir
ou rester m'a fait penser à Hanna "notre
ami libanais".
La relation entre Wiggins et sa tante est dure, avec une soumission de
sa part à lui qui me semble culturelle. D'abord dans le refus de
tenir le rôle que sa tante et Miss Emma l'obligent à tenir,
il accepte peu à peu d'entrer en relation avec Jefferson, une compréhension
s'établit entre eux qui va leur permettre d'en sortir grandis l'un
et l'autre. J'aime beaucoup les personnages de femmes : Viviane qui sait
où elle va ; sûre de ses valeurs, elle aide son compagnon
à opter pour les choix les plus pertinents pour lui et leur couple.
Emma qui emploie toute son énergie à aider Jefferson à
mourir dignement. Et aussi Paul qui établit une relation d'amitié
avec Wiggins particulièrement touchante au dernier chapitre.
Ce dernier chapitre est bouleversant ; on n'est pas dans le pathos, mais
dans une description très détaillée des faits, avec
une écriture sobre, efficace, dans un temps qui n'en finit pas
de s'étirer.
J'ouvre en grand.
Monique
L
C'est un livre tout en profondeur et en émotions dans lequel
on fait de belles rencontres, on vit des moments forts avec des personnages
intéressants. C'est d'une puissance d'évocation remarquable.
Bien que l'on connaisse la fin dès le début, la tension
monte tout au long du récit.
Le procès était couru d'avance et a confirmé ce que
tous ses proches redoutaient, la chaise électrique. Ce qui m'a
avant tout frappée c'est l'acceptation (ou plutôt la résignation)
par tous de la sentence. Il n'est même pas question pour les Noirs
de cet État du Sud de combattre l'injustice de la condamnation.
Mais par contre, les proches de l'accusé n'ont de cesse de vaincre
l'injustice qui a été faite à la dignité de
cet homme par l'avocat commis d'office qui lors de sa plaidoirie l'a assimilé
à un porc (quelle violence terrible !).
Il y a beaucoup d'humanité dans ce livre, l'auteur ne tombant jamais
dans le manichéisme. L'auteur a su donner sa place aux croyances
diverses, comme à la religion, et cela sans blâmer et sans
donner raison à l'un ou l'autre, mais en insufflant les paroles
qui fallait aux différents protagonistes. Son affrontement avec
le révérend est d'une grande intelligence.
Ce roman décrit autant le chemin qui mène Jefferson à
sa dignité retrouvée, que celui de l'évolution de
Grant, qui est chargé de le conduire sur ce chemin. C'est une confrontation
entre celui qui va mourir et s'enferme dans l'amertume et le cynisme,
refusant de se nourrir et de se soucier des autres, et Grant l'instituteur
désabusé et qui peine à trouver sa place dans cette
communauté. L'auteur dépeint avec force et beaucoup d'émotion
la relation si fragile qu'il noue avec Jefferson, l'ambiance conflictuelle
au sein de la communauté, les regards noirs de sa tante qui est
une grande pratiquante.
Grant est un personnage d'une infinie complexité. Sa fragilité
est à mon sens ce qui fait la grande richesse du texte. Il ne se
sent pas investi d'une mission, il est totalement perdu face à
une situation qui le dépasse mais au fil de ses visites, il trouve
petit à petit un sens à l'action qu'il mène auprès
de Jefferson. Il est lucide, conscient de ne pas pouvoir remplir la tâche
qu'on lui a confiée, conscient de sa lâcheté, notamment
le jour de l'exécution. Il trouvera la force de mener cette lourde
tâche avec l'appui de sa compagne dont on sens la force de caractère.
Si les échanges entre Grant et Jefferson sont au départ
totalement stériles, finalement la sincérité et l'amitié
leur permettent de s'apprivoiser. Grant guide Jefferson vers la liberté
de choisir comment il va accepter la mort, et la vivre en lui proposant
de détruire le mythe construit par les Blancs sur l'infériorité
intellectuelle des Noirs.
Petit à petit il parvient à transmettre cette absolue certitude :
tu es un homme, tu n'es pas un animal comme ils veulent te le faire croire.
J'ai apprécié la subtilité de persuasion de Grant
avec douceur, empathie.
Tout au long du récit, l'auteur nous emmène au cur
des préoccupations de la population de la plantation stigmatisée
par la ségrégation. Les personnages sont consistants et
leurs relations contribuent à éclairer le récit.
Une belle galerie de portraits allant de la tante vieillissante et accablée
de Jefferson au pasteur de sa congrégation, du shérif blanc
et de ses acolytes, de sa maîtresse aimée ou de ses élèves,
aucun n'est caricatural.
Beaucoup de questions abordées : le racisme, la place des Noirs
au sein de la communauté, la supposée supériorité
des Blancs, l'injustice, le courage, la liberté, l'humiliation,
la place de Dieu, le courage, l'amour, le savoir, la misère, la
fierté
L'écriture, très descriptive, n'a rien d'exceptionnel. Le
style de Gaines est sobre, direct.
L'émotion est partout et explose à la fin. L'ultime passage
évoquant les derniers instants de Jefferson est d'une grande puissance.
Tout en non-dits, il impose à l'esprit des images terribles.
Le journal de Jefferson, orthographié phonétiquement, est
d'une force incroyable mais je n'y ai pas toujours cru.
Un roman poignant, émouvant et d'une grande humanité...
J'ouvre aux ¾.
Claire
Je n'ai pas pu ne pas penser à notre
polémique : cette fois, personne ne va crier à l'appropriation
culturelle
; c'est un Noir né dans une plantation qui
écrit à la première personne sur un Noir qui est
né dans une plantation, ouf !
Le début m'a plu, accrocheur, terrible.
Question documentaire, c'est très bien rendu, les situations d'humiliation,
les hiérarchies, Noirs/Blancs/mulâtres ; les "quartiers"
aussi ; le cimetière avec les ancêtres du narrateur depuis
un siècle p. 128, c'est impressionnant.
Les lieux sont réalistes : la cuisine de la tante, les cabinets
sur le fossé près des champs de canne, l'école dans
l'église. On va souvent à Bayonne c'est rigolo. Dans l'étonnante
école-église, j'ai découvert des méthodes
pédagogiques d'un autre âge..., mais justement, on est à
un autre âge : Grant a eu son poste d'instituteur en 1942, on est
en plein apartheid (toilettes séparées par exemple).
J'ai ressenti de l'intérêt et de l'empathie pour le personnage.
J'ai aimé l'amour de Grant pour Vivian et la personnalité
rayonnante de celle-ci.
Au bout d'une centaine de pages, j'ai commencé à m'ennuyer,
parce qu'on connaît la fin avec le titre (dommage d'ailleurs que
la traduction ne soit pas celle de l'anglais "A lesson before dying",
titre bien meilleur je trouve). J'ai regretté que l'auteur n'ait
pas écrit une nouvelle. Au détail du programme de Noël
p. 177 et suivantes : j'ai crié pitié
!
