Gallimard, coll. Blanche, 1991


Gallimard coll. Folio, 132 p.

Quatrième de couverture :

"Il poussa la porte qui donnait sur la balustrade et le jardin de derrière et il vit soudain l'ombre de sa femme morte qui se tenait à ses côtés. Ils marchèrent sur la pelouse.
Il se prit de nouveau à pleurer doucement. Ils allèrent jusqu'à la barque. L'ombre de Madame de Sainte Colombe monta dans la barque blanche tandis qu'il en retenait le bord et la maintenait près de la rive. Elle avait retroussé sa robe pour poser le pied sur le plancher humide de la barque. Il se redressa. Les larmes glissaient sur ses joues. Il murmura :
- Je ne sais comment dire : Douze ans ont passé mais les draps de notre lit ne sont pas encore froids."


Tous les matins du monde : un roman et un film présentés par Isabelle Giordano, coll. Folio cinéma, 2009

Quatrième de couverture :

Le violiste Marin Marais, au crépuscule de sa vie, se souvient de son maître, Sainte Colombe. Janséniste austère et intransigeant, Monsieur de Sainte Colombe cherche la perfection en tout. À ses côtés, le jeune Marin Marais apprend la viole de gambe bien sûr, mais aussi l'amour avec Madeleine.
Alain Corneau a réalisé Tous les matins du monde comme s'il peignait une toile tout en clair-obscur. Au son lancinant de la viole de gambe répondent la voix de Gérard Depardieu et la langue épurée de Pascal Quignard.


Quatrième de couverture
 :

Dans Folioplus classiques, le texte intégral, enrichi d'une lecture d'image, écho pictural de l'œuvre, est suivi de sa mise en perspective :
• Mouvement littéraire : "Nous ne sommes pas postmodernes"
• Genre et registre : Le récit réinventé
• L'écrivain à sa table de travail : lectures, écritures, réécritures
• Groupement de textes : la musique comme puissance d'enchantement
• Chronologie : Pascal Quignard et son temps



Tous les matins du monde, lu par Jean-Claude Drouot, collection Écoutez lire, 2011, 2 CD audio, durée : 2h30

Quatrième de couverture
 :

"Il poussa la porte qui donnait sur la balustrade et le jardin de derrière et il vit soudain l'ombre de sa femme morte qui se tenait à ses côtés. Ils marchèrent sur la pelouse.
Il se prit de nouveau à pleurer doucement. Ils allèrent jusqu'à la barque. L'ombre de Madame de Sainte Colombe monta dans la barque blanche tandis qu'il en retenait le bord et la maintenait près de la rive. Elle avait retroussé sa robe pour poser le pied sur le plancher humide de la barque. Il se redressa. Les larmes glissaient sur ses joues. Il murmura :
- Je ne sais comment dire : Douze ans ont passé mais les draps de notre lit ne sont pas encore froids."


Exposition à la BNF "Pascal Quignard Fragments d'une écriture" du 30 septembre au 29 novembre 2020
Pascal Quignard (né en 1948)
Tous les matins du monde (1991)

Nous avons lu ce livre en novembre 2020 (ancien et nouveau groupe). Le groupe breton l'avait lu en 2014. Le groupe de Tenerife le lira en décembre 2023 (26 avis des différents groupes détaillés ci-dessous).

Et nous avions lu Terrasse à Rome en 2002.


Sur et autour de Pascal Quignard (en bas de page)

• Le film adapté du roman
Tous les matins du monde : fiction et réalité
Tous les matins du monde et le jansénisme
Tous les matins du monde et la peinture
Repères biographiques
Exposition sur Pascal Quignard
Quignard chez lui

 
Les 17 cotes d'amour de l'ancien groupe
réuni le 21 novembre
 
Danièle •Etienne Jacqueline LauraRenée
Annick 
CatherineChristelle Fanny
Geneviève
ManuelMonique L
SéverineAnnick A  Richard
Entreet Claire
Entre et etRozenn

Fanny (avis transmis)
Il sera bref car je me rends compte que je n'ai pas grand chose à en dire. J'ai aimé cette lecture dont le format s'apparente davantage à une nouvelle. Je lui ai trouvé un charme un peu désuet à l'unisson avec l'époque du roman.
J'avais déjà lu un roman de Quignard, mais je n'ai pas réussi à retrouver le titre, je me rappelle que j'avais aimé le style mais que le contenu était plus que sibyllin.
Malgré son caractère très entier, j'aime bien le personnage de Sainte Colombe, et de manière un peu manichéenne celui de Marin Marais m'est moins sympathique, de par ce qu'il représente de son rapport aux fastes et au superficiel.
Je me suis surtout rendu compte que j'ai été tout au long de ma lecture envahie par l'image de Marielle. Décidément je me dis que le rôle était vraiment taillé sur mesure. J'ai dû voir le film à sa sortie, je ne me rappelle plus des autres prestations des acteurs, uniquement de Marielle et de la musique, mais il m'a été impossible de détacher l'acteur du récit. Je vais profiter de la rediffusion du film pour le regarder cette semaine et comparer mes ressentis.
Bel échange à vous tous. Hâte de vous lire. Prenez soin de vous.
Catherine(avis transmis)
Ça sera bref. J'ai déjà ce livre, il y a pas mal d'années, puisque c'était en 91, après avoir vu le film d'Alain Corneau. Je n'avais lu le livre qu'après (alors que je préfère nettement l'inverse). J'avais beaucoup aimé ce film, surtout le personnage de Sainte Colombe (très bien joué par Jean-Pierre Marielle) et, surtout, ce film m'avait fait découvrir la viole de gambe et la musique de Marin Marais et de Sainte Colombe, compositeurs que je ne connaissais pas. Je suis tombée sous le charme de cette musique, que j'écoute depuis. La lecture du livre m'évoque immédiatement le film, et la musique. Du coup je l'ai beaucoup beaucoup aimé mais j'ai du mal à dissocier l'ensemble. J'ai relu le livre, tout en écoutant la Rêveuse, les Pleurs, le Tombeau des regrets... Je n'ai pas eu le temps de revoir le film mais je le ferai.
Finalement, le livre est plutôt un scénario de film qu'autre chose. Les personnages sont évoqués, mais on reste un peu sur sa faim. De même, Port-Royal apparaît de façon très fugitive, mais rien de plus n'est dit. On apprend en deux lignes que Madeleine est enceinte et que son enfant est mort-né ; un peu plus loin, elle se pend... On ne sait presque rien de Marin Marais. Seul le personnage de Sainte Colombe est un peu plus étoffé ; son amour pour son épouse défunte, amour qu'il a été incapable d'exprimer de son vivant et qu'il exprime après sa mort à travers sa musique, est assez émouvant. La musique tient une place essentielle dans le livre (et le film) et il y a plusieurs beaux passages à ce sujet.
Je l'ouvre aux 3/4 ou plutôt aux 2/3. Je suis très curieuse d'avoir vos avis.
Annick L
J'ai une relation très personnelle avec ce livre et avec Pascal Quignard dont j'ai suivi en 1973 un cours à la fac de Vincennes, consacré à un poète méconnu du XVIe siècle, Maurice Scève, sur lequel il était en train d'écrire un essai (publié en 1974). C'était un professeur remarquable, à la fois d'une grande érudition, passionné de transmission et d'une grande simplicité relationnelle. Il était aussi musicien, spécialiste de musique baroque, et nous étions allés assister à un concert avec quelques autres étudiants.

OH et AH très envieux...

