"Écrire cest comme
lamour. Cette étrange formule, cest lécrivain
portugais António Lobo Antunes qui la eue un jour un
jour quil était de fort méchante humeur."
Les
auteurs Quatrième de couverture (éd. Gallimard, 2013) : "À l'âge
de neuf ans, je suis tombée amoureuse de la langue anglaise. J'écoutais
la BBC sans comprendre, comme on écoute une musique. Puis j'ai
aimé l'Angleterre, le pays et ses écrivains..." Les
auteurs
Présentation de l'éditeur :
Selected from the pages of Le Monde, the interviews conducted by Florence Noiville are unequalled in literary journalism. In Literary Miniatures, Noiville captures the words and views of some of the best-known writers of the twentieth century, engaging luminaries like Saul Bellow, Nadine Gordimer, Aharon Appelfeld, and A. S. Byatt in revealing dialogue. In this collection, Noiville converses with Don DeLillo, reasons with Adolfo Bioy Casares, passes the time with Milan Kundera, and gently interrogates John Le Carré.
Fluent in many languages, Noiville conducted a number of these interviews in the subjects native language, engaging these extraordinary writers on their own terms. Inimitably intimate, the interviews are a window through which readers can come to know the writers behind some of the greatest works of literature of the last one hundred years. Sure to delight lovers of literature and biography, this book is the perfect expression of the art of the interview and a priceless artifact for enthusiasts and scholars alike. Florence Noiville, author and journalist, has been staff writer for Le Monde since 1994 and editor of foreign fiction for Le Monde des Livres, the papers literary supplement. She has written several books for children and a biography of Nobel Prizewinning author Isaac Bashevis Singer, for which she won the 2004 Biography Award. Her first novel, La Donation (The Gift), was published in 2004. Teresa Lavender Fagan is a freelance translator who has published over 20 translations, including J. M. G. Le Clézio's The Mexican Dream (1993) and Roland Barthes' Incidents (2010). She has also translated Meur's novel House of Shadows. |
Florence Noiville
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La préface et la table des matières indiquent les choix relatifs aux 28 auteurs portraiturés dans Écrire c'est comme l'amour : voir la liste de ces auteurs (dont le groupe a lu la moitié). Florence Noiville avait auparavant publié So british ! 23 visages d'écrivains d'Outre-Manche, illustrés par l'auteure : voir la liste. Elle est responsable de la littérature étrangère au Monde des livres. Voici ses articles et entretiens parus dans l'année qui vient de s'écouler, réunis ICI. Elle est par ailleurs auteure de romans, d'une biographie de Isaac B. Singer, d'un essai personnel et de livres pour la jeunesse. La liste est LÀ. Et enfin un petit portrait ICI. |
Claire
Tout d'abord, des remerciements : pour avoir accepté cette rencontre,
pour cette "prise de risque" car vous êtes venue ici sans
y connaître personne.
Pour nous, c'est une première, car si nous avons eu pour invités
des auteurs dont nous avions lu un livre (les dernières Carole
Martinez, Marie
Darrieussecq), des spécialistes de l'auteur lu (biographe),
d'une zone géographique (sinologue),
des traducteurs (Volkovitch),
des observateurs de notre groupe (journaliste, sociologue), accueillir
une critique littéraire de surcroît romancière, c'est
une première !
Florence Noiville
J'ai créé avec ma fille un club de lecture, ÉvriVins,
qui a eu trois séances, et certains voudraient en savoir plus sur
chaque participant. Qu'en pensez-vous ?
Plusieurs
Surtout pas ! C'est bien mieux de se rencontrer à travers
le livre.
Pour commencer, la parole aux absents...
Geneviève
Désolée de ne pouvoir être avec vous, d'autant plus
que j'ai beaucoup aimé le livre de Florence Noiville. J'ai l'impression
d'avoir devant moi un menu pantagruélique, avec des pistes de lecture
à n'en plus finir... qu'il s'agisse d'auteurs que je croyais bien
connaître et dont je découvre que je suis passée à
côté de plein de titres (Richard
Powers, Amos
Oz, Siri
Husvedt par exemple) ou d'auteurs dont je ne connaissais même
pas l'existence (Carlos
Liscano, Ersi Sotiropoulos).
