Quatrième de couverture : Comment un enfant ayant tout perdu peut-il survivre seul dans les sombres forêts ukrainiennes ? Aharon Appelfeld a 10 ans lorsquil séchappe du camp. Son errance le conduira, quatre ans plus tard, en Palestine. Plongé dans le silence depuis le début de la guerre, il apprend une nouvelle langue. Il lutilisera désormais pour tenter de relier les différentes expériences de sa vie à leurs racines perdues. Aharon Appelfeld (1932-2018) a été déporté en 1940 dans un camp, en Ukraine, doù il sest évadé. Ses romans, dont Le garçon qui ne voulait pas dormir et Des jours dune stupéfiante clarté, sont disponibles en Points. "Un formidable roman de formation,
sec et poignant : parfait." |
Aharon Appelfeld (1932-2018)
|
Nos
36 cotes d'amour
Ana-Cristina Anne Anne-Sophie Annick L Christian Christine Françoise H Geneviève Jacqueline Jean Katherine Margot Marie-Odile Marie-Thé Monique M Nathalie R Valérie Entre et Brigitte Catherine Chantal Claire David Inès Monique L Nathalie B Suzanne Yolaine Annick A Cindy Édith Etienne Laura Lisa Manuel Séverine V Olivier |
QUELQUES INFOS en bas de page
: des articles,
des émissions de radio et télé,
les références des uvres
traduites.
Les
12 cotes d'amour du nouveau groupe parisien
réuni le 25 septembre 2020 Ana-Cristina Anne Christine Françoise H Katherine Margot Monique M Valérie David Inès Nathalie B Olivier |
Ana-Cristina
J'ai d'abord été éblouie et touchée par la
poésie et le ton juste (l'épisode du pommier). Puis la lecture
de ce livre a été éprouvante (la scène de
l'enclos). Quand j'ai lu les chapitres où il raconte son arrivée
en Israël et ceux où il développe davantage sa conception
de la littérature, ma lecture est devenue plus apaisée,
et une fois le livre terminé, je me suis tout simplement dit que
je venais de lire un livre important pour moi. J'ai envie de revenir à
la scène du pommier (p. 21, éd. Points)
car elle est certainement pour moi une des plus belles scènes que
j'ai lue depuis longtemps. Je peux y lire :
- l'état physique et la détresse morale de l'enfant
- l'importance que la nature aura dans toute sa vie. Comme le lui dit
Agnon "Tout écrivain
doit avoir sa ville, son fleuve, ses rues. Tu as été exilé
de ta ville et des villages de tes ancêtres ; au lieu de puiser
un enseignement en eux, tu as puisé dans les forêts."
(p. 178)
- le début d'une renaissance ou plus précisément
un passage entre l'indicible (toutes les épreuves endurées,
enfant) et ce qu'Appelfeld, devenu écrivain, a enfin la possibilité
d'écrire, c'est-à-dire ce qu'il a réussi à
"éprouver" de nouveau afin de ne pas mentir. Un pont
entre le passé et le présent. Il l'explique : "La
guerre s'était terrée dans mon corps, pas dans ma mémoire.
Je n'inventais pas, je faisais surgir des profondeurs de mon corps des
sensations et des pensées absorbées en aveugle."
(p. 200)
- ses conceptions de la littérature qu'il explicite parfaitement
dans cette phrase : "La
vraie littérature traite du contact avec les secrets du destin
et de l'âme, en d'autres mots : la sphère métaphysique"
(p. 160). Et certainement encore une multitude d'autres significations
(ou ramifications). Ce qui me saute aux yeux en relisant cette scène,
c'est l'évidence du choix de la littérature pour raconter
l'intimité avec l'indicible. J'ouvre en grand.
David
C'est une grande ode à la littérature car il apporte quelque
chose de cristallin, de limpide sur la manière dont on vit (la
petite enfance est névralgique et critique dans l'existence de
l'auteur). Il est très autocentré car la totalité
de sa littérature est autobiographique. Elle est notamment liée
à son passage dans la forêt enfant. Si on aime sa claire
vision du monde si originale, l'ensemble de ses livres résonnent
comme une continuité.
J'avais rencontré la traductrice de ses uvres dont il était
très proche. Tout le passage sur la langue, comment on perd la
sienne, il y a une douleur que l'on ressent. On ne sent pas la peine pourtant
il y a une sorte d'objectivité. Il n'y a jamais un jugement ou
un étalage de la peur qu'il a vécue. Comment peut-on rester
vivant sans être décomposé de ces expériences ?
Cela me fascine. Il y a quelque chose de très doux chez cet auteur.
Qui transporte le souvenir toute sa vie de cette période très
lourde.
J'ai moins aimé la dernière partie avec les querelles sur
le judaïsme qui me paraissent moins fortes d'un point de vue littéraire
que la première partie.
Cela n'est pas donné à tout le monde d'écrire de
manière aussi fluide et naturelle sur un passé si lourd.
J'ouvre aux ¾.
Françoise H
L'enfance de cet homme est effectivement le sujet principal de l'uvre
entière de l'auteur. Mais quand on lit ce livre de près,
cela nous paraît très angoissant, bien que pour lui son passage
dans la forêt soit un bon souvenir. Alors que dans les contes pour
enfants, cela est terrifiant. Ce que j'aime bien, c'est que j'ai été
prise à contre-pied plusieurs fois. Il dit que dans son malheur
ce passage est presque une parenthèse enchantée.
La querelle du club : en y réfléchissant, la force de ce
livre est qu'il nous fait comprendre l'expérience concentrationnaire
par le creux. Car au fond il ne nous la raconte pas du tout. Cet épisode
reflète la volonté de ces hommes et femmes d'être
plus justes et de faire bien après avoir subi les camps. Il décrit
en filigrane le traumatisme qui a envahi ces personnes. Comme si chacun
a une valeur en fonction de comment il agit après une expérience
dissolvante. Qu'en ont-ils retenu? Comme si les personnalités s'arc-boutent
sur cela. Il me prend une troisième fois à contre-pied dans
sa description du kibboutz qu'il décrit comme des personnes s'acharnant
au travail bêtement. Alors que j'en avais une vision extrêmement
différente. De personnes dévouées corps et âme
au kibboutz, qui construisent enfin un foyer national juif. J'ouvre en
entier.
Christine
Pour moi c'est justement l'objectif de l'uvre Appelfeld : la
mise sous forme de mots de cette mémoire qui est inscrite dans
le corps. Le niveau de langue est extraordinaire, car la traductrice a
travaillé en osmose avec l'auteur.
Concernant le passage dans la forêt, je rejoins ce qui a été
dit avant. Je retiens surtout la réflexion sur la langue. Il en
parlait quatre au temps de ses parents. La langue de sa mère est
la langue de l'assassin. Il a dû la désapprendre au fur et
à mesure. Ce qui lui a permis de ressusciter en quelque sorte et
de rentrer dans le yiddish, de se l'approprier ; c'est cela qui lui a
permis de se reconstruire. Il fait transparaître ça d'une
manière exceptionnelle. Il n'y a pas de sentiment, cela n'est pas
important. Ce sont les actes qui comptent. Et il a fini par réussir
à mettre en mots une expérience. J'ouvre en entier.
Margot
Je suis d'accord avec tout ce qui vient d'être dit. Très
étonnée de cette écriture qui paraît simple
mais qui est tout sauf simple. On est avec lui tout le temps. C'est une
force de son écriture. Il maintient le lecteur totalement présent
tout le long. Ce qui m'a plu, c'est qu'il est toujours question d'une
terre natale dont il est déraciné ; et en fait, sa
terre natale c'est la langue, c'est la terre de la langue. Cela va de
l'allemand au yiddish qui est l'ascendant de la langue maternelle finalement.
L'idée de lire un témoignage m'a crispée. J'ai eu
la sensation que c'était une écriture à fils et je
me suis laissé faire, ce qui est un bonheur.
D'abord il y a le fil de l'enfant qui perd tout, mais la vision constante
de sa mère lui permet de tenir lors de plusieurs visions. L'épisode
du pommier est effectivement très central. C'est aussi un enfant
qui écrit avec son corps. La mémoire est fragmentée
dans le corps. J'ai trouvé ça incroyable, d'une vérité
totalisante et très fragmentée à la fois.
Le deuxième fil est celui du silence. J'ai trouvé cela fort
de perdre sa langue quand on se tait. Il devient quasiment un fils de
l'oubli.
Ensuite le fil du kibboutz. Où il décrit un formatage total,
un écrasement. On découvre qu'il n'a pas eu d'instruction
à cause de la guerre. On s'en rend compte quand il rencontre ce
jeune qui traverserait n'importe quelle guerre. J'ai trouvé cela
fabuleux.
Un autre fil : qu'est-ce que l'écriture ? Ce n'est ni une
belle langue ni de l'académisme ; mais il va rencontrer des maîtres
qui vont l'aider à trouver sa propre pensée. Et ce qu'il
écrit sur l'écriture est formidable et tellement simple.
Et terriblement compliqué d'arriver à cela de but en blanc.
Comme s'il était un petit poucet qui sortait de sa forêt
pour ne faire que des pas de géant.
Le revenir à soi, la redécouverte de ses langues les chemins
qui le mènent vers les langues lui ouvrent un chemin qui serait
de l'ordre du divin, au sens création du terme. C'est de l'ordre
de la prière, notamment quand il va à la synagogue avec
son grand-père. C'est une forme d'initiation. J'ouvre en entier.
Anne
J'ai perdu le livre et n'ai pas pu le finir. Il a une écriture
qui n'est pas égale dans la manière de procéder.
Il y a au début une reconstruction très idéaliste,
peu réelle, peu crédible, mais cela ne gênait pas.
Puis il passe à un autre mode, il prend des fragments courts, mais
d'une force considérable (l'enclos par exemple) qui sont aussi
des reconstructions, mais pas du même ordre. Il est là avec
des sensations, mais pas d'images. Façon de ré-aborder l'enfance
de manière plus construite. Mais c'est sa manière sinon
il est déconstruit. Il n'est pas dans le sentiment car il est complètement
ailleurs. S'il l'était, il se serait effondré. Il a dû
rencontrer des personnages forts dans la forêt qui lui ont permis
de se construire. Même s'il ne l'évoque pas. Beaucoup de
silence notamment d'anciens qui sentaient sûrement l'horreur arriver.
Contrairement à David, je trouve effectivement qu'il y a un côté
moins fabuleux quand il s'intéresse au hassidisme. Mais je pense
que ce qui est intéressant dans cette troisième partie,
c'est qu'il accède à quelque chose d'important pour survivre
dans la société : la résolution du conflit notamment
intérieur. Il réalise que le yiddish peut rejoindre l'hébreu.
Grâce à des rencontres. La place de l'agriculture et le bien
que cela a pu lui procurer, c'est important. Il a alors mûri ses
propres fruits de langage. Le livre est donc très intéressant
de la manière même dont il structure le récit, selon
de quel moment il parle. Beaucoup de retenue dans la scène du pommier.
Quand il croque avidement une pomme, il croque enfin la vie. J'ouvre en
entier.
Ana-Cristina
Il a commencé son uvre par l'écriture de poèmes
mais qu'il a trouvé trop sentimentaux, trop faux. Qui ne le construisaient
pas.
