Quatrième de couverture : En 1872, dans une lettre à son amie Mme Roger des Genettes, Flaubert ne cachait pas ses intentions de nuire : "je médite une chose où j'exhalerai ma colère. Oui, je me débarrasserai enfin de ce qui m'étouffe. Je vomirai sur mes contemporains le dégoût qu'ils m'inspirent, dussé-je m'en casser la poitrine ; ce sera large et violent." Ce fut le roman des deux bonshommes : deux greffiers s'installent à la campagne pour se consacrer au savoir dont ils explorent tous les domaines. Puis le dégoût les saisit et ils reviennent à leur occupation première : copier. Interrompu par la mort de Flaubert en 1880, Bouvard et Péruchet est le livre de toutes les vengeances, croisade encyclopédique contre la bêtise universelle, fable philosophique à la fois comique et "d'un sérieux effrayant", la plus radicale peut-être et la plus impitoyable de toutes ses oeuvres. Mais le roman contient un secret : la formule d'une métamorphose qui convertit la bêtise en lucidité et l'assujettissement en libération. Édition précédente
Le
Livre de poche, 1999, 474 p. :
Quatrième de couverture : Ultime roman de Flaubert, spirale encyclopédique et farcesque restée inachevée, Bouvard et Pécuchet est avant tout une histoire universelle de la bêtise. "Ça, ce sera le livre des vengeances !" aurait un jour affirmé lauteur, selon son ami Maxime Du Camp. Définition qui pourrait tout aussi bien sappliquer au singulier Dictionnaire des idées reçues, fragment du second volume projeté pour Bouvard et Pécuchet, et où sexprime, de manière plus drôle et fulgurante que jamais, la rage de Flaubert contre les préjugés et les lieux communs de son temps.
Quatrième de couverture :
Comme dhabitude, tout commence par un chapeau. Dans celui de Bouvard,
il est inscrit "Bouvard". Dans la casquette de Pécuchet :
"Pécuchet". Deux petits employés parisiens qui
ne se connaissent pas et ont choisi par hasard, pour sasseoir, le
même banc.
Quatrième de couverture : Roman inachevé, publié à titre posthume, Bouvard et Pécuchet soffre à travers les siècles comme une énigme littéraire. Mais il est surtout le témoignage dun écrivain arrivé à maturité, qui obéit à la plus grande des ambitions : bâtir une encyclopédie de la bêtise humaine.
Quatrième de couverture :
Après une vie bien vécue, deux amis lun veuf,
lautre célibataire décident doccuper
ensemble leur solitude : ils se retirent à la campagne pour se
consacrer à la quête du savoir. Agriculture, littérature,
politique ou philosophie : aucune discipline néchappe à
leur curiosité naïve et à leurs
expériences malheureuses. De ratage en recommencement, les deux
compères sattaquent à tous les domaines de la connaissance,
en étalant une réjouissante sottise. |
|
Nos
22 cotes d'amour pour Bouvard et Pécuchet
|
Pas
relu : Brigitte L Denis |
"Ce
livre, complètement fait, et arrangé de telle
manière
que le lecteur ne sache pas si on se fout de lui, oui ou non, ce serait peut-être une uvre étrange et capable de réussir, car elle serait toute d'actualité." (Lettre de Flaubert à Louis Bouilhet, Damas, 4 septembre 1850) Le texte est en ligne ICI. |
Nombreuses éditions disponibles : Le Livre de poche édition anniversaire, 2021 - Pocket, 2019 - Classiques Garnier, 2018 - GF, 2011 - Le Livre de poche, 1999 - Folio classique, 1999 - Pléiade tome II, 1936 (voir la cinquantaine d'éditions sur le site de la BNF) Nous avons lu
ce livre dans le groupe il y a 25 ans en
1996. Nous avons failli le relire en
2016, il fut programmé puis déprogrammé...
Certains d'entre nous aurons visionné le film Bouvard et Pécuchet de Jean-Daniel Verhaeghe (scénario de Jean-Claude Carrière, musique de Michel Portal, avec Jean-Pierre Marielle et Jean Carmet dans le rôle de Bouvard et Pécuchet). On peut le visionner ici en entier. Pour les amateurs
de feuilleton radiophonique
: |
Brigitte
(absente, mais plongée dans Flaubert)
J'avais lu Bouvard et Pécuchet, la fois où nous l'avions
programmé, puis déprogrammé. J'ai un peu oublié
ce que j'en avais pensé, mais je n'ai pas le courage de relire
le livre, bien que j'apprécie beaucoup Flaubert.
J'en profite pour transmettre au groupe ce superbe passage de Madame
Bovary : "Nous
étions à l'étude, quand le Proviseur entra, suivi
d'un nouveau habillé en bourgeois et d'un garçon de classe
qui portait un grand pupitre. Ceux qui dormaient se réveillèrent,
et... Lire la suite ici.
Je ne résiste pas à l'idée de vous transmettre cette
évocation d'un autre groupe de lecture, essentiellement masculin
celui-là... : "Je voudrais donner ici une physionomie de
ces réunions du dimanche. Mais cest bien difficile, car on
y parlait souvent une langue grasse, condamnée en France depuis
le seizième siècle. Flaubert, qui portait lhiver une
calotte et une douillette de curé, sétait fait faire
pour lété une vaste culotte rayée blanche et
rouge et une sorte de tunique, qui lui donnait un faux air de Turc en
négligé. Cétait pour être à son
aise, disait-il ; jincline à croire quil y avait
aussi là un reste des anciennes modes romantiques, car je lai
connu avec des pantalons à grands carreaux, des redingotes plissées
à la taille, et le chapeau aux larges ailes crânement posé
sur loreille. Quand des dames se présentaient le dimanche,
ce qui était rare, et quelles le trouvaient en Turc, elles
restaient assez effrayées." Lire
la suite ici.
Denis
Débordé, je n'ai même pas eu le loisir (ou le courage
?) de rouvrir Bouvard et Pécuchet, que j'ai lu il y a fort
longtemps et que je n'avais pas vraiment aimé. Disons que je n'en
ai pas un bon souvenir et que je ne m'explique pas que certains puissent
en faire "le chef-d'uvre" de Flaubert. J'espère
que les avis du groupe éclaireront ma lanterne.
Les 11 cotes
d'amour de l'ancien groupe parisien
|
Monique
L
J'ai plusieurs fois essayé de lire ce livre mais je n'ai réussi
qu'à en faire une lecture incomplète.
Le début est intéressant (comique, plein d'ironie) mais
la répétition de l'enthousiasme pour une nouvelle discipline,
la liste des ouvrages consultés, les incohérences que l'on
y trouvent, les essais de mise en uvre, puis l'abandon pour passer
à autre chose, m'ennuient par la répétition du même
schéma. Le comique de répétition ne fonctionne pas.
