Points, 384 p. Quatrième
de couverture :
Anellia a toujours vécu envers et contre.
Fille de rien, elle trompe le destin en intégrant l'université.
Intellectuelle brillante, elle renvoie ses camarades à leur médiocrité
et à leur ambition risible de trouver un mari. Mais sa rencontre
avec Vernon Matheius, un étudiant noir qui tient tête au
professeur et aux insultes racistes fusant dans lamphithéâtre,
lui fera lever un tabou beaucoup plus grand. Née en 1938, Joyce Carol Oates est une nouvelliste et romancière prolifique, récompensée par de nombreux prix littéraires. Les Chutes, Mudwoman et Maudits sont notamment disponibles en Points. « Je vous emmène véhicule,
avec humour, une ardente envie de la vie. » (Olivier Barrot, « Un
livre un jour », France 3) Quatrième de couverture : « En ce début des années soixante, nous n'étions pas encore des femmes mais des jeunes filles. Fait qui, sans ironie aucune, était considéré comme un avantage. » Ainsi commence cette chronique de la vie d'un campus américain à l'époque où le seul diplôme reconnu pour une demoiselle qui se respecte était une bague de fiançailles. Que se passe-t-il dans ce petit monde édulcoré quand une jeune femme pas comme les autres s'éprend d'un étudiant noir alors que la ségrégation raciale bat son plein ? Voilà le point de départ de ce tableau d'une Amé-rique avant la tempête, encore perdue dans ses rêves d'innocence. Bien plus qu'une réflexion critique sur une période souvent évoquée avec nostalgie, Je vous emmène retrace le parcours d'une jeune fille indépendante, à la fois vulnérable et rebelle. Pleine d'humour et de doutes, c'est dans l'écriture qu'elle trouvera sa place et construira son identité en dehors des modèles offerts. |
Joyce Carol OATES (née en 1938)
|
Les 25 avis sont très
partagés dans les deux groupes parisiens...
|
||||
|
||||
fermé ! |
ouvert
¼
|
½
|
¾
|
grand
ouvert !
|
Anne
|
||||
Séverine G | Françoise D | Monique M | Monique L | |
Inès
|
||||
DES INFOS autour du livre
en bas de page :
Quelques éléments biographiques
Une
uvre prolifique qui
mobilise nuit et jour les traducteurs...
Interviews et portraits : vidéo, radio,
articles
Avis de l'ancien groupe parisien
Monique
L Nathalie
R |
Avis transmis lus pour commencer
Monique L
Je n'avais jamais lu de livre de cette auteure.
J'ai vraiment été happée par ce roman dont les trois
parties m'ont autant intéressée l'une que l'autre.
Ce qui est original et que j'ai aimé c'est le recul du point de
vue d'une jeune fille qui se sent différente. J'ai beaucoup aimé
la narratrice, son originalité, sa façon de s'analyser sans
concession, de dépeindre ses sentiments et sa vision du monde avec
beaucoup d'acuité.
J'ai apprécié le procédé utilisé pour
noter le contraste entre ce qu'elle dit et ce qu'elle pense. Ces passages
en italique sont soit des citations car c'est dans sa culture qu'elle
trouve les mots pour le dire, soit ses propres réflexions. La narratrice
qui change de prénom dans chacune des parties du roman, cherche
ses repères. Elle nous fait partager ses pensées et ses
expériences qui vont la mener à l'âge adulte.
Le sujet de ce roman c'est la quête d'identité et c'est ce
qui fait l'unité des 3 parties. Tout au long de cet écrit,
la narratrice nous livre introspections et réflexions d'ordre philosophiques
sur la vie, sur l'hypocrisie sociale, sur la ségrégation,
sur les hommes, sur la vérité. Elle se sent fautive, coupable,
à la recherche de l'amour des autres.
Dans la première partie, elle cherche à s'intégrer
dans une de ses maisons bourgeoises qu'on nomme les "sororités"
pour trouver une famille de substitution. Elle y est complètement
décalée, ce qui donne une description très mordante
du lieu et de ses occupantes.
Dans la deuxième, elle trouve l'amour avec un doctorant en philosophie,
très brillant intellectuellement, mais très égoïste
et pessimiste. Ils seront amants mais ne formeront jamais un couple. Son
amour n'est pas payé de retour. Elle cherche à être
ce qu'elle pense qu'il veut qu'elle soit. Le fait qu'il soit noir lui
permet de décrire le racisme ambiant qui lui est étranger
"Je n'aurais pas isolé
la négritude de ses autres qualités. Certes, c'était
un fait de son être. La première chose qui frappait l'il,
mais ce n'était pas un fait définissant ni définitif."
(p. 173)
Dans la dernière partie, c'est la rencontre avec son père
moribond qu'elle ne peut même pas voir, qui la conduira à
la maturité.
Certes le parcours et la personnalité de la narratrice ne sont
pas communs mais ses questionnements le sont : la recherche de la
reconnaissance par notre entourage, l'acceptation de son corps (au moment
de l'adolescence), l'image que nous donnons et recherchons par notre look
L'écriture est incisive, le ton est mordant.
J'ouvre en entier.
Brigitte, entre
et
Livre intéressant d'un auteur que je ne connaissais pas. Même
si ce livre n'atteint pas le niveau de celui d'Appelfeld,
il mérite le détour.
La description des épreuves et des désarrois de l'adolescence
est magistrale. L'écriture est aussi chaotique que les états
d'âme de la jeune narratrice, à la recherche désespérée
d'une identité. L'héroïne-narratrice ne donne jamais
son prénom : ce n'est ni Mary Alice, ni Anellia, qui sont
seulement des avatars associés aux phases Pénitente ou
Négrophile qu'elle traverse.
Comment peut-elle réussir aussi brillamment sur le plan universitaire,
en vivant dans un tel marasme intérieur ? Son immense bagage
philosophique, auquel elle se réfère à chaque instant,
ne lui est jamais d'aucune utilité pour faire face à ses
terribles problèmes existentiels.
Tout son parcours est résumé à la fin, quand au cours
d'une promenade dans l'Utah, elle aperçoit de loin des formes,
qu'elle imagine immédiatement être des objets merveilleux,
et qui sont en fait ce qu'elle nomme des "distorsions
visuelles" : une flamme bleue est une cruche brisée,
"un poney blanc broutant
dans l'armoise près d'un torrent à sec"
s'avère n'être qu'un amas de contreplaqué et de polystyrène,
etc.
J'ai relevé quelques bonheurs d'écriture, tel à la
p. 183 (éd. Points) : "Mon
rire de cafétéria sonnait comme des pièces jetées
sur le sol."
Le choix du titre, qui est aussi la dernière phrase du livre ne
m'a pas convaincue.
J'hésite entre ouvert à moitié ou aux trois quarts.
Manuel
La couverture du livre ne me tentait pas. Une histoire de sororité,
bof. Je ne bouderai pas ce livre car j'ai eu un vrai plaisir de lecture.
L'écriture fait fi de toutes les règles de ponctuation.
J'ai été emporté par les rebondissements. Anellia
est parfois très ridicule : la pauvre fille brillante mais
pas dans tous les domaines et dont on ne connaîtra jamais le vrai
prénom. C'est un principe chez moi, on ne fouille pas dans les
affaires des autres, c'est mal ahahaha. L'histoire d'amour avec Vernon
m'a souvent fait rire
Elle se met dans des situations ridicules.
Encore un récit sur un Noir aux US pendant la lutte des droits
civiques. J'ai trouvé la ficelle un peu grosse : Vernon qui
a abandonné sa famille comme le père de d'Anellia. Pour
moi, les derniers chapitres de la rencontre avec le père (est-ce
qu'elle tiendra sa promesse ?) sont des réussites. J'ouvre
aux ¾. Bonne dernière soirée avant la période
de couvre-feu.
Denis
Je suis très embarrassé par ce livre, à la fois attachant
et insupportable de répétitions, d'obsessions, de comportements
absurdes et inexplicables. Ça, c'est mon impression avant d'avoir
lu quoi que ce soit de ce livre de JCO. J'en avais lu deux, dont j'ai
oublié les titres (et je ne vais pas chercher dans la liste de
ses dizaines d'ouvrages), d'ailleurs assez plats (les titres). Ces deux
romans m'avaient laissé un goût de malaise, de perversité
foncière chez les deux héros. Perversité pas très
méchante, mais le goût des situations ambiguës, pouvant
basculer dans le drame.