Monique M
J'ai trouvé ce récit d'autant plus émouvant et prenant
qu'il est vécu par un enfant. C'est écrit avec une grande
sobriété, efficacement, sans aucun sentimentalisme, uniquement
des faits reflétant la réalité de la guerre, les
réactions des humains, généreuses ou abjectes. Il
n'y a de sa part aucune plainte, aucune morale, aucun jugement. C'est
uniquement la relation d'un parcours de survie initiatique, où
il se bat et grandit dans tous les sens du terme, de rencontre en rencontre,
d'expérience en expérience. J'aime sa façon de raconter,
cette limpidité des phrases qui reflète celle de son monde
intérieur. Il y a une grande pudeur, une grande honnêteté
dans ce récit. De ce journal d'adolescent qu'il a tenu, dont il
disait que c'est "une
mosaïque de mots allemands, yiddishs, hébreux, et même
ruthènes. (...) Cet amoncellement n'est pas une forme d'expression,
mais un instantané de l'âme". Il a forgé
ce livre où l'on sent qu'il a fait sienne la devise d'un de ses
maîtres, Agnon qui lui disait "de
ne jamais oublier d'où il venait et où il devait aller".
Ainsi a-t-il cet art d'aller à l'essentiel, de le cultiver en allant
toujours plus profond en lui, vers ce qui est le plus en accord avec ce
qu'il ressent, avec cette noblesse, ce sens de la justesse qui le caractérise.
La foule de personnages qui gravitent autour du narrateur anime et enrichit
le fil du récit par l'originalité de leur personnalité
ou les anecdotes qui s'y rattachent. Personnages du monde de l'enfance
comme les parents, le grand-père très pieux, l'oncle Félix,
Victoria la domestique qui s'enfuit avec les bijoux au moment critique
et ceux d'après, comme la paysanne Maria, le paysan aveugle qui
le bat, les exploiteurs d'enfants, les fous du camp, Helga la petite fille
à la jambe coupée qui se souvient de la pluie
On sent
que tous ces personnages ne sont pas fictifs, qu'eux ou des personnages
semblables ont existé et ont eu un rôle important dans la
vie d'Aharon Appelfeld. J'aime l'imaginaire de l'auteur, un imaginaire
poétique puissant, développé dès l'enfance
dans la contemplation de la nature, des êtres et des choses et dans
les sensations intenses que sa sensibilité a exacerbées :
ainsi, perdu dans la forêt, pense-t-il revoir ses parents "si
le vent était fort, si je voyais un cheval blanc, si le coucher
du soleil n'était pas incandescent". Il y a aussi
cette préscience des choses, des événements à
venir ; prescience dès l'enfance de sa séparation avec
sa mère ; prescience des dangers qui justifie ses heures d'écoute,
allongé sur le sol, avant de s'aventurer vers telle ou telle maison
susceptible de l'accueillir ; prescience que les animaux sont plus
sûrs : "parfois
il me semble que ce ne sont pas les hommes qui m'ont sauvé mais
des animaux qui se sont trouvés sur mon chemin".
De nombreuses réflexions ont valeur universelle : comme cette certitude
que c'est le corps qui enregistre et se souvient, pas la mémoire
Que la faiblesse est notre essence et notre humanité et qu'il a
appris à la respecter
Qu'il est préférable
de faire confiance aux humbles plutôt qu'aux érudits ;
aux prestidigitateurs de la langue car les vrais amis "tendent
le mot juste comme une tranche de pain en temps de guerre et s'ils ne
l'ont pas restent assis près de vous et se taisent".
C'est un livre d'une éthique et honnêteté rares. Un
livre qui ne prétend donner aucune leçon, juste le constat
d'une tranche de vie dans les affres de la guerre. Il a vécu cela,
en est sorti vivant, a vu longtemps après, dans ce club décrit
au dernier chapitre, les hommes recommencer leurs affrontements fratricides
sans rien retenir de l'Histoire. Je l'ouvre en grand.
Katherine
Je voulais aborder deux aspects. La langue que j'ai trouvée géniale
qui est un héritage de la guerre des ghettos (voir
p. 114) qui montre la méfiance qu'il a envers toute
la fioriture qu'il peut y avoir avec les mots. Je suis complètement
d'accord avec tout ce qui a été dit autour de la langue.
Ensuite j'ai lu Primo
Levi, Elie Wiesel,
qui sont adultes. Lui écrit son souvenir d'enfant. Il y a une précision
journalistique dans ce qu'il rapporte. On n'est pas au courant du mélange
de fiction. Mais on sent l'envie de raconter la guerre comme il l'a vécu,
mais surtout sans tomber dans le pathos. On lui reproche d'ailleurs quand
il arrive en Israël qu'il ne fasse pas ressortir l'héroïsme
des Juifs. Il décrit ce qu'il avait vu dans les camps, des gens
d'une incroyable générosité et des gens qui deviennent
de véritables sauvages. C'était intéressant car ça
tranche avec ce qu'on entend globalement sur la Shoah.
La limpidité et la simplicité de la langue donnent envie
de lire chaque page sans ressentir le besoin de sauter des pages. J'aime
beaucoup ces témoignages-là. J'ai apprécié
la lucidité et la limpidité du style tant dans le récit
que dans la langue. J'ouvre en entier.
Inès
Je suis un peu perturbée car j'aurais ouvert en grand le livre
avant de venir ce soir, mais après vous avoir tous entendus, je
ne l'ouvrirai qu'aux ¾. Car finalement je crois que c'est le thème
qu'aborde le livre, plus que le livre lui-même qui m'a plu. Je ne
saurai plus dire maintenant pourquoi j'ai tant apprécié
ce livre. Il fait écho à plusieurs de mes récentes
lectures, sur le thème de la communauté juive assimilée
qui a quand même subie le nazisme, ou sur l'Allemagne nazie, ou
même à des séries que je regarde dont une porte sur
l'Allemagne d'entre-deux-guerres.
Je suis entièrement d'accord avec tout ce qui a été
dit avant, sur la simplicité de l'écriture, son aspect brut,
objectif, simple, mais tremblant de vérité. Les scènes
de son enfance ne m'ont pas particulièrement marquées, ou
peut-être inconsciemment. Les scènes qu'il décrit
en revanche de sa vie d'adulte m'ont plus parlé : lorsqu'il
raconte comment les survivants de la Shoah sont traités par les
élèves devant lesquels ils viennent raconter leur expérience,
lorsqu'il raconte son expérience à l'armée et ses
échanges avec les soldats qui lui disent combien leurs parents
évitent de parler et de leur raconter cette période des
ghettos.
Finalement, en fermant le livre et allant chercher à en savoir
plus sur sa vie, j'ai été un peu "déçue"
de voir que ce livre était finalement assez romancé. Moi
qui pensais lire un récit tout à fait autobiographique,
je me suis sentie un peu "trompée". Et il l'est, mais
il transmet des sentiments aux lecteurs qui sont sans doute différents
de ceux qu'il aurait transmis en les rencontrant.
Un dernier mot sur la mémoire du corps. J'ai trouvé ses
mots extrêmement justes, et une sensibilité innée
chez cet homme, incroyable.
Nathalie B
J'ai bien aimé ce roman par lequel l'auteur livre tout en pudeur
le passé terrifiant qui fut le sien. C'est en même temps
difficile de dire qu'on a "aimé" la première partie
par exemple, dans laquelle se trouvent l'assassinat de sa mère,
le ghetto, la longue marche mortelle vers le camp, les rencontres d'humains
qui ne sont pour le moins pas toujours tendres avec lui, surtout lorsque
tout le monde sait que cela parle d'une histoire réelle. Mais sa
façon de le raconter permet de lire ces faits terribles avec une
sorte de distance avec la douleur, l'effroi ou l'horreur. Appelfeld dit
d'ailleurs qu'en littérature - et il fait ici uvre
de littérature - que ce qui est important, ce n'est pas le
sujet, ce sont les mots. Et c'est vrai qu'il nous fait entendre sa musique
et voir les images qu'il souhaite transmettre. Il y a une belle écriture,
qui sonne juste. Ce qui est également intéressant, c'est
son uvre à contre-courant et dont il explique les difficultés
rencontrées par lui, car il était justement à contre-courant.
J'ai bien aimé également ce qu'il dit sur l'écriture,
sur la littérature.
J'aime beaucoup pour ma part la dernière partie, et notamment celle
relative au club de ceux de sa région de naissance qui avaient
vécu la Shoah, dont il dit avoir été pour lui un
substitut de maison. Il y décrit avec une telle finesse les différents
courants de la société israélienne, mais aussi le
fait que la mesquinerie, les disputes un peu stériles, les histoires
d'argent et de pouvoir restent prégnantes chez les humains, même
ceux qui ont connu la Shoah. On pourrait penser que traverser ce qu'ils
ont traversé les grandirait, ou en tout cas leur permettrait à
jamais de prendre de la hauteur. Mais en fait non. Avoir été
victime ne vous rend pas héros pour autant, ne vous rend pas plus
noble, meilleur
Ce fait interroge l'auteur, traverse son uvre,
même s'il en a pris son parti. Il le constate. Je ne suis pas d'accord
pour dire qu'il ne juge pas. Il juge, au sens kantien du terme. Il distingue.
Il préfère ceux qui rajoutent de la "lumière
à la lumière". Mais il ne condamne pas.
J'ouvre aux ¾ et ai du mal à expliquer pourquoi je ne l'ouvre
pas en grand. J'avais beaucoup entendu parler de cet auteur que je n'avais
jamais lu, et en attendais peut-être encore plus. Ou en raison du
sujet. Il m'est difficile de l'ouvrir en très grand parce que c'est
justement ce sujet. Dire je l'ai aimé passionnément me paraît
difficile. Peut-être aussi parce que finalement ce n'est pas l'histoire
d'une vie qui m'est racontée comme le laisse entendre le titre,
mais l'histoire de fragments de vie. Peut-être encore parce qu'ayant
beaucoup lu sur le sujet, je n'ai pas reçu de révélations.
Peut-être attendais-je d'être surprise. Et je ne l'ai pas
été. Ceci étant, j'aime bien ce roman. Et l'ouvre
aux ¾.
Valérie(avis
transmis)
Aharon Appelfeld nous dit dans Histoire d'une vie des choses fondamentales,
à mon sens, sur les langues et leurs pouvoirs identitaires émotionnels
comme : "Ma langue maternelle
était l'allemand. Ma grand-mère parlait yiddish et sa langue
avait un autre son, un autre goût car elle m'évoquait la
compote de pruneaux" ; ces deux langues sont les langues
de l'amour avec lesquelles s'est construit Aharon Appelfeld. Elles lui
permettent de faire vivre et revivre sa mère et le paradis perdu
de son enfance. Le temps d'avant la Shoah, celui qui n'existe plus que
dans son cur.
Quelle force émane de ce livre ? Je ne saurais dire exactement,
tant la douleur et l'indicible vécu par Aharon Appelfeld est immense.
Quand il dit encore : "Ma
langue maternelle était l'allemand, la langue des assassins de
ma mère. Comment parler à nouveau une langue baignée
de sang juif ? Ce dilemme, avec toute sa gravité, n'entama
pas le sentiment que mon allemand n'était pas la langue des allemands
mais celle de ma mère." Ce livre qui nous décrit
avec toute la retenue et pudeur ses années de fuite dans la forêt
et ce long périple des côtes italiennes jusqu'en Israël
est poignant et nous incite à relire encore ce roman. Pour ma part,
c'est la deuxième fois que je le lis. Toutes ces réflexions
et interrogations, ce qu'il dit sur la contemplation m'incitent à
penser qu'il est un ouvrage de référence. "La
contemplation soulage quelque peu du malheur et de l'apitoiement sur soi,
plus on contemple, plus la douleur diminue." Aharon Appelfeld
est un homme remarquable, s'il n'avait été juif, il aurait
pu être un Juste. Livre très grand ouvert.
Olivier(avis
transmis)
Après Socrate, Shakespeare, De Vinci, Bach, Mozart, Beethoven,
Tolstoï, Fleming, les bâtisseurs de cathédrales, et
des milliers d'autres..., notre chère civilisation occidentale,
après l'esclavage, la colonisation, la Première Guerre mondiale,
puis la Seconde, découvre dans les années 50 son enfant
monstrueux que l'on nomme aujourd'hui la Shoah. Et je suis là,
baby-boomer (1951) qui n'a vécu ni guerre ni famine et découvre
dans mes jeunes années ce qui s'est passé juste avant ma
naissance. Dans mon enfance, j'ai entendu parler des Juifs au catéchisme,
on m'avait simplement dit que les Juifs avaient tué le Christ.