La radio a fait repartir mon intérêt. Mais le discours ampoulé
p. 226-227 m'a semblé invraisemblable
vis-à-vis du "cochon" de Jefferson. L'ennui revient avec
les visites interminables à la prison, repart avec la bagarre au
restau, puis retombe, et c'est alors le coup de théâtre le
journal en petit nègre (le face à
face entre un paragraphe du texte original et la traduction me convainc
qu'elle en rajoute dans le petit nègre, nuisant à la dignité
d'une simple écriture phonétique).
Quant à l'ultime rebond avec le dernier chapitre, la 3e personne
m'a semblé une sorte d'impuissance narrative. Le personnage de
Paul m'a paru trop de chez trop mais je ne cacherai pas que la dernière
page m'a émue.
Je suis contente d'avoir appris qui était l'auteur,
proche par bien des aspects du personnage du livre. Et encore un livre
qu'on ne regrette pas d'avoir découvert !
Annick L
J'ai été saisie par la brutalité de l'ouverture,
en plein procès de ce jeune Noir jugé par des Blancs racistes
et ségrégationnistes.
Une évocation très concrète, très visuelle
de cette scène terrible où la justice des hommes est bafouée.
Mais ensuite la narration prend un rythme lent et se veut factuelle, sans
nous épargner aucun détail. Le lecteur est placé
dans la situation d'attente que vivent les acteurs de cette tragédie.
Les mêmes scènes se répètent, jour après
jour : l'instituteur fait l'école, rencontre la marraine du condamné,
sa tante et le pasteur dans une tentative de dialogue avortée,
va retrouver son amie au bar-restaurant du coin
C'est monotone.
Heureusement que le personnage complexe du narrateur est attachant, avec
ses contradictions. Il pourrait refuser la lourde responsabilité
que sa communauté lui impose : aider le condamné à
retrouver, avant son exécution, toute sa dignité d'être
humain. Mon intérêt s'est donc réveillé dans
cette deuxième partie lorsqu'il rend visite à Jefferson
en prison (l'enjeu est fort) : leur relation évolue peu à
peu et le condamné commence à écouter le discours
de l'instituteur et à lui accorder sa confiance. Certaines scènes
sont vraiment émouvantes, même si le narrateur ne joue jamais
sur le pathos. Et le fait de livrer, à l'état brut (phonétique)
les quelques pages du journal que Jefferson a voulu léguer, donne
une note d'authenticité à ce récit. La mise en scène
de la journée de l'exécution est remarquable parce qu'elle
permet d'ouvrir sur d'autres points de vue que celui de l'instituteur.
Et la fin m'a bouleversée.
Mais je suis restée constamment à distance, peut-être
parce que je ne l'ai pas lu comme on lirait un roman (contrairement au
livre de Richard Powers qui m'a littéralement emportée).
Et c'est cette dimension ethnologique, sociologique que je retiendrai
: un témoignage fort sur la condition encore révoltante,
au cours des années 1940, des Noirs américains dans les
anciens états esclavagistes. Avec un point de vue original : celui
de cet instituteur qui a eu la chance d'être éduqué
et qui rejette la vision fataliste des anciens (sa tante, la marraine
de Jefferson), ou religieuse du pasteur, en quête d'une émancipation
possible. La question qu'il se pose avec son amie - leur faudra-t-il quitter
la terre de leurs ancêtres pour y parvenir - en est un élément-clé.
J'ouvre aux ¾.
Danièle
Contrairement à certains, j'ai eu beaucoup de mal à rentrer
dans la "sobriété du roman", peut-être parce
qu'il se trouve que je l'ai lu de façon décousue, mais aussi
notamment parce que, pendant tout le début du livre, on ne sort
pas des descriptions minutieuses de détails sur la vie quotidienne
et des répétitions des mêmes propos entre les personnages.
J'avais l'impression de ne pas apprendre et surtout de ne pas attendre
grand-chose de ce livre, alors que son propos - "Dites leur
que je suis un homme" - m'avait pourtant semblé intéressant.
Un Noir, condamné sans preuve par des jurés blancs, s'entend
dire par l'avocat qui prétend le défendre qu'il n'est pas
plus évolué qu'un cochon, et qu'à ce titre il mérite
d'être jugé avec indulgence ! Et c'est à Wiggins,
l'instituteur, après la sentence, qu'est dévolue la mission
de redonner à Jefferson sa dignité d'homme, parce qu'il
sait et qu'il sait faire, un Samuel Patty en quelque sorte ! Vaste
programme, auquel l'instituteur s'attaque à contre-cur car
la mission lui semble vouée à l'échec, mais en quelque
sorte contraint par son opiniâtre famille et aussi par sa merveilleuse
compagne Vivian, dont le rôle fut très important dans sa
décision de remplir cette mission.
C'est aux trois quarts du livre que j'ai vraiment accroché, lorsque
l'histoire se recentre autour de Jefferson, qui s'approche lentement du
jour de l'exécution, et que la relation dialectique entre Jefferson
et l'instituteur prend de la profondeur et engendre beaucoup d'émotion.
Il faut, en quelques semaines, que Jefferson se mette à communiquer
avec les siens et par là retrouve sa dignité d'homme. Les
deux avancent parallèlement et apprennent beaucoup l'un de l'autre.
De même pour les relations entre le révérend et l'instituteur.
Tout au long du roman, on ne peut que constater le courage de l'instituteur
qui affirme sa laïcité dans un environnement familial et culturel
largement imprégné de religion catholique. Or, malgré
son engagement laïque et sa confrontation assez hostile avec le révérend,
l'instituteur invite Jefferson, en dernier ressort, à se tourner
vers le révérend pour ses derniers instants, comme source
de réconfort. J'ai aimé cette tolérance, ou cette
sagesse, loin de tout engagement laïcard. Par ailleurs, en passant,
j'ai retrouvé - comme chez Powers
- cette idée de hiérarchie des Noirs selon leur degré
de métissage et donc de la noirceur de leur peau, avec Jefferson
qui traite Vivian avec mépris de "mulâtresse",
lui qui est sans doute Noir pur sang. C'est un aspect important des relations
interraciales que je méconnaissais.
Ce qui a finalement prédominé dans ma lecture de ce roman,
c'est l'émotion ressentie dans le dernier quart du livre - hormis
le journal, dont la forme m'a semblé peu crédible -
et cela m'a donné envie de le reprendre pour le relire différemment,
en sondant la sobriété qui m'avait rebutée, mais
qui, manifestement, mène à l'émotion finale.
J'ouvre quand même aux ¾, alors que j'étais mal partie.
Séverine
Un troisième livre sur les Noirs après Powers
et Oates, j'ai eu peur et ai donc abordé
le livre non sans a priori. Or celui-ci est au-dessus des trois !
