Quatrième de couverture :

Un soir, dans un bar, Raymond Courrèges retrouve par hasard Maria Cross, une femme à laquelle, adolescent, il a témoigné une passion ardente et maladroite, qu’elle a repoussée. Dans les souvenirs de Raymond, que le visage de Maria fait ressurgir, nous découvrons bientôt d’autres ombres, d’autres blessures, telle la rivalité équivoque d’un père et d’un fils pour une même femme.
C’est à quarante ans que François Mauriac publia ce roman, constat désabusé de la stérilité des passions humaines, illustration mélancolique, dans le Paris noceur des années 1920, du thème pascalien de la misère de l’homme sans Dieu. "Le Désert de l’amour, devait-il écrire, c’est le roman de mon renoncement. Ce pourrait être le titre de mon œuvre entière."

 
François Mauriac (1885-1970)
Le Désert de l’amour (1924-1925)
Nous avons lu ce livre pour le 18 février 2022.
Le "nouveau" groupe parisien a lu ce livre en octobre 2021.
Nous avions lu Thérèse Desqueyroux en 1990.
Toujours notre triple formule depuis septembre 2021 :
réactions transmises par écrit, réactions orales alternant entre ceux qui sont présents et ceux qui sont simultanément à l'écran.

Suivent les avis du nouveau groupe.

Séverine(avis transmis)
Alors sans faire ma nostalgique, entendre de nouveau le nom de François Mauriac m'a replongée avec plaisir dans mes années collège, au moment il était de rigueur de lire cet auteur qui faisait partie des "classiques". C'était pour moi l'époque de la découverte, les premières lectures de "grands". Je serais d'ailleurs curieuse de savoir si on lit encore Mauriac dans les écoles… Bref, je savais où je mettais les pieds avec ce roman et donc a priori pas de risque d'être déçue. Et en effet, cette lecture fut agréable. On est dans un style (avec parfois des bizarreries : des "de" qui se greffent comme ça) et une construction classiques, du linéaire facile à lire. J'ai trouvé en revanche très original ce triangle amoureux biscornu : ils sont trois, deux hommes qui aiment la même femme, ladite femme n'aime pas l'un et est à peu près attirée par l'autre mais pas vraiment (enfin je crois) [au passage, elle est assez exaspérante cette Maria : de méchantes langues de mon entourage la compareraient à une Emma Bovary désœuvrée… loin de moi cette idée, moi qui adore Emma… , mais elle n'est pas passionnante même si elle a l'air de déchaîner les passions !]. Mais en fait, j'y vois un triangle amoureux d'un autre genre : le père aime Maria qui aime Raymond qui aime son père… car je pense que la vraie belle histoire d'amour, c'est celle de ce père et de ce fils (et autre sens du triangle… imparfait celui-ci : le père aime le fils qui aime Maria… qui n'aime pas le père). La pauvre Maria n'est qu'un accessoire… qui fait du dégât, certes. J'ai trouvé d'ailleurs inhabituel ce nom "Maria Cross". Et je me suis dit qu'elle était en fait au carrefour de leur vie à eux… peut-être pour les faire se rencontrer… Sinon, j'ajouterai que j'ai trouvé le personnage du père plus intéressant que Raymond. Et je dois dire que je me suis délectée des scènes de famille à table… la femme du docteur est un sacré numéro… mais touchante… et elle, elle l'aime son docteur !
Pour finir, je vous joins l'image de ce tableau que j'avais vu au musée des Beaux-Arts de Bordeaux et auquel j'ai de suite pensé en lisant les scènes dans le tramway.