Je n'ai pas retrouvé ces impressions dans le présent livre.
J'ai d'ailleurs trouvé que l'intrigue est trop simple, trop ordinaire :
une espèce de roman de formation (éducation, amour, mort
des parents).
Mon impression a totalement changé quand j'ai lu plusieurs pièces
du dossier rassemblé par Claire. D'abord l'affirmation que Je
vous emmène est, parmi ses livres, le plus proche d'une autobiographie.
"Proche", cela veut dire quoi, je me le demande. Mais cela suffit
à transfigurer tout le livre, "comme si c'était vrai".
La pauvreté de l'intrigue devient un destin personnel dramatique.
Est-ce donc un procédé de romancier-romancière ?
Du coup, la lecture, de laborieuse et pesante (j'ai sauté beaucoup
de lignes et d'alinéas) devient excitante.
J'ai beaucoup aimé la personne qui se montre à travers les
interviews.
Je la trouve honnête et lucide. J'aime son étonnement devant
sa fécondité d'écrivaine.
J'aime aussi ce qu'elle dit de l'écriture comme expérience
de
changement de personnalité. L'anecdote
du supermarché, où elle s'enfuit devant une cliente
qui s'efforce de la reconnaître, est particulièrement drôle.
Bref, j'aime bien ce livre, même s'il est pénible à
lire. Mais je
n'aurais pas cette opinion favorable s'il n'y avait pas eu ce dossier
très riche. Merci Claire !
J'ouvre aux ¾.
Etienne, entre
et
Ce fut une lecture assez déroutante. Il faut dire, j'ai beaucoup
plus ri que prévu !
J'y ai trouvé de grandes qualités, notamment un certain
panache dans l'écriture, des personnages assez bien ciselés
avec peut être une filiation "rothienne" dans cette ambiance
poisseuse, ces personnages torturés un peu ridicules, ainsi que
certaines obsessions sur le corps mais avec une touche d'humour assez
féroce. Les citations et les références philosophiques
à outrance donnent un côté premier de la classe assez
puéril. Je ne sais pas si c'est volontaire mais j'ai trouvé
ça pathétique et drôle, donc réussi.
J'ai quelques réserves tout de même :
- la première partie sur la sororité m'a semblé vaine
et caricaturale (elle le concède volontiers dans les interviews
si j'ai bien lu) et je ne comprends pas vraiment l'impact que cette longue
partie a sur Anellia, ni sur le déroulement de l'histoire. Je vois
dans ce récit une réflexion sur l'impossibilité de
se couper complètement de ses racines, un certain échec
d'être transfuge de classe, un plaidoyer pour s'accepter, la vanité
d'une approche trop "philosophique" de la vie. Et on comprend
ce qu'Oates a voulu faire avec l'emblème de la sororité,
mais encore une fois Anellia semble beaucoup trop mature pour intégrer
ce genre de club et accepter la mentalité qui en découle.
Par la suite, la partie avec Vernon transcende le récit.
- L'utilisation incessante des points virgules qui me semblait non justifiée
(peut-être pour retranscrire les errances mentales d'Anellia ?).
Je suis assez sensible à la ponctuation et cela m'a donné
l'impression d'un plat mal équilibré, trop salé ou
poivré.
En résumé : oui c'est un bon livre, oui c'est un livre pour
le groupe lecture, non ce n'est pas le livre de l'année.
Je l'ouvre entre la moitié et 3/4 (les 2/3 classiques quoi !)
Nathalie R
J'aurais vraiment aimé être parmi vous ce soir et découvrir
la façon dont vous avez perçu cette uvre étrange
-presqu'un ovni pour moi qui n'ai jamais lu Oates. Il me tarde également
de prendre le temps de lire ce week-end le dossier
que Claire nous aura concocté. Alors que je réfléchissais
à la façon dont je pourrais ouvrir mes notes de lecture,
la seule idée qui m'est venue en tête a été
que j'étais montée pendant quelques heures dans un manège
de fête foraine qui m'a projetée en tous sens et m'a
donné une sensation de vertige inouïe - propulsée
de la pure joie à la pure terreur -
tour à tour... ; de la même façon que la construction
du livre m'a éjectée d'un monde
à un autre et a éjecté les personnages,
les lieux et les situations brutalement et sans lien apparent. C'est donc
plus particulièrement pour cela que je parle d'ovni littéraire.
Je pourrais vous dire comment je me sens verte encore d'en avoir parlé
autour de moi comme d'une histoire d'amour incroyable, alors même
que je me faisais mener en bateau et que j'étais dans l'impossibilité
d'anticiper que cette histoire se terminerait aussi crûment qu'elle
avait commencé.
Mais alors, dira Claire, tu l'as aimé ou
pas ce livre ? Oui, je l'ai aimé, énormément
et j'ai envie qu'on le lise. Je n'ai pas cessé d'annoter ce livre
du début à la fin. J'ai adoré #800080, du système
cloisonné des congrégations. Pauvre Madame Thayer
horribles jeunes filles dont le seul but est de profiter sans aucune limite
de leur jeunesse tout en mettant tout en uvre pour être mariées
avant 22 ans
horribles anciennes élèves
kappa dont les corps se sont
épaissis et les avenirs rétrécis "pour
reproduire l'espèce il faut être fécond ; pour
être fécond il faut manger". Portraits au
vitriol d'une jeunesse sans élégance, bête et cruelle.
Et que dire alors de ce type à la peau d'ébène
qu'on a envie d'aimer autant qu'elle, parce qu'on le voit comme
elle nous le décrit, mais dont la violence et le désir sidèrent
et effraient. Quelle force dans les chapitres !
Quel amour ! Quelle sensation de "vrai"
je me suis
noyée dans ces chapitres-là ! J'ai adoré la
narration, le rythme, les longues phrases, les réflexions, j'ai
adoré la modernité de ses dénonciations ("c'était
un professeur de mots et non d'êtres humains"),
la délicatesse quand elle évoque
la perte des images mentales qu'elle a de sa mère, son obsession
à être aimée du père
sa liberté
à choisir ce qu'elle décide - quand bien même elle
se roulerait aux pieds de cet homme qui la maltraite et la traite de "putain
blanche" (sic). Oui, un roman
de vie car que serait une vie sans cette impression de manège
fou qui tourne et vous emporte, "car
qu'est-ce que la vie sinon ses mille surprises, sinon ce qui va se passer"
et la force de cette brindille de fille que d'y résister !
Mais aussi cette profonde réflexion sur les miroirs qui ne reflètent
que ce que nous souhaitons ou supportons de voir de nous-mêmes ou
ce que nous voyons pour nous punir ! De même que "les
regards des autres voient ce qu'ils souhaitent voir avec leurs yeux imparfaits".
En ce qui concerne la vraisemblance des événements
qui ne seraient qu'être "fortuits", je me dis que
pas une seconde je ne crois à l'idée que le père
eût pu renoncer à leur dire qu'il était en prison,
vu le peu de considération qu'il semblait avoir pour ses enfants
(qui le lui rendent bien) afin de leur épargner cette honte/cette
souffrance.
Je suis interrogée également (il faudrait voir avec la traduction)
sur deux points. Existe-t-il un jeu de mot sur l'utilisation
du mot "personne" utilisé par Victor quand ils
discutent sur ses origines et le fait qu'elle lui oppose ("Dans
ce cas, je ne suis personne") qu'il ne devrait pas
s'assimiler à ses ancêtres - qui me fait penser à
Ulysse. Et précisément relié au fait (sauf erreur)
que jamais on ne sait le véritable prénom d'Anellia qui
me fait également penser au sacrifice de l'agneau.
Un dernier détail qui m'interpelle
(c'est mon tic à moi) : j'espère ne pas être
la seule à avoir tiqué à l'utilisation très
fréquente de la subordonnée concessive
"quoique" tout au long du livre
(il faudra me dire comment elle est traduite en anglais et si c'est habituel
qu'elle soit si utilisée !).
Bref, j'ouvre en grand ! Merci !
Nous glosons sur la subordonnée concessive dont plusieurs ignares n'avaient jamais entendu parler...