Notamment de par la qualité des descriptions : c'était très
visuel, je voyais les ambiances.
Je suis d'accord avec Danièle sur la progression des personnages
et c'est Wiggins qui va en apprendre le plus.
Pour ce qui est du fameux journal, j'en ai lu la moitié, puis j'ai
renoncé, du fait de la concentration nécessaire pour le
décrypter.
Et quant à la dernière partie, j'avoue que j'ai pleuré,
ce qui est rare pour moi. Ce qui cause l'émotion n'est pas surfait,
c'est sans pathos, c'est juste.
Ce qui est incroyable est que le verdict, totalement injuste, est accepté :
ce n'est pas le sujet. Le départ, c'est la comparaison avec un
porc, prononcée par l'avocat même de Jefferson, et ça
c'est très fort.
Une belle découverte, ça balaie Powers et autres... Merci
Etienne.
Lisa
Cela va être assez court, car je l'ai lu il y a 4 ans, l'ayant découvert
dans une librairie. Je l'avais adoré. Je l'avais tellement aimé
que je l'avais offert à ma mère et à une copine qui
l'avaient aimé.
Dans la foulée, j'avais aussi lu Colère
en Louisiane et Le
nom du fils que j'avais adorés aussi. Je l'ai placé
au panthéon des auteurs américains et puis je l'ai oublié.
J'avais peur d'être déçue de la relecture. J'ai oublié
le contenu qui m'est revenu un peu en vous écoutant. Je reste sur
mon souvenir et l'ouvre en grand, sans pouvoir en dire plus.
Rozenn
Je veux d'abord dire que Joe Biden a gagné !
Les autres
Claire
La différence avec Obama dont nous avions aimé Les
rêves de mon père, c'est qu'on ne programmera pas
un livre de lui...
Rozenn
Moi aussi, j'ouvre en grand. J'aime beaucoup.
En apparence, c'est simple ; mais sous les dialogues, il dit beaucoup
des rapports humains, de ce qui s'est passé avant. Par exemple
: "Oui, Monsieur", répond-il, en faisant exprès
de ne pas trop bien parler. Les personnages sont excellemment rendus vivants,
les deux petites vieilles sont formidables, le révérend
aussi. Les descriptions des élèves aussi, c'est très
fort, par exemple du "pire
garnement de l'école. Il venait d'une famille nombreuses - treize,
quatorze, quinze, je ne sais pas combien - et il devait se battre pour
chaque miette de nourriture. À l'école c'était pareil.
Il se battait en jouant au billes, il se battait en jouant au ballon,
il se battait en jouant à cache-cache, il se battait en jouant
à cache-tampon. En classe, il se battait avec les enfants assis
devant lui, à côté de lui, dernière lui. "
Sans pathos, c'est très simple et très fort.
Même s'il n'est pas à la hauteur du livre, j'ai apprécié
le
film à la réserve de la scène où
Emma dit au Blanc "Avec
tout ce que j'ai fait pour votre famille" qui est trop
appuyée, à la limite du chantage.
Je reviens au livre : c'est très construit, remarquablement écrit.
J'ai été complètement emballée. Certes, ce
n'est pas gai gai gai.
J'ai commencé Le
nom du fils, ce sont les mêmes thèmes, mais ce n'est
pas écrit de la même façon. J'ai cherché aussi
un autre film. Je le donnerai à lire, etc. Je suis fan. Oui on
va voir si ça dure, j'ai eu des fanitudes qui n'ont pas duré.
Denis
Je partage assez l'avis de Rozenn qui a été emballée.
Je trouve aussi des faiblesses de narration et j'ai ressenti de l'ennui
comme Claire, mais ça passe, tellement ce livre est puissant. Je
suis d'accord avec tous les éloges.
Ce livre fait ressentir l'horreur de la condamnation à mort. Il
rend sensible au lecteur l'angoisse qui saisit la communauté noire.
C'est une expérience de lecture tout à fait remarquable.
La revendication de mourir dans la dignité est un thème
éternel.
J'ai aimé le côté documentaire ethnographique qui
fait ressortir les brimades et humiliations dont sont victimes les Noirs :
acheter la radio, parler avec le shérif...
J'ai remarqué l'importance des regards et non-dits dans les échanges
où ils parlent très peu. Par exemple Wiggins avec sa tante.
Par exemple quand l'inspecteur arrive, le narrateur voit qu'il regarde
de façon circulaire.
Pour ce qui est du côté répétitif, je le rapproche
du blues, où les phrases sont systématiquement répétées.
Par exemple dans ce blues classique de Robert Johnson, "Crossroad".
Quand la marraine va voir le planteur, elle rappelle, comme un refrain
dans le blues ce qu'elle a "fait pour cette famille".
J'ai adoré ce climat qui va bien avec le blues rural du Sud, j'ai
été enchanté.
J'ai pensé aussi à Black
Boy de Richard Wright qui montre le rôle structurant de
l'église pour ce qui est des rapports sociaux. L'instituteur a
beau être laïc, il a à faire avec des gens qui se situent
par rapport à la religion. La journée de classe commence
par des versets bibliques.
Tout compte fait, j'ai trouvé ce livre passionnant et terriblement
émouvant.
Le journal de Jefferson en phonétique m'a fait penser à
Des fleurs
pour Algernon de Daniel Keyes que nous avions lu : au début
il ne sait pas écrire et fait beaucoup de fautes. À la fin,
après l'échec du traitement, il se remet à faire
des fautes et le roman se termine là-dessus.
Je veux lire d'autres livres de ce Ernest J. Gaines, dont j'ignorais totalement
le nom jusqu'à maintenant. Vive le Groupe Lecture !
Manuel
Je me reconnais dans les avis d'un
certain nombre d'entre vous. Comme Claire j'ai peiné dans ma lecture,
il y a beaucoup de répétitions. Je dirais que le livre est
divisé en trois parties. Après le procès, la première
partie expose les hésitations de Grant à aller à
la prison pour parler avec Jefferson. On comprend que c'est une espèce
d'humiliation pour Grant. Cette partie m'a paru très longue...
La deuxième partie décrit les différentes visites
et dans toutes les combinaisons (seul, avec ou sans la tante, avec le
prêtre...). J'ai peiné et comme certains d'entre vous, j'ai
moyennement cru aux discours de Grant à Jefferson. La troisième
et dernière partie m'a énormément ému. Comme
Séverine, j'ai pleuré. Il y a un effet cathartique et en
cela, c'est très réussi. J'ai peut-être appréhendé
ce moment terrible.