Et enfin, on va dire que je l'ouvre aux ¾.
Monique L
C'est un écrivain que j'ai beaucoup lu il y a environ 50 ans. J'en gardais un bon souvenir bien que flou : Thérèse Desqueyroux, Le Nœud de vipères, Le mystère Frontenac….
Ma première impression, c'est que cela a beaucoup vieilli par le style que j'ai trouvé lourd, par la construction et par les passages où le narrateur est omniscient.
On y trouve néanmoins des réflexions et des descriptions intéressantes, mais cela ne change rien à l'impression générale que m'a laissée cette lecture.
Les thèmes abordés ne manquent pas pourtant d'intérêt :
- on y retrouve le thème cher à Mauriac de l'atmosphère pesante et mesquine d'une famille bourgeoise, le désert affectif qui y règne et le mal des êtres à se parler
- l'éducation sans affection d'un enfant rejeté par sa famille
- l'influence du regard des autres et des premières expériences de la vie sur le devenir d'un être
- l'incompréhension et la difficulté (voire l'impossibilité) de communication entre un père et son fils
- l'amour non partagé
- le rejet social de la femme entretenue.
L'analyse de l'amour du père ou du fils pour Maria Cross montre une certaine finesse et c'est l'intérêt de ce roman.
Mais j'ai trouvé surprenante la permanence de l'attirance de ces deux hommes pour Maria Cross qui a sans doute du charme, mais semble peu sensuelle. D'autre part, son attitude à elle est incompréhensible. Pourquoi ne cherche-t-elle pas à s'assumer ? Quel rôle joue la mort de son enfant ? Jusqu'à la fin, elle demeure mystérieuse.
La fin est émouvante. J'ouvre à moitié.
Nathalie(évoque d'abord son enfance dans le collège en face de celui où était Mauriac)
Comment lire ou réceptionner une œuvre de Mauriac en 2022 ?
J'ai particulièrement détesté la vision des femmes que ce roman propose tout au long du récit et je ne vois pas comment on pourrait encore lire sans la contextualiser ni en décortiquer l'origine. Ce livre évoque l'échec de l'amour sous plusieurs formes. Comment peut-on s'aimer quand l'éducation et la société dans laquelle les personnages évoluent a fait en sorte que chacun ne fait que présupposer ce qu'est l'autre, ce que sont ses attentes, ses désirs ? Les relations triangulaires que le récit met en lumière : le père / le fils / la veuve, la mère / le père / la veuve ; le fils / la mère / le père conduisent toutes au "désert de l'amour". De fait, elles n'ont eu que peu d'intérêt à mes yeux.
La femme, quand elle est objet de désir, est une proie prête à "rejoindre le mâle qui l'appelait", un animal "qui sent le musc" et que l'on "possède" ou que l'on veut posséder coûte que coûte. Il s'agit de "faire crier la biche à sa merci" pour l'homme qui "laisse derrière soi, en travers du lit, un corps recru, comme assassiné".
Tout est joué d'avance, il n'y a pas de salut : avant même que la vie commence, le fruit pourri est ensemencé dans l'être en devenir "telle inclination, enfouie dans notre chair, a grandi comme nous, s'est combiné [...] a fleuri brusquement sa monstrueuse fleur". Cette évocation m'a fait penser au titre du recueil de Baudelaire.
Les actes des personnages sont coincés dans un étroit couloir, celui de l'incompréhension ou de l'impossible communication. Ce sont des vies dans lesquelles l'amour ne peut se réaliser en harmonie : sentiments et chair. Il y a la "maman" et la "putain". L'épouse n'est que celle qui va mettre au monde les enfants et dont le corps perd peu à peu tout intérêt "j'aurais pu être cet homme qui s'étend chaque soir sa journée finie [...] tout son corps porterait les traces de ce qui a servi et de ce qui s'use tous les jours à des besognes basses". L'amour vivant n'est qu'un leurre. Un personnage ira même jusqu'à affirmer que "La mort est le sel de notre amour".
Quand les femmes ont quelque chose à dire, c'est pour confirmer leur incapacité à entrer en communication... Ainsi, alors que le père, anéanti par son chagrin, cherche à déposer son fardeau auprès de sa femme, celle-ci s'entête à lui parler des conflits domestiques, ce qui le fait totalement renoncer.
Ou alors... par miracle chez Maria, parce qu'elle est sous l'effet du bromure. Artifice qui permet au narrateur (ou à l'auteur) d'exprimer sa propre pensée, d'admirer "que Maria dont l'élocution était d'ordinaire si défectueuse […] fût soudain presque éloquente, tombât sans effort […] sur le terme savant" : la bonne dit d'ailleurs "Madame parle comme un livre" (sic) !
Et pour finir, les passages que l'on pourrait considérer comme positifs sont des passages où l'on ne se réalise pas ; on reste dans l'attente : "Maintenant ce serait déjà fini, tandis que j'ai encore devant moi tout ce bonheur..."
Même si la religion est peu évoquée, elle me semble être partout. C'est pourtant une époque où les femmes vont se libérer à la fois dans leur vêtements, leurs coupes de cheveux, leur façon de vivre, mais Mauriac semble complètement passer à côté de ce mouvement de libération. Je suis profondément impressionnée par le succès que l'œuvre a eue et par sa réception contemporaine. Comme quoi, parfois, l'asservissement volontaire a encore de beaux jours devant nous.
Je ferme en entier.
Brigitte
J'étais dans le groupe quand on avait lu Thérèse Desqueyroux.

Claire
On avait appris que tu avais rencontré Mauriac.

Brigitte
Oui, j'ai eu deux fois l'occasion de le rencontrer : la première fois à la fin des années 50, lorsque j'étais étudiante, j'ai assisté à une conférence qu'il donnait, je ne me souviens pas du tout sur quel sujet. Ce qui m'avait frappée c'était sa voix, complètement cassée, j'ai lu dans la chronologie annexée à l'édition Livre de poche de notre lecture d'aujourd'hui qu'il avait subi en 1932 l'ablation d'une corde vocale, ce qui explique cette voix très particulière. La seconde fois où je l'ai vu c'est à la fin des années 60, je l'ai identifié devant chez lui, il sortait en compagnie de sa femme.

J'avais lu Le Désert de l'amour dans les années 60, j'avais 20 ans alors et j'étais passée totalement à côté : je ne comprenais pas que cet homme de 40 ans ait des états d'âme, d'âme d'adolescent. Je n'étais d'ailleurs pas allée jusqu'au bout, tellement cela m'ennuyait.
Je l'ai relu avec beaucoup d'intérêt. Je ne trouve pas cela désuet, bien que la langue française ait évolué depuis : selon moi on n'utilise plus la préposition "de" après le verbe souhaiter : "elle ne souhaite plus de me voir" ou encore "Courrèges ne souhaitait plus de se venger".
On retrouve un peu les thématiques de
Dorothy Parker sur l'impossibilité de communiquer. Le thème de l'amour du père et du fils pour une même femme est éternel. Le style est admirable, souvent très poétique.
J'ai découvert un point de vue sur la famille auquel je n'aurais jamais pensé : "Tu ne saurais croire comme il fait bon vivre au plus épais d'une famille... mais oui ! On porte sur soi les mille soucis des autres ; ces mille piqûres attirent le sang à la peau, tu comprends ? Elles nous détournent de notre plaie secrète, de notre profonde plaie intérieure" 
; autrement dit : comment la famille protège des soucis personnels.
Je n'ai pas trouvé que ce soit antiféministe, ni raciste, c'est plutôt le reflet d'une époque. J'ai aussi l'impression que le monde médical a beaucoup évolué (le Dr Courrèges est simultanément généraliste, psy, chirurgien, chercheur…) — j'aimerais savoir ce qu'en pensent nos médecins du groupe.
C'est une redécouverte d'un livre que je n'avais pas compris à l'époque. J'ouvre aux ¾.
Etienne
Tout d'abord, pour répondre à Brigitte, je suis d'accord sur l'évolution de l'aspect médical. À l'époque, les médecins faisaient tout, du microscope à la psychanalyse. Ce n'est plus le même métier. L'hyperspécialisation de la médecine retire sa place au médecin généraliste.
J'en reviens au livre : un père, un fils, une étrangère convoitée. C’est avec cette Trinité, ce triangle équilatéral (ou isocèle ?) que Mauriac décide de développer minutieusement, patiemment, le thème de l’Amour qui cherche désespérément à s'incarner mais qui bute sur l’Homme. En ce sens, même si on ne peut pas parler de roman religieux, il me semble qu’il s’agit d’un roman catholique par essence. L’Amour auquel les Hommes tournent le dos, véritable personnage à part entière, infuse chaque page. On fait semblant de ne pas le voir, on l’exprime trop tard, on le pervertit, mais il finit par réapparaître (ressusciter) sous la forme d’un fils qui toque à la vitre du train dans lequel est assis son vieux père. L’Amour déçu donc, Mauriac nous le fait vivre passionnément. Ces personnages sont ciselés, et leur psychologie bien campée. Raymond, Maria, Paul, chacun souffre à sa manière et, les sens en éveil, cherche des signes dans le réel (un orage, une nuque rasée) pense les trouver et les contemple (magnifiques pages dans le tramway), mais reste désespérément aveugle jusqu’au dénouement que l’on connaît. Je suis très sensible à la thématique des relations parent-enfant (j’avais été assez touché par celle entre le père et sa fille dans Le temps où nous chantions) et je dois dire que celle-ci m’a beaucoup ému.
Certains personnages sont convenus (le lieutenant, véritable butor ; Victor le coureur de jupons), mais même Lucie ou la mère Courrèges sont finalement assez subtiles.
C'est de facture classique, mais je trouve ça brillant et surtout ça m’interroge, me fait réfléchir tout en m’offrant des pistes de réflexion.
Je comprends que l'on puisse tiquer sur la vision de la femme, mais cela ne suffit pas à atténuer ma vision du livre. Maria ne m'a pas exaspéré. Je ne l'ai pas trouvé apathique mais plutôt digne. Notamment lorsqu'elle renonce à son aventure avec Raymond dont elle n'avait pas envie. J'ouvre aux ¾.

