Quatrième de couverture : Tout commence en 1939, lorsque Delia Daley et David Strom se rencontrent à un concert de Marian Anderson. Peut-on alors imaginer qu'une jeune femme noire épouse un Juif allemand fuyant le nazisme ? Et pourtant... Leur passion pour la musique l'emporte sur les conventions et offre à leur amour un sanctuaire de paix ou, loin des hurlements du monde et de ses vicissitudes, ils élèvent leurs trois enfants. Chacun d'eux cherche sa voix dans la grande cacophonie américaine, inventant son destin en marge des lieux communs. Peuplé de personnages d'une humanité rare, Le temps ou nous chantions couvre un demi-siècle d'histoire américaine, nous offrant, au passage, des pages inoubliables sur la musique. "On
sort de ce fleuve ému, bouleversé et admiratif : sans jamais
écrire un roman politique, ni polémique, Richard Powers
a décrit, à voix feutrée, l'échec définitif
d'un idéal."
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Richard Powers (né en 1957)
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Quelques
repères bio
Les 10 romans de Richard Powers traduits Ses traducteurs en français Entretiens avec Richard Powers Quelques articles sur le livre que nous lisons Tout commence en 1939 avec Marian Anderson... Playlist du livre |
Nos
34 cotes d'amour
|
Anne-Sophie
Annick L
Chantal
Fanny
François
Jean |
Brigitte (avis
transmis)
Je ne connaissais pas du tout ce livre, que j'ai découvert avec
le groupe. Le nombre de pages est impressionnant, mais, je suis arrivée
au bout. Il m'a beaucoup plu et je l'ouvre aux ¾.
Il y a énormément à dire sur le livre. Contrairement
à de nombreux romans, on voit très clairement la trame que
l'auteur a suivie pour le construire: il a listé toutes les occasions
employées pas la société américaine des années
60-70 pour pratiquer un racisme social. Il a mis cela en contrepoint avec
le drame de la Shoah. Malgré cela, le livre est très intéressant,
l'intérêt est soutenu jusqu'au bout. Maintenant que je l'ai
terminé, les réflexions de Joseph Strom me manquent !
J'ai relevé quelques citations, qui montrent la finesse d'analyse
de l'auteur :
- "Une hypothèse
universelle si profondément admise qu'ils en ont oublié
que ce n'était qu'une hypothèse." (p.
554, éd. 10/18)
- "Dès qu'elles
commencent à se propager, les rumeurs se métamorphosent
en faits." (p. 583)
- "Les fois où
ils [Délia
et David] sont obligés
de faire semblant d'être des étrangers, de vagues connaissances,
un patron et se domestique. Les attaques passives auxquelles il croyait
échapper en venant dans ce pays." (p.
689)
J'ai beaucoup apprécié le souci d'évoquer avec exactitude
la théorie de la relativité, c'est tellement rare de trouver
dans un roman ce souci de vulgarisation scientifique actuellement terriblement
absente dans la culture générale.
Je rends aussi hommage à l'auteur pour tout ce qui se rapporte
à la musique en général et en particulier à
la musique classique, qui était interdite aux Noirs. Ce matin,
je crois avoir entendu annoncer à la radio la mort d'une chanteuse
noire américaine, qui rêvait de se consacrer à la
musique classique, mais qui n'a jamais pu y avoir accès.
Merci à Richard Powers d'avoir réussi l'exploit d'écrire
ce roman.
Et bonne soirée de rentrée à tous.
Monique L (avis
transmis)
Les thèmes de ce roman sont très intéressants :
l'oppression raciale, des réflexions sur la couleur de la peau
et sur le métissage, la thèse selon laquelle le temps forme
une boucle et que nos vies se répètent et surtout la musique.
C'est un roman riche et complexe. J'ai trouvé déroutant
que le récit ne se déroule pas de façon chronologique
(surtout au début, ensuite je me suis habituée).
C'est un récit poignant sur le racisme aux États-Unis durant
trois générations sans plonger dans le cliché. Une
idée m'a spécialement marquée : si l'on est
noir par le fait d'avoir au moins un ancêtre noir, il y a beaucoup
de Noirs (et même nous le sommes tous vu la couleur des premiers
hommes).
J'ai beaucoup apprécié l'ambiance général
du texte, mais j'y ai trouvé des longueurs et des redites principalement
sur les dons de Jonathan.
J'aime le chant et la musique mais je ne suis pas assez calée pour
suivre tout le discours parfois trop pointu sur le sujet. Par contre il
y a des passages que j'ai beaucoup appréciés lorsque je
connaissais les uvres.
Ce texte soulève la question identitaire au travers du prisme de
la société qui nous juge et nous classe dans une catégorie
qu'il est difficile de quitter. Comment exister et être soi ?
Y parvient-on jamais ?
Les personnages sont tous très attachants et ont de la consistance
du début à la fin.
Quant à la physique quantique et la relativité enseignées
par le père (que j'ai étudiées il y a longtemps),
je ne pense pas que l'on puisse se les représenter autrement qu'intellectuellement.
Dans ce roman, le temps fait des boucles et des pirouettes. Par exemple
le roman se termine sur la rencontre initiale entre David et Delia. Mais
le lien avec la relativité généralisée ????
Ce roman est très beau et douloureux comme la vie. J'ouvre aux
¾.
Laura (avis
transmis)
J'ai été très heureuse de pouvoir lire une telle
uvre, presque un chef-d'uvre à mes yeux. Le temps a
passé (enfin, s'il passe
) depuis que j'ai eu la chance de
me plonger dans un ouvrage aussi hypnotisant, happant, renversant. Le
roman a tout de suite été musical pour moi : je me suis
surprise à suivre les envolées Strom sous des airs de Dvorak
(en réalité beaucoup trop de Dvorak), il ne fallait pas
gâcher les formidables découvertes musicales qu'apporte Powers.
J'ai cru mourir de frissons au cur de certaines pages, surtout lors
de la première moitié du bouquin qui révèle
toutes les envolées lyriques. Puis j'ai cessé l'écoute
simultanée par la suite, comme Ruth a arrêté de chanter,
comme Joey a cessé sa véritable carrière. Je n'étais
plus sur la planète de Jonah, sans être véritablement
sur celle de Ruth non plus : j'ai eu du mal à comprendre sa
haine envers son père qui en réalité n'a rien fait
(ce qui est le problème
), sa haine envers tous les blancs-becs
sans différenciation aucune, elle se renfermait en discriminant
presque elle aussi sa propre couleur. Pourtant c'était bien nécessaire.
Pour une fois, la question de l'appropriation culturelle ne m'est pas
venue à l'esprit pendant la lecture, tout semblait si naturel,
si d'actualité. Petits plus, il y a certains aspects que j'ai véritablement
adorés : le style d'écriture qui se rapprochait parfois
de Victor Hugo (bon c'est de la traduction mais quand même
)
"Il y
a de la lâcheté dans cette lettre."
(p. 801) "Il
y avait de la crinière dans sa perruque." (Quatrevingt-Treize,
Deuxième partie, Livre deuxième, chapitre I). Trop de sublime
dans l'ouvrage pour ne pas penser à Victor Hugo. Mais j'ai aussi
été agréablement surprise par les réflexions
physiques sur le temps (qui comme par hasard tombaient en même temps
que ma lecture de Bachelard sur l'instant, même théorie par
ailleurs), et philosophiques sur les problèmes de l'intersubjectivité.
Bref ce fut un véritable bonheur. Grand ouvert.
Muriel (avis
transmis)
J'ouvre à moitié. Seulement à moitié car :
- c'est trop long pour dire très souvent la même chose :
les progrès permanents du chanteur, sa voix exceptionnelle, le
racisme omniprésent
- il est sans arrêt question de progrès : or il a une
voix sublime vers 17-18 ans et le frère narrateur parle sans arrêt
de progrès époustouflants ; c'est un peu invraisemblable,
un grand chanteur a sa voix constituée vers 25 ans et n'est pas
toujours en progrès
- ce qui m'a beaucoup surprise, ce sont ces histoires d'improvisation ;
peut-être qu'en Amérique les cours classiques et jazz sont
mélangés ; en France, c'est extrêmement cloisonné
et du coup les longues séances d'improvisation paraissent invraisemblables
- moi qui suis musicienne et vois ce que cela veut dire, j'ai trouvé
lassant ces histoires de septième diminuée, sixte, tonique
et dominante, alors les néophytes
Cependant, le livre ne m'a pas déplu puisque je ne l'ai pas abandonné :
ça accroche, le racisme, ce que va devenir le chanteur génial.
Ce qui a trait au racisme n'est pas répétitif car c'est
vu sous plusieurs angles et on a la sur cadette qui devient révolutionnaire.
Le père juif allemand qui épouse la Noire américaine,
c'est marrant.
J'ai oublié de préciser qu'avec le père mathématicien,
on a droit à son étude du temps absolument incompréhensible
: j'ai cru que c'était inventé et j'ai passé ; quand
j'ai su que Brigitte appréciait la dimension scientifique, réelle
donc, ça n'a pas arrangé mon avis...
L'écriture est un peu alambiquée, la composition avec les
retours en arrière, c'est bien.
Ce qui est le plus positif pour moi est tout ce qui a trait au racisme.
Avec la moitié moins de pages, j'aurais plus apprécié.
Anne-Sophie(internaute)
Bluffant ! Je ne mattendais pas à cela ! Javais
lu la 4e de couverture, lidée dune fresque sur un couple
improbable soudé par la passion de la musique et affrontant le
racisme de la société américaine me semblait alléchant,
mais jabordais en même temps ce pavé avec quelques
réserves, du genre : ce serait bien un sujet à verser
trop facilement dans les bons sentiments.
Je dois dire que jai été assez vite époustouflée
par certains passages et même chapitres entiers. Jen ai aimé
certains essentiellement pour le fond, loriginalité des personnages
ou de la scène décrite, la tension dramatique, dautres
mont éblouie aussi au plan littéraire (alors même
quil sagit dune traduction), comme le chapitre clé
du concert de Marian Anderson ou celui qui retrace la découverte
du jazz sur le concerto dAranjuez ou encore le terrible chapitre
dédié à Emmett Till. Je navais pas encore lu
de pages aussi fortes sur la musique et sur le chant. Sur lautre
thème central, le rapport à lidentité et limpossible
concorde raciale aux États-Unis, là aussi, le résultat
est saisissant. Le thème est sans doute davantage traité
dans la littérature que celui de la musique, et pourtant là
encore, je trouve le roman dune très grande originalité
et dune grande force.
Sa longueur qui serait peut-être le seul défaut
que spontanément je reprocherais à louvrage
est devenue finalement pour moi vecteur de sens. On nen finit pas
de ses réflexions sur lidentité, on tourne en rond
si longtemps autour de cette famille déchirée, que lon
finit par avoir envie que tout cela sarrête ! Par cette
saturation des questions sur "qui sommes-nous ?", avec
toutes leurs nuances, le livre réussit à rendre latmosphère
irrespirable et à faire approcher le lecteur de ce désarroi
sans fond et sans espoir qui doit constituer le quotidien de millions
dAméricains. Livre grand ouvert.