À mon avis, le défaut du livre est qu'il va dans trop de
directions et laisse pas mal d'interrogations : pourquoi Grant est parti
à l'université et est revenu ? Pourquoi Vivian a insisté
pour que Grant aille à la prison ? Pourquoi Jefferson devient une
figure christique ? Le laïc qui s'oppose au religieux. Ça
entre en résonance avec l'actualité. Il y a trop d'idées
qui sont comme des îlots, parfois répétitifs. J'ai
aimé les descriptions. Celle de l'école est triste. La dernière
nuit dans la cellule de Jefferson avec la fenêtre, le ciel bleu
et les pacaniers qui évoquent la liberté perdue.
Certains étaient étonnés de la condition des Noirs
aux États Unis. Si vous aviez vu le documentaire
sur Arte sur le Ku Klux Klan, vous pouviez vous rendre compte du sort
atroce des Noirs aux US.
De nouveau Joyce avec Gens
de Dublin. Encore les Irlandais ! Grant voit en Parnell
un modèle. L'Europe donne de l'espoir à cet instituteur.
Un grand livre, mais j'ouvre aux ¾.
Yolaine
Belle découverte que ce livre que j'ouvre aux trois quarts.
Roman ou autobiographie ? La vie de Gaines, issu d'une communauté
de Noirs descendants d'esclaves en Louisiane, se mêle étroitement
à l'histoire tragique de Jefferson, jeune homme condamné
à mort pour avoir été mêlé à
un crime qu'il n'a pas commis, dans un village situé dans une ancienne
plantation de canne à sucre aux alentours des années cinquante.
Même s'il s'agit d'une fiction, nous savons tous qu'elle se réfère
à des faits historiques. Au-delà de cet intérêt
"documentaire", ce témoignage d'un écrivain noir
sur la vie des Afro-Américains nous permet de percevoir le vécu
et le regard de populations à qui on n'a pas souvent donné
la parole. Nous découvrons une culture différente de celle
de la communauté blanche (celle-ci étant souvent persuadée
qu'elle seule a le privilège de la culture), partagée par
l'ensemble de la Caraïbe, marquée au fer rouge par la déportation
des africains, l'esclavage et le travail forcé dans les plantations.
Le rôle central des femmes, que les hommes n'ont pas su protéger
(argument qu'on retrouve de façon récurrente dans la littérature
antillaise), dans la vie du village, dans l'éducation des enfants
et dans la survie de la communauté en est un des traits les plus
marquants. La contrainte exercée par la collectivité (par
le biais des femmes justement) sur le destin de chacun de ses membres
m'a particulièrement frappée : l'instituteur comme le condamné
à mort ne peuvent pas se limiter à leur destin individuel,
leur action doit s'insérer dans le devenir collectif, ils se doivent
d'être un exemple pour leur communauté.
La comparaison avec les Antilles s'arrête là, car le sujet
est terriblement sombre et le désespoir total. À l'exubérance
de nos auteurs des Antilles françaises s'oppose une souffrance
que Gaines exprime dans un style très simple, très concret
et avec une grande sobriété. La pudeur et les non-dits sont
la règle. L'émotion atteint son paroxysme avec le dénouement
inéluctable, à la fin d'un compte à rebours imposé
au village entier. La construction de ce récit est magistrale.
Seules quelques longueurs sans conséquence dans la narration (peut-être
liées à un côté moralisateur assez typique
de la mentalité américaine) m'ont empêché d'ouvrir
ce livre en entier.
Katell
Je partage beaucoup de choses qui ont été dites. C'est vraiment
une découverte, je croyais bien connaître la littérature
américaine... : encore un auteur nouveau !
J'ai bien aimé dans l'écriture à des moments la dimension
témoignage (la vie de la communauté noire), à d'autres
moments l'aspect roman (en tant que midinette comme Claire, j'ai bien
aimé l'histoire d'amour)
et le passage de l'un à l'autre.
La lecture du journal en phonétique m'a semblé facile à
lire, sans doute habituée que je suis aux fautes d'orthographe
de mes enfants...
J'ai senti une petite baisse de régime dans la narration. Mais
globalement c'est une super découverte : c'est pourquoi le groupe
lecture existe : pour nous faire sortir de nos zones de confort, des sentiers
battus. Je ne suis pas toujours emballée par les livres choisis
dans le groupe, mais cette fois, j'ai eu envie de participer et je remercie
Etienne de nous l'avoir fait connaître. J'ouvre aux ¾ et
ai envie de lire un autre livre de cet auteur.
Laura
Je n'ai pas grand-chose à dire sur ce livre, un peu comme Jacqueline
à propos du dernier ouvrage. Je l'ai lu
vite, et pour tout dire il ne m'a pas déplu, je n'y trouve pas
spécialement de points négatifs. Le problème, c'est
qu'il ne m'a absolument pas marquée ; je sais que dans quelques
mois je l'aurais probablement oublié. Pourtant, je n'ai pas passé
un mauvais moment à le lire
C'était juste
si
j'ose dire, un peu plat. Le passage qui m'a le plus dérangée,
et que j'ai énormément apprécié pour cela,
correspond aux dernières pages de l'ouvrage, au journal de Jefferson
(?). Cette écriture phonétique réveille énormément,
comme un café bien corsé, mais aussi comme si l'auteur savait
que son livre avait besoin de ces pages pour y donner une impulsion (peut-être
aurait-il fallu entourer l'ouvrage de ce journal ? Mais je ne suis pas
autrice.) Donc je suis légèrement dubitative, mais j'acquiesce
quand même. C'est la rapidité de la lecture de ces pages
forcée par la phonétique qui me fait pencher vers un "oui".
Le rythme était enfin exalté. Bon, mise à part la
fin, pas grand-chose, hormis quelques sentiments par-ci par-là
: la tante qui force l'instit à voir le pauvre Jefferson, alors
qu'il refuse (ça m'a énervée, on ne force pas les
gens
quoique dans ce contexte ça se discute), comme si l'auteur
se cachait dans le personnage de la tante, avec une vision omnisciente
des événements. Finalement, après réflexion,
ça m'énerve moins, et c'est un biais d'information plutôt
intéressant.
Quand ma mère à pris le bouquin de mes mains pour lire la
4ème de couverture (oui
), elle a tout de suite pensé
à Ne
tirez pas sur l'oiseau moqueur. Malheureusement, je l'ai lu bien
trop jeune pour comprendre la problématique et pour m'en souvenir
(peut-être que l'un d'entre vous fera le lien ?). Dans tous les
cas, le sujet est intéressant, mais je garde la sensation qu'il
n'a pas été exploité à fond. On pourra toujours
dire que c'est le style de l'auteur, qu'il souhaite s'éloigner
des romans à succès écrits par des Blancs, d'où
mon ressenti (petit village, petite école, forte religiosité),
ce qui n'empêche que chez moi
bah ça fait quand même
"plouf". J'ouvre à demi.
Catherine
Si je n'avais pas très envie de lire l'histoire d'un condamné
à mort ni de lire un autre livre encore au sujet des Noirs, j'avais
envie de découvrir cet auteur que je connaissais pas et qui est
pourtant connu.