Avis des présents
Laura(qui,
comme l'héroïne du livre, étudie la philosophie)
J'ai détesté le livre à un tel point que j'ai hésité
à le jeter dans le caniveau. Mais j'ai fini par me dire que le
revendre serait plus utile. Je vais ici le critiquer, mais je n'ai même
pas lu l'ouvrage en entier : au bout de 180 pages, il fallait que
j'arrête de me flageller.
Deux raisons m'ont menée à de tels retranchements :
une certaine prétention du personnage à la philosophie,
et donc bien entendu le personnage lui-même.
Commençons par la philosophie. C'est un véritable
massacre, une imposture, un sacrilège ! Citer Wittgenstein
comme introduction au roman n'apporte aucune légitimité
aux citations spinoziennes hasardeuses. "Dix
fois je relus sans comprendre J'entends
par cause de soi, ce dont la nature ne peut être conçue sinon
comme existante." (p. 28).
Ah ça oui, elle pouvait continuer à relire cette phrase
pour l'éternité. Il est clair qu'en amputant la toute première
définition de l'Éthique de Spinoza de la moitié
de son être, on ne va pas loin : "I. J'entends
par cause de soi ce dont l'essence enveloppe l'existence ; autrement dit,
ce dont la nature ne peut être conçue sinon comme existante."
(Éthique, Première partie :
De Dieu, Définition 1, éd.
GF). Au moins, avec Spinoza, on a un (faible mais non négligeable)
espoir de compréhension. Alors, choix de l'autrice ? De l'édition ?
De la traductrice ? Quoi qu'il en soit, il suffit de tomber sur n'importe
qu'elle citation spinozienne au cours du roman (pas celles d'ouverture
de chapitre), pour comprendre que l'excellence philosophique du personnage
est à remettre en question. Il en va de même pour les idées
toutes faites, insérées de-ci de-là et faussées
: "Un homme séduisant
pour son âge, trouvais-je ; quoique n'aimant pas juger l'apparence
des aînés que je révérais. Les philosophes
grecs n'enseignaient-ils pas, en effet, que les apparences sont illusoires,
trompeuses ?" (p. 135).
Alors là, moi je dis stop. C'est une question rhétorique ?
Je brûle, je me consume d'exaspération : non, non et NON.
C'est bien connu pourtant, et je l'ai étudié dès
ma L1 : bien entendu que certains Grecs pensent
que les apparences sont trompeuses, comme Platon, qui l'explique dans
sa théorie sur l'art (disséminée dans la République
et d'autres dialogues plus courts). Mais les apparences sont essentiellement
trompeuses dans l'art uniquement : exemple des raisins de Zeuxis.
Le peintre, à l'occasion d'un concours, dessine des raisins que
même les oiseaux confondent avec la réalité ; son
adversaire (dont j'ai oublié le nom), peint des rideaux, que les
grecs eux-mêmes confondent avec la réalité. Mais,
au contraire, jamais - mais au grand jamais - il n'a été
question des apparences physiques ! En Grèce antique, si on
est beau on est intelligent, si laid, idiot. Mais Socrate est une exception.
Enfin
pfft.
Deuxième raison de mon énervement : le
personnage. Je n'ai même pas envie de m'étaler. Elle est
naïve, masochiste, franchement marginale en bizarrerie, bref, elle
m'a vraiment dérangée. En soi, je ne l'empêche pas
d'être elle, mais quel intérêt trouve-t-on a son histoire ?
(Claire a proposé alors un second niveau de lecture : si le
livre m'a fait tant d'effet, c'est qu'au moins il est puissant. Et je
ne peux pas rejeter cette proposition, Oates excelle dans l'insupportable.)
Je retiens un seul passage qui m'a touchée : "Le
danger de tomber amoureux, en hiver."
(Partie 2, ch. 1)
Claire
J'avais lu
Confessions d'un gang de filles : je me souviens de scènes
fortes mais sans avoir été emballée. Avant d'attaquer
Je vous emmène, j'ai lu un titre que nous avions collecté
parmi les livres courts candidats à la Semaine lecture, Délicieuses
pourritures, un titre vraiment attirant, publié en 2002
comme notre livre. Même univers de rivalités et de masochisme,
avec une jeune héroïne également étudiante.
Mais plus ramassé, j'ai davantage apprécié. Pourtant
il y a trois parties bien différentes susceptibles de relancer
l'intérêt. Comme Délicieuses pourritures, c'est
d'une perversité gratinée.
La question de la vraisemblance m'a gênée : d'abord les personnages
sont trop caricaturaux, trop c'est trop. Puis je me suis dit... il est
bien noir... j'y vois bien ? Et le fait qu'il est noir passe comme
de rien n'était. Or c'est pas possible, alors que sont évoqués
manifestations pour les droits civiques et attentats à la bombe
du Ku Klux Klan situant les années 60, que cela soit aussi anodin.
La narratrice, brillante et totalement cruche, tête à claques
et maso, a une capacité d'analyse et de distance hors pair, "trop
maligne pour son bien" dit sa patronne pour qui elle fait le ménage :
est-ce que ça tient la route ?
La partie dans la "sororité" - institution américaine
qui aurait mérité une note, non ? car la traduction est
trop bizarre - n'en finit plus. Le long retournement de Vernon Subutex,
euh de Vernor Matheius, m'a barbée, même s'il prévoit
d'écrire un traité au sujet prometteur : L'épistémologie
de l'Inspiré et du Merdeux.
Il y a des scènes très fortes (par exemple les scènes
de sexe ratées), l'auteure ose tous les pires. Son écriture
se fait parfois incisive, sans parler de la page bellement scandée
sur la voix (partie 2, ch. 2). Les références
philosophiques sont pour moi décoratives. Elles montrent que la
pauvre fille brillante les rend totalement vides pour vivre. Comme dit
Brigitte, ça ne l'aide nullement à vivre. Les dernières
lignes laissent penser qu'elle s'en est sortie après la dernière
épreuve du père monstrueux sur lequel, telle Orphée
elle n'a pas le droit de se retourner. J'ouvre le livre à moitié,
car il est trop ceci et trop cela. Au passage, l'éditeur n'a même
pas jugé de bon de faire une table des matières. Devant
ce manque paratextuel..., je me suis dit : mais finalement, c'est un livre
centré sur la psychologie des personnages bien torturés,
est-ce que ça m'intéresse dans le fond ?
Après cette question dont je n'ai pas encore la réponse...,
je me suis passionnée pour Joyce Carol Oates, qui est elle aussi
trop de chez trop : quelle nana !
Séverine V
On m'avait offert Blonde
dont je n'avais lu qu'un quart, je nai pas dû être transportée
pour mêtre ainsi arrêtée dans ma lecture.
Ce livre commençait bien : la description de la sororité
donnait envie den savoir plus, puis jai trouvé cela
long
et encore je pense que la première partie est la plus
aboutie. Mais globalement, je ne vois pas ce que cherche ce livre, ce
quil apporte. Les trois parties forment peut-être un tout
cohérent, mais franchement je nen suis pas convaincue
surtout la dernière partie qui tombe comme un cheveu sur la soupe
Encore une fois : que fait l'éditeur ?...
La narratrice ne ma pas interpellée : elle se définit
de suite comme différente et ne nous laisse pas le plaisir de le
découvrir. Elle se met volontairement dans des situations où
on voit tout de suite que ça ne va pas marcher ; elle est
plus intelligente que les autres, et alors ? Et de tout ça,
qu'est-ce qu'on en retire ? Je suis étonnée que Denis
change d'avis parce qu'il apprend que c'est autobiographique : et
alors ? Je trouve en revanche plus intéressants les personnages
de Mme Thayer et de la compagne de son père. Elles ont une aspérité
qui semble plus réaliste.
Si ce n'avait pas été pour le groupe lecture, j'aurais arrêté.
En le lisant, j'ai eu envie de dire : "and so what ?" L'écriture ?
C'est pas bouleversant. Je n'ai pas eu de plaisir. Je ferme.
Catherine
J'avais lu Mudwoman
(parfois je lis en anglais) : une histoire qui met mal à l'aise,
d'une universitaire qui, enfant, a été abandonnée
dans les marais, dans la boue, qui se surveille en permanence, revient
adulte sur les lieux de son enfance, et pète un câble, c'est
bien flippant.