Plus tard en 5e je crois, on nous a projeté Nuit
et Brouillard au lycée, mais cela n'a rien provoqué
en moi.
Puis j'ai lu vers mes 16 ans Au
nom de tous les miens de Martin Gray et Max Gallo. Et puis, devenu
adulte, les livres essentiels de Primo
Levi, Etty
Hillesum, Claude Lanzmann et le film Shoah,
et enfin en 2015 le film admirable de László Nemes Le
fils de Saul. Pour eux et tous les autres qui ont pu ou su témoigner
(ou montrer) : Respect et Admiration. Je cherchais un qualificatif
pour ces uvres, mais le mot chef-d'uvre ne convient pas. Je
trouve des mots comme "essentiel", le mot "indicible"
le mot "grand". Mais c'est toujours imparfait, et il ne peut
en être autrement. Ces uvres, je ne peux pas les mettre sur
le même plan que la littérature du monde. J'ai une reconnaissance
intime pour ces personnes qui m'ont montré l'Homme et la Shoah
et ce faisant, me poussent à une réflexion sans fin sur
mon existence en tant qu'homme justement. Quand Aharon Appelfeld écrit
: "Durant la guerre,
j'ai vu la vie dans sa nudité, sans fard. Le bien et le mal, le
beau et le laid se sont révélés à moi mêlés",
il montre le même chemin que ses illustres prédécesseurs.
Respect et Admiration. Si je garde comme critère la "grandeur"
du témoignage et c'est bien celui qui pour moi vient en premier,
ma référence est Primo Levi : Si
c'est un homme. Dans le livre d'Appelfeld, du fait de sa jeunesse
lors de la tragédie, et forcément de la mémoire de
l'enfant, le témoignage est très réduit pour comprendre
la Shoah. Appelfeld me parle de sa vie... après. Cet "après",
il est sans doute édifiant, sensible, sincère, plein d'humilité,
mais cela ne m'a pas franchement intéressé. Les considérations
sur la mémoire, c'est encore l'après. Peut-être est-ce
un très grand écrivain ? Mais je n'ai lu que ce livre !
Si je prends le livre tel qu'il se présente, une vie, je n'y trouve
pas mon compte ! Je l'ouvre au quart.
Les
15 cotes d'amour de l'ancien groupe réuni le 2
octobre |
Avis transmis
Danièle
J'ai commencé Histoire d'une vie. Cela a l'air très
beau, mais franchement, ce n'est pas du tout un livre que j'ai envie de
lire maintenant. Donc pas de Danièle ce soir comme prévu,
mais non plus pas d'avis sur le livre, sinon que j'ai senti dans la partie
du livre que j'ai lue une grande sensibilité et une sorte de pudeur
malgré les descriptions précises de situations horribles.
Je croyais tout connaître des atrocités nazies, mais j'en
apprends encore (les enfants donnés à dévorer aux
chiens).
Fanny
Happée par un espace-temps (et je le confesse par une lecture de
PD.
James), je n'ai
commencé Histoire d'une vie qu'hier et 24h c'est manifestement
trop court pour une vie.
J'ai lu une cinquantaine de pages et j'ai aussi eu envie de lire ce livre
sans précipitation.
J'aime le style d'écriture, soigné et qui je trouve retrace
bien l'univers dans lequel vit cet enfant.
J'attends forcément le moment où cela va basculer et où
tout ce cadre de vie va voler en éclat, je vais donc continuer
à y aller pas à pas.
(Quelques jours après) J'avance toujours dans Histoire
d'une vie, étape par étape, j'aime bien ce découpage
en différents chapitres assez brefs qui retracent autant de pages
de ce qu'il a vécu. C'est assez morcelé, à l'image
je pense des traumatismes et des ruptures qu'il a dû vivre.
Brigitte, entre et
J'ai lu ce livre, il y a quelques années. Je me rappelais que c'est
un très bon livre, mais j'en avais oublié le contenu.
Je l'ai donc relu en grande partie. Je continue à penser que c'est
un livre magnifique et j'essaie de comprendre ce qui fait sa grande qualité.
En y réfléchissant, j'arrive à la conclusion qu'il
touche à cet immense problème : comment écrire sur
l'indicible ? Quels mots choisir ? Quelle forme adopter ?
C'est la Littérature au sens le plus
noble du terme qui lui apporte la solution. Comme il l'explique :
"Les mots ne permettent pas d'affronter les grandes catastrophes ; ils sont pauvres, misérables et très vite faussés."
"Comment donne-t-on une forme à ce contenu brûlant ? Par où commence-t-on ? Comment relier les chaînons ? Quels mots utilise-t-on ?"
"C'est uniquement avec le temps que j'ai compris que ces matières premières étaient la moelle de la littérature et que, partant de là, il était possible de donner forme à une légende intime". (éd. Points, p. 116-117, éd. de L'Olivier p. 126-128)
Il fait appel à la littérature pour exprimer l'indicible.
Je crois que c'était aussi, mais sur des thèmes moins tragiques,
le projet de Nathalie Sarraute.
Au milieu de tous les autres, je retiens essentiellement deux chapitres
: le 15, où il évoque la grande marche forcée de
deux mois où il est encore avec son père ; et le 18,
où il revient sur son incapacité à retrouver une
langue pour communiquer avec les autres, au moment de son arrivée
en Israël (1946).
J'hésite à l'ouvrir entre ¾ et en grand.
Monique L
Exercice difficile de donner son avis sur un tel livre.
Je me sens trop écrasée par le contenu.
C'est un livre qui évoque le cheminement, la lente reconstruction
de l'auteur jusqu'à devenir l'écrivain et le penseur juif
qu'il est devenu.
L'auteur nous décrit ses émotions comme Juif de l'Europe
de l'Est face à l'antisémitisme croissant, la mort de sa
mère, les camps, sa longue errance dans les bois, sa libération
par l'Armée Rouge, sa longue marche, son séjour en Italie
puis son arrivée en Israël où tout n'a pas été
si facile.
On sent que ce livre a été écrit longtemps après
les événements. Il a sans doute idéalisé sa
mère et son grand-père, mais qui peut lui en vouloir.
La mémoire lui revient par bribes parfois sans chronologie.
Il fait bien ressentir comment le traumatisme de la Shoah fait partie
intégrante de sa personnalité.
Il donne un éclairage sur l'intégration des arrivants et
leurs divergences de pensée dans les premières années
d'Israël.
Pour lui, ne pas oublier ne consiste pas à ressasser ses souvenirs,
mais à en tenir compte dans son comportement, dans sa philosophie
de la vie et dans ses réflexions en tant que penseur et écrivain.
Il a du affronter l'incompréhension voir l'hostilité de
ses concitoyens qui considéraient qu'on ne devait pas écrire
de roman sur la Shoah mais seulement témoigner.
J'aurais aimé le questionner sur son point de vue concernant la
guerre des 6 jours qui n'a pas l'air de lui poser de problème.
Peut-être en a-t-il parlé ailleurs ?
.
J'ouvre aux ¾.
Geneviève
J'avais déjà lu un livre d'Appelfeld et j'avais beaucoup
aimé. J'avais aussi écouté Valérie Zenatti
en parler, et ça m'avait passionnée.
J'ai été captivée de bout en bout par cette suite
de réminiscences, et non de souvenirs, comme il le dit lui-même.
Je suis fascinée par la manière dont ce qui pourrait apparaître
parfois comme un patchwork décousu constitue en fait une trame,
une sorte de tissu chatoyant, pour restituer un drame de l'arrachement
et de la destruction. Les souvenirs de la vie d'avant recréent
tout un monde envolé, univers de coutumes, de croyances, d'habitudes
qui venaient de si loin. Mais l'image la plus forte qui me restera est
celle de cet enfant en lisière de bois qui observe le monde des
humains, d'où vient tout le danger. Je n'insiste pas sur la langue
qui est bien sûr magnifique, mais sur la place des langues, fil
directeur d'une réflexion très profonde sur les mondes qu'elles
portent et renferment. Le rapport à l'hébreu, langue outil,
imposée un projet d'État, prend tout son sens dans ce contexte.
En revanche, je serais curieuse de savoir quel type de débat et
d'échanges peut provoquer ce livre dont il me semble qu'on ne peut
ni le discuter ni le juger à l'aune des critères habituels.
C'est un kaléidoscope d'émotions avec lesquelles on entre
plus ou moins en résonance, comment débattre de cela ?
J'avoue que je n'en avais pas vraiment envie... l'histoire dira encore
une fois si c'était "un livre pour le groupe de lecture".
Manuel
Quel drôle de livre. À plus des ¾ du livre, j'ai relu
la préface de l'auteur qui est contradictoire avec la page de garde.
Pourquoi est-ce un Roman ? Ne serait-pas plutôt un récit
?
Je cite la préface, "les
pages qui suivent sont des fragments de mémoires et de contemplations".
Est-ce que ça peut faire un livre ? J'en doute
Il y
a beaucoup de redites sur la famille, la forêt, la fuite, le rapport
aux autres
Qu'est-ce que vient faire le chapitre 11 dans ce projet "de mémoire" ?
Les faits n'ont pas été vécus par l'auteur. Je n'ai
pas aimé le suspense qu'il instaure pour nous révéler
ce qui se passait de terrible dans le camp.
Le thème récurrent (nous avions lu Amos Oz qui en parlait
dans Une
histoire d'amour et de ténèbres) de l'appropriation
de la langue hébraïque par les survivants m'intéresse
toujours autant. C'est peut-être pour cette raison que le livre
m'a passionné à partir du chapitre 18 mais mon intérêt
est retombé à partir du chapitre 20. Je ne connais pas du
tout les auteurs et les personnalités dont il parle, ni les organisations.
Quel intérêt pour un néophyte ? Les notes de
fin sont trop courtes. Je suis resté en marge par manque de connaissances.
Mon avis est plutôt mitigé et j'ouvre ½.
Anne-Sophie
Jouvre en très grand. Mais je nai pas de mots pour
en parler, jai limpression que je ne dirais "rien qui
vaille".
On ne peut pas sortir dun retour continuel sur cette période
de lHistoire où lhomme a perdu son humanité.
Histoire dune vie ma touchée aussi fortement
que Si cest un homme, de Primo Levi.
Pas question de comparer les deux récits. Ils ont pour moi en commun
de réussir à transmettre lindicible. Merci au groupe
de mavoir fait découvrir ce livre indispensable.
Lisa
Je suis navrée d'avoir raté ce rendez-vous, j'aurais aimé
entendre les avis de vive voix. Fichu virus !
Je me suis plongée dans ce livre avec impatience : je n'avais
jamais lu cet auteur et la quatrième de couverture m'attirait.
J'ai directement aimé le livre, j'ai aimé découvrir
la vie de cet enfant, ses souvenirs de la campagne. L'atmosphère
était agréable, je visualise bien ce bout de campagne, ces
grands-parents croyants. Le passage sur l'oncle et sa maison est très
bien.
La guerre et la survie... j'aurais voulu en lire plus, j'ai trouvé
ce passage poignant, mais pas assez développé.
Malheureusement j'ai un peu décroché lors de l'arrivée
en Israël : trop décousu, moins de détails, je
commençais à décrocher.
Le livre est émaillé de réflexions sur la mémoire,
qui étaient assez intéressantes.
Le passage sur les langues et leur apprentissage m'a plu. J'ai souvent
l'idée de travailler à l'étranger, mais c'est cet
apprentissage des langues qui me terrifie et qui me retient. Même
sans y avoir été confrontée, je me suis retrouvée
dans des réflexions.