L'idée pourrait être intéressante. On y trouve un
catalogue d'ouvrages et de citations du temps de Flaubert. Il m'est difficile
de lire ce genre d'ouvrage d'une traite (comme je ne lirai pas une encyclopédie).
Flaubert critique les théories en vogue à son époque.
L'idée est pertinente. J'apprécie parfois l'humour décalé
du récit. Les caricatures ont quelque chose de drôle. J'ai
plus apprécié les critiques de l'esprit provincial, des
préjugés, des rivalités de clocher, des traditions
ancestrales etc., que celles des théories.
Chaque fois, je me suis ennuyée en lisant ce livre. Même
une lecture à trous n'a pas été possible. J'ai jeté
un coup d'il à la fin mais sans plaisir.
J'ai essayé d'en lire des critiques, mais aucune ne m'a convaincue
de reprendre ma lecture, même si de grands écrivains ont
aimé.
J'attends avec impatience de lire les échanges du groupe pour des
avis plus positifs. J'ouvre à ¼.
Le film ne m'a pas plus convaincue. C'est vraiment la même chose,
il finit par lasser.
Etienne, titrant son avis transmis
"Et Flaubert chu"
Tout est dans le titre. Et aussi au numéro de page depuis laquelle
je vous communique mon avis : 171. 171 pages d'ennui mortel. Pardon,
je sauve les 48 premières de préface.
Mais quel pensum ! À quoi bon continuer au-delà de ces 171
pages puisque c'est toujours le même procédé. Une
petite nouvelle aurait largement suffi. Quel dommage que le talent de
Flaubert se soit flétri à ce point sur la fin de sa vie :
obsédé par son idée et de nous la démontrer
pour être sûr que, oui c'est bon hein ?, nous avons bien
compris. Si Flaubert se sent agressé par la bêtise eh bien
je me suis senti agressé par ce livre. Donc on a compris, vite
bâclons la narration (qui croit à un moment que ce qu'il
raconte est plausible, de la rencontre des deux compères à
la moindre de leur péripétie : rien ne l'est) et passons
vite à l'idée principale : l'esprit humain est trop
étriqué et prétentieux pour comprendre la moindre
parcelle du monde, toute tentative est vouée à l'échec.
Si au moins c'était amené subtilement, mais le procédé
répétitif est d'une lourdeur à faire honte à
un lycéen. À peine un demi-sourire qui m'est arraché
à la lecture de quelques scènes cocasses (la réputation
du livre doit plutôt venir du "Dictionnaire des idées
reçues"). Non, décidemment, cet anarchisme mondain,
installé bien confortablement, m'a embarrassé.
C'est évidemment bien écrit : justesse des détails,
on apprend un nouveau mot par page, mais tout cela est anecdotique.
Je ne renie pas mon admiration pour Flaubert (Madame Bovary a longtemps
été un de mes livres préférés et j'ai
lu avec plaisir L'Éducation sentimentale) mais Bouvard
et Pécuchet est, pour moi, un mauvais livre dont la réputation
est surfaite. D'ailleurs ces deux livres contiennent déjà
en creux tout ce qu'il essaye d'accoucher de nouveau, mais ici cela sent
le formol.
Fermé !
Avec notre nouvelle triple formule
inaugurée en septembre 2021, après avoir lu à haute
voix les réactions ci-dessus écrites transmises, notre tour
de table alterne entre les bouvards physiquement présents et les
pécuchets simultanément à l'écran...
Rozenn à l'écran
Quand je le lis, ça me plaît beaucoup. J'aime leur élan
pour connaître, je me sens aussi prête à me passionner
pour tout.
Cette lecture m'interroge sur ma façon de lire : Bouvard et
Pécuchet est impossible à lire sur la Kindle où
ça passe pour des histoires fluides, qui coulent. Mais je m'intéresse
aujourd'hui aux livres qui résistent un peu.
J'aime les personnages, même si c'est répétitif. J'ai
envie de lire, mais par petits bouts, pour ne pas gâcher le plaisir.
Flaubert se moque de tous, j'adore. Et également ce travail fou
de documentation. J'ai commencé Le
mode avion dont tu avais
parlé Claire, mais je n'ai pas le même plaisir à le
lire. Pour Bouvard et Pécuchet, je crois que cela ne peut
se lire que par petits morceaux - et pour moi c'est une qualité.
Je trouve les personnages délicieusement frais et jeunes. J'adore
les autodidactes. J'ouvre 3/4 + 1/2.
Françoise
Ça fait 7/8...
Rozenn
Mais cela ne se compte pas comme ça
Je suis en train de changer d'avis sur Flaubert en passant outre mes souvenirs
scolaires. Et j'adore le film.
Françoise D
Je ne suis pas d'accord avec Etienne quand il dit que cela aurait pu être
une nouvelle. Le projet de Flaubert était d'écrire une encyclopédie-farce
à base de toutes les découvertes et inventions de son époque.
Le projet est intéressant et respectable mais énorme et
pour le lecteur, le résultat est un peu pénible, c'est long
et répétitif. Il y a également une satire de l'époque
et le format d'une nouvelle n'aurait pas été possible. Malgré
l'humour et la critique sous-jacente de cette société, j'ai
été découragée avant la fin. J'ouvre à
moitié et idem pour le film. C'est dommage car c'était le
dernier projet de sa vie. J'ai beaucoup aimé le début, notamment
la rencontre. Je comprends le projet, mais hélas l'ennui l'emporte.
Catherine à l'écran
Je suis proche de l'opinion de Rozenn. J'ai beaucoup aimé ce livre
au projet complètement fou. On est un peu enseveli (murmures
d'acquiescement concernant ce terme bien choisi). J'ai
trouvé cela drôle du début à la fin, malgré
le côté répétitif. Les personnages évoluent
au fil du livre et adoptent un sens critique, ils deviennent moins bêtes
que leur entourage. La peinture sociale est assez noire. Leur exercice
de la médecine est drôle. La partie sur la religion assez
longue. J'ai beaucoup aimé le début, et la fin est bien
trouvée.
Que seraient-il devenus à notre époque, à l'heure
d'Internet ?
On le lit assez facilement, grâce au style de Flaubert. J'ouvre
aux ¾.
Renée
depuis Narbonne
Je l'avais lu en 1980. Je les avais trouvés nigauds au début,
les expériences sur les animaux sont horribles, puis m'étais
attachée à ces personnages. En relisant le livre, j'ai eu
la même impression. Je pense que Flaubert s'est pris au jeu. Il
avait l'intention de les laisser stupides, mais peu à peu il les
fait avancer.