Au-delà de ces perspectives alléchantes, chaque entretien
est à la fois un portrait et une histoire, un petit bonheur de
lecture garanti en tout juste quelques mots. Merci à Florence Noiville
pour ce cadeau.
Une question. Plusieurs de ces auteurs ont disparu,
d'autres ont publié d'autres livres : avez-vous l'intention
de faire un deuxième volume ? Et si oui, quels auteurs seraient
vos priorités ?
Nathalie B (du nouveau groupe parisien)
J'ai beaucoup aimé ce livre. Florence Noiville m'a donné
envie de découvrir plein d'auteurs que je ne connaissais pas, donné
l'envie de lire des romans de ma bibliothèque que je n'ai pas encore
ouverts, et fait partager de jolis moments avec des auteurs que j'aime.
Annick L (avis transmis)
Concernant ces vingt-neuf "portraits" d'écrivains, majoritairement
étrangers, écrits au fil de l'actualité littéraire
(parution d'un nouveau titre ou d'une traduction, remise d'un prix prestigieux,
etc.), durant une vingtaine d'années, et rassemblés dans
ce volume, je ne peux, bien sûr, avoir un avis que sur les auteurs
que je connais un peu, mais j'ai été très intéressée
par cette déclinaison (que je viens de relire avec plaisir) :
quelle jolie plume (par exemple le choix des sous-titres très éclairants),
quelle finesse d'analyse pour saisir, le plus souvent, ce qui fait le
ressort principal d'une uvre ! Que ce soit pour Nadine
Gordimer, Jean-Bertrand
Pontalis, Imre
Kertész, Aharon
Appelfeld, Sempé,
Toni Morrison, Siri
Husvedt ou Dario
Fo, dans des genres extrêmement différents
J'ai
beaucoup aimé retrouver l'univers de ces écrivains, tout
en ayant l'impression que la chronique m'apportait quelque chose de neuf
les concernant. Une déception cependant pour Mario Vargas
Llosa
sur lequel Florence Noiville s'arrête deux fois : il y est
question de ses essais littéraire, puis de son rapport à
la lecture, mais jamais de son uvre de fiction, pourtant magnifique.
C'est peut-être la limite de ce type de chronique en lien avec une
nouveauté éditoriale : un sentiment de frustration
pour le lecteur qui aimerait parfois en savoir plus sur tel ou tel auteur.
Un point commun qui réunit malgré tout ces auteurs c'est
leur rapport à l'écriture, obsessionnel et exigeant, à
la lecture, insatiable, et à la culture.
Quelques questions :
- Est-ce vous qui choisissez les auteurs que vous
voulez rencontrer ?
- Avant la rencontre lisez-vous de nombreux autres titres de cet auteur
pour contextualiser la nouveauté ?
- Même si vous ne préparez pas un questionnaire détaillé
vous devez avoir au préalable choisi quelques pistes significatives,
d'après vos lectures. L'intuition du moment ne suffit pas !
- Certains auteurs, comme Milan Kundera, refusent carrément toute
interview. Mais, au-delà, avez-vous eu parfois le sentiment de
quelques rencontres "ratées" à cause de leurs
réticences ?
Manuel
J'ai trouvé ce livre plein de pistes, érudit. J'ai aimé
particulièrement les portraits de Vargas
Llosa
et de Richard Powers. Le titre
"écrire c'est comme l'amour" et le projet initial présenté
dans la préface ouvrent plein de perspectives. J'espérais
entrer dans le laboratoire de l'écrivain.
Florence Noiville
Vous voulez dire voir l'artiste à l'uvre ? C'est vrai
que je ne les prends pas en pleine action. Je les vois dans une posture
réflexive. Leur uvre est derrière eux, elle est publiée
et même traduite. En général, ils sont déjà
dans un autre livre. Je ne peux pas les prendre en pleine action comme
un peintre dans son atelier, je ne peux pas être dans leur tête.
