Quatrième
de couverture :
On lappelait le "mage du Kremlin". Lénigmatique
Vadim Baranov fut metteur en scène puis producteur démissions
de télé-réalité avant de devenir léminence
grise de Poutine, dit le Tsar. Après sa démission du poste
de conseiller politique, les légendes sur son compte se multiplient,
sans que nul puisse démêler le faux du vrai. Jusquà
ce que, une nuit, il confie son histoire au narrateur de ce livre
D'origine italienne et suisse, Giuliano Da Empoli est essayiste et conseiller politique. Son dernier livre, Les ingénieurs du chaos, consacré aux nouveaux maîtres de la propagande politique, a été traduit en douze langues. Le mage du Kremlin est son premier roman.
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Giuliano Da Empoli (né en 1973)
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Les
42 cotes d'amour |
Un peu de doc autour du livre ?
I.
AUTOUR DU LIVRE ET DE L'AUTEUR Repères biographiques Livres écrits en français Presse : vidéo, radio, articles |
II.
DANS LE LIVRE Lieux et choses Événements Personnages Auteurs |
Le mage
du Kremlin en trois séances
: mini reportage de Claire
L'ancien groupe parisien auquel je participe existe depuis 35 ans. Le groupe breton auquel je participe une ou deux fois par an existe depuis 18 ans. Et le nouveau groupe parisien auquel je n'ai participé que trois fois existe depuis 7 ans. Pour la première fois, j'ai participé aux trois groupes sur le même livre - une expérience passionnante pour qui aime Voix au chapitre... Qu'y ai-je retrouvé ? Une même diversité de réactions sur le même livre : du rejet à l'enthousiasme. Comment un même livre peut-il susciter de tels écarts dans les impressions ressenties, voilà un étonnement dont on ne se lasse pas ! Et ce qui me frappe, c'est que c'est avec la même aisance que s'expriment, l'un après l'autre des avis différents, puisque la lecture subjective est ici reine : il n'y a pas un avis de l'un.e qui vaille plus que l'avis de l'autre. J'y ai retrouvé aussi un plaisir chaleureux à se retrouver et à être ensemble autour d'un livre, ou plus exactement d'une expérience de lecture. Dans les trois groupes, il y a des anciens et des récent.es arrivé.e.s, ayant tout de suite trouvé leur place. Il y a quand même des différences entre les groupes, mais lesquelles ? Outre leur ancienneté qui joue sur les références possibles aux livres lus ensemble, il y a le cadre, le fonctionnement et le boire et manger qui diffèrent un peu... |
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Le groupe breton
se retrouve à 14h chez Marie-Odile, avec plats et boissons
russes à qui mieux mieux, on mange carrément "à
table", au soleil dehors en février, le cheval dans le
champ voisin cherche le contact, un bouvreuil se pose sur le prunetier
tout près, et quand arrivent nuages bretons puis fraîcheur,
on rentre pour Le mage du Kremlin autour du feu de cheminée. |
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Alors qu'en Bretagne, on se réunit en alternance près de Vannes ou de Pontivy, alors que le nouveau groupe plutôt réuni chez Françoise a 5 ou 6 autres possibilités de lieu de retrouvailles, dans "l'ancien groupe", on se retrouve invariablement près de Notre-Dame. La table basse tournante ploie sous le poids des victuailles : leurs rapports avec le livre sont bien ciblés ou tirés par les cheveux... On fait plus grignoter avant d'attaquer Le mage du Kremlin... |
Les Bretons
n'aiment pas les surprises : avant d'entendre
les avis, ils veulent savoir à quoi s'en tenir ! On dit donc
sa cote d'amour avant toute prise de parole : parlent en premier les
plus déçus, pour terminer toujours par les grand ouverts,
en apothéose pour le livre... Ce jour-là nous sommes
9 + 1 visiteuse. Dans le nouveau groupe, qui veut parle et aussi longtemps qu'il veut. On peut l'interrompre, pour ajouter quelque chose ou dire un désaccord. Ce soir-là, on est 11 + 1. Des avis d'absents arriveront après. Dans l'ancien groupe, on lit d'abord à haute voix les avis des absents transmis, ce qui lance la tournée : d'emblée, les absents ouvrent du ¼ à grand ouvert, ça met dans l'ambiance. À la suite de celui qui en premier a pris la parole, on tourne automatiquement dans un sens, personne ne l'interrompt et en principe, on limite la durée de la prise de parole car on est nombreux, et si on dérive il y a toujours quelqu'un pour dire "au fait tu ouvres comment"... Nous avons aussi des participants à l'écran. Ce soir-là, 16 avis différents, y compris venant de Rennes, Dijon, Narbonne. |
Passons maintenant en revue les avis détaillés pour chaque groupe :
Brigitte
T Chantal
Jean Soaz |
Yolaine
Pour une fois, le choix programmé par Voix au chapitre ne
m'inspirait guère. Poutine étant très à la
mode cet an-ci et la propagande battant son plein de tous côtés,
méfiance et préjugés me submergèrent devant
un énième ouvrage sur la Russie dont on dit tout et n'importe
quoi dans cette période troublée. La médiatisation
hystérique de Giuliano Da Empoli n'arrange rien.
Après lecture et en feuilletant à nouveau ces pages, je
m'aperçois que le texte n'en est pas si mal écrit. Mais
je me suis quand même parfois ennuyée, mon sentiment dominant
étant l'agacement ainsi que la déception, pour diverses
raisons. La première réside dans le mélange des genres
: est-ce un document sur Poutine "le tsar" ou un roman ? Le
débat que nous avons eu sur ce dilemme n'a pas vraiment clarifié
les choses. Il est certainement possible d'écrire une fiction tout
en témoignant d'événements historiques. Léon
Tolstoï s'en est plutôt pas mal sorti dans Guerre et Paix,
le témoignage sur les guerres napoléoniennes étant
aussi percutant que l'épopée des personnages créés
par l'auteur est envoûtante. La puissance est au rendez-vous sur
les deux tableaux.
À l'inverse, Le mage du Kremlin est handicapé par
la faiblesse de la matière historique proposée, l'auteur
n'ayant personnellement connu ni le tsar ni son conseiller. Il s'agit
donc d'un recueil d'informations qu'on peut assez facilement trouver ailleurs,
ainsi que me l'a assuré le fan club de Voix au chapitre
qui jure que tout est vrai.
Giuliano Da Empoli explique lui-même dans divers entretiens qu'il
a utilisé le récit romanesque quand il n'avait pas de certitudes
sur les faits réels. Cette méthode me paraît douteuse
sur le plan de la vérité historique. Si celle-ci est sans
doute difficile à atteindre, s'en approcher le plus possible est
une question d'honnêteté intellectuelle.
Et surtout cette part imaginaire, qui peine à s'articuler avec
les réflexions politiques du mage Baranov (probablement inspirées
des écrits du conseiller Sourkov), est d'une platitude désespérante.
Quand on pense à l'intelligence et à la beauté de
nombre de femmes russes dans la réalité vraie de vrai, on
plaint ce pauvre Vadim de s'être amouraché d'une héroïne
aussi falote et inconstante. La fin m'a paru proprement délirante.
Un point positif cependant, la description d'un "homme de l'ombre"
qui est une réelle découverte. On sent que l'auteur est
là en terrain connu, et j'attends avec impatience de pouvoir lire
son autobiographie, car il semble qu'il n'ait jusqu'ici rien dévoilé
dans ses écrits de ses diverses activités politiques.
Marie-Thé
Si je n'ouvre ce livre qu'à moitié, c'est parce que je m'attendais
à autre chose, à mieux : je n'ai pas trouvé ici l'écriture
virtuose, flamboyante, à laquelle je m'attendais. Grand prix du
roman de l'Académie française, Goncourt loupé dans
les conditions qu'on connaît, louanges des critiques, articles élogieux
ici et là, tout cela m'avait fait croire que j'allais rencontrer
un grand livre, peut-être même un chef-d'uvre.
Voilà pour l'écriture ; quant au fond, je n'ai pratiquement
rien appris que je ne savais déjà, les médias (dont
je n'abuse pourtant pas) nous rabâchant depuis si longtemps ce que
nous lisons dans ces pages.
Le titre m'interpelait et éveillait ma curiosité : intriguée
par cet homme de l'ombre (le plus puissant stratège du Kremlin ?),
je me suis demandé si je n'allais pas rencontrer un nouveau Raspoutine,
trouble, mystique et inquiétant.
Là encore, fausse piste.
J'aurais dû me méfier, les interventions de Giuliano Da Empoli
à La Grande Librairie,
chez Laure
Adler, ou récemment dans l'émission Répliques
d'Alain Finkielkraut, ne m'avaient pas appris grand-chose non plus.
Ce livre où le pouvoir, la puissance, ont tant d'importance, où
aucune fissure ne doit apparaître dans la carapace, me fait penser
à Machiavel, à son ouvrage Le
Prince à l'usage du despote, du tyran, mais pour peut-être
éclairer le peuple sur les méthodes du tyran... Et je ne
peux m'empêcher d'évoquer La Boétie et le Discours
de la servitude volontaire : "ceux
qui sont possédés d'une ambition ardente et d'une avidité
notable se groupent autour de lui et le soutiennent pour avoir part au
butin et pour être, sous le grand tyran, autant de petits tyranneaux."
Pour revenir précisément à certains passages du livre,
je découvre un peu surprise que Baranov, ce mage du Kremlin, ne
fait qu'exécuter ce que lui demande un Poutine au pouvoir et tout
puissant. Il est celui qui rend possible ce que veut le Tsar. "Aucun
de ces événements n'avait été voulu par moi.
Mais tous avaient pu compter sur mon infatigable labeur. Je ne supportais
pas l'idée de perdre" (bombes de Moscou, Tchétchénie,
Berezovsky, Micha, Ukraine, etc.). Parfois troublant cependant.
Ce livre révèle l'importance de l'image, de la télévision,
mais la bassesse du Tsar avec son chien face à A. Merkel, c'est
vu et revu. Par contre, j'avoue que l'image de Clinton pris d'un fou rire
intarissable près d'Eltsine paraissant amusé lui aussi,
était pour moi un signe de grande entente, de complicité,
un moment drôle et chaleureux, rassurant même : comment ces
deux-là pourraient-ils nous entraîner dans un conflit quelconque ?
À la lecture de ce passage, je découvre stupéfaite
la grande humiliation qu'avait provoquée cet événement
en Russie. Comme quoi... Je me suis sans doute trompée. Nous nous
trompons souvent, il est bon de répéter qu'"au
début des années 90, Gorbatchev et Eltsine avaient fait
la révolution", entraînant chez la grande
majorité des Russes "l'effondrement du rêve soviétique".
Les répétitions revenant comme un refrain ne m'ont pas dérangée
"L'État le plus
vaste de la planète, une super puissance nucléaire !"
J'ajouterai les richesses du sol et du sous-sol, et je me pose cette question
: qu'est-ce qui ne marche pas ? L'auteur nous rappelle qu'il ne faut
pas toucher aux intérêts américains, qui continuent
à "traiter les
russes en patrons" (allusion au gaz russe pour le compte
de multinationales américaines, etc.). Par ailleurs, l'histoire
de la Russie est marquée par la violence, même si nous ne
sommes plus au siècle d'Ivan Le Terrible. "La
Russie est éternellement condamnée à recommencer."
Livre intéressant malgré tout, impression d'être sur
une scène de théâtre parfois. Me viennent aussi pêle-mêle
des mots comme cynisme, trahisons, Occident décadent (redoutable
cependant pour le pouvoir l'attrait que peut exercer l'Occident sur les
masses). Le récit des enfants de Leningrad face aux clochards en
dit long par ailleurs : "La
seule arme qu'a un pauvre pour conserver sa dignité est d'instiller
la peur."
Je retiens encore ceci : "Tout
ce qui fait croire à la force l'augmente véritablement."
Je pense à L'ordre
du jour d'Éric Vuillard avec l'entrée en Autriche,
propagande...
Le passage sur Limonov critiquant la société occidentale
et ses aspects déplorables, entre délire, contradictions
et réalités, m'a ramenée au livre
d'Emmanuel Carrère découvert il y a quelques années.
"La distance préserve
l'autorité." Le Tsar est seul... En Occident "les
milliardaires sont au-dessus des lois et du peuple (...) ils achètent
ceux qui gouvernent", en Russie "le
pur exercice de la force"."Les
imprévus sont toujours le fruit de l'incompétence",
dixit Poutine... Autant de mots qui ont retenu mon attention. Mais vers
la fin, j'avais l'impression qu'on basculait dans un de ces délires :
domination et pouvoir aux robots, apocalypse, fin de l'histoire humaine,
la machine a pris la place de Dieu !
Soljenitsyne n'avait-il pas dit qu'il y avait danger car l'homme avait
oublié Dieu ?
Suzanne
J'ouvre ¾ en raison des émotions que ce livre suscite.
Le préambule de 90 pages est long avant que Poutine n'apparaisse
à la page 90. Des personnages sont très intéressants,
à commencer par les deux premiers qui se rencontrent à travers
les réseaux sociaux à propos de Zamiatine et son roman futuriste.
Qui est Zamiatine, me suis-je demandé, ne le connaissant pas.
Le personnage de Knesia existe à peine, plutôt un ectoplasme.
Mais lui, Baranov, est fasciné. La fin, avec la noyade, m'a donné
un peu l'impression d'avoir rêvé...
Baranov n'est pas d'accord au sujet de l'Ukraine, mais Poutine est le
maître. On n'assiste pas à leur intimité. Comme Da
Empoli a lui-même été conseiller d'un chef de gouvernement,
il a du vécu. Mais je suis restée sur la fin quant à
cette relation. J'ai trouvé que ça manquait de matière,
que ce n'était pas assez fouillé.
Cependant, ce livre est un alibi, un prétexte pour se poser des
questions, voire reconsidérer des événements : par
exemple, je n'avais pas saisi l'humiliation d'Eltsine.
J'ai vu Le divan de Staline, de Fanny Ardant, qui rend bien la terreur
Chantal
Les proches sont toujours sur le fil du rasoir...
Suzanne
Oui, l'un est envoyé en Sibérie, l'autre tout à coup
libéré Yolaine parlait des médias concernant l'auteur
du livre, mais dans le livre on voit bien comment tout est bon pour Poutine
à manipuler, médias, motards...
Édith
Désir de découvrir ce livre, puis plaisir de lecture rapide
une première fois et plaisir de l'échange à venir.
Lors de ma deuxième lecture en survol (cela m'arrive très
souvent) la page 155 m'a arrêtée car, ayant cédé
au plaisir de la découverte de l'intrigue ou du récit sans
prendre de notes, je me suis trouvée embarrassée pour écrire
mon avis. J'avais traversé le livre rapidement, mais quoi en dire
? J'avais senti sans m'y arrêter la subtile "invention"
en termes de "management politique" du héros" Baranov
qui a existé sous une autre identité.
Séduite par les scènes de la vie politique très fraîches
dans ma mémoire et le "défilé" des personnalités
du monde littéraire et politique de la Russie post-soviétique,
j'aurais pu dire que les anecdotes sont drôles, bien décrites
avec distance et humour, mais je ne voyais pas vraiment en quoi Baranov
avait intelligemment "guidé" Poutine dans sa prise de
pouvoir et comment sa gouvernance, y compris actuellement (le livre colle
à l'actualité) à l'uvre, pouvait être
décodée, sinon comprise.
De fait, l'auteur Da Empoli, lui-même acteur et observateur du monde
politique, nous livre sous forme du roman une hypothèse des plus
réalistes et "spectaculaire" du système Poutine.
Prendre et garder le pouvoir comme un metteur en scène impose son
spectacle dont les spectateurs seraient les acteurs à leur insu,
heureux et satisfaits d'ailleurs du spectacle !
Ainsi j'en reviens à la page 155 : "Depuis
la dernière conversation avec le Tsar, javais commencé
à concevoir mon rôle de façon différente. En
me plongeant dans les chroniques des procès staliniens des années
trente, je métais rendu compte quil sagissait
déjà, au fond, de mégaproductions hollywoodiennes
: la voie soviétique au show-business. (...) Il ny a pas
de limites à la capacité créatrice dun pouvoir
disposé à agir avec la détermination nécessaire,
pourvu quil respecte les règles fondamentales de chaque construction
narrative. La limite nest pas constituée par le respect de
la vérité, mais par le respect de la fiction. (...) Staline
avait compris que la rage est une donnée structurelle. (...) Gérer
le flux de la rage en évitant quelle saccumule est
plus compliqué, mais beaucoup plus efficace. Pendant de nombreuses
années, mon travail, au fond, na été rien dautre
que cela."
Je reste cependant confuse quand je ressens autant de difficultés
à raconter de façon claire mon expérience de lecture.
Je suis peut être "contaminée" par les nombreux
récits et reportages des médias qui m'ont, ces derniers
mois, apporté leurs hypothèses de compréhension du
personnage (le Tsar) Poutine : j'ai beaucoup écouté
et je suis bien déroutée.
Ce roman est brillant dans sa simplicité de lecture qui en fait
un leurre car, comme je le précisais pour commencer, la substance
même de la démarche fut pour moi masquée par la fluidité
des anecdotes et le plaisir de m'y retrouver.
Je parle de ce livre avec d'autres autour de moi, il m'habite comme m'habite
le déroulé médiatique de la guerre en Ukraine
Ce livre ne sera-t-il qu'un "objet" d'actualité ou une
réflexion plus vaste sur le politique depuis 1917 et les dictatures
du monde soviétique ? Ou aussi un éclairage sous cette forme
romanesque des deux mondes s'opposant : l'ex-monde soviétique avec
ses quatre générations embrigadées intellectuellement
et dont la pensée serait structurée si différemment
du monde occidental ? Notre monde occidental n'ayant pas subi de
pouvoir très autoritaire "vertical" comme aime à
le dire et l'écrire Da Empoli ? Notre monde occidental étant
"horizontal", une définition de la démocratie
qui parcours le récit.
J'ai lu il y a quelques mois Putzi
le pianiste d'Hitler de Thomas Snégaroff dont le récit
très documenté sur Putzi et sa relation d'influence auprès
d'Hitler. De mémoire, le lien qui unit le confident pianiste (géant
physiquement) à Hitler est celui de l'admiration pour Wagner et
le désir pour Hitler d'une introduction dans le monde des arts.
J'ai presque mieux saisi la dynamique de ce récit que la démonstration
"romanesque" de Da Empoli.