Ainsi quand ils lisent des "romans
d'aventures ; l'intrigue les intéressait d'autant plus qu'elle
était enchevêtrée, extraordinaire et impossible. Ils
s'évertuaient à prévoir les dénouements, devinrent
là-dessus très forts, et se lassèrent d'une amusette,
indigne d'esprits sérieux." Concernant Pécuchet
: "Son besoin de vérité
devenait une soif ardente".
Ils sont attachants, ils ont du cur. Pour dire la vérité
je me suis un peu reconnue dans cette envie brouillonne de tout savoir.
À la lecture, j'ai oublié tous les défauts. Le pari
est réussi, même s'il n'a pas pu le finir car c'était
trop ambitieux. J'ouvre en grand.
Annick Lavec
deux éditions surprenantes par rapport à nos livres de poche
Je l'avais lu dans les années 70. Je me souviens de ma stupeur,
je n'avais jamais rien eu de tel ! Le projet est fou.
Je l'ai relu en entier, c'est lassant si on le lit du début à
la fin. En prenant le temps de le déguster, j'ai beaucoup apprécié.
Je ne trouve pas les personnages très sympathiques, ils veulent
faire étalage de leurs savoirs ; mais je les trouve attachants
par leur projet et leur démarche. Ce que j'adore à la relecture,
c'est l'ironie de Flaubert. Il se moque beaucoup d'eux, y compris par
leur description physique. Il se moque aussi de la société
de son époque, autant des prolos que des bourgeois. On traverse
l'époque, je ne m'en rappelais pas. Cette dimension a redonné
de l'intérêt à ma lecture.
On ne peut pas savoir ce qu'il en aurait fait s'il avait pu l'achever.
Le projet est original, la réalisation me semble assez réussie.
J'aime beaucoup la fin. Flaubert a une vision de l'humanité pessimiste,
pas un seul personnage n'en réchappe. J'ai cependant préféré
les lectures de ses romans. J'ouvre aux ¾.
Jacqueline
Il y a quelques
années, j'avais fortement appuyé la programmation
de Bouvard et Pécuchet, seul roman de Flaubert qui m'était
inconnu
Pourtant, peut-être influencée par l'avis défavorable
de celles qui le connaissaient, je n'avais
pas alors beaucoup apprécié une lecture qui m'avait parue
laborieuse. Parallèlement, la mise en scène qu'en faisait
Jérôme
Deschamps m'avait beaucoup plu et ce qu'il disait de Flaubert m'influence
encore
Je n'aurai pas soutenu cette nouvelle reprogrammation, mais le plaisir
que j'ai trouvé à le relire a été une très
belle surprise.
J'ai
aimé le portrait physique de Bouvard : la description impitoyable
du pantalon qui gode et de la bedaine est un peu plus loin tempérée
par "et ses cheveux
blonds frisés d'eux-mêmes en boucles légères"
j'ai pensé au beau portrait de Flaubert jeune vu à Rouen.
De là à m'imaginer que Pécuchet pourrait ressembler
à Bouilhet, l'ami de jeunesse auquel Flaubert sera toujours fidèle
Malheureusement, je n'ai trouvé qu'un portrait tardif chauve, pas
très longiligne mais bien brun !
J'ai aimé la liste des objets du déménagement, témoins
de la vie étriquée des deux héros mais aussi d'une
époque : le caléfacteur, sans doute une variété
de "calorifère", la chancelière de bureau avec
laquelle Pécuchet voyage : plaisir de mots oubliés,
mais aussi de trouver de retrouver des usages qui avec le chauffage central
ont également disparu (comme aussi la flanelle inutile de Pécuchet
qui accompagne les débuts de leur amitié !)
N'ayant pas tout de suite retrouvé mon exemplaire, très
sobre quant au texte, mais très riche en appendices intéressants,
j'ai emprunté et lu en parallèle une autre édition
beaucoup plus scolaire où les notes expliquaient à chaque
page qui était quoi. Cela pouvait être utile : j'ai
appris qu'un vigneau était une espèce de verger normand
et une masure un poulailler, mais les notes négligent ce qu'est
exactement une "valleuse" mot que je soupçonne local
puisque Flaubert lui met des guillemets, mais n'empêche pas la compréhension.
J'ai pu à l'aide de ces notes, apprécier le méli-mélo
livresque auquel ont à faire nos héros. Mais la plupart
du temps, dans leur souci de simplicité, ces notes explicatives
avaient un fort relent d'idées reçues
J'ai été extrêmement surprise de tout ce qui m'a fait
rire d'un bout à l'autre de ce livre. Non pas dans la répétition
des échecs successifs des pitoyables héros, mais plutôt
dans l'incongru de leurs propos, dans le regard qu'ils portent sur leur
entourage au moins aussi borné qu'eux, sinon encore plus...
Au fond, je suis attendrie par la gratuité de leur sottise, en
les voyant au fil du récit, abandonner la recherche d'un vain profit
pour une fuite en avant qui les pousse à aborder un nouveau pan
de la culture qui compenserait leur échec
Je me reconnais tellement dans ces malheureux Bouvard et Pécuchet !
A travers eux, Flaubert épingle mes propres limites, ma prétention
à porter un jugement sur des uvres littéraires ou,
dans un domaine plus scientifique, à vouloir comprendre quelque
chose à la physique "moderne"... avec tous les aspects
féeriques de connaissances auxquelles je ne comprends pas grand
chose (la mécanique quantique, les trous noirs, les quarks, le
chat
de Schrödinger, l'expansion de l'univers...). Je dois alors m'en
remettre à des vulgarisations forcément réductrices
pendant que des promoteurs de sectes, par intérêt plus ou
moins personnel, prétendent à la fois s'appuyer sur ces
nouvelles idées scientifiques et mettre en doute les savoirs réels,
pour promouvoir leur fantaisies au nom de la relativité du savoir
J'ai souri d'ailleurs de rencontrer au chapitre 8 Allan
Kardec qui est encore lu et publié aujourd'hui... Je pourrais
aussi faire des parallèles avec les innombrables livres sur le
cancer ou avec les avatars de la lutte contre le covid
.
Dans mon exemplaire du livre, figure l'obscure petite nouvelle "Les
deux greffiers" de Maurice Barthélemy, parue en 1841 : elle
a donné à Flaubert l'idée de Bouvard et Pécuchet.
Voilà un auteur inconnu et le Dictionnaire des idées
reçues pourrait y ajouter sans ironie "illustre",
puisque Folio
le publie de nouveau plus d'un siècle et demi plus tard !