S'il n'y avait eu que les parties sur l'enfance et la guerre, j'aurais
ouvert en grand. L'ennui ressenti sur la fin me fait ouvrir à moitié.
Avis des présents
Etienne
Immédiatement, j'ai eu l'impression que ce livre m'avait trouvé
au bon moment. J'aime cette idée. Je sortais de lecture plus "technique"
(le Sciascia, Pessoa) et je me suis donc trouvé
enchanté par la fluidité du style d'Applefeld. Tout semblait
facile, bien articulé, très liquide. Un peu comme le regard
d'un enfant tout compte fait. Oui, il y avait une forme de candeur rafraîchissante
malgré l'extrême lourdeur et dureté du contexte. Et
puis il faut ajouter que je suis très sensible à l'écriture
des souvenirs et j'en trouvais là une des plus belles qui m'ait
été donné de lire. Loin de me gêner, les allers-retours
entre la forêt protectrice et les périodes d'avant-guerre
me faisaient voguer dans les connexions neuronales d'Applefeld. J'y trouvais
de lumineuses réflexions sur la mémoire et son rapport au
corps, sur l'intemporalité des souvenirs. À ce moment, je
me disais donc que le contrat était parfaitement rempli et que
j'ouvrirais ce livre en grand.
Et puis la machine se grippe à mi-chemin. Applefeld arrive en Israël
et la physionomie du texte change. Il donne l'impression de ne plus avoir
grand-chose à dire et tourne en rond. Il n'y est question que de
débats universitaires sur la place de la culture yiddish en Israël.
Mais pourquoi pas ? Le sujet est passionnant. Seulement c'est trop brouillon :
trop de références, trop de noms inconnus, trop de sous-entendus,
de métaphores, sur un sujet aussi pointu. On pressent des choses,
mais tout reste diffus. Ce qui tranche radicalement avec la première
partie du livre. Même la fin semble tomber comme un cheveu sur la
soupe. On passe du sensoriel à l'intellectuel/l'analytique, je
pense que c'est cela qui m'a un peu déçu.
Je l'ouvre à moitié.
Annick L
J'avais déjà lu ce livre qui m'avait beaucoup touchée.
Je l'ai relu avec le même intérêt. Mais cette fois
je n'étais plus prisonnière du récit de cette vie,
qui n'est d'ailleurs pas du tout linéaire. Et je me suis immergée
dans l'écriture, remarquable par son épure. Sur le style,
c'est vrai ce que tu disais, Etienne, concernant son changement après
la première partie consacrée au paradis de l'enfance. Je
l'avais ressenti sans me le formuler. Que dire d'autre, ce livre est tellement
dense ! J'ai aimé l'alternance des parenthèses lumineuses
avec les scènes dramatiques. Et je suis frappée par le fait
qu'il n'y a pas d'amertume, de colère dans la voix du narrateur,
il y a toujours une certaine distance, peut-être celle qu'autorise
le passage du temps. Le livre illustre bien le véritable fonctionnement
de la mémoire, émiettée, parcellaire. C'est un livre
fort sur le long processus de la résilience. Quant à son
arrivée en Israël elle est évoquée de façon
atypique - sans la touche d'héroïsme qu'on retrouve dans
d'autres romans - comme une épreuve terrible, avec le diktat
concernant les langues d'origine, en particulier le yiddish, et l'impossibilité
de mettre des mots sur l'expérience de la Shoah. On comprend ici
la façon dont l'identité doit se reconstruire à travers
la langue d'adoption, l'hébreu, a fortiori pour celui qui veut
devenir écrivain ; il y a vraiment de belles pages là-dessus.
J'ai été très émue aussi par la façon
dont il évoque l'enfant traqué, avec des pages inoubliables
sur son séjour dans la forêt et chez les deux "paysans"
ukrainiens. C'est très sensible et très brut de commentaire.
La quête de spiritualité d'Aharon Appelfeld est également
un thème intéressant, même si les références
m'échappent. Juste une réserve sur la fin qui m'a paru curieuse
avec l'impression de rester en suspens. En tout cas c'est une uvre
plus originale que celle d'Amos
Oz que nous avions lue ensemble. J'ouvre en grand pour la singularité
de la démarche.
À propos de l'épisode dans la forêt, je voudrais évoquer
Adam et
Thomas, un livre d'Appelfeld pour la jeunesse merveilleusement
illustré par Philippe Dumas : on y retrouve l'ami T. dont
il parle dans le livre que nous avons lu, et avec qui il a vécu
l'expérience terrible de traque dans la forêt. Une différence
notable à la fin du livre, parce que c'est un roman pour la jeunesse :
les deux enfants retrouvent leur maman.
Séverine
C'est le premier livre que je lis de cet auteur et d'ailleurs je n'ai
jamais lu d'auteur hébreu [à
Voix au chapitre nous avons lu trois auteurs israéliens,
mais aucun n'écrivant en hébreu : Amos
Oz, David
Grossman, Michael
Handelzalts]. Comme je n'ai pas de mémoire, c'est de
la forêt dont je me souviendrai. Le mot pudeur a été
employé ; il raconte comme si c'était naturel. Je suis d'accord
concernant la deuxième partie - j'ai lâché l'affaire,
avec tous les noms cités quand il écrit. Il y a plein de
réflexions sur la vie ; étonnant cette confiance plutôt
dans les animaux. Il y a des beaux passages sur la contemplation. Je réagis
un peu comme Manuel et j'ouvre à moitié. Le sujet ne m'a
pas emballée : je me suis dit ça va être plombant,
eh bien non ; c'est le côté résiliant. Quant au club,
si, c'est intéressant, mais quand même la deuxième
partie est moins intéressante.
Annick A
Il y a quatre ou cinq ans on m'avait offert ce livre sans que j'aie eu
envie de le lire et je me suis dit que c'était l'occasion de m'y
plonger. J'ai eu beaucoup de mal à le lire. Je ne l'ai pas lu en
une seule fois, je lisais autre chose à côté et, chaque
fois que je le reprenais, je m'y perdais car les scènes n'ont pas
de lien entre elles et ne sont pas situées dans l'espace-temps.
Ça m'a dérangée, mais c'est le propre de l'écriture
de ce livre. Ce qui m'a beaucoup intéressée, c'est la question
de la langue et de la mémoire. Appelfeld dit qu'il n'a pas de mémoire,
mais celle-ci est inscrite dans son corps et ressurgit dans des sensations
physiques.
"Ce qui s'est gravé en moi cette année-là, ce sont principalement des sensations physiques très fortes. Le besoin de manger du pain. Aujourd'hui encore je me réveille la nuit, affamé. (...) Tout ce qui s'est passé s'est inscrit dans les cellules du corps et non dans la mémoire. Les cellules, semble-t-il, se souviennent mieux que la mémoire, pourtant prédestinée à cela. De longues années après la guerre, je ne marchais ni au milieu du trottoir ni au milieu de la route mais je rasais les murs, toujours dans l'ombre et toujours d'un pas rapide, comme si je fuyais. Je ne suis pas enclin à pleurer en général; mais des séparations insignifiantes me font sangloter violemment" (p. 109-110, éd. de L'Olivier)
Certains patients en analyse n'ont aucun souvenir de leur petite enfance
et les traumatismes subis ne peuvent pas s'exprimer par la parole, mais
par des réminiscences corporelles. Il y a trois parties dans ce
livre avec chacune une écriture différente. La première
partie concerne les souvenirs de son enfance avant la guerre. Ce sont
réellement des souvenirs qui peuvent passer par la parole et l'écriture
est fluide, très détaillée et imagée. Deuxième
partie, l'errance où l'écriture empêche le lecteur
de faire des liens entre les scènes narratives décousues
et le plonge ainsi dans l'errance. La troisième partie sur sa vie
en Israël est une écriture beaucoup plus technique. Cette
partie m'a beaucoup ennuyée car ce dont il parle m'est totalement
étranger. Cependant j'ai été très touchée
par l'écartèlement dans lequel Appelfeld a été
mis par l'apprentissage de l'hébreu et le conflit de langue : "Ma
langue maternelle et ma mère ne faisait qu'un. À présent,
avec l'extinction de la langue en moi, je sentais que ma mère mourait
une seconde fois". Renoncer au yiddish c'est trahir son
grand-père.
J'ouvre ce livre à moitié, tout en me disant qu'il n'est
pas possible d'avoir une critique objective du livre étant donné
la façon dont l'auteur y est impliqué de façon dramatique.
Jacqueline
J'en ai lu plusieurs, qui se situaient tous pendant la guerre ou à
la fin. Je n'ai pas lu les livres d'Appelfeld qui parlaient de la période
précédente, peut-être parce que d'autres écrivains
ont évoqué cette Mitteleuropa. Je suis contente qu'il me
reste des livres d'Appelfeld à lire ! Je l'ai découvert
après sa mort, il y a un peu plus d'un an. Une bibliothécaire
m'avait parlé de Dans
le faisceau des vivants, le livre hommage qu'avait écrit
Valérie Zenatti juste après sa mort. C'était un très
beau livre de deuil qui racontait simplement, et avec beaucoup d'émotion
contenue, l'amitié entre cet homme d'expérience et sa jeune
et dernière traductrice en français. Elle m'a fait découvrir
Appelfeld et c'était bien de le faire à travers son regard.
J'ai lu Tsili
(adapté au cinéma par
Amos Gitaï), l'histoire d'une jeune fille simple qui fait à
la fin de la guerre un parcours qui rappelle celui de l'auteur, et Le
garçon qui voulait dormir, qui tous deux parlent de reconstruction
après la guerre. J'étais très admirative de sa manière
d'écrire, de la façon d'aborder des choses très difficiles
en les faisant ressentir. Ses livres sont nourris de souvenir et en même
temps parlent du souvenir, un peu comme le fait Modiano, mais d'une façon
plus forte. Quand on a proposé Histoire d'une vie dans le
groupe, j'étais à la fois contente qu'on lise un livre qui
me paraît appartenir au meilleur de la littérature et inquiète
d'entendre comment il serait reçu...
De ce livre, je croyais me rappeler l'histoire d'une mère extraordinaire,
voyageant avec son fils en quête de culture et d'art, emmenant son
fils admirer la nature et visiter les églises, détachée
des contraintes matérielles auxquelles le père devait faire
face, réfugiée dans un monastère avant une mort dans
la tourmente. En le relisant, j'ai été étonnée
de ne pas l'y retrouver, même si ce livre rend très sensible
l'amour du narrateur pour sa mère. Je confondais sans doute avec
Des
jours d'une stupéfiante clarté. Dans plusieurs de
ses romans, il y a un narrateur qui dis "je", avec des parents
qui, malgré des variations biographiques, ont une même relation
avec lui. En tout cas, je l'ai relu avec un même plaisir fou de
lecture et la même admiration pour l'auteur.
Je ne voudrais pas répéter ce qui a déjà été
dit, mais dans la première partie, j'aime les touches sensibles
de ces tableaux souvenirs : la mère, la jeune ruthène
et le panier de fraises..., la houle gigantesque des jambes des écoliers
plus vieux qui le harcèlent, l'évocation rapide et précise
des comportements dans le ghetto... J'ai aussi beaucoup aimé tout
ce qu'il dit de la langue, de sa langue maternelle dans un bain riche
et composite, puis de sa difficulté avec l'hébreu qui deviendra
sa langue d'écriture. Plus tard, je n'ai pas du tout été
rebutée par tout le passage sur sa formation littéraire.
Je crois que c'est Amos
Oz qui m'avait déjà fait mesurer comme nous ignorons
les auteurs de littérature juive. Agnon,
j'ai envie de le lire. L'histoire du club m'a profondément émue,
peut-être parce que j'ai rencontré dans ma jeunesse des voisins
qui auraient pu y participer et j'ai aimé que le livre se termine
ainsi, comme une histoire de quelque chose en train de s'effacer et disparaître.