Claire
En quoi est-ce un roman catholique ? J'ai lu le discours du prix Nobel de Mauriac, tout imprégné de foi, mais là, dans le roman ?

Rozenn, ayant l'œil
Au chapitre 12, on lit "Il faudrait qu'avant la mort du père et du fils, se révèle à eux enfin Celui qui à leur insu appelle, attire, du plus profond de leur être, cette marée brûlante." La majuscule renvoie à Dieu.
Rozenn
Dès la première page j'ai été saisie par la densité de l'écriture. Dès la troisième ligne, la tension est palpable. Et puis diversion avec la fuite d'Eddy qui ne réapparaît pas. Curieux, ce passage à la fois esquissé et précis sur les rapports du héros avec de jeunes hommes.
La question de l'âge est prégnante, traverse l'ensemble.
Les portraits sont méchants, rapides.
Maria a la quarantaine : elle est présentée comme à la fois jeune encore et déjà vieille : de façon très subtile, par petites touches, féroce quand les signes de vieillissement sont précisés.
Chaque personnage, même seulement esquissé, présenté surtout à travers les rapports entretenus avec les autres, semble pouvoir être plus complexe. J'ai trouvé très intéressants les rapports entre le père et le fils, entre la mère et le père, et les autres à l'intérieur de la famille, ainsi que la place prise par les problèmes posés par des détails du quotidien dans cette maison étouffante et envahie par les problèmes domestiques.
J'ai trouvé incertains, flous, les rapports de cette femme Maria, posée comme à part, avec son entourage : elle est décrite de façon ambiguë, comme un élément perturbateur d'un pseudo équilibre familial fragile. Elle m'intrigue, le personnage semble seulement esquissé. Elle semble n'être que le prétexte des attachements du père et du fils. Elle-même semble à côté de ce que pourrait être sa vie.
Une grande place est donnée à des notations sur la nature, qui interrompent fréquemment le cours de la lecture, mais ceci ne m'a pas gênée : pas trop lourd et très imaginé, toujours en écho aux sentiments évoqués.
Le personnage du père est très attachant. Je trouve très subtil ce tic qui revient : "Il fit le geste de déblayer, à deux mains pétrit sa figure, se redressa". Il finit par présenter la famille comme un rempart, une protection qu'il trouve auprès de son épouse à la fois sotte et généreuse. Le fils lui énonce : "Jamais trop de kilomètres entre la famille et nous, se dit-il, jamais nos proches ne seront assez lointains."
En fait, on est toujours subtilement dans l'entre-deux et l'ambivalence, l'incertitude, le non-dit, non décidé, non vécu.
Globalement j'ai aimé et j'aurais plutôt envie de lire, relire d'autres livres de Mauriac, pour l'écriture, mais pas envie de rester mijoter dans ce milieu glauque. J'ouvre aux ¾.
Fanny
Comme le raconte Séverine - nous avons le même âge - j'ai lu Mauriac au lycée, Thérèse Desqueyroux : mes souvenirs sont assez vagues, mais je m'étais laissé prendre par le récit et j'avais aimé.
En préambule je souligne que je n'adhère pas à cette vision sexiste et je ne sais pas si Mauriac y adhère ; mais de ma place de lectrice, je ne me suis pas centrée sur ce débat mais sur le roman. Ces phrases gênantes sur les femmes, je les ai prises avec détachement et ironie. Cette femme qui aurait servi de façon abjecte est le reflet d'un point de vue de l'époque que je le condamne.
Le style est un peu pédant mais ne m'a pas gênée.
Le rapport père-fils est très touchant : c'est une belle histoire de relation ratée bien qu'ils se retrouvent à la fin.
À propos des plaisirs de la chair condamnés, c'est le propre de l'époque où l'on considère les relations charnelles uniquement pour enfanter. Ici les plaisirs de la chair ne sont pas exclus même s'ils sont inassouvis, car il y a du désir (scène de la main moite) ; le père qui arrive en courant et plein de désir, c'est très beau la rencontre ratée entre Maria et le père qui ont des pensées opposées. J'étais triste que le livre soit fini, j'ouvre en grand.

Rozenn
J'ai pensé au sketch de Bedos, le slow.
En tout cas, tout ça l'arrange bien pour ne pas fauter...

Fanny
En tout cas ça m'a touchée.
Renée
J'étais un peu déçue au tout début car j'ai cru à une histoire style Blé en herbe. Cependant, très vite, les personnages ont pris de l'épaisseur et plus j'avançais dans ma lecture, plus le texte m'interpellait.
C'est un roman traditionnel, réaliste, récit à la troisième personne avec des monologues intérieurs, ce qui permet de circonscrire l'action dans une journée de 24h. J'aime beaucoup cette construction.

Claire
Le roman s'étend quand même sur 17 ans...