Flaubert pense à son projet pendant des années et va réunir
une documentation encyclopédique au hasard des publications de
son temps
Sa mort ajoute au caractère obscur de ce travail
en le laissant inachevé et inachevable, même s'il semble
que les chapitres rédigés avaient bien atteint leur forme
définitive
Il me semblait que Monsieur Homais (malgré la réussite de
son intégration sociale !) était un premier prototype
de Bouvard et Pécuchet ; j'ai voulu vérifier plus précisément
et me suis replongé dans Madame Bovary. Cette relecture
m'en a fait apparaître la férocité
Alors, malgré mon très grand intérêt, je n'ouvrirai
Bouvard et Pécuchet qu'au trois quarts parce que je préfère
la forme romanesque et achevée de Madame Bovary. J'ai envie
de lire ou relire les versions successives de L'Éducation sentimentale...
Fanny
Je l'ai commencé il y a une semaine, il me reste 100 pages. J'ai
parfois eu un peu de mal. Quand je suis dedans, j'aime bien la patte de
Flaubert, même si ce n'est pas fluide comme les romans.
Et quelle érudition d'alors ! Je me suis fait l'effet d'une
paresseuse en le parcourant assez rapidement, consciente qu'il faudrait
lire chacune des notes, revoir les événements politiques
et préciser les mots inconnus (j'ai appris par exemple que je n'utilisais
pas dans le bon sens le mot chafouin). Il me faudrait le temps
pour éviter ma lecture paresseuse.
J'aime beaucoup le début. J'ai ressenti une sympathie dès
le début. Ces gros nigauds après deviennent des personnages
pas bêtes du tout. Il y a un regard terrible sur le rapport au vote
du peuple.
J'ai lu un certain nombre de Flaubert mais pas celui-là et je vais
aller jusqu'au bout.
Pourquoi l'a-t-on reprogrammé ?
Claire
À l'occasion de notre visite flaubertienne à Rouen où
on avait lu Flaubert
de Marie-Hélène Lafon qui avait fait un gros flop, décision
a été prise de revenir à Flaubert lui-même...
Fanny
Ah oui, j'ai été en colère à la lecture du
livre de Lafon.
J'ouvre à moitié en raison du côté poussif
de la lecture.
Claire
J'avais largement entrepris la lecture du livre que nous avons déprogrammé
en 2016. J'étais ravie qu'on le déprogramme, car autant
j'ai eu de la sympathie pour les deux compères, autant
l'ambition (la leur ou celle du livre ?) force l'admiration, autant
je me suis lassée (je peux dire trois fois autant ?),
je me suis carrément fait ch... devant ce qui devenait un pensum,
celui qu'ils se donnent, celui qu'ils me donnent, en me disant : livre
inachevé... livre inachevé... et donc... imparfait, il manque
tout le toilettage à l'intention du lecteur. J'ai relu ma réaction
20 ans plus tôt, plus positive, évoquant un livre extraordinaire
qui suscite l'ennui... Je n'ai eu aucune envie de m'y replonger une troisième
fois.
Je remarque que Flaubert nous a préparés dans sa correspondance
des formulations pour le rejeter :
- "Mon
bouquin me semble de plus en plus difficile. Sera-t-il seulement lisible ?"
(Flaubert
à Zola)
- "Quant à espérer me faire lire du public, avec
une uvre comme celle-là ce serait de la folie."
(Flaubert
à Maupassant)
- "Mon but (secret) : ahurir tellement le lecteur qu'il en devienne
fou. Mais mon but ne sera pas atteint, par la raison que le lecteur ne
me lira pas. Il se sera endormi dès le commencement."
(Flaubert
à Léonie Brainne)
Quitte à ne pas lire Bouvard et Pécuchet, j'ai lu
ses cousins, feuilletant largement en bibliothèque quatre livres
que je présente
ici (avec des extraits pour qui serait intéressé.e)
et qui sont des variations très différentes :
-
Brewsie & Willie de Gertrude Stein (1946) : tous deux reviennent
de la guerre dont on sort.
- Le retour de Bouvard et Pécuchet de Frédéric
Berthet (1996) : les mêmes, dans les années 90.
- La sexualité normande comme ma poche : récit à
caractère provincial et pornographique de Jean-Yves Cendrey
(2018) où la lecture de Bouvard et Pécuchet, contre
toute attente, fait bander le personnage.
- Le
mode avion de Laurent Nunez (2021) : Bouvard et Pécuchet, linguistes
aujourd'hui.
Alors qu'ils
sont tous quatre bien différents, avec une situation de départ
susceptible d'être affriolante, c'est comme l'original, il n'y en
a pas eu un pour me faire échapper à l'ennui.
J'avais également vu l'adaptation que Jérôme Deschamps
en a faite à la scène en
2018, jouée par Jérôme Deschamps et Micha Lescot,
et je n'ai pas été emballée - un comble !
Le film Bouvard
et Pécuchet ?
Très bons acteurs, adaptation fidèle et donc ? => ennui...
J'ai souri un instant grâce
à Jacques Jouet qui glose
avec esprit (oulipien) sur l'incipit célèbre "Comme
il faisait une chaleur de trente-trois degrés, le boulevard Bourdon
se trouvait absolument désert."
et les faux 16 états du manuscrit qu'il nous découvre...
Du coup, j'ai trouvé cette photo
du vrai manuscrit du début de Bouvard et Pécuchet
sur le site extraordinaire créé par THE spécialiste
Yvan
Leclerc.
Laura
Je n'ai pas fini. Je n'ai pas aimé. Je l'ai lu par petits bouts
dans le métro et le soir, ce qui m'endormait. Je ne suis pas motivée
pour le terminer. Je n'ai pas accroché aux personnages qui ne me
sont pas sympathiques. Rien ne correspond à ce que je suis. Et
je ne trouve pas ça vraisemblable. Quant à l'écriture,
bof. J'ai été réveillée quand il y a des tensions
avec l'histoire d'amour, puis cela est retombé. Dans certaines
descriptions, j'ai pensé au musée médiéval
d'À
rebours mais Huysmans, c'est beaucoup mieux.
Annick
Mais dans Huysmans, il n'y a pas d'humour.
Laura
Mais c'est mieux, même sans humour. Dans À rebours,
on apprend des choses. J'ai eu l'impression de perdre mon temps. J'ai
bien aimé l'épisode sur le magnétisme.
Je n'ai pas détesté, je ne ressens rien : j'ouvre ¼.
(Pour ne pas rester sur une note négative, est lu à haute voix l'avis enthousiaste de José Luis du groupe de Tenerife.)
Françoise
H
Roman très plaisant. Il s'agit de la seconde lecture.
Je me suis retrouvée comme dans un miroir car je travaille aussi
beaucoup.
On observe une avalanche d'échecs avec rebonds sur la vie. Contre-intuitif.