Roman totalement inscrit dans l'actualité
bien qu'écrit
avant notre "actualité ukrainienne" ? Cette lecture pourrait
me donner envie d'aller retrouver quelques auteurs dont Zinoviev
(dans ma mémoire il y a longtemps). Je me remémore Kundera
et aussi L'Archipel
du goulag. Et pourquoi pas citer Kourkov et son
Pingouin et ses Abeilles grises dans le mode
fiction cynique, mais drôle. Etc.
Juste avant d'écrire mon avis, je viens de lire in extenso la documentation
de Voix au chapitre qui accompagne le livre. De ce fait un rajout
est indispensable, une troisième lecture, en notant le plaisir
important à "relire" de façon illustrée
de larges parties du texte en lien avec les illustrations. Ainsi mon avis
de lectrice un peu "besogneuse" quant à la démarche
sort-elle ibérée des détails historiques et subtilités
de stratégies politiques. Ne me reste qu'à affirmer à
nouveau le simple et franc plaisir de la lecture en tant que ROMAN donc
LITTÉRATURE. Ce que j'avais éprouvé dès la
première lecture.
Désir d'aller lire Limonov
que j'avais négligé de lire bien qu'appréciant beaucoup
la littérature d'Emmanuel Carrère.
Marie-Odile
J'ai relu deux fois le premier chapitre avant de
pouvoir passer au suivant. Le texte ne m'a vraiment accrochée qu'à
partir de l'entrée en scène de Poutine.
Je trouve que c'est un roman étrange, comme si le roman n'était
pas sa forme première. Certes les nombreux portraits intéressants
(le grand-père, le père, Ksenia, etc.) donnent au texte
une dimension romanesque. Mais, je trouve que de nombreuses pages relèvent
du documentaire, fort intéressant, sur la Russie post-communiste,
les années Eltsine, l'avènement de Poutine, la question
ukrainienne.
Le personnage qui fait lien entre tout ça, Baranov, ne m'a pas
semblé crédible dans un premier temps. Je n'ai cru ni à
son activité au théâtre, ni à la télévision.
Et puis pourquoi ce récit dans le récit ? Pourquoi
Baranov n'est-il pas le narrateur premier ? Cela permet seulement
parfois une comparaison entre le monde russe et le monde occidental, interpellé
en la personne du narrateur n°1. Seul son rôle de metteur en
scène soucieux de "beauté" lors des jeux de Sotchi
m'a intéressée et peut-être ses réflexions
finales prophétiques...
Pour moi, les dialogues
qui occupent souvent une grande place pourraient se transformer
facilement en une succession de scènes de théâtre.
Le style se veut percutant. Les formules choc, les maximes, les "vérités"
assénées, les bons mots, les histoire "drôles"
alimentent ce qui ressemble souvent à des monologues de personnages
cyniques enfermés dans leurs certitudes et leur définition
du pouvoir. J'ai trouvé l'atmosphère pesante, étouffante.
J'ai eu envie de sortir du livre.
Plus j'approchais de la sortie, de la fin du roman, plus j'étais
séduite cependant par la densité et la virtuosité
du texte, soulignant le machiavélisme, la froideur, le cynisme
d'un pouvoir implacable qui, pour parvenir à ses fins (asseoir
le pouvoir, la domination de la Russie), passe par tous les tours et détours
possibles.
La fin du roman fait froid dans le dos, qui
envisage ce que serait un pouvoir dictatorial appuyé sur l'intelligence
artificielle. J'ai trouvé un peu facile le dernier chapitre avec
l'apparition de l'enfant comme pour dire que tout n'est pas perdu, qu'il
y a encore des choses à sauver, après avoir dressé
un tableau apocalyptique de l'évolution de l'humanité.
Je n'ai pas assimilé tout le contenu de ce texte extrêmement
dense.
J'ouvre aux ¾.
Brigitte T
Dès les premières pages je me suis passionnée pour
ce roman, fiction réaliste et historique très proche de
notre actualité. Le passé politique de Da Empoli lui a sans
aucun doute donné une lecture et une analyse fidèles et
documentées du Tsar Poutine avec sa complexité et ses énigmes
mais aussi de sa cour dans ces années post-soviétiques et
enfin de l'Occident dans ses rapports avec la Russie.
Grâce à Vadim Baranov, personnage romanesque inspiré
de Vladislav Sourkov, le mage du Kremlin pendant vingt ans surnommé
le Raspoutine de Poutine, j'ai rencontré le Tsar de la race des
conquérants, un homme féru de compétition et d'exercice
physique dont le visage est une plaque de granit : "Dans
une vidéo, tournée en marge d'une rencontre officielle,
on le voyait rire, chose très rare en Russie où un simple
sourire est considéré comme un signe d'idiotie."
Il n'y a rien d'européen dans ce regard, rien de doux. Le Tsar
veut rétablir la Grande Russie mais j'ai compris que Poutine et
les Russes ne se contentent pas d'avoir des objectifs ils les dépassent
et ne sont jamais assouvis : "Le
seul trône qui lui donnera la paix sera la mort".
J'ai des frissons d'horreur à l'idée que la lecture m'a
fait m'installer sur le canapé comme si j'étais à
côté de Poutine ; le Tsar cruel, énigmatique,
archange de la mort, chef du contrôle, homme insatiable, commandant
imperturbable de sa grande patrie qu'il veut "une" et soumise
- il veut restaurer la grande Russie du temps de l'URSS. Cet ex-officier
du KGB m'inquiète, m'effraie. En Russie, "tout
se passe en général très bien, mais quand les choses
vont mal, elles vont vraiment très mal" ; "quand
le Tsar parle de politique il ne donne jamais de chiffres : il parle le
langage de la vie, de la mort, de lhonneur, de la patrie."
Baranov me fait croiser des oligarques qui ont bien existé. Ces
derniers ont fait des fortunes colossales dans les années post-soviétiques
mais aujourd'hui Poutine ne leur accorde plus de pouvoir politique et
leur demande une obéissance absolue. Sinon ils sont exilés
et/ou assassinés.
Inquiétant la lecture de la fin du roman et la réflexion
sur les réseaux sociaux et l'IA bien que pas nouvelle comme analyse :
"Désormais, où
que nous nous trouvions, nous pouvons être identifiés, rappelés
à l'ordre, neutralisés si nécessaire. L'individu
solitaire, le libre arbitre, la démocratie sont devenus obsolètes".
Processus dangereux d'influence sociale qui rend l'individu manipulable,
incapable de se faire une opinion par lui-même et qui anéantit
la solidarité humaine et donc la solidarité des peuples.
Je n'en ai aucune envie pour moi et les générations à
suivre mais
.
Que dire en refermant ce roman clairvoyant sur le conflit engagé
depuis un an par la Russie en Ukraine. Ces deux pays proches mais pour
Poutine inséparables : "un seul peuple ! Kiev est la mère
de la nation russe"
Russie orpheline mais pas seulement ? Je
cite : "Nous reprendrons
le contrôle des sources de richesse de notre pays (
)
: le gaz, le pétrole, les forêts, les mines, et nous mettrons
cette richesse au service des intérêts et de la grandeur
du peuple russe".
J'ouvre le livre en entier car passionnant et instructif, il aborde la
géopolitique et le jeu de massacre tant physique que psychologique
lié au pouvoir exercé par Poutine sur les Occidentaux. Je
me dis que s'entendre avec la Russie pour nous Occidentaux est sans doute
irréalisable : "La
Russie est la machine à cauchemars de l'Occident. (
) Entre
un Russe et un Occidental il y a la même différence de mentalité
qu'entre un habitant de la Terre et un Martien." Pourquoi
une entente impossible ? Ce roman nous donne quelques pistes. Le poids
de l'Histoire : la Russie a repoussé avec son lot de cruautés
Napoléon, Hitler ; le narrateur nous évoque Staline : "le
matériau de Staline est la chair et le sang des hommes, sa toile,
une nation immense, son public, tous les habitants de la planète".
L'incidence de la culture, les valeurs démocratiques non partagées,
la corruption, les enjeux financiers et économiques très
divergents notamment liés aux ressources du sous-sol.
J'ai conscience que je suis sans aucun doute trop inculte en géopolitique
pour avoir compris toutes les ruses du pouvoir, les enjeux individuels,
les dérives, les violences, les méfaits de l'égocentrisme,
le pouvoir de l'argent et de la cour qui gravite autour du dirigeant et
qui ne s'arrête pas aux frontières russes, les bienfaits
de la démocratie. Comme dit le narrateur : "Le
pouvoir est comme le soleil et la mort, il ne peut se regarder en face."
Face au pouvoir que sont la place du peuple et son avenir ?
Pour conclure je pense que cet ouvrage mériterait de ma part une
deuxième lecture.
Soaz
Livre passionnant, qui m'a plongée dans les dessous de l'histoire
et du pouvoir russe.
La lecture est aisée.
J'ai occulté la première partie et la fin, je l'ai même
oubliée ; j'ouvre en grand parce que le livre m'a emportée.
Il m'a donné envie de rechercher les correspondances historiques
des personnages, des lieux, des actes, a ouvert ma curiosité vis-à-vis
de la Russie.
Il décortique les manipulations, les diversions, les tourments,
les complexités du pouvoir. Il lève le voile sur la situation
géopolitique actuelle (relations occidentales, Ukraine, Russie).
Le mage du Kremlin est la main, l'esprit, l'outil qui aide Poutine et
lui permet de diriger à souhait son pays, d'arriver à ses
fins par n'importe quel moyen.
Quelques phrases ou expressions :
- Le privilège est
le contraire de la liberté : une forme d'esclavage.
- Celui qui habite le Kremlin possède le temps, celui qui en franchit
le seuil sent sur lui la main du pouvoir sans limites, habitué
à broyer les destins des hommes.
- La verticale du pouvoir
- Poutine seul aux commandes
- Il n'y a rien de pire que le virus de la politique
- Les passions font vivre l'homme, la sagesse le fait seulement durer
- La Russie doit devenir un lieu où l'on peut défouler sa
rage et rester un fidèle serviteur du Tsar.
Jean
Je ne lis pas beaucoup de romans. Mais celui-ci a de quoi nourrir mes
interrogations. C'est un livre descriptif qui relie deux périodes,
soviétique et poutinienne.
Et avec ce livre on est dedans, on est maintenant. C'est plus facile de
parler de Napoléon, voire de Trump qui me paraît derrière.
Je suis dérouté par la flèche du temps qui s'inverse,
concernant l'avortement aux Usa ou la Guerre de 14 qui revient chez nous.
Ce livre bouscule des choses qu'on n'avait même plus à penser.
Il pose bien les conditions d'accès de Poutine au pouvoir et de
ceux qui y adhèrent, soit une partie importante de la population.
Cela me renvoie à ma propre mythologie.
Poutine n'a pas d'empathie mais il sent bien les gens. Ce n'est pas à
Sechine mais à Baranov qu'il passe la main, car il a un recul cynique.
Il est dans une pièce de théâtre et il attribue les
rôles. C'est intéressant de se demander quelle pièce
de théâtre se joue dans sa propre société.
Ceux qui ont le pouvoir s'appuient sur des mythes, car "la
politique a un seul but : répondre aux terreurs de l'homme.".
Ainsi, "quand le Tsar
parle de politique il ne donne jamais de chiffres : il parle le langage
de la vie, de la mort, de l'honneur, de la patrie." Les
Russes adhèrent à Poutine par fierté de tenir tête
- et en cela il répond à des besoins humains - tout comme
des Arabes se sont réjouis quand Saddam Hussein a envahi l'Irak
: "chaque peuple doit
croire que ce n'est qu'en lui que réside le salut du monde, qu'il
vit pour se tenir à la tête des autres nations !"
C'est intéressant de comprendre comment dans la tête de Poutine
l'irrationnel est présenté comme rationnel, par exemple :
"La première
règle du pouvoir est de persévérer dans les erreurs"
Pourquoi ? Car "tout
ce qui fait croire à la force l'augmente véritablement."
De même, Staline est montré dans le livre populaire, non
pas "malgré les
massacres" mais "à cause des massacres".
Et aujourd'hui encore la mise à mort d'un oligarque réjouit.
Il y a du grain à moudre dans ce livre pour considérer ce
qu'on vit. Ce n'est pas un bouquin génial, mais il m'a permis de
gamberger.
Chantal
J'ai beaucoup aimé ce livre, après avoir lu les deux
petites lignes du début : les faits et les personnages sont réels,
les dialogues et les vies privées sont de l'auteur.
Le livre m'a plu, j'aime chercher dans une histoire les arcanes menant
à l'histoire, notre histoire, ici et maintenant. Là, on
est servis...
Grande littérature peut-être pas, mais l'écriture
est fluide, belle, la lecture est aisée.
La construction du livre est habile. Contrairement à plusieurs
d'entre vous, j'ai aimé la façon d'amener les personnages
du tsar et du mage à travers ce jeune homme amoureux de Moscou
qui veut découvrir où est passé ce mage, Baranov
(inspiré de Sourkov), ce jeune homme et le mage qui utilisent les
réseaux sociaux (notre époque), pour faire référence
à Zamiatine, auteur d'une dystopie au début du 20e siècle
qui a inspiré Georges Orwell
: son imagination rejoint NOTRE
réalité ! Je suis ravie de cette découverte.
Ce début, partie roman, m'a plu. La fin que vous avez trouvée
nulle, cucul, oui certes... mais je ne m'y suis pas arrêtée.
Après tout l'auteur n'est pas (encore ?) romancier...
L'important pour moi, c'est l'habileté de l'auteur, à travers
la narration brillante du mage, pour tracer les itinéraires entrecroisés
des deux personnages : le tsar "pêché" par les
oligarques dans les bureaux du FSB qui en 20 ans est devenu la hantise
de notre monde. Et le mage qui passe en ces mêmes 20 ans de la muse
noire du tsar au rôle de metteur en scène talentueux des
projets fous du tsar qui a éliminé tous les oligarques qui
l'avaient mis en place. Théâtre classique...
L'auteur utilise adroitement les événements, les faits réels,
pour nous faire comprendre, comprendre le cheminement du raisonnement
du tsar : utiliser le chaos, la terreur qui s'ensuit pour devenir "maître"
des événements et du monde.
Venger, venger la Grande Russie, Russie raillée, humiliée,
pendant toute la période des années Eltsine. Et, dans cette
détermination sans faille, il est suivi par une grande partie du
peuple. Les autres, qui voudraient s'opposer, sont bâillonnés.
Et là, l'auteur infuse inévitablement dans notre esprit,
l'inquiétude, la peur... Il ne cédera jamais ! Et sa scène
de théâtre risque, dans sa folie très "logique"
de continuer
Le mage lui, revient "à la raison", à l'humanité.
Il vient du théâtre, pendant 20 ans il est resté dans
le théâtre, celui de la réalité du pouvoir
"vertical"
Maintenant il va vivre
oui
un peu
facile
Mais avec ce que l'auteur vient d'assener à son lecteur...
ça fait du bien
.
J'oublie le chapitre des robots, drones, intelligence artificielle, Da
Empoli nous ramène à Zamiatine, habile : lecteur, voici
le pouvoir, l'ultime pouvoir, absolu, celui qui se mettra inévitablement
en place... Terrible !
"Nous aurons été
la parenthèse qui a rendu possible la descente de Dieu dans le
monde (
) gigantesque organisme artificiel, créé par
l'homme (
) pour réaliser la prophétie d'un temps sans
péché et sans douleur." Inch Allah ...
Je pensais ouvrir ¾ ... mais finalement après notre discussion... :
en entier !
Bien sûr, le sujet du livre, oui mais le livre, tel que conçu
par l'auteur, nous oblige, même si on n'en a pas trop envie, à
REGARDER. Et ça, bravo Monsieur Da Empoli !
Anne-Marie
Christine David
Françoise H
Katherine |
Audrey entreet
J'y ai vu deux pôles, celui du personnage Baranov et celui du pouvoir
politique russe. Baranov incarne deux choses différentes ; il est
utilisé de manière narrative pour favoriser une forme d'identification
avec le lecteur puisque d'emblée on sait que s'il a été
proche du Tsar, il s'en est libéré, présenté
comme quelqu'un qui sait se libérer de ses chaînes, un homme
cultivé, qui aime lire, proche de l'Occident, un père, un
amoureux. La structure narrative est un peu lourdingue. La fin de l'histoire
n'est pas très recherchée. Mais cette structure narrative
permet à Baranov de pointer son visiteur, auquel on s'identifie
aussi, comme l'Occidental. Le lecteur se sent ainsi désigné
destinataire, visé par la menace, la vengeance
On suit le
parcours de ce Baranov, le double de quelqu'un qui existe vraiment, qui
uvre comme le grand metteur en scène de la montée
du pouvoir de Poutine. Il va orchestrer la manipulation, la destruction
jusqu'au chaos. Il affirme à la fin que la littérature,
comme La Bruyère qu'il cite, de faire bien ces choses avec une
distance. Je n'ai jamais senti ce personnage douter, se remettre en cause
tout au long de cette ascension.
Face à ce personnage, il y a la présentation de la politique
et économie russes qui s'impose d'emblée comme hyperviolente
et comme une grande mise en scène. "La
vie est une comédie, il faut la jouer sérieusement."
Les procès staliniens sont d'ailleurs présentés comme
des mises en scène parfaites. Même chose pour la prise du
pouvoir de Poutine. D'ailleurs il serait avéré que les attentats
du début de sa prise de pouvoir avaient été orchestrés
par Poutine. Baranov affirme que le peuple a besoin d'un chef, d'un sauveur
vertical qui répondent aux besoins du peuple, à la nature
du peuple qui réclamerait la puissance à l'extérieur
et l'ordre à l'intérieur. Et donc on met à mort tous
ceux qui peuvent déranger. Il dit que le dirigeant doit avoir le
pouvoir et l'argent mais que l'argent sans le pouvoir n'est rien. Cela
se termine par l'idée qu'il serait la transition vers l'homme-machine.
La question de l'avenir est posée.
Je ne trouve pas que c'est un très grand livre. Cela m'intéresse,
mais la forme n'est pas intéressante. Ceci étant, j'ai été
emportée, j'ai eu du plaisir à le lire.
Valérie
Ce qui m'a énormément gênée, c'est que c'est
un Italien qui parle au nom des Russes. J'ai trouvé cela abominable.