J'adorerais... Faut-il les interroger plus ? Ça m'intéresserait,
les aiguillages dans l'écriture quand il faut choisir, et l'interrogation :
est-ce que mon sujet est bon ? En n'étant pas seulement au
restaurant, mais en cuisine.
Séverine
Les trois quarts des écrivains, je ne les connaissais pas. Il y
en a beaucoup à ajouter à ma pile de livres à lire !
C'est un livre qui mérite d'être consulté à
nouveau. C'est dur de lire les portraits à la suite, c'est difficile
de les dissocier. Je retiens Sempé
et son enfance terrible, qui me donne envie de lire ses livres. C'est
intéressant de connaître les détails de la vie de
l'auteur, par exemple concernant Sempé. J'aimerais que vous parliez
de l'entretien avec Lobo Antunes...
Florence Noiville
C'est le plus... caractériel, pas facile à interviewer.
Séverine
J'ai des questions :
- Vous dites que lorsque vous avez commencé
ces portraits, vous laissiez parler l'écrivain sans poser de questions,
tel un psy qui écoute. Est-ce que ça marche toujours ainsi ?
- Pour chaque auteur, vous avez vraiment tout lu ?!
- C'est impressionnant d'interviewer ces stars littéraires :
est-ce que vous n'en êtes pas blasée ?
Christelle
J'ai eu beaucoup de plaisir à lire ce livre. Les portraits sont
brefs, mais ils permettent d'entrer dans une intimité géographique.
On se sent proche de l'écrivain, vis-à-vis de sa vocation.
Un deuxième grand bonheur, c'est la petite liste de livres indiqués,
parmi lesquels j'en ai surligné un certain nombre ; je me
suis fait piéger en prenant des notes car il y en avait beaucoup...
Carlo
Ginsburg, j'ai beaucoup aimé. J'ai aussi aimé Carlos
Liscano.
Henri
C'est difficile d'émettre un point de vue, car le format du livre
galvaude le temps qu'on pourrait y passer. Mon avis est influencé
par une revue à laquelle je suis abonnée, Décapage,
où un auteur à chaque numéro se présente,
mais avec une longueur double de celle de ces portraits. J'ai été
déçu par Kundera
car le texte est plus une interview. Je préfère quand il
y a une rédaction de votre part. Et sans trop de citations.
Florence Noiville
Sur Kundera, c'était particulier. Beaucoup de grands écrivains
pensent que l'uvre est importante et non la personne. Kundera disait :
"j'ai répondu à toutes les questions dans mon texte"
J'ai testé, je lui ai dit "c'est l'uvre qui va parler".
J'avais l'impression d'interroger un monument de papier.
Henri
Parmi les écrivains, j'en connaissais assez peu : ça
me donne envie d'en lire quelques-uns, notamment Toni
Morrison. Parmi ceux que je connaissais, j'ai trouvé que la
façon dont Enrique
Vila-Matas roule le lecteur se retrouve bien dans le portrait.
Monique L
J'ai aimé la présentation du projet dans la préface.
J'ai apprécié le portrait de Lobo
Antunes, pour son côté grognon et sa position par rapport
à l'interview. J'ai aimé l'ouverture que constitue le livre
et j'ai envie de lire certains des auteurs.
Lisa
Je n'ai pas fini de lire le livre car j'ai fini par comprendre que c'était
mieux d'en lire un par soir. Un chaque soir, c'est parfait. J'ai choisi
deux portraits : celui de Ersi
Sotiropoulos, j'ai bien aimé le portrait mais je n'ai pas aimé
ses livres, ni la personne lorsque je l'ai vue (lors de notre voyage
littéraire en Grèce). Et celui de Nadine
Gordimer : j'ai envie de la lire.
Je dois dire que je suis jalouse de votre métier.
Ma question : qui choisit les auteurs à rencontrer
?