J'ai retrouvé l'ambiance... Oates est douée pour créer
une ambiance où on n'est pas bien. Elle a un talent d'écriture,
on y est. Mais c'est long. Pourquoi elle se flagelle ? Elle ne mange plus,
elle est mal sapée, elle ne se lave plus... Oui, elle ose... par
exemple quand le père fait un borborygme, elle traduit en faisant
une phrase de trois kilomètres...
Incisive, ça a été dit pour l'écriture, oui.
Est-ce que j'ai aimé ? Je n'irais pas jusque là. J'ouvre
½. C'est très américain, il y a d'ailleurs plein
de romans qui traitent de relations vraiment atroces dans les universités.
C'est pas que j'aime, mais j'ai envie quand même d'en lire.
J'ai été étonnée par l'utilisation du mot
nègre
Si la traduction était refaite
Jacqueline
Ça fait 15 jours que je l'ai lu et j'ai beaucoup oublié.
Vous avez parlé de perversité, ça me dérange.
Je n'ai pas pensé ça. J'ai marché tout le temps.
J'ai trouvé que c'était une lecture trop facile.
Claire
Un roman de gare ?...
Jacqueline
Oui, un peu. Les trois parties, ça ne m'a pas gênée.
C'est un peu long quand même. Les scènes avec la patronne
de la sororité m'ont bien plus, mais cela aurait pu être
plus court. Je me suis bien amusée.
La deuxième partie, c'est bien quand elle est séduite par
sa voix.
L'interdiction de regarder son père dans la troisième, je
n'y ai pas cru. Par contre, le portait de la femme qui s'en occupe est
très crédible, dans le bistro.
Séverine
Les personnages secondaires sont intéressants.
Jacqueline
J'avais lu Blonde
: c'est aussi une histoire de déclassement, où il s'agit
de trouver une place ; je n'avais pas été emballée.
Si c'est autobiographique, cela me fait aussi voir différemment.
Rozenn (avis
transmis)
Je n'ai pas pu envoyer d'avis sur le livre de Joyce Carol Oates pour la
soirée.
Je me sentais trop impliquée et, en même temps, je ne supportais
pas le personnage (j'avais souvent envie de lui botter les fesses), dans
la déception plus que dans l'action, c'est ce qui est mis en avant
alors qu'elle réussit tout ce qu'elle veut, même ses échecs.
L'écriture m'a aussi seulement à moitié séduite.
J'aime beaucoup certaines phrases de fin de chapitres décalées.
Il y a de l'humour.
J'ai aimé sa façon de parler des relations familiales. En
creux, en manque, par bribes.
Mais je me suis arrêtée au début de la deuxième
partie et j'ai eu du mal à finir.
Et pour alimenter nos débats, voici ce que dit Simone Schwarz-Bart
de son mari écrivain (j'ai aimé tout ce que j'ai lu d'eux) :
Ce fut affreux, stupide, injuste. Des Antillais ont osé prétendre qu'un homme blanc ne pouvait honnêtement écrire sur les Noirs ! Des intellectuels proches des indépendantistes n'ont pas supporté que le grand livre de résistance à l'esclavage soit écrit par un juif ! (voir la suite)
Avis du nouveau groupe parisien
Séverine G (avis transmis)
J'avoue avoir calé sur le livre de Joyce Carol Oates, il est rare
que je n'aille pas au delà du premier chapitre dans un livre, mais
là... et ne vous ferai donc pas part de mon avis cette séance-ci.
Je lirai néanmoins vos avis avec grand intérêt, et
peut-être ceux-ci me feront avancer un peu plus dans ce livre, que
j'avais acheté, et qui est donc posé sur mon bureau, en
souffrance...
Audrey
Je n'ai pas eu de plaisir à découvrir cette auteure et à
la lire. Il y a beaucoup de moments morcelés, mais il vrai que
je n'ai pas eu beaucoup le temps nécessaire pour y réfléchir ;
c'est une plongée dans un univers très marqué, tant
sur le plan des scènes, de la sociologie que sur le plan géographique.
Oates décrit de très beaux paysages avec les montagnes,
les motels, le désert. C'est fort. J'ai perçu cette femme
de façon contradictoire : d'une part elle est comme en lambeau
et d'une grande fragilité et d'autre part elle a une grande force
pour rester en vie. Elle va jusqu'au mensonge et se soumet à des
injonctions et elle résiste. Ainsi évolue-t-elle constamment
entre le vrai et le faux. C'est saisissant. Elle finit par se rassembler
et rassembler ses parents. J'ai aimé le style et trouvé
intéressant les moments en italique qui correspondent à
sa vraie pensée tandis qu'elle est décrite dans une action
différente.
Monique M
Je suis entrée dans ce roman un peu à reculons, agacée
par l'esprit de persécution du personnage principal, son masochisme,
l'atmosphère un peu glauque qui accompagne son parcours. Et puis
je me suis laissé prendre comme dans un polar, sans prendre une
note, en lisant tout avec la soif de voir où tout cela allait la
conduire.
Ce livre est d'une grande maîtrise, une grande puissance ;
on entre peu à peu dans la psychologie du personnage. L'enfance,
le reproche implicite qui est fait à la narratrice que sa naissance
a causé la mort de sa mère, l'épouse adorée
du père, conditionnent toute sa vie. Aucun geste d'affection de
la part de la famille ; le père est fier de ses succès
scolaires, mais songe aussitôt à son épouse : "Tu
es comme elle, fine comme une lame" lui dit-il. Toute
sa vie, ballottée entre d'énormes complexes et une audace
extrême, elle se sentira illégitime, se cherchera une famille
et sera en quête d'identité. Toute cette analyse psychologique
est parfaitement conduite par l'auteure.
La première famille de substitution sera l'institution Kappa Gamma
Pi où elle espère trouver les surs dont elle rêve.
Joyce Carol Oates y porte un regard féroce, une analyse très
fine, impitoyable, des murs qui y sévissent, du décalage
qui existe entre l'institution qui se prétend exemplaire et le
laxisme qui y règne.
La façon dont elle décrit la bâtisse, une imposante
demeure perchée au sommet d'une colline si abrupte qu'aucune pelouse
n'aurait pu y pousser, une demeure à la porte majestueuse au lourd
heurtoir de cuivre, mais dont le carillon délicat, harmonieux,
contraste avec la lourde architecture suggérant ce que l'atmosphère
des lieux pouvait avoir de sournois, de subversif, annonce le caractère
inquiétant de l'institution, trait qui se renforce de page en page.
Tout dans le décorum, le mobilier, les lustres, les tentures, est
à la fois splendide et lugubre ; le couvercle du piano, un
Steinway toujours fermé, est clos comme un cercueil ; lorsque
dans la pénombre de la pièce, elle s'y asseoit, pose ses
doigts sur les touches, appuie avec douceur, elle éveille un son
léger, tremblant, sous-marin
On a l'impression d'entrer dans
un espace sacré, une sorte de secte où tout peut arriver.
À cette atmosphère glauque, s'ajoute le caractère
particulier de Marie Alice, son caractère introverti, masochiste,
qui la pousse en permanence à s'avouer coupable de faits qu'elle
n'a pas commis, tout en étant capable d'audace extrême en
violant l'espace privé de Mrs Thayer, fouillant ses appartements
et révélant à tous son existence pitoyable.
La deuxième partie commence par le son d'une voix, une voix qui
provoquait, contrariait, harcelait, comme les babines retroussées
d'un chien d'attaque ; voilà qui annonce bien la suite. Elle
tombe amoureuse de cette voix, la voix de Vernor Matheius, un doctorant
en philosophie à l'esprit étincelant, dont elle devient
la maîtresse, la nounou, l'esclave, avant de s'en faire rejeter
de façon brutale. J'ai été happée par cette
partie qui oscille entre rappels philosophiques et situations délicates
voire sordides (la scène du restaurant où son couple Blanche/Noir
crée réprobation et hostilité, la crasse de l'appartement,
cette façon sauvage qu'il a de la posséder et la façon
dont elle résiste à tout, assoiffée qu'elle est d'être
reconnue, aimée). Il l'appelle Anellia, Mme Thayer l'appelait Marie
Alice, on ne saura jamais quel est son véritable nom ; cette
histoire est bien celle d'une quête d'identité, de légitimité.