Denis
(avis transmis)
Quel pensum ! Quel ennui ! Mais quelle déception ! Je suis
passionné de jazz et de musique noire américaine depuis
mon adolescence, j'ai lu bien des interviews de musiciens, des livres,
des autobiographies... mais je n'ai rien retrouvé dans ce livre
du climat caractéristique de ces musiques. Dans Moins
qu'un chien, du grand contrebassiste et chef d'orchestre Charles
Mingus, vous aurez des propos autrement toniques - et agressifs -
que ceux du narrateur de Powers.
Question de goût, les voix éthérées, angéliques,
me laissent froid. J'aime le blues, le soul, les voix très typées.
Marian Anderson, c'est beau, mais trop languissant à mon goût.
Le livre m'a donc déçu et ennuyé. Il parle long,
trop long, et ce n'est pas intéressant.
Le chapitre de la mort de la mère, par exemple, qui devrait être
émouvant, m'a paru ridicule. La mâchoire du père qui
claque quand il essaye de parler... Et je n'ai pas saisi la blague de
l'oncle qui s'enfuit.
Je trouve le style souvent journalistique, platement descriptif. La description
des mimiques et de la gestuelle des personnages, très présente,
m'apparaît artificielle.
Et, par dessus tout, j'ai vite saturé devant cette famille si extraordinaire,
si inventive, si chaleureuse...
J'ai arrêté la lecture en continu vers la page 100 pour feuilleter
la suite, cherchant quelque passage qui m'accroche et vienne animer ce
flot monotone. Mais je n'ai pas trouvé.
Bref, je ne conseillerais ce livre à personne. Je le ferme.
Françoise D
Désolée mais finalement je renonce à venir car je
n'ai rien à dire sur le livre. Je me suis arrêtée
à la page 99. Jusque là déjà, ça n'avait
pas été un grand plaisir de lecture, mais arrivée
au moment où le gamin en visite chez des cousins se fait arrêter
parce qu'il a acheté des bubblegum à une Blanche je me suis
dit que je n'avais pas envie de m'infliger "ça" pendant
mes vacances : manque de courage, c'est certain. Je lirai les avis
avec intérêt.
Claire
J'enchaîne avec le chur minoritaire des détracteurs...
J'ai lu quelques dizaines de pages qui m'ont vraiment déplu. Je
suis allée sur Internet pour prendre des forces, pas plus loin
que Babelio
où j'ai lu quantité d'avis absolument enthousiastes.
J'y suis donc revenue, persuadée à nouveau, en me souvenant
des propos de Fanny et Manuel, qu'il ne fallait pas rater ce chef-d'uvre
et que l'été était là pour ça. Le livre
m'est littéralement tombé des mains, non sans une certaine
colère.
Je me suis concentrée sur l'auteur pour mettre en ligne des éléments
documentaires : auteur beau, sympathique, à l'uvre ambitieuse,
comme l'est sans aucun doute ce livre.
Comme la musique est très importante dans ce livre, j'ai demandé
à Muriel, musicienne, de le lire. Sa lecture ne m'a pas encouragée
à persister, mais j'ai voulu reprendre les 60 premières
pages que j'avais lues pour essayer de comprendre
ce qui me repousse et, ayant lu le "résumé du livre",
j'ai également lu toute la fin.
- D'emblée, il y a trop de sous-entendus ; le narrateur sait plein
de choses qu'il va peut-être nous dire plus tard, trop de choses
qui rendent le propos obscur : ce n'est pas du suspense ou de la tension
qui sont créées pour moi, mais de l'énervement dû
à une saturation du ... sursoiement (ça va venir
)
- J'ai la forte impression, dès les premières pages, que
l'auteur "fait des phrases" comme le paon fait la roue :
p. 10 "Mon frère chante pour sauver les bons et faire
que les méchants se suicident." ; p. 11 : sept cents
personnes disparaissent "happées dans la faille que la
voix de Jonah a ouverte dans le granit de la montagne" ça
veut dire quoi ?
- Dans cette famille, les personnages me semblent en carton pâte,
sans existence, je ne crois pas à leurs rapports, je n'ai aucune
émotion.
Toutes les critiques françaises sont bouche bée, mais j'ai
trouvé des américaines où je me retrouve (que je
citerai après notre tour).
Séverine V, entreet
J'ai commencé à lire le livre début juillet et, après
une longue pause, j'ai fini aujourd'hui les quarante dernières
pages. Pour moi c'est un page-turner, parfait pour lire sur la plage.
Je ne sais pas si ce roman a été adapté au cinéma,
mais je le trouve très cinématographique
(plusieurs
opinent du chef) et
digne du cinéma américain,
bien sûr, avec tous les ingrédients du succès :
un mariage mixte, une Noire, un Blanc, juif de surcroît, dont la
famille a été exterminée dans les camps
qui
aurait participé de plus ou moins loin à la création
de la bombe atomique
bref, cest un peu too much !
Cependant, je trouve le narrateur est attachant, il a toujours
été dépendant des envies de son frère et sa
sur, n'a jamais vécu sa vie (il se révèle un
peu sur la fin). J'admire le travail sur la longueur. Je reconnais quil
y a du boulot ! Même si jai réussi à lire
le livre jusquau bout, je ne peux pas dire que cela mait passionnée.
Les thèmes ne mattirent pas, aussi bien la musique que la
réflexion sur le racisme. Je nai peut-être pas apprécié
à sa juste valeur la réflexion sur le temps
Bref,
j'ouvre entre ¼ et ½.
Nathalie R
Peut-on lire Le temps où nous chantions sans savoir si l'auteur
est noir ou blanc ?
Clairement oui et pourtant même si j'ai tenu bon sur les trois-quarts
du livre, soudain, le doute. Pas le doute sur la couleur de l'auteur,
mais plutôt le doute sur la valeur
que je pouvais accorder à ce que l'on me racontait,
à ce que je prenais pour argent comptant. Qui connaît
mieux les Noirs et leurs questionnements qu'un écrivain noir ?
Alors j'ai cédé à la tentation et quand j'ai compris
que c'était un auteur blanc, j'ai tout de suite eu envie de savoir
comment la communauté afro-américaine avait réceptionné
l'uvre. Cette situation (un Blanc qui écrit une histoire
de Noirs) m'a fait penser au concept très actuel d'appropriation
culturelle : il y a appropriation culturelle dans
toute situation où un membre d'une communauté "dominante"
utilise un élément d'une culture "dominée"
pour en tirer un profit, artistique ou commercial. Or, même si l'intention
de Powers relevait de la défense de la cause noire et provoquait
une prise de conscience, il en tirait concrètement un bénéfice
personnel.
Pourtant, très vite je me suis dit que javais du mal à
accepter cette idée puisquon peut considérer comme
vrai que toute la littérature relève de lappropriation
culturelle dès quon est dans un rapport de dominant-dominé.
Cela peut paraître absurde mais nempêche
la réalité
est bien quune partie de la communauté noire refuse lidée
que lon puisse parler à sa place.
Dans le même ordre d'idée, les Afro-Américains dénoncent
concept de "black face" comme par exemple pour l'écrivain
John Howard
Griffin, qui écrit Dans
la peau d'un Noir (1961) après s'être fait passer
pour noir en se fonçant la peau. Selon le militant noir Stokely
Carmichael connu sous le nom de Kwame Ture, Dans la peau d'un noir
est donc "un livre excellent
pour les Blancs". D'après lui, Griffin
lui-même en convenait ; il avait même fini par arrêter
de donner des conférences sur cet ouvrage, trouvant qu'il était
"absurde pour un homme
blanc de prétendre parler au nom des Noirs alors qu'ils ont leur
propres voix".
Mais j'ai poursuivi ma lecture trop passionnée par ce qui arrivait
aux personnages. Une fois cette idée soulevée, je me suis
replongée dans le roman jusqu'au cou. J'ai vraiment aimé
cette histoire même si je trouve qu'elle aurait pu être raccourcie
et que la dernière partie souffre de longueur au moment où
Jonah passe au second plan que le récit se concentre sur le narrateur
principal.
Mes premiers jours de lecture, j'ai eu beaucoup de mal à dormir.
J'étais habitée par un sentiment de culpabilité et
j'étais hantée par les images de ce qui nous était
rapporté. (chapitre 10 : le martyr du jeune garçon Bobo
p. 169 dans les années 1955 et les
photos vues sur Internet). Une sensation permanente de fossé entre
ce que l'on croit savoir, ce que l'on s'imagine et ce qui existe vraiment
(un peu comme avec l'expérience des camps de concentration). Je
ne suis même pas certaine que le livre permette une véritable
prise de conscience. Il reste trop informatif, peut-être même
s'il permet d'entrer dans cette famille. Le choix du métissage
comme source d'un futur qui n'arrivera pas et où les spécificités
disparaîtraient est très intéressant. On en revient
toujours aux problématiques d'intégration, d'assimilation
ou de séparation. Je n'arrive pas à me faire une idée :
la problématique est-elle la même en Europe ? Faut-il
souhaiter la disparition des différences par le biais d'un métissage
mondial ?
Jaime son écriture, certaines choses reviennent parfois :
la couleur de la robe (lie-de-vin), des expressions comme "le
visage de mon frère était un banc de poissons"
(p. 30) "Le sourire
de Mlle Alexander libéra en lui un banc de poissons d'argent"
(p. 134)
Jai beaucoup aimé la description de la rencontre amoureuse
entre Netty et son mari : "dans
son dos, le plat de l'omoplate était d'une perfection telle qu'un
sculpteur aurait pu s'escrimer trente années durant, à biseauter,
sabler et polir, sans jamais la reproduire aussi fidèlement. En
haut de sa colonne vertébrale, la sixième cervicale saillait
à la base de la nuque tel un bourgeon annonçant l'éclosion
prochaine d'une paire d'ailes." (p. 134)
Les titres qui jalonnent certains chapitres "mon
frère en prince étudiant, Mon frère en Hansel
mon
frère en Enée, mon frère en Orphée
"
me font penser que Jonah passe sa vie à enfiler des
costumes qui masquent sa réelle identité et appuient lidée
quil peut se révéler être douloureux de se positionner
en tant quenfant métis, quel que soit son degré de
couleur de peau. Ça ma fait penser également à
La
tache de Philip Roth.
Plusieurs opinent du bonnet...
Nathalie
Au fil de ma lecture, je me suis apaisée et jai simplement
essayé dappréhender ce quon me racontait tout
en me maintenant à distance. Jai fait beaucoup de recherches
pour voir à quoi ressemblaient les hommes et les femmes dont on
nous parlait, pour mettre un visage sur leur histoire. La plupart des
noms métaient inconnus, certains faits restaient obscurs.
Il existe une force rare dans lart de la narration de Powers qui
fait naître facilement un univers très éloigné
(ça me fait penser aux univers dIrving)
comme sil existait un talent particulier décriture
romanesque américaine. Jai limpression que certains
romans actuels sont très pauvres par rapport à cette capacité
dévocation. Mon esprit a très facilement visualisé
les univers dans lesquels évoluaient les personnages.