20 ans plus tard, lorsque le film adapté de ce film est sorti, ce souvenir a refait surface et je me suis plongée dans son œuvre : j'ai lu Tous les matins du monde et deux ou trois autres romans de lui, avec un plaisir certain. J'apprécie beaucoup cet écrivain.
En tout cas j'ai aimé Tous les matins du monde pour son écriture singulière, très dépouillée et très charnelle en même temps, suscitant l'évocation immédiate de scènes et des personnages. Un vrai voyage dans cette époque révolue et cette musique dont j'ignorais tout. Ce n'est pas étonnant qu'il ait été adapté au cinéma, de façon très réussie d'ailleurs !
J'ai été fascinée aussi par cette histoire de rivalité entre les deux musiciens, le maître et son élève : Monsieur de Sainte Colombe, veuf inconsolable, un janséniste excentrique qui vit à l'écart du monde, plongé dans les affres de la création et la quête d'une musique sublime ; face à Marin Marais, un jeune virtuose fasciné par la musique de Sainte Colombe, mais attiré aussi par les plaisirs de la vie mondaine, un ambitieux qui veut intégrer l'orchestre de la Cour royale. La scène où Marin Marais vient espionner son maître en train de jouer dans le secret de sa cabane est assez mémorable…
Quant au personnage de Sainte Colombe, il est, par certains côtés, odieux (il sacrifie sur l'autel de la musique le bonheur de ses filles), mais il est également touchant par l'amour qu'il voue à son épouse défunte, au point de faire ressurgir son fantôme à ses côtés. Une histoire étrange pour des lecteurs contemporains qui pourront se sentir déphasés, même si ce qui nous est raconté est intemporel : l'amour, la mort et le deuil, la relation à l'art…
J'étais donc très heureuse de relire ce livre mais, cette fois, le charme n'a pas fonctionné : je suis restée à distance.
J'ouvre aux ¾.
Monique L
J'avais lu ce livre il y a un certain temps après avoir vu le film avec Jean-Pierre Marielle et Guillaume Depardieu. J'en avais gardé un bon souvenir, mais le film restait plus présent à ma mémoire. Je l'ai donc relu pour pouvoir en parler ce soir. Je l'ai relu avec plaisir, mais les images du film sont encore trop présentes. C'est assez étrange car c'est un phénomène que je n'ai pas souvenir d'avoir déjà ressenti : ma lecture est distraite par les images qui me reviennent.
C'est un éloge de la musique qui met en exergue l'exigence et la rigueur nécessaires pour la servir au mieux. La musique est une grâce, c'est un don. Marin Marais s'obstine à rechercher désespérément ce qui fait que Sainte Colombe est un virtuose, sans comprendre que tout ne réside pas seulement dans la technique... Cela ne s'enseigne pas vraiment, ce qui fait vraiment écho à mon expérience. Certains interprètes jouent sans fautes musicales, mais ne font pas vraiment de la musique.
C'est aussi un éloge de l'amour inconditionnel au-delà de la vie qui fait revenir le fantôme de l'être aimé. J'ai trouvé cela très beau. Je trouve à ce livre un charme suranné que j'ai apprécié.
Le bémol est le destin de la pauvre Madeleine.
Pascal Quignard aime les mots, la littérature, la musique, la peinture. Il m'a fait découvrir les natures mortes du peintre Lubin Baugin.
L'écriture est très belle.
J'ouvre aux ¾.
Séverine V
J'ai eu l'impression de me retrouver des années en arrière quand j’avais découvert le film au cinéma. J’avais tellement aimé ce film que j’avais acheté la cassette de la BO qui doit encore être chez mes parents. J’étais fan de cette musique ! Je ne connaissais pas alors le livre.
J'ai lu le livre et revu le film en même temps, et comme Fanny et Monique, j'ai du mal à parler du livre, car je n'arrive pas à dissocier la lecture du film, qui a une telle fidélité, c'est comme si on écoutait le livre. Comme tu as dit Annick, le style est simple, fluide : c'est sans doute pour cela que le film a si bien marché car il était déjà bien écrit pour raconter cette histoire en film.
À l'époque, Marin Marais m’avait marquée et maintenant je pense que c’est Sainte Colombe qui a pour moi plus d'intérêt. Le livre nous montre bien les deux visions de l’art : l’art pour l’art (avec Sainte Colombe) et l’art pour la reconnaissance (avec Marin Marais). C'est pour cela que Sainte Colombe est attachant, il ne veut pas être célébré.
Le film avait raflé tous les Césars, il est vraiment très beau.
Hormis le plaisir, j'ai du mal à en dire plus. J'ouvre à moitié car le livre n'est quand même pas une découverte littéraire. Et je pense que le film prend tellement le dessus qu’il n’est pas simple de juger le livre.
Sinon, j'avais aussi lu et vu Villa Amalia (adapté de Villa Amalia), film de Benoît Jacquot avec Isabelle Huppert. C’est un style totalement différent. Ce livre m’a plus marquée, le personnage principal est très intéressant.

Annick A
C'est un livre dont le sujet principal porte sur la musique et la passion qu'elle suscite.
Le film qui en a été tiré est magnifique, mais dans le livre l'auteur ne sait pas nous faire entendre cette musique. La vie des personnages est centrée sur la création musicale et sur l'émotion qu'elle provoque en eux, mais cette émotion on ne la ressent pas. Les personnages sont sans relief. Sainte Colombe est un homme violent replié sur lui-même, peu intéressé par les autres. Il s'enferme dans sa douleur aux dépens de ses filles. La relation qu'il établit avec le fantôme de sa femme m'a agacée. Marin Marais est davantage dans la vie et se sert de ses dons musicaux pour s'élever socialement. C'est un libertin. La vie amoureuse de Madeleine et Toinette est assez banale.
Je n'aime pas non plus l'écriture que je trouve fade. Bref je n'ai pas aimé ce livre. Seule exception, le chapitre 12, lorsque Sainte Colombe va voir le peintre. Il initie alors son élève à la musique des bruits journaliers et là j'avais réellement l'impression de les entendre. :

"Écoutez le son que rend le pinceau de Monsieur Baguin."
Ils fermèrent les yeux et ils l'écoutèrent peindre. Puis Monsieur de Sainte-Colombe dit :
"Vous avez appris la technique de l'archet." (p. 61)

Ou encore :

Monsieur de Sainte Colombe arrêta son disciple en lui prenant le bras : devant eux un petit garçon avait descendu ses chausses et pissait en faisant un trou dans la neige. Le bruit de l'urine chaude crevant la neige se mêlait au bruit des cristaux de la neige qui fondaient à mesure. Sainte Colombe tenait une fois encore le doigt sur ses lèvres.
"Vous avez appris le détaché des ornements, dit-il.
- C'est aussi une descente chromatique", rétorqua Monsieur Marin Marais. (p. 63)