Cela évoque un écho à rebours ; à la fois
dans la vie et dans la superficialité.
Les personnages manifestent joie et optimisme et représentent l'esprit
du XVIIe siècle avec une science qui répond à tout.
Tous les échecs peuvent se produire, mais ils n'abandonnent pas.
Ils sont très guidés par leur optimisme. Ce roman critique
les idées des hommes du XVIIe siècle qui pensaient que le
progrès guérirait tout.
Ils sont beaucoup dans les livres, les connaissances, la vie ; en
connexion avec la vie, le cérébral donc l'échec.
Ils ont beaucoup d'idées ce qui amène à beaucoup
rire et pleurer. Les personnages forment une sorte de couple. Il existe
une complémentarité, une forme de coup de foudre avec l'ablation
de la parole.
Ana-Cristina
J'ai aimé ce roman ingrat. Bouvard et Pécuchet ne sont pas
réductibles à leur bêtise. Ils sont aussi naïfs.
Et surtout ce sont deux rêveurs. C'est Flaubert lui-même qui
les installe sous les étoiles, certes, avec une distance ironique,
mais les faire dormir sous les étoiles, à la toute fin du
chapitre I, juste avant de les projeter dans leurs échecs à
répétition, de leur faire expérimenter leur ignorance,
je ne peux pas croire que ce soit pur hasard ou excès d'imagination
de ma part : "Déshabillés
et dans leur lit, ils bavardèrent quelque temps, puis s'endormirent.
Bouvard sur le dos, la bouche ouverte, tête nue ; Pécuchet
sur le flanc droit, les genoux au ventre, affublé d'un bonnet de
coton, et tous les deux ronflaient sous le clair de lune qui entrait par
les fenêtres". Une féerie. Et qui dit "féerie"
dit enfance. D'ailleurs ce passage me fait penser à la description
d'une illustration d'un livre pour enfants.
J'éprouve de la tendresse pour ces personnages parce que leur amitié
et leur naïveté enfantines contrebalancent leur bêtise.
J'aime beaucoup leur optimisme, je le leur envie : "Après
le dégel, tous les artichauts étaient perdus. Les choux
le consolèrent. Un, surtout, lui donna des espérances. Il
sépanouissait, montait, finit par être prodigieux et
absolument incomestible. Nimporte, Pécuchet fut content de
posséder un monstre."
Flaubert est très fort. Il fait de Bouvard et Pécuchet des
révélateurs de l'étroitesse d'esprit des bourgeois
de leur (son) époque. Il suffit de penser au dîner organisé
par les deux compagnons ou à la visite organisée dans leur
musée. De nombreuses autres scènes sont amusantes. J'ai
eu beaucoup de plaisir à les lire.
Toutefois, j'ai parfois dû traverser quelques petits tunnels. Parfois
je ne comprenais rien, apercevant bien l'ironie de Flaubert, le décalage
entre les connaissances et leurs utilisations, mais
je ne savais
pas de quoi ils parlaient à tort et à travers, donc comment
juger de leur bêtise
? Ce roman me plaçait face à
ma propre ignorance.
Enfin, leur poursuite vaine d'UNE vérité me rappelle que
la vérité n'existe pas ; elle nous échappe :
du sable entre les doigts
Et que nous commençons à
savoir quand nous comprenons que nous ne savons rien. Et là je
souris de moi-même car n'est-ce pas deux belles idées reçues
?
J'ouvre aux ¾ (à cause des petits tunnels).
Medhi
Indépendamment de la forme, on comprend bien le livre.
Le contenu est composé de beaucoup de détails. Il s'agit
d'une métaphore du temps qui passe ou comment occuper son temps ?
Ils ne voient de leurs expériences que la conséquence et
non le détail.
L'amour est le seul domaine pour lequel ils ne se renseignent pas. Ils
ne regardent pas les livres, mais ils échouent quand même.
On s'attend à un revirement, mais non.
J'ai beaucoup aimé, avec une compréhension incertaine de
la fin. On peut également dire qu'il y a beaucoup de Flaubert dans
les deux personnages. On retrouve un panel des connaissances de l'époque,
avec légèreté et de nombreuses recherches selon les
domaines.
François
Si on commence par la fin, ils redeviennent copistes. Ils restent dans
un même système circulaire avec redondances des échecs.
Leur rencontre sur le boulevard est dépeinte comme une rencontre
de midinette. L'ironie féroce en parallèle d'une grande
tristesse.
Ce roman a coûté à Flaubert beaucoup de recherches,
mais également sa santé. Il s'est lancé dans les
encyclopédies pendant plusieurs années.
Et finalement, on se pose la question : mais qu'est-ce qui leur manque
? L'affect. Ils n'ont que très peu de recul. Ils enchaînent
les expériences. La scène du lit fait écho à
une sorte de Don Quichotte du quotidien. Flaubert fait partager son aventure
démentielle avec toutes les recherches et ses milliers d'ouvrages.
Ce n'est pas quelque chose de gratuit : c'est absurde et très humain
comme histoire.
En première lecture, j'avais beaucoup rigolé. Lors de la
deuxième lecture, on se rend compte que la bêtise, on la
partage tous. Ces deux cloportes poussent le bouchon très loin.
La recherche n'est pas absurde, mais il manque quoi finalement ?
Il existe une naïveté fondamentale, un manque de méthode,
ils ne se fixent pas sur un sujet, ils manquent d'attention. Leur immaturité
en fait un livre extraordinaire. Il existe également une certaine
poésie à travers le désenchantement. Flaubert montre
que tous les autres sont des imbéciles. Copistes, ils passent leur
temps à copier. Cela fait un parallèle avec le livre L'idiot
de la famille de Sartre où il fait une crise d'épilepsie
à Pont-l'Evêque.
Ce roman ne se lit pas facilement, mais il y a un intérêt
à y aller piocher des extraits lorsqu'on est morose. Concernant
le passage sur les enfants, cela rappelle les enfants sauvages. Flaubert
remet en cause la science. Les personnages lisent les livres mais ne comprennent
probablement pas. Sur la bêtise, cela fait écho à
Madame Bovary.
L'écrit est à la fois une beauté grammaticale mais
aussi une langue musicale.
Anne
Pas d'accord avec la définition de la bêtise. Bouvard et
Pécuchet sont jumeaux en miroir. Il existe une entente avec rebondissements.
La thématique est celle de l'enfance. Ce sont des hommes qui représentent
les fonctionnements ludiques de l'enfance, avec une part onirique. En
effet, les rêves ratent très souvent, on passe d'une chose
à une autre.
Ce sont des enfants qui sont dans la recherche : des théories
à l'infini. Si on arrive à représenter un personnage
et la société : d'un côté il y a des morts,
de l'autre côté des enfants. "J'aime
le fromage et la confiture."