Je suis allée souvent à Moscou, j'ai beaucoup d'amis russes
dont l'un d'ailleurs m'a dit "tu
n'es pas russe, tu ne peux pas nous comprendre". Cet auteur
s'approprie une pensée qu'il ne connaît pas.
Le livre se lit très facilement. J'ai beaucoup aimé le début.
J'avais l'impression d'être dans la chambre de Tolstoï, dans
les récits de Tourgueniev ; j'ai beaucoup aimé ce décorum.
Ensuite quand Baranov raconte son histoire, ce qui m'a beaucoup gênée,
c'est que cet homme, qui dit avoir travaillé avec Poutine et fait
tout ce qu'il a fait, ne porte la responsabilité d'aucun de ses
actes. Le bonhomme a pourtant les mains sales. On écoute cet homme
qui nous raconte sa vie, on se dit que c'est un gentil, on le fait passer
pour un étudiant un peu naïf qui va devenir producteur de
cinéma
Quand on sait ce qu'il a fait, j'ai trouvé
cela assez épouvantable. Ce qui m'a ulcérée, c'est
la fin quand il fait des considérations sur les robots. Et en plus
il va voir grandir sa fille, heureusement qu'elle est là
Pour tous les Russes que je connais, avec tout ce qu'ils ont vécu,
j'ai été outrée. Il a une belle plume, très
journalistique. J'ai trouvé intéressant le rappel de tous
les évènements qui se sont passés en Russie. Mais
le fait qu'on englobe tous les Russes dans ce qui s'est passé est
insupportable. Je suis d'accord avec une chose qu'il écrit p. 49
"Seule compte la proximité
avec le pouvoir". Je l'ai ressenti en Russie. Mon ressenti
est lié avec mon parcours en Russie. J'ai trouvé ce roman
assez immoral, surtout ce personnage qui pendant 20 ans profite et travaille
avec Poutine sans état d'âme.
Romain
C'est une méditation du pouvoir qui m'a beaucoup intéressée.
Nombre de ses petites phrases m'ont parlé, car moi-même j'ai
eu beaucoup de pouvoir très jeune. J'ai eu l'impression que ce
personnage était ivre de ce pouvoir et en fait cela l'a rendu cynique,
cela l'a beaucoup ennuyé ; il s'est rendu compte que le pouvoir
est beaucoup de choses, mais à la fin il n'y avait plus rien sauf
sa fille et il va pouvoir trouver l'essentiel à l'échelle
d'un foyer.
Je passe sur la plume qui est journalistique. Je laisse de côté
l'intrigue, quoique j'ai trouvé intéressant que ce soit
un Occidental qui l'interroge et que cela fasse une sorte de dialogue
avec énormément de critiques sur le modèle occidental
; il nous présente une critique du capitalisme. On retrouve une
société où le pouvoir domine l'argent et c'est rare.
J'ai beaucoup apprécié cela.
Je ne connais pas du tout la société russe. J'ai pris un
malin plaisir à suivre Poutine dans son accession au pouvoir, à
en savoir davantage sur un dictateur. C'est quelqu'un qui donne tout au
pouvoir et à la fin il ne reste rien. Les personnages secondaires
restent très secondaires, telle celle qui va devenir sa femme,
très stéréotypée
La narration est basique.
Mais je me suis identifié au premier narrateur qui devient celui
qui écoute les leçons sur ce que nous sommes. Il fait référence
au Roi-Soleil, à Staline. J'ai beaucoup appris sur la société
russe, que les gens ne sourient pas
C'est intéressant de
voir une société qui vit sous un autre régime que
celui de l'argent. Ce qui est terrible, c'est que lui qui pratique le
pouvoir, il en est lassé, il en est presque ennuyé. Il n'y
a finalement pas trouvé son compte ; il revient à l'art,
il se remet à écrire
Justement parce que c'était
immoral, j'ai eu plaisir à le lire. Et la réflexion sur
le pouvoir d'un dictateur nous parle individuellement, ce que je trouve
fascinant.
Anne-Marie
J'ai trouvé que
c'était un livre plaisant et je l'ai pris comme un exercice de
journaliste extrêmement bien documenté. Il est italien mais
il parle de la Russie comme s'il y était. Tout ce qu'il écrit
est vraisemblable, pertinent et en même temps, c'est un peu cliché
quand même. J'ai trouvé super la présentation qu'il
fait de Poutine avant son accession au pouvoir, l'homme qui ne veut pas
sortir de l'ombre. C'est le cheminement et la mécanique du pouvoir
qui sont intéressants ; on se croirait dans un roman policier.
Je trouve que c'est très bien foutu et qu'il ne faut pas le prendre
au sérieux. C'est un exercice littéraire de journaliste
brillant et en même temps cela nous apprend plein de choses sur
le pouvoir en soi. J'ai adoré l'histoire sur le maintien du pouvoir.
Il faut toujours que les gens aient peur et ne sachent jamais sur quel
pied danser avec le chef car c'est la peur qui maintient le pouvoir. Si
on est en sécurité dans son poste, on se relâche.
Staline a fait cela très bien et Poutine reproduit cela. Et le
héros illustre cela et sait qu'il lui faut partir avant qu'on ne
le pousse de manière brutale. La fin n'est pas terrible, mais j'ouvre
en grand car c'est un bouquin qui a bien rempli son rôle. C'est
très divertissant et en même temps cela te donne à
réfléchir sur le pouvoir.
Christine
C'est un livre qui m'a passionnée. Au début j'ai eu du mal.
Entre la recherche du narrateur sur un auteur et le fait qu'il se retrouve
dans cette Mercédès avec des gorilles, il n'y a aucune transition
; on ne sait pas où il va. Mais j'ai rapidement oublié ce
bémol. La fin en revanche n'est pas du tout au niveau du centre
du livre. Baranov divague sur cette société internet.
Romain
Il parle de Zamiatine qui a écrit un roman d'anticipation.
Christine
J'ai trouvé que cela venait comme un cheveu sur la soupe et puis,
effectivement, l'histoire avec sa fille, je n'ai pas compris.
Anne-Marie
L'auteur ne savait peut-être pas comment finir !
Anne
Non, je ne pense pas.
Christine
Ce qui m'a très intéressée, c'est comment un pouvoir
absolu peut s'établir pas à pas. Au départ, Poutine
a été choisi sur des critères objectifs pour remplacer
Eltsine, qui était une catastrophe. Il y a ce conseiller qui émerge
et pour lui c'est un jeu, un défi à relever. Je ne suis
pas d'accord avec ce qui a été dit sur le fait qu'il s'en
irait à la fin parce qu'il a peur ; j'ai plutôt eu l'impression
qu'il s'en allait parce que, certes, il sait que son temps est terminé,
mais aussi parce qu'il n'y a plus de challenge à relever et donc
cela ne l'intéresse plus. Ce qui m'a passionnée, c'est de
partir des explosions des immeubles avant la première élection
de Poutine, puis voir comment tout est mis en scène pour montrer
que la Russie est puissante et ne s'écrase pas devant les Occidentaux
et relève les vexations. Da Empoli ne connaît pas particulièrement
la Russie, mais il a été conseiller, il connaît les
arcanes du pouvoir et c'est pour cela qu'il a pu écrire un tel
livre où il démontre les mécanismes du pouvoir, comment
ils se mettent en place. Je l'ai lu comme un roman policier. Et tout est
vrai.
Valérie
C'est quand même un mélange de vrais personnages, de vrais
événements et de la fiction. Il y a des gens que cela a
gênés.
François
Je suis d'accord avec toi, Christine. Ce personnage fait une critique
du pouvoir de l'intérieur. Il est constamment critique. Il a des
phrases étonnantes sur la manière d'exercer le pouvoir,
comment il voit Poutine. Il tombe pile avec l'actualité. C'est
caustique, au laser. Il décrit Baranov comme ne partageant pas
du tout le point de vue de Poutine sur l'Ukraine, par exemple. Il y a
un côté théâtral dans ce bouquin qui est permanent.
Le pouvoir est un théâtre et je trouve cette vision intéressante.
Les personnages déteignent tous un peu les uns sur les autres.
Il y a un côté Dostoïevski qui dans Le
Joueur fait une comparaison entre les Russes qui jouent le tout
pour le tout et les Occidentaux vus comme des gagne-petits. Les représentations
énoncées par Baranov sont des clichés. C'est vraiment
la Russie telle qu'on l'imagine. Il y a Poutine qui est fasciné
par tous ces oligarques et en même temps il les utilise, les condamne,
alors que lui est un petit fonctionnaire au départ. Dans ce livre,
on sent bien cela.
D'un point de vue narratif, c'est roman bien ficelé, mais il a
une écriture très journalistique, un peu sociologique. C'est
pas très inspiré, contrairement à La
Fin de l'homme rouge que nous avons lu. Ceci étant, j'ai
trouvé qu'il y avait des phrases extraordinaires, comme par exemple
"Le destin des russes
est gouvernés par des descendants d'Ivan le terrible".
On voit aussi que le culte de Staline survit à tout. L'auteur le
montre bien. Ce que je n'ai pas du tout aimé, c'est la fin, cette
sorte de réflexion sur le pouvoir des machines, c'est vraiment
du cliché. La phrase qui résume bien ce bouquin, c'est "il
n'y a rien de plus sage que de miser sur la folie des hommes."
C'est un livre qui est intéressant, qui n'est pas ennuyeux. L'auteur
qui a été proche du pouvoir lui-même sait de quoi
il parle. Mais ce n'est quand même pas un grand livre.
Christine
Je ne pense pas que ce soit un grand livre, mais c'est un livre d'actualité
et qui passionne parce que c'est dans l'air du temps avec ce qui se passe
actuellement. Mais le Prix
de l'Académie française est quand même étonnant.
Nathalie B
Ce n'est pas la première fois que l'Académie française
attribue un prix à des livres qui à mon sens ne sont pas
très bien écrits pour de la littérature française.
Le style est assez ordinaire. Les phrases sont courtes, type sujet-verbe-complément.
C'est une écriture journalistique sans grande envergure. Ce n'est
pas pour moi du très grand journalisme de surcroît. Il n'y
a pas une richesse de vocabulaire particulière. La composition
du livre est assez simpliste et somme toute plutôt bancale. Le roman
se lit effectivement très facilement. Pour moi, c'est truffé
des clichés que nous, Occidentaux, ou tout au moins Français,
nous faisons des Russes, ce que je trouve très agaçant et
même assez indigne dans le temps qui est justement le nôtre.
Sinon sur les faits proprement dits, il connaît son sujet, mais
personnellement, je n'ai pas eu de surprises. Tout ce qu'il écrit,
je le savais ou l'avais su par les médias français. Donc,
je n'ai rien appris. Ni même sur les mécanismes du pouvoir,
sans doute du fait de certaines autres de mes lectures et ma propre vie.
J'ai retrouvé dans ce roman l'ambiance rencontrée à
Saint-Pétersbourg dans les années 90, notamment sur l'argent
qui coulait à flot pour certains qu'on voyait venir à la
banque avec des mallettes entières de dollars et pour certains,
notamment les fonctionnaires qui, eux, ne pouvaient pas plus voyager que
par le passé, mais cette fois, pour des raisons financières
et avec des parents qui avaient travaillé toute leur vie et qui
devaient dépendre de leurs enfants car les retraites n'étaient
plus assurées.
Je suis plus indulgente que vous sur le dernier chapitre dans lequel il
parle d'un pouvoir qui n'aurait plus besoin de s'appuyer sur "la
collaboration humaine" pour le conserver, car il y a toujours
un risque que les humains se retournent contre le dictateur ("ils
tournèrent leur carabine, Potemkine"), mais dont la sécurité
serait assurée par des machines (drones, capteurs
). Il ouvre
sur un danger réel qui est quand même déjà
un présent. Et il fait ainsi le lien avec Nous
de Zamiatine. On aurait aimé que le narrateur du début et
de la fin, censé représenter l'Occident, argumente contre
ce Baranov, qui se présente comme un sage entouré de ses
livres et aimant sa femme et sa fille, se permettant de critiquer le pouvoir
comme s'il n'en était pas un des acteurs avec des morts sur la
conscience. C'est pour le moins cynique. Un livre facile à lire,
sans révélation et sans complexité, irritant. Je
l'ouvre à moitié.
Valérie
En t'écoutant, je pense à La
fête au Bouc de Vargas Llosa, nettement supérieur
à ce roman, qui parle de la dictature et des coulisses du pouvoir.
(Plusieurs opinent.)
Anne
Pour moi, c'est une fiction qui se passe au pays de la Russie. Je trouve
que c'est très ludique d'avoir pris de vrais personnages et d'en
faire un théâtre à sa manière à lui.
La fiction de ce personnage m'a pas mal intéressée.
Je vais commencer par la fin parce que je me suis demandé comme
vous ce que venaient faire là ces robots. J'ai pensé à
Pottsville
que nous avons lu où, à la suite d'un enchaînement
infernal, le personnage devient meurtrier et délire sur le cul
des chiens à la fin. Comme Lady Macbeth et Macbeth qui délirent
à la fin. Il y a des meurtres qui vous font délirer.
Tous ces hommes très forts sont des hommes très fragiles,
mais qui se défendent tellement de leur fragilité qu'ils
deviennent des monstres de force. J'ai trouvé que Baranov était
dans la banalité du mal. Après avoir perdu cette femme qu'il
adore, qu'est-ce qu'il lui reste ? Il lui faudra rencontrer un deuxième
double car il lui faut toujours s'appuyer sur des doubles forts. C'est
un homme en quête d'identité. Il va lui falloir la béquille
d'un homme qui a besoin lui-même de s'appuyer. J'ai ressenti à
quel point la vie est un chemin de croix, pour nous tous et pour ceux-là
également. Si on n'a pas le pouvoir, c'est compliqué ;
si on l'a, on est obligé d'avancer de plus en plus loin. Ils sont
embringués dans des systèmes manipulateurs pour arriver
à se maintenir au pouvoir. C'est très manichéen avec
les Russes forts d'un côté, les faibles Européens
de l'autre. Il a du mépris face à l'Occident. Cela renvoie,
par rapport au délire de la fin avec les robots, au monothéisme.
Il y a le pouvoir dans la verticalité, un homme unique devient
un super oligarque, mais seul. Peut-être que le pouvoir ne peut
être que vertical.
Nathalie
Le pouvoir peut se partager sans problème. Il n'y a pas que cette
conception du pouvoir.
Anne-Marie
J'ai l'impression que tu enrichis un peu trop les personnages d'un caractère
qu'ils n'ont pas.
François
Il a été conseiller. On entre à l'intérieur
du pouvoir par l'intermédiaire de ce personnage. On n'a pas toujours
l'impression qu'il est d'accord avec ce qui se passe.
Anne-Marie
Sur la fin, il se crée une sorte de fiction de bonheur avec sa
fille pour masquer son échec et sa dépression.
Anne
Elle n'est pas inintéressante cette fin. Pour moi un livre, ce
sont les protagonistes avant tout. La structure littéraire n'est
effectivement pas très passionnante, assez linéaire. Mais
j'ai eu un certain attachement assez horrifié avec ce personnage
parce qu'il a l'air très sympathique en fin de compte. Il crée
des horreurs, il n'est pas d'accord avec la question de l'Ukraine mais
il fait tout ce qu'il faut
il est un homme second. Il y a un moment
très romanesque quand il va pour la dernière fois en Suède
car il est interdit d'États-Unis et d'Europe. Sa femme, assez fine
dans sa relation avec lui, comprend qu'il lui faut un choc électrique
et l'entraîne au loin dans la mer glacée. Il y a une tension
dans son relationnel avec cette femme dont on sent qu'elle l'aime.
Monique
C'est quand même pas très réaliste.
Anne
Cela ne fait rien. C'est de la fiction. (Rires)
Monique
Le livre est d'autant plus captivant qu'il est d'une actualité
brûlante. Qui ne s'interroge pas sur ce qui se passe dans la tête
de Poutine ? Le récit de Baranov commence comme un conte : "Mon
grand-père était un formidable chasseur".
Et on est pris. Car ce roman donne des éclairages sur le pouvoir,
des rappels de l'Histoire russe des années 90 à nos jours,
même si c'est une fiction en partie. Ce roman est fort bien mené
et écrit, avec sa part de mystère, de romance, d'intrigues,
de personnages ambigus, d'opposants, de courtisans, d'espions, d'oligarques
de tout poil, bref tout ce qu'il faut pour accrocher et séduire
le lecteur. G. Da Empoli sait admirablement décrire les atmosphères,
sa chambre moscovite, dernier étage d'un immeuble bourgeois des
années cinquante : "À
la fenêtre, les lueurs orangées de la ville étaient
amorties par les coups de fouet d'une chute de neige nerveuse. Dans l'appartement
régnait le climat d'improvisation (
) La voix de Marlene Dietrich
donnait une touche décadente à l'atmosphère, renforçant
le sentiment d'étrangeté qui constituait à cette
époque la source principale de mes plaisirs.".
Ou encore le trajet en Mercedes noire, les deux cerbères robustes
et peu bavards qui l'accompagnent, la forêt noire et hostile, la
demeure cossue style Guerre et Paix de Baranov, l'immense bibliothèque
de livres français héritée de son grand-père
L'hôtel particulier d'Anastasia Tchekhova décoré style
des années folles où l'on se serait attendu à voir
apparaître Zelda Fitzgerald ou Kiki de Montparnasse et où
les hommes d'affaires garantissaient la substance et les aristocrates
la décoration.
Le style est
brillant, imagé, l'auteur a le sens de la formule : "Puis
arrive Gorbatchev, avec son verre de lait ! (
) En Russie. Vous vous
rendez compte ? Après on s'étonne que tout soit parti en
vrille." ou "Tu
vois Stepachine guider nos troupes dans le Caucase ? Ce serait comme mettre
une kalachnikov entre les mains d'une oie domestique"
(p. 91), les idées erronées
que les Occidentaux se font du peuple russe, par exemple la valeur de
l'argent : "Les Russes
jouent avec largent. Ils le jettent en lair comme des confettis.
(...) Seul le privilège compte en Russie, la proximité du
pouvoir." Ou encore, après le passage de Gorbatchev
et Eltsine, "la grande
majorité des Russes s'étaient réveillés dans
un monde qu'ils ne connaissaient pas (
) Ils avaient grandi dans
une patrie et se retrouvaient soudain dans un supermarché."