J'ouvre ¼ pour ce passage-là.
(Annick nous montre ce livre à l’écran)
La nuit sexuelle est un livre magnifique, très érudit, avec une approche psychanalytique. Ainsi présente-t-il trois nuits : avant la naissance, c'est la nuit utérine ; une fois nés, c'est la nuit terrestre ; enfin, après la mort l'âme se décompose dans une troisième sorte de nuit.
Danièle
J'ai beaucoup aimé ce livre, sans toujours savoir pourquoi. J'ai bien sûr été sensible tout d'abord, comme Annick A, aux passages sur la musique, qui surgissent, dès la page 58, en fin de chapitre XI. Monsieur de Sainte Colombe et Marin Marais, marchent dans la tourmente. Sainte Colombe lui fait signe de se taire, puis dit : "Vous entendez, Monsieur, comment se détache l'aria sur la basse ?". Cette remarque inattendue, en fin de chapitre, m'a plongée dans le ravissement. Rare privilège que d'entendre de la musique dans les sons ordinaires qui nous entourent ! Ce festival continue dans le chapitre suivant, y compris le son du pinceau sur la toile, assimilé à un coup d'archet sur les cordes du violon, ou de l'urine qui troue la neige... En fait tout est musique pour Sainte Colombe et la musique est tout pour lui.
Mais pour autant, je ne crois pas que le livre se limite à nous faire entrer dans l'univers de la musique. Il s'agit d'entrer dans une souffrance, de faire entrer dans la naissance d'une émotion. Par le thème de la musique, certes, mais aussi par l'écriture. Avec une certaine économie de moyens Pascal Quignard montre un être plein de pudeur, par exemple en choisissant de clore le chapitre XV par ces paroles : "Je ne sais comment vous dire, Madame. Douze ans ont passé, mais les draps de votre lit ne sont pas encore froids". Lors de la visite au peintre Baugin, on pourrait croire en apparence que Sainte Colombe et Marin Marais arrivent à communiquer par la musique, mais on comprend par cette seule phrase : "Monsieur de Sainte Colombe haussa les épaules" que, non, Marin Marais n'est pas jugé digne d'être l'élève de Sainte Colombe. Les phrases simples sujet-verbe-complément - exactement ce qu'on nous déconseillait de faire à l'école - ont un effet étonnant. Elles ont du poids, de la résonance. J'ai lu le livre deux fois, et, décidément, à la relecture, j'ai ressenti encore davantage cette impression, et même dès la première phrase du livre : "Au printemps de 1650, Madame de Sainte Colombe mourut". En fait, nous ne le savons pas encore, mais tout est dit. On a l'impression de quelque chose d'important, non pas au niveau du quotidien, mais au niveau de l'être au monde. J'imagine que Pascal Quignard procède à une épuration constante de son écriture pour parvenir à la simplicité et à ce poids. Et en même temps son érudition, que l'on retrouve dans toute son œuvre, se fait sentir ici aussi, au hasard d'un imparfait du subjonctif ou d'un mot suranné, et dans le choix même du sujet, des personnages et de l'époque. Il n'est pas étonnant que le film y ait puisé ces magnifiques images inspirées de la peinture de Baugin, sur fond de musique baroque, bien sûr.
On trouve aussi ces aphorismes qui émailleront toute son œuvre. P. 46 : "vous faites de la musique, Monsieur, vous n'êtes pas musicien !" ou "ils l'écoutèrent peindre" ou encore : "qu'est-ce qu'un instrument, ce n'est pas la musique ! ".
Quignard sait montrer aussi la souffrance de Sainte Colombe quand elle se dévoile dans ses accès de colère. J'irais jusqu'à dire que c'est un côté attachant de ce personnage taiseux et devenu misanthrope depuis la mort de sa femme. Il refuse les paillettes de la Cour. Comment le lui reprocher ?
J'ai été étonnée par la fin optimiste du roman, plutôt sombre dans le fond. Et je constate que je n'ai pas parlé des autres personnages du roman, emportée par la personnalité de Monsieur de Colombes et l'écriture de Monsieur Pascal Quignard.
Après réflexion, j'ouvre en entier.


Manuel
J'ai vu le film 5 ou 6 fois. J'ai le DVD qui a un bonus très intéressant.
Jordi Savall explique comment Marielle jouait face à lui ; quant à Depardieu qui joue de la guitare, il n'a pas eu de difficulté à jouer. Ils ne savaient pas qu'ils auraient tant de succès.

Christelle
Comment se fait-il que le livre et le film soient sortis la même année ?

Manuel
Corneau a fait une sorte de commande à Quignard, ce qui explique que le livre et le film soient si proches (voir un extrait du bonus).

Claire
J'ai cru comprendre que La leçon de musique contenait le livre en germe.

Manuel
En effet. J'ai regretté qu'il n'y ait pas de neige dans le film.

Claire
L'important est qu'il fait quand même pipi, pour qu'on entende la musique pissante...
Manuel
J'avais l'édition avec dossier et les éclairages sur le jansénisme m'ont beaucoup intéressé. J'ai mieux compris en quoi s'opposent Marin Marais (la cour) et Monsieur de Sainte Colombe (hors de la cour).
La musique m'apparaît un peu instrumentalisée. Sainte Colombe refuse de servir le pouvoir par la musique.
J'ai beaucoup aimé les apparitions de sa femme, avec ce regret de n'avoir pas été présent lors de sa mort, et le pardon qu'elle lui adresse en apparaissant.
Il y a aussi une autre dualité, celle des deux sœurs : Madeleine plus proche du père et de la mort, Toinette plus près du pouvoir et de la vie.
L'écriture ne m'a pas gênée, j'ai aimé ses phrases courtes, simples, qui m'ont fait penser à Annie Ernaux. D'ailleurs Marin Marais est un transfuge de classe, fils de cordonnier.
Le livre est très riche, complémentaire du film. J'ai davantage aimé Sainte Colombe dans le livre, Marielle le surjoue.
J'ouvre aux ¾.
Etienne
Je suis le premier à n'avoir pas vu le film. J'ai énormément aimé. Je remercie qui l'a proposé car c'est un gros coup de cœur.
Les ressemblances, la parenté avec Annie Ernaux, est troublante. C'est brut, sobre à la fois, une écriture pleine de mystère. Et ce flirt avec le surnaturel. Merci pour la référence au jansénisme qui est éclairante.
Contrairement à Annick et Danièle, ce qui domine pour moi n'est pas la musique, mais les hommes qui vivent pour la musique, la façon dont ils la vivent.
Je n'ai pas beaucoup de choses à dire, je l'ai lu hier, sans avoir le temps de laisser décanter ma lecture.
J'ouvre en grand et je relirai des Quignard.
Claire, entreet
J'avais lu ce livre en 2014 choisi lors des 10 ans de Voix au chapitre-Morbihan et je faisais partie de l'unanimité positive, constaté-je en regardant le compte rendu.
Lorsque ce livre a été programmé, je n'étais pas du tout - in petto - emballée. Bon un petit livre, ça c'est chouette.
J'ai été vraiment charmée, par la langue, par l'univers délicatement reconstitué, je l'ai lu d'une traite et me suis interrompue aux trois quarts pour le finir quelques jours plus tard : le charme était rompu, ça m'a semblé poussif, un conte pour enfants pas plus pas moins. Un bonbon rassis. Je ne sais pas comment l'ouvrir, entre ¼ et ¾.
J'ai revu le film, y est beaucoup aimé les scènes avec décor : architecture, nature, intérieurs d'époque. La musique crincrin m'a barbée et j'ai avancé dans le film qui m'ennuyait un peu pour voir comment les scènes étaient traitées.
Richard
Je n’ai pas encore vu le film, c'est peut-être pour cela que mon avis est moins positif que les vôtres. Le livre est facile à lire, avec ses phrases courtes. C’est un petit livre qui laisse penser que l’auteur ne souhaite pas entrer dans l’examen des personnages. Je suis frustré quand il s’agit de la musique, frustré que ne soit pas développée la différence entre ce qui est musique et ce qui ne l'est pas. Du fait de la brièveté, les personnages sont assez plats : il leur arrive des choses qui peuvent engendrer des émotions, car on passe vite d'un état psychologique d'un personnage à un autre événement, et la frustration en découle ; je reste sur ma faim après cette suite d'événements.
Je me suis dit vers la fin : OK c’est un conte, une nouvelle qui n'est pas de notre temps ; est-ce que cela justifie l’effort de lecture ? Peut-être mon avis serait-il modifié par le film ? Pour l'instant mon avis reste assez négatif. J’ouvre ¼. Quand même... Je suis venu pour appréhender ce que vous avez trouvé dans ce livre.
J'ajoute quelque chose qui n'a rien à voir : en tant qu’Écossais, je suis très content que le Booker Prize revienne à un auteur écossais : Douglas Stuart, pour son premier roman Shuggie Bain qui se passe à Glasgow et sera certainement difficile à traduire en raison de l'argot écossais, voire de Glasgow même. Un livre qui devrait être très intéressant, je vous dirai.
Christelle
J'avais vu le film il y a quelques années, j'ai lu le livre récemment, j'ai revu le film hier soir. J'ai beaucoup apprécié les deux. Le film dont je gardais un bon souvenir, ancien, ne m'a pas "gâché" la lecture.
C'est en effet une écriture concise, très efficace. Même si le livre est court, il y a beaucoup de formules qui restent : la phrase contenant le titre ou bien quand il renvoie Marin Marais, en lui disant que ce n'est pas de la musique, c'est une phrase qui marque, le dialogue avec l'émissaire du roi...
Je n'ai pas ressenti la musique au centre ; c'est pour moi la passion qui envahit tout et le rapport de l'art avec la souffrance : ce sont les deux choses pesantes ; toute la maison, y compris les filles, vivent à travers cette passion du père et, en même temps, la vie a peu de place et la souffrance est palpable.
Le film enrichit la lecture, grâce à la musique et au jeu des acteurs qui est fabuleux. Marin Marais, je le connaissais de nom, sans détails, mais en lisant sa biographie, je ne suis pas sûre qu'il soit aussi salaud qu'il apparaît dans le film qui donne l'impression qu'il n'a pas de talent, qu'il est surtout opportuniste ; or il a fait une grande carrière et laissé un nom et des œuvres.
J'ai mis dans ma pile de livres à lire La leçon de musique que j'ai à la maison et qui semble-t-il a inspiré Tous les matins du monde, j'ai bien envie de me replonger dans cet univers.
J'ouvre aux ¾.