Rozenn
Il faudrait certainement le lire par petits bouts. Je n'ai plus l'âge
de faire cela et j'ai tout lu d'affilée. Tout se mélange
dans ma tête, mais cela fait comme un kaléidoscope. J'avais
l'impression d'avoir l'éternité devant moi. Les portraits
sont tous différents. Différence aussi entre ceux que j'avais
lus et ceux que je ne connaissais pas. Il y en a un seul que je n'ai pas
aimé, et je ne me souviens pas lequel
J'aimerais être
plus jeune et avoir toutes ces possibilités de lecture.
Je ne suis pas jalouse comme Lisa, mais époustouflée (et
j'avais lu J'ai
fait HEC et je m'en excuse, extra !)
Ça donne envie de lire. C'est réussi. Je suis étonnée
d'avoir aimé ce livre.
Florence
Je n'aurais pas aimé faire des portraits voyeuristes. J'aime qu'ils
me laissent découvrir quelque chose qui relève d'une émotion
qui va nourrir chacun de leurs livres, la résonance entre la personne
et ce qu'ils écrivent. Tous les créateurs tournent autour
d'un sujet. Pourquoi Cézanne fait des pommes ?
Rozenn
Je n'aime pas qu'on parle des auteurs. Mais vous faites que ce sont les
auteurs qui parlent d'eux.
Fanny
J'ai aimé la vision intime, pour l'ambiance qui s'en dégage.
Partir du livre, puis élargir à l'histoire de l'auteur en
partant du détail. J'ai retenu en particulier le portrait de Sempé
avec ses projets sans fin et les souvenirs de son enfance. Ces portraits
m'ont donné envie de découvrir d'autres auteurs au-delà
de ceux que je connais.
Denis
J'ai beaucoup aimé trouver l'usage idéal d'un livre de chevet.
J'ai lu un portrait à la fois car je reste à chaque fois
dans l'ambiance si j'en lis un autre. J'aime le format portrait. Je connais
davantage ceux de Libé.
Florence
Ah oui, formidables !
Denis
Je n'avais jamais entendu parler de la moitié des auteurs et j'en
ai lu le quart. Pour la plupart, je n'ai pas aimé les livres que
vous citez, mais vous donnez envie d'aller en voir d'autres. Je me demandais
comment se passe l'approche des auteurs ?
Florence
Je prends rendez-vous au nom du Monde. C'est rare que les gens
refusent, sauf quand ils ont cessé de donner des interviews par
principe, ce que je respecte. Ensuite j'explique le principe du portrait
et le projet de les rencontrer dans leur cadre.
Je fais en sorte que l'écrivain et moi soyons le plus en confiance
possible. Ils voient que je connais leurs livres et apprécie leur
univers imaginaire. Je n'ai pas lu forcément tous leurs livres,
mais je fais le portrait quand je sens que j'en ai lu assez pour connaître
leur univers. Il n'y a pas de portrait négatif, je ne suis pas
là pour les dézinguer, je les aime. Parfois, certains sont
difficiles à saisir, comme Lobo
Antunes, mais du coup c'est un portrait en creux, et je fais le pari
que cela permet tout de même de saisir quelque chose.
Souvent ils sentent que j'écris également ("pour poser
cette question, vous devez écrire") et ça rajoute quelque
chose, ils sentent une proximité.
Au fond du fond, c'est fascinant de s'intéresser à une vie
qui surgit. Ça me fascine tellement que j'aimerais faire aussi
des portraits d'anonymes.
Denis
Et quand arrêtez-vous l'interview ?
Florence
Quand ils reviennent à un même point, répètent.
Françoise
J'ai lu le livre en deux fois, l'année dernière quand il
était prévu que vous veniez.
Florence
J'étais en position vraiment horizontale
Françoise
Je l'ai repris aujourd'hui, j'ai presque tout lu. Je suis intéressée
par les auteurs que je connais, et par les autres aussi. Vos portraits
donnent un éclairage supplémentaire. J'aimais beaucoup les
Espagnols et Lobo Antunes
que j'admire. Comme portrait à retenir je choisis Herta
Müller parce qu'il reflète bien ce que je pense d'elle.