Et puis la dernière partie, les retrouvailles avec le père,
comme une rédemption. Enfin, il l'appelle, enfin il la désire
auprès de lui avant de mourir, son visage est si détruit
par la maladie qu'il ne peut plus être regardé, elle s'assied
donc de telle sorte que c'est elle maintenant qui lui tourne le dos, mais
on sent que le lien est rétabli.
Superbe livre aux portraits de personnages saisissants, brillants, décrits
avec mordant et justesse, Joyce Carol Oates est une excellente portraitiste :
Mme Thayer, les pensionnaires de Kappa, Vernor Matheius, Hildie Pomeroy
sont étonnants de vérité. J'ouvre aux ¾.
François
Un coup de foudre, par principe difficile à expliquer, pour ce
livre. Peut-être à cause de la force et de la véhémence
du récit écrit à la première personne, comme
une véritable descente aux enfers dont on ne sort pas indemne.
Il rend un son autobiographique que Joyce Carol Oates n'a pas caché.
(Je trouve confirmation de cette impression dans les informations transmises
par Claire : "Le
personnage non nommé de Je
vous emmène s'exprime
avec ma voix pratiquement inaltérée... Anellia est un autoportrait
à peine déguisée, un autre moi-même.")
JCA nous entraîne au cur de cette Amérique wasp et
trumpienne dont elle fait un tableau glaçant et tellement actuel.
Sa tragédie personnelle n'est pas séparable de ce contexte
qu'elle décrit avec une force hallucinante. Beaucoup des personnages
font penser à des marionnettes vivantes. La sororité chrétienne
tient du ballet mécanique qui la refoule impitoyablement à
cause de ce qu'elle est : juive, pauvre et disgracieuse. Le personnage
de la Mère supérieure est aussi drôle que féroce
et la haine plus ou moins fusionnelle qu'Anellia éprouve pour elle
est extraordinairement décrite. Mais tout se tient dans ce roman.
Qu'il s'agisse de la famille, de la société, de l'homme
(il mériterait un long développement) dont elle va tomber
amoureuse ("Tu as trouvé
ce que tu cherchais"), c'est la même implacable
nécessité qu'elle affronte avec une décapante lucidité
qui me rappelle Hopper et bien d'autre. L'il de JCA est impitoyable.
Elle fait parfois penser à Violette Leduc ou à Marguerite
Duras. Son personnage est aussi philosophe passionnée par Spinoza,
ce qui lui permet peut-être d'affronter l'effroyable nécessité
qui menace de l'anéantir. On comprend qu'elle rêve d'harmonie.
Chez elle, la rage de comprendre est aussi forte que celle de vivre et
de trouver peut-être le chemin de la réconciliation avec
un père (et sans doute le monde) dont la présence est inoubliable.
Comme si le malaise contagieux que distille ce roman pouvait à
la fin trouver une issue. Mais sans doute, l'écriture magnifique
et parfois presque insoutenable de Joyce Carol Oates, n'y est pas pour
rien.
Ana-Cristina
(S'adressant à François)
J'aurais aimé lire le même livre que toi, mais ça
n'est pas le cas ! Je me suis ennuyée. Pourquoi ? Rien
ne m'a intéressée. Je n'ai pas vu le style. C'est comme
si Oates m'avait donné des petites briques et un peu de ciment
mais que je n'aurais pas eu les moyens d'en construire quelque chose.
Comme si je ne pouvais rien en faire. Rien ne m'a plu, le rapport à
la philosophie, la pensée impersonnelle des personnages
François
Oui, ce sont des éclats de philosophie, d'ailleurs plutôt
une pensée d'homme. Elle, elle ramène plus les choses au
corps. Le corps a beaucoup d'importance dans ce récit. Ça
s'enchaîne bien, mais c'est vrai il faut reconstruire l'histoire.
Ana-Cristina
Je n'ai pas accroché, c'est du vide et je n'ai pas aimé
le style. J'ai tenté de penser à Alice au pays des merveilles
pour suivre et donner un sens à l'histoire mais en vain
Ce
fil ne tenait pas. Je n'ai pas envie de lire un autre texte de cette auteure.
Anne
D'emblée ce livre m'a emmenée (comme le titre l'indique)
dans mon adolescence et, il est vrai, dans les moments troublés
de celle-ci, les moments où l'on n'est pas encore formée
mais où l'on devine que l'on va changer sans savoir comment. C'est
un moment de vertige qui me fait penser, du côté du masculin,
au roman de Robert Musil Les
désarrois de l'élève Törless.
Pour être fort, à cette époque de la vie, et échapper
aux angoisses liées aux transformations du corps et de l'esprit,
dans la solitude, loin du cadre familial, il faut avoir reçu une
solide transmission, de bénéfiques supports aux identifications
(même si on se rebelle contre) et la confiance des parents, ce que
l'héroïne du roman n'a pas le moins du monde reçu.
Joyce Carol Oates décrit avec une grande justesse la difficulté
d'une jeune fille à se construire et nous plonge dans la problématique
identitaire adolescente, dans sa dépression. Elle est certes sans
pitié pour le lecteur car la lecture de ce livre est éprouvante,
en particulier au début ; ensuite il y a de l'amour, notamment
pour un homme. Dans les premières pages, j'ai failli abandonner
la lecture, mais j'ai tenu bon et ne le regrette pas. Dans cette première
partie, j'ai eu le sentiment d'avancer prisonnière de ce qui enferme
la jeune fille : ses désirs troubles et contradictoires, sa
confusion (car elle confond la pauvreté, le sentiment d'être
exclue, d'avec le tourment identitaire), le bouleversement des attentes
sexuelles, tout cela se passant dans l'atmosphère glauque et inquiétante
d'une pension habitée par des jeunes filles qui forment une sorte
d'amalgame indifférencié. Elles sont, dans cet amalgame,
inquiétantes et étrangères aux aspirations égarées
de la protagoniste qui ne sait pas ce qu'elle veut mais, dans l'épreuve,
parviendra à percevoir ce qu'elle ne veut pas. Pour refuser la
situation dans laquelle elle s'est mise (elle avait idéalisé
l'institution Kappa Gama Pi), elle est obligée de s'en faire rejeter :
sa relation ambivalente à la Mère supérieure est
si puissante qu'elle doit passer par un acte transgressif qui la sauve.
Elle peut rompre enfin avec ce que j'ai ressenti comme un envoûtement.
Elle se fait surprendre par cette femme alors qu'elle pénètre
dans son intimité, sa chambre, sa garde-robe, ses photos, et j'ai
trouvé très belle la situation qui provoque une magnifique
scène finale hystérique, passionnelle, entre la femme mûre
et la jeune fille, où surviennent progressivement toutes les jeunes
pensionnaires comme les fantômes masqués d'une peinture de
James Ensor.
Masqués, car les descriptions de JCO font en effet sentir que tous
les personnages de cette histoire sont faux. Le prénom de la protagoniste
n'est pas clairement donné et elle ne sait jamais si ce qu'elle
ressent est vrai ou non. Ensuite, le roman s'ouvre, porté par la
voix d'un homme, puis se termine également sur la voix handicapée
du père, ultime et seule incarnation possible de la relation entre
eux. Mais c'est une relation et un face-à-face si l'on peut dire,
puisqu'elle se fera de dos ou les yeux fermés : il y a une
condition, un interdit, ne pas regarder. C'est évidemment une fin
très puissante. En effet, depuis la sortie d'un univers glauque
et la retrouvaille pathétique avec son père, il y a une
quête, la recherche de l'amour. Touchée par la voix de Vernor
que dans un premier temps elle ne voit pas (les éléments
de la fin sont déjà compris dans le début), elle
le regarde ensuite à la dérobée pour savoir comment
est son image : "À
la dérobée je contemplais le visage de Vernor. Il semblait
sculpté dans l'acajou (...) ce n'était pas un visage rassurant,
c'était un visage plissé, et même mutilé
(souligné par moi) par la réflexion. La réflexion
comme un acte physique, musculaire, comme un acte de passion".
C'est aussi sur l'image du visage mutilé du père que se
termine l'histoire. Image captée un court instant par un miroir
qui va aussitôt se briser, comme si c'était la seule manière
de voir l'image terrifiante du père, comme dans la mythologie de
la Gorgone.
JCO utilise-t-elle des ressorts commerciaux pour construire son roman ?