Les liens entre le temps et lespace ne mont pas particulièrement
intéressée. Jai trouvé les théories
trop complexes. Lartifice de faire sentrecroiser les personnages
(au Mall Center) ne ma pas convaincue. Jai eu parfois limpression
que ce choix de la relativité temporelle entretenait lidée
dune métaphore de léchec. Quoi que les Noirs
fassent, leur condition au sein des États-Unis nest pas une
condition qui progresse mais un état permanent de retours en arrière
comme le montre cruellement lactualité. Il me semble également
que lon peut appréhender la recherche musicale vers une musique
qui samenuise jusquà nêtre quun chant
pur et archaïque à une sorte de métaphore de lidentité
humaine. Ruth voudrait que son frère aille là où
la plupart des lecteurs pourraient sattendre à ce quil
aille (celle qui naîtra de celle des chants/champs de coton [sic])
alors que lui ne cesse de chercher une musique en dehors de toute origine
sinon celle de lhumain.
Jai particulièrement aimé le choix des parents délever
les enfants en dehors de la vie ordinaire et laspect à la
fois subi ou pragmatique et idéologique : une sorte de dilution
des groupes raciaux vers un seul groupe simplement humain (il me semble
que cest ce vers quoi nous allons désormais).
En fin de compte, lespoir a peu de place dans cette histoire. Elle
semble se concentrer sur les échecs et de fait justifier les causes
dun repli communautaire comme lillustrent les paroles de Ruth.
Vivre à côté deux, pas avec eux. « La
perspective déclaircir sa lignée de lenchantait
guère. Café au lait, se dit-il cela navait aucun sens.
Il se dit quil fallait voir au-delà de sa couleur, appréhender
les teintes de son esprit ; Oui, cette femme était claire, mais
cela provenait de la lumière qui brillait en elle partout où
elle allait " (p. 135).
Jouvre aux ¾ et je loffre à tous : !
Jacqueline
Je l'ai lu d'une traite en trois jours avant l'été. J'ai
eu un peu de mal avec le premier chapitre, mais j'ai été
rapidement entraînée ... Je ne suis pas musicienne, j'étais
étonnée par ce jeune prodige : cela sonne comme une belle
histoire. J'ai beaucoup aimé les personnages : Theresa, la mère...
Je n'ai peut-être pas tout compris aux raisons de la mort de la
mère, mais c'est sans doute voulu puisque les enfants l'interprètent
différemment.
J'ai admiré tout le travail de l'écrivain.
J'ai lu Orfeo
et surtout Générosité
qui m'a beaucoup plu parce qu'il y est beaucoup question d'écriture,
d'affrontements médiatiques et finalement du rôle de la fiction...
Réactions d'admiration devant les pavés sortis alors
du sac de Jacqueline...
Jacqueline
C'est un auteur qui tient à affronter des thèmes en question
aujourd'hui dans son pays (mais pas seulement), qui s'informe et parle
de ce qu'il connaît. Jusqu'à la moitié du livre, j'avais
une petite réticence vis à vis du fait qu'il se met dans
la peau de Noirs américains, victimes , même pour dénoncer
le racisme (en même temps je me souvenais ce qu'avait dit Claire
au
sujet de Bérangère Cornut, "c'est le propre de
la littérature" et je pensais à Zola...) Ensuite, quand
il a été question des Black Panthers, que je ne connais
que par les livres, je me suis laissée emporter ... Mais moi aussi
j'aimerai avoir les réactions des communautés noires à
ce roman. J'ouvre ¾ seulement à cause des questions que
je me suis posées.
Catherine, entreet
J'ai aimé et j'ai été intéressée par
les thèmes comme le racisme aux États-Unis dont on ne se
rend pas compte quand on est blanc.
J'aime beaucoup la musique classique, mais il y a des longueurs sur ce
thème.
J'ai vu un côté artificiel, par exemple quant au personnage
du chanteur. J'ai préféré le personnage du narrateur
qui fait plus authentique.
C'est la réflexion sur la question raciale qui m'a intéressée,
avec l'appropriation de la musique des Blancs par les Noirs et l'idée
qu'on pourrait échapper au racisme en Europe. Le livre se lit facilement.
J'ouvre entre ½ et ¾.
Etienne, entreet
C'est un roman d'une ambition folle et rien que pour cela, ça valait
la lecture. Je dois avouer que j'étais un poil sceptique au départ
et me demandais comment Powers allait arriver à parler de tout
ça de manière intelligente. Ce qui me vient au final à
l'esprit est :
1. La subtilité : à l'image de la fratrie Strom métisse,
tout ce qui se déroule dans ce roman est d'une richesse et d'une
complexité poignante. Beaucoup de clichés sont pulvérisés,
je pense notamment aux personnages de la famille de Delia (mention spéciale
pour son père), Jonah, Ruth. Tout respire la tension interne, le
déchirement.
2. Le mal-être : si ce roman est celui de l'échec d'un rêve,
le rendu est particulièrement réussi. Tout suinte la tristesse
et l'ennui, la résignation. Même les moments d'extase sont
rapidement voilés par une sorte d'incapacité à savourer
son bonheur (cf. Joseph à Atlantic City). Ce fut donc un livre
pas toujours facile à lire, car on est constamment en train de
guetter la lumière et elle n'arrive jamais.
3. L'intelligence du propos sur un plan sociologique car il est beaucoup
question d'interrogations, mais Powers esquisse aussi des réponses
(l'analogie du contrepoint).
Je termine par deux bémols :
- le côté "bigger than life" du roman qui veut
tout embrasser dans une sorte de boulimie pop culture : le racisme, la
Shoah, l'espace-temps, Einstein, Coltrane, la bombe atomique
- le style littéraire clairement non maîtrisé dans
ses élans lyriques. C'est le point faible de Powers, il gagnerait
à être plus sobre (cf. p. 947 à
propos de la soliste de l'hymne He
Leadeth Me : "à
partir du deuxième couplet, j'étais presque debout. La fille
avait un coffre capable d'épuiser toutes les réserves de
l'Alaska. La NASA aurait pu utiliser sa justesse pour guider les satellites"...)
J'ouvre entre ½ et ¾.
Annick L
Je suis très heureuse d'avoir découvert ce roman-fleuve
(plus de 1000 pages) dont la lecture m'a bouleversée et dans lequel
je suis encore immergée. L'ambition de l'auteur est immense :
une saga familiale qui traverse l'histoire de l'Amérique raciste
et ségrégationniste de 1939 aux années 1990, du point
de vue de la communauté noire (un paradoxe pour un romancier blanc !),
une ode à la musique sous toutes ses formes et pratiques, une méditation
sur le temps (temps historique, scientifique et humain). La richesse de
cette uvre polyphonique ne facilite pas la tâche du compte
rendu !
Je me suis d'emblée attachée à cette famille peu
conventionnelle : David, le père, juif allemand mélomane
qui a fui le nazisme, grand spécialiste en mathématiques
dans le domaine de la physique quantique, qui s'est enfermé dans
l'abstraction pour se protéger du réel ; et Delia,
une jeune femme noire issue de la petite bourgeoise catholique (son père
et médecin), qui a trouvé refuge dans la musique pour échapper
à la violence du racisme ordinaire des Blancs. Une histoire donc
qui commence comme un conte : ces deux idéalistes ont trois
enfants métis (pas tout à fait noirs, pas tout à
fait blancs) qu'ils vont plonger dans un cocon d'amour universel et de
musique. Le père rejette la notion de race, les croyances religieuses,
tous les préjugés sociaux et ils élèvent leurs
enfants de façon très libre en cultivant les talents propres
de chacun. Cette partie du roman est très belle, comme un rêve
qui va s'arrêter net au moment de la mort précoce de Délia
dans un incendie d'origine criminelle. Fin de l'utopie : parmi les
trois enfants c'est Ruth, la plus jeune, qui sera la plus traumatisée
et qui rejettera les valeurs familiales, et surtout son père, ce
Blanc qui les a coupés de leurs origines afro-américaines
(sa famille maternelle), un déni de la réalité que
vivaient les Noirs à cette époque de ségrégation
et d'inégalité sociale criante. Cette dimension du récit
m'a beaucoup touchée et j'ai suivi avec beaucoup d'intérêt
le destin de cette fratrie jusqu'à la fin. Les deux aînés,
eux, Jonah et Joseph, le narrateur, vont poursuivre le chemin tracé
par leurs parents et se consacrer totalement à la musique :
Jonah, qui a une voix de ténor exceptionnelle, va faire une carrière
internationale remarquable en chantant le répertoire classique
des Blancs d'Europe ; Joseph, le narrateur, lui-même pianiste
de talent qui adore son frère, l'accompagnera pendant très
longtemps dans cette voie.
La musique est le sujet majeur de ce livre, ce qui réunit les différents
personnages : " Lorsque
cette femme noire se mit à chanter des lieder de Schubert, toute
l'Amérique, même la plus sauvage, se rendit compte que quelque
chose ne tournait pas rond dans ce pays". Et Richard Powers,
lui-même instrumentiste et mélomane, a des connaissances
incroyables dans ce domaine, du répertoire classique européen
à celui des Noirs américains (jazz, blues, gospel, etc.).
Il peut consacrer des pages entières à la recherche d'une
tessiture vocale ou d'un arrangement pour piano. Il parle admirablement
de la façon dont une seule note peut contenir un univers, une vision
du monde... on croirait presque l'entendre ; mais j'ai parfois trouvé
que certains passages techniques, pendant la période de formation
des deux frères, étaient fastidieux. J'ai ainsi sauté
quelques pages
Sauf que j'étais très vite reprise ensuite par la prose
lyrique, imagée et puissante de Powers, en particulier dans les
grandes scènes collectives qui, en arrière-fond, ponctuent
le roman. Ainsi lors de l'évocation du concert de Marian Anderson
en 1939 : "Pendant
un moment, ici et maintenant, s'étirant le long du bassin
un état impromptu prend forme, improvisé, révolutionnaire,
libre une nation qui, pendant quelques mesures, par le chant
tout au moins, est exactement ce qu'elle prétend être".
Ou de la manifestation non-violente, en août 1963, avec le pasteur
Martin Luther King, voire des émeutes dans les ghettos
L'histoire tragique de cette famille métis qui va perdre ses idéaux
est en fait emblématique des fractures identitaires raciales de
ce pays, encore d'actualité aujourd'hui, ravivées par un
président xénophobe : "J'ai
voulu monter que le racisme n'est pas une donnée naturelle de la
conscience, il dépend toujours d'un contexte politique",
commenta
l'auteur. Et la maestria avec laquelle Powers construit sa trame narrative,
en jouant sur des aller-retours constants entre le passé et le
présent pour brosser un portrait sans concession de son pays est
tout à fait admirable.
Ouvert en grand bien sûr.
Rozenn
J'ouvre en très grand. J'ai eu beaucoup de mal au démarrage.