On en a lu deux dans le groupe. C'est une femme extraordinaire. J'avais
la même question que Lisa (comment vous choisissez
les auteurs ?). Mes réserves : sur Siri
Husvedt, le fait de ne pas pouvoir s'empêcher de parler de Paul
Auster, cela m'a énervée ! J'aurais aimé parfois
que ce soit plus fouillé. Et quant à Toni
Morrison, vous auriez pu zapper, je la trouve surcotée
(soupirs des groupies)
Florence
Je n'aime pas l'idée de traiter les auteurs dont tout le monde
parle, de la littérature mainstream, je préfère sortir
des sentiers battus, cela fait partie de la beauté du métier.
Mais la presse rend compte de l'actualité et donc de l'actualité
éditoriale. Ce serait dommage de se laisser ensevelir dans le monde
traduit de l'anglais ; ainsi, dans le livre, il y a deux auteurs
grecs.
On est une dizaine au journal, je fais des propositions débattues
lors des réunions de programmation. Et il y a plusieurs traitements,
plusieurs formats possibles : le portrait fait partie ; pour
un portrait, il faut que le dernier livre soit bon (les portraits maintenant
incluent une critique du dernier livre), il faut donc que j'en aie envie
et que l'auteur se prête au portrait. Pour Toni
Morrison, il se trouvait que Le Monde n'avait encore jamais
fait de portrait. Nous recherchons un équilibre.
Henri
Est-ce qu'il n'y a pas des écrivains qui
ont un discours tout fait qu'ils vous servent ? Comme des éléments
de langage ?
Florence
Oui, parfois ça ne marche pas, par exemple avec Herta
Müller : c'est au dernier moment, quand on allait se séparer
que l'entretien a pu commencer et qu'on s'est rassises...
Christelle
Pour le recueil, comment avez-vous choisi les portraits ?
Florence
Le livre a d'abord été publié en anglais. L'éditeur
américain était étonné par la brièveté
des portraits (beaucoup plus longs chez les Anglo-saxons), et ça
l'a intéressé ; chaque portrait ne dit pas tout, mais
il y a un élément important. Il a appelé ça
Literary Miniatures. Comme des compressions d'Arman. Ça
a commencé comme ça. Puis les Français s'y sont intéressés.
Monique
Ce sont les Américains qui ont choisi les
auteurs ?
Florence
Non, j'ai soumis une liste et ils ont pioché, des auteurs connus
et des moins connus.
Claire
Le portrait que je retiens c'est celui de Kundera
qui justement n'en est pas un puisque c'est un entretien (et je mesure
l'aspect exceptionnel de cette interview de la part d'un écrivain
qui s'y refuse).
Je me suis rendu compte qu'alors qu'a priori c'était la voix directe
de l'écrivain que je croyais préférer entendre, c'est
celle du vrai portrait, fait par vous, qui m'intéresse bien plus.
D'abord parce que c'est de l'écriture, un genre avec ses composantes :
le titre, le chapeau, la phrase d'attaque (pour Sempé :
"Ça commence
par des baffes et des torgnoles") et à la fin celle
qui clôt, parfois présent le croquis physique qui essaie
d'y trouver "tout, là",
le parcours vite et bien brossé et qui suffit, et l'univers de
l'écrivain approché, toujours bienveillant, affectueux.
Il y a un ton, une narratrice qui nous parle. C'est une photo, qui bien
sûr qui ne dit pas tout, on a envie d'en savoir
plus : quoi justement ? J'ai remarqué
pour la première fois que des guillemets de deux sortes seraient
nécessaires : pour des paroles rapportées (lors de
la rencontre), pour de l'écrit cité (des extraits de livres).
Des questions :
- Lobo Antunes n'a-t-il pas raison de vous envoyer
balader avec votre question sur l'origine de l'écriture ?
Mettant d'une certaine manière en question ce qui fonde votre démarche
"sonder le cur
vital des écrivains", "ce
qui anime tous les artistes, le cur vital", "éclairer
l'émotion première angoisse, déchirement,
frustration, interrogation, colère, fantasme... , bref,
l'obsession qui constitue la force motrice de tout processus créatif,
cette force autour de laquelle se noue le dialogue entre l'homme et l'uvre,
et à laquelle tout artiste revient toujours." ?