Le début m'a tout de suite intéressée, les rapports
entre les personnages, plus complexes qu'ils n'en ont l'air, les deux
vieilles dames par exemple, Emma et Lou, la hiérarchie qui se crée
selon l'échelle de la couleur, plus ou moins foncée, ce
qu'on avait déjà vu dans Powers,
l'église-école, les liens étroits avec la religion,
les quartiers. J'ai été sensible à l'écriture,
à la puissance d'évocation. En revanche, je suis restée
assez indifférente à l'histoire d'amour entre Wiggins et
Vivian. Les tiraillements (partir/rester) de l'instituteur sont intéressants,
mais c'est un peu long.
La culpabilité ou non du condamné n'est pas le sujet. La
fin est remarquable, uniquement sous forme d'une description, très
concrète ; l'intensité monte en dépit de la
simplicité : c'est très fort, alors même qu'on
connaît la fin.
Merci Etienne pour cette belle découverte. J'ouvre aux ¾
en raison de mon petit décrochement.
Manuel
Dans La
Petite Maison dans la prairie, il y avait aussi une église-école.
Geneviève
J'ai lu 150 pages. Comme Catherine, je n'avais pas une passion folle pour
accompagner un condamné à mort, fffttt, alors que je recherche
plutôt une ambiance apaisante, la recréation d'un cocon en
ce moment.
D'abord le livre en anglais est beau.
Je suis bien rentrée dans le livre grâce à l'écriture,
j'aime beaucoup les écritures sobres, efficaces, et c'est le cas
ici.
J'ai été accrochée par la complexité du personnage
de l'instituteur, son rapport avec les élèves et le portrait
du mauvais élève qu'a lu Rozenn me parle bien, avec l'exaspération
de l'enseignant malgré sa conscience qu'il a de ce qui se passe
hors de l'école. J'ai apprécié le personnage de Vivian,
et la question du choix : rester dans un monde sans issue ou partir
et trahir ses origines. C'est aussi la question, en devenant instituteur,
du passage d'une classe sociale à l'autre : il y a toujours
un prix à payer, c'est une question qui m'intéresse. Je
n'ai pas encore assez avancé pour voir l'évolution de Jefferson
et pour lire son journal. Je n'ai donc pas d'avis tranché sur la
crédibilité de ce journal, mais pour ce qui est de la transcription
orale des mots à l'écrit, j'ai l'habitude de lire de mauvaises
copies et d'oraliser à la lecture pour bien comprendre. Lorsqu'on
regarde la version originale (on regarde tous
la première page en anglais que projette Geneviève),
on voit bien qu'il s'agit de la transcription d'une sorte de créole,
une version adaptée de la langue anglaise et pas une transcription
phonétique maladroite. Ça rappelle les Aventures
de Huckleberry Finn où la transcription de la langue de
l'esclave échappé pose aussi des problèmes de traduction.
Ce livre fait partie des livres innombrables que le groupe lecture m'a
fait découvrir et que je n'aurais pas lus autrement. Je me suis
un peu forcée et c'est une belle découverte. Sur le même
sujet, j'ai aimé Powers,
que j'avais lu longtemps avant le groupe de lecture, et qui se passait
à Philadelphia et Washington ; c'est plus rare de lire un roman
qui se passe dans le Sud profond, la comparaison avec le racisme vécu
dans les grandes villes du Nord est intéressante, particulièrement
en cette période des "Black lives matter".
Fanny
(avis transmis et lu pendant la séance)
Je l'ai lu juste après Le
temps où nous chantions et, malgré ses thématiques
parfois proches, j'ai trouvé la découverte est intéressante.
Je suis globalement positive quant à mon avis, mais avec quelques
réserves personnelles. J'ai trouvé fort peu sympathique
le personnage du professeur, assez pédant et très égocentré,
même si en même temps c'est assez juste de montrer qu'il continue
à vivre sa vie. Il est certainement très amoureux de Vivian,
mais reste je trouve centré uniquement sur ses propres préoccupations
dans leur histoire.
Je n'ai pas aimé le passage de retranscription du cahier, avec
l'orthographe en phonétique : je trouve que cela donne un
côté voyeuriste face aux carences de Jefferson. Je trouve
aussi un peu manichéens le contenu et ses dernières paroles,
il n'est alors que bonté et altruisme... : peu crédible,
l'humanité est plus complexe que "être une bête"
ou ne penser qu'aux autres à l'heure de sa mort. Mais bon, cela
sert le propos de l'auteur, même si je trouve cela un peu artificiel.
Cependant, le livre dans son ensemble m'a touchée, c'est un beau
plaidoyer contre les préjugés racistes et contre la peine
de mort. Sur le fond, j'adhère totalement malgré mes réserves
sur la forme.
J'ai aussi trouvé bien amenée la fin, où la vie extérieure
à l'exécution est racontée, comme une mosaïque,
avec différents angles de vue.
J'ai également fait le "pari" que ce livre est tout à
fait un livre pour le groupe qui risque de susciter des avis contrastés...
ce qui fait je trouve la richesse de nos échanges.
Etienne
Il s'agit donc d'un livre que l'on m'a offert il
y a quelques mois et je n'en avais évidemment jamais entendu parler.
J'ai été rapidement séduit et au-delà du fait
que l'auteur était inconnu du groupe et qu'il avait été
distingué, voilà ce qui m'a poussé à vous
le proposer. Au passage, je ne m'attendais pas du tout à ce qu'il
soit programmé aussi vite et j'en ai été presque
pris de court pour le défendre.
Avant tout ce qui m'a plu dans ce livre c'est son ambiance, j'ai eu l'impression
de plonger dans un univers inconnu. C'est donc le sud des États-Unis
mais pas n'importe quel sud : le sud-ouest c'est-à-dire la Louisiane
au début du 19e. Il y a comme une sorte d'exotisme assez puissant,
presque un sentiment caribéen : la gastronomie, le passé
de la présence française qui imbibe la société.
Tout cela passe évidemment en arrière-plan une fois que
la tragédie est installée mais l'hameçonnage marcha
fort bien.
La tragédie est brièvement installée et l'on comprend
qu'il ne s'agira pas d'un combat judiciaire mais de tout autre chose.
L'histoire est simple mais puissante : un homme essaie de redonner sa
dignité à un autre homme. Une personne tiraillée
entre son égoïsme et ce qu'il estime être son devoir.
Finalement, et peut-être est-ce cela qui m'a plus, il s'agit surtout
du combat intérieur d'un homme pour retrouver sa foi en l'homme
dans sa dimension humaniste mais qui flirte aussi avec le religieux. A
ce titre j'ai trouvé l'opposition avec le pasteur marquante et
passionnante, ce dernier apparaissant au fil des lignes d'une complexité
plus profonde qu'au premier abord. Tout ce qui est écrit paraît
simple mais insuffler de la puissance.