C'est ce que certains ont pensé, par exemple la question du racisme
qu'elle utilise sans la développer, ou en pratiquant des "clichés"
littéraires à propos du thème banal d'une pauvre
fille qui tombe amoureuse et, bof, retrouve un père que l'on croyait
mort. Pour ma part je ne le pense pas, je ne trouve jamais banal ce qui
élabore avec puissance les états fondamentaux de l'existence
humaine et leurs penchants tristes et glauques, pour trouver finalement
une ouverture, une transformation. La répétition du sordide
me semble dans ce cas une puissance et non une manie d'auteur. Je pense
ici aux peintures de Lucian
Freud. Répétitions martelées comme les pulsations
d'un cur angoissé. Elles créent un rythme qui pourra
dévier vers une nouvelle issue, retrouver le père et sublimer,
écrire. Il a fallu passer à travers les dangers, représentés
dans le livre par un très beau paysage, un pont où elle
rencontre Vernor. C'est encore dans un superbe paysage que naît
et s'élève l'espoir. L'horreur s'ouvre progressivement vers
le beau et j'ouvre grand le livre.
Nathalie B
J'ai lu plusieurs roman de Oates que j'ai beaucoup appréciés :
Nulle et grande gueule (roman jeunesse avec un titre moche, mais
très bien), Hudson
River, Mudwoman,
L'Homme sans ombre. Mon préféré est Mudwoman
qui raconte l'histoire d'une femme parvenue au sommet de sa carrière
et qui va vivre un événement qui la ramène à
la boue de son enfance. C'est un très beau personnage de femme.
En revanche, je n'ai pas trop accroché à ce roman. Je lis
vite les romans de Oates mais celui-là, je cale en permanence.
Moi qui aime la philo, je n'ai pas obligatoirement compris comment elle
souhaitait l'utiliser. Je ne connais pas trop Wittgenstein mais un peu
Spinoza que j'aime bien. Spinoza écrit avec une volonté
de logique mathématique. À l'évidence, ce n'est pas
son objectif. Du coup je me suis vraiment demandé quel lien elle
voulait faire. Peut-être la différence entre la logique de
Spinoza et le chaos de sa vie qui elle ne semblait répondre à
aucune logique, encore que... ? Je ne me suis pas intéressée
aux personnages ; pourtant ils sont crédibles ; leur
psychologie tient la route, mais bof... Les pages sur la sororité
m'ont fait sourire, mais sans doute parce que cela fait écho à
mes propres préjugés sur les sororités ou fraternités
en tout genre. J'ai bien aimé la page qui décrit comment
le personnage féminin dont on ne connaît pas le véritable
nom (mais je n'ai pas fini, je peux encore l'apprendre !) tombe amoureuse
d'une voix. Cette page m'a fait penser à Vingt-quatre
heures de la vie d'une femme de Stefan Zweig qui fait une description
fabuleuse des mains d'un joueur dont la femme va devenir amoureuse rien
qu'en regardant ses mains. Mais dans l'ensemble, et jusqu'au 2/3 de ma
lecture, je trouve que cela manque d'épaisseur et je suis déçue.
Je n'ouvre qu'à moitié. Mais en revanche j'invite à
lire cette autrice, qui écrit beaucoup, que j'aime vraiment bien
par ailleurs.
Inès
Je n'ai pas compris le livre et pourtant je l'ai lu vite et sans m'ennuyer.
Je me suis donc posé la question du pourquoi et j'ai fini par conclure
qu'en fait je ne l'ai pas aimé et j'ai aimé ne pas l'aimer.
Il n'y avait rien de nouveau dans ce livre où je n'ai pas eu les
clés pour le lire. Je l'ai trouvé cliché, toute cette
histoire de sororité, amoureuse d'un Noir, j'ai trouvé ça
comme un téléfilm. Très cliché.
Je n'ai pas compris non plus ce que l'auteur cherchait. Je n'ai pas eu
de sympathie pour le personnage principal et j'ai trouvé que l'écrivain
utilisait une écriture très dramatique pour pas grand-chose.
Au final, pourquoi pas, le livre se lit bien, mais quel est son objectif ?
Je suis passée à côté.
Anne-Marie
Je ne trouve pas le passage sur la maison Kappa cliché, ni le livre.
Tous ces décors, cette atmosphère sont destinés à
décrire l'évolution d'une identité. La jeune femme
veut avoir des surs, mais elle s'enferme là-dedans et se
retrouve dans la transgression, fouillant les poubelles puis s'introduisant
finalement dans la chambre de Mrs Thayer à la suite d'un petit
jeu pervers entre elles deux. En fait, elle s'accuse de tout. Puis ce
fonctionnement continue avec le Noir. Avec lui elle s'humilie. Détruite
par son père, elle a une sorte d'incapacité, bien qu'elle
soit par ailleurs un personnage extraordinairement brillant. Ce n'est
pas un livre sur le racisme, je dirais plutôt sur la transgression.
François
Et il y a une résilience.
Anne-Marie
Oui effectivement.
Olivier
Comme pour Powers
le style m'a gêné, je dirai même m'a plus gêné,
je préfère Powers.
Le passage sur les nuages n'est tout simplement pas possible. C'est quoi
cette écriture ! À force de décrire ses nuages,
je ne vois plus rien. J'ai été ainsi dehors tout du long.
Quelqu'un a dit qu'il y a trop de mots, oui. Peut-être excepté
quelques passages, mais très peu. C'est cliché, oui cliché,
et puis je n'ai pas aimé les personnages antipathiques, ni elle
ni le Noir ni le père. Et puis quoi, d'accord, ceci et cela, c'est
dur et puis ça encore c'est dur
Ouf, c'est banal quoi. Les
filles Kappa sont toutes à la même enseigne, il n'y a pas
de différenciation, toutes idiotes, bon, et alors ? Le Black
ok, sa voix, ok, c'est glauque, ok, il sent pas bon, bon
A propos
de l'érotisme, c'est sordide. Et puis la fille elle en remet une
couche et encore une autre !
Katherine
J'ai terminé le livre en vitesse avant de venir. Et je l'ai lu
en anglais.
Il y a trois histoires en une : la maison Kappa, l'amour pour le
Noir, avec le père.
C'est quand même vieux et surfait, ce roman. Le style est toutefois
intéressant, c'est lui qui m'a tenue, bien que je n'aie pas senti
de fil pour l'histoire. Je veux aussi préciser que ce texte ne
représente pas les États-Unis mais une partie à une
certaine époque. C'est donc un livre qui parle d'une situation
particulière, dans une certaine région, et à une
certaine époque, et par ailleurs qui utilise la question raciale
mais n'en parle pas vraiment.
La question de la sororité, c'est humain et valable pour chacune
d'entre nous, le désir d'appartenance.
J'ai pensé à Trois
femmes puissantes de Marie Ndiaye, livre détesté
La jeune femme est victime, mais je ne trouve pas qu'elle se victimise
car en elle veut se faire apprécier. De la même manière,
je ne la trouve pas anorexique comme Nathalie le pense, elle fouille dans
les poubelles pour trouver de la nourriture et cela car elle est pauvre !
Cette histoire est lourde mais bien écrite, la fille se bat. Bien
sûr, on est dans le pathos, mais c'est agréable à
lire. C'est hyper réaliste comme livre, bien écrit, bien
fait. C'est vrai, ce n'est pas très nouveau comme histoire et,
en fait, je n'ai pas eu trop d'intérêt à le lire.
Françoise H
Ce livre est une bonne surprise. Passé
le pavé de 40 pages consacré à la maison de la sororité
Kappa Gamma Pi dont l'intérêt de la description m'a échappé,
le livre m'a accrochée moins par son écriture (que de mots,
que de mots qui saturent mon imagination...) que par son enjeu :
la quête d'identité de la narratrice. J'ai beaucoup aimé
comment J. C. Oates fait découvrir cette femme :
elle ne nous la livre pas d'emblée, mais la construit au contact
des expériences qu'elle lui fait vivre. D'une manière générale,
J. C. Oates m'a conquise par son parti pris vis-à-vis de ses personnages :
elle réussit à mêler les déterminismes, liés
aux origines de la naissance, à l'inertie des comportements qu'ils
reproduisent mécaniquement et au discours qu'ils fabriquent pour
se croire maîtres de leur destinée. Elle me donne l'impression
d'être au cur de la machine qui produit leur instinct. J'y
vois toute l'originalité de ce roman. Sur la recommandation d'Anne-Marie,
je lirai Les
Chutes. J'ouvre le livre aux ¾.