- Dans un de vos articles récents sur Lobo
Antunes, encore lui, vous dites : "Voilà
pour ce qu'il est convenu d'appeler l'histoire, mais tout vrai lecteur
conviendra, au fond, qu'elle importe peu en littérature."
Alors, s'il s'agit bien de littérature (et on ne doute pas de la
qualité des uvres des écrivains choisis pour les portraits),
faut-il donner dans les portraits autant de place au "contenu"
des livres ?
Florence
C'est l'idée du laboratoire de l'écrivain ?
Claire
Non, c'est l'écriture elle-même.
Florence
Il y a les articles critiques qui s'en chargent, qui décortiquent
la forme.
Claire
Oui. Mais ce que je veux dire, c'est que dans l'univers de l'écrivain,
c'est la personnalité de son écriture, son style, la composition
des livres, qui en font l'originalité littéraire. C'est
ça le plus pour moi, l'envie d'en savoir plus.
Manuel
C'est aussi ce que je voulais dire : l'idée d'inclure dans
le portrait la singularité de l'écriture.
Florence
C'est difficile. Ce que je cherche chez les écrivains, c'est vrai
que cela renvoie à ma propre démarche de l'écriture.
Il y a quelque chose de ma propre vie (que nous raconte Florence Noiville)
qui fait que je suis amenée dans chaque roman à mettre au
cur un dysfonctionnement, par exemple l'addiction pour le
dernier.
Claire
Le groupe breton réuni hier a transmis des questions, dont certaines
ont déjà trouvé réponse :
- Pourquoi ces auteurs ?
- Pourquoi ce titre ? N'est-il pas racoleur ? Est-ce l'éditeur
qui l'a choisi ?
- En quoi votre intérêt pour la psychiatrie vous a aidée
dans votre démarche ?
- En quoi avez-vous trouvé en eux une réponse à vos
propres questions, dans votre propre démarche d'écrivain ?
Florence
En effet, j'ai eu envie d'être psychiatre.
Oui, c'est vrai que je plaque ma propre démarche, mais ça
marche dans beaucoup de cas d'écrivains.
Je suis très intéressée par l'approche scientifique
des comportements. Siri
Husvedt mêle ainsi littérature et neurosciences.
Le titre c'est en effet l'éditeur
qui l'a choisi.
Claire
Marie-Thé qui a posé la question dans le groupe breton ne
comprenait pas le titre. Je lui ai répondu que Lobo
Antunes, en vous disant qu'écrire c'est comme l'amour (ou le
désir quand on le "fait"), laisse entendre par cette
comparaison qu'il ne sait pas d'où vient l'écriture, comme
on ne sait pas d'où vient l'amour et le désir, ça
paraît clair, non ? (aucune mine étonnée)
Et la traduction ? Vous lisez dans plusieurs
langues.
Florence
Anglais, allemand, italien, espagnol, mais aucune autre langue.
Claire
Comment faire pour rendre compte de l'uvre
et pas de la traduction ?
Florence
C'est en effet du texte en français dont je rends compte.
Claire
Parmi les livres que vous citez (dont le traducteur est mentionné,
ce n'était pas le cas dans So
british ! 23 visages d'écrivains d'Outre-Manche),
certains auteurs ont le même traducteur (qui a donc une réelle
connaissance de l'uvre, en la traduisant, la "réécrivant"
de façon cohérente, et d'ailleurs vous mentionnez une de
ces traductrices, pour Carlos
Fuentes) et dans d'autre cas, chaque livre est traduit par un traducteur
différent, ça peut être cacophonique. D'ailleurs,
dans notre groupe, alors même qu'on n'a pas lu dans la langue originale
(!), on ne se gêne pas pour porter des jugements sur la traduction...
Monique L
D'autant que nous avons appris que la traduction est parfois même
meilleure que l'original (suivent des potins que relate Monique sur
un prix Nobel qui revient en fait aux traducteurs...)