Jacqueline

Comme Danièle, j'aime beaucoup l'écriture de Pascal Quignard. Sa langue est pour moi un enchantement, elle exerce une espèce d'effet hypnotique et moi aussi je me suis demandé pourquoi :

› parce qu'il me donne l'impression de retrouver les "petits classiques de mon enfance", avec une langue sobre et directe du 17e siècle, mais aussi la brièveté des résumés d'intrigue ?
› parce qu'à travers sa simplicité et  son apparente sécheresse, transparaît la richesse de ce qui sous-tend le récit, la sensibilité et la grande culture de Quignard ? 

J'avais lu plusieurs de ses romans, j'ai été très contente qu'il reçoive le Goncourt avec Les Ombres errantes, qui m'avait beaucoup plu bien que j'étais loin de tout comprendre. En le reprenant maintenant, je m'interroge sur ce plaisir à lire quelque chose dont une grande partie m'échappe mais qui, par la forme, pourrait s'apparenter aux Pensées de Pascal, la transcendance s'y trouvant dans la littérature...
J'avais gardé du film Tous les matins du monde l'image poignante de quelqu'un qui noie son chagrin dans l'alcool et je reste fidèle à cette interprétation rationaliste de l'histoire. Je ne suis pas sûre de vouloir le revoir, bien que je me le rappelle comme très émouvant et que j'en garde aussi le souvenir de très belles images et d'éclairages évoquant la peinture du 17e siècle.
J'avais lu, sans doute auparavant, le livre qui m'avait aussi beaucoup émue et j'ai été très contente de le relire en mesurant mieux son arrière-plan.
"Tous les matins du monde sont sans retour" : cette phrase qui débute le chapitre 26 renvoie au titre du livre et tout le récit me paraît une illustration du sentiment d'inéluctable qui en fait la beauté.
La gaufrette à peine entamée, la disparition de Mme de Sainte Colombe, la voix de Marin Marais qui change, son désir de ne pas être cordonnier, le dessèchement de Madeleine, autant d'éléments parmi d'autres qui illustrent la fragilité des choses. Ce livre pourrait être une "vanité" comme le tableau de Baugin visible au Louvre ou un exercice autour de ce tableau.
En même temps à la relecture, je découvre tout un arrière-plan culturel et j'aimerais pouvoir l'approfondir :

une paraphrase de Britannicus pour illustrer ce qu'est une phrase musicale ;
un conte chinois repris sans qu'il en soit question (quand Yourcenar écrit Comment Wang Fô…, elle garde le conte lui-même, la situation, le lieu…) en le transposant dans le Paris du 17e siècle
un tableau d'un peintre peu connu à partir duquel, le livre entier pourrait être le fruit d'un exercice...
le jansénisme qui imprègne tout le récit au travers du positionnement des personnages, des lieux proches de Port-Royal, des personnages réels cités…

Tout cela dans une fiction où ce qui est raconté prend un caractère de vérité…
Par contre, ayant vu des mûriers dans les Cévennes, je doutais fort que l'on puisse y construire une cabane sous laquelle se cacher ! J'ai appris depuis que cet arbre pouvait devenir très grand, qu'Olivier de Serres l'avait bien introduit en France du temps de Sully et j'ai vu des photos de mûriers dont les branches étalées en plan horizontal auraient peut-être pu supporter une petite cabane. Sans compter que ce détail figure dans le récit de Titon du Tillet écrit environ un siècle plus tard et qui fournit une trame au récit de Quignard...
J'ouvre en grand…
Laura
"Tous les matins du monde sont sans retour."
Curieux petit ouvrage d'une douceur infinie. Quignard a su m'emmener loin, dès les premières pages, les premières lignes. Il a su me faire voyager, sans fatigue aucune, ni lassitude qui aurait pu pointer le bout de son nez. C'est une lecture qui arrive à point, le début de l'hiver, c'est l'aurore d'une mélancolie judicieuse. Dans quelques années, j'aurais certainement oublié l'histoire de Monsieur de Sainte Colombe, mais après tout cela importe peu ; il restera toujours ce sentiment langoureux, une insondable tristesse peut-être, toujours inexprimable par le langage humain, que la musique, seule, pourra partager et faire comprendre. Quignard, à travers son style simple et limpide, presqu'enfantin (accusé bien rapidement de ma part de trop simple), dépasse l'écriture elle-même. Ce petit ouvrage n'est en rien qu'une juxtaposition de mots, il est un sentiment profond à lui seul, un poème, une déclaration d'amour. On pourrait parler, en jargon philosophique, de méta-écriture. "Je ne sais comment dire, Madame. Douze ans ont passés mais les draps de notre lit ne sont pas encore froids." (p. 80). Qu'y a-t-il à dire de plus ? Aucune analyse ne semble nécessaire, seul un cœur qui souffre est susceptible d'effleurer la fragile harmonie des termes. Auprès de Sainte Colombe, il semble presque doux de mourir.
L'impression a donc été forte. Toutefois, il y a quelques petits détails qui m'ont dérangée, mais qui ont rajouté du charme à l'œuvre. Par exemple : "le sexe épais et poilu entre mes cuisses" (p. 43). J'ai été étonnée et choquée, avec une seule question en tête : "mais pourquoi ??" Ces détails tranchaient presque trop avec la poésie de l'œuvre. Pourtant, ils soulevaient l'innocence de Marin Marais, homme totalement perdu et sans véritable but.
Innocence, amour et souffrance, voilà comment je pourrais résumer mon voyage dans cette œuvre.
Grand ouvert.

Rozenn
Je vous préviens, je ne sais pas comment je l’ouvre.

Annick L
C'est bien, tu ménages le suspense...