J'ouvre plus qu'en grand.
Catherine
J'étais d'abord assez désarçonnée par le style
très épuré, avec des phrases courtes, et un récit
un peu décousu, avec des scènes non reliées dans
le temps ; il manque des explications. Puis en fait, en avançant
dans le récit, j'ai réalisé que ça correspondait
effectivement aux souvenirs fragmentés que peut garder un jeune
enfant des premières années de sa vie. J'ai beaucoup aimé
les scènes avec les grands-parents, le yiddish, la synagogue, le
côté contemplatif de l'enfant, la partie qui se passe dans
la forêt. À partir du chapitre 15, cela n'a rien à
voir, il y a vraiment deux parties très distinctes pour moi dans
ce livre, avec un style d'écriture différent. La deuxième
partie m'a beaucoup intéressée. Pas le côté
lié à la littérature juive, mais les réflexions
sur la langue : à l'arrivée en Israël, il a à
fois quasiment perdu l'usage de la parole, en vivant seul pendant deux
ou trois ans et se retrouve dans un pays nouveau où on l'oblige
à changer de langue. Ses réflexions sur les difficultés
de transmission de ce que les Juifs ont vécu dans les camps aux
générations suivantes me semblent également très
justes. J'ai commencé à fatiguer vers la fin, la partie
sur la littérature juive, le club. J'avoue ne pas avoir compris
la fin, il n'y a d'ailleurs pas vraiment de fin - j'imagine que c'est
fait exprès.
Une autre chose qui m'a frappée, c'est la place qu'occupe le personnage
de la mère, c'est un personnage central mais on ne sait pas grand
chose de précis, le narrateur en parle sans en parler, il ne la
décrit pas par exemple. On ne la voit pas mourir - ce qui
est d'ailleurs préférable car cela évite le pathos.
Il évoque juste un cri.
Pour moi c'est un très beau livre, tout à fait pour le groupe
lecture
J'ouvre aux ¾.
Claire
Je l'ai abordé comme un grand devoir et un grand livre, mais pas
sûre du tout qu'il allait me plaire. Je tiens à le lire comme
un roman et ce n'est qu'après que je veux bien me livrer à
la sanctification... J'en ai lu d'abord les ¾ il y a un certain
temps, j'ai lu ensuite autour, puis je l'ai relu.
Je trouve qu'il alimente parfaitement deux débats : d'une part
la légitimité littéraire (je pense à notre
polémique sur l'appropriation culturelle et j'ai une citation pour
tout à l'heure d'Appelfeld qui va rajouter de l'explosif sur le
feu) et d'autre part la définition de la littérature, en
raison d'une question de fond que nous pose, à nous groupe Voix
au chapitre une internaute - et Brigitte a déjà abordé
la question.
Le texte m'a tout de suite captivée, avec sa préface qui
décline la question du genre... littéraire (je l'ai lu dans
l'édition de l'Olivier et je découvre que dans l'édition
de poche Points, il est sous-titré "roman" ! Admettons
que ce soit une affaire éditoriale...).
Je suis tout à fait Geneviève sur la composition que je
trouve remarquable, avec ses passages en douceur d'une époque à
l'autre, l'entrelacement est vraiment réussi : j'ai trouvé
étonnant de si peu situer les faits, les lieux, les temps, et c'est
ce qui contribue à le faire échapper au genre du témoignage.
En le relisant, j'ai noté les dates, car il y en a, très
régulièrement finalement : de 1937 à 1956.
Nathalie
Jusqu'à 1973.
Claire
Ah oui. Ce qui me frappe, c'est la voix de ce narrateur, mesurée,
sans pathos, sans accusation pour décrire l'horreur, sans adjectif,
sans sentiment presque, et qui suscite de l'émotion pourtant retenue.
J'ai retrouvé l'extrême sympathie pour le narrateur en écoutant
l'auteur.
J'aime l'écriture, avec parfois des "bonheurs d'écriture"
(expression que je trouve vraiment convenir ici), par exemple à
propos de l'amour de sa mère pour l'allemand : "Dans
sa bouche les mots avaient une sonorité pure, comme si elle les
prononçait dans une clochette de verre exotique"
ou lors de disputes des ses parents, le silence de son grand-père
était "tranquille
et dénué de colère, il ressemblait à un gros
oreiller sur lequel on pose la tête".
Il y a des scènes extraordinaires, par exemple les dernières
lignes du chapitre 2 pendant la marche de déportation l'hiver,
où l'oncle, ce personnage lui aussi extraordinaire, aide à
enterrer les corps "afin
qu'ils ne servent pas de nourriture aux rapaces. Lui-même succomba
au typhus dans une grange, et Papa, qui souhaitait l'enterrer, ne trouva
pas de bêche. Nous le déposâmes sur une botte de foin"
: la façon dont c'est raconté relève de l'art dramaturgique,
non ? Analogue à celui du thriller ?...
Le livre est riche de thèmes. J'ai beaucoup aimé la place
de l'athéisme dans le livre, quand les parents renvoient à
la magie tout ce qui est religieux, j'ai jubilé. Et l'enterrement
de la tante Régina, quel moment non dépourvu d'humour !
Avec Rilke et le quatuor qui joue pendant 7 jours la liste d'uvres
qu'elle avait prévues ! On a du mal à le croire...
C'est justement de vraisemblance que je voudrais maintenant parler. D'abord
l'utilisation du présent - comme si on y était avec l'enfant
- m'a quand même donné au début le sentiment d'une
reconstruction, par exemple à propos de sa mère toujours
triste le soir du sabbat : "Il
me semble qu'autrefois elle savait parler à Dieu dans sa langue,
comme Grand-père et Grand-mère, mais que, suite à
un malentendu entre Lui et elle, elle a oublié cette langue. Ce
regret la rend mélancolique le soir du sabbat."
Quand je lis ça de la part d'un enfant qui a moins de 7 ans, je
doute, je doute... Encore plus avec : "Quatre
hommes près de l'estrade élèvent la voix, comme s'ils
souhaitaient l'annulation de leur être." Curieux,
non ? Mais au fil du livre, cette interrogation a cessé.
Si je comprends que le projet est vraiment littéraire, s'éloignant
délibérément du témoignage, n'hésitant
pas à imaginer, quand j'ai lu la scène stupéfiante
des enfants aveugles au chapitre 6, qui chantent à chaque station,
telles celles de la Passion du Christ, avant d'aller vers la mort, j'ai
eu un sentiment de too much. Qui s'est expliqué quand il confesse
à Laure Adler qu'il l'a inventé. Je vais choquer en disant :
Yoga d'Emmanuel Carrère (actuellement dénudé
par sa femme dans
Vanity Fair) et lui, même combat... J'ouvre aux ¾.
Très heureuse d'avoir lu ce grand livre mais je n'ai aucune envie
d'en lire un autre, ayant compris qu'il s'agit d'une "saga",
comme dit l'auteur...
Laura
J'ai beaucoup apprécié l'ouvrage, et cela pour plusieurs
raisons. D'abord, parce que c'est une histoire vraie, emplie de véritables
sentiments, et dont la vie réelle semble extraordinaire. Ensuite,
pour le rapport du narrateur à la vie en général :
le livre est plein de pureté qui se ressent jusque dans l'écriture
qui est fluide. Par ailleurs, j'ai trouvé qu'Appelfeld avait écrit
un livre religieux, ce qui m'a directement attirée. La religion,
ici, transparaît à travers tout et notamment dans le rapport
du narrateur à la nature : c'est elle qui permet de vivre,
c'est en elle qu'on trouve le sublime, l'abnégation, l'oubli de
soi. Pour parler des personnages, je n'ai pas vécu de grandes identifications,
hormis avec le personnage de l'oncle Félix : un amoureux inconditionnel
de la culture et des livres (je veux croire que dans sa bibliothèque
se trouvait Kierkegaard !), un côté gauchiste plein
de bienveillance, et son silence naturel.
J'ai trouvé par ailleurs que l'ouvrage était foisonnant
de réflexions intéressantes (je n'en développe que
deux) :
- L'auteur engage tout au long de son uvre une réflexion
sur l'écriture, la douleur de l'écriture. Lorsqu'il relit
son journal de jeunesse, il n'y retrouve que des mots, pas de liens, pas
de phrases. Ce sont des mots qui sortent du cur, mais qui sont en
partie retenus, c'est un appel à l'aide, un cri. Un cri de l'âme
qui ne supporte plus une souffrance incompréhensible. Appelfeld
n'en parle absolument pas dans l'ouvrage (je précise
), mais
c'est un point qui se ressent (certaines ont parlé de pudeur).
J'ai rapidement relié cette remarque à l'écriture
et aux ouvrages de Kafka (qui fait partie intégrante de l'éducation
littéraire d'Appelfeld), qui eux aussi, sont de véritables
cris : ils se ressentent dans l'écriture, dans le fait que
les livres ne soient pas achevés, dans la métamorphose,
les lieux inconnus et absurdes, etc. Je trouve alors qu'Appelfeld a une
véritable inspiration kafkaïenne. Derrière son écriture
nostalgique du passé, derrière ce mouvement gracieux et
incessant de l'écriture, il y a toujours ce cri.
- Appelfeld parle souvent de contemplation. La contemplation de paysages
bucoliques, la contemplation pour l'oubli de soi. Ça m'a fait penser
à toute la réflexion d'Aristote dans l'Éthique
à Nicomaque sur la philosophie (livre X, chapitres
7-8). La contemplation selon Aristote ne se cantonne pas à
observer bêtement un paysage, la contemplation est le travail du
philosophe, l'activité de pensée théorique et abstraite.
Le narrateur, en observant les paysages, ne s'abandonne pas complètement,
il pense nécessairement (la question reste : à quoi
exactement), à la prière peut-être, au fait de ne
pas savoir parler le langage de dieu. Aristote donne plusieurs arguments
pour justifier que la contemplation mène au bonheur : c'est l'activité
la plus continue, elle n'est jamais véritablement interrompue (de
même pour les réflexions du narrateur) ; elle se travaille
en autarcie, le sage n'a pas besoin de rien ni de personne (c'est aussi
le cas du narrateur lorsqu'il était enfant, dans la forêt,
mais aussi une fois en Israël, à l'armée) ; et
c'est une activité entièrement désintéressée
(facile à relier avec le sujet). C'est ici que l'humain touche
au divin. On peut alors croire que le narrateur parlait la langue de dieu
de cette manière-là, lui qui avait si peur de ne jamais
pouvoir communiquer, il se dépasse lui-même sans s'en rendre
compte.
Il me reste deux points négatifs qui m'ont dérangée
:
- lacune dans les sujets politiques (qu'en est-il du conflit israélo-palestinien
?)
- et j'ai totalement décroché vers la fin du livre, lors
de ce "papotage" sur la vie des autres. J'ai trouvé ces
passages étonnamment bâclés et vides en termes de
réflexion.