C'est plein d'anecdotes : la vertushka qui permet de communiquer
directement avec tous les pontes du régime ; la kremliovka,
panier de victuailles quotidien réservé aux membres du Comité
central du Parti
; la frayeur de la chancelière Merkel face
au labrador Koni de Poutine ; le fou rire de Clinton auprès d'un
Eltsine incohérent et ivre en conférence de presse et l'humiliation
des Russes qui regardent ça devant leurs téléviseurs.
Toutes sortes de personnages liés à l'histoire de la Russie
sont évoqués dont Poutine à son tout début,
petit fonctionnaire blond pâle, aux traits décolorés,
portant un costume acrylique beige, arborant une mine d'employé
veinée d'une imperceptible pointe de sarcasme
Et surtout
les années 90, l'effervescence liée au vent de liberté,
la vie d'affaires, les Mercedes blindées des oligarques, les fêtes
privées, les invitations surprises à Courchevel, l'accumulation
brutale de richesses, bijoux luxueux, montres Cartier
"On
pouvait tout se permettre hormis la monotonie". L'ORT
privatisé est confié au milliardaire Boris Berezovsky, les
reality-shows remplacent le théâtre ; la maison Logovaz de
Berezovsky, vieux palais sur la Novokouznetskaïa : "Vous
pouviez y passer à toute heure du jour et être sûr
d'y trouver un bon cigare et un entrepreneur biélorusse ou un général
kazakh avec lequel refaire le monde." (description du
lieu p. 80). À Poutine de prendre les
rênes du pouvoir et de redresser tout ça ! Août 99,
il est nommé premier ministre. Le pouvoir vertical se met en place
avec son lot de cynisme, de meurtres et de tyrannie. Explosion de deux
immeubles à Moscou engloutissant des dizaines de familles : attentats
tchéchènes ou bombes placées par les amis de Poutine ?
Bombarder l'aéroport de Grozny ? "Nous
frapperons les terroristes où qu'ils se cachent (...) s'ils sont
aux chiottes (...) nous irons les tuer jusque dans les cabinets."
Ce jour-là Poutine est devenu tsar à part entière
dit le narrateur. D'autres faits sont évoqués : le naufrage
du sous-marin russe en mer Noire, les jeux olympiques fastueux à
la gloire de Poutine, les préparatifs puis la guerre en Ukraine.
C'est un roman, formidablement écrit et documenté. Le chercheur
en sciences russes Antoine Nicolle en dénonce les clichés
dans une page
du Monde ; je n'ai pas non plus appris grand-chose, mais c'est
si agréable à lire que j'ai beaucoup aimé.
Jean-Paul
J'ai été déçu par ce livre car j'attendais
autre chose. Je m'attendais à pénétrer le cur
du pouvoir russe et en réalité, c'est plein de clichés.
On parle de la grandeur de la Russie, que la Russie est punie par l'Occident,
des anecdotes comme celle concernant Merkel et le chien de Poutine, mais
on connaît déjà. Qu'est-ce qui est dit sur la Tchétchénie,
sur ce qui se passe en Ukraine ? Tout est survolé.
Et ce personnage qui traverse le roman, on dirait que c'est un spectateur.
Il se prétend le mage et se raconte comme un spectateur de ce qui
se passe. Il n'émet aucune critique. Vous le présentez comme
un personnage "bon", moi je trouve très sordide. Il admet
tout ce qui est fait. Il exécute. C'est un exécutant, pas
un mage. Il s'en va parce qu'on lui retire son pouvoir. Jamais il ne condamne
Poutine, ni même Staline. C'est un roman décevant. Son écriture
n'est pas terrible.
Christine
Mais peut-il s'autoriser à critiquer alors qu'il continue à
vivre en Russie ?
Jean-Paul
C'est un roman ! On est en train de confondre la fiction et la réalité.
Il quitte la scène comme s'il avait accompli son devoir et qu'il
n'avait rien à se reprocher.
François
Ce roman est plutôt une métaphore sur le pouvoir.
Jean-Paul
C'est un peu creux. Il n'a pas de profondeur. Un roman mal ficelé
et un peu décousu.
Françoise
H
J'ai pris beaucoup de plaisir à le lire. Je l'ai lu en une nuit
et je n'arrivais pas à me décoller du livre. Mais qu'est-ce
qu'il en reste ? En réalité pas grand-chose.
Je pense qu'on est bien informés sur la Russie. On pense qu'on
va lire des choses qu'on ne sait pas encore, mais en même temps,
c'est pas une enquête très sérieuse. Visiblement l'auteur
ne connaît pas très bien la Russie. On est un peu victime
de nos propres attentes.
Il y a une chose qui m'a gênée, c'est le comparatif que j'ai
fait avec Saint-Simon quand il écrit sur Louis XIV. Il y a une
grande intelligence dans l'approche des personnages, alors que sur ce
roman, je ne trouve pas que ce soit très intelligent. Saint-Simon
a une acuité psychologique très fine. Le mage du Kremlin
est une réflexion sur le pouvoir tel qu'on l'imagine qu'il est.
Où est la vérité, comment distinguer le vrai du faux,
je ne sais pas
François
C'est pour ça qu'on a parlé de polar.
Françoise
Le livre se donne à lire comme une enquête au cur du
pouvoir. On a tendance à beaucoup diaboliser le pouvoir en Russie,
mais finalement la même histoire serait racontée quand Clinton
était au pouvoir, je pense que ce ne serait pas plus reluisant.
On est pris dans le feu de l'actualité. On est très réactif
à ce qu'on lit dans ce contexte. Mais je l'ouvre en grand car j'ai
pris beaucoup de plaisir à le lire.
Margot
(avis transmis)
Il est intéressant de regarder la définition
de "mage" (CTNRL) :
- VIIe av. JC, membres d'une caste avec des attribution dans le culte
d'Ormuzd (zoroastrisme) : nous voici dans un cercle très fermé
et sectaire.
- Les rois mages, guidés par une étoile pour venir adorer
JC : nous voici dans le religieux et le divin.
- Personne spécialisée dans les sciences occultes, la magie
et la prédiction de l'avenir : nous voici dans les pouvoirs occultes,
interdits et au-dessus de ceux de Dieu.
- Personne qui entre avec l'univers dans un rapport de sympathie directe,
un poète : et nous voici dans l'univers d'un lettré qui
sait ouvrir les portes des mondes invisibles.
Toutes facettes par ailleurs déclinées dans ce livre.
Tout dans ce livre, parfaitement maîtrisé
y compris une écriture irréprochable, arrive fort à
propos.
- Un livre sur V. Poutine est publié peu après le démarrage
de l'offensive russe en Ukraine, au moment où les paquets de journalistes
et des intellectuels, en tête des hit-parades de L'Express
et du Point, s'interrogent toute la sainte journée :
mais que diable VP a-t-il dans la tête (au lieu de
mais que diable a-t-il en tête ? ). Une question d'actualité
donc.
- Un livre centré sur LE personnage politique international du
moment qui fait et défait les vies et rebat les cartes pour le
monde entier : celles des Ukrainiens, celles des oligarques grassement
enrichis. Les voilà treize à la douzaine, en Espagne et
le Sud de la France, tout à coup retrouvés étranglés,
pendus après avoir tué à bout portant toute leur
petite famille dans les villas de luxe. Celles des Européens qu'il
menace de faire mourir de froid, celles des Africains qu'il menace de
faire mourir de faim, et enfin celles des financiers internationaux qui,
grâce aux céréales, vont engranger des dividendes
sans précédent.
Un roman d'une actualité brûlante donc,
très opportun pour ne pas dire opportuniste.
Le contexte s'inscrit au cur du texte :
- Avec un personnage central "Le Tsar" autour duquel tout tourne,
le plus souvent hors de sa présence, et qui agit le monde. En somme
une personnalisation du sujet posé au début du livre : "mais
qu'est-ce que le pouvoir ?"
- Avec un récit qui, à la manière de ce que Christian
Salmon a cru un jour inventer avec Storytelling,
se construit sur une histoire singulière - un personnage central,
un sujet -, afin que chacun puisse s'identifier ou dont il puisse se saisir.
À partir de là, tout le roman se décline selon les
usages aristotéliciens, vénérés en France
:
- S'enraciner dans le réel de ce qui sera un dialogue : le témoin
fait du récit une sorte de confession. À partir de là,
le lecteur a la sensation de pénétrer le premier cercle
tant désiré.
- Avec ce qu'il faut de brume dans le pays du froid, de confusions et
d'incertitudes, qui va camper le personnage : un insaisissable qui apparaît
et disparaît à sa guise, qui piste lui-même le narrateur
anonyme.
- Remonter le cours de l'histoire : ah oui ! nous allons voyager dans
la grande Russie, chouette, et on ne lésinera pas sur les images
d'Épinal, on enfilera même les perles. Au poil, conforme
à ma carte postale intérieure, un peu dépaysée
ou mais pas trop. Un exemple : un pays de rustres très gentils,
sauf quand ils ne le sont plus et alors ils deviennent très méchants.
On s'arrêtera vite d'imaginer le pire mais on garde le petit frisson
si bon...
Par exemple : p. 26 en Russie, "tout
se passe en général très bien mais quand les choses
vont mal elles vont vraiment très mal"... Parce
que ce n'est pas le cas ailleurs ? (Au hasard, en Iran à la
chute du Shah ? En Irak lors de la chute de Saddam ? En France lors
de 93 ? En Chine lors de la IIe révolution culturelle ?)
Ni le narrateur ni l'auteur, ni le "je" anonyme n'ont peur d'enfoncer
des portes ouvertes aussi monumentales.
- La grande histoire qui se glisse dans la petite : des Tsars (assassinés),
aux bolchevicks jusqu'à Gorba réduit à sa bouteille
de lait et enfin jusqu'au nouveau Tsar, l'actuel, ah bon ! La Russie d'aujourd'hui
est un régime impérial ? J'ignorai... Et la grande
histoire va se glisser dans la petite histoire. La petite histoire, mais
tout de même portée par le conseiller occulte, du côté
des vainqueurs donc, ceux qui justement écrivent l'histoire selon
Walter Benjamin.
- Et voici la filiation historique jumelée avec la filiation généalogique
des éminences grises : le grand père, Russe blanc qui échappe
au massacre des bolchevick en 17/20 (mais bien sûr ! grâce
à la marmotte bleue qui met le chocolat dans le papier...), le
père qui dirige l'Académie des arts et des lettres, soumis
en diable, mais qui a accès à la culture interdite, et enfin
le fils, au cur du premier cercle de celui dont on cherche désespérément
à savoir ce qu'il a dans la tête...
Percer la tête comme on percerait la coquille du pouvoir comme s'il
devait y avoir quelque chose à l'intérieur... et qu'on ne
savait pas depuis Sun
Tsu que la coquille est VIDE (c'est aussi avancer avec cynisme ici
: il suffirait de ne rien faire... ce qui est à peine faux).
Mais mais mais mais... on veut rêver...
(voir suite=> ici)
Katherine
(avis transmis)
J'avais hâte de découvrir cette uvre dont j'avais beaucoup
entendu parler par la presse, des amis, des collègues. L'auteur,
utilisant le cadre (peu original) du vieil homme racontant l'histoire
de sa vie au coin du feu, déroule l'évolution d'un homme,
Vadim Baranov, qui deviendra le principal conseiller politique de Vladimir
Poutine pendant plus de 20 ans. J'ai été fascinée
par la description que fait Baranov (personnage librement inspiré
de Vladislav Sourkov, réel conseiller de Poutine) de la chute de
l'URSS, des changements de mentalité qui se sont opérés
dans les années qui ont suivi et de la vitesse fulgurante avec
laquelle le pays est passé d'un extrême du spectre socio-politique
à l'autre. Il décrit avec justesse la volonté de
certains de rattraper l'Occident, de bénéficier de toutes
ses opportunités et de mettre derrière eux l'ennui et les
années grises du communisme. Par opposition, d'autres se sentent
perdus et ne trouvent ni sens ni salut dans ce nouveau mode de vie hédoniste
et versé à l'excès dans la consommation. C'est la
brutalité de ce virage qui achèvera en quelques années
de déstabiliser la société russe et de la rendre
sensible aux sujets de l'ordre, de la sécurité et plus largement
à la "voix du commandement" de Poutine.
"The rest is history" comme on dit. La Russie bascule
tranquillement dans un régime de plus en plus liberticide, autoritaire
et guerrier. Baranov y raconte les dessous politiques de l'accident du
sous-marin Koursk, de la guerre en Tchétchénie, des visites
étatiques du Tsar, de l'organisation des jeux de Sotchi
Autant
d'événements qui nous permettent de mieux saisir la fierté,
l'intransigeance et la violence paranoïaque de Vladimir Poutine et
de mieux comprendre, avec un frisson dans le dos, comment ont été
dessinés les événements de cette époque. Le
ton est souvent provocant et les nuances rarement présentes, comme
c'est généralement le cas dans l'arène politique.
Je pardonne la fin dégoulinante du "papa qui a trouvé
le sens de la vie dans les yeux de sa fille de 5 ans". Hormis
ces quelques pages inutiles, j'ai beaucoup apprécié cette
lecture.
David
(avis transmis)
La lecture du Mage du Kremlin m'a séduit parce que l'auteur
enfonce avec habileté un coin dans la préconception de "mon"
monde. Da Empoli s'adresse bien à moi, ou plutôt à
"nous les Occidentaux" pour parler d'un homme brutal dont la
logique de guerre nous aveugle aujourd'hui par sa violence quasi archaïque.
Quel crédit les sociétés démocratiques donnent-elles
au tyran, aux autocrates, aux crypto-communistes ou aux féodalités
islamiques ? Aucun : vu de l'eldorado de la société de consommation,
nous avons appris depuis la chute du mur à regarder avec dédain
ceux qui s'en éloignaient, jusqu'à pronostiquer la Fin
de l'histoire (Fukuyama), diluée dans l'irrésistible
convergence vers une félicité uniforme - la société
démocratique de marché, un espace où se seraient
éteints les antagonismes d'antan.
Da Empoli opère méthodiquement un pas de côté
: de ces "ruines de
la cité des morts" (p. 67) qu'était
l'URSS dissoute et moribonde va renaître l'énergie d'une
renaissance. Celle d'abord des oligarques qui accaparent les ressources
fabuleuses de l'empire décadent. Gabegie, dilapidation d'un héritage
commun ? Sans doute, mais aussi flamboiement, excès, ivresse
dans une "conception
holistique du pouvoir". Bien sûr, le sans-culotte
qui sommeille en nous s'émeut de ce qu'une kleptocratie dépèce
aussi rapidement la caverne endormie, confirmant ce que l'on sait aussi
chez nous : l'argent roi achète absolument tout et se paie
en retour dans des proportions si fantastiques qu'elles nous échappent,
moucherons aveuglés par le filament. Mais subrepticement, ne sommes-nous
pas enclins à comparer cette euphorie des fortunes qui se créent
à l'absence de monstres équivalents dans nos démocraties
endormies ? Et si l'on s'en rassure moralement, n'est-ce pas aussi secrètement
pour se désoler qu'aient disparu des hommes d'une trempe équivalente ?
"chez vous, les hommes
qui exercent [le pouvoir] ne sont rien d'autre que des comptables"
(p. 81). En somme, à force d'avoir mis sous
boisseau la part déraisonnable des passions humaines, de les avoir
canalisées pour le bienfait d'une pan-démocratie sans heurt
ni violence, nous avons oublié que les hommes ne sont pas que des
machines raisonnées (raisonnantes ou raisonnables), mais aussi
(et peut-être même avant tout) des machines désirantes.
Que ce désir s'exprime dans un cerveau reptilien (argent/sexe/pouvoir)
ou plus globalement dans l'unité d'une nation réveillée
par un homme qui parle au peuple (et qui sait parler sa langue), la vitalité
de ce désir n'a pas d'équivalent dans une société
de tempérance dirigée par des technocrates sans vision,
sans âme, au service d'une société démocratique
mais qui ont oublié depuis longtemps l'élan d'énergie
que font naître une révolution, une insurrection, une guerre
victorieuse face à un ennemi désigné, dans le cur
des déclassés : "notre
génération avait assisté à l'humiliation des
pères" (p. 233) en "s'offrant
une dernière tournée de champagne avec l'argent de la licence
de taxi" (p. 176). Il y aurait
beaucoup à contre-argumenter sur cette anthropologie du pouvoir,
ma culture personnelle me protégeant je l'espère encore
des parfums vénéneux du pouvoir brutal. Mais les digues
ne cèdent-elles pas tous les jours un peu plus ? Et n'ont-elles
pas parfois des raisons pour céder ?
Ouvert en grand, non sans quelque tremblement.
Annick L
Christelle Renée |
Annick
L(avis
transmis)
Un roman passionnant.
J'ai trouvé fascinante cette plongée au cur du système
autocratique mis en place, depuis plus de deux décennies, par Poutine.
Le récit prend corps très rapidement à travers le
personnage de son narrateur, Vadim Baranov - sosie d'un conseiller bien
réel, très proche du "Tsar" - un acteur de l'ombre
qui ne renie rien de son expérience : le ton reste froid, très
factuel, avec une forme d'auto-dérision cynique. C'est une curieuse
impression, pour le lecteur, que de partager ainsi l'intimité de
ce dictateur réputé très secret, voire impénétrable.
Mais on se laisse embarquer malgré nous.
Même si l'auteur n'avait pas imaginé que Poutine déclencherait
brutalement la guerre à l'Ukraine, la parution de son roman est
particulièrement opportune : ce livre peut-il nous aider à
comprendre comment et pourquoi "le Tsar" a décidé
de lancer l'offensive ? Comment peut-on se livrer à de telles atrocités
sur des populations civiles ? Jusqu'où Poutine est-il prêt
à aller ? S'agit-il d'un plan concerté ou d'une spirale
de folie meurtrière ? Ce livre n'apporte pas de réponses
mais le portrait qui est fait de Poutine n'ouvre pas de perspectives rassurantes
: "Il ne s'arrêtera
jamais, n'est-ce pas ? Les gens comme lui ne le peuvent pas. C'est la
première règle. Persévérer. Ne pas corriger
ce qui a déjà fonctionné, mais surtout ne jamais
admettre les erreurs."