Pour finir la soirée, et en réponse à notre demande, Florence Noiville nous annonce son prochain portrait à paraître (Erri de Luca, lu à deux reprises dans le groupe), son prochain livre (une biographie de Nina Simone) et nous suggère un dernier nom inconnu de nous : Clara Magnani, belge, et son roman au titre prometteur, Joie...
Synthèse des AVIS DU GROUPE BRETON (Chantal, Christian, Cindy, Édith, Claude, Marie-Thé, Yolaine) réuni le 7 février, rédigée par Yolaine (suivie de 2 avis détaillés)
Cet ouvrage nous a paru difficile à lire, puis il nous a semblé
difficile d'en parler, et il est difficile d'en faire un honnête
compte rendu.
Tout d'abord parce qu'il ne s'agit pas d'un roman, mais d'une espèce
de dictionnaire des écrivains contemporains, dont on a du mal à
mémoriser chaque notice avant de passer à la suivante. Dictionnaire,
puzzle, collection de prix Nobel ? Y a-t-il un cadre, un fil conducteur ?
Fatigue de lecture, frustration aussi. Il y a les auteurs qu'on aime et
qu'on connaît bien, et là on trouve parfois que c'est trop
court. Il y a tous ceux que l'on ne connaît pas encore (pour ceux
qui ne se sont pas contentés des écrivains qu'ils aimaient),
et là encore, quel sentiment de manque devant tout ce qui nous
reste à découvrir !
Admiration quand même : quelle chance de rencontrer la crème
de la littérature contemporaine, dans le cadre même de la
création et de l'intimité des auteurs. Le choix des écrivains
a emporté l'adhésion à l'unanimité, tout en
questionnant sur l'intention qui sous-tend ce recueil. Parmi les thèmes
mis en exergue, l'enfance, le temps qui passe, la politique, le rôle
de l'histoire, et la mort omniprésente font de ces notices des
textes denses et forts, qui dépassent de loin le caractère
anecdotique auquel la journaliste s'attarde parfois avec un certain bonheur.
Préoccupations trop existentielles et fondamentales pour qu'elles
ne renvoient pas aux questions très personnelles que Florence Noiville
se pose elle-même, en tant qu'écrivain, sur les passerelles
entre l'uvre et la vie et sur le sens de la littérature.
A la fin de cet échange, nous avons exprimé notre émotion,
ce qui aurait pu n'être qu'un exercice de style a réussi
à nous toucher au plus profond de nous-même. Expérience
prolongée lors de la réaction de cette synthèse :
relire les pages que Florence Noiville a consacrées à Thomas
Ungerer qui a quitté ce monde il y a quelques heures confirme qu'elle
est allée à l'essentiel.
Claude
Un livre de petits chemins qui partent en découverte. Leurs directions
convergent, divergent ou s'entrelacent :
- selon les personnalités évoquées, chacune originale
et sensible
- selon aussi le bon vouloir de l'auteur et sa façon d'aborder
chaque portrait (interview directe, interview et réponse de l'uvre,
interprétation et ressenti personnel de l'auteur).
J'ai aimé l'implication personnelle de Florence Noiville. Son admiration
respectueuse et joyeuse amène des jeux de lumières chatoyants
sur les auteurs rencontrés. Avec légèreté
et fraîcheur, elle donne envie d'en retrouver certains, d'aller
à la découverte des autres.
Ce livre donne un élan. On le déguste comme de petites bouchées
de chocolat.
Je n'ai pas été étonnée, après lecture,
d'apprendre que Florence Noiville écrivait aussi pour les
jeunes.
Ma restriction : j'ai lu "Écrire,
c'est comme l'amour". Je l'ai lu. "On
le fait". Je l'ai fait, c'est tout !
Mais le moment (très attachant) sera volatil. Une distraction.
Je ne peux le mettre en concurrence avec ce que j'attends désormais
d'un livre, temps de réflexion et de connaissance personnelles.
Marie-Thé
J'ai beaucoup aimé suivre Florence Noiville, rencontrer grâce
à elle des écrivains dans leur cadre de vie ou d'écriture,
j'avais l'impression qu'ils étaient tout proches, impressionnants.