J'ai trouvé subtile la façon dont j'ai découvert
à la lecture qu'ils étaient colorés, à travers
le regard des autres. Subtile est la réflexion quant à la
couleur qu'on nous attribue. On le découvre comme les enfants le
découvrent en sortant du cocon familial.
Il y a de l'humour. La grande histoire est bien accrochée sur la
petite histoire, cela glisse.
Il fait sentir ce qu'il veut faire passer comme sensation, même
sans tout comprendre à la musique. De même pour la physique.
J'ai aimé ne pas comprendre.
J'ai lu cette semaine la moitié qui me restait en quelques jours
y compris tard dans la nuit et tôt le matin. Et j'ai redécouvert
un vrai plaisir de la lecture.
Danièle, entreet
Première impression : ce n'est pas du Annie Ernaux !
Mais dans les deux cas j'ai vécu des moments d'émotion,
et j'ai même parfois éprouvé des frissons. Avec Richard
Powers, il y a en plus du lyrisme, du suspense et j'ai de l'empathie pour
les personnages. J'ai souvent dû faire des efforts de construction
pour établir la chronologie des événements, parfois
avec plaisir, parfois à grand peine. Cela renvoie finalement à
la mémoire, et à la manière dont on recrée
sa vie, son histoire. C'est un roman-fleuve, sans " fluidité
" chronologique, mais plutôt un cheminement par flashes dans
les méandres de la mémoire qui permet de comprendre la totalité
et la diversité du vécu de la famille.
Le thème, c'est de savoir, à travers l'histoire d'une famille
et sur fond d'histoire des États-Unis et de l'Europe si et comment
la mixité raciale est possible. On a affaire à un couple
improbable : une Noire et un Juif qui se trouvent au diapason à
travers la musique classique occidentale et élèvent leurs
enfants dans l'esprit que la race ne compte pas, alors que tout autour
d'eux déferlent brutalités policières racistes et
émeutes raciales en réaction.
Cette histoire est jalonnée de moments lumineux et de moments sombres.
Parmi les passages lumineux je place en premier les scènes de créativité
et d'improvisation musicale, qui ont enflammé mon imagination.
Merveilleuses descriptions qui m'ont transportée et fait vibrer
à l'unisson. Cela m'a fait penser à Amadeus,
pourtant critiqué par les musiciens pour son manque de réalisme,
mais apprécié par les néophytes.
Ce sont aussi les réflexions scientifiques du père sur le
temps et l'espace. Je ne suis ni musicienne ni scientifique, mais dans
les deux cas j'ai eu la sensation de participer au plaisir de créer
ou de surfer dans des sphères inaccessibles pour moi. Cela m'a
transportée.
Le rapport des parents aux enfants est aussi lumineux. Leur intelligence,
leur optimisme, la confiance qu'ils ont en eux, malgré toute leur
impuissance face à la haine raciale.
Il y a également des moments sombres comme la haine de Ruth pour
son père, qu'elle voit avant tout comme un Blanc oppresseur, alors
que rien dans le roman ne corrobore cette impression. Les brutalités
policières, de nouveau en lien avec l'actualité, semblent
devoir toujours exister. Les émeutes raciales qui s'ensuivent sont
décrites à la façon d'incendies qui éclatent.
Pour moi, c'est l'alternance de ces moments lumineux et de ces moments
sombres qui fait la musique du livre. Ils s'entremêlent et se mixent
à la façon de variations musicales qui nous transportent.
Un seul bémol dans cette harmonie : un peu trop de perfection !
Les enfants sont doués en tout, en musique et en mathématiques,
les parents sont exemplaires... Mais finalement j'aime y croire. J'ouvre
entre trois quarts et en grand.
Geneviève
Je l'avais lu en anglais il y a longtemps, j'en avais un souvenir émerveillé.
Je n'étais peut-être pas d'humeur, je l'ai traîné
tout l'été. Je relis peu et cela n'a pas été
une très bonne expérience : j'ai perçu des faiblesses
que je n'avais pas vues la première fois, comme l'enthousiasme
hyperbolique sur les capacités musicales de Jonah, à grand
coups d'adjectifs. L'accident de la mère m'a aussi mise mal à
l'aise : à la relecture, cela m'a paru trop brutal pour être
crédible. Mais l'ampleur du projet, sa dimension historique restent
impressionnants.
Je n'ai pas été gênée par la multiplicité
des thèmes : judaïsme, musique, recherche mathématique,
immigration, racisme, ségrégation... Certes, je n'ai pas
tout compris sur la musique et les mathématiques, faute d'une culture
suffisante, mais l'essentiel me semble être leur dimension métaphorique,
cette manière de percevoir le monde dans sa complexité.
Cela reste un excellent livre pour la prise de conscience sur la manière
dont se vit le racisme quotidien. Et cette relecture m'a rendue plus sensible
au drame de l'incompréhension entre les parents et leur rêve
d'un autre monde, sans racisme, et les enfants, privés d'appartenance
à une communauté et de la sécurité qu'elle
procure.
J'ouvre donc le livre aux ¾.
Pour finir, les deux auteurs de la proposition
de la lecture de ce livre :
Fanny
Je l'avais lu il y a quatre ans et je l'ai relu. Quand Manu en a parlé
après l'été précédent parmi les lectures
sur
le thème de l'art, j'ai approuvé la proposition. Je
ne suis ni musicienne ni scientifique, je manque de connaissances historiques,
mais j'ai aimé moi aussi ne pas tout comprendre. Quant à
la dimension too much, probablement pas crédible, c'est pour moi
un roman. Même si c'est historique. Même si c'est invraisemblable.
Tu comparais Claire ses phrases comme un paon qui fait la roue :
mais c'est beau un paon qui fait la roue.
À la relecture j'ai mis plus de temps que lors de la première.
Je concède des longueurs, mais je ne me suis pas ennuyée.
En ce qui concerne le fils aîné de Ruth sur la fin du roman,
certains passages, comme celui en prison faisaient partie de mes souvenirs
flous et je redécouvrais. J'ai ressenti une empathie pour tous
ces personnages avec la petite histoire qui vient se greffer sur la grande
histoire, ça me parle. Ce qui me frappe c'est la construction du
livre : magistral, en boucle, en cercles qui servent le propos scientifique.
Il y a des boucles, des spirales mais on avance, donc en fait il y a une
chronologie jusqu'aux neveux. Je l'ouvre en entier. Je l'ai fini aujourd'hui :
j'étais au travail, j'ai pris une pause au travail et ai lu 30
minutes face à mes collègues et puis j'ai terminé
10 minutes à la fontaine Saint-Michel.
Manuel
C'est une relecture, datant d'il y a plus de 10 ans. Elle a bien été
différente car, grâce au streaming, j'ai pris le temps de
m'arrêter dans ma lecture pour écouter les morceaux et apprécier
le talent qu'a Powers de décrire les passages musicaux. Nous vivons
une époque bien différente de celle de Kwame qui vole des
CD chez un disquaire.
Je rejoins Etienne et Claire sur les aspects lourdingues de l'écriture.
Parfois Powers en fait des tonnes à chaque page (métaphores
tirées par les cheveux !), mais cela ne dessert pas le propos
qui reste ambitieux. Au travers des destins de Jonah, Joseph et Ruth,
Powers nous raconte l'histoire de la lutte pour leurs droits des Afro-Américains
scandée par les nombreuses émeutes, les bavures policières
et les actes racistes. Je trouve que cette histoire jette une immense
ombre sur les US. Le livre est toujours d'actualité. La bavure
dont a été victime de Rodney
King fait tristement écho à celle de George
Floyd. Je ne sais plus où, Power nous dit qu'on est inscrit
dans sa race, ce qui est dur.
L'idée du mariage d'un Juif et d'une Noir est habile. J'ai visionné
récemment le film Liberty
Heights de Barry Levinson. L'action se passe à Baltimore
en 1954 ; une scène m'a particulièrement marqué :
l'entrée d'une piscine est interdite aux Juifs,
aux Noirs et aux chiens. Juifs et Noirs partageaient la même discrimination.
Comme Etienne, j'ai trouvé que c'était un livre triste,
pessimiste. David et Delia voulaient faire fi de la race. Ruth revendique
sa couleur de peau, ses racines africaines. Jonah par sa mort, veut prouver
à sa sur qu'il est autant engagé qu'elle pour la cause
des Noirs. C'est terrible ! Joseph est finalement le plus partagé,
celui qui représente peut-être le mieux la troisième
voie. Le livre se finit par une impasse, une note complètement
négative.
Je ne me suis pas posé la question de la crédibilité
de l'auteur blanc. À l'époque de la sortie du livre, je
ne suis pas certain qu'on se la posait
Tous les passages sur la musique m'ont énormément plu. L'auteur
communique son enthousiasme, c'est magnifique : les émeutes
de Watts avec en fond sonore Dancing
in the Streets de Matha and the Vandellas, Coltrane improvisant
dans la rue, la merveilleuse scène dans les
Cloisters dans le haut de Manhattan et les chanteurs de musique ancienne.
Ce sont des passages magnifiques. Le chapitre du crime de Hemett
Till est terrible !
Il y a eu une exposition Stephen Shames à la Maison de la photographie
de Gentilly sur le mouvement des Black Panthers.
J'ouvre ¾ en raison de réserves
par rapport à l'écriture.
Manuel nous montre des
images de l'exposition Stephen Shames et des
Cloisters à New York :
Claire
Je reviens à la charge avec des "alliés" : si
la presse francophone n'est qu'éloges, Daniel Mendelsohn, critique
et écrivain (qui dialogue cette semaine avec Emmanuel Carrère
dans Le
Monde), rédige un très long article dans le New
York Times, très élogieux, mais pour finir de façon
bien critique qui éclaire les rejets... :
- "Vous faites votre
chemin parfois laborieux à travers le roman (c'est beaucoup trop
long - ou, pour citer la célèbre critique de ce musicien
suprême, Mozart, rempli de 'trop de notes')"
- "Sa faiblesse en tant
qu'écrivain est la faiblesse de tous les artistes conceptuels :
vous pouvez admirer ses installations élaborées, mais vous
vous retrouvez parfois à manquer les plaisirs simples de la bonne
peinture à l'ancienne."
- "Il y a quelque chose
de gênant dans la façon dont il se souvient parfois qu'il
lui faut parvenir à une vraisemblance."
- "Ce n'est pas un écrivain
dont l'intérêt pour ses personnages dépasse leur utilité
en tant qu'éléments symboliques dans de grands assemblages
théoriques. À l'exception peut-être de David et de
l'imposant père médecin de Delia, on ne croit jamais vraiment
en cette famille. Vous acceptez que ce qui leur arrive, ou à des
gens comme eux, est réel ; mais vous ne le sentez pas vraiment."