Margot (qui n'a pas encore lu le roman mais livre son sentiment sur
les avis, en distinguant trois types de réactions)
En vous écoutant, je n'ai pas compris l'histoire. Même le
titre, je ne l'ai pas compris.
1) Le bouquin est centré sur le visuel, qui met une distance entre
le lecteur et les personnages.
2) C'est un tissu de lieux communs, mais il ne donne pas à voir
la question du problème noir bien que ce soit un des thèmes
de l'histoire. Ça semble un peu commercial comme livre.
3) On est immergé dans l'histoire des personnages.
Aucun de ces trois aspects ne me donne envie de lire le livre. Mais je
vais le faire tout de même ! Puisque je l'ai acheté
DES INFOS |
|
o
Que dit Joyce Carol Oates de Je vous emmène
? o Que dit Russell Banks de Joyce Carol Oates ? o Que répond Joyce Carol Oates aux questions qu'elle se pose à elle-même...? o Pourquoi son écriture est-elle si violente ? |
QUELQUES ÉLÉMENTS
BIOGRAPHIQUES
- Née en 1938, dans une famille rurale très pauvre, après
la dépression ; les parents habitent chez les grands-parents maternels ;
elle a un frère et une sur autiste. Les origines de sa famille
: irlandaise, allemande, hongroise et juive.
- L'école est une classe unique où sa propre mère
fut élève. Brillante, elle obtient une bourse pour faire
ses études à l'Université de Syracuse (celle du roman
que nous lisons...). Major de sa promotion.
- Elle rencontre à l'université de Wisconsin son premier
mari, pour une relation de 47 ans jusqu'à sa mort : une relation
à la Virginia/Leonard Woolf. Comme Woolf, elle a subi une agression
sexuelle. L'anorexie lui donne son physique si "mince".
- Sa grand-mère paternelle joue un grand rôle dans son enfance
en lui fournissant une carte de bibliothèque, en lui offrant une
machine à écrire. Très tôt, même avant
de savoir lire et écrire, elle raconte des histoires en dessin.
- Son premier roman est publié en 1964. Elle est peu connue en
France jusqu'au livre sur Marylin Monroe, Blonde,
en 2000, et surtout le prix Femina en 2005 pour Les
chutes.
- Après 10 ans
d'enseignement à l'université au Canada, elle sera de 1978
à 2014 professeur de littérature à l'Université
de Princeton ; elle enseigne entre autres Flaubert... ; elle
participe à des programmes de creative writing (ses conseils
ICI).
- Joue du piano, fait de la course à pied, fait elle-même
le ménage, aime les animaux.
- Elle a parmi ses amis des auteurs de Voix au chapitre : Richard
Powers, Russel Banks...
UNE UVRE PROLIFIQUE qui
mobilise nuit et jour les traducteurs...
Amélie Nothomb est battue car Joyce Carol Oates écrit plus
d'un livre par an. Elle a publié plus de 200 livres : romans (signés
de trois pseudonymes différents), nouvelles, pièces de théâtre,
poésie, livres jeunesse, essais, journal et mémoires.
Sont traduits en français et disponibles en 2020 :
-aux éditions Philippe
Rey : 47 livres
- Points
: 40
- Stock
: 20
- Livre
de poche : 16
- Gallimard
Folio : 5
- Gallimard
jeunesse : 5
- J'ai lu
: 4
- Actes Sud : 2
- Tristram
: 1
- Albin
Michel : 1
Recensant toutes ses uvres, Celestial
Timepiece est un site entièrement consacré à
Joyce Carol Oates, géré par un bibliothécaire,
Randy Souther,
et qu'alimente aussi l'auteure.
La traductrice Claude Seban qui a traduit
40 de ses livres n'arrête pas : un emploi à temps plein
depuis 24 ans... Quelques extraits d'une interview :
Quel effet cela fait-il de vivre jour après jour, pendant plus de vingt ans, à lintérieur dune uvre ? Est-on absorbée, possédée par elle ?
"Disons que je midentifie souvent aux personnages de ses romans le temps dune traduction (...) oui, je vis dans son univers, jai limpression de connaître ses personnages comme sils étaient réels mais, je vous rassure, je ne suis pas possédée."
Quels défis cette écriture représente-t-elle pour une traductrice ?
"Le rythme haletant, les difficultés du texte, tout cela mattirait - mattire toujours. Les difficultés sont à la fois le moteur et langoisse du traducteur : elles le stimulent, et elles langoissent parce quil se demande sil rend justice à lauteur, sil nest pas un imposteur."
Comment travaillez-vous concrètement avec Joyce Carol Oates ? La connaissez-vous bien ?
"Je la connais surtout par ses ouvrages. Je lai rencontrée lors de ses différents passages à Paris, toujours dans un cadre professionnel. Pour la traduction, je me limite aux questions essentielles. Étant donné les décalages dans le temps et sa rapidité, Oates est généralement déjà passée à autre chose lorsque je la questionne sur un livre. Et puis, je ne suis pas sûre que la cuisine du traducteur lintéresse. Une fois, elle ma dit : 'Si ce nest pas clair, supprimez.' Sur un plan moins professionnel, il marrive de lui envoyer des photos de chats" (voir l'interview complète de la traductrice).
Ne pas manquer à ce sujet animal le texte de Joyce
Carol Oates "Mon
chat thérapeutique et moi", écrit à l'occasion
des milliers de morts du coronavirus aux USA (publié dans Le Times
Literary Supplement, puis Libération, 24 mai 2020)...
INTERVIEWS ET PORTRAITS
de Joyce Carol Oates
Vidéo et radio
- France 5, Carnets de Route de François Busnel, Entretien,
2012, 8 min 46.
- France Culture, La Grande Table, "Le
pays baigne dans une atmosphère toxique", 13 octobre 2020,
27 min.
- France Culture, La Compagnie des auteurs, deux émissions de 58 min :
Miss
America, 18 octobre 2017 ; Le
but de l'art, 14 décembre 2017 avec Nancy Huston (qui partagea
le même agent littéraire...)
- France Inter, L'Heure bleue par Laure Adler, deux émissions :
8 novembre
2016, 52 min ; 17
septembre 2020, 53 min.
- France Culture,
Une vie une uvre, 13 février 2000, avec la traductrice.
Articles
Portraits
et interviews
- "Chaque livre est un
défi", propos recueillis par Josyane Savigneau, Le
Monde, 3 août 2009.
"J'aime beaucoup Stendhal (...) Proust, bien sûr, mais aussi Claude Simon que nous avons publié, mon mari et moi, dans notre petite maison d'édition, bien avant son prix Nobel. C'est un très bon écrivain, dans une veine faulknérienne. Sartre, je l'ai beaucoup lu.
- Et Simone de Beauvoir ?
C'est un grand écrivain, mais je trouve sa vie avec Sartre, sa soumission à lui, pathétique et peu en accord avec son féminisme."
- "Jaime travailler avec des personnages extrêmes", propos recueillis par Yolaine Destremau, Books, n° 47, octobre 2013
"Il n'y a pas de plan de carrière en littérature. On réfléchit au jour le jour, avec chaque livre qu'on a devant soi. Un peu comme l'épouse qui prépare le dîner, au début d'un mariage, sans songer un seul à l'instant qu'elle sera peut-être mariée au même homme pendant cinquante ans, sans songer un seul instant à tous ces dîners qu'ils partageront et à toutes les vaisselles qu'ils feront ensemble. Je ne savais pas que j'écrirais tant de livres, je ne savais pas que je deviendrais aussi prolifique."
"J'écris sur le mal. L'un des moteurs de l'écriture consiste à confronter la part éduquée, civilisée, de l'être humain à sa part de sauvagerie."
- "J'aime les personnages qui ne s'effondrent jamais totalement", propos recueillis par Marine Landrot, Télérama, 21 février 2014
"Pourquoi votre uvre est-elle si abondante ?
Sans doute parce que j'attends toujours d'écrire LE livre qui restera. Mais je crois que le nombre importe peu, et qu'il faut prendre chaque livre comme une entité indépendante des autres. J'écris des livres très variés, dans des styles différents. Je suis formaliste avant tout, à la recherche du langage le plus adapté pour décrire une situation. À chaque ouvrage, j'explore un nouveau mode d'expression."