Fascination pour les mathématiques qui comprennent le monde, l'univers
et qui l'absorbent et qu'on ne comprend jamais. Flaubert est intensément
affectif, avec une dent acérée contre les imbéciles :
les curés par exemple. Il est extrêmement humain. Il comprend
le fond de l'humanité. Il expose dans le roman le psychodrame de
Bouvard et Pécuchet vs la bourgeoisie.
Le roman est à la fois dramatique et comique. La vérité
est l'énoncé de la bêtise semble partout. C'est décrit
avec une finesse importante. Le mot bêtise semble réducteur
et finalement la rencontre des personnages est un coup de foudre qui roule.
Laure
Les personnages sont rigolos. Fait écho à La
montagne magique avec le déballage des connaissances. Où
est l'intérêt ? Ils savent tout mais ne savent rien.
La naïveté des personnages est surprenante. D'une certaine
manière, c'est une métaphore du temps qui passe. Ils copient
et ne font rien d'innovant. Ils vivent les expériences et ne font
que copier.
Ils n'arrivent jamais à rien, je reste un peu sur ma faim.
Nathalie B
Au départ, je n'aimais pas Flaubert ; je n'ai pas aimé Madame
Bovary, j'ai détesté L'Éducation sentimentale.
La révélation s'est faite par le biais de Salammbô,
un vrai choc littéraire qui m'a permis de comprendre Flaubert.
L'écriture y est flamboyante.
Dans Bouvard et Pécuchet, on retrouve un autre style, une
différence totale.
J'ai bien aimé ces personnages, j'aime leur enthousiasme, leur
dynamisme, leur avidité de connaissances. Ils aiment chercher et
comprendre. Comme Flaubert qui faisait des tonnes de recherches pour ses
romans. Sur la bêtise, Flaubert décrit la sienne, celle de
chacun d'entre nous, celle des idées reçues, des idées
toutes faites. Il décrit Bouvard et Pécuchet avec beaucoup
de tendresse ; j'aime beaucoup l'histoire de leur rencontre avec
ce côté magique. Comme le sont certaines rencontres. Le roman
dépeint une naïveté rafraîchissante. Ils mettent
en application concrète ce qu'ils lisent, avec une énergie
phénoménale, mais ne persévèrent pas. Ils
ne semblent pas tirer leçon de leurs échecs. Ils appliquent
tout en ne supportant pas que les livres énoncent des théories
contradictoires. En même temps, cela me faisait penser à
ce qui se disait sur les plateaux délais par différents
médecins, scientifiques, leurs contradictions et l'indignation
de certains face à ces contradictions. Ce roman m'a fait sourire,
souvent. J'ouvre en grand.
Katherine(avis
transmis)
Ah que dire de ce roman ! J'ai souri tout au long de ma lecture. Je me
suis prise de sympathie pour ces deux personnages, leur enthousiasme enfantin
pour toute chose, et leur façon tout aussi puérile et immature
de les aborder ou de les étudier. Or, autant j'ai pris plaisir
à lire le premier tiers du roman, autant mon intérêt
s'est étiolé jusqu'à finalement ne pas le terminer.
Je ne voyais pas où allait cette histoire, et ai donc graduellement
perdu intérêt pour les descriptions de leurs lubies et échecs
successifs. J'ouvre au quart.
Brigitte
Voici mes réflexions sur ce bouquin (Bouvard et Pécuchet)
dont j'avais après tant et tant d'années gardé, sans
plus, une vague teinture de quelque chose d'extrêmement bien écrit
et un bon souvenir amusé (je ne suis pas "une littéraire").
Grâce au dernier choix de notre "Après-midi
amical" au nom charmant, je l'ai repris, en lisant cette fois-ci
d'abord quelques pages à son sujet (fait inimaginable pour moi
auparavant, internet n'existait pas encore), notamment certains passages
de lettres privées de son auteur. Il concevait donc une encyclopédie
de la bêtise humaine... oui, et j'en avais bien ri.
Quel curieux phénomène. Ces jours-ci, durant cette deuxième
lecture, au lieu de me faire rire, ou sourire, les entreprises de ces
"deux bonshommes" éveillent en moi une compassion et
une compréhension croissantes, dues probablement à mes propres
expériences et à certaine connaissance du genre humain acquise
- je l'espère -, unies à une tolérance
induite également par le grand âge, s'il est bienveillant
et bien vieillissant (c'est mon ambition).
Je me demande aussi si Flaubert, qui entretemps avait peut être
mûri et s'était apaisé de sa rogne contre la société
- je l'ignore - a entraperçu tout ceci et a terminé
par une bêtise bien pire encore que celle de ces deux "idiots" :
mourir de travail.
Nieves
Je dois dire que ça a été pour moi un ouvrage complexe,
fort compliqué, à mon avis, un texte pour des connaisseurs
dans tous les domaines du savoir. Or, pour une lectrice ordinaire comme
moi, la tâche pour arriver à la fin a été bien
ardue. La majorité des chapitres, je les ai passés en survol,
incapable d'approfondir convenablement. Cependant, il y en a eu deux qui
m'ont accrochée davantage, le chapitre 6 où il est question
de la Révolution de 48 ainsi que des réflexions sur la politique
et la société, et le chapitre 10 qui parle d'éducation.
Quant au premier, j'ai trouvé excellente la description de la cérémonie
de proclamation de la République :
"Dans la matinée du 25 février 1848, on apprit à Chavignolles, par un individu venant de Falaise, que Paris était couvert de barricades, et, le lendemain, la proclamation de la République fut affichée sur la mairie.
Ce grand événement stupéfia les bourgeois.
Mais quand on sut que la Cour de cassation, la Cour d'appel, la Cour des comptes, le Tribunal de commerce, la Chambre des notaires, l'Ordre des avocats, le Conseil d'État, l'Université, les généraux et M. de la Rochejacquelein lui-même donnaient leur adhésion au gouvernement provisoire, les poitrines se desserrèrent ; et, comme à Paris on plantait des arbres de la liberté, le conseil municipal décida qu'il en fallait à Chavignolles.( )
L'allocution du curé fut comme celle des autres prêtres dans la même circonstance.
Après avoir tonné contre les rois, il glorifia la République."
Flaubert décrit en spectateur comment on vit cet événement à Chavignolles, devenu un scénario où on joue la pièce concernant le nouveau système politique. Dans les réactions de tous les personnages: le maire, le médecin, les notables, l'instituteur habillé "d'une pauvre redingote verte, celle des dimanches" et les paysans, les ouvriers, les gamins, on a l'impression d'une inconscience collective, de ne pas savoir où ça va les mener. En effet, on voit tout de suite le manque de conviction quand tous les personnages les plus significatifs (le maire, le notaire, l'instituteur et le curé) commencent à rêver de devenir députés.