- "Alors qu'il parcourt
l'histoire d'Hiroshima à la Million
Man March, vous sentez que Powers coche consciencieusement des éléments
d'une longue liste de courses comportant les épisodes liés
à la race dans l'histoire américaine." (extraits
de "A
Dance to the Music of Time", Daniel Mendelsohn, New York Times,
26 janvier 2003)
Tout aussi élogieux puis sévère sur la fin (in cauda venenum...), le critique, essayiste, professeur à Harvard, Sven Birkerts, dans The New Yorker :
"S'il a toujours échoué
dans la présentation de personnages viscéralement convaincants
(soit trop fouillés soit des personnalités réduites
à leur obsessions), il a généralement compensé
par la complexité de ses créations et par des phrases riches
en idées. Mais ses sujets précédents - réalité
virtuelle, impacts de l'industrie - se prêtaient plus volontiers
à son formalisme. Dans la vie américaine, la race, c'est-à-dire
le racisme, ne peut être dramatisée sans éruptions
brutales de rage et de tristesse désespérée.
Et ces émotions primaires nécessitent des personnages pleinement
ressentis avant de pouvoir vivre sur la page. Aucun des personnages majeurs
de ce roman ne mérite tout à fait les histoires qui leur
sont attribuées. Ils sont intéressants, ils portent le poids
complexe de leurs réflexions, ils soulèvent sous tous les
angles les enjeux de l'identité mixte, mais si vous les coupez,
ils ne saignent pas. Pas assez, en tout cas." ("Harmonic
Convergence", Sven Birkerts, The New Yorker, 13 janvier
2003)
Claire
Le livre de Powers est sorti en 2003. Avec la nouvelle censure folle d'aujourd'hui,
je me demande s'il aurait pu sortir aujourd'hui, 17 ans plus tard.
Annick
Il l'écrirait différemment.
Claire
Je pense au livre de Timothée de Fombelle Alma :
le vent se lève, privé de parution aux États-Unis,
parce qu'auteur blanc, il ne serait pas légitime pour parler de
la traite des Noirs et pour choisir comme héroïne une jeune
Africaine
Il est donc refusé par Walker Books, la maison
dédition anglo-saxonne de lécrivain qui a publié
une douzaine de ses romans, pour appropriation
culturelle... (Le
Figaro, 24 juin 2020)
Etienne, dégainant
J'ai un
livre à proposer :
Soupirs racistes (encore un Noir !). Etienne soutient son livre avec
foi, mais devra trouver des alliés pour le reproposer.
Claire
Au fait, vous avez compris la couverture de Powers ?
Séverine
C'est un Noir, mais habillé comme un Blanc.
Claire
Très juste ! Tout est dans le col !
Séverine
J'ai apporté un article qui publie le premier chapitre d'un roman
au thème approchant : L'Autre
Moitié de soi de Brit Bennett, qui met en scène
deux jumelles de peau claire : l'une décide de devenir blanche
et l'autre noire... ("À
Mallard, on ne se mariait pas avec plus noir que soi", Libération,
1er août 2020).
Avis du nouveau groupe parisien
Les
8 cotes d'amour
François Nathalie B Séverine G Valérie Ana-Cristina Faustine Françoise H Olivier |
Ana-Cristina
J'ai ouvert ce roman la première fois, il y a un an. J'ai lu la
première page et je n'ai pas continué.
Je l'ouvre une deuxième fois, en vue de notre séance d'aujourd'hui.
Et je suis saisie par ce passage qui se trouve à la première
page) :"Jonah se tient
seul à droite du centre de la scène. Il se dresse sur place,
il tremble un peu, se replie dans le renfoncement du piano à queue,
c'est le seul endroit où il soit à l'abri. Il se penche
en avant, telle la volute réticente d'un violoncelle. De la main
gauche, il assure son équilibre en s'appuyant sur le bord du piano,
tout en ramenant la droite devant lui, comme pour tenir une lettre étrangement
égarée. Il sourit : sa présence ici est hautement
improbable, il prend une inspiration et chante." C'est
superbe. Comment j'ai pu passer à côté ? Cela rappelle
que notre état (bien ou mal luné, en forme ou fatigué,
confiné ou non confiné, etc.) influence notre lecture. Mais
je cale de nouveau vers la p. 50. Je le reprends une troisième
fois. Vers la p. 220 j'arrête, en me disant que cela suffit.
J'éloigne le livre de ma vue. Mais j'y reviens et aujourd'hui j'en
suis à la p. 346, et je continuerai peut-être. Mon avis
concerne donc ces 346 pages.
Je trouve que de nombreuses scènes sont très bien décrites.
En voici quelques unes qui m'ont impressionnée et émue.
Les scènes montrant la famille Strom réunie autour du piano ;
la scène qui relate l'escapade de Delia jeune fille au concert
mémorable de Marian Anderson ; la scène très
forte que j'ai lue la bouche ouverte : celle du lynchage du jeune
garçon noir. Très belle maîtrise de l'auteur. L'équilibre
entre le dit et le non-dit est parfait. Je suis sensible dans cet épisode
très éprouvant à la puissance du suggéré,
à l'absence des détails qui rendraient cette scène
trop insupportable. Toute l'horreur de la situation y est pourtant ;
et celle très émouvante où le père emmène
ses fils chez le boulanger Frich, leur fait goûter le Mandelbrot
qu'il aime tant (le passé qui se pose sur les papilles en quelque
sorte). Sans aucun doute Richard Powers sait mettre en scène des
situations fortes et émouvantes.
Mais les passages vraiment souvent très longs sur le concept de
l'espace-temps m'ont vraiment ennuyée. Ainsi que les trop longs
passages concernant la musique en générale. Dans ces passages,
son style montre ses faiblesses. Il n'est pas assez vigoureux pour soutenir
l'intérêt. Alors, dans les épisodes qui parlent du
temps, je m'accrochais à des phrases toutes simples comme "le
temps est notre manière d'empêcher que tout ne se produise
d'un coup" ou "Le
temps c'est une chose après l'autre" ou encore
"Saint-Augustin disait
qu'il savait ce qu'était le temps tant qu'il n'y réfléchissait
pas. Mais dès l'instant où il se posait la question, il
ne savait plus." Mais la plupart du temps les propos du
père sur le temps m'angoissaient littéralement, car je n'y
comprenais vraiment rien.
Le besoin d'arrêter ma lecture est sans doute lié à
ces passages trop longs et souvent obscurs. Je m'ennuyais. Dans l'élan
de ma lecture, ces passages me gênaient, m'éloignaient trop
des personnages qui m'intéressaient. Je dirais qu'avec ses 1046
pages, Richard Powers a construit un palace, mais au seuil duquel je suis
restée. Je me serai contentée d'une cabane. J'ouvre à
moitié.
Anne
Moi aussi, j'avais essayé mais n'ai pas réussi à
dépasser la première page.
Françoise H
Le sujet était vraiment bien. L'idée de suivre une famille
qui se distingue par sa composition (Juif blanc et Noire), sur la période
de 1940 à nos jours, est un projet en soi formidable. J'ai lu 550
pages. Ce qui m'a empêchée de le savourer, c'est le style
qui est illisible. Un exemple au hasard : "Je
l'accompagne jusqu'à la fenêtre. Le brouhaha des rues de
Chicago et l'activité paisible des commerces, en bas, l'aident
à se décontracter un peu. Jonah se reprend. Ses épaules
s'affaissent. Il se remet à respirer."
(p. 188) Ces quelques phrases choisies au hasard sont un très
bon exemple. On passe le temps à suivre des émotions qui
sont superlatives. Quand elles sont tristes, elles dégringolent
au plus bas, quand elles sont gaies, elles sont au pinacle. Il n'y a jamais
de juste milieu. Cela a été rédhibitoire. Il y a
tant de descriptions, de détails, qu'il n'y a aucune place pour
l'imaginaire du lecteur. Ça vaut pour tout, le concert de Marian
Anderson, l'arrivée des fils à l'école de musique...
Je me suis dit que l'auteur nous prenait pour des cons ! Quant à
la construction du livre, ça rime à quoi ces flashbacks...?
Je le ferme.
Faustine
Je l'ai lu en entier et vite. J'ai aimé la construction, j'ai aimé
le livre choral avec ce narrateur omniscient. J'ai aimé être
dans la peau de ces différents personnages. J'ai aimé ces
retours dans le passé. Quand le père parle du temps, j'avoue
que je ne comprends pas tout, loin s'en faut. Certains éléments
ne sont pas évidents. Pourtant je comprends ce que je lis des articles
scientifiques, mais pas ce que l'auteur écrit sur le sujet du temps.
Sur la musique, certains passages sont un peu précieux, trop ampoulés.
Je te rejoins, Françoise, sur certains passages, un peu cafouillis.
Il y a des moments difficilement compréhensibles. Mais je me suis
beaucoup attachée aux personnages de la mère, du narrateur.
Il les décrit bien, leurs conquêtes, leurs failles. Je trouve
que son frère Jonah et sa sur Ruth un peu caricaturaux. Ruth,
par exemple, est un personnage sans nuance, toujours agressive. Le frère
Jonah n'est pas plus nuancé. Ils sont très ancrés
dans leurs univers, je les trouve peut-être trop passionnés.
Globalement, le livre est très intéressant. Je n'avais pas
envie qu'il se termine. J'étais vraiment triste pour cette famille,
qui était une famille idéale puis dont l'amour se délite.
Je l'ouvre à moitié.
Valérie
Je souhaite partager une citation de ce roman qui me semble très
significative de ce que dit le roman : "Ils
voulaient que nous incarnions l'étape suivante. La transcendance.
Ils ne voulaient pas qu'on remarque les différences entre les races.
Ne voulaient même pas qu'on utilise le mot." (p. 501)
J'ai beaucoup apprécié la trame identitaire qu'ils ont fait
subir à leurs enfants. J'ai lu toute l'histoire. Il y a beaucoup
de choses qui ne m'ont pas intéressée, notamment tous les
discours sur le temps. Mais je l'ai lu très facilement. L'histoire
de cette famille est assez captivante, mais le racisme américain
ne me concerne pas du tout. J'étais très éprouvée
par la scène du lynchage de ce jeune afro-américain. Je
n'avais pas envie de lire ça. Je ne vois pas l'intérêt
que le père blanc soit un Juif allemand. C'est un Blanc qui épouse
une Noire, le reste n'apporte rien à l'histoire. J'ai été
interpellée par la scène où Delia annonce à
sa mère, sans le dire d'ailleurs, que l'homme qu'elle aime est
blanc. Sur le moment, je n'ai pas compris ce que signifiait l'interrogation
de la mère de Delia "il
est pas comme nous ?". La famille de Delia reçoit
très bien le jeune couple, c'est une famille ouverte, alors que
Ruth leur petite-fille ne l'est pas du tout. Pour elle, il y les Noirs,
les Blancs et les Blancs sont tous à tuer ! Comme les Black
Panthers avec leur rejet en masse !
Sur la musique, une qui serait blanche et une qui serait noire, cela m'a
gênée et interpellée. Je n'avais jamais pensé
cela. Il y a des points qui laissent interrogatifs. Par exemple, on ne
sait pas ce qui s'est passé avec la première amoureuse de
Jonah. Est-ce que le père stoppe l'histoire parce qu'il est noir ?