Par contre, une question me vient immédiatement à l'esprit :
pourquoi ce titre ? (Racoleur..., influence de l'éditeur ?)
António Lobo Antunes
n'a dit-il pas dit lui-même "Parfois
je dis n'importe quoi."
Par ailleurs, j'ai du mal à comprendre Milan
Kundera, citant entre autres Flaubert : "L'artiste
doit faire croire à la postérité qu'il n'a pas vécu."
Son entretien avec F. Noiville pour moi prouve le contraire. Et je ne
suis pas loin de préférer le parcours de Milan Kundera à
son uvre, un comble ! (Je ne l'ai pas toute lue, évidemment).
Si dans cette série de portraits je vois avant tout l'uvre
d'un écrivain, je vois aussi des passerelles entre uvre et
vie.
J'ai un peu délaissé certains et j'ai aimé m'attarder
avec d'autres. Avant d'en parler, je m'arrête à L'invention
de Morel évoquée en préface : les écrivains
meurent, leur uvre non. Réflexion
De tous, celui que j'ai préféré est Saul
Bellow. Cet "ermite
du Vermont" m'a fait penser à Henry D. Thoreau.
J'ai aimé l'entendre, "évoquant
ce Vermont sauvage", cette nature tant aimée, sa
révolte aussi, quelques sarcasmes (Soljenitsyne). J'ai pensé
à Philip Roth le provocateur, à Woody Allen (Moses Herzog).
D'autre part j'ai aimé que son parcours puisse se retrouver dans
ses livres.
J'ai adoré retrouver Aharon
Appelfeld, parlant de cette communication avec ses ancêtres
en hébreu, la langue maternelle étant devenue celle des
assassins. Il s'est agi de revenir "à
la langue du mythe, au langage du corps
", l'hébreu
étant sa "langue
maternelle adoptive". Je me suis aussi rappelé
son étonnant passage chez Jonathan
Safran Foer dans Tout
est illuminé.
Avec le portrait d'Imre
Kertész, j'ai retrouvé celui à qui dans Être
sans destin était posée cette question : "Was ?
Du willst noch leben ?" (Comment
? Tu veux encore vivre ?) L'horreur du camp, et la vie
Et
le "périlleux
face à face" : horreur et art, chez "un
pessimiste qui a fait le pari de la vie", malgré
le "Kaddish pour l'enfant
qui ne naîtra pas". Merci infiniment à Florence
Noiville pour cette rencontre avec un écrivain qui m'a beaucoup
marquée et que je n'oublierai jamais. Je retiens le lieu de cette
rencontre, Berlin. Je me souviens l'avoir écouté s'exprimer
en allemand, non langue des assassins, comme chez A. Appelfeld,
mais langue d'écrivains admirés. Ce qui est différent
aussi de Vladimir Jankélévitch qui après les camps
aura rompu avec la culture allemande
.
Je regrette le portrait pour moi trop réducteur d'Amos
Oz, mais comment en quelques pages évoquer un écrivain
de cette envergure ? Même constatation avec Jean-Bertrand
Pontalis, que j'ai tant lu, tant aimé
J'ai respiré avec Mario
Vargas Llosa,
un peu homme monument, comme Victor Hugo dont il parle. J'ai été
sensible à cet auteur qui a "des
ailes aux talons", mais pour qui soudain l'avion deviendra
effrayant ; ayant connu situation identique, à l'avenir je
penserai peut-être à recourir au "livre-médecin".
Étonnantes retrouvailles avec Herta
Müller, dont je me souviens de L'homme
est un grand faisan sur terre, mais pas des ciseaux
Intéressantes rencontres avec Nadine
Gordimer, que j'ai failli confondre avec Doris Lessing. Avec Harry
Mulisch et l'origine du mal, Tomi Ungerer et cet acte fondateur :
"montrer ses fesses",
Carlo
Ginzburg comme Voltaire ou Zola, Don
Delillo "le plus
sauvage", Dario
Fo l'infatigable, Toni Morrison
aussi. Siri
Husvedt, littérature et neurosciences, bof
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