Nathalie R
J'ai beaucoup aimé ce livre. Il m'a beaucoup touchée. J'ai
très souvent eu envie de pleurer parce que j'étais bouleversée
(épisodes de la forêt, des enfants dévorés,
de la solitude, des enfants aveugles), j'ai vraiment eu du mal à
le lire. Il est sous-titré "roman" dans mon édition
Points, mais il reprend de façon traditionnelle les étapes
du récit autobiographique bien qu'on puisse considérer qu'il
ne raconte pas la vie d'Appelfed mais une partie de sa vie - on ne
sait rien de sa vie affective, on ne sait pas s'il a eu des enfants, quel
travail il a effectué, etc. On retrouve d'ailleurs un écho
au titre du livre p. 195 et une possible piste
sur la justification du titre "La
vieille peur que l'histoire de nos vies (...) ne soient ensevelies sans
qu'il en demeure aucun souvenir". Le récit commence
par des souvenirs fondateurs formidables comme l'épisode des fraises
(qui me semble très symbolique de la douceur qui existe dans la
vie d'avant - douceur de l'offrande, mais aussi satisfaction "nourricière"
offerte par la mère et le père, période de l'âge
d'or) et celui très drôle de la serveuse qui lui dévore
les orteils (épisode de dévoration propre à l'enfance)
qui m'a fait penser à certains des épisodes de l'autobiographie
de Rousseau. De la même façon, il y a quelque chose de l'ordre
des "merveilles" p. 18 au sens propre
du terme, dans cette partie de sa vie car le narrateur évoque avec
une capacité extraordinaire pour l'enfant qu'il était
la fin de l'âge d'or : à l'âge de 5 ans, il ressent
une "tristesse" qui lui étreint le cur et précède
la catastrophe. De même encore dans sa capacité à
se souvenir de certains détails comme l'épisode de la synagogue
et la description des rouleaux de la Torah. Je me suis régalée
avec les souvenirs d'enfance. C'est très réussi, il y a
une émotion incroyable et en même temps une grande douceur,
même si c'est idéalisé. J'ai adoré découvrir
la notion Lacanienne de Lallation ("Lalangue") qui renvoie à
la part sonore du lien perdu à la mère. Je ne reprendrai
pas tout ce qui a été dit précédemment mais
il se trouve que je vis cette perte de la langue de façon très
réelle dans mon quotidien professionnel où des enfants de
10 ans ont parfois été arrachés sans leur accord
à leur langue maternelle qu'ils oublient et se retrouvent dans
l'incapacité d'exprimer leurs préoccupations dans la langue
qu'on leur impose d'adopter. Il y a quelque chose de terrible à
voir leur détresse que l'on ne peut combler. Je ne savais pas non
plus que toute une partie de la population avait revendiqué un
rejet de Dieu. Même si cela peut me sembler logique à moi,
on a du mal à l'imaginer aujourd'hui où la revendication
identitaire juive est très présente dans nos actualités.
Le narrateur indique "nous
n'avons pas vu Dieu dans les camps mais nous y avons vu des justes"
p. 152 et il développe tout au long
de son livre une réflexion sur la notion de "méchants"
qui participe du vocabulaire enfantin, mais qui me semble à la
fois archaïque et fondamental (notions de bien et de mal, de Dieu
et du "malin" qui expliquerait l'inexplicable). Il développe
aussi l'impossibilité à relier le judaïsme au monde
moderne (p. 165), ce qui montre la singularité
de cette communauté et qui provoque parfois chez moi un désir
violent d'appartenir à une communauté. C'est très
intéressant.
Je trouve que le livre est circulaire, il s'ouvre dès la préface
sur l'importance de la contemplation, sur l'évocation d'un monde
perdu (qui fait écho à celui de la grand-mère du
narrateur qui est comme une sorte de reflet "elle
sombre dans son grand corps et parle à ma mère des jours
anciens" p. 18), sur l'indicible
à dire ce qui s'est passé et que personne ne croira. Je
me suis dit qu'on pouvait ne pas vouloir raconter ce qui était
arrivé (quel que soit le conflit guerres, génocides,
etc.) parce qu'on pouvait vouloir épargner les générations
qui nous succèdent, qui ont déjà à prendre
conscience d'un passé historique terrible. Je trouve cela injuste
et je me dis qu'on a aussi le devoir d'alléger leur esprit, bien
que je défende le devoir de mémoire.
Pour finir sur une note gaie, j'ai beaucoup ri en ce qui concerne le monde
de l'édition dont il dénonce avec humour les réactions
toutes négatives quant à son écriture ou ses projets,
alors que ses amis disent des choses bien plus utiles que les éditeurs
ou parfois ne disent même rien, mais lui donnent la force d'avancer.
Pour ce qui est du projet du livre, il me semble qu'il existe une nécessité
de mettre du sens à des événements qui arrivent et
qu'on ne maîtrise pas. Appelfeld laisse entrevoir le rapport de
son narrateur à son Dieu quand il cherche coûte que coûte
à apprendre à prier et qu'on le lui refuse, mais également
dans la clôture de son livre où le centre devient une Yeshiva
- centre d'étude de la Torah et du Talmud dans le judaïsme
(p. 209), bouclant ainsi la boucle sur l'idée qu'il n'y
a pas de réponse.
Claire
Geneviève se demandait quel type de débat pouvait provoquer
ce livre parce qu'il lui semblait "qu'on ne peut ni le discuter ni
le juger à l'aune des critères habituels". Si quelques-uns
se sont trouvés pétrifiés pour parler de ce livre,
bien d'autres n'ont pas hésité à parler de celui-ci
comme d'un autre, le portant aux nues ou disant leurs réserves.
Et comme d'habitude, la diversité des réactions est au rendez-vous,
encore plus forte d'ailleurs dans l'ancien groupe que dans le nouveau.
Sortons du livre pour en venir à la
polémique que nous avons entamée, en en rappelant de
façon caricaturale les termes : a-t-on vraiment le droit de (=
est-on légitime pour) faire un livre au sujet d'une situation qu'on
n'a pas vécue : vivre en Sicile, chez les Hopis, être noir,
vivre la Shoah... Et voici ce que dit Appelfeld de Jonathan Littell et
de ses Bienveillantes
(mémoires dun personnage fictif qui a participé
aux massacres de masse nazis comme officier SS).
Les bras nous en tombent lorsque nous découvrons qu'en plus, il n'a pas lu le livre. Nous lisons plus en détail ses propos et ce que nous comprenons est qu'il condamne le fait de donner la parole à des assassins : à ce compte-là, une partie de la littérature saute... Molière, Shakespeare par exemple...
Grande bouffe venant en partie de la rue des Rosiers...
Question d'une internaute qui suit notre site,
lue pendant la séance
Bonjour,
Vous qui êtes des littéraires, je voudrais avoir quelques
lumières à propos de la littérature.
Qu'est-ce que la littérature ? Grande question à laquelle
quelques amis et moi n'avons trouvé de réponse. Pourquoi
on ne peut dire de certains écrivains très connus que ce
sont des bons ou même de grands écrivains ?
Je sais bien que cela ne se décide pas au nombre d'exemplaire vendus,
Marc Levy ou certains journalistes vendent beaucoup, et pourtant ils ne
sont pas des écrivains de talent (pour moi par exemple Tolstoï,
Hugo, Stendhal etc., et plus près de nous Albert Cohen, D'Ormesson,
Soljenitsyne, etc.)
Dans la littérature très moyenne, même médiocre
qui envahit tous les étalages de librairie, domine le mélo,
l'émotion (même si c'est bien écrit), et cela plaît
beaucoup au plus grand nombre, mais il y a autre chose que je ne sais
pas analyser qui empêche que ce soit de la grande littérature.
J'espère que ma question n'est pas idiote et que vous saurez y
répondre, un grand merci d'avance.
Il est bien difficile de répondre
à notre exigeante et fidèle internaute car si Albert Cohen
(que nous avons lu) peut se situer sans réserve du côté
littéraire qui est notre pâture, D'Ormesson devra au paradis
revoir sa copie...
Bien des livres et articles théoriques traitent de ce qui fait
d'une uvre donnée une uvre littéraire, de la
"littérarité", et pour autant ne font pas avancer
le schmilblick.
Finalement... le critère le meilleur, ne serait-ce pas : "la
littérature, c'est ce que Voix au chapitre choisit de mettre
à son programme"... (sauf quand nous nous plantons, mais si
rarement, et que nous choisissons un livre qui n'est "pas-pour-le-groupe-lecture").
Lors de la soirée, Annick L et Claire ont évoqué un livre qu'elles ont beaucoup aimé, tout à fait en rapport avec Appelfeld, Idiss de Robert Badinter, qui relate le parcours de sa grand-mère juive, analphabète, née dans le Yiddishland, et qui fait traverser l'Histoire et l'Europe à travers sa vie et celle de Badinter enfant. Ce très beau livre, nous ne le proposerons pas au groupe lecture, car probablement trop "consensuel", n'offrant sans doute pas la palette de réactions que suscite Histoire d'une vie, uvre littéraire...
Claire (encore, et après la soirée)
J'ajoute qu'alors qu'on pouvait en avoir marre des livres évoquant
les Noirs et le racisme après avoir lu récemment Powers,
nous lirons bientôt un Noir, J.
Gaines. Je serais tentée de dire que j'en ai marre aussi des
livres sur la Shoah et les Juifs : pourtant je suis très contente
de lire le livre de Deen
et je réactive la proposition de Denis et Sandrine, Je
mappelle Asher Lev de Chaïm Potok.
Avis transmis
Christian
J'ai lu avec beaucoup de plaisir - quoique
le terme de plaisir semble ici inapproprié - Histoire d'une
vie. Livre profondément émouvant, témoignage
d'une vie fracassée par la barbarie nazie, mais aussi régénérée
par l'étude, l'écriture et le courage de vivre, malgré
le poids de cette mémoire meurtrie sans cesse jaillissante.
J'ouvre en grand, très grand ce beau livre.
La lecture très récente de Mon
père et ma mère a provoqué en moi la même
admiration pour Aharon Appelfed, relatant
plus particulièrement son enfance et qui, là aussi, démontre
son extrême sensibilité et la profondeur des sentiments qui
l'animent.
Chantal
(ne pouvant quitter l'Île de Houat, atteinte par le coronavirus)
Vraiment le type de livre qui ne me convenait pas actuellement !
À savoir une lecture qui exige une grande concentration, qui demande,
pour moi, réflexion et recherche, bref tout ce qui m'est impossible
en ce moment.
J'ai apprécié pourtant la construction du livre en courts
chapitres. Avec des scènes très précises et détaillées,
toujours écrites avec du recul, cette volonté revendiquée
par l'auteur de ne pas faire un simple "témoignage" de
la Shoah.
Les thèmes récurrents de la mémoire et de l'oubli,
de l'imagination et de la (non) transmission m'ont beaucoup intéressée.
Page 10, il dit : "ce
livre n'est pas un résumé, mais plutôt une tentative,
un effort désespéré pour relier les différentes
strates de ma vie à leur racine".
De ces strates, il me reste des images fortes :
- la famille, les lieux de son enfance
- le goût des fraises, les premiers mots de yiddish, la synagogue
- au ghetto, le départ des "fous" et celui des enfants
aveugles, passages forts et émouvants
- tous les détails très cruels, "violentes
taches de mémoire", cette
"mémoire du corps", c'est incroyable, "ce
pied est encore planté en moi" (sur le quai de
la gare, la foule se rue vers un seau d'eau, il reçoit un violent
coup de pied dans la poitrine).
J'ai aimé son long et difficile chemin vers l'écriture,
puis la littérature : "C'est
uniquement avec le temps que j ai compris que ces matières premières
étaient la moelle de la littérature" (p.
117).
Magnifiques passages sur la contemplation ou l'on est "légèrement
surélevé et éloigné".
MAIS j'ai complètement décroché sur tout son trip
religieux, Dov Sadan, la Kabbale, le hassidisme, etc., pas envie ni courage
de chercher. Tant pis.
Je voulais l'ouvrir à moitié, mais après ce que je
viens d'écrire, ce sera, c'est, ¾.
Yolaine
J'ouvre ce livre aux ¾. Cette "note" ne mesure pas exactement
mon plaisir de lecture, mais mon estime et mon admiration pour l'auteur.
Bien que n'ayant aucune fascination pour la Shoah (et même plutôt
une certaine appréhension), j'ai trouvé l'histoire de la
vie hors du commun d'Aharon Appelfeld émouvante, même si
le récit ne se place pas dans le registre des sentiments. J'ai
beaucoup aimé l'évocation de son enfance merveilleuse, dans
le raffinement de l'empire austro-hongrois si irrémédiablement
disparu, idéalisée sans doute, mais qui lui a donné
dès le départ une très belle confiance dans la vie.