"Ce vertige de la députation en avait gagné dautres. Le capitaine y rêvait sous son bonnet de police, tout en fumant sa bouffarde, et linstituteur aussi, dans son école, et le curé aussi, entre deux prières, tellement que parfois il se surprenait les yeux au ciel, en train de dire :
Faites, ô mon Dieu ! que je sois député !"
Pour moi, ce chapitre est une leçon d'histoire si bien présentée,
avec un sens de l'humour si affiné, qu'elle m'a renforcé
le goût pour l'histoire beaucoup mieux que de barbants cours d'histoire
et des dizaines de romans historiques sortis dernièrement.
En ce qui concerne l'éducation de Victor et Victorine, mon passage
préféré a été celui de la phrénologie,
l'"étude
du caractère d'un individu, d'après la forme de son crâne."
Il y a des descriptions vraiment désopilantes :
"Mais avant d'instruire un enfant, il faudrait connaître ses aptitudes. On les devine par la phrénologie. ( )
Les têtes de leurs élèves n'avaient rien de curieux ; ils s'y prenaient mal sans doute. Un moyen très simple développa leur expérience.
Les jours de marché, ( ) quand ils trouvaient un jeune garçon avec son père, ils demandaient à lui palper le crâne dans un but scientifique.
Le plus grand nombre ne répondait même pas ; d'autres, croyant qu'il s'agissait d'une pommade pour la teigne, refusaient, vexés ; quelques-uns, par indifférence, se laissaient emmener sous le porche de l'église, où l'on serait tranquille.
Un matin que Bouvard et Pécuchet commençaient leur manuvre, le curé tout à coup parut et, voyant ce qu'ils faisaient, accusa la phrénologie de pousser au matérialisme et au fatalisme.
Le voleur, l'assassin, l'adultère, n'ont plus qu'à rejeter leurs crimes sur la faute de leurs bosses."
Finalement, si je dois dire quelque chose sur les protagonistes, personnages
grotesques et ridicules, je leur trouve quand même un côté
naïf et une franchise qui les rend sympathiques. Cette volonté
qu'ils ont de s'immerger dans tous les savoirs, sans arriver à
assimiler les contenus les obligeant à changer de domaine en permanence
jusqu'au moment où survient l'échec, est compensée
des fois par quelques moments spontanés où ils jouissent
d'une manière toute simple de la joie de vivre (le premier repas
dans la maison normande, la beauté du paysage des falaises, la
trouvaille de leur penchant commun pour l'amitié
). C'est
comme ça que Flaubert passe en revue tous les coins de la société
où il lui a été donné de vivre, en y jetant
un regard sarcastique et impitoyable. Est-ce qu'il prétend se moquer
de l'engouement pour la science propre à son époque montrant
son manque de confiance sur les découvertes et les procédés
scientifiques? Or, il touche toutes les branches du savoir : la religion,
la pédagogie, l'art
C'est comme si l'écriture était
un écran par où passe toute la société de
son temps.
J'ai lu que Flaubert voulait inventer une nouvelle forme pour conter,
montrer qu'une nouvelle forme était possible en dépassant
ainsi la méthode réaliste de ses romans précédents.
Aux spécialistes de répondre
José Luis
"Oh ! Si
je ne me fourre pas le doigt dans l'il, quel bouquin ! Qu'il
soit peu compris peu m'importe. Pourvu qu'il me plaise, à moi,
& à vous ! & à un petit nombre, ensuite"
(À
Madame Roger de Genettes, 10 novembre, 1877). Quel bouquin, en effet,
que ce roman inachevé de Flaubert, Bouvard et Pécuchet !
Roman impossible, ne cessera-t-il de dire à tous ses correspondants.
Mais, ajouterai-je, avec les propres mots de l'ermite de Croisset, "le
comble de l'art". Ce texte m'a toujours passionné, plus encore
que les autres romans de l'auteur, ce qui est beaucoup dire, et à
l'occasion de cette relecture - la troisième ou quatrième
au long de ma vie - j'en ai tiré un plaisir redoublé
et j'en ai été submergé par la même éblouissante
admiration. Je fais partie du petit nombre dont Flaubert parle à
son amie ? Peut-être, mais par chance. J'admire, évidemment,
son écriture, arrivée ici, malgré le sujet qui ne
se prête pas à l'art, au sommet de la perfection, de sa perfection
à lui, à commencer par le début du premier chapitre,
le merveilleux incipit y compris ("Comme
il faisait une chaleur de 33 degrés, le boulevard Bourdon se trouvait
absolument désert"), lequel ouvre un véritable
- et merveilleux ! - plan-séquence digne d'un grand film...
d'avant l'invention du cinématographe, mais qui n'est pas moins
stupéfiant que le célèbre plan-séquence de
Soif du mal,
d'Orson Welles. Et ce ne sont pas les seules pages qui font penser à
un scénario de cinéma. J'admire aussi, naturellement, le
travail "hénaurme" de préparation qu'il a produit
: non moins de 1700 livres lus, semble-t-il, plus les recherches qui,
sans répit, il demandait de faire pour lui à ses amis. Le
résultat est bien connu, cette anthologie des savoirs de l'époque,
une véritable encyclopédie... critique, puisqu'il ne se
contente pas de les exposer, ces savoirs, mais aussi de montrer leurs
failles, leurs contradictions, leurs fragilités. De tout cela,
savoirs et vision critique, nous en profitons encore aujourd'hui, moi
en tout cas. Et puis, j'admire - et aime à la folie -
les deux bonhommes, pas sots du tout, mais, tout simplement entraînés,
ravagés même, par une drôle de passion, une véritable
pulsion épistémophilique, que je comprends très bien.