Rozenn
J'avais vu le film autrefois. À l’époque, on étaient tous fans de cette musique. Le film m'avait plu. Je ne sais plus si j'avais lu le livre.
J’ai une grande réticence vis-à-vis de Quignard (le bonhomme) sans savoir pourquoi. Peut-être me paraît-il un peu vaniteux.
Je n’ai pas lu le livre, je l'ai écouté, avec un peu de musique, c’était agréable, tellement agréable que je me suis endormie à certains moments… Donc, j'ai des petits trous dans ma "lecture".
C’est très joli, ces phrases très simples avec un mot qu’on n’attend pas de temps en temps, qui étonne.
Je viens de voir le film ; je me suis dit c'est pas possible ils n'ont pas pris Depardieu pour jouer Monsieur de Sainte Colombe ! Ça c'est remis en place assez vite. Contrairement au livre, le film est à la première personne, du point de vue de Marin Marais, et c’est très lourd par rapport au livre.
Dans le livre, c’est délicat, suggéré, esquissé, avec des paysages très doux comme dans le film, et avec des choses tragiques : deux filles complètement abandonnées, des relations entre elles deux abominables, dans une grande souffrance. Il y a une grande souffrance dans une douceur exquise ; ça donne envie de donner un coup de pied dans la fourmilière : regardez ce père malade qui se complaît dans son chagrin et qui abandonne ses filles, c'est trop facile. Marin Marais n’est pas un goujat, mais un gamin.
Je ne sais pas comment j’ouvre : il faudrait que j'ouvre, je ferme, j’ouvre, je ferme, j'ouvre, je ferme, j'ouvre, je ferme...

Geneviève
J'ai vu le film il y a longtemps, seul restait le souvenir de Guillaume Depardieu et, donc, l'image de Marin Marais jeune. En lisant le livre, c'est Sainte Colombe qui a focalisé mon attention : je me suis représenté quelqu'un de sec.
Je l'ai lu facilement, rapidement. C'est très beau, bien écrit, j'aime les écritures simples.
Par exemple, le début du chapitre 5 renvoie tout à fait au conte : "Le roi était mécontent de ne pas posséder Monsieur de Sainte Colombe. Les courtisans continuaient de vanter ses improvisations virtuoses. Le déplaisir de ne pas être obéi ajoutait à l'impatience où se trouvait le roi de voir le musicien jouer devant lui. Il renvoya Monsieur Caignet accompagné de l'abbé Mathieu." Tout comme Le chat botté..., ça fonctionne très bien.

Si la musique me restait aussi du film, là, c'est l'amour, ce qu'est la vie, qui domine. L'allusion au jansénisme oppose au rapport à la chair, à la réussite, au bonheur, la pureté que recherche le jansénisme. Et c'est très fort qu'apparaît la relation charnelle, et comme Laura, je ressens son irruption dans le récit - jusqu'à évoquer la masturbation ; en opposition à un monde épuré, la rivière... on a la chair, les poils.
C'est très court, simple, très complémentaire du film que je n'ai pas revu avant de lire le livre, car le film est écrasant.
Comme d'habitude, je suis très contente d'avoir lu le livre. J'ouvre aux ¾, car il y a quelque chose de fugace, de fugitif...
Renée de Narbonne
Je suis une amoureuse de Quignard. Et mon idole est Marin Marais. Quoi !? Il avait un maître ? Heureusement, c'est inventé (à partir de personnages réels), ce qui m'a permis d'adorer le livre sans réserve.
L'écriture est simple, mais recèle en fait une extrême sophistication. Comme Jacqueline, j'aime aussi ne pas tout comprendre et je succombe au charme.
Quant au film, tous les plans sont des tableaux, des natures mortes ; il est baigné par une ambiance caravagesque, tout en clair-obscur. Je pense que Corneau est féru de peinture et qu'il a volontairement intégré des "tableaux" de Georges de la Tour ou des Frères le Nain ou d'autres peintres que nous ne reconnaissons pas. Et pour ce qui est de la musique, j'avais avant le film vu une dizaine de fois Jordi Savall qui est catalan (je suis catalane) : comme Obélix, je suis tombée dans la marmite lorsque j'étais jeune, je ne sais même pas pourquoi cette musique me prend aux tripes. Le film est une merveille, les acteurs m'ont plu, je ne me suis même pas occupée de l'histoire.



Les 6 cotes d'amour du nouveau groupe parisien
réuni le 27 novembre
Anne-Marie Monique MNathalie B
 Valérie
Séverine G