Il me semble que l'amour qu'il a reçu de ses parents lui a permis
de se construire d'emblée une personnalité solide, et lui
a donné la force de survivre. Seul dans la forêt à
dix ans, il est soutenu par cet optimisme : "j'espérais
sans relâche que mes parents viendraient me chercher. Ce fol espoir
m'accompagna durant toutes ces années de guerre, il s'élevait
de nouveau en moi chaque fois que le désespoir posait ses lourds
sabots sur moi.".
Cette narration se déroule dans une langue sobre et limpide ; on
peut mesurer le travail accompli à la lecture des pages terribles
sur ses difficultés à retrouver l'usage d'une langue au
sortir des camps : "les
mots étaient les cris d'un adolescent de quatorze ans, une sorte
d'aphasique qui avait perdu toutes les langues qu'il savait parler".
Il réussit ainsi à exprimer l'indicible, avec une grande
pudeur. La symbiose avec la traductrice est également remarquable.
Ce qui m'a le plus intéressée dans la démarche de
l'acteur réside moins dans son travail de mémoire que dans
sa recherche spirituelle, qui s'accomplit en particulier dans la façon
dont il s'engage en littérature. Cette quête prend une dimension
religieuse et mystique. Fasciné très jeune par la prière
et la contemplation, il retourne aux origines en étudiant le judaïsme
auquel ses grands-parents l'avaient initié. Cet éclairage
métaphysique est aussi la clé de la résilience admirable
d'Aharon Appelfeld. C'est une belle leçon de vie.
Avis des présentes
Marie-Odile
Ce récit qui se fait au gré de la mémoire, comme
des fouilles (ce qui a existé 50 ans plus tôt est toujours
là) a suscité en moi respect et émotion.
J'ai aimé la façon simple, sincère et profonde d'aborder
ces thèmes si souvent traités que sont l'enfance, la guerre,
la Shoah. Mais " Seuls les mots justes construisent un texte littéraire
et non pas le sujet ". J'ai noté qu'ici tout n'est pas dit,
que certains moments sont juste évoqués ou même passés
sous silence. Ils n'en sont pas moins présents. (mort de la mère,
séparation d'avec le père)
Pour moi, il n'y rien d'inutile dans cette uvre littéraire.
J'y ai trouvé des portraits bouleversants (Chicko, les trois frères
Rauchwerger...), juste ce qu'il faut de dialogue, des réflexions
d'adulte sur un vécu d'enfant, sur le silence, la contemplation,
la langue maternelle ou adoptive... Parmi les temps forts, je retiendrai
particulièrement le "tableau" saisissant de l'enfant
poursuivi, scène atroce transfigurée par le rythme, le mouvement
de l'écriture, le vocabulaire inattendu de la mer (la houle, un
radeau, les vents, la tempête, nager plusieurs fois répété),
le point de vue qui se fait de plus en plus précis, l'abondance
de notations sensorielles : ouïe, regard, couleurs ( le vert
de la végétation, le minuscule corps noiraud), les réflexions
finales très lucides qui se prolongent par l'apaisement coupable
et le sommeil protecteur.
Le sommeil revient d'ailleurs comme un leitmotiv au fil des pages, souvent
pour clôturer une scène, comme un refuge. Cela contribue
peut-être à donner au récit une certaine "douceur",
malgré la cruauté, malgré la barbarie, malgré
l'insoutenable. Douceur que j'ai retrouvée aussi dans la voix d'Appelfeld,
réfugiée au creux de l'hébreu, sa langue adoptive.
J'ai été fortement impressionnée par le fait qu'en
sept années, l'enfant ait pu se constituer cette immense réserve
d'amour dans laquelle il a pu puiser pour continuer à vivre.
J'ouvre en grand.
Édith
Ouvert à demi et pourtant... quel personnage, quelle personne et
quel témoignage !!!
J'étais heureuse de découvrir cet auteur dont seul
le nom m'était un peu familier. J'avais découvert aussi
le plaisir de lecture de Marie-Thé et Christian avant la date de
notre rencontre par message internet sans qu'il n'en fasse faire analyse
bien sûr ! Ne dire que le plaisir de leur lecture. Alors, dans le
silence de la maison, j'ai découvert le récit.
Déception pour la lecture en soi donc sur le plan de l'émotion
littéraire. Hormis pour la préface lue deux fois :
avant et après avoir terminé le livre, je n'ai eu de bonheur
de ressentir la musique des phrases comme le plus souvent lors des livres
proposés.
Autant le parcours de Aaron est fort en détails de ce que furent
ses années de l'enfance et de la jeunesse - et c'est ce qui
a rendu la lecture agréable (sans plus) - autant je m'y suis
peu sentie touchée autrement qu'intellectuellement. Et je m'en
sentirais presque "coupable" tant le sujet est sensible et me
concerne.
Je suis la génération née juste à la fin des
camps et je me souviens de Nuit et Brouillard vu pour la première
fois grâce à la TV que possédaient mes parents dès
1954 et aussi bien des reportages sur la création des kibboutz.
Je me souviens aussi de l'intérêt majeur que cela a exercé
pour certains pédagogues et psychanalystes quant aux modes d'éducation
garçons et filles
(sans distinction de genre pour le partage
des tâches !)
Je ne dis pas que les faits ne m'importent pas, mais j'ai surtout lu et
découvert par ce témoignage, la lente accession à
la littérature pour Appelfeld. Le processus, chapitre après
chapitre, à travers ses souvenirs et rencontres qui animent l'auteur :
à la fois pour devenir un écrivain, mais, aussi et surtout
pour témoigner. Les mots pour dire, sa recherche pour LE dire.
La démarche donc de Appelfeld au long des années après-guerre
concernant les mots entendus, mais non écrits, et leur absence
surtout, la langue maternelle (l'allemand pas vraiment oublié),
celle des grands parents le yiddish "langue des suppliciés",
le silence imposé par peur, mais aussi par choix (isolement extrême
dans les plaines d'Ukraine) et aussi longue évocation du silence
qui était de règle chez ses parents et grands-parents :
"Chaque fois que je
pose une question le silence se fait"
(p. 20). Questions sans réponse à leur adresse
sur les mots de la prière
Et puis longuement évoquée
et décrite la mémoire celle du corps et donc des sens
bref une approche qui m'a fait souligner à plusieurs reprises des
passages à tous les chapitres. En fait j'ai lu avec un crayon à
la main :
P. 21 "Moi aussi j'ai appris à me taire et à écouter les sons légers qui m'entourent" à propos de la lecture de la Torah, du rituel et de son mystère à ses yeux d'enfant
P. 22 "Quatre hommes entourent la Torah et s'adresse à elle comme si Dieu était dissimulé dans ces parchemins. Un instant je m'étonne que le Dieu si grand ait pu se contracter ainsi pour tenir sur cette estrade."
P. 25 dans le train de la fuite : "La tristesse me poignardait je n'avais pas de mots pour l'exprimer".
P. 160 "La vraie littérature traite du contact avec le secret du destin et de l'âme, en d'autres termes :la sphère métaphysique".
P. 168 Humour (juif ?) à propos d'un jeune fils de professeur et "déjà très lettré" qu'il prend pour supérieur du fait aussi de sa grande taille ! "Il me dépassait d'une tête, rien d'étonnant donc qu'il me parla de haut".
P. 135-136 "Écrivain de la Shoah ( ) Je nai pas limpression décrire sur le passé. Le passé en lui-même est un très mauvais matériau pour la littérature. La littérature est un présent brûlant, non au sens journalistique, mais comme une aspiration à transcender le temps en une présence éternelle."
Cette lecture m'a fait relire de très nombreuses pages de L'écriture
ou la vie de Jorge Semprun, lu il y a quelques années :
démarches parallèles pour ces deux hommes pour la recherche
du récit littéraire, la mémoire, le temps la légitimité.
La mort aussi.
La force littéraire de ce dernier est pour moi plus sensible. Semprun
fut fait prisonnier jeune, mais déjà instruit du fait de
son milieu et ses études supérieures et Aharon Appelfeld
lâché seul, sans scolarisation ni répondant adulte,
une grande partie de sa jeunesse, privé de sa langue maternelle
et devant pour écrire entrer dans la langue hébraïque
Et autre grande différence l'un est juif et l'autre militant très
engagé communiste. Tous deux objets, pour le nazisme, d'extermination
sinon de haine. J'ai hâte de participer à l'échange :
ce qu'est la littérature et le réel à transmettre
donc un texte littéraire et mémoires à transmettre ?
Mais est-ce transmissible ? Pour ma part je vais peut-être
lire Primo Levi
Marie-Thé
J'ai aimé ce texte, bouleversant, beau et terrible à la
fois, ces paroles portées par un homme dont la grandeur, la dignité,
l'humanité, l'humilité, m'ont impressionnée.
Dès les premières pages, je retiens ces mots : "Ce
n'est pas un résumé, mais plutôt une tentative, un
effort désespéré pour relier les différentes
strates de ma vie à leur racine." A partir de là,
j'ai d'abord aimé découvrir l'enfance heureuse d'Aharon
Appelfeld, près de ses parents : "les
regards de ma mère. Ils contenaient tant de douceur et d'attention
à mon égard que je les sens aujourd'hui encore."
L'évocation des étés chez ses grands-parents où
la nature est belle et généreuse, m'a émerveillée ;à
noter aussi les offices à la synagogue, mystérieux pour
l'enfant, et : "Grand-père
dit qu'on se hâte vers la synagogue et qu'on s'en éloigne
lentement." Et puis, la sensation que c'est le dernier
été... Je retiens encore le portrait de l'oncle Félix,
élégant et raffiné, dans son domaine immense et merveilleux,
que l'enfant découvre, au rythme des saisons. Quand tout bascule,
l'oncle Félix garde élégance et dignité, la
tête haute jusqu'au bout.
"La mort planait partout,
mais pas dans la chambre de Grand-père." Celui
qui disait juste avant de mourir "La
route n'est pas longue, il n'y a pas lieu de s'inquiéter",
s'en est allé par une journée claire et sans nuages. Quel
contraste avec ce qui va suivre : la route menant souvent à
la mort sera longue et terrible sur les chemins d'Ukraine...
J'ai été profondément marquée par la traversée
des si sombres années de la guerre, traversée revenant tout
au long du livre, comme un refrain, lancinant... La description de certaines
scènes terrifiantes (les enfants donnés en pâture
aux chiens par exemple) m'a été insoutenable, cruauté
et horreur, comment peut-on s'en remettre ? Terrible, émouvant
et beau, le parcours des enfants aveugles chantant sur le chemin de la
gare, de Schubert à Bach, aux chants yiddish et même Verdi.
Les voix s'éteindront sous les coups de fouets : "et
les enfants, qui se tenaient par la main, tremblèrent comme un
seul corps." Je note encore ceci : "quelque
chose d'effrayant dans le sourire joyeux des fous." Les
fous, puis les enfants, puis tant et tant d'autres, les uns après
les autres, seront conduits à la mort.
Faire une synthèse de ce que j'ai lu sera forcément réducteur,
il y aurait tant et tant à dire. Et puis, la qualité du
texte, le talent et la personnalité de l'auteur me laissent sans
voix. D'autre part, il y a le ressenti. Je garde ce livre en moi et je
me limite ici à quelques énumérations : texte sur
la mémoire, la transmission, la filiation, la langue, l'écriture,
le déracinement, etc.
- À propos de la mémoire : le corps se souvient, "plus
que la mémoire". "Je
ne me souviens pas." "Je
mange comme seuls mangent ceux qui ont eu faim un jour."
Les sens se souviennent. "La
mémoire absolue, détaillée, se cache encore en moi."