Renée
Trois générations vivent sous le même toit : à travers quelques mots, nous devinons les frictions occasionnées par cette promiscuité étouffante. La mère est austère, intransigeante, intolérante. Le père a rêvé sa vie et imagine un dernier amour inaccessible. La rivalité avec son fils serait risible si nous n'avions pas pitié de cet homme vieillissant. Raymond, devenu adulte et séducteur impénitent, se souvient de son adolescence quand il a dû se libérer des contraintes absurdes du milieu bourgeois et destructeur qui est le sien : il se venge sur toutes les femmes de l'humiliation et la déception tragique provoquée par le rejet de Maria ; il voudrait qu'elle remarque son évolution d'adolescent timide en séducteur accompli, il a une revanche à prendre. Sans s'en douter, cette femme a décidé de sa vie entière, ce premier amour a sculpté sa personnalité ("Il fut stupéfait de ce qu'un être, sans le vouloir, pèse d'un tel poids dans le destin d'un autre être.")
Je trouve formidable cette idée de se construire CONTRE quelqu'un. J'ai été troublée par l'écho qu'elle a éveillé en moi. Mauriac aborde la question : dans notre vie, quelqu'un s'est-il construit contre nous sans que nous ne le sachions ?
Quant à Maria, la société bourgeoise de la ville la présente comme une débauchée, mais nous apprenons qu'elle n'aime pas le sexe. C'est pour ça qu'elle désire Raymond mais le rejette lorsqu'elle comprend qu'il a envie de rapports physiques. Son désir est mêlé de dégoût (pour elle "le plaisir et le dégoût se confondent").
Nous comprenons mieux lorsqu'elle avoue porter un amour oblatif au jeune Bertrand. Pour moi, Maria c'est Phèdre : avec ses désirs sublimés en amour quasi maternel, en adoration pour un adolescent. Cet amour de Maria m'a fait penser à la morale du Fusil de chasse d'Inoue lu dans le groupe où se pose la question du plus grand bonheur aimer ou être aimé ; Platon disait déjà que c'est d'aimer. Même Raymond et son père, malgré leur souffrance, ont trouvé un certain bonheur à aimer Maria.
Au fait, Dieu apparaît dans des questions : "Qu'y a-t-il au fond d'une vie vertueuse ? Quelles échappatoires ? Que peut Dieu ?"
J'ouvre en grand ce livre que je n'oublierai pas.
Claire
Je n'étais pas mécontente que nous adoptions une des lectures du "nouveau" groupe qui avait suscité une appréciation unanime (tous les lecteurs ont ouvert aux ¾ - mais il est vrai qu'il n'étaient que 4...). Et lire un académicien, ça ne fait pas de mal.

Je lui accorde la composition d'un récit bien fait, avec le début et la fin qui enserrent le flashback, avec les va-et-vient bien entrelacés entre la vie de famille pompante et les scènes avec la Maria, qui - je partage l'avis de Rozenn - aurait pu être un magnifique personnage.
Au début du livre, j'ai trouvé inutilement compliqué d'avoir du mal à me repérer entre la belle-mère, la belle-fille, la fille et la grand-mère...
Mais surtout, quel livre lourdingue ! Quel pudding ! Et quel style pouf-pouf qui en rajoute !
Ce qui m'a frappée, c'est la moralité, pour ne pas dire l'idéologie, qui règne de la part de cet auteur qui choisit banalement un narrateur omniscient, comme l'a remarqué Monique, ce qui ajoute à la lourdeur : il plombe avec son surplomb. On ne ressent aucune distance qui aurait permis de supposer que l'auteur n'adhérait pas pleinement à la misogynie qui est à la fête ; voici les commentaires du héros, retrouvant des années plus tard Maria :

"Comme son front est resté pur !

Déjà on soupire : oh non !... le front pur...

Courrèges le regarde à la dérobée, ce soir, baigné d'une lumière qui ne vient pas du petit bar rutilant,

ah ah ah... suspense insoutenable... et d'où vient donc cette lumière du front ?...

qui est cette lumière d'intelligence dont il est si peu commun qu'un visage de femme soit touché

... on l'avait bien dit, toutes des niaises !

— mais qu'elle y est émouvante alors, et qu'elle nous aide à concevoir que Pensée, Idée, Intelligence, Raison soient des mots féminins !"

Et tout le monde avale sans broncher...
De toute façon :

"le sexe, nous sépare plus que deux planètes".

Bon, on est d'accord.
Voyons un peu le cher Docteur plutôt sympa sous la plume de Mauriac :

Toute la ville avait coutume de professer que le docteur Courrèges était un saint. Mais quoi ! justement parce qu'il avait usurpé cette réputation, quelle délivrance que de n'en plus subir le poids immérité ! Ah ! être méprisé enfin ! Alors il saurait adresser à Maria Cross d'autres paroles que des encouragements au bien et que des conseils édifiants ; il serait un homme qui aime une femme et qui la conquiert avec violence".

Eh ben voilà, sous le saint l'être vrai.
Voyons un peu l'audace stylistique de Mauriac, dans une conversation frétillante entre le père et le fils :

D'ailleurs, leur intimité physique se réduit à fort peu, je le sais, j'en suis sûr ; cela, mon petit, je te le certifie ; quoique Larousselle soit fou de Maria : il ne serait homme à ne l'afficher que pour « la montre », comme on le croit à Bordeaux. Mais elle se refuse à lui...
— Alors quoi ? Maria Cross, c'est une sainte ? »
Ils ne se voyaient pas ; pourtant chacun devinait l'hostilité de l'autre, bien qu'ils parlassent
à mi-voix. Réunis une seconde par ce nom, Maria Cross, c'était lui qui de nouveau les séparait.

Vous avez vu ce savant méli-mélo de langage familier et de subjonctif patapouf "parlassent" ? De la dentelle !
Et cette débauchée qui a une coupe à la garçonne :

Cependant Raymond, haineusement, considérait cette femme aux cheveux coupés et qui fumait, cette Maria Cross, il chercha et trouva enfin le mot qu'il fallait pour la mettre hors des gonds : « Tout de même, vous êtes ici. »

Vous avez vu ce sens de l'éllipse, de la litote : va je ne te hais point, vous ici !
On passe sur les nègres, c'est l'époque qui pardonne tout :

Les nègres enveloppaient leurs instruments comme des enfants endormis.