Olivier

Séverine G           
Habituellement je suis toujours déçue par les adaptations d'un roman que j'ai préalablement lu. J'étais donc d'autant plus intéressée de lire ce livre que cette fois j'en avais vu au préalable, à deux reprises tant je l'avais aimée, l'adaptation cinématographique d'Alain Corneau en 2007. Comme je n'avais rien lu sur la genèse de ce film, ni du livre, avant de le lire, j'ai été très surprise d'y retrouver le découpage scénique quasiment identique, les dialogues, les postures, dont je me souvenais assez bien ! Comme cet écrivain avait une plume "cinématographique" ! Puis j'en ai su la genèse et tout s'est évidemment éclairé ! La commande de Corneau, l'adaptation de Quignard d'un épisode de son premier récit La leçon de musique, les emprunts biographiques faits à un certain Evrard Titon du Tillet sur la vie de Marin Marais et d'autres musiciens du temps de Louis XIV… Que dire ? J'ai eu a postériori l'impression d'une sorte de supercherie à nous présenter ce récit comme un roman, alors qu'il s'agit plutôt d'une sorte de scénario, de script. Que les effets "cinématographiques" qu'on pourrait admirer chez un auteur lorsqu'ils ne sont pas sciemment là pour le cinéma, sont de ce fait "étudiés pour" et semblent de ce fait moins "littéraires", moins "honnêtes" ? Ce serait peut-être aller un peu loin, mais il y a de ça quand même… Disons que j'ai retrouvé la magie et l'atmosphère du film, mais… rien de plus. Et cela m'a laissé un petit goût de frustration. D'autant que du coup, la bande-son du film m'a énormément manqué ! Néanmoins cette histoire m'a toujours autant fascinée, l'intransigeance, la pureté janséniste de Monsieur de Sainte Colombe, ses saillies et saintes colères contre les mondains m'ont réjouie, le style épuré et sobre de Quignard entrant magnifiquement en résonance avec l'âme exigeante de son personnage. Tout en accompagnant parfaitement sa douce folie née de sa profonde mélancolie. J'ai donc beaucoup aimé ; mais je n'ouvre qu'aux ¾, pour les réserves mises au procédé d'écriture "de commande" un peu trop "visible".
Olivier   
Je ne connaissais pas ou peu la musique de Marin Marais, n'ai pas vu le film de Corneau, n'ai lu aucun des livres de Pascal Quignard. Je lis donc un livre sans en connaître ni le contexte, ni le contenu, découvre que c'est un tout petit livre. J'aime beaucoup le titre. Le livre ? Est-ce vraiment un livre ? À mes yeux, c'est clairement un script, car, renseignements pris, le livre est sorti en novembre 1991 et le film au même moment. Film et petit livre au même moment, c'est un choix commercial qui a bien fonctionné. Le script se lit en une heure et le film dure deux heures. Le film doit évidemment permettre d'exprimer bien plus que ce petit livre, à commencer par la musique (et grâce au jeu des plus grands acteurs français de l'époque). Souvent c'est l'inverse, quand on lit un livre adapté au cinéma, on regrette le livre qui dit beaucoup plus que le film ! Mais nous avons sélectionné TOUS LES MATINS DU MONDE en tant que LIVRE... Est-ce le portrait d'un Maître ? Mais non ! Un Maître est exigence, échange, bienveillance ! Ce Monsieur de Sainte Colombe ne devrait pas enseigner ! Il jette à Marin : "Vous faites de la musique, Monsieur, vous n'êtes pas musicien !" Ce genre de formule ne me dit rien ni sur la musique, ni sur ce qu'est ou ne serait pas un musicien. Cela montre que l'auteur n'est pas dans la littérature, il est dans le script ! "Revenez dans un mois, je vous dirai alors si vous avez assez de valeur pour que je vous compte au nombre de mes élèves". Un mois plus tard, Sainte Colombe accepte que Marin devienne son élève : "Je vous garde pour votre douleur, non pour votre art". Encore une formule ! Ou alors il faudrait expliquer, débattre, est-ce qu'il faut souffrir pour créer ? De mon point de vue, la relation Maître-élève fait partie des belles choses de la vie. Ici, quelle violence de cet homme complètement perturbé ! Trop perturbé pour enseigner (il brise l'instrument de son élève, on ne sait pas trop pourquoi, car il a dit : "jouez, jouez, jouez" et il se met en colère...) J'ai conscience que l'ego de l'élève doit s'atténuer s'il veut apprendre. Mais par l'admiration pour le Maître, pas par l'humiliation. Est-ce un livre sur la musique ? L'auteur veut nous séduire avec des trouvailles, du genre "Le vent qui vient fouetter les visages", c'est, je cite : "l'aria qui se détache par rapport à la basse". Le son du pinceau sur la toile... c'est : "vous avez appris la technique de l'archet". L'urine chaude crevant la neige : "vous avez appris le détaché des ornements". Tout cela à mes yeux "ne fait pas pipi loin". Monsieur de Sainte Colombe "murmure" à l'oreille de Marin : "la musique aussi est une langue humaine". Faut-il faire le choix de murmurer à l'oreille de son élève pour dire cette banalité ? Marin ose une question : "peut-être la véritable musique est-elle liée au silence ?" réponse : non. Pascal Quignard ne prend pas la peine de développer, et il fait dire à Monsieur de Sainte Colombe, juste un "Non" et "je vous donne mon salut". Dommage ! C'est encore un beau sujet qui nous passe sous le nez ! Et puis enfin LA confidence du Maître : "Quand je tire mon archet, c'est un petit morceau de mon cœur que je déchire". Monsieur Pascal Quignard, n'auriez vous pas pu faire dire à Monsieur de Sainte Colombe des choses plus profondes, moins égocentriques, plus universelles, plus sublimes ? Le choix d'un tel personnage à ce point irascible facilitait sans doute la tâche pour seulement effleurer tous les sujets. À la fin du livre, Marin pose une série de questions déterminantes (un vrai pot pourri !) ; Marin demande si c'est la gloire ? Réponse : non. Le silence ? Non. Les musiciens rivaux ? Non. L'amour ? Non. Le regret de l'amour ? Non. L'abandon ? Non et non. On ne saura pas. Je trouve que toutes les belles questions que le livre aurait pu aborder sont traitées avec des procédés "gadget", des formules tape à l'œil. Il y a bien le style qui est simple et très agréable à lire. Mais ce livre ne m'apporte rien, ne me dit rien. C'était sans doute un bon script pour faire un bon film, lequel a fait plus de deux millions d'entrées. Je ne l'ouvre pas. Mais j'ai enfin écouté la musique de Marin Marais...
Valérie           
Je suis en total désaccord avec Olivier. "Tous les matins du monde sont sans retour". Cette phrase donne la tonalité de l'écriture de ce magnifique petit livre. Pascal Quignard est violoncelliste lui-même, celui lui confère-t-il ce pouvoir presque magique de rendre et de donner tant d'émotions à la musique ? Je le crois... "Que recherchez-vous dans la musique ? Je cherche les regrets et les pleurs." Le violoncelle ou la viole nous inspire la mélancolie, la fuite du temps. On comprend que l'épouse morte de Monsieur de Sainte Colombe lui apparaisse, jamais le fil ne s'est rompu entre eux. J'ai vu bien sûr le film magnifique qui a été tiré de ce livre avec l'interprétation époustouflante de Jean-Pierre Marielle. Alors pour nous consoler de ces temps où il est impossible d'aller écouter un bon concert, relisons Tous les matins du monde, une fois encore... J'ouvre en grand.
Nathalie B           
J'ai lu ce roman pour la première fois après avoir savouré le film, en 1991, que j'avais trouvé très beau. La musique avec la découverte de Marin Marais et l'image qui faisait référence à certains tableaux de l'époque, notamment de Georges de La Tour avec ses clairs-obscurs, m'avaient totalement séduite. J'avais beaucoup aimé le roman, ayant encore viole et images en tête. J'avais gardé en mémoire une écriture musicale, qui se voulait le reflet de celle du 17ème siècle, donc classique et pourtant bien de notre temps. J'ai trouvé le roman totalement complet et n'ai pas été gênée comme Olivier ou Séverine.
Question : 30 ans plus tard, ma lecture serait-elle la même ? Eh bien en fait oui. Je ne peux pas lire ce livre sans avoir à l'esprit images et musique de ce film que je n'ai pourtant vu qu'une fois. La lecture de cette histoire qui fait resurgir le 17e siècle, des personnages comme Marin Marais, mais aussi Jean de Sainte Colombe, célèbre compositeur du 17e siècle puis oublié, nous fait entendre une musique, pas seulement celle des musiciens que je viens de citer, mais aussi celle de Quignard. Et c'est une musique que j'aime, sobre, retenue et intense. Cette écriture précise qui nous conte, avec en toile de fond le jansénisme, une époque qui n'est plus, nous parle de musique, d'amour, d'âme, avec nostalgie. Ce récit que l'on ne peut réduire à un simple scénario m'a offert un très joli moment de lecture. Pour la deuxième fois. J'ouvre en grand.
Monique M           
"Tous les matins du monde sont sans retour", nous dit Pascal Quignard dans ce livre. Un livre entre rêve et réalité, entre la chaleur de la vie et le froid de la mort, avec la musique comme une vibration de l'âme, l'amour comme une nostalgie, un tombeau des regrets, un torrent impétueux des sens. Ce voyage à rebours, au cœur du 17e siècle est un voyage magnifique. C'est avec une grande érudition que l'auteur nous plonge dans l'époque. On y sent la force d'une nature encore vierge, la douceur ou l'âpreté des saisons, les mœurs du siècle : Monsieur de Sainte Colombe porte parfois la fraise ; on entend le grincement des essieux des carrosses, le fer des charrettes, le cliquetis des éperons sur les pavés ; on joue de la viole, du luth, de la théorbe ; les filles vont à la chapelle, nettoient les statues, ôtent les toiles d'araignées, disposent les fleurs ; leur précepteur, un janséniste, leur apprend les lettres, les chiffres, l'Histoire sainte et les rudiments de latin qui permettent de la comprendre. On évoque Lully, Couperin, Champaigne, Baugin… Le style même de Pascal Quignard, le vocabulaire, les tournures de phrases semblent être de l'époque : "Il s'était retrouvé chez lui passé minuit. Sa femme était déjà revêtue et entourée de cierges et de larmes". La passion court dans les pages de ce livre comme une exaspération des sens. Passion de la musique et passion dans le cœur des hommes. L'auteur porte un regard lucide sur l'humanité, un regard où la beauté d'une voix qui se brise l'emporte sur la virtuosité d'un jeu, où les personnages sont campés dans leur force et leur faiblesse : l'exigence et la rigueur pour Monsieur de Sainte Colombe, l'ambition de Marin Marais, la sensualité de Toinette, la constance et l'intégrité de Madeleine, avec la musique en trait d'union, qui les tient ensemble comme un envoûtement. J'aime la force et le réalisme de ces personnages, y compris les personnages annexes comme l'abbé Mathieu, valet de cour caressant sa croix de diamants… Tous sont présentés par petites touches, au cours d'un récit qui tient en haleine par son intrigue, son imaginaire et son style à la prose fluide, vivante, élégante, érudite, qui nous emporte, nous submerge, comme une vague, un océan de poésie. Dans ce récit flotte la vie et la mort. Il y a la Cour de Versailles et ses mondanités, et la vallée de la Bièvre et son austérité, sa quête d'absolu, sa créativité et son drame. C'est très bien construit, très subtil, d'une grande sobriété ; les apparitions de Madame de Sainte Colombe, comme un glissement dans l'espace, un souffle, un effleurement des sens, un regret, sont d'une grande douceur : "Donnez-moi plutôt un peu de ce vin cuit… Oh Madame, pardonnez-moi !" Superbe. Mais surtout on entend la musique, la musique comme un art sacré, une communion avec les dieux, un chemin vers l'extase. L'âme de Monsieur de Sainte Colombe s'est glissée dans sa viole, elle est son seul moyen de communication, sa vie, son destin ; la cabane où il joue en est le refuge ; la chapelle, il y compose ses plus beaux airs. "La parole ne peut jamais dire ce dont je veux parler ; voilà la cabane où je parle" dit-il. Il fallait à ce voyage imaginaire une autre époque, le 17e siècle ; un être hors du commun, Monsieur de Sainte Colombe ; un art majeur, la musique baroque ; une spiritualité, la musique encore, comme une immersion divine attirant la présence fantomatique de Madame de Sainte Colombe ; une intrigue ou s'exprime le tumulte des passions ; et surtout le talent, l'érudition, l'écriture et la créativité de Pascal Quignard pour faire de chaque chapitre de ce livre un véritable bijou et de ce récit un petit chef-d'œuvre littéraire que j'ouvre en grand.
Anne-Marie   
Je n'ai pas vu le film, et peut-être est-ce préférable pour ne garder que la littérature. Je ne suis donc pas influencée par le personnage à l'écran. En revanche, j'ai eu le tort de lire l'avis de Monique et comme je m'y attendais un peu, elle a tout dit, et magnifiquement. Que raconter après cela ? Moi aussi j'ai aimé ce livre que j'interprète comme une histoire d'amour, la musique sublimant l'amour. Sainte Colombe, cet homme terrible, entier, se consume de chagrin et la mort de sa femme l'a rendu plus misanthrope que jamais. Il déteste la cour, et tous ceux qui ont approché le roi sont atteints de la même détestation farouche et violente, car il est violent cet homme, qui sait pourtant tirer de sa viole des sons qui imitent les inflexions de la voix humaine. Il vit hors du temps et dans le souvenir de la femme aimée qu'il parvient à faire revenir le temps de quelques apparitions alors qu'il joue pour elle. Finalement, il ne vit plus que pour la musique qui envahit tout. Tout le reste est accessoire, même si l'accessoire est raconté avec talent et harmonie. J'ouvre en grand.