Associée à la mémoire, la peur de l'oubli... "Construire
et être construits se traduisait par l'anéantissement de
la mémoire... par la fusion avec ce lopin de terre."
Attachement à la terre des origines dans les Carpates, déracinement
en Israël. Plus tard, peur que "l'histoire
des vies de nos parents, et des parents de nos parents, ne soient ensevelies
sans qu'il en demeure aucun souvenir..."
- Transmission, filiation, des passages intenses s'y référant
"jalonnent" le livre. Au bout du chemin, retrouver ses parents
Et pourtant, évoquant la mère, ces quelques mots :
"Sa mort est profondément
ancrée en moi, et plus que sa mort, sa résurrection. "
- Ce qui concerne la langue m'interpelle, le yiddish ramenant aux origines,
l'hébreu à la nouvelle terre, le ruthène et surtout
l'allemand à la fois langue maternelle et langue des assassins.
Je pense ici à Imre Kertész, nous avions lu Être
sans destin, les longues marches menant aux camps dans les plaines
d'Europe centrale comme ici. Je me souviens d'une intervention de cet
auteur, demandant à s'exprimer en allemand, langue d'écrivains
aimés... Je pense aussi à Vladimir Jankélévitch
dans une démarche complètement opposée, se coupant
de la culture allemande après la Shoah.
Important pour moi le long et difficile cheminement dans l'écriture,
difficulté, voire impossibilité pour l'auteur de transmettre
en mots ce qui a été vécu
Je retiens aussi
ceci : "Seuls des
mots justes construisent un texte littéraire, et non pas le sujet."
Apparaît d'autre part le questionnement de lecteurs : "Où
étaient les héros ? Où étaient les révoltés
des ghettos ?"
Dans ce livre qui est une longue quête, je souligne encore l'importance
des chemins, des lisières (frontières ?), de la nature,
de la prière, du "temps passé à l'armée"
: "il m'a mené
aux sources de ma vie
relié au monde qui m'avait engendré."
etc. Et le souvenir des mots de la mère : "Tu
seras instruit." Lorsque je lis ceci : "cette
marée humaine déjà agitée, à sept ans,
de passions destructrices..." je pense au film Le ruban
blanc Michael Haneke. Pour prolonger les associations, ce livre m'a
fait penser à Elie Wiesel, à Roman Polanski, Simone Veil,
Marceline Loridan...
Je vais à présent consulter les notes et avis sur Aharon
Appelfeld
J'ai quand même appris qu'il a retrouvé son
père en Israël en 1957.
JeanEnquête
sur une "forme de sens" possible par la construction d'un "récit
de vie".
Ce qui est raconté dans ce livre est le récit de l'adaptation
d'un jeune homme à une succession de ruptures dans sa vie qui le
conduisent à se recréer une nouvelle vie, sans renier son
héritage, celui d'un Juif d'Europe centrale.
L'histoire >
Enfant roumain, fils d'un couple juif, dont la famille sera exterminée
en camps de concentration en 1942 lorsque Aharon a dix ans. Son père
et lui, envoyés dans un camp de travail d'où il s'évade,
va errer de nombreux mois dans la forêt. À la fin de la guerre,
Aharon décidera de partir pour la Palestine : il ne parle pas l'hébreu
et ne connaît que peu de chose de la culture juive.
Une réflexion sur la mémoire :
celle du corps
>
Aharon
Appelfeld cherche les mots les plus justes pour traduire ce qu'il nomme
"sa légende intime". En effet, toute sa vie, Aharon Appelfeld
dira avoir porté en lui la mémoire de "l'enfant de
la guerre". "Ce
qui s'est gravé en moi de ces années-là, ce sont
principalement des sensations physiques très fortes".
Tout ce qui s'est passé s'est inscrit dans les cellules du corps
et non dans la mémoire ("mentale").
La méthode >
Son
but n'est pas de décrire, ni d'expliquer. Il tente par un récit
de vie, de nous faire saisir la puissance agissante, à notre insu,
du "non-savoir de l'enfance", en tant que mémoire engrammée
dans le corps et qui reste indicible.
Lecture >
C'est un livre sur
l'enfance, et la question de "l'existentiel", quand elle n'a
pas de réponse du fait d'un parcours de vie chaotique.
Ma lecture compréhensive : les repères issus de l'enfance,
qu'usuellement l'individu garde en mémoire et qu'il utilise pour
décider de sa vie (croyances, "évidences", "morale
qui fait vérité", règles de convivialité
),
ces repères ne font plus... repères quand le récit
de sa propre vie "bloque" sur un événement insoluble
par la pensée sensée. L'existence est alors comme suspendue
dans le vide et tout désir ne trouve que la cendre des rêves
quand il tente de se réaliser. Le surgissement du sentiment de
"néant" resteront des instants fugitifs de tension à
donner sens à tout prix, pour apprivoiser le "trou de mémoire".
Il est intéressant de noté qu'Aharon a eu une enfance heureuse,
mémoire du bonheur qui s'évanouit dans les cendres des fours
nazis pour renaître autrement (le fantasme d'Israël). La mémoire
vivante, celle du corps, travaille le mental qui reste sidéré
par l'impossibilité d'inclure de façon cohérente
la mémoire du passé dans le temps du "là et
maintenant" de la rencontre avec les autres.
Intérêt >
En continuité
avec le dernier livre "VAC" de Richard
Powers, on y trouve les éléments pour une analyse des
mécanismes sociaux et culturels qui permettent la stigmatisation
d'un groupe par un autre. Il nous est rappelé que le monde est
compliqué et plein d'ambiguïtés et que l'indignation
vertueuse est vide de sens et un danger pour la paix sociale.
Agréable à lire, ce livre contient une réflexion
puissante sur ce qu'on nomme "humanité". Tout en décrivant
la violence des hommes, Aharon Appelfeld réussit à en faire
un hymne à l'amour et à la douceur.
Aharon Appelfeld est considéré aujourd'hui comme un des
plus importants écrivains israéliens.
QUELQUES INFOS :
des articles, des émissions
de radio et télé, les références des uvres
traduites.
ÉCOUTER
-
Une très intéressante interview d'Appelfeld sur Histoire
d'une vie par Nicolas Demorand, Les
matins de France Culture, 49 min, 22 septembre 2004 (repris
dans Les Nuits de France Culture le 13 octobre 2019)
- Une émission en deux temps avec la traductrice Valérie
Zenatti qui situe l'écrivain, puis entre Laure Adler et Appelfeld,
L'heure
bleue, France Inter, 52 min, 19 janvier 2018.
-
Histoire d'une vie, Guillaume Gallenne, France Inter, Ça
peut pas faire de mal, 50 min, 9 novembre 2019.
- Aharon Appelfeld (1932-2018), des voix dans le silence, 1er août
2020, 58 min, Série 1945
: 75 ans après, France Culture. Judith Appelfeld, sa femme
dit :
"Dans ses premiers livres, il sagit de personnes désorientées, de couples dysfonctionnels, de gens qui ont été reliés par le destin ou un événement. Plusieurs années après notre mariage et la naissance de nos enfants, cest la première fois que notre foyer la ramené au souvenir de sa maison, de sa famille. Il avait vécu détaché toutes ces années, il était seul. Cela lui a redonné la mémoire et tous ses souvenirs. Son écriture a changé, ses personnages ont trouvé leur place et lui aussi a changé, son attitude, sa façon de marcher. Quand je lai rencontré, sa voix était étranglée, puis elle sest détendue, et elle sest révélée "
REGARDER
- D'une
langue à l'autre, film de Nurith Aviv, 2004, extrait de
8 min 50 : Appelfeld raconte...
-
Entretien avec Aharon
Appelfeld extrait de 23 min de Jusqu'au dernier : La destruction
des Juifs d'Europe, un documentaire de William Karel et Blanche Finger
diffusé en 8 épisodes en 2015 (thèmes
évoqués : "Le choix des détails par l'écrivain",
"Ne pas écrire sur les camps", "Ne pas pouvoir raconter"...)
LIRE
- Nous avons
déjà rencontré Appelfeld quand nous avons lu Opération
Shylock, où le double de l'auteur Philip Roth dîne
avec le double d'Aharon (p. 77)... Un
long entretien entre le vrai Appelfeld et le vrai Philip Roth, que certains
d'entre nous adorent et d'autres abhorrent..., est commenté ainsi
par Roth :
"À vrai dire, l'identité littéraire d'Appelfeld se lit en creux dans ce qu'il n'est pas : c'est un écrivain écartelé, déplacé, dépossédé, déraciné. Appelfeld est l'auteur dépaysé d'une littérature dépaysée, et il a fait de ce dépaysement, de cette désorientation, un sujet qui n'appartient qu'à lui. Sa sensibilité, marquée, dès la naissance ou presque, par les errances solitaires d'un petit garçon de la bourgeoisie au fin fond d'une nature hostile, semble avoir créé par génération spontanée un style que distinguent sa sobriété, une progression hors du temps et des pulsions narratives contrecarrées, une prose qui s'adapte comme par magie à la mentalité du dépaysement. Tout aussi unique que le sujet est la voix, qui surgit d'une conscience blessée, à mi-chemin entre l'amnésie et la mémoire, et situe le récit entre parabole et histoire." (voir ICI l'entretien complet, extrait de Parlons travail, Philip Roth, Gallimard, 2004)
- Florence Noiville, venue en 2019 dans notre groupe, raconte sa rencontre avec Appelfeld (Le Monde, 24 juin 2011).
- Un compte rendu détaillé d'un livre d'Appelfeld, Mon père et ma mère, qui sort la veille de notre séance (Télérama, 23 septembre 2020).
- Pour rendre hommage à Aharon Appelfeld lors
de son 80e anniversaire et ses 50 ans décriture, un
colloque international a été organisé à Paris
en 2012 (par lINALCO, avec le Mémorial de la Shoah, lUniversité
Ben Gourion et celle de Tel-Aviv), restitué en ligne dans 15 articles
de la revue Yod
(Revue des études hébraïques et juives), n°
19, 2014 (avec trois parties : 1.Autour de la narration de soi 2.L'art
poétique d'Appelfeld 3.Luvre dAppelfeld dans
son contexte israélien). Voici des articles
consacrés au livre que nous lisons :
> "Les secrets
de la mémoire et l'art de la transmission : l'histoire et l'histoire
de l'histoire", de Masha Itzhaki
> "Des grands
malheurs, on peut parler en murmurant : l'esthétique de la
réticence dans Histoire d'une vie d'Aharon Appelfeld",
d'Anne Prouteau
> "Histoire
d'une vie, Histoire de silences : une poétique de la mémoire",
de Danièle Sabbah
> "De l'écriture
comme vêtement" de Myriam Ruszniewski Dahan
Voici LES UVRES d'Aharon Appelfeld TRADUITES.
La plupart se trouvent en éditions de poche (15 en Points).
Traductions d'abord d'Arlette Pierrot, aux éditions Pierre
Belfond
- 1985 : Le
Temps des prodiges
- 1989 : Badenheim
- 1989 : Tsili
(adapté au cinéma par
Amos Gitaï)
- 1992 : Au pays
des roseaux
Puis des traductions de Sylvie Cohen, éditions
Gallimard
- 1993 : L'Immortel
Bartfuss
- 1996 : Katherina
Valérie Zenatti a consacré après
sa mort en 2019 un livre à Aharon Appelfeld : Dans
le faisceau des vivants, éd. de lOlivier, puis Points.
Aharon Appelfeld et Valérie Zenatti, sa traductrice, entretenaient
une relation quasi filiale. À la mort du premier, la seconde a
consigné par écrit son chemin de deuil (Le
Point, 21 janvier 2019).
Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme
au rejet :
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à
la folie
grand ouvert |
beaucoup
¾ ouvert |
moyennement
à moitié |
un
peu
ouvert ¼ |
pas
du tout
fermé ! |
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