On passe sur l'homophobie de l'homosexuel honteux qu'était Mauriac ?

Je me rappelle un gosse à tête de fille.

Une petite jouissance de l'humiliation pour finir ?

Maria avait ouvert un flacon de sels dont le jeune homme adora l'odeur vinaigrée; il se chauffait au feu du corps bien-aimé contre lui, profitait des brèves flammes de chaque réverbère pour s'emplir les yeux de ce beau visage humilié.

Ça fera ¼ pour le plaisir de vous entendre.
Geneviève
Je me sens très ambivalente. D'un côté je trouve que ce sont en fait vos critiques du sexisme de Mauriac qui sont datées, à l'époque on ne s'attendait pas à une vision révolutionnaire de la femme.
Cependant je dois reconnaître que les personnages de femme ne sont pas les plus réussis. Le personnage de Maria Cross ne tient pas la route pour moi. Mais je suis touchée par le personnage du père qui ne parvient pas à exprimer ses émotions. Il s'enferme lui-même dans une vision inextricable des femmes. Je suis touchée aussi par sa relation à son fils. Le personnage du fils m'a déplu, mais je pense que ce côté déplaisant est voulu. Il y a une vision déterministe de l'être humain, de l'enfance pure à la monstruosité de l'âge adulte. Mais j'ai beaucoup aimé le passage dans le tramway, l'expression du flux intérieur de pensées des deux personnages qui s'observent.
Le style ne me convient pas, c'est emphatique et je préfère les écritures plus sèches.
Mais je reconnais une grande finesse dans la description de la famille et dans l'expression d'un monde prédéterminé. C'est extrêmement intéressant comme témoignage d'une époque et de son enfermement dans une façon de penser les relations entre hommes et femmes, et au sein de la famille. J'ouvre aux ¾.


Françoise
Je partage certains des avis exprimés et j'ai plutôt aimé. Je l'ai pris comme d'autres Mauriac, c'est-à-dire avec l'image de la société qu'il connaissait, bourgeoise et bordelaise. Je n'ai pas eu l'impression que l'auteur ait pris position. Il s'agit de la situation d'un certain milieu et c'est intéressant. L'auteur est-il misogyne ? C'est probable, mais ici ce qui nous intéresse ce sont les sentiments les personnages et leurs sentiments.
Raymond est un connard qui n'aime pas Maria car elle s'est refusée à lui, alors que le père est sincèrement amoureux de Maria. Elle, est typique : la femme entretenue qui n'a pas d'autres ressources que de l'être. Je suis touchée par le fait qu'elle ait perdu un enfant ; le sexe ne l'intéresse pas. Quant à son amant (mais l'est-il vraiment ?) qui l'entretient, cela contribue à son statut.
J'adore Jane Austen, et c'est aussi une société misogyne...