Le groupe de Tenerife
s'est réuni le 19 décembre 2023
Notre dernière séance s'est encore tenue en petit comité : Ana, Manuela, Lourdes, José Luis et Nieves — qui commente ainsi : on peut dire qu'on se sent très bien ensemble et on s'est bien réjoui en parlant de Tous les matins du monde qu'on a bien aimé et qui nous a fait réfléchir à propos de ce qu'on entend par créer, soit une pièce de musique, soit un tableau, soit un roman...
Pour Manuela et Ana, le fait créateur implique toujours de la souffrance, autrement le produit créé est tout simplement une exhibition de technique... et on a été tous d'accord...
Cette remarque nous a amenés à parler de ce qu'on entend par œuvre d'art.
Bref, un sujet difficile sur lequel on ne peut avoir que des impressions très floues...
José-Luis apporte son point de vue enthousiaste
Nieves
n'est pas en reste...
Manuela
non plus.

José Luis
Quelle belle nouvelle - on en peut pas dire que nous soyons là, dans ce récit d'à peine 70 pages, devant un roman - que ce petit livre ! De la pure poésie, un peu à la manière - même si, bien sûr, les thèmes et leur abordage sont très différents, mais dans les deux cas la préoccupation pour le choix des mots et le rythme de la phrase sont semblables - des Petits poèmes en prose de Baudelaire. Dès les premières lignes, on se sent immergé dans une atmosphère d'une grande sérénité, dans un poussif appel d'air embaumé de bonheur simple, sans que les événements douloureux et tragiques qui émaillent le récit et la personnalité rocheuse du protagoniste principal - de mentalité janséniste -, n'enlèvent en rien le plaisir de vivre et de jouir de ces expériences de lecture tellement merveilleuses. Contentons-nous d'un seule exemple, un peu long peut-être, mais cela vaut la peine :

Le jour où l'humeur et le temps qu'il faisait lui en laissaient le loisir, il allait à sa barque et, accroché à la rive, dans son ruisseau, il rêvait. Sa barque était vieille et prenait ce l'eau […] La barque avait l'apparence d'une grande viole que Monsieur Pardoux aurait ouverte. Il aimait le balancement que donnait l'eau, le feuillage des branches des saules qui tombait sur son visage et le silence et l'attention des pêcheurs plus loin. Il songeait à sa femme, à l'entrain qu'elle mettait en toutes choses, aux conseils avisés qu'elle lui donnait quand elle les lui demandait, à ses hanches et à son grand ventre qui lui avait donné deux filles qui étaient devenues des femmes- Il écoutait les chevesnes et les goujons s'ébattre et rompre le silence d'un coup de queue ou bien au moyen de leurs petites bouches blanches qui s'ouvraient à la surface de l'eau pour manger l'air. L'été, quand il faisait très chaud, il faisait glisser ses chausses et ôtait sa chemise et pénétrait doucement ans l'eau fraîche jusqu'au col puis, en se bouchant avec les doigts les oreilles, y ensevelissait son visage.

"Tous les matins du monde sont sans retour", lit-on au début du XXVIe chapitre. Belle déclaration de principes que, pourtant, la réalité s'échine à démentir. Pour preuve : le retour, même imaginaire ou fantasmé - à plusieurs reprises dans le récit - de la femme morte du Monsieur de Sainte Colombe ; l'insistance de celui-ci à refuser jour après jour, au jeune Martin Marais le droit de devenir son disciple ; l'entêtement de ce dernier à profiter - même en cachette, au risque de sa santé et d'endurer la colère terrible de Sainte Colombe - des enseignements du maître ; et, à la fin du récit, la réconciliation inattendue entre les deux musiciens, où les deux trouvent chacun leur compte, pouvant se considérer, l'un et l'autre, vainqueurs du long et épuisant combat. La conversation, dans les toutes dernières pages du livre, entre Monsieur de Sainte Colombe et Monsieur Marais, qui clôt cette bataille jusqu'alors sans trêve, est un morceau anthologique dans lequel le lecteur ne peut éviter de se laisser entraîner et s'émouvoir jusqu'aux larmes et, du même coup, d'avoir l'impression de comprendre, ce ne soit qu'un petit peu, le mystère de la musique qui est, en fin de compte, le thème du livre.