On ne saura jamais. Le roman se lit facilement, mais ce n'est pas une
belle écriture. Je me suis laissé porter jusqu'au bout pour
savoir comment ils allaient s'en sortir avec cette identité noire/blanche.
Les parents pensent qu'ils vont pouvoir aller au-delà avec leur
famille et ils n'y arrivent pas. J'ai pensé que les frères
ne souffraient pas de leur couleur. Il y a des scènes qui m'ont
bouleversée, comme celle du père qui discute avec la mère
morte dans la cuisine. C'est pour ça que je vais l'ouvrir complètement.
C'est un livre qui fait réfléchir, sur l'identité,
comment on la vit, comment on fait son chemin. Il m'a ouverte à
des réalités, comme le racisme noir américain, que
je ne connaissais.
Nathalie B
J'ai découvert ce roman grâce à un copain il y 7-8
ans. Je l'avais beaucoup aimé et conseillé à tous
ceux que je croisais. Je l'ai relu pour notre séance. J'ai éprouvé
un plaisir de lecture différent, mais tout aussi prononcé.
J'aime tout de ce roman. L'écriture qui correspond à ce
qu'il veut dire, la charge émotionnelle qu'elle dégage ;
la construction avec ces époques différentes qui s'enchevêtrent
et qui font écho à la façon dont procède notre
propre mémoire. Et puis cela correspond à la conception
de David, le physicien, qui comme Einstein, pense que "la
distinction entre le passé, le présent et l'avenir n'est
qu'une illusion obstinément persistante." D'ailleurs
la traduction française du titre n'est pas bonne : il devrait
s'appeler Le temps de notre chant, en évitant l'utilisation
de l'imparfait qui du coup me paraît un contresens manifeste. J'aime
les personnages : David, le père, pour lequel j'éprouve
une grande tendresse : chercheur, musicien amateur et inventif, distrait,
aimant, optimiste, totalement à l'Ouest souvent. Delia la mère,
intelligente, musicienne incroyable, généreuse, les pieds
sur terre, Jonah à la voix d'or, ironique, réservé
et passionné, ne doutant pratiquement jamais de lui, Joseph si
tendre, le narrateur qui tente par ce livre de faire revivre son incroyable
famille, Ruth devenue aussi dure que le silex après l'horrible
décès de sa mère, qui trouve des réponses
à toutes ses questions et l'amour dans le mouvement radical de
la cause noire. Tout est tellement juste dans leurs réactions et
interactions. Je ne suis pas d'accord avec toi, Valérie, sur le
fait qu'il n'y aurait pas d'intérêt à ce que David
soit un Juif allemand. Bien au contraire, c'est parce qu'il l'est, avec
toute son histoire et son absence de famille, qu'il peut être accepté
comme il l'est par la famille de sa femme. J'aime l'histoire bien sûr
que je trouve magnifique, basée sur l'histoire d'un espoir incroyable,
qui devrait être le nôtre encore aujourd'hui : l'au-delà
des couleurs et origines. Cela raconte aussi l'histoire du paradis perdu
de l'enfance heureuse, de l'âge adulte avec ses désillusions,
de l'éloignement de la famille originelle. Cela nous parle à
tous. Ce roman écrit en 2003, bien avant qu'Obama ne devienne président
des États-Unis, est en plus, au vu des derniers événements
aux États-Unis, et un peu chez nous, désespérément
actuel. J'ai bien aimé la question du temps qui reste une question
si mystérieuse. En tout cas, c'est une question qui fait beaucoup
écho chez moi. C'est un livre qui chante : j'entends sa musique.
Je ne trouve vraiment pas que le style soit précieux. En revanche,
on parcourt de nombreux styles musicaux. Et j'ai beaucoup apprécié
la leçon de Joseph qui montre que la musique traverse les siècles
en se plagiant, se déconstruisant, reconstruisant et se renouvelant
sans cesse, Il y a des moments de pure grâce, des moments de temps
suspendu. J'ai adoré ce livre. Je l'ouvre en très grand.
Olivier
Quand je lis un livre, peu à peu j'imagine son auteur qui devient
en quelque sorte un ami. À la lecture de ce roman, je me suis dit
"c'est qui, cet homme-là !
On lui a passé commande ? Ça sent le procédé".
Un produit américain, je l'ai ressenti comme ça. On va mettre
un Juif, un Noir, on saupoudre de temps, avec des phrases auxquelles on
ne comprend rien. Il finit par dire : il y a un avant, un après !
Tout ça pour ça !!! On choisit une thématique :
le métissage. Cela va intéresser les Blancs, les Noirs.
Pour moi, c'est une diarrhée. A la fin, je sautais tout ce qui
avait trait au temps, à la musique... Ce type veut nous en mettre
plein la vue. Rien ne vaut d'écouter la musique. Il me décrit
son émotion par rapport à la musique qui ne me parle pas.
Il y a des scènes qui m'ont ému aux larmes comme celle de
Delia et sa mère, et pour ça je lui suis reconnaissant.
Mais pitié, pas 1200 pages ! Il nous prend notre temps. Qu'il
nous laisse imaginer, ce qui n'est pas le cas la plupart du temps. J'étais
quand même intéressé par la fin et j'ai terminé
le roman. Il y a des choses évidentes. J'avais parié que
Jonah deviendrait Black Panther, Finalement c'est sa sur. Je m'en
fous de sa radicalité. Et puis 1200 pages... Balzac n'écrit
pas 1200 pages !! J'ai vécu en Afrique, ai été
amoureux d'une Malienne, je pense un peu connaître l'âme noire
et lors de ma lecture, j'ai eu un doute, un soupçon sur son message
qui pourrait être un peu raciste, sur la couleur du sang. Et puis
1200 pages, bon sang... Je ferme bien sûr.
Nathalie
Sur quoi te bases-tu pour porter une telle accusation que pour ma part
je trouve totalement injuste ? Pour plus de précision, c'est
plutôt 1000 pages (1045 pour être exacte) que 1200 pages.
Et c'est un roman qui pourrait être décomposé en plusieurs
volumes, comme Les
Thibault de Martin du Gard, par exemple. Roman d'une histoire
familiale qui traverse la grande Histoire qui m'avait également
beaucoup plu. Quand à Balzac, que tu aimes tant, il a écrit
avec sa Comédie
humaine bien plus de 1000 pages, sans compter qu'il ne laissait
pas particulièrement de place à l'imagination !
François
Je n'ai qu'effleuré le bouquin. Je n'en ai lu que la moitié.
J'ai écouté l'interview
de Powers que nous avait adressée Claire. C'est un type très
intelligent, un physicien, musicien amateur... Après l'avoir entendu,
j'ai abordé le livre avec des complexes. Je me suis laissé
prendre par un certain plaisir. Je ne saurais vraiment dire d'où
me venait ce plaisir. C'est un roman assez polyphonique. La musique donne
du sens. Ce qu'il écrit sur la voix est assez remarquable. Le passage
sur la mue de Jonah est un très beau passage. Il décrit
cette transformation avec beaucoup de justesse. Il y a des pages qui sont
fastidieuses. Parfois on peut en sauter. Mais il y a des moments incroyables.
L'alliance entre la physique et la musique m'a beaucoup plu. Sa théorie
sur le temps existe : une fissure temporelle que personne ne peut
combler. On peut trouver cela emmerdant ou se laisser prendre. Je me suis
laissé bêtement prendre. Il fait d'un sujet ardu le sujet
de son livre. C'est un livre qui m'a posé beaucoup de questions,
il transcende, il transfigure.
Séverine G (avis
transmis)
Malgré sa taille qui m'a fait repousser
cette lecture tout l'été, car son volume et son poids ne
le rendaient pas aisément transportable, j'ai finalement ouvert
ce gros livre et ne l'ai pas regretté !
Il m'a fait découvrir un auteur éminemment talentueux, à
la plume virtuose pour décrire la complexité du monde.
Du monde américain, où malgré quelques incursions
personnelles enrichies de films et lectures, je n'avais pas aussi intimement
plongé depuis longtemps. Notamment pour ce qui concerne le problème
racial, dans toutes ses nuances et subtilités diaboliquement retorses.
Du monde de la musique également, où la pauvre praticienne
et mélomane amateure que je suis a découvert, là
aussi, un royaume extraordinaire quand il surgit d'une telle voix. La
palette des images employées pour décrire les volutes des
sons, l'extase du chant, les transports de la musique partagée,
est tout simplement magnifique.
Du monde de la famille, qu'il analyse avec une finesse, une sensibilité
hors pair, et des accents bouleversants.
Si la structure temporelle non linéaire du roman m'a un temps surprise,
voire gênée, je l'ai ensuite comprise et même appréciée,
car elle vient offrir un miroir aux théories somptueuses sur le
temps, déployées par l'esprit supérieurement intelligent
du père du narrateur.
Beaucoup de phrases de ce livre mériteraient d'être extraites,
tant elles allient beauté et profondeur. Un style à la fois
riche mais d'une grande sobriété, non dénué
d'humour, un régal pour le lecteur. J'ouvre ce livre en très
grand !
Avis du groupe breton réuni le 17 septembre
Messages en apéritif :
- Christian se sent physiquement incapable
de s'attaquer à un tel pavé, quelle que soit la qualité
du roman. Trop occupé sans doute...
- Cindy a abandonné au bout
de 130 pages, n'a pas "accroché" au sujet sérieux
et riche de cette partie de l'histoire américaine à travers
les chanteurs et ce n'était pas ce qu'elle recherchait cet été
pour se distraire. En revanche elle n'a pas abandonné Powers car
elle a découvert et savouré dit-elle son merveilleux livre
L'Arbre-Monde ! Livre dense bien construit qui exploite
tout l'univers de l'arbre et ses connexions avec nous, il y a de belles
dimensions philosophiques, spirituelles... Et dans sa famille, tout le
monde a adoré !
- Marie-Thé n'a pas souhaité
s'infliger la lecture de ce livre de l'été, même si
elle sait que Richard Powers est un auteur qui vaut le détour...
Face à ce pavé, elle dirait, en pensant à une expression
créole, que ce sont les yeux qui ont peur du travail... Par ailleurs,
"l'âpreté du sujet" demandait-il ce millier de
pages ?
- Yolaine pense qu'il faut sans doute ce
millier de pages pour creuser aussi profond...
- Pour Suzanne, la relecture de ce
livre lu il y a 10 ans renforce l'intérêt qu'elle y a porté
et pour elle fait date. Elle est ravie d'en discuter bientôt avec
les fidèles du groupe.
Yolaine
Très belle découverte, à laquelle j'ai été
d'autant plus réceptive que j'avais commencé l'été
avec Philip Roth (Pastorale
américaine et Le
complot contre l'Amérique), qui lui fait un peu écho
je trouve. J'étais bourrée de préjugés anti-américains,
et cette littérature puissante, torturée, qui va à
l'essentiel en embrassant des horizons vastes et multiples, m'a laissée
étourdie et admirative.