Claire
Mais Jane Austen n'en rajoute pas comme Mauriac le fait !
Françoise
Oui, c'est désuet, mais cela ne m'a pas empêchée d'avoir un plaisir de lecture. Aujourd'hui, un auteur qui écrirait ainsi, ce serait désincarné, ridicule.
Il est vrai que je n'ai pas pensé à la religion et à Dieu que je n'ai pas vu...
La famille avec les trois générations sous le même toit, c'est bien stéréotypé, encore une caractéristique de cette époque dans ce milieu. De nos jours c'est l'inverse, les générations qui se retrouvent sous le même toit c'est parce qu'ils sont pauvres et n'ont pas les moyens de se loger mieux.
Laura
Je me sens assez partagée sur l'ouvrage, car d'un côté je l'adore, mais de l'autre, beaucoup de détails me gênent. Et puisqu'ils me gênent, ils prennent une proportion et une importance assez grande. Mais d'abord, le basique, j'ai adoré l'histoire. Mauriac a réussi à me transporter dans un autre monde, avec des personnages qui me semblaient tout aussi réels que vous ou moi, et je me suis sentie atrocement proche d'eux. Cela, même si j'ai eu beaucoup de mal à rentrer dans l'histoire, à cause du style d'écriture de Mauriac : pendant les 50 premières pages, j'ai eu l'impression que toutes ses phrases étaient construites à l'envers, et je devais les retourner dans mon esprit pour en comprendre la signification. Mais au fond, ce n'était qu'une question d'habitude, et j'ai fini par comprendre le langage de l'auteur. Langage, qui plus est, qui est franchement poétique, avec certains passages que j'ai trouvés stylistiquement sublimes, par exemple : il "essuyait à sa poitrine ses doigts gluants de sang, s'amusait de sa figure barbouillée, feignait d'être à la fois l'assassin et l'assassiné". Donc finalement, j'ai appris à aimer son écriture. Mais j'ai aussi aimé les réflexions pseudo philosophiques du narrateur (ne renverraient-elles pas aux études de philosophie du personnage ?) : "pas un amour, pas une amitié qui n'ait traversé notre destin sans y avoir collaboré pour l'éternité" p. 62. Mauriac parvient je ne sais comment, à faire passer ses déclarations pour des vérités éternelles, touchantes, et universelles, et c'est typiquement ce qui me touche énormément lors de mes lectures : trouver de l'universel dans une histoire particulière. Mais plus encore, les personnages eux-mêmes étaient attachants, surtout le père, même si je n'ai pas trop compris qui étaient tous les membres de la famille. Par contre, je suis un peu déçue du personnage de Maria qui au fond reste assez peu développé pour moi : même si le narrateur lui donne quelques caractéristiques, une histoire, elle ne reste qu'une image évanescente (une robe mauve, un bas filé).
Mais seulement il y a vraiment un gros hic, qui moi, me gêne beaucoup. Raymond et le narrateur m'ont paru misogynes, ou du moins méchamment sexistes. Alors, je sais que le bouquin a été écrit en 1925, mais ce n'est pas une raison pour excuser le sexisme ; je sais aussi qu'on peut séparer l'auteur du narrateur, mais ici j'hésite bien. Le livre s'ouvre sur la haine que Raymond a envers Maria, ce qui m'étonne, parce que 17 ans ont passé, et franchement l'humiliation n'était pas si grande, je m'attendais a quelque chose de grandiose. Non, Maria s'est simplement protégée d'un viol, et a dit non. Sauf que refuser, c'est manifestement pour Raymond la pire injure qui ait pu lui être faite. Et plus loin, le narrateur en vient même à expliquer que c'est ce refus qui est la cause première et majeure de la perversité de Raymond envers les femmes : "elle achevait son œuvre, en le méprisant […] désormais, dans toutes ses intrigues futures se glisserait une inimitié sourde, le goût de blesser, de faire crier la biche à sa merci […] sans doute était-il né avec cet instinct de chasseur, mais, sans Maria, il l'eut adouci de quelque faiblesse". Beaucoup de choses m'énervent vraiment dans ce passage : Raymond, qui est l'assaillant, devient la victime, tout cela parce qu'il est jeune. Alors pardon, mais à 18 ans on a quand même un semblant de conscience. Et, pour le narrateur, une relation amoureuse n'a l'air d'être qu'une chasse : la femme est la biche qui se laisse attraper (et le principe de la chasse est de tuer à la fin quand même hein, de manger et d'incorporer la victime, et ici, c'est comme si Raymond était toujours un être incomplet), sauf qu'une femme n'est pas une biche, pas en 2021, et pas non plus en 1925. Voilà. Je pourrais développer plus, mais je ne crois pas que mon énervement soit nécessaire ici.
Je pensais ouvrir aux ¾, mais après réflexion, ce sera ½.
Jacqueline
J'avais un souvenir assez vague des romans de Mauriac lus autrefois sauf peut-être du Sagouin qui s'attachait à un enfant malmené, une autre histoire d'amour déçu…
En bibliothèque, Le Désert de l'amour n'était disponible qu'en Pléiade. Cela n'a pas allégé ma lecture : format peu maniable, caractères trop petits, notes pour indiquer la part autobiographique - ce qui n'était pas ma porte d'entrée -, difficulté à admettre des tournures de phrase qu'il me fallait analyser pour admettre leur français, par exemple : "Il la reconnut comme il aurait fait une route de son enfance, même si les chênes qui l'ombrageaient en avaient été abattus." Contrastant avec le langage du narrateur, les rares tournures relâchées étaient désuètes, comme "ça ferait un joli coco".
Raymond ne suscitait guère d'empathie. Il évoluait dans des milieux peu attirants quoique suffisamment proches pour ne pas susciter ma curiosité.
Les procédés d'écriture me paraissaient aussi sans surprise : un narrateur omniscient nous dévoile les pensées des personnages dont le lecteur connaîtra le passé par les souvenirs évoqués, trop précis et abondants pour que cette évocation soudaine ne paraisse pas artificielle… Je n'avais pas dépassé les trois premiers chapitres, je piétinais et je me suis acheté la version Poche.
J'ai relu le début plus facilement et arrivée à la rencontre dans le tram, je me suis curieusement sentie prise dans l'histoire.
Moi aussi la situation m'a fait penser à Phèdre sans la simplicité dépouillée de la langue de Racine et avec cette différence que Phèdre est une tragédie sur la femme vieillissante alors que là, il est plutôt question de points de vue d'hommes refusant le tragique…
Je trouve que le titre annonce merveilleusement la couleur : c'est le désert… aucun amour n'est partagé, que ce soit l'amour conjugal, l'éros, l'amour filial… aucun ne s'épanouit.
Je me suis attachée au personnage de Maria, annoncée, comme Tartuffe au théâtre, par ce qu'on dit d'elle, le père ne peut la défendre et le fils n'en avoir qu'une image faussée… Elle va servir de révélateur pour chacun. Au moment où l'histoire se noue, elle n'aime plus. Elle a peut-être aimé ce mari perdu prématurément ! Elle vient de perdre un enfant qu'elle aimait et c'est le côté enfant de Raymond qui l'attire lorsqu'elle le croise. Alors que, lui, ne conçoit qu'un rapport de possession pour "devenir un homme" conformément au discours viril de ses camarades, Comment s'étonner qu'après cette idylle muette, elle le refuse lorsqu'elle le connaît un peu !
Quant au père qui rêve de quitter une vie étouffante, il est bien conscient qu'il n'a pas autre chose à offrir et que ses sentiments ne sont pas partagés, sinon pourquoi atermoyer… Ses pensées choquantes sur l'usure des femmes sont-elles le produit de ses craintes sur sa propre usure, constatée dans les miroirs, ou une rationalisation de sa déception devant ses rêves envolés ? Piètre consolation pour la vie à laquelle il se résigne !
Le réel échange, ce sera celui entre Maria et son beau-fils, ce garçon "efféminé" méprisé de Raymond au moment où il voulait conquérir Maria.
Il me semble que derrière tous les aspects datés de ce livre, Mauriac a su peindre une certaine vérité, certes guère réjouissante, qu'il a su créer des caractères que l'on pourrait transposer aujourd'hui et pas uniquement dans cette bourgeoisie bordelaise…
Ce livre me laisse, finalement, une impression forte, il prête à discussion et je l'ouvre aux ¾.
Catherine(avis transmis le lendemain)
J'ai lu la plupart des romans de Mauriac dans ma lointaine jeunesse, à l'époque où je lisais à peu près tout ce qui me tombait sous la main dans la bibliothèque de mes parents. J'en ai assez aimé certains : Le Nœud de vipères, Le mystère Frontenac (que j'ai d'ailleurs étudié au lycée), Thérèse Desqueyroux et détesté certains autres (Les anges noirs dont le thème est : certains êtres sont-ils donnés à Satan...). Globalement je m'en souviens très bien. Le Désert de l'amour était un de ceux que j'avais le moins aimés.
Je l'ai donc relu sans enthousiasme et je ne l'ai pas plus apprécié que la première fois. Je trouve de plus qu'il a mal vieilli ; il m'a paru désuet.
Je n'aime pas l'atmosphère étouffante des romans de Mauriac, celle de la bourgeoisie bordelaise et landaise, bigote, mesquine, avare, étroite d'esprit. Je trouve les personnages peu convaincants, caricaturaux : le médecin dévoué à ses malades, considéré comme un saint (quel cliché !) et qui en fait ne rêve que de sauter une de ses patientes, l'épouse dévouée engluée dans des histoires domestiques stupides… la femme fatale, écartée entre le bien et le mal... Tout est du même acabit ; sa vision des femmes est profondément misogyne : elles sont soit des femmes au foyer stupides, soit des "grues" ; les femmes de toute façon ne sont pas intelligentes… ; sa vision du sexe comme quelque chose de sale (surtout pour les femmes évidemment) est navrante. Je me souviens de l'expression utilisée dans Thérèse Desqueyroux, "l'ineffaçable salissure des noces" : charmant… Je n'ai pas du tout adhéré à cette passion du père et du fils qui marque leur vie entière, ça se traîne en longueur, on n'en peut plus. Mauriac est reste enfermé dans son passé et son milieu, il le retrace inlassablement dans tous ses romans. Mais certains sont plus complexes que d'autres et de ce fait, plus intéressants. Pas celui-là malheureusement. Dans ceux qui se passent dans les Landes, on trouve en plus le thème de l'attachement forcené à la terre, aux pins, à la transmission du patrimoine familial. Ici ils sont juste attachés à l'argent.
Bref je l'ouvre au ¼ car malgré tout il y a une peinture d'une certaine bourgeoisie de l'époque.
Curieuse de voir vos réactions.