Nieves
Que puis-je dire de cette nouvelle ? On y trouve beaucoup de poésie, beaucoup de musique et des aspects plutôt philosophiques, comme le lien trop fort et vraiment exceptionnel de Monsieur de Sainte Colombe avec les émotions et les sonorités.
Ce récit est pour moi l'expression de ce que pour Pascal Quignard représente la musique : ce n'est pas seulement interpréter avec perfectionnement et talent une partition, il s'agit d'aller plus loin, de faire que l'instrument dégage l'âme du musicien, l'émotion ressentie au moment même de jouer. Ce n'est pas facile de décrire cette fusion d'instrument-musicien chez M. de Sainte Colombe avec la parole, mais il me semble que l'essentiel dans cette nouvelle, c'est la confrontation de deux modèles d'exécution du métier : le sien, celui du maître, qui refuse de s'exhiber dans la Cour et de recevoir les honneurs mondains, vivant reclus à la campagne avec ses deux filles et le fantôme de sa femme morte depuis 12 ans, et celui de Martin Marais, jeune musicien attiré par l'art du maître, mais que celui-ci refuse tout au long du récit jusqu'à la dernière minute où il aperçoit chez lui la capacité d'exprimer de véritables sentiments, se posant alors la possibilité de planifier sa relève.
Sa façon de s'adresser à l'élève dévoile même une certaine perversité, jusqu'au moment où il reconnaît qu'il y a quelque chose qui lui plaît chez Monsieur Marais :

Avez-vous un cœur pour sentir ? Avez-vous un cerveau pour penser ? Avez-vous idée de ce à quoi peuvent servir les sons quand il ne s'agit plus de danser ni de réjouir les oreilles du roi ?
Cependant votre voix brisée m'a ému. Je vous garde pour votre douleur, non pour votre art.

C'est donc, un récit curieux, écrit avec une grande acuité, fruit de quelqu'un qui veut nous dire comment la musique est une partie indélébile de sa vie.
Manuela
Le lecteur se sent immédiatement séduit par ce musicien misanthrope à qui rien n'importe sauf son art, ni la renommée ni l'argent ; tout le gêne. Il est béni par un don, il le sait, et ne voulant pas le gâcher, il consacre sa vie à créer de la beauté. Marin Marais, l'autre personnage important du roman, incarne, cependant, l'ambition et la persévérance, mais ne possède pas le génie de son maître.
À mon avis, le sujet principal du récit, si bien sous-jacent, est l'angoisse et la souffrance provoquées par l'acte de créer. Parfois, cette frayeur est nécessaire et constitue une valeur pour la création qui exige un travail dur et ingrat jusqu'à l'obtention du chef-d'œuvre que l'artiste poursuit. Mais la beauté, nous la trouvons dans le texte lui-même, épuré, précieux et empreint de poésie.
J'ai été particulièrement touchée par la manière dont il amène le lecteur à imaginer les natures mortes qu'il décrit si magistralement. C'est changer un art pour un autre, ou comment raconter un tableau à un aveugle.
De la même façon, j'avoue que la dernière conversation entre maître et élève m'a émue par sa profondeur, sa beauté et son lyrisme.
J'ouvre en grand.


SUR ET AUTOUR DE PASCAL QUIGNARD
Le film adapté du roman
Tous les matins du monde : fiction et réalité
Tous les matins du monde et le jansénisme
Tous les matins du monde et la peinture
Repères biographiques
Exposition sur Pascal Quignard
Quignard chez lui


Le film
d'Alain Corneau
adapté du roman
eut un grand succès
(César du meilleur film en 1992)
et contribua
à la renaissance de la musique baroque.

=> Le film à louer 3,99€ ICI sur Arte.
Un extrait
de 4 min .


Tous les matins du monde : fiction ou réalité historique ?
Le site Lettres volées fournit des documents très intéressants et notamment u
ne reconstitution chronologique : la biographie de Marin Marais par Pascal Quignard est en partie inspirée de celle d'Evrard Titon du Tillet, en partie imaginaire. D'où un savant entrelacs de données historiques et de faits inventés mais présentés comme historiques, selon l'habitude du romancier érudit. En constatant l'impossibilité chronologique de certaines rencontres et de certaines scènes, les spécialistes concluent que le but de Quignard n'est pas "de ressusciter le passé" mais que son travail consiste plutôt en "une invention du passé".
De la biographie Marin Marais à Tous les matins du monde, voici un cheminement de réécritures.

Tous les matins du monde et le jansénisme
Port-Royal et l'ambiance janséniste sont clairement évoqués.
Voir le jansénisme dans Tous les matins du monde
: rappel sur le jansénisme : le jansénisme dans le livre ; les personnages jansénistes ; et dans le film.

Tous les matins du monde et la peinture

Dans le livre

"Il posa sur le tapis bleu clair qui recouvrait la table où il dépliait son pupitre la carafe de vin garnie de paille, le verre à vin à pied qu'il remplit, un plat d'étain contenant quelques gaufrettes enroulées et il joua le Tombeau des Regrets" (Folio, p. 36)

Le dessert de gaufrettes - Nature morte à l'échiquier  
Lubin Baugin (v. 1631), Musée du Louvre

"Le peintre était occupé à peindre une table : un verre à moitié plein de vin rouge, un luth couché, un cahier de musique, une bourse de velours noir, des cartes à jouer dont la première était un valet de trèfle, un échiquier sur lequel étaient disposés un vase avec trois œillets et un miroir octogonal contre le mur de l'atelier" (p. 60)

Dans le film
Le site Lettres volées
repère l'inspiration picturale dans le film, avec la comparaison entre des tableaux et des plans du film
et en particulier Le Dessert aux gaufrettes et la Nature morte à l'échiquier.

Le tableau des gaufrettes
Dans le cadre du Printemps du baroque à l’auditorium du Louvre, Sophie Nauleau, écrivain et productrice radio, explore en une heure le rôle de la nature morte Le dessert de gaufrettes dans le roman de Pascal Quignard et dans le film d'Alain Corneau (titre d'ailleurs discutable sur lequel elle revient...).
Peinture, littérature et cinéma sont ainsi convoqués : quelle influence un tableau de musée peut bien avoir, à des siècles de distance, sur l'imagination d'un romancier ? Comment un cinéaste, donnant vie à l'inanimé, parvient à en faire le décor d'une résurrection ?
Par ailleurs, docteure en littérature française et diplômée de l'École du Louvre, Sophie Nauleau est l'auteure d'un récit La main d'oublies (Galilée, 2007) inspiré justement par Le Dessert de gaufrettes de Lubin Baugin.
À ne pas manquer, donc, une vidéo passionnante à partir de Tous les matins du monde, dont des extraits sont lus par Jacques Bonnafé (3 min au début) et les "clés" du tableau révélées par Sophie Nauleau : "Lubin Baugin l’oublieux" est un véritable spectacle dans la série "L'Œuvre en scène" au Louvre, le 17 février 2010, à voir ICI (56 min).

Repères biographiques
Les parents de Pascal Quignard étaient tous deux professeurs de lettres classiques. "Ces grands connaisseurs de la langue vous piétinaient à la moindre faute". Quant au goût pour le latin et le grec, il lui vient des jeux étymologiques qu'affectionnait sa mère. "Il n'y avait pas un repas qui ne soit interrompu par des recherches dans les dictionnaires. C'était à la fois fascinant et un peu effrayant de voir les lèvres de ma mère prononcer des mots cabalistiques, des dérivations dépourvues de sens pour un enfant." (suite de la chronologie de Pascal Quignard
ICI).

À l'occasion de l'exposition à la BNF "Pascal Quignard Fragments d'une écriture" du 30 septembre au 29 novembre 2020, la BNF a produit une brochure très complète présentant des repères biographiques, une bibliographie structurée et des ressources diverses, dont des émissions de radio :

Concernant l'exposition, voici
ICI certains des documents exposés.

Visite chez Pascal Quignard (dans le 19e arrondissement à Paris) : Lire magazine littéraire, octobre 2020.


Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :
                                        
à la folie
grand ouvert
beaucoup
¾ ouvert
moyennement
à moitié
un peu
ouvert ¼
pas du tout
fermé !

 

 

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