Le "témoignage" de Baranov apporte en tout cas un éclairage
intéressant pour des lecteurs qui connaissent mal l'Histoire de
la Russie post-soviétique, retracée ici à travers
quelques événements-clés revisités. Quel changement
de point de vue, de l'autre côté du miroir tendu par le monde
occidental : par exemple sur le vécu du peuple russe pendant la
pérestroïka - une période terrible de désordre,
de libéralisation sauvage - alors qu'elle était célébrée
par notre camp "démocratique" ! Je n'avais pas mesuré
la part d'humiliation subie par la nation russe après le règne
stalinien.
Et l'arrière-plan historique est assez solide pour donner de la
vraisemblance à l'ensemble. Giuliano Da Empoli l'a nourri de son
expérience de conseiller politique et de ses recherches pour les
essais qu'il a précédemment publiés. Ce voyage au
cur d'un système de valeurs et d'une culture politique radicalement
étrangères m'a replongée dans La Fin de l'homme rouge
de Svetlana Alexievitch
Mais, au-delà de l'intérêt intellectuel que j'y ai
trouvé, Le mage du Kremlin est d'abord un roman remarquablement
bien écrit. J'ai pris un grand plaisir à le lire et à
relire certains passages. Empoli a le sens des paraboles, des formules
choc pour saisir le fonctionnement de ce système totalitaire, sa
mise en scène à coups de propagande (cf. les Jeux de Sotchi),
ses angles morts (la fin du Parti Communiste comme contre-pouvoir) ou,
dans le portrait qu'il trace des différents acteurs (le tsar et
ses courtisans), leurs motivations, leurs failles et leurs contradictions.
Il m'en restera quelques passages marquants (sur les réseaux sociaux
et la propagation des fake news par exemple) : "Comment
fais-tu quand tu veux casser un fil de fer ? D'abord, tu le tords dans
un sens, puis dans l'autre. C'est ce que nous ferons, Evgueni. Au fur
et à mesure que vous construirez votre réseau, vous vous
rendrez compte qu'il y a des thèmes auxquels les gens tiennent
plus que tout. Je ne sais pas lesquels. Ce sont les clics qui te le diront,
Evgueni. Peut-être qu'il y a quelqu'un qui est contre les vaccins,
un autre contre les chasseurs ou les écologistes ou les Noirs,
ou les Blancs. Peu importe. L'essentiel est que chacun ait quelque chose
qui lui tienne à cur et quelqu'un qui le fasse enrager. (
)
Moi, je te le dis. Ils deviendront fous, ils n'y comprendront plus rien.
Ils ne sauront plus qui ni quoi croire ! La seule chose qu'ils comprendront
est que nous sommes rentrés dans leur cerveau et que nous jouons
avec leurs circuits neuronaux comme si c'était une de tes machines
à sous !" Lumineux, non ?
Il en ressort une vision très sombre de notre humanité,
réduite parfois à ses instincts les plus primitifs, comme
dans la scène de rencontre avec Prigojine, fondateur du groupe
paramilitaire Wagner.
À méditer
Grand ouvert.
Laura(avis
transmis)
J'ai dû mettre une soixantaine de pages à rentrer dans le
livre. Ce n'est pas que je ne m'y suis pas intéressée, bien
au contraire, mais plutôt que l'ambiance, l'atmosphère, les
personnages, le décor etc., ont mis du temps à me parler.
Toute la mise en place de la rencontre avec Baranov m'a semblée
un peu longue, sans toutefois me déranger plus que cela : le chemin
jusqu'à sa maison au plein cur de la forêt à
mis en place une sorte d'univers "merveilleux" (comme dans les
contes de fées, scintillants), qui m'a à la fois intriguée
et ralentie dans la lecture. Pour ce qui est de la suite, je me perds
encore un peu dans les nombreux personnages, mais je trouve le tout intéressant.
Je ne trouve pas d'autre adjectif pour définir le sujet : j'y vois
à la fois un roman, à la fois un essai, une critique, un
hommage à la culture russe, tinté d'ironie. Qu'importe au
fond que l'histoire soit romancée, en partie ou totalement. Avant
Noël, j'ai eu l'impression de voir tout le monde dans la rue, dans
les cafés, le métro, lire ce bouquin. Maintenant je comprends
pourquoi. Je ne connais pas assez la culture et l'histoire russe pour
donner mon avis, mais ce roman m'a semblé honnête (comme
l'on pourrait dire d'un travail qu'il est honnête), droit, maîtrisé,
sans faste ni fioriture, un roman qui dit ce qu'il a à dire, un
roman adapté à Gallimard, presque scolaire au fond (ce que
je pourrais pourtant déplorer habituellement, mais pas ici), un
roman confortable en dépit de son délicat sujet. Je ne suis
pas étonnée qu'il ait reçu le prix de l'Académie.
Malheureusement, je sais que c'est un livre que j'oublierai rapidement.
Peut-être que l'engouement qui l'entoure n'est-il dû qu'à
un effet de mode, qui sait ?
Pour conclure, je suis bien loin de descendre l'ouvrage violement, mais
je le suis tout autant de le porter aux nues. De fait, je l'ouvre aux
¾, et non ½, parce que je prends quand même bien du
plaisir à le lire.
Etienne(avis
transmis)
C'est avec une grande curiosité que j'ai
ouvert et débuté ce livre. Que pourrait on apprendre sur
la Russie après plus d'un an d'analyses, tribunes, avis d'experts
entendus depuis un an ? Parce si j'ai pu avoir l'illusion qu'il y
aurait une considération romanesque dans ce livre j'ai vite déchanté,
j'y reviendrai après.
L'arrivée de Poutine au pouvoir et la période qui l'a précédée
m'a beaucoup intéressé et je l'ai trouvé finement
décrite : on comprend que l'on est passé d'un extrême
à un autre en très peu de temps. Naïvement je ne me
figurais pas qu'il y avait eu cette période de libéralisme
effréné au cours des années Eltsine. J'ai aussi été
frappé par cette sorte de continuité historique autocratique
Russe. Selon l'auteur, des Tsar à Staline en allant jusqu'à
Poutine, il y aurait donc une sorte de fil rouge tout naturel. Et si j'ai
trouvé le livre globalement très bien senti (je n'ai évidemment
aucune prétention à connaitre la géopolitique Russe)
je reprocherais tout de même à M. Empoli d'avoir une vision
très atavique du peuple Russe qui aurait inscrit dans ses gènes
le besoin d'un grand leader. Il doit probablement s'inspirer de Dostoïevski
mais je me méfie toujours lorsqu'on parle d'un peuple, d'une âme
d'un peuple etc. C'est étrange de faire une généralité
à ce point, la population Russe est-elle tant que ça homogène
?
Alors, je fais une pause dans mon avis : non Claire, je ne suis pas en
train de faire un procès en appropriation culturelle, tu peux te
rassoir dans ton canapé:
M. Empoli a le droit d'écrire ce qu'il veut en étant italien.
Ce qui me gêne c'est la forme hybride, tout y est construit comme
un cours de géopolitique déguisé en roman. Soit.
Mais en fait le roman est tellement faible que je me sens trompé
Dès qu'il sort de l'analyse c'est le néant. Il n'y a rien
qui va, ses personnages n'ont aucune chair, il ne fait même pas
l'effort de construire un semblant de cohérence (le narrateur est
invité chez Baranov après avoir tweeté : ok
).
Le personnage et la relation avec Ksenia sont d'une vacuité et
d'une carricature abyssale (J'ai eu un fou rire au passage des "yeux
gris de requin" de Ksenia, la caricature de la belle slave fière).
On ne comprend pas les motivations propres de Baranov, il est censé
être intelligent : qu'est ce qui se passe dans sa tête pour
qu'il ne soutienne plus Poutine après qu'il nous ait servi son
discours sur la grandeur de l'âme russe? Cerise sur la chouquette
: la niaiserie de la rédemption finale par l'enfant et Baranov
qui comprend que finalement, tu sais, dans la vie l'important c'est la
famille
Bref, Je ne suis pas depuis un moment la rentrée littéraire
mais je suis quand même surpris qu'il ait provoqué un débat
au sein de l'académie Goncourt pour savoir s'il méritait
le prix.
Je l'ouvre au ¼ pour la leçon d'histoire contemporaine mais
il sera vite oublié.
Fanny
Tout le monde a lu ce livre dans mon entourage
père, mère,
toute la famille
me disant que c'était bien
Son originalité est le mélange roman/faits historiques.
Je me suis demandé si, au titre de l'intérêt intellectuel,
un essai de vulgarisation ne m'aurait pas apporté davantage. Je
suis partagée et Etienne a mis des mots sur mes impressions car
je ne n'ai pas accroché plus que ça.
La soif de pouvoir est bien rendue.
Mais il ne me reste pas tant que ça de lecture de ce livre.
Original, mais pas suffisamment abouti, voilà ce que j'en pense.
Au fil de vos avis, j'ai pu mettre des mots plus précis sur le
mien. C'est en fait la part romanesque qui pour moi n'a pas pris. Je me
suis perdue dans les personnages et n'ai pas éprouvé d'empathie
pour le mage.
Danièle
J'ai trouvé ce livre intéressant, déjà achevé
en 2021, donc avant l'invasion de l'Ukraine, mais publié seulement
en avril 2022, des suites du confinement, donc sur un thème de
pleine actualité. Et curieusement, c'est cela qui m'a parfois posé
problème au cours de ma lecture. Il venait en parallèle
aux informations dont je m'abreuve en ce moment, et que je mélangeais
avec celles du livre. Autrement dit, je mettais sur le même plan
une uvre de fiction et la réalité. C'est intéressant
de comprendre la réalité par le biais de la fiction et plus
d'une fois dans le groupe on a remarqué que la littérature
y réussissait parfois mieux qu'un essai. En ce sens l'objectif
de l'auteur me semble atteint. Il est vrai, comme le dit Etienne, que
tout est filtré par l'opinion de Da Empoli. Mais c'est justement
une uvre littéraire, et je la trouve assez bien réussie.
Comme Stefan Zweig dans ses biographies historiques, Marie-Antoinette
par exemple, il se met dans la peau des personnages historiques, qui eux
existent encore vraiment, comme s'il savait ce qui se passe dans leur
tête. C'est de cette manière qu'il arrive à démonter
le mécanisme de la montée du pouvoir de Poutine et des dictateurs
en général. À ce sujet, une citation m'a fortement
marquée, p. 150 : "Vous,
les intellectuels, [
] vous pensez que Staline est populaire malgré
les massacres. Eh bien vous vous trompez, il est populaire à
cause des massacres". Cela éclaire terriblement,
s'il le fallait, sur ses intentions en Ukraine. Au moment où l'auteur
écrit, ce message est encore prémonitoire. Et c'est l'un
des mérites du livre de mettre le doigt sur cet éternel
engrenage. Non qu'il faille généraliser sur la popularité
de Poutine en Russie. On sait ce qu'il arrive aux opposants du régime.
Mais cela ne me gêne pas vraiment que l'on parle d'une culture des
Russes et d'une culture des Occidentaux. Il se trouve seulement que cela
fait entrave à la communication. Je fais un aparté pour
illustrer mon propos : J'étais il y a peu en Pologne où,
là aussi, la plupart des gens que j'ai pu voir dans la rue ou dans
les espaces publics m'ont paru très fermés, sans un seul
sourire. Un peu honteuse de cette généralité j'ai
interrogé Google... : dis-moi Google pourquoi les Russes ne sourient
pas. Et j'ai la solution : on ne dit pas comme chez nous "Ne
pleure pas comme une fille", mais "Ne
souris pas" (voir des
détails ici).
J'ai apprécié ce livre pour ce qu'il m'a donné d'informations
sur un sujet qui maintenant nous concerne aussi, écrit dans un
style que j'ai trouvé agréable. J'ai pu mettre en question
certains clichés que nous avons, nous les Occidentaux, de l'histoire
et des gens qui la vivent. Lorsque j'étais perdue, je me raccrochais
à la documentation de Claire, que cette fois-ci
j'ai lue en même temps que le livre. Merci, Claire !
Ouvert aux ¾.
Odile de Dijon
Je l'ai lu il y a un certain temps et mon souvenir reste flou. Cependant
je me souviens d'avoir été très gênée
d'avoir un pied dans la fiction, un pied dans la géopolitique,
gênée par la superposition de genres. Du coup, devais-je
croire ou non ce que je lisais ? De plus, du fait de l'actualité,
j'éprouvais le besoin (comme beaucoup je pense) de mieux comprendre
ce qui se passait en Russie aujourd'hui et comment fonctionnait le pouvoir.
Ce "double-jeu" fiction-réalité m'a embrouillé
la tête plutôt que de m'éclaircir les idées.
Je n'ai pas du tout été intéressée par Baranov
en tant qu'humain, il m'a laissée de bois, y compris avec son aventure
sentimentale
Par rapport à ce cache-cache entre fiction et politique, l'article
du Monde ("Le
Mage du Kremlin multiplie les tours de passe-passe avec le réel")
m'a fait réfléchir sur ma perplexité, car il dénonce
le renforcement des stéréotypes sur la Russie. Dans cet
article, je suis intriguée par le passage sur Limonov. Il semblerait
que Carrère a fait un
livre plus complexe sur le personnage de Limonov. L'avez-vous lu ?
J'ouvre pas trop, au ¼.
Françoise, Jacqueline et Rozenn
Ouiiiii.
Rozenn
Je n'aurais pas proposé ce livre pour le groupe lecture, même
si je l'ai trouvé intéressant. D'une façon générale,
je n'aime pas et je ne lis pas de livres en équilibre entre histoire
et fiction. Comme il a été question plusieurs fois de ce
livre, j'ai été d'accord pour le programmer. J'avais envie
de savoir comment le groupe ressentirait cet équilibre. Si vous
auriez les mêmes réserves que moi.
Je l'ai lu parce qu'il se réfère à la Russie
et que je suis allée en Ukraine et en Russie aussi, plusieurs années
de suite. J'avais même suivi des cours de russe. J'ai arrêté
quand je me suis rendu compte que ce qui m'attirait, c'était la
violence de cette culture. Et puis là-bas, impossible d'échanger,
j'ai eu le sentiment que chacun restait sur ses gardes et hésitait
à parler. On m'a dit : ce qui nous importe maintenant c'est de
pouvoir travailler et rentrer tranquillement chez nous ; Poutine,
c'est la stabilité après le chaos des années 90
Je l'ai relu cette semaine et j'ai lu aussi Rien
n'est vrai tout est possible de Peter Pomerantsev sur le même
principe, entre réalité et fiction, comme le titre l'indique,
mais dont on a moins parlé. Et j'ai préféré
Le mage du Kremlin.
Malgré les artifices du début et de la fin pour "faire
roman", malgré la transformation, inutile à mon
avis du personnage qui se raconte - de façon invraisemblable -,
alors qu'il aurait été sans doute tout aussi intéressant
de reprendre la vraie jeunesse de Sourkov (fils d'un instituteur tchéchène).
Malgré l'histoire d'amour sans intérêt et la fin mélo
avec la petite fille.
Sur le plan historique, il présente l'intérêt
de récapituler certains événements, de permettre
d'imaginer l'entourage de Poutine.
Sur le plan romanesque, je n'ai pas vu l'intérêt. Mais c'est
facile à lire, en ce sens on peut dire "bien écrit".
Le livre est paru au bon moment. Mais on en apprend plus sur le régime
de Poutine et sur sa vie avec les documentaires qui ont été
proposés à la télé ces derniers mois. Quant
à savoir ce qu'il y a dans la tête de Poutine, même
en lisant le livre dont c'est le
titre - et dans la tête de qui que ce soit d'ailleurs -
c'est une autre affaire, est-ce même si clair pour chacun de nous
alors que nous pouvons faire coexister plusieurs systèmes de pensée,
a priori incohérents.
J'ouvre ½, aussi parce que l'auteur en parle bien sur tous les
plateaux.
Quant à Nous
autres de
Zamiatine, c'est un livre intéressant, surtout si on le replace
dans son contexte et avec l'histoire de sa (non) publication. Je ne me
souviens plus de ce qu'il vaut sur le plan littéraire et je lirais
volontiers la nouvelle traduction.
Brigitte entre et(à
l'écran)
J'ai lu ce livre, dont j'avais largement entendu parler, assez facilement.
Cependant j'avais du mal à comprendre l'enchaînement du récit,
si bien qu'il a fallu que je relise le début après avoir
achevé la lecture de l'ensemble, alors tout est devenu à
peu près clair.
On nous dit que ce roman est basé sur des faits réels, cela
le rend d'autant plus intéressant. En effet, dans le contexte actuel
de la guerre en Ukraine, où nous ne cessons de nous interroger
sur la logique des actes posés par la Russie, Vadim Baranov est
une sorte de clef de l'énigme.
Finalement j'en conclus que le but de Poutine est de maintenir l'idée
de la grandeur de son pays en gouvernant par le chaos et la terreur. Cela
ne rend pas optimiste, ni pour l'Ukraine, ni pour l'Europe, ni pour la
Russie.
J'ai aussi été très intéressée par
la description de l'évolution de la mentalité du Russe moyen
avec les diverses transformations de son pays depuis les années
quatre-vingt.
Je m'interroge cependant sur la qualification de "roman" de
cet ouvrage. Je ne trouve pas que les personnages de Ksenia et de la fillette
qui apparaît à la fin ne sont pas très crédibles.
J'ouvre entre ½ et ¾.
Renée(à
l'écran)
Roman classique : un homme raconte en une nuit, sa vie à un autre.
C'est une histoire réinventée à partir d'éléments
réels de la vie du "Raspoutine du Kremlin", un temps
éminence grise de Poutine (le Tsar), un genre de "spin doctor".
Avec une immense lucidité prémonitoire, ce roman nous montre
comment, au Kremlin, tout est étudié, tout est spectacle :
Poutine a fait appel à un artiste hyper doué en communication
pour restaurer la grandeur de la Russie et la verticalité du pouvoir.
J'ai pensé à Calderon avec son Grand
Théâtre du monde et à Pirandello où
dans Six
Personnages en quête d'auteur personnages et acteurs se
querellent à propos de ce qui est réalité et fiction.
Les anecdotes et les petites histoires qui émaillent le livre sont
très bien racontées : l'humiliation du peuple russe
quand Clinton reçoit Eltsine, comment Berezovsky croyait manipuler
un pantin en intronisant Poutine, etc. : ces petites histoires qui ont
fondé la grande histoire.
La description des oligarques est savoureuse. Ainsi que l'enquête
auprès des Russes pour désigner le Russe le plus populaire,
celui qui représente le mieux "le héros national" ;
ils attendaient Dostoïevski, Tolstoï et c'était : STALINE.