J'ai lu qu'on appelait Gaines le "Faulkner noir". Je ne suis
pas d'accord. Tout d'abord parce que je n'aime pas le procédé
; Gaines est Gaines et je ne vois pas pourquoi on devrait l'affubler de
ce qualificatif pour lui donner des lettres de noblesse. Si l'on devait
lui trouver une parenté auprès d'autres auteurs j'opterais
plutôt pour Steinbeck ou Graham Green.
Un petit mot pour terminer sur le "cahier de Fergusson". Je
me doute qu'il ne plaira pas à tout le monde et peut-être
sera-t-il raillé. De mon côté il m'a ému aux
larmes.
J'ouvre donc ce livre en grand.
Jacqueline
(développant son avis après la séance)
Même si je n'en ai rien dit, je me joins à tous ceux qui
ont remercié Etienne qui a proposé ce livre et remercie
ceux qui l'avaient déjà lu et qui ont contribué à
ce qu'on le programme.
Et un grand merci à Geneviève pour la rencontre ZOOM !!!
Un peu à l'impromptu, lors du tour que j'ai pris en route, j'avais
parlé de ce que j'aimais dans ce livre que j'ouvre grand :
le style efficace qui me rappelait la manière antérieure
d'Hemingway des faits, des phrases simples et des dialogues.
J'avais aimé aussi l'évolution parallèle et indissociable
de Grant et de Jefferson, et la manière dont elle est portée
par tous ceux qu'ils aiment ou dont ils sont aimés.
Après avoir entendu tout ce qui s'est dit dans cette séance,
la confrontation très riche avec les autres points de vue m'a donné
l'envie de développer
(Vive le groupe !)
En fait, ce à quoi j'ai été le plus sensible à
la lecture c'est, comme pour beaucoup, la description de cette communauté
mais surtout la description du rôle qu'elle joue dans les évolutions
individuelles.
Je n'ai pas remarqué les répétitions, les redites,
parce que je ne les ai pas ressenties comme telles, mais peut-être
comme la marque subtile des difficultés de ces évolutions.
Il m'a semblé aussi qu'il faut tenir compte des contextes à
chaque fois un peu différents qui vont les provoquer ou les accompagner.
D'autre part un autre livre de Gaines L'homme
qui fouettait les enfants avait attiré mon attention sur
les positions du narrateur. En effet l'auteur y joue autrement, dans le
même cadre du tribunal de Bayonne (qui revient chez Gaines comme
le comté de Yoknapatawpha chez Faulkner), de points de vue différents
à l'intérieur de la narration. Dites-leur
que je suis un homme débute et finit
sur une espèce de point de vue général de la communauté
au travers de ceux de plusieurs de ses membres (y compris, au commencement
un point de vue de Jefferson : par un narrateur omniscient ? ou cela
est-il le contenu des entretiens dont l'avocat a tiré sa plaidoirie ?)
Ce récit choral, point de vue général, encadre l'évolution
parallèle des points de vue plus particuliers de Grant comme narrateur
et de Jefferson qui d'abord par son attitude où implicitement par
quelques mots, puis par l'écriture, va pouvoir exprimer le sien.
Ce livre touche sans doute en moi l'ancienne enseignante et ses convictions.
Il est aussi une merveilleuse illustration du crédit nécessaire
à faire à la pensée de l'individu et à la
reconnaissance de sa culture, si différente qu'elle soit de celle
des autres, pour arriver à un échange...
Nous sommes habitués par notre éducation à lire aisément
ce qui est écrit avec nos habitudes orthographiques et une lecture
phonétique est rebutante et fastidieuse. Lors de ma première
lecture, j'ai eu, comme beaucoup, tendance à survoler le journal
de Jefferson.
Mais, à la relecture (une relecture générale du livre,
avec au moins autant de plaisir : je découvrais bien des éléments
qui m'avaient échappé auparavant !), je me suis confrontée
à la transcription d'un discours hors code habituel, un exercice
qui avait été le mien autrefois, j'ai alors découvert
la richesse de ce journal de Jefferson. Après notre rencontre et
dans le loisir du confinement, j'ai eu envie de m'amuser à le retranscrire
parce qu'il m'avait paru un élément essentiel à l'ensemble
et pas seulement une illustration de son "repentir" dû,
avant tout, à la manière dont sa communauté l'a soutenu
dans la peine qui lui a été injustement infligée
ni non plus uniquement une illustration de la justesse du pari à
faire sur ses capacités humaines...
A propos de pari, personne n'a parlé de celui entre Pichot et le
shérif (voir chapitre 6 et leur visite à Jefferson dans
la retranscription complète du journal par
Jacqueline). Plus tard, Jefferson raconte
une dernière visite du shérif qui donne à réfléchir
sur l'importance que peut prendre un témoignage écrit, ne
serait-ce que par la crainte qu'il inspire... (voir la retranscription
récit de cette dernière visite du shérif).
Nathalie (avis
transmis après la séance, sans avoir lu les avis précédents)
Si la fonction d'une uvre littéraire est de provoquer des
émotions, ce livre remplit alors pleinement son rôle !
J'ai été traversée tour à tour par l'intérêt,
l'agacement, l'ennui, la colère, la sidération et un mal
de ventre qui a peiné à quitter mon corps une fois ma lecture
aboutie.
Je n'ai pas aimé ce livre, bien qu'au départ, j'aie pu en
apprécier l'originalité et estimer, pour son époque
de parution, l'épaisseur du projet. Mais très vite, je ne
l'ai pas aimé. Je l'ai trouvé épuisant dans la longue
liste des livres sérieux et pesants que les choix du groupe de
lecture définissent. Il a été le livre de trop pour
moi
même si je l'ai lu jusqu'au bout. Qu'est-ce que ce livre
m'apporte au XXIe siècle que je ne puisse déjà imaginer ?
Qu'est-ce que cette violence permanente imposée par la religion
sur une âme simple qui n'a rien fait au monde que de n'être
pas très maline, et au mauvais endroit au mauvais moment ?
Qu'est-ce que je ne sais déjà de notre société
basée sur le racisme, la séparation, les préjugés,
l'intolérance et basée pour certains groupes dans la croyance
et l'espérance d'une vie meilleure dans un ailleurs ? Qu'est-ce
que ce personnage principal armé de sa baguette qui impose à
ses élèves les mêmes douleurs que la société
tranchée dans laquelle sa naissance l'a projeté ? Quel
homme adulte est-il celui qui craint sa tante et ne sait s'y opposer et
relever la tête ? En quoi est-il plus humain que celui qui
se morfond en attendant sa mort et une éventuelle vie post-mortem ?