Le "nouveau" groupe parisien
a lu ce livre pour le 22 octobre 2021. Suivent les avis
d'Ana-Cristina, Mehdi, Anne-Marie et Jean-Paul.

Ana-Cristina
"Le Désert de l'amour" : ce titre me rebutait. Si nous le lisons, ce n'est pas grâce à moi ! Il semblait annoncer une histoire d'amour au parfum de rose (des sables, certes !) dans un style qui ne me plairait pas. J'avais tort sur ces deux points. L'histoire et l'écriture m'ont plu. Certes, parfois, pendant ma lecture, j'hésitais entre juger cette écriture grandiloquente ou lyrique, et j'ai pouffé en lisant : "les chevaux ailés du vent", mais personne n'est parfait ! D'ailleurs, une fois le roman terminé, ne m'est restée dans la tête que la musique d'une écriture "solide" et élégante.
Donc, un : j'ai aimé le style.
Deux : j'ai été intéressée par cette exploration sordide des mœurs et des horreurs de la bourgeoisie bordelaise. Les pensées de ces personnages qui portent les stigmates de conventions étouffantes et assassines ne m'ont pas ennuyée. C'est un roman (d'horreurs) psychologique (s) !
Trois : j'ai trouvé la fin très émouvante. La mise à mort du père par le fils n'a pas eu lieu et le fils vivra sa vie... Quant à Maria Cross, personnage-catalyseur des frustrations de ces deux hommes, elle vivra la sienne ! Bon c'est un peu une lapalissade, mais ce qui est important ici est que je parle de ces personnages comme s'ils étaient des êtres vivants et non comme des êtres de papier. Cette impression a certainement beaucoup compté dans ma lecture et mon appréciation. Mauriac n'a pas créé des êtres nimbés par sa poésie, ils sont bien des êtres de chair et de sang : "Pourtant ce vieillard, voilà dix-sept ans qu'il saigne : dans ces vies rangées, dans ces vies de devoir la passion se conserve, se concentre ; rien ne l'use, aucun souffle ne s'évapore ; elle s'accumule, croupit, se corrompt, empoisonne, corrode le vase vivant qui l'enferme."
Quatre : ces personnages m'ont touchée avec leurs problèmes existentiels. Sans doute parce que Mauriac y exprime son propre malaise. Donc cela ne sonne jamais faux. Il a grandi dans ce milieu et, coincé, il y a étouffé longtemps son homosexualité. Ces êtres torturés ne cessent de s'enfoncer dans le puits toujours plus profond creusé par la morale de leur milieu social, de s'enrouler et s'étouffer dans leur conscience qui crie. Ils ne s'en sortent pas, ils sont à la dérive. Ils souffrent de leur solitude. Le remède ? Pour Mauriac, c'est Dieu. Maria Cross délirant dans son lit après avoir tenté de se suicider réclame : "un être que nous pourrions atteindre, posséder — mais non dans la chair... par qui nous serions possédés." Et encore plus explicite : "Il faudrait qu'avant la mort du père et du fils, se révèlent à eux Celui qui à leur insu appelle, attire, du plus profond de leur être, cette marée brûlante.". Le "désert" du titre est aussi le "désert intérieur" des personnages. L'expression est dans le livre. Ce "désert" est ici sans doute synonyme de "vide". Et ce vide, pour Mauriac, ne saurait être comblé, si je le comprends bien, que par la présence de Dieu. Ce roman m'a beaucoup intéressée. J'ouvre aux ¾.
Mehdi
J'ai d'abord eu du mal à entrer dans l'histoire, sa chronologie. J'ai dû reprendre depuis le début après 20 pages. J'ai commencé à apprécier le livre à la moitié. J'ai trouvé la narration de la chronologie des événements sur le temps long, brouillonne. Tout s'est éclairé dès que l'auteur s'est arrêté sur un instant qu'il a déroulé pas à pas. Les longues descriptions étaient limpides et pleines de sens, y compris entre les lignes. Le livre est clairsemé de phrases, presque des maximes sur la vie/Dieu et qui ne sont pas soulignées/appuyées, ce qui est très appréciables. Enfin, ma dernière note a été la suivante (a 4 pages de la fin) : le titre aurait pu être "Désert" tout court. Il ne se passe presque rien au final, tout est dans la retenue et on perçoit une charge immense sur les personnages de ne jamais rien (ou rien pouvoir) exprimer. L'enjeu est selon moi la relation entre le père et le fils, c'est cet "amour" que désigne le titre. Il s'agissait du premier roman de Mauriac que j'ouvrais et j'ai beaucoup apprécié. Le tout a fait sens plus que les parties. Je l'ouvre aux ¾.
Anne-Marie
Le héros du livre, Raymond Courrèges, revoit par hasard (17 ans après) dans un bar parisien Maria Cross, une femme qu'il a aimée, ou cru aimer, et qui l'a fait basculer dans l'âge adulte alors qu'il avait lui-même 17 ans. On comprend qu'il a grandi dans un monde bourgeois étouffant et étriqué, dans lequel les sentiments ne s'exprimaient jamais, et on sent que c'est encore davantage par incapacité que par volonté. Son père lui-même a aimé en silence et en secret la même femme que lui, mais il ne le comprend que tardivement. Les sentiments et les doutes des personnages se nourrissent d'interprétation des gestes et comportements, car rien n'est avoué à l'autre de l'amour ressenti, toutes les émotions sont cachées, d'où des malentendus constants. Tous les personnages sont malheureux, comme si l'amour était inatteignable et qu'il ne reste plus à chacun d'eux qu'à rêver son épanouissement. Le père Courrèges pense que Maria, bien que femme "entretenue" est en réalité trop pure pour voir ses intentions et son amour et il n'ose pas quitter le rôle de médecin et d'homme sublime qu'il s'est forgé à ses yeux. Il souffre en voyant que l'assouvissement de son désir est impossible. En réalité sa présence ennuie Maria, qui de son côté se met à rêver de son fils rencontré dans le tramway un soir par hasard. Raymond, tombe lui aussi amoureux de Maria mais maladroit, il provoque son rejet, et Maria s'enferme dans ses frustrations. C'est un jeu permanent de faux-semblants : le père Courrèges essaie de se détacher de Maria, et tente de communiquer davantage avec sa femme, mais sa tentative se solde par un échec : la scène où il lui propose une promenade dans le parc et où elle ne fait que parler de ses problèmes de domestiques est très cruelle. Chaque fois, les protagonistes sont déçus par la réalité en décalage avec leurs aspirations. Il semble que l'amour parfait serein n'existe que dans leurs rêves et ils se consument en vain. Le style est précieux, un peu grandiloquent, comme les pensées de Maria qui se vit en mère éplorée et qui finit par se précipiter dans la respectabilité bourgeoise que lui offre le mariage avec l'homme qui "l'entretenait" : elle est sauvée à ses propres yeux, à ceux de la société bourgeoise. C'est le livre d'un désenchantement profond, d'un vide, extrêmement bien décrit, avec une lucidité glacée. La fin apporte le seul moment d'apaisement du livre : le père et le fils se retrouvent pour se dire adieu, enfin capables d'exprimer leur affection. La scène de la gare est particulièrement réussie. J'ouvre aux ¾.
Jean-Paul
Lors de la discussion sur cet ouvrage, je ne l'avais pas terminé et j'ai comblé cette lacune pour donner mon avis. Nous nous laissons assez facilement embarquer dans cette histoire, même si la trame est assez simple de vengeance et de ressentiment. Après que le fils s'est retrouvé par hasard dans un bar parisien des années 20 face à une femme qu'il a rejetée et méprisée sans savoir que son père avait aimé la même femme qu'il avait comme patiente d'un amour impossible, nous voila plongés dans une famille de la bourgeoisie bordelaise où personne ne laisse transparaître ses sentiments et ses tourments au nom des conventions sociales. On pense par instant à la chanson de Brel "Ces gens-là" où seule la grand-mère personnage secondaire semble pourvue d'humanité. Ce livre qui offre un tableau saisissant d'une promenade dans le Bordeaux des années 30 pourrait sembler déprimant et dire que chaque être est face à soi-même ; et pourtant une femme entretenue, peu dans leur milieu social, qu'ils ont aimée père et fils, va finalement au bout de longues années les rapprocher ; et de ne pas se dire je t'aime les rapproche ; et on peut dire que dans un désert d'amour, il y a des oasis et que rien n'est désespéré. Bref, j'ai malgré mon appréhension de lire pour moi un écrivain "un peu vieillot" beaucoup aimé ce livre.