Bien sûr le livre est long et si je n'étais pas aussi patiente
et disciplinée, j'aurais peut-être laissé tomber comme
certains. Mais j'ai été bien récompensée,
comme dirait Brassens (oui, Powers déteint sur moi, je ne puis
m'empêcher de pimenter mon avis de références musicales
perso
). J'ai aussi mis du temps à m'acclimater à un
style que j'ai d'abord trouvé fastidieux et surtout artificiel,
avant d'en apprécier la finesse et la profondeur. Son érudition,
admirable, n'est pas gratuite, elle permet d'aller au fond des choses.
Je me suis finalement laissé emporter par cette histoire hors norme
sans me laisser perturber par les détails techniques, qu'ils soient
musicaux ou cosmiques.
Le racisme et le métissage, c'est peu de dire que le sujet est
central, et pas seulement en Amérique, où il est d'une actualité
tragique. L'antisémitisme est au même niveau, il occupe une
place aussi centrale dans l'histoire des États-Unis. Si la forme
que prennent ces phénomènes au-delà de l'Atlantique
est spécifique (je ne pense pas par exemple qu'en France nous soyons
aussi obnubilés par la couleur en soi), il est cependant manifeste
que l'histoire de l'Europe et du nouveau monde est complémentaire
et solidaire. La culpabilité, qui écrase le texte de Powers,
est aussi la nôtre. La difficulté d'être le fruit de
deux cultures différentes, et de trouver sa place dans le monde,
ne s'applique pas qu'aux problèmes Noirs-Blancs. Elle est exprimée
de façon subtile et approfondie au long de ces mille pages qu'il
ne fallait pas économiser, le problème se situe au cur
de l'avenir de l'humanité.
Pour moi, c'est aussi et d'abord un livre sur la famille et la fraternité,
dans ce qu'elle offre de fondateur, de douloureux et parfois destructeur.
Ayant moi-même trois enfants, la description du rôle clé
joué par celui du milieu m'a ouvert une fenêtre de compréhension.
La terrible révolte de Ruth contre les choix de la génération
précédente aussi. Les rapports humains m'ont semblé
très justes.
J'ai beaucoup aimé l'humour de plus en plus présent au fur
et à mesure que les personnages se dévoilent. La façon
de décrire certains sentiments dans des situations où le
personnage ne se sent pas à sa place (ça arrive souvent
chez Joe), l'impression de quasi dédoublement, ne sont supportables
qu'en prenant la distance salvatrice de l'ironie.
La musique occupe un des rôles principaux du roman, elle est racontée
dans tous ses états, depuis l'apprentissage de tous les styles
musicaux jusqu'à la souffrance de l'instrumentiste qui doute de
lui et au désespoir du compositeur à sec ; comment
la musique interfère avec les émotions ou permet de les
exprimer ; comment elle peut redonner de l'espoir dans l'école
de Ruth. Le monde n'est pas fichu, la musique n'est ni blanche ni noire.
C'est plutôt une certaine façon élitiste de pratiquer
la musique qui est stérile et désespérante. Les pages
inspirées sur l'improvisation et le chant collectif si spontanés
dans la culture noire nous montrent que l'issue n'est pas dans la couleur,
ni dans la négation de la couleur, ni dans le repli sur telle ou
telle communauté, mais dans la fraternité.
C'est du moins ce que je cherchais et que je pense avoir trouvé
dans ce bel ouvrage.
Édith
Très grand plaisir de découverte, ainsi que bonheur de se
plonger durant ce mois d'août dans cette épopée familiale.
Toutefois, ces 1045 pages divisées en 33 chapitres ne m'ont pas
"régalée" d'égal plaisir :
certaines fois par le thème développé, mais le plus
souvent par une forme de délayage de déjà lu. Dans
l'ensemble j'ai poursuivi chaque jour mes rendez-vous avec Joey... et
son presque monologue se souvenant de ces années (1939 à
nos jours). J'ai ressenti l'ensemble du texte comme une ode à la
famille, une évocation nostalgique et triste, ainsi qu'une question
sans réponse interrogeant la personnalité de Jonah son frère
aîné, décédé au moment de son récit.
J'ai vu la révolte monter chez Ruth, leur sur privée
de réponse sur les circonstances du décès de sa mère
dans l'incendie de leur maison, leur "nid"...
J'ai apprécié la non-chronologie du récit et trouvé
agréable le puzzle des souvenirs. Apparaissent ainsi les caractères
de son père Da, de sa mère Delia, et transparaît tout
au long du récit la question du sang mêlé pour chacun
des enfants et l'incidence dans leur vie amoureuse. Touchants récits
et occasion de lire et retrouver la question de la ségrégation
aux USA doublée de l'extrême violence.
La musique et la voix : impossible de ne pas être accrochée
par le style de Powers pour "dire" la musique et la complexité
de la voix. Époustouflants moments où la précision
et la richesse des mots me font effet de poésie. La traduction
de Nicolas Richard est, je pense, sûrement à la hauteur de
la richesse du texte américain.
Et puis cette invention du père Da, hanté jusqu'à
la presque folie par la question du temps et de l'espace et élevant
ses enfants dans cette atmosphère. Da, presque démissionnaire
d'un rôle paternel plus conventionnel qui rassure.
Et il y a la musique, les grandes uvres occidentales exclusivement
(il ne sera question de la musique noire que plus tard, chacun la découvrant)
qui unit profondément le couple et qui induit, dans ce cocon chaleureux
et préservé, les destinés de chacun et, pour certains,
leur malheur. Le destin de Da rencontrant la première explosion
atomique : subtilité de l'auteur pour nous le faire découvrir
La rencontre amoureuse de ces deux êtres - Da et Delia - opposés
par leurs origines et que la voix subjugue, provoquant le coup de foudre.
Voici le nud de l'histoire à venir. Le passé de juif
orphelin de Da (famille Storm décimée par la folie du nazisme)
croise sur fond de racisme institué la route de Delia, noire et
d'un milieu aisé. Alliance du poisson et de l'oiseau.
"Je n'ai pas épousé
une femme noire, j'ai épousé ta mère".
"Il n'y a que les blancs
qui peuvent se payer le luxe d'ignorer la couleur de peau".
"Je ne suis pas un blanc
je suis un juif" (p. 509
et 510) Superbe !
Da à Ruth sa fille : j'ai corné des pages au cours de ma
lecture pour retenir l'effet mouche des dialogues p. 166
:
"Sais-tu ce qu'est le
temps ? Notre manière d'empêcher que tout se produise d'un
coup" : simple et drôle non ?
Lignes sur la mort de Da p. 782 "Je
lui dis qu'il pouvait partir. Au lieu de faire le petit pas suivant dans
son avenir immédiat, il fit demi-tour pour retourner à jamais
là où il avait déjà été".
Humour de Jonah p. 829 agressé à
Paris Ville Lumière... "A
cause de mon accent et de mon teint basane, il a cru que j'étais
algérien. Bon sang MULE (surnom donné à Joey par
Jonah) Une fois mort on aura payé pour tous les crimes de la terre,
à par les nôtres"
Et puis Kwame le fils de Ruth, le révolté de la mort du
père, tué lors d'une manifestation anti-raciste sous les
yeux de Kwame. Et tous les Grands de la musique et tous les crimes et
attentat liés au racisme aux USA (intéressants rappels de
la longue traversée du siècle dernier américain.)
Échappée, par les voyages professionnels de Jonah vers l'Europe
et ses conflits d'après-guerre.
J'ai aimé parler de ce livre lors des rencontres amicales et étonnée
de constater qu'il avait, pour certains, été lu !
Je lis, à petites doses, Robert Powers et son pavé
sur les arbres !
Marie-Odile
C'est avec un profond ennui que je me suis astreinte à la lecture
des 300 premières pages de ce roman qui pourtant m'avait paru prometteur.
Une histoire de famille : chouette ! Une grande place faite
à la musique, au métissage, à la fraternité :
re-re-re chouette !!! Hélas, quelle déception !
Tout est extrêmement dilué et sans surprise. Une minute de
vidéo m'en a dit beaucoup plus sur le concert de Marian Anderson
que les 30 pages de ce roman.
Et pourtant, ce n'est pas le nombre de pages mais le manque de souffle
qui m'a essoufflée. J'ai trouvé que le récit était
totalement dépourvu de rythme, de mélodie, et que ces pages
frisaient le degré zéro de l'émotion.
Les phrases manquent parfois de simplicité, donc de force :
"Chaque variable infinitésimale,
dans le delta de ses pas, est un à jamais théorique implicite".
Mouais
.
Les comparaisons me paraissent soit banales, soit saugrenues "L'ennui
falsifiait le temps comme de l'ambre". Mouais
.
Les jeux de mots ne passent pas du tout à la traduction.
Déception.
J'ouvre ¼.
Chantal
Pour moi, LE livre de cette année Voix au chapitre ! (avec Le
pont sur la Drina d'Ivo Andric, lu par les Parisiens et qui a
accompagné mon déconfinement)
Lire ce livre au moment où éclatent chaque jour les manifestations
aux USA, le mouvement "Black lives matter", la mort de George
Floyd, cela avait un côté désespérant... et
une question m'a taraudée : n'y a t'il donc pas de couples
mixtes là-bas ? À voir les séries, les films
américains ? Pas tant que ça. Ma fille qui est allée
dans des familles américaines m'a fait cette réponse laconique :
"ils co-habitent"... Donc le thème du roman m'a vivement
intéressée, laissant plus de questions que de réponses.
La construction du roman, non linéaire et chronologique, nous faisant
entrecroiser des vies et des époques, est efficace pour nous faire
vivre dans cette famille, ses joies, ses déchirements.
J'ai aimé l'écriture, beaucoup. Pour moi, pas de redondance,
pas d'artifice. Contrairement à beaucoup d'auteurs américains,
là, les personnages sont finement analysés, leur psychologie
décortiquée, on les voit vivre, ressentir.
Le personnage de Joey m'a particulièrement émue. Il est
le narrateur, avec son amour pour sa famille, qu'il veut désespérément
protéger, au prix de sa propre vie, voulant toujours rassembler
ce cocon de leur enfance, tout en ayant douloureusement conscience de
la réalité...
L'omniprésence de la musique, de la science (l'obsession du père
pour le temps) ne m'ont pas lassée du tout, au contraire :
j ai été époustouflée par ces passages entiers
sur une note, une interprétation... musique blanche, musique noire...
Le dernier chapitre peut-être, ce retour au Mall, m'a un peu déçue
mais non finalement ! Je l'ouvre en grand.
Suzanne
La "négritude" c'est quoi ? Avec la famille Strom
on traverse 50 ans d'histoire américaine. Les vies passent, les
lieux restent... chaque instant est un fil de couleur, de la musique à
l'Univers. C'est aussi le destin du couple qui se retrouve dans la musique
et le défi de nier le racisme. Si la musique classique est l'apanage
de la culture blanche, c'est bien ce qu'ils veulent remettre en cause.
La petite dernière, Ruth, est une rebelle qui tentera de créer
des échanges au-delà de la couleur de peau, dans une école
construite pour la communauté noire.