- "Dix clés sur Joyce Carol Oates sinon rien", par Josyane Savigneau, Le Monde, 6 octobre 2014, et...
"Son éditeur, presque pour plaisanter, lui a ouvert un compte twitter, @JoyceCarolOates. Elle s'est prise au jeu. Elle a plus de 100 000 abonnés. 'Twitter est devenu une autre manière de tenir mon journal intime. Certes, j'écris toujours ce journal, mais pas quotidiennement. Et les pensées ou remarques qui me viennent soudain, je les mets sur Twitter.' Si l'on s'amuse à lire à la suite ses tweets, on peut y voir aussi une autre manière d'écrire, une fois encore, de la fiction. Ou de parler de littérature."
- "Joyce Carol Oates, la possédée", par Josyane Savigneau, Le Monde, 17 octobre 2014
Joyce Carol Oates, elle, s'étonne que cette extraordinaire productivité - elle travaille parfois à trois livres en même temps - apparaisse à tous comme une énigme : "Franchement, je ne vois pas ce qu'il y a là d'étonnant. Je suis écrivain, j'écris. Je ne sais pas combien de livres j'ai écrits, je ne compte pas, cela ne m'intéresse pas. Les artistes font ce qu'ils ont à faire. Picasso ou Monet savaient-ils combien de toiles ils avaient peintes ? Les photographes savent-ils combien de photos ils ont prises ?"
Si la retraite de Philip Roth demeure mystérieuse, l'impossible retraite de Joyce Carol Oates ne l'est pas. Elle se sent totalement "construite, déterminée" par le fait d'écrire. Cesser de le faire serait une sorte de condamnation à mort. Elle se sent très loin de Roth, et bien plus proche de Marguerite Yourcenar qui souhaitait écrire "jusqu'à ce que le stylo tombe des mains".
- Comment devient-on Joyce Carol Oates, propos recueillis par Thomas Stélandre, Libération, 29 septembre 2017
"La vérité, cest quelle me fait peur", nous confiait il y a peu une romancière américaine (dont on taira le nom). "A chaque fois que je la croise, on dirait que cest quelquun dautre." Lors de notre dernier entretien, elle portait dentelle et chapeau, éthérée, comme échappée dun conte. Ce coup-ci, elle assure la promo en baskets de running, buvotant un Coca rouge. Toujours un peu réfrigérante, suivant le sujet abordé. Un seul lenchante : les chats, "mon lien avec le passé".
Vous semblez toujours vouloir essayer quelque chose de nouveau
"Oui, tout le temps ! En ce moment, je mintéresse aux univers parallèles, au genre de la dystopie. Pour certains, nous sommes dans une réalité parallèle depuis quelque temps : imaginez, Donald Trump président ! Quelle mauvaise plaisanterie ! Pardon, mais vous ne pouvez rien trouver de mieux ? Ah, cest la réalité ? Je veux dire, Ubu nétait pas vraiment roi, cétait une blague."
- "J'ai une passion pour la vie extraordinaire des gens ordinaires", propos recueillis par Nathalie Crom, Télérama, 4 octobre 2017.
Ma grand-mère "ma offert mon premier livre et mon premier pass daccès à la bibliothèque municipale. En fait, elle me faisait cadeau dun livre pour tous mes anniversaires et à chaque Noël. Ce nétait pas si courant à lépoque. Cest elle qui, en 1947 javais neuf ans , ma fait connaître Alice au pays des merveilles, louvrage qui a changé ma vie et ma orientée vers lécriture, en changeant mon regard sur le monde, en mincitant à le voir comme un spectacle étrange, indéchiffrable, mais captivant."
- "Je nabandonne jamais une histoire, je la poursuis", par Florence Noiville, Le Monde, "Un écrivain à louvrage", une série en cinq épisodes, 15 juillet 2020.
"Je devais avoir 13 ou 14 ans quand ma grand-mère m'a offert un cadeau magique. Une petite machine à écrire portable de marque Olivetti, dont je suis immédiatement tombée amoureuse." Oates parle de cette machine comme un ouvrier de son meilleur outil. (...)
C'est ainsi qu'est née, il y a plus de soixante ans, la petite fabrique d'écriture de Joyce Carol Oates : au moment où elle a solennellement posé son Olivetti sur la table de sa chambre.
Mais l'outil ne suffisait pas, il lui fallait aussi la matière première. A l'époque, Oates habite une ferme, à Millersport, non loin d'Amherst. Cette campagne de l'Upstate New York qu'elle adore - on la retrouve dans Nous étions les Mulvaney (Stock, 1998) - va la lui fournir.
La basse-cour de la ferme en particulier. Il y a là un poulet adorable, Happy, dont elle a fait son "volatile de compagnie". C'est lui qui lui donne sa première leçon de métaphysique. Dans Paysage perdu (Philippe Rey, 2017), Oates raconte ce jour mémorable ou, pénétrant dans la cuisine, elle voit un corps "blanchâtre, sans peau ni tête, mijotant dans une grande casserole sur la cuisinière, des globules de graisse jaunâtre bouillonnant à la surface". C'est Happy qui cuit à feu doux. De cette étrange expérience de la mort, elle tire ses premières histoires et un enseignement-clé : l'existence peut être douce et cruelle simultanément. Happy and unhappy. Un alliage complexe mis au point dès cette époque. Un secret de fabrication que l'on retrouve, encore aujourd'hui, dans tous ses livres.
Que dit Joyce Carol Oates de Je vous emmène
?
-
Les "fraternities" et "sororities", sont des
organisations sociales propres aux universités américaines.
La "sororité" Kappa Gamma
Pi du livre ("démoniaque", commente Oates), ça
existe ? Il y un site : kappagammapi.org.
Mais Joyce Carol Oates a connu ça ? En moins caricatural dit-elle,
oui, et elle continue de voir "ses surs de Phi
Mu". Ce qui rappelle le livre publié en 2002, c'est que
dans les années 2010, cette sororité a été
sanctionnée pour bizutage et promesses humiliantes ; de même
des membres actifs, et d'anciens membres ont empêché l'adhésion
de candidats noirs en raison de leur race...
- Anellia, ce n'est pas elle quand même ?! Et la sororité ?
"Le personnage non nommé de Je vous emmène s'exprime avec ma voix, pratiquement inaltérée. Le plus souvent, j'ai recours à des voix fictionnelles, qui sont parfois aux antipodes de la mienne (...) Anellia - puisqu'elle s'est avérée s'appeler ainsi - est un autoportrait à peine romancé, une autre moi-même en encore plus... voir la suite.
- Anellia est très amoureuse d'un Noir. Nombre de livres de Oates ont pour thème central les tensions entre Noirs et Blancs.
"Si je me suis souvent penchée sur la vision qu'une fille ou qu'une femme blanche pouvait avoir d'un homme ou d'un garçon noir, c'est pour des raisons évidentes. Mes quelques camarades de classe noirs, au collège de North Park, à Lockport, firent sur moi une forte impression, vu qu'il n'y avait pas de Noirs dans la zone rurale où je résidais. Les Blancs sont émotionnellement attirés par les Noirs, hommes ou femmes. C'est peut-être comparable au rapport que la plupart des femmes entretiennent avec les hommes homosexuels"... voir la suite.
Le
3 mars 2011, Barack Obama a remis à Joyce Carol Oates ainsi qu'à
Philip Roth la médaille nationale des humanités pour "contribution
aux lettres américaines".
Que dit Russell Banks de Joyce Carol Oates ?
C'est
l'auteur
le plus comique que j'aie rencontré... voir
la suite
Que répond Joyce Carol Oates aux questions
qu'elle se pose dans une interview d'elle-même...?
Où elle explique ses trois noms et pourquoi quand on lui
demande sa profession, elle ne répond pas "écrivain",
mais "enseignante".
Voir l'interview.
Pourquoi
l'univers de vos livres est-il si cruel ? Pourquoi votre écriture
est-elle si violente ?
Réponse de Joyce Carol Oates qui
montre en quoi la question est sexiste...
Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme
au rejet :
|
||||
à
la folie
grand ouvert |
beaucoup
¾ ouvert |
moyennement
à moitié |
un
peu
ouvert ¼ |
pas
du tout
fermé ! |
Nous écrire
Accueil | Membres
| Calendrier | Nos
avis | Rencontres | Sorties
| Liens