Oubliés les purges, les massacres, les exécutions sur aveux
extorqués ! Un vrai chef assoit son pouvoir par tous les moyens,
même la violence, et le peuple l'admire.
Poutine aurait dit : "Kiev, mère de la nation russe".
Effectivement, l'Ukraine est le pays de Khrouchtchev et Brejnev. Cela
éclaire la guerre actuelle.
Tout est étudié, tout est mis en scène jusqu'à
la manipulation mentale des jeunes avec l'intervention du motard Zaldostanov,
rebelle intelligent, susceptible de les faire rêver.
Da Empoli en politologue confirmé sentait venir l'attaque de Poutine.
"La Russie est la machine à cauchemars de l'Occident".
On peut peut-être lui reprocher quelques préjugés
sur les Russes, quelques faiblesses littéraires, mais la démonstration
qui amène Poutine au pouvoir absolu est lumineuse.
À la fin, il répète ce que tout le monde craint :
le pouvoir des machines qui suivraient les ordres à la lettre.
Pour l'instant tous les scientifiques sont d'accord : le plus puissant
ordinateur ne peut se révolter contre l'homme (parce que d'un commun
accord, ils programment cette impossibilité). CEPENDANT ils cherchent
un ordinateur qui penserait PAR LUI-MÊME, je vous laisse supposer
les implications possibles.
J'ouvre en entier.
Christelle
Je suis contente de passer après Renée
Je n'ai pas fini le livre, ai dépassé la première
moitié et je suis conquise. Je n'ai pour l'instant pas de réserves,
la partie avec Ksenia m'a paru négligeable, comme une transition,
permettant aussi d'aborder la démesure des oligarques : "la
découverte de l'argent fut l'événement le plus bouleversant
de cette époque" (p. 87)
Le livre est bien écrit, avec précision et j'apprends pas
mal de choses, notamment sur la période entre le démantèlement
de l'URSS et l'arrivée de Poutine au pouvoir, l'émergence
des oligarques, leurs relations avec le pouvoir.
Je trouve le récit très bien construit et vivant, mélangeant
faits et réflexions : l'"escapade" de Poutine en Tchétchénie
le 31 décembre est haletante, les dialogues avec Limonov éclairants
: "Relisez Aristote
: le premier geste du démagogue, une fois arrivé au pouvoir
est le bannissement des oligarques" (p. 130).
J'aime ce mélange entre fiction et réalité : la dimension
romancée aide à prendre du recul et à apaiser le
contexte dramatique. L'humour allège aussi l'ambiance : "j'attribuais
notre visite à une forme de courtoisie : en Russie, maintenir des
rapports cordiaux avec les services de sécurité est toujours
une bonne idée".
La fin ayant l'air décevante, selon vos avis, peut-être m'en
passerai-je...
Enfin, réussir pour l'auteur, suisse et italien, à se glisser
dans la peau d'un Russe, avec tout son héritage, me paraît
une belle performance et j'imagine passionnant son cours à Sciences Po
"De
la poésie à la prose de la politique : comment combler le
fossé entre faire campagne et gouverner"...
J'ouvre en grand.
Claire
Je ne savais quasiment rien sur ce livre ou déjà
beaucoup : qu'il avait un prix de l'Académie française et
que l'auteur avait publié trois essais en français. Je n'avais
pas lu la 4e de couv, pas vu la petite phrase sur les personnages réels
et les propos imaginaires. Et il y a bien sûr le titre...
En un court chapitre, j'avais en main un mélange bien planté
: un conseiller du tsar personnage complexe, un narrateur un peu mystérieux,
de fortes évocations littéraires, une actualité qui
résonne, et un - à ce stade - troisième personnage
mystérieux, l'étudiant Brandeis. Ça part très
fort !
Je prenais le livre pour une fiction, avec son sous-titre "roman",
quand j'ai commencé à regarder des noms sur ma tablette,
comme Berezovsky, et avec ce va-et-vient régulier, ça a
été une fascinante entrée dans les coulisses, un
plaisir de la coulisse de la réalité.
Ce déroulement de l'histoire à travers le récit d'un
seul homme a été pour moi une narration magistrale grâce
au choix des événements, à leur montage, à
leur clarté sans simplisme, avec de courts chapitres rythmant l'action
et renouvelant sans arrêt l'intérêt, la tension, avec
une galerie de personnages - tous les ingrédients d'un roman, donc
- et des formules qui font mouche, cinglantes. La femme ajoute un peu
de romanesque même si elle a quelque chose de stéréotypé.
À mon plaisir et mon intérêt s'ajoutait le fait de
ne rien savoir sur la fabrique du roman et son auteur : un mystère
de plus. Baranov, qui au début pourrait presque paraître
sympathique, se montre peu à peu bien pourri - j'ai trouvé
cette évolution convaincante.
J'ai pensé à des livres que nous avions lus dans le groupe
: La
Fin de l'homme rouge de Svetlana Alexievitch, L'ordre
du jour d'Éric Vuillard, Le
météorologue (en Sibérie) d'Olivier Rolin
et Les
abeilles grises de Kourkov ; ce n'était pas qu'une évocation
littéraire, mais ça donnait une profondeur au livre, avec
ces échos qui vibraient, enrichissants. Valérie
du nouveau groupe m'a rappelé aussi La
fête au Bouc de Vargas Llosa que nous avions lu, sur un
autre dictateur. Et il va de soi - clin d'il à Etienne -
qu'un auteur italien peut se mettre dans la peau d'un Russe, de même
qu'une auteure blanche peut écrire je, dans la peau d'une
Noire, comme nous avons vu Madame de Duras le
faire...
Si j'ai été captivée, j'ai aussi des réserves
:
- un gros problème de vraisemblance : après deux tweets
Baranov envoie chercher le narrateur en Mercedes et commence une très
longue narration orale, avec quelques échanges dans le premier
chapitre de leur rencontre, puis sans une seule interruption sur 220 pages,
avec des dialogues enchâssés qui ne sont compréhensibles
qu'à l'écrit et pas à l'oral ; j'ai été
vraiment gênée par cet artifice invraisemblable ; pour me
faire passer la pilule, j'attendais un rebondissement à la fin
concernant ce premier narrateur "occidental" mystérieux
: que dalle. J'ai donc trouvé l'emboîtement de narration
très paresseux, par rapport au reste si fouillé (que fait
l'éditeur ?!)
- la fin, comme pour d'autres d'entre vous, est tombée à
plat : Knesia dans la mer a fait flop et l'enfant surgi pour donner
un peu d'humanité et d'avenir au personnage m'a paru un peu niais...
- et quelques - heureusement peu nombreuses - expressions ont eu un effet
gloups : "le Tsar
lisait la lettre de Berezovsky. Puis il la déposa, imperturbable,
comme une pierre ramassée au fond d'un torrent",
plouf, ou Knesia "donnait,
dans la vie de tous les jours, l'impression de patiner sur la glace, dont
elle extrayait de temps en temps une étincelle inaccessible au
commun des mortels", faut le faire...
Mais bon, je ne boude pas le plaisir, la fascination, les émotions :
j'ai bien frémi... et j'ouvre aux
¾.
Manuel(avis
complété après la séance)
Vendredi j'étais à la moitié de ma lecture. Je n'ai
pas ressenti de gêne parce que l'auteur écrit un roman en
mêlant des faits historiques. Je pense que ce qui est déstabilisant
c'est qu'il créé une fiction avec des évènements
qui font l'actualité. Claire a cité plusieurs livres, pour
ma part j'ai pensé à American
Darling de Russell Banks que j'adore.
Dans Le mage du Kremlin, on suit l'ascension d'un espion qui se
retrouve à la tête de la Russie. On est dans la fabrique
du dictateur, immergés dans la tête d'un paranoïaque,
Poutine, d'un homme qui, au nom du peuple russe s'est senti humilié
par l'attitude des occidentaux. Il y plusieurs formules chocs qui prônent
le totalitarisme. P. 154 : "il
ny a pas de dictateur plus sanguinaire que le peuple ; seule la
main sévère mais juste du chef peut en tempérer la
fureur." La violence est partout sous-jacente.
Je me souviens du fou rire de Eltsine avec Clinton. C'est idiot mais pour
la première fois, j'ai réalisé que les Russes se
sont sentis humiliés. À plusieurs reprises, les Russes sont
pris par les Occidentaux pour des "laquais". C'est ce que je
trouve très intéressant dans ce livre pour comprendre les
origines de leur ressentiment. L'anecdote avec le labrador : incroyable !
L'auteur fait une métaphore remarquable et grinçante.
J'ai trouvé les descriptions de Moscou romanesques et réussies
avec comme épicentre le Kremlin. J'apprends que Saint-Pétersbourg
est préféré par Poutine. En revanche les rebondissements
de sa relation avec Ksenia sont plutôt faibles. La demande de la
libération de Mikhaïl
quelle blague. La fin est moins
réussie. Est-ce que l'auteur préfère le fait réel
à la fiction ?
J'ouvre aux ¾. Le succès est mérité et j'ai
aimé le parcours du personnage.
Geneviève
Je l'ai fini cet après-midi même. J'étais un peu perplexe.
C'est intéressant ; il y a une certaine puissance liée à
des éléments de réalité.
Cependant, ce n'est pas complètement abouti. L'introduction est
peu claire et la fin sans intérêt.
Le succès est peut-être lié à une forme de
fascination et l'envie de comprendre.
Il parle de l'identité russe, mais la Russie est immense
avec des mondes qui n'ont rien à voir.
Rozenn
Oui, mais tous sous un couvercle dictatorial...
Geneviève
Dire que les Russes adorent la violence de Staline n'est en réalité
pas si simple et gomme des éléments de l'histoire.
Il reste du travail à faire d'un point de vue littéraire.
J'ouvre ½.
Jacqueline
Contrairement à vous, je n'ai pas trouvé la lecture facile.
Peut-être est-ce à cause de l'ambiguïté roman/essai
: mes connaissances ne suffisent pas pour juger de l'essai qui s'appuie
sur des faits (je ne les connaissais pas tous) mais dont l'agencement
et les interprétations appartiennent à l'auteur. Et ce n'est
pas le "roman" annoncé qui m'a tenue en haleine. J'ai
eu du mal à me situer, ce qui m'a mise assez mal à l'aise.
En même temps, le livre pose la question de la résistance
face à la violence et au chaos organisé. Derrière
son apparente érudition, il n'apporte guère de piste de
réponse
Puis, avec l'arrivée de Zaldostanov, le motard et le passage qu'a
cité Annick, je me suis retrouvée dans la Journée
d'un opritchnik de Sorokine que nous avions lu, et qui, lui, est
vraiment un roman. Au travers du parcours d'un jeune, il dépeignait
remarquablement l'état de la Russie et justement ce chaos, avec
une force d'images que je ne peux oublier
La fin ne tient pas. Elle n'est guère à la hauteur du problème
soulevé
La manière dont Baranov (je crois qu'en russe,
son nom a quelque chose à voir avec le mouton !) revoit son parcours
m'a paru une illustration de La
société du spectacle, mais je ne sais pas si j'irai
jusqu'à relire Debord
Par contre, le début m'a donné envie de lire Nous
autres de Zamiatine
auquel il fait référence et dont j'avais déjà
entendu parler
J'ouvre à moitié.
Monique L
C'est un livre qui tombe à point pour faire avancer la réflexion
sur les évènements actuels et sur notre effarement face
à l'attitude de Poutine. Il éclaire sur la vision du monde
de Poutine sans être moralisateur ni sombrer dans la caricature.
Je me méfiais de ce livre craignant qu'il réponde à
la question "que se passe-t-il dans la tête de Poutine ?".
De Poutine on n'apprend rien qu'on ne sache
déjà : son opportunisme, sa vie d'espion, son obsession
face à l'humiliation de la désagrégation de l'URSS,
son identification à la Russie dont il entend relever la terrible
"défaite".
J'ai apprécié la description de la période charnière
entre la chute du mur de Berlin et l'arrivée du "Tsar".
Ce livre m'a intéressée par son approche de l'âme
russe. L'auteur fait bien comprendre le besoin (ou l'attirance) de pouvoir
vertical pour le peuple russe et son choix de Poutine comme dirigeant
parce qu'il correspond à ses aspirations suite à son sentiment
du déclassement du pays et de sa mise en coupe réglée
par les oligarques, et du capitalisme incontrôlé qui s'est
emparé du pays. Il m'a permis de mieux saisir comment les élites
russes voient les Occidentaux et cela fait réfléchir
.
Ce livre est plus généralement une réflexion sur
le pouvoir, sur le pouvoir absolu, sur la dictature et la solitude inhérente
à ce type d'exercice.
C'est bien écrit.
Sachant qu'il a été achevé un an avant l'invasion
de l'Ukraine, les réflexions de l'auteur semblent prémonitoires
et à mes yeux donnent une valeur incontestable à ce livre.
La personnalité complexe de Vadim est intéressante. Je ne
sais pas ce qui est réel, mais il déploie des trésors
de cynisme et de manipulation pour favoriser les aspirations de son chef.
J'ai trouvé réaliste la description de la galerie de courtisans
qui s'est installée auprès du "Tsar" et celle
des oligarques puissants, tolérés tant qu'ils ne se mêlent
pas de politique.
Les dialogues entre le conseiller et le président sont fascinants,
même s'ils sont fictifs.
J'ai été moins convaincue par la fin, avec la crainte de
l'émergence d'un pouvoir absolu lié à la "machine",
aux nouvelles technologies qui parasitent l'homme et qui pourraient le
supplanter. Il y a certes une réflexion à avoir sur le sujet,
mais cela m'est apparu comme déplacé et trop affirmé
et sans discernement.
Pour finir, une phrase (page 87) : "Il
y a les renards libéraux, les mammouths communistes et puis il
y a l'ours, le symbole de l'âme russe, sauvage, puissant et noble.
C'est ce qu'il nous faut Vadia : si les gens ne s'intéressent plus
à la politique, nous leur offrirons une mythologie".
Elle résume à mes yeux la stratégie poutinienne.
J'ouvre aux ¾.
Françoise D
Manu parlait des humiliations russes, on peut aussi évoquer celles
que Poutine aime pratiquer : le chien avec Merkel, la table avec Macron
et plus récemment comment en public - on a pu le voir à
la TV - il a humilié ses généraux.
J'ai trouvé que le livre est assez magistral malgré la faiblesse
de la fin.
Je trouve qu'il a un vrai talent et qu'il aurait mérité
le Goncourt
Ce n'est pas une uvre littéraire, mais j'ai éprouvé
beaucoup de plaisir à le lire.
L'analyse est pertinente et aide à comprendre l'arrivé de
Poutine et préfigure l'actualité.
L'écriture est agréable et claire - il y a la dimension
du roman.
Catherine(avis
transmis après la séance)
J'ai lu ça comme un thriller, je ne l'ai pas lâché
avant d'arriver à la fin. C'est un récit plus qu'un roman
dans lequel les personnages sont réels ; on croise Berezovsky,
Limonov. On aimerait bien d'ailleurs que le personnage principal, le Tsar,
soit un peu moins réel car il donne froid dans le dos, avec son
regard gris de requin.
C'est une histoire fascinante de prise de pouvoir par un personnage initialement
effacé, porté au pouvoir par des gens qui pensaient se servir
de lui (ce qui est évoqué aussi dans Limonov,
le roman d'Emmanuel Carrère). L'analyse politique est passionnante
et très convaincante, la guerre en Ukraine annoncée.
J'ai moins aimé l'histoire d'amour avec Ksenia, que j'ai trouvée
pleine de clichés.
Mais au total, très réussi dans son genre, bien écrit,
j'ai eu beaucoup de plaisir à le lire.
Le groupe de
Tenerife s'est réuni
le 25 avril 2023 autour du Mage du Kremlin
Nieves
J'ai beaucoup apprécié cette lecture et voudrais remarquer
en particulier les aspects suivants.
La clarté de l'écriture et la structure narrative rendent
plus abordable un texte faisant des analyses poussées sur la mécanique
du pouvoir, sur l'évolution d'un pays si questionné en ce
moment ou sur l'opposition Russie-Occident
D'autre part, le récit de Baranov, ce haut conseiller politique
de Poutine, décrivant les différentes étapes vécues
en Russie depuis le Tsar jusqu'à nos jours, m'a semblé également
d'une grande acuité et clairvoyance. À souligner certaines
stratégies nécessaires au pouvoir.
Par exemple, ce sentiment commun a toute société : la RAGE,
sentiment qui nous mène directement à des événements
qui se passent à l'heure actuelle dans le monde : la rage "est
un des courants de fond qui régissent la société.
La question alors est de ne pas essayer de la combattre, mais seulement
de la gérer : pour qu'elle ne sorte pas de son lit en détruisant
tout sur son passage, il faut prévoir des canaux d'évacuation
(...) pour qu'elle puisse avoir libre cours sans mettre le système
en péril."
C'est exactement ce que fait Poutine pour se tenir au pouvoir, contrôler
la rage des jeunes : quand ils se demandent "que
dois-je faire de ma vie ?" Ils ont certes envie de faire
des choses, ils sont "à
la recherche d'une cause et d'un ennemi". C'est alors
qu'il faut agir : "leur
donner cette cause et cet ennemi avant qu'ils ne les choisissent eux-mêmes",
autrement surgissent les forces de la colère. Et la grande trouvaille
du chef : "la Russie
doit devenir un lieu où on peut défouler sa rage contre
le monde et rester fidèle serviteur du Tsar". Si
j'ose dire, nous, en Occident, l'Amérique et tous les pays du monde,
nous appliquons la même formule : ne sommes-nous pas en train
d'offrir aux jeunes toute sorte d'engins pour les tenir occupés
et anéantis sur toute sorte d'écrans en leur truffant d'histoires
invraisemblables avec des héros pas possibles qui paralysent leur
élan d'agir, les aidant ainsi à ne pas remettre en question
le système en vigueur ?
Donc, en effet, gérer la rage est la première règle
pour garder le pouvoir. Mais il y a une autre règle plus sibylline,
une autre règle de base pour garder le pouvoir : "persévérer
dans les erreurs,
de ne pas montrer la plus petite fissure dans le mur de l'autorité".
Pour y parvenir "les
chefs demandent (...) de la loyauté", l'erreur
est de "la chercher
parmi les médiocres et les faibles". Les premiers
"ne peuvent pas se permettre
le luxe de la sincérité. Ni celui de la fidélité".