Quelle longueur dans les descriptions, les répétitions,
les leitmotivs qui semblent vouloir nous rentrer dans le crâne de
la même façon que les propos des uns et des autres. Je me
suis dit que peut-être cette lenteur d'écriture était
volontaire et en écho à l'attente du condamné. Si
c'est le cas, alors, c'est réussi ; si ce ne l'est pas, le
livre en son entier est un véritable pensum.
J'ai détesté le passage de Noël et les longues suites
de listes, j'ai détesté la tentative grotesque de retranscription
du cahier du condamné (alors que je l'ai adoré dans Des
fleurs pour Algernon). Quel intérêt ? La transcription
correcte aurait suffi et surtout aurait permis qu'on ait accès
facilement à sa sensibilité et lui aurait donné un
statut et une dignité que l'auteur lui a refusés : du coup
j'ai sauté des pages et je n'ai pas pris connaissance de son journal
dans son intégralité
Bref, par pitié
cessons pour un temps de lire des livres
aussi noirs qui ne nous permettent pas d'espérer en une humanité
meilleure.
Je ferme intégralement.
QUELQUES
INFOS SUR LE LIVRE, L'AUTEUR, SES UVRES |
UVRES
PUBLIÉES
Traduction et publication en français
Tous les livres de J. Gaines sont traduits en français par Michelle
Herpe-Voslinsky et publiés aux éditions Liana Levi.
Les titres sont traduits parfois de façon très éloignée
de l'anglais : c'est le cas du livre que nous lisons : A Lesson
Before Dying = une leçon avant la mort, est traduit Dites-leur
que je suis un homme.
LE FILM adapté du roman que nous lisons | ||
Le film de Joseph Sargent, adapté
en 1999 du roman, est
en ligne en vf ou
en vo, non sous-titré et en plusieurs épisodes, A
Lesson Before Dying : |
Cabane natale de Gaines à
River Lake Plantation dans le petit village Oscar, où il
a vécu jusqu'à 15 ans
|
Demeure du propriétaire
de cette plantation de cannes à sucre qui inspire celle d'Henri
Pichot dans le livre
|
Les "quartiers" de la
plantation où la famille Gaines a vécu durant cinq
générations - quartiers qu'on retrouve dans le livre.
|
Église-école que
fréquenta Gines durant 7 ans et qui sert de modèle
à celle du livre (rachetée et restaurée par
Gaines, voir ci-dessous)
|
Sucrerie du village où
habite Gaines
|
Boîte de nuit fréquentée
par Gaines, lieu de danse et de bagarres.
|
Ces images ci-dessus transmises
par Gaines sont extraites du livre de Valérie Croisille-Milhat,
Ernest
J.Gaines : griot du Nouveau Monde (L'Harmattan, 2006), écrit
à partir de sa
thèse.
|
|
Ernest J. Gaines a racheté
un terrain dans la plantation où il est né et a travaillé
enfant. Il y a fait construire une maison, a fait déplacer
l'église-école au fond de son jardin et s'est ensuite
occupé avec sa femme du cimetière où sont enterrés
les gens qui ont travaillé sur place (voir
ici le site d'archives achievement.org
d'où émane la photo ci-dessous)
|
|
Le président Obama décore
Ernest J. Gaines de la Médaille nationale des arts en 2012
à la Maison Blanche. Il était Chevalier des arts et
des lettres en France depuis 2000.
|
ARTICLES ET INTERVIEWS
Articles
à la sortie du livre en France
- "RENCONTRE
Ernest J. Gaines, mémoire de Louisiane", Jean-Louis Perrier,
Le Monde, 26 novembre 1994 : un article passionnant, une rencontre
avec Gaines.
- "Gaines de violence", Gérard
Meudal, Libération, 9 juin 1994.
à sa mort
- Un article qui fait le
point sur son parcours et son uvre : "La
mort d'Ernest Gaines, écrivain américain", par
Gladys Marivat, Le Monde, 11 novembre 2019.
pour approfondir
- Une étude : "Ernest
J. Gaines : Louisiane Blues", par Marie Liénard, Études,
janvier 2007. Plan de l'article : Gaines et Faulkner - Entre griot et
bluesman - Quand le blues se fait littérature - Le blues comme
lieu de mémoire - Pour une poétique du blues. Marie Liénard
a, avec Gérald Préher, rassemblé les actes d'un colloque
sur Gaines en 2006, sous le titre Plus
sur Gaines : sélection d'actes du colloque... (éd.
Atlande, 2006).
Interviews et docs en anglais
- "An
Interview with Ernest J. Gaines", par Jennifer Levasseur et Kevin
Rabalais, The Missouri Review, 1er décembre, 1999.
- "An
Interview with the late Ernest J. Gaines from 2007", site de
la Fondation de Louisiane, Baton
Rouge Area Foundation.
- Vidéo : A
Conversation with Ernest J. Gaines, documentaire
de Lawrence Bridges,
2009, 20 min (His childhood in the plantation - Education in California
- Becoming an African-American writer - His inspirations - A Lesson
Before Dying - Awards
and personal life).
- Le blog du Centre Ernest J. Gaines comporte des informations sur l'uvre
de Gaines et sa relation avec la littérature américaine,
la littérature sudiste, la littérature afro-américaine
et la littérature mondiale : ernestgainescenter.blogspot.com/
Ce que l'auteur dit
du roman (et qui éclaire sur sa composition)
Le thème
Dans Colère en Louisiane, vous donnez au lecteur les deux points de vue - noir et blanc - pour montrer ce que chaque côté vit et comment il vit.
Gaines : C'est ce que devrait être l'écriture : présenter autant de facettes que possible. Je ne suis pas intéressé à voir un seul côté de quoi que ce soit. L'une des raisons pour lesquelles je crée deux personnages tragiques avec Grant et Jefferson dans Dites-leur que c'est un homme, c'est parce que je voulais que ce soit davantage qu'une histoire sur un jeune homme noir assis dans le couloir de la mort. J'avais besoin de quelqu'un pour aller à la prison et enseigner à Jefferson, mais aussi quelqu'un qui apprendrait en enseignant parce qu'il est également en prison ; Grant est dans une prison parce qu'il est incapable de vivre comme il aimerait vivre. J'ai dû découvrir comment il pourrait sortir de ça. Jefferson, bien sûr, trouve la libération dans la mort, et Grant doit assumer la responsabilité de devenir une meilleure personne, un meilleur enseignant. Je ne voulais pas une histoire simplement sur une personne exécutée ; nous en avons eu beaucoup, trop. Je voulais autre chose, un autre élément ajouté à ce roman.
Les influences de Gaines, par exemple concernant la prison du roman
- Vous avez déjà dit que vous étiez influencé par les films japonais, dont Rashomon, l'histoire d'un meurtre racontée de plusieurs points de vue.