Comme je comprends aussi la série des déceptions qui émaillent
leur besogneux trajet et qui les poussent à aller toujours vers
l'avant jusqu'au renoncement final, le retour au point de départ,
à leur profession de copistes, qu'on ne connaît vraiment
que par les notes de travail que Flaubert a laissées avant de mourir
: "Ils copièrent
tout ce qui leur tomba sous la main [
] Finir par la vue des deux
bonhommes penchés sur leur pupitre, copiant". Pourquoi
ce renoncement ? Parce que, me semble-t-il, Bouvard et Pécuchet,
ont, enfin, compris qu'il n'y a pas d'objet adéquat au désir
humain, même si l'être humain ne fonctionne, ne peut fonctionner,
que sur le désir, mais un désir qui ne fait que se déplacer
d'un objet à l'autre, mieux, qui ne peut que se déplacer,
s'il veut rester actif, mobilisateur de l'action. Et puis, qu'ils l'aient
ou ne l'aient pas compris - compréhension difficile pour eux,
mais pas pour Flaubert ! -, aujourd'hui nous savons que cette
passion des savoirs est possible seulement grâce à ce mécanisme
que Freud nomma sublimation, c'est-à-dire déplacement d'une
pulsion, la pulsion sexuelle, à une autre, déplacement sur
lequel est fondée la civilisation. Ce n'est pas par hasard si les
savoirs sur la sexualité arrivent très tard dans le "bouquin",
mais pour déboucher sur la même déception que tous
les autres. Alors, pour ne pas désespérer, ils renoncent
à tout espoir, sublimant, cette-fois-ci, dans le nihilisme le plus
total : "Copions
!" On entend, derrière le grattement de leurs plumes
sur le pupitre, le grand rire de Gustave Flaubert, nihiliste, lui, s'il
en est. Et moi, moi aussi, chers amis.
Le groupe de Tenerife a lu Trois contes pour le 28 février 2023
Le texte est en ligne ici : "Un cur simple" - "La légende de Saint Julien l'Hospitalier" - "Hérodias". Voici les échos de la séance, rédigés par Nieves :
On était six. Rosa n'avait pas lu les trois récits car
elle a un boulot immense au lycée.
On a tous beaucoup aimé "Un cur simple", émus
par ce personnage qui n'a rien, mais qui donne tout, une âme pure,
bienveillante, dévouée envers toutes les personnes de son
entourage.
Quant à "Saint Julien l'Hospitalier", il a plutôt
produit du rejet, sauf pour Ana qui a bien apprécié certaines
descriptions. Difficile de digérer tant de massacres, bien que
c'est cela qui fait aussi l'épaisseur du personnage : au contraire
de la situation de Félicité, c'est l'entourage qui représente
les gens bons, tandis que lui a du mal à ne pas être méchant...
Le troisième conte a assez dérouté les lectrices,
surtout à cause de ce début quelque peu chaotique.
Bref, les trois récits nous ont fait pas mal parler, conscients
qu'il faut toujours relire Flaubert tellement son écriture est
inépuisable...
Nieves
Des trois contes, celui qui me semble le plus proche est celui de "Un
cur simple", peut-être à cause de la proximité
dans le temps et, aussi, parce qu'il évoque tout de suite Flaubert
: sa gouvernante, Mme Bovary, la Normandie. Félicité, âme
candide et dévouée, maltraitée par le destin a un
courage moral inouï, peu apprécié par les personnes
de son entourage ; cependant, elle accepte son humble condition sans rien
demander en retour. Pour cette raison, on comprend l'amour qu'elle porte
à Loulou, un perroquet chez qui elle arrive à voir le Saint-Esprit,
car l'oiseau, même empaillé, est le seul "être"
sur qui elle entend recevoir une réponse à son dévouement,
le seul élément qui, installé dans sa chambre, lui
permet de croire qu'elle a des échanges avec quelqu'un. Cette histoire
du perroquet, qui nous fait sourire aujourd'hui, contribue pourtant à
mettre en valeur le personnage de Félicité, sa bienveillance
et son intégrité.
(Je viens d'apprendre qu'on en a tiré un
film en 2008.)
Le conte de "Saint Julien", le saint parricide, encadré
au Moyen Âge, tout en étant une histoire invraisemblable,
m'a produit un rejet, un sentiment d'injustice, car comme anti-héros,
à pulsion meurtrière, contrairement à Félicité,
il trouve l'humanité dans les personnes qui l'entourent : ses parents
qui font tout pour le retrouver vivant, victimes pourtant de l'aveuglement
de leur propre fils. C'est le cas aussi de cette femme si belle et si
gentille qu'il épouse et qui essaie de le guérir de sa fureur
permanente. L'histoire avance par trames, chaque trame décrit une
des "exploits assassins" du personnage, mais comme lectrice,
on attend toujours qu'il arrête ses massacres à l'épisode
suivant ; mais il n'y a rien à faire, au contraire, ses exploits
culminent en tuant ses parents. Pourtant, attention, à la fin il
sera pardonné, c'est bien un saint. On dirait que Flaubert a voulu
porter à la limite la capacité de destruction gratuite qui
peut générer un être humain.
Quant à "Hérodias", on revient à une histoire
de la Bible, reprise plusieurs fois au long de l'histoire de l'art et
de la culture occidentale. C'est un exemple de femme fatale, belle et
maîtresse de son destin. Elle arrive à contrôler tous
les hommes qui ont à voir avec elle, son premier et son deuxième
mari, Vitellius, le représentant de l'empereur romain et tous les
invités à la fête d'anniversaire. C'est grâce
à sa forte personnalité qu'elle réussit à
provoquer l'assassinat de Jean-Baptiste au milieu de cette fête
où il y a des dizaines de personnes de différentes origines
et religions. Pour réussir son projet, elle va se servir des charmes
de sa fille Salomé, à qui Hérode Antipas promet lui
accorder ce qu'elle voudra après son exhibition de danse. Jean-Baptiste
avait reproché à Hérodias sa liaison avec Hérode
Antipas, donc, elle prend sa revanche en s'aidant de Salomé. En
tout cas, encore un personnage à caractère bien trempé.
Dans les trois récits, malgré l'écart dans le temps
et les trames si différentes, on trouve toujours des clins d'il
à des épisodes de la vie de Flaubert, et chaque conte est
un spectacle de richesse linguistique et d'érudition. J'avoue que
je n'ai pas cherché tous les mots dans le dictionnaire, ni ne me
suis documentée sur certains épisodes contextuels, malgré
cela, ces trois récits m'ont transmis une force exceptionnelle,
du fait que chaque protagoniste joue son rôle de façon imperturbable
dans un contexte opposé à ce qu'ils représentent.
Le contexte accompagne et justifie leur comportement mais ne les modifie
pas.
Je dois dire que pour moi les Trois contes n'ont pas été
une lecture très aisée, surtout les deux derniers récits.
Néanmoins, petit à petit, je suis arrivée à
m'y intéresser, le premier étant bien entendu le plus touchant
pour moi. Chez Flaubert, j'ai l'impression qu'on finit jamais de trouver
toutes les nuances de son écriture. C'est comme une somme de couches
qu'il faut soulever doucement et à chaque relecture découvrir
un nouvel aspect
Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme
au rejet :
|
||||
à
la folie
grand ouvert |
beaucoup
¾ ouvert |
moyennement
à moitié |
un
peu
ouvert ¼ |
pas
du tout
fermé ! |
Nous écrire
Accueil | Membres
| Calendrier | Nos
avis | Rencontres | Sorties
| Liens