Quelques informations autour du livre

Le roman a été d'abord publié sous forme de feuilleton dans La Revue de Paris en 4 épisodes (15 novembre, 1er et 15 décembre 1924, 1er janvier 1925) avant de paraître en intégralité aux éditions Grasset en 1925 ; voir ici les 4 épisodes de la revue.

François Mauriac a 40 ans quand Le Désert de l'amour paraît chez Grasset ; il reçoit avec ce roman le Grand prix du roman de l'Académie française en 1926.
Il entre à l'Académie française en 1933. Il recevra le Prix Nobel en 1952.
Des biographies détaillées se trouvent sur Wikipédia ou, plus littéraire, Le comptoir littéraire
ou plus officielle, sur le site du centre François Mauriac (précisons au passage que ce site, malagar.fr a pour nom celui du Domaine de François Mauriac qui se visite, à 50 km de Bordeaux).
Une bibliographie claire et complète se trouve ici.
Pour les potins intéressants, voir ce qu'en dit le biographe .

En 1925, lorsque sort le roman que nous lisons, il a publié en :
1913 : L'Enfant chargé de chaînes
1914 : La robe prétexte
1920 : La chair et le sang
1921 : Préséances
1921 : Dialogue d'un soir d'hiver
1922 : Le baiser au lépreux
1923 : Le Fleuve de feu
1923 : Genitrix
1924 : Le Mal
et pas encore les célèbres romans : Thérèse Desqueyroux (1927) ou Le Nœud de vipères (1932).

Le Désert de l'amour reprend, dit-on, certains personnages aperçus dans deux romans précédents (accessibles en ligne : Le Fleuve de feu et Le baiser au lépreux) et en développe l'histoire et les personnalités. Cherchés, pas trouvés...

Le Désert de l'amour a été adapté à l'écran
• par Pierre Cardinal en 1969, avec :

- Pierre Dux : Le docteur Courrèges
- Christiane Minazzoli : Maria Cross
- Emmanuel Dechartre : Raymond Courrèges
- Françoise Morhange : Lucie Courrèges
- Jacques Harden : Victor Larousselle

par Jean-Daniel Verhaeghe en 2012, avec :
- Emmanuelle Béart : Maria Cross
- Didier Bezace : Le docteur Paul Courrèges
- Mathieu Spinosi : Raymond Courrèges
- Catherine Mouchet : Lucie Courrèges
- Jean-François Stevenin : Victor Larousselle :

 

Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :
                                        
à la folie
grand ouvert
beaucoup
¾ ouvert
moyennement
à moitié
un peu
ouvert ¼
pas du tout
fermé !

 

 

 

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