Gaines : J'ai vu Rashomon il y a de nombreuses années, et cela a eu un de l'effet sur moi, tout comme Faulkner, Joyce et toutes les autres uvres que j'ai lues. Ils disent que si vous volez une personne, vous plagiez, mais si vous volez une centaine de personnes, vous êtes un génie. Vous n'empruntez pas entièrement à Faulkner, entièrement de Rashomon ou entièrement à Hemingway. Vous apprenez de tous, comme tous les écrivains l'ont fait. Vous apprenez des gens que vous lisez.
Quelles sont les autres influences importantes sur votre uvre ?
J'ai été influencé par les grands cinéastes français des années 50 - Truffaut, par exemple, en particulier Les 400 coups et Ne tirez pas sur le pianiste. Quand j'écrivais Dites-leur que je suis un homme, j'ai vu un film à la télévision avec Danny Glover, et cela a eu un effet énorme sur moi. Danny Glover joue le rôle d'un travailleur social qui visite les prisons. Il y a un prisonnier qui va tout faire pour l'importuner. Les petites choses qu'il fait pour irriter Danny Glover m'ont fait penser : "ça c'est super !" Je n'ai jamais rendu visite à personne en prison à plusieurs reprises. Il y a quelques semaines, je parlais avec des enfants dans une prison à Orlando, en Floride. C'étaient des meurtriers, des marchands de drogue. Ils avaient seize et dix-sept ans. Mais je n'ai jamais fait des allers-retours comme Grant le fait dans Dites-leur que c'est un homme. En regardant ce film avec Danny Glover, je me suis dit : "C'est ce qui arrive quand vous revenez souvent en prison pour rendre visite à quelqu'un. Il va toujours chercher à faire quelque chose pour vous agacer". C'est comme ça que j'ai décidé de faire en sorte que Jefferson ne parle pas, ou dise quelque chose pour ennuyer Grant. Ce que je veux dire, c'est que vous apprenez de toutes ces situations.
Le journal de Jefferson
- Le journal de Jefferson est l'une des parties les plus émouvantes de Dites-leur que c'est un homme. Vous entrez dans sa tête, mais en tant que lecteurs, nous savons que Grant ne reçoit le cahier qu'à la fin. Il est puissant non seulement en raison de son contenu, mais aussi parce que le lecteur lit le journal avant que Grant ne le reçoive. Comment avez-vous choisi son emplacement ?
- Gaines : J'ai fait en sorte que cela fonctionne chronologiquement avec le reste du roman. Ce livre a été traduit en allemand, et ils ont déplacé le chapitre du cahier à la fin. Je pensais que ça devrait être avant la fin, de manière à ce que vous puissiez encore voir Jefferson après sa mort, après que Grant a reçu le cahier. J'ai vendu les droits à HBO. Ils sont censés commencer à le tourner en octobre 1998. Je n'ai aucune idée de ce qu'ils vont en faire ni où ils vont le filmer. Le livre a également été adapté en tant que pièce de théâtre pour l'Alabama Shakespeare Company.(...) Il n'était pas trop difficile de trouver la voix du journal de Jefferson dans Dites-leur que je suis un homme parce que je l'ai après avoir travaillé sur le roman pendant cinq ans. Je connaissais son caractère et ce qu'il dirait, comment il s'exprimerait.
La composition
- Le roman est cinématique de la même manière que La mort d'Ivan Illitch de Tolstoï. Le lecteur voit chaque mouvement des personnages comme s'ils étaient sur une scène.
- Gaines : Une des choses que j'ai apprises de Pères et enfants de Tourgueniev est que quelque chose se passe toujours dans un cadre, puis vous passez à autre chose. Si vous regardez les chapitres de ce roman, je pense qu'aucun n'est plus long ou plus court que les autres. J'ai rédigé un brouillon chaque semaine, puis je l'ai revu. Ils finissaient toujours par avoir le même nombre de pages. J'ai dû écrire ce livre sur une période de sept ans, n'écrivant que la moitié de l'année parce que j'enseignais à l'USL. Je retournais à San Francisco fin décembre et je recommençais à la fin janvier, j'écrivais jusqu'à fin juillet, quand j'étais prêt à revenir à Lafayette et à enseigner. Dites-leur que je suis un homme est le seul roman que j'aie jamais écrit de cette façon, et cela m'a vraiment fait peur, la première fois, parce que je ne savais pas comment j'allais m'y remettre après l'avoir mis de côté pendant six mois. J'avais peur que le lecteur voie ces pauses, alors j'ai travaillé à les aplanir. Il est possible que cette manière de faire ait été bien, parce que si le roman avait été écrit en trois ans, je n'aurais peut-être pas eu autant d'éléments différents dans l'histoire. Ainsi je ne sais pas si j'aurais eu le cahier, dans l'histoire.
Le succès en 1997
Grâce à Oprah Winfrey, star de la télévision américaine, qui a fait avec l'Oprah's Book Club, de 1996 à 2011, la promotion d'auteurs qui connaissaient à la suite de l'émission un boom dans les ventes.
- Le roman avait déjà attiré l'attention lorsqu'il a remporté le National Book Critics Circle Award en 1993. Avez-vous senti que vous avez eu de nombreux nouveaux lecteurs en raison de l'influence d'Oprah ?
- Gaines : Oh oui. Avant, le livre se vendait bien, mais il se vendait aux lycées et aux bibliothèques. Avec Oprah, il s'est vendu au grand public. Il y a eu entre 800 000 et un million d'exemplaires imprimés dès qu'elle l'a annoncé. Tout le monde connaissait l'Autobiographie de Miss Jane Pittman, mais on ne savait pas qui l'avait écrit. Maintenant, ils savent qu'Ernest Gaines a écrit Dites-leur que je suis un homme parce qu'ils m'ont vu dans l'émission. Je reçois de nombreuses lettres de personnes de tout le pays et de différentes régions du monde, et la plupart d'entre elles viennent d'hommes blancs, probablement d'âge moyen. C'est la première fois que je reçois des lettres de ce groupe particulier. Bill Gates a déclaré que Dites-leur que c'est un homme était l'un de ses livres préférés, avec L'attrape-curs. C'est bon à entendre, mais il ne m'a jamais envoyé des trucs informatiques. J'ai toujours reçu de nombreuses lettres d'étudiants, mais il semble que Dites-leur que je suis un homme ait touché beaucoup de gens.
- Comment avez-vous vécu toute cette attention à votre égard ?
- Gaines : Je suis heureux que les gens lisent le livre, mais à part ça, rien n'a changé pour moi. J'enseigne. Ma femme et moi allons toujours dans les mêmes restaurants. Nous rendons toujours visite à nos amis, des choses comme ça.
Tous ces propos sont extraits de "An
Interview with Ernest J. Gaines", par Jennifer Levasseur
et Kevin Rabalais, The Missouri Review, 1er décembre 1999.
Par ailleurs, on peut écouter en anglais une conférence
de Gaines sur son livre, 5 octobre 2000, Old Dominion University,
Norfolk, Virginie (1 h).
Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme
au rejet :
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