Le temps c'est quoi ? La question du temps est renouvelée
par Da, le scientifique (l'Univers peut être décrit à
partir d'un seul électron), et la musique vient comme métaphore
du "changement permanent" dans nos vies. Ce livre a éveillé
ma curiosité et conduit a approfondir mon rapport au "temps
qui passe"
passé, présent, futur, un leurre de
notre cerveau : pas de "maintenant", pas de fleuve qui s'écoule,
un océan.
Jean
Une magistrale introduction à la complexité du monde. À
partir d'une saga familiale, il nous est proposé de nous laisser
guider par des regards croisés venus de l'art, de la science, des
récits historiques, de la sociologie.
Questionnements : Un questionnement sur Qu'est-ce qui se passe
?
quand on est confronté à Qui sommes-nous
? par les "autres", à la recherche d'une identité
insaisissable et qu'on se cogne au mur d'une irréductible altérité
à travers le racisme.
La méthode : Richard Powers mélange art lyrique,
physique quantique et histoire américaine abolissant les frontières
entre génétique, art, physique, sociologie du racisme
La "méthode" est issue de l'expérience de l'auteur,
expériences de vie : l'amour entre un Juif blanc et une femme noire
un crime pire que le vol, pire qu'une agression, puni aussi durement qu'un
homicide. Un "contexte" : la maman donne des leçons de
pianos aux trois enfants et Dad est prof de physique. Joseph le narrateur,
lui, vit dans l'ombre de son frère célèbre et raconte
ce "temps où nous chantions"
Lecture : C'est une analyse des mécanismes sociaux et culturels
qui vont permettre de montrer du doigt des personnes jugées problématiques.
C'est une dénonciation de ce qu'aujourd'hui, on désigne
sur les réseaux sociaux par "cancel culture woke" :
une course à la pureté idéologique ("woke"
désignant " l'éveil "). La conscience des injustices
que subit la famille Strom s'avère souvent contre-productive pour
le "vivre ensemble" : il nous est rappelé que le monde
est compliqué et plein d'ambiguïtés. L'indignation
vertueuse est vide de sens et un danger pour la paix sociale.
Restent en mémoire des formules simples, qui ont à voir
avec l'inexprimable.
- C'est quoi ton problème !?.. "C'est le camp d'en face qui fait que nous sommes noirs. Le camp d'en face veut savoir ce que ça fait d'être un "problème" et pour se disputer il faut se comprendre.
- J'ai aimé l'esprit de "sérieux" ridiculisé... Au père perdu dans la physique quantique "Excusez-moi " - dit la maman "Ma poussière m'attend. Appelle-moi quand tu auras redémarré l'univers..."
- J'ai aimé les métaphores pour faire sentir le temps et l'espace pour ce qu'ils sont : On pense "fleuve" là où il n'y a qu'un océan. On ne devient pas. On est et c'est tout. On n'a pas accès au passé. Il n'y ni absurde ni profond : c'est la même chose. - pour faire sentir les jeux de l'ego et du "normal" tel que nous les vivons : Personne ne veut voir que son horloge tourne bizarrement, parce qu'elle n'est pas bizarre pour lui... et pense que c'est l'horloge de l'autre qui l'est...
- Affirmer l'impossible : "Le poisson et l'oiseau peuvent tomber amoureux !" (proverbe juif).
Intérêt : Un livre qui met à portée une conscience de la complexité du monde, de l'importance de nos perceptions et des leurres du désir, pour qui ne s'effraie pas de ses 1000 et une pages.
DES INFOS autour ou sur le livre | |
Quelques repères
bio
Les 10 romans de Richard Powers traduits Ses traducteurs en français Entretiens avec Richard Powers Quelques articles sur le livre que nous lisons Tout commence en 1939 avec Marian Anderson... Playlist du livre |
Quelques
repères bio
Florence Noiville, qui était venue
nous voir en 2019, a fait deux portraits de Richard Powers dans Le
Monde, où elle fournit ces éléments :
- Richard Powers naît en 1957 dans l'Illinois. Aîné
d'une fratrie de cinq enfants, il est le fils d'un directeur d'école.
- Adolescent fasciné par les sciences, Richard Powers étudie
la physique à l'université de l'Illinois. Rattrapé
par son goût de la littérature, il obtient un diplôme
dans ce domaine en 1979, avant de travailler à Boston en tant que
programmateur informatique.
- En 1985, il publie son premier roman, Trois
fermiers s'en vont au bal. Ses livres traitent de la relation
entre la science (la physique, la génétique), la technologie
et les arts (en particulier la musique et la littérature). Son
neuvième roman, La
Chambre aux échos, remporte le National Book Award en 2006.
Pour une biographie plus développée, voir
ICI.
Les 10 romans de Richard Powers traduits
(tous aux éditions Le Cherche-Midi), avec la date de publication
aux USA :
- 1985 : Trois fermiers s'en vont au bal, Le
Cherche midi 2004 (le premier livre traduit en France près
de 20 ans après sa publication)
- 1988 : Le Dilemme du prisonnier, 2013, poche
2014
- 1993 : Opération âme errante, 2019, poche
2020
- 1998 : Gains, 2012,
poche 2013
- 2000 : L'Ombre en fuite, 2009, poche
2010
- 2003 : Le Temps où nous chantions, 2006, poche
2008
- 2006 : La Chambre aux échos, 2008, poche
2009, National Book Award 2006
- 2009 : Générosité, 2011, poche
2012
- 2013 : Orfeo, 2015, poche
2016
- 2018 : L'Arbre-monde, 2018,
poche 2020, Prix Pulitzer de la fiction 2019.
Deux romans ne sont pas traduits : The
Gold Bug Variations (1991) et Galatea
2.2 (1995).
Le site de Richard Powers : www.richardpowers.net
Ses traducteurs en français
- Jean-Yves Pellegrin a traduit 7 romans : Trois
fermiers s'en vont au bal, Le
Dilemme du prisonnier, Opération
âme errante, Gains,
L'Ombre
en fuite, Générosité,
Orfeo
- Serge Chauvin a traduit le dernier roman : L'Arbre-monde
- Nicolas Richard a traduit 2 romans dont celui que nous lisons :
Le
Temps ou nous chantions, La
Chambre aux échos.
Il est aussi écrivain : voir "Nicolas
Richard, bricoleur de génie", Florence Bouchy, Le Monde,
11 mars 2018.
Entretiens avec Richard Powers
Presse écrite
- "Richard Powers : un chant
inoubliable", propos recueillis par David Boratav, Chronic'art,
n° 24, 9 avril 2006 (INTERVIEW SUR LE LIVRE que nous lisons)
- Richard Powers : "La
science est une matière dramatique brûlante", propos
recueillis par Hervé Morin et Paul Benkimoun, Le Monde,
10 juin 2013
- "Richie-la-Science",
Florence Noiville, Le Monde, 6 septembre 2013
- "La fiction est une cachette
où l'on reprend des forces", Olivier Saison, Le Magazine
littéraire n° 534, septembre 2013
- Richard Powers : "Les
arbres sont des créatures sociales et sociables", propos
recueillis par Florence Noiville, Le Monde, 14 septembre 2018.
Radio et télé
- Le
grand entretien, François Busnel, France Inter, 29 mai 2013,
51 min
- La
Grande Table, Caroline Boué, France Culture, 31 mai 2013, 35 min
(à propos du Temps où nous chantions,
Powers dit que ce livre est celui qui lui a demandé "le
plus de courage pour se mettre à l'écrire, ç'avait
à voir avec la question est-ce que moi en tant qu'homme blanc,
est-ce que je pouvais me couler dans la vie de gens de couleur, hommes
et femmes, et j'utilisai la musique pour me donner ce courage".)
- Rencontre avec Richard Powers à 100 m de notre réunion,
au sujet de son livre LArbre-Monde, La
Grande Librairie, 29 novembre 2018,12 min 30.
Quelques articles sur
le livre que nous lisons
À la sortie de la traduction en français
:
- "Le chant
de l'Amérique sous l'archet de Richard Powers", André
Clavel, Le Temps, Lausanne, 11 mars 2006
- "Un chur américain",
Raphaëlle Rérolle, Le Monde, 23 mars 2006
- "Le Temps où nous
chantions", Christine Ferniot, Télérama n°2932,
25 mars 2006
- "La symphonie majeure",
François Busnel, Lire, 1er avril 2006
- "Richard Powers : un chant
inoubliable", propos recueillis par David Boratav, Chronic'art,
n° 24, 9 avril 2006.
À la sortie aux USA :
- "A
Dance to the Music of Time", Daniel Mendelsohn, New York Times,
26 janvier 2003
- "Harmonic
Convergence", Sven Birkerts, The New Yorker, 13 janvier
2003.
Recommandé pour un été... :
- "Le temps où
nous chantions de Richard Powers, formidable fresque familiale !",
Caroline Broué, France Culture, 22 juin 2016, 1 min 30.
Tout commence en 1939... lorsque
Delia Daley et David Strom se rencontrent en écoutant Marian Anderson
qui chante devant le Lincoln Memorial.
Tout commence aussi pour Richard Powers par la découverte à
28 ans de ce moment historique dans un documentaire, qui est l'origine
du livre qu'il mettra près de 20 ans à publier.
Marian
Anderson est une figure majeure de la lutte
des artistes noirs américains contre les préjugés
raciaux, modèle pour des artistes lyriques comme Leontyne Price
et Jessye Norman. Marian
Anderson sera la première Noire à chanter au Metropolitan
Opera en 1955. Que se passe-t-il
le 9 avril 1939 ?...
"La démocratie n'est pas au programme cet après-midi.
Ce n'est pas à Constitution Hall que le 'carillon de la liberté'
se fera entendre. Les Daughters of the American Revolution se sont chargées
de régler la question. Les Filles de la Révolution américaine
ont fermé leurs portes à Marian Anderson, la plus grande
contralto du pays, récemment revenue d'une tournée triomphale
en Europe. Elle a fait sensation en Autriche, le roi de Norvège
a porté un toast en son honneur. Sibelius l'a prise dans ses bras
en s'exclamant : 'Le toit est trop bas pour vous, madame !' Même
Berlin l'a engagée pour plusieurs représentations, jusqu'à
ce que son agent européen avoue aux autorités que non, Mlle
Anderson n'était pas aryenne à 100%." (Le
Temps ou nous chantions, p. 56)
Mais Eleanor Roosevelt s'en mêle...
Chapitre 4 ("Pâques 1939"), la contralto Marian Anderson chante "aux pieds de l'Émancipateur" (p. 58) devant une foule immense, 75000 personnes, et des millions d'auditeurs à la radio. Les actualités se font l'écho de cet événement, voir le film ICI (1 min 30).
Extrait duWashington
Post
Retro
News
Kennedy
Center
Playlist
du livre Le Temps où nous chantions
18 vidéos de titres évoqués dans le roman en ligne
ICI.
Cette playlist est signalée sur le site
officiel de Richard Powers.
Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme
au rejet :
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à
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grand ouvert |
beaucoup
¾ ouvert |
moyennement
à moitié |
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peu
ouvert ¼ |
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