C'est pour ça que ces deux groupes sont "les
premiers à trahir". On commence déjà
à comprendre ce qu'est la machine indestructible du pouvoir
Finalement, le troisième aspect que j'aimerais mettre en relief,
c'est le parallélisme entre les Russes et les occidentaux. Un exemple
: les Russes ont échoué imitant le modèle occidental
(étape des fonctionnaires) qui cherche les choses organisées
et prévisibles : "Toute
votre vision du monde est fondée sur le désir d'éviter
les accidents", de réduire "les
incertitudes, afin que la raison règne. Nous au contraire, nous
avons compris que le chaos était notre ami, à dire vrai,
notre seule possibilité (...) Dans les phases les plus turbulentes,
la Russie produit toujours des (...) aventuriers, chefs de bande, personnages
qui émergent du néant pour chevaucher les troubles de l'histoire".
Ils aiment "un monde
sans règles, où les choses arrivent et c'est tout".
Voilà, il y aurait des tas d'exemples à donner dans cette
analyse méticuleuse et profonde que Giuliano da Empoli nous offre
dans ce roman. Pour moi, c'est sans doute une lecture à conseiller
aux amis.
José Luis
Ce très beau livre, écrit par Giuliano da Empoli, est peut-être,
pour moi, celui qui m'a le plus intéressé parmi ceux que
nous avons lu dans notre petit groupe de lecture de Tenerife. Je l'ai
lu, avec surprise, comme un mélange très réussi de
roman, essai et histoire. De ces trois dimensions, c'est la dernière
qui pourrait être questionnée, parce que si l'auteur met
en scène des événements historiques, il ne le fait
pas en tant qu'historien mais en tant que romancier, c'est-à-dire
en se donnant la liberté d'imaginer et la nature des faits et la
personnalité des personnages qui les traversent et qui en font
l'histoire. Cette liberté, cette place donnée à l'imagination,
n'invalide en rien la compréhension historique des événements
: il est bien connu que souvent l'imagination peint le réel avec
des couleurs plus pertinentes que celles proposées par les résultats
des recherches des historiens. Ainsi, par exemple, L'Éducation
Sentimentale de Flaubert permet, peut-être, de mieux comprendre
et saisir l'histoire de la Révolution de 1848 que les travaux des
historiens.
Quoi qu'il en soit, Giuliano da Empoli exhibe, dans ce roman, une écriture
d'une parfaite efficacité sous l'apparence d'une grande simplicité,
aussi bien du point de vue lexical que du point de vue discursif, écriture
qui enveloppe le lecteur lui permettant d'entraîner celui-ci au
cur de l'esprit de l'âme russe - et de son évolution
jusqu'à presque sa destruction dans les momentd présents -,
sans qu'il puisse résister à la force tranquille du fleuve
de la langue. Il n'a qu'à se laisser aller. Avec bonheur ! C'est
ce que j'ai fait.
Chemin faisant, cette écriture nous plonge dans un discours qui,
la plupart du temps, a la tonalité de l'essai, où des réflexions
percutantes - et parfois pleines d'humour - jaillissent comme des
éclairs qui illuminent la nuit de nos vies d'hommes et des femmes.
En voilà quelques-unes, de ces réflexions, pour illustrer
ce que je viens de dire et pour clore les réactions que la lecture
de ce livre a produites en moi. La liste est un peu trop longue mais je
pense que cela vaut la peine de s'y arrêter :
Crois-moi, la seule chose que tu peux contrôler
c'est la façon d'interpréter les événements.
Si tu pars de l'idée que ce ne sont pas les choses, mais le jugements
que nous portons sur elles qui nous fait souffrir, aors tu peux aspirer
à prendre le contrôle de ta vie. Sinon tu est condamné
à tirer sur des mouches avec un canon. [...]
Je lui en serai toujours reconnaissant [à mon grand-père]
parce que [
] il m'est resté l'idée que nous tâtonnons
dans le noir. Que nous ne savons ni ce qui est bien ni ce qui est mal
pour nous. Mais que nous pouvons librement donner du sens aux choses qui
arrivent.Et que cela, c'est au fond notre seule et unique force
(p. 42, Gallimard, 2022).
Chez vous [en Occident], l'argent est l'essentiel, c'est la base de tout. Ici, je vous assure, ce n'est pas comme ça. Seule le privilège compte en Russie, la proximité du pouvoir. Tout le reste est accessoire. C'était comme ça du temps du tsar et pendant les années communistes encore plus. Le système soviétique était fondé sur le statut. L'argent ne comptait pas. Il y en avait peu en circulation et il était de toute façon inutile : personne n'aurait pensé évaluer une personne sur la base de l'argent qu'il possédait au lieu de te faire donner la datcha par le Parti tu l'achetais, on pouvait le faire même alors, cela voulait dire que tu n'était pas sûr assez important pour qu'on te l'offre. Ce qui comptait c'était le statut, pas le cash. Bien sûr, c'était un piège. Le privilège est le contraire de la liberté, une forme de esclavage plutôt (p. 48).
Comme disait je ne sais plus qui, il n'existe pas
une seule femme qui soit aussi précieuse que la vérité
qu'elle nous révèle en nous faisant souffrir (p. 73).
Les nouveaux héros, les banquiers et les top-modèles
ont imposé leur domination et les principes sur lesquels étaient
fondée l'existence de trois cents millions d'habitants de l'URSS
ont été renversés. Ils avaient grandi dans une patrie
et se retrouvaient soudain dans un supermarché. La découverte
de l'argent fut l'événement le plus bouleversant de cette
époque. Et puis la découverte que l'argent pouvait ne rien
valoir, avec la chute de la bourse et l'inflation à trois mille
pour cent (p.8 7).
La politique a un seul but : répondre aux terreurs de l'homme. C'est pourquoi au moment où l'Ètat n'est plus capable de protéger les citoyens de la peur, le fondement même de son existence est remis en discussion (p. 111).
Boris était un homme très intelligent. Mais l'intelligence ne protège de rien, même pas de la stupidité (p. 118).
Sur la guerre civile, je dois avouer que j'ai envie de rire : comme le disait ce diplomate français, l'avantage de la guerre civile sur l'autre, c'est qu'on peut rentrer manger chez soi (p. 132).
La politique est un drôle de métier. Pour y faire carrière, il faut rester arrimé au territoire. Interpréter les aspirations de la femme au foyer, du cheminot, du petit commerçant. Puis, quand vous arrivez au sommet, elle vous jette sur la scène globale. Soudain, les grands de ce monde deviennent des pairs. Et ils forment déjà un cercle, parce qu'ils y sont depuis quelque temps, ils ont eu le temps de se connaître entre eux, d'apprendre les codes de base. Vous, en revanche, n'êtes qu'un débutant propulsé sur la scène pour une représentation surprise. Dans votre pays, vous pouvez être respecté ou craint, mais ici vous n'êtes que le dernier arrivé. Vous devez recommencer à zéro, tout réapprendre, à partir de la façon de marcher, d'adresser un salut. Les réunions du G8, les assemblées de l'ONU, les forums de Davos : chaque occasion a ses rituels. Vos nouveaux amis se montrent affables, chacun d'entre eux paraît désireux de vous donner un coup de main. Mais il ne faut pas se faire d'illusions. Chacun d'entre eux a un plan pour vous baiser (p. 135).
La passion fait vivre l'homme, la sagesse le fait seulement durer (p. 146).
"Caligula souhaitait que les têtes de tous les hommes se trouvent sur un seul et unique col, dans le but de pouvoir réduire à néant le monde entier, d'un seul et unique coup". Pouvoir à l'état pur. C'est cela qu'est devenu le Tsar [c'est par ce mot que le narrateur désigne Poutine]. Ou peut-être était-il ainsi dès le début. Le seul trône qui lui apportera la paix est la mort (p. 267).
Nous avons cru longtemps que les machines étaient l'instrument de l'homme, mais il est clair aujourd'hui que ce sont les hommes qui ont été l'instrument de l'avènement de la machine. La transition se fera doucement : les machines n'imposeront pas leur domination sur l'homme, mais elles entreront dans l'homme, comme une pulsion, une aspiration intime. Dès à présent, la perfection de la machine est devenue l'idéal de milliards d'hommes qui se battent pour se fondre toujours plus dans le flux de la technologie. L'histoire humaine se termine avec nous. Avec vous, avec moi et peut-être avec nos enfants. Après, il y aura encore quelque chose, mais ce ne sera plus l'humanité. Les êtres qui viendront après nous, s'il y en a, auront des idées et des préoccupations différentes de celles qui ont occupé les hommes jusqu'à aujourd'hui (p. 272).
I.
AUTOUR DU LIVRE ET DE L'AUTEUR Repères biographiques Livres écrits en français Presse : vidéo, radio, articles |
II.
DANS LE LIVRE Lieux et choses Événements Personnages Auteurs |
I. AUTOUR DU LIVRE ET DE L'AUTEUR |
REPÈRES BIOGRAPHIQUES |
Commençons
exprès à l'envers : postes occupés, études,
famille.
Postes occupés
- En entreprise : de
2003 à 2005, directeur général de Marsilio
Editori, éditions qui ont publié
plusieurs de ses livres
- Postes politiques : conseiller du ministre
du patrimoine et des activités culturelles
Francesco Rutelli ; adjoint au maire de Florence, Matteo
Renzi ; conseiller politique de Matteo Renzi, président du
Conseil italien
- Postes de responsabilité dans des institutions
culturelles : en 2007 nommé au conseil d'administration
de la Biennale de Venise ; de 2012 à 2016 : président du
Gabinetto Vieuxsseux,
institution culturelle de Florence.
- Fondations et think tank : en 2014, il
devient membre de la Fondation
Italie-USA ; en 2016, il fonde et préside le think tank Volta,
actif en Italie et en Europe
- Enseignement : Il
assure actuellement à Sciences Po un cours en master politiques
publiques et master affaires européennes "De
la poésie à la prose de la politique : comment combler le
fossé entre faire campagne et gouverner".
Études
- à Rome diplôme en droit de l'Université La Sapienza
- à Paris maîtrise en sciences politiques
de l'IEP (Sciences Po).
Famille
Né en 1973 à Neuilly-sur-Seine, de nationalité italo-suisse.
Père italien économiste, pour lOCDE puis la Commission
européenne, avant de sinstaller à Rome. Enfance passée
entre Paris, Bruxelles et Rome. Mère suisse :
"Je tiens beaucoup à mon identité helvétique, tout sauf accessoire. Jai dailleurs demandé à mon éditeur de préciser, en quatrième de couverture de mon roman, que jétais également Suisse. Ce nest pas une posture, mais une conviction : jai écrit une grande partie du Mage du Kremlin à Interlaken où ma mère possède une propriété. La ville est touristique, mais néanmoins très calme. Un lieu propice à la concentration." (Entretien avec Ghania Adamo, Swissinfo, 31 octobre 2022). On peut le voir recevoir une journaliste suisse ici dans cette maison (RTS, 6 novembre 2022)
En 1986, alors directeur du bureau économique du gouvernement socialiste de Bettino Craxi, le père est blessé dans un attentat à Rome :
"Cétait lun des derniers groupuscules terroristes issus des Brigades rouges. Il a été blessé aux mains et aux jambes, le carabinier qui assurait sa protection a tué une assaillante. Mon père a survécu à cet attentat, mais notre vie a basculé." Protection permanente, surveillance, déplacements sous escorte : "Javais 13 ans, et mon rapport au monde a changé. Je ne veux pourtant pas me présenter comme un traumatisé : la politique, dont jai très tôt et très intimement perçu la dimension violente et douloureuse, ma happé intellectuellement. Je ne lai plus quittée." (Télérama, 27 octobre 2022).
Actuellement, il vit presque à plein temps en France, avec son épouse franco-américaine, librettiste, et leur fille de 12 ans.
PUBLICATIONS |
Dans la presse
Depuis 1996 où sort son premier roman, il publie des articles et
des éditoriaux dans différents journaux italiens : Il
Corriere della Sera, La Repubblica, Il Sole 24, Il Riformista.
En tant qu'auteur et commentateur politique, il intervient dans des émissions
télévisées et radiophoniques en Italie et en France.
Livres publiés en italien et en
français sur une vingtaine d'années
En France 4 livres sont publiés
chez 3 éditeurs différents : La
peste et l'orgie (Grasset, 2007), Le
Florentin (Grasset, 2016), Les
ingénieurs du chaos (JC Lattès, 2019 : Folio,
2023), Le
mage du Kremlin, (Gallimard, 2022).
Mais de nombreux autres livres sont publiés en Italie, le premier
livre alors qu'il a 22
ans.
- 1996 : Un grande futuro dietro
di noi : I giovani e la crisi italiana [Un
grand avenir derrière nous]. Les menaces
contre son père ne cessent quà sa mort accidentelle
en 1996, à 57 ans. Dix jours plus tard, alors chroniqueur
politique dans la presse, Giuliano da Empoli publie son premier essai
un succès sur le désarroi de la
jeunesse italienne ; ce livre a fortement
animé le débat national en Italie et poussé le journal
La Stampa à le désigner "Homme de l'année".
- 2000 : La
guerra del talento [La guerre des talents] : à propos de
la méritocratie et de la mobilité dans l'économie
numérique.
- 2002 : Overdose
: à propos de la surinformation
- 2004 : Fuori
controllo [Hors de contrôle] : à propos de la "brésilianisation"
de la société contemporaine, traduit en français
en 2007 sous le titre La
peste et l'orgie.
- 2005 : La
sindrome di Meucci : à propos des industries créatives
en Italie.
- 2008 : Canton
Express.
- 2008 : Obama
: la politica nell'era di Facebook [Obama : la politique à
l'ère de Facebook].
- 2013 : Contro
gli specialisti [Contre
les spécialistes]
- 2015 : La
prova del potere [La preuve du pouvoir]
- 2016 : Le
Florentin : sur Matteo Renzi
- 2017 : La
rabbia e l'algoritmo : à propos de la nature et de l'organisation
du Mouvement 5 étoiles
- 2017 : Il
Soft Power dell'Italia
- 2019 : Gli
ingegneri del caos : teoria e tecnica dell'Internazionale populistas
traduit en français en 2019 : Les
ingénieurs du chaos, JC Lattès, sur les coulisses
du mouvement populiste global, sur les nouvelles techniques de propagande.
Le mage du Kremlin
: questions d'édition
Le dernier livre de Da Empoli Les
ingénieurs du chaos
a été publié
en 2019 chez JC Lattès.
Pourquoi un changement d'éditeur pour Le mage du Kremlin ? (question de coulisse)
Karina Hocine, éditrice chez Lattès, est partie chez Gallimard, et Da Empoli l'a suivie. Elle a accepté son projet sans hésitation : "Il est un homme cosmopolite, intelligent, discret, méfiant vis-à-vis du succès". Giuliano da Empoli lui a apporté le roman définitif début 2021 et le comité de lecture du printemps a été conquis.
Pourquoi le livre ne sort-il qu'en 2022 ? (question de maniaque)
Le confinement a créé un embouteillage de manuscrits. Le livre était en fabrication quand la guerre contre lUkraine a éclaté en février 2022. Il était programmé en mai. La sortie du roman a été avancée de seulement quinze jours pour être publié le 14 avril 2022.
Sorti avant le 24 février 2022, le livre n'a donc
rien à voir avec l'Ukraine ? (question un peu bête)
Le Mage du Kremlin a été achevé en janvier 2021. Le roman nous fait comprendre, avec un an davance, les mécanismes ayant mené à linvasion de lUkraine, le 24 février 2022. (Infos éditioriales dans "Dans Le Mage du Kremlin, l'écrivain Giuliano da Empoli médite sur le pouvoir en Russie", Marie-Laure Delorme, JDD, 21 septembre 2022)
Le livre est-il écrit en italien ou en français ? (enfin une question intéressante)
Dabord écrit dans un mélange de ses deux langues maternelles ("une sorte de fritalien"), puis rédigé par ses soins dans chacune, le livre est sorti en France à la mi-avril, en Italie en juin. Son éditrice chez Gallimard, Karina Hocine, complice depuis Les Ingénieurs du chaos, raconte : "Début 2021, le comité de lecture a été conquis par ce roman qui puise dans lâme humaine les ressorts du pouvoir et nous donne accès à un monde réel mais opaque. Cest bien plus tard que lactualité a fourni une grille de lecture supplémentaire." (Écrire Le Mage du Kremlin était un défi mental, Juliette Bénabent, Giuliano da Empoli, Télérama, 27 octobre 2022)
Sont donc publiés :
- en avril 2022 : Le
mage du Kremlin (il recevra le Grand
Prix du Roman de l'Académie française 6 mois plus tard)
- en juin 2022 : Il
mago del Cremlino.
Le livre ne serait-il pas un succès
? (pas de commentaire sur cette question...)
Fin 2022, 300 000
exemplaires vendus, une vingtaine de réimpressions, 26 traductions
en cours.
Le mage du Kremlin
: histoires de prix (quelques potins)
- Grand
Prix du Roman de l'Académie française
le 27 octobre 2022
Ce prix est décerné à lauteur du roman que
lAcadémie a jugé "le meilleur de lannée"
et l'auteur se voit attribuer 10 000 €.
L'écrivain
a obtenu 9 voix au 1er tour de scrutin, contre 5 voix au militaire Jean
Michelin pour Ceux
qui restent (éd. Héloïse d'Ormesson) et 3 voix
à la journaliste Pascale Robert-Diard pour La
Petite menteuse (L'Iconoclaste).
Ce choix a peu surpris car le prix est présidé
par la secrétaire de l'Académie française, Hélène
Carrère d'Encausse, historienne spécialiste de la Russie
qui a viré sa cuti, disant maintenant "Poutine nest
pas ma tasse de thé"... (à Raphaëlle Rérolle,
Le
Monde, 26 janvier 2023).
- Prix Goncourt le 3 novembre
2022
Les membres de l'Académie Goncourt étaient
divisés : il y avait une véritable "fracture",
a même reconnu l'un d'eux, Patrick Rambaud, qui n'a pas caché
sa déception auprès de France Culture.
Et pour cause : les académiciens, réunis, comme le veut
la tradition, au restaurant Drouant à Paris, sont allés
au bout des 14 tours de vote réglementaires. D'un côté,
5 voix pour Le Mage du Kremlin, de l'autre, 5 voix pour Vivre
vite de Brigitte Giraud (Flammarion). Aucun ne semblait vouloir
modifier son vote. Alors, pour sortir de cette impasse, le président
du jury Didier Decoin a, comme le règlement lui permet, fini par
utiliser son vote comptant double et ainsi fait pencher la balance en
faveur du livre de Brigitte Giraud.
PRESSE |
Les
entretiens suivants, à voir et écouter, sont ciblés
sur le contenu ; c'est dans les entretiens choisis dans la presse
écrite que sera évoqué ensuite et davantage le roman
lui-même.
Radio
et vidéo (certaines des émissions
de radio sont filmées)
- Vidéo : entretien
avec Nicolas Demorand, L'invité de 7h50, France Inter,
31 mars 2022, vidéo
YouTube, 9 min 42.
- Vidéo : entretien
avec Guillaume Erner, L'Invité(e) des Matins, France
Culture, 26 avril 2022, 40 min.
- Radio : Le
masque et la plume, France Inter, 12 juin 2022, 11 min Elisabeth
Philippe, Patricia Martin, Frédéric Beigbeder, Arnaud Viviant.
- Vidéo : Portrait
puis entretien avec Jean-Mathieu Pernin, 28 min, Arte, 13 juillet
2022, 21 min (nouvelle émission de 28
min avec Elisabeth Quin sur le populisme, 28 décembre 2022,
36 min).
- Radio : entretien
avec Laure Adler, L'Heure bleue, France Inter, 18 octobre 2022,
52 min.
- Vidéo : Giuliano
Da Empoli répond aux questions suivantes : Pourquoi avoir
choisi ce titre ? Comment Vladislav Sourkov - conseiller de Poutine
- est-il devenu le personnage très romanesque de votre livre ?
Quel est le degré de porosité entre les faits évoqués
dans votre roman et la réalité actuelle en Russie ? Comment
analysez-vous les mécanismes de pouvoir en Russie ?,
27 octobre 2022, 5 min 39.
- Vidéo : La
Grande Librairie, Augustin Trapenard, 24 novembre 2022, 4 min
48.
- Vidéo : entretien
avec Grégoire Leménager, directeur adjoint de la rédaction
de l'Obs, 21 novembre 2022, 1h30.
- Vidéo : entretien
avec Olivia Gesbert, Le Book Club, France Culture, 8 décembre
2022, 37 min, avec également Emmanuel Ruben.
Presse écrite
De très nombreux articles louangeurs existent sur le livre, parus
dans tous les quotidiens et news magazines.
On retiendra exprès :
- celui d'Aurélie Filippetti,
ancienne
ministre de la Culture et de la Communication, enseignante
agrégée de lettres classiques à Sciences Po : "Écrire
pour ne pas trop agir sur Le Mage du Kremlin de Giuliano
da Empoli",
AOC, 21 juin 2022
- un article d'Antoine Nicolle, chercheur
en études russes à lInalco, "Le
Mage du Kremlin multiplie les tours de passe-passe avec le réel",
Le Monde, 15 janvier 2023.
Et seront ici privilégiés
des extraits de réponses par l'auteur à des questions ayant
trait au livre.
Le Soleil
Vous écrivez que Moscou est "la plus triste et la plus belle des grandes capitales impériales", en plus de dépeindre avec une grande précision dans le roman certaines particularités russes. Doù vous vient cette connaissance de la Russie ?
Jai débarqué à Moscou un peu par hasard, quand jétais adjoint du maire de Florence pour la culture, pour un festival de cinéma italien, en 2011. Cette sorte dénergie noire de la ville qui émane du sang, le lustre fossilisé du Kremlin, les architectures staliniennes, tout ça ma énormément frappé. Jy suis retourné après et bien que je ny aie pas passé beaucoup de temps, je suis un peu entré en résonance avec cet endroit. Cest un endroit qui ma fait peur aussi, mais en même temps, on est attiré par les choses qui nous font peur. (Entretien avec Laila Maalouf, La Presse, Québec, 26 novembre 2022)
Quand avez-vous commencé à élaborer votre idée d'un livre sur la Russie ?
En 2011, je me suis rendu à Moscou. J'ai été frappé par l'énergie noire qui s'y diffuse. On sent l'emprise du pouvoir. Partout. Mais aussi la force. J'ai éprouvé de la crainte. Et une certaine attraction. J'ai senti tout de suite une connexion avec ce pays, qui ne s'est pas démentie après. J'ai eu conscience que j'ouvrais un chapitre sur la Russie et que je n'allais pas en rester là. (Entretien avec Olivia Phelip, Viabooks, 28 octobre 2022)
Comment le livre est-il né ?
Cest en effectuant des recherches pour Les ingénieurs du chaos (JC Lattès, 2019), un essai traduit en douze langues consacré aux conseillers des leaders populistes, quil sest familiarisé avec la figure de Vladislav Sourkov, dont son protagoniste est librement inspiré. "Bien que jaie tout de suite été frappé par ce personnage, jai choisi de ne pas linsérer dans mon livre. La possibilité den faire quelque chose dautre me trottait dans la tête. Il est tellement romanesque quil ma libéré et poussé à devenir romancier." ("Le Mage du Kremlin, de Giuliano da Empoli : le Kremlin vaut bien un roman", Histoire dun livre, par Macha Séry, Le Monde, 7 mai 2022)
Vous avez écrit plusieurs essais sur différents sujets politiques ou sociaux. Pourquoi faire du Mage du Kremlin votre première uvre de fiction ?
J'avais envie d'aller plus loin. Quand vous écrivez des essais et que vous racontez une réalité comme celle du pouvoir au Kremlin, il y a une limite à laquelle vous devez vous arrêter. Vous êtes dans le factuel. Si vous êtes un essayiste moindrement sérieux, vous n'écrivez que ce que vous pouvez raisonnablement prouver, démontrer, etc.
Paradoxalement, moi je n'avais pas envie de sortir de la réalité, mais d'y entrer plus. Pour le faire, j'ai eu besoin d'une base factuelle mais, pour entrer dans la tête de mes personnages et suivre leur logique jusqu'au bout, j'avais besoin de basculer dans la fiction.
Je n'ai rien inventé, mais j'ai pas mal imaginé sur la base de ce que je savais et de mon expérience de conseiller politique. (Entretien avec Léa Harvey, Le Soleil, Québec, 20 novembre 2022)
Vous avez été conseiller politique notamment du président du Conseil italien Matteo Renzi et avez écrit une douzaine dessais à ce jour avant de vous lancer dans ce premier roman : pourquoi avoir choisi la fiction pour raconter les coulisses du pouvoir russe des 20 dernières années ?
Jai dabord écrit un essai qui sappelait Les ingénieurs du chaos [paru en 2019] sur les nouvelles techniques de propagande ; et ce livre-ci est une sorte de spin-off fictionnel. Jai préparé le roman comme si cétait un essai. Dailleurs, la base est factuelle ; tous les faits qui sont racontés dans le roman sont réels. Toute la réalité russe est souvent tellement romanesque quil ne faut même pas faire un très grand effort dimagination pour accéder à la fiction. Et puis javais envie daller au-delà des limites et des contraintes de lessai pour faire un pas en plus et essayer dimaginer un point de vue, de me projeter sur ces personnages, et cest là que le roman a pris forme. (Entretien avec Laila Maalouf, La Presse, Québec, 26 novembre 2022)
Comment vous est venue l'idée d'écrire un roman, vous qui êtes un politologue habitué aux essais ?
Pour les recherches concernant mon livre Les ingénieurs du chaos (JC Lattès), je m'étais intéressé à la figure de Vladislav Sourkov, ancienne éminence grise de Poutine. Je l'avais trouvé très romanesque en tant que tel. Il méritait qu'on lui consacrât un livre entier. Il m'a semblé qu'il serait le meilleur des "passeurs" pour décrire la vie du Kremlin. Pourquoi la forme romanesque ? Il est des réalités qui ne peuvent s'approcher qu'avec une part d'interprétation, d'imagination, d'intuition. Il faut assumer sa subjectivité, ce que le travail de romancier permet, contrairement à celui d'essayiste. C'est pourquoi j'ai choisi d'écrire un roman. J'avais besoin de cette marge pour faire ressentir des émotions qui ne peuvent se démontrer. De plus, en Russie, cette part émotionnelle est fondamentale pour comprendre le cheminement des actions et des motivations. Émotions qui peuvent être contradictoires d'ailleurs. (Entretien avec Olivia Phelip, Viabooks, 28 octobre 2022)
Votre roman est la meilleure des illustrations sur l'exercice du pouvoir aujourd'hui en Russie. Il est finalement plus efficace qu'une démonstration...
Je voulais raconter l'expérience du pouvoir de l'intérieur. Rentrer dans la tête des personnes proches de ce pouvoir. Être comme un infiltré par l'intermédiaire de mon personnage central, que j'ai appelé, Vadim Baranov, inspiré de Vladislav Sourkov, tout en conservant ma distance d'auteur. J'ai donc mêlé le fruit d'un important travail de documentation à mon exercice d'imagination. C'est pourquoi j'ai gardé les noms des principaux protagonistes comme Vladimir Poutine. Lorsque mon imagination est à l'uvre, elle reste toujours dans les limites du vraisemblable. (Entretien avec Olivia Phelip, Viabooks, 28 octobre 2022)
Lécriture vous a-t-elle posé un plus grand défi qu'un essai ?
Quand vous écrivez un essai, vous employez une partie de votre cerveau qui est assez bien définie, la partie plutôt rationnelle, et vous faites des démonstrations, mais cest assez simple. Par contre, lécriture dun roman vous mobilise tout entier : votre expérience, vos sentiments, vos passions, votre rationalité, aussi, évidemment. Et quand on est habitué à écrire des essais, se libérer et accéder à cette autre dimension, cest un défi et javais très envie de me confronter à ce défi. Mais je navais pas lintention, en écrivant ce livre, damorcer une carrière de romancier ; javais envie de lécrire sous forme de roman. Il y a des raisons personnelles aussi ; javais envie de dédier à ma fille, qui a 12 ans, un livre qui serait un peu moins périssable, peut-être, quun essai dactualité. (Entretien avec Laila Maalouf, La Presse, Québec, 26 novembre 2022)
Le personnage principal de votre ouvrage, Vadim Baranov,
est basé en partie sur Vladislav Sourkov, un proche conseiller
de Poutine. Pourquoi vous être inspiré de lui, un homme qui
est toujours vivant par ailleurs ?
[rires] Parce que c'est un personnage assez hors-norme dans le cercle des gens qui entourent Poutine, qui est un groupe assez gris fait d'anciens membres du service de renseignements, de militaires, d'hommes d'affaires.
[Sourkov] détonne parce qu'il a fréquenté l'Académie d'art dramatique de Moscou. Il écrit des romans sous pseudonyme et d'autres histoires courtes qu'il publie. Il connaît très bien la culture occidentale et la culture pop.
Il a pu faire un usage assez particulier de ses connaissances. Il donne l'impression de concevoir son travail politique de propagande comme une performance artistique. Ça, ça m'a semblé être assez romanesque.
Après, j'en ai fait un tout autre personnage dans le livre. J'ai gardé plusieurs noms originaux dans le livre, mais j'ai changé le sien parce que mon Baranov n'est pas Sourkov. (Entretien avec Léa Harvey, Le Soleil, Québec, 20 novembre 2022)
La guerre en Ukraine a rendu votre sujet plus actuel que jamais.
Oui, cest horrible de le constater. De mon point de vue cétait un sujet un peu latéral, une réflexion sur le pouvoir. Une des thèses de mon livre, cest que les mécanismes du pouvoir sont à peu près les mêmes partout. Les pulsions des hommes de pouvoir, le cur du pouvoir comme lieu suprême de lirrationnel et de la folie plus que, comme on pourrait parfois limaginer de lextérieur, comme un lieu de rationalité et de calculs. Non. De mon point de vue, le cur du pouvoir est le cur de lirrationnel. (Entretien avec Laurent Marchand, Ouest France, 2 novembre 2022)
Et selon vous, ce nest pas spécifique du pouvoir russe
Cest un peu partout pareil, lanimal politique a les mêmes pulsions. Ce qui change, ce sont les limites quon met à ces pulsions. Les systèmes démocratiques, comme chez nous, sont plus structurés pour poser des limites à lexercice du pouvoir, pour le contenir dans le temps. En Russie, évidemment, il y en a moins. Et le pouvoir peut prendre sa forme la plus monstrueuse. Dans le livre, jessaye dexplorer les mécanismes de cour, je pense que les mémorialistes français qui ont décrit le fonctionnement de la cour au XVIIe siècle ont raconté des choses qui sont plus ou moins semblables. (Entretien avec Laurent Marchand, Ouest France, 2 novembre 2022)
Vladimir Poutine est-il irrationnel ?
Je pense quil a une forme de rationalité qui lui est propre, mais qui est évidemment assez éloignée de la nôtre. Elle subit la distorsion de la drogue la plus lourde que vous puissiez assumer qui est le pouvoir, presque absolu. Il a dû le construire et le consolider, mais aujourdhui cest un pouvoir qui donne limpression dêtre presque absolu. Cela devient un champ magnétique, qui change la perception des gens de façon assez radicale. Cela dit, je pense quil y a une rationalité dans le comportement de Poutine. Les éléments qui ressortent aujourdhui, la violence et la brutalité, étaient présents dès le début. Cest aussi une histoire que jessaye de raconter. (Entretien avec Laurent Marchand, Ouest France, 2 novembre 2022)
Cest-à-dire ?
Dans le monologue du Grand Inquisiteur, Dostoïevski dit quil y a trois sources de pouvoir : lautorité, le mystère et le miracle. Quand Vladimir Poutine arrive au pouvoir en 1999, il a lautorité. Il a été nommé par Eltsine de façon telle quil est légitime. Il a le mystère, parce que ce nest pas un homme politique, ce nest pas quelquun de transparent, il a fait carrière dans les services de sécurité. Mais ce quil lui manque, alors, cest le miracle. (Entretien avec Laurent Marchand, Ouest France, 2 novembre 2022)
Et le miracle comment se matérialise-t-il ?
Les bombes de septembre 1999, qui font seffondrer les tours de Moscou (plus de 200 morts), cest le miracle qui lui manquait. Il vient darriver, cest le cinquième Premier ministre en deux ans. La panique gagne les Moscovites, qui craignent de mourir sous les bombes attribuées aux terroristes tchétchènes. Et Vladimir Poutine répond avec une brutalité inouïe. Il va en Tchétchénie. Cest dune certaine façon le fondement du pouvoir de Poutine qui repose sur une violence impitoyable. Cest ce qui est ressorti avec lUkraine, comme cela a été le cas épisodiquement durant ces vingt dernières années. La violence est là, nue, toute crue, sous les yeux de ceux qui ne voulaient pas la voir. (Entretien avec Laurent Marchand, Ouest France, 2 novembre 2022)
La progression psychologique nous fait entrer au fil des pages dans le centre du pouvoir. Or, le centre névralgique du nouveau monde, c'est la télévision. La propagande est-elle la grande arme de Poutine ?
Les années 1990 en Russie, c'est un moment de fusion. Un moment où la tradition russe de la propagande, de la manipulation, qui est une tradition très ancrée et qui remonte au temps des Tsars, se fond avec les techniques les plus modernes importées de l'Occident. Lors de la campagne de 1996, c'est le moment de Berezovsky. Eltsine est très bas dans les sondages, les communistes menacent de revenir, et on assiste alors à un investissement colossal des oligarques, autour d'un milliard et demi de dollars, dans la présidentielle de 1996. Ils importent tous les spécialistes des États-Unis, les "technologues politiques" comme ils les appellent à Moscou. On est dans l'ère Brejnev, mais avec toutes les techniques les plus sophistiquées. (Entretien avec Laurent Marchand, Ouest France, 2 novembre 2022)
Votre "tsar" apparaît terrifiant et fascinant
en même temps. Ne craignez-vous pas de contribuer à nourrir
la légende de Vladimir Poutine ?
Le mal que peut faire celui qui incarne l'art du cynisme au plus haut niveau peut fasciner. C'est ce même mécanisme qui explique que le public soit fasciné par les serial-killers et les gangsters. Cela nourrit même nombre de films ! Ici, nous regardons presque en face une personnalité qui tient une partie du monde entre ses mains. Pénétrer son système mental et tenter de comprendre sa logique de fonctionnement est essentiel pour analyser ce qui se passe aujourd'hui. Pour arriver à ce point de pouvoir, il faut incontestablement posséder des qualités hors-norme. Je trouve que le personnage est plus glaçant que fascinant. Mais il appartiendra à l'Histoire de la Russie. Nul ne peut le nier. (Entretien avec Olivia Phelip, Viabooks, 28 octobre 2022)
II. DANS LE LIVRE |
Lieux et choses Événements Personnages Auteurs |
Voici d'abord quelques images de la réalité
à laquelle renvoie le roman.
Les extraits du livre sont les passages qui ne sont pas en gras.
LIEUX ET CHOSES |
Les vertushkas
"Les
vertushkas existent encore, vous savez ?" (Ch 4, p. 52) |
Dès 1922, à l'initiative de Lénine, un réseau automatisé spécial a été installé pour la bureaucratie du Kremlin, parallèlement aux lignes téléphoniques publiques. Les vertushkas correspondaient à un système téléphonique interne spécial en Union soviétique, à une époque où les standards téléphoniques étaient manuels. Le téléphone est sans cadran et directement relié au Kremlin. Il relie le chef à des subordonnés, aux secrétaires régionaux du parti, aux hauts responsables militaires ou d'importants chefs d'usine appartenant à l'État. Avoir une vertushka reflétait le statut élevé du propriétaire dans la hiérarchie de la gouvernance. Le système persista au-delà de la chute de l'Union soviétique, avec environ 20 % des téléphones en 1991 existant sur des réseaux privés |
Ce téléphone
fait partie de la kremliovka, le privilège de ceux qui ont
un accès direct aux hauts responsables du Kremlin : entre autres
avantages, ils avaient accès à des marchandises et des produits
auxquels le reste de la population n'avait pas droit (voir en ligne
cet extrait de Histoire
mondiale du communisme tome 2 de Thierry Wolton). C'est
le cas du père du narrateur :
|
L'Hôtel Metropol et son bar
|
Le château de la Garoupe
|
Cette maison
où vinrent des célébrités, dont Cole Porter
et Pablo Picasso, fut achetée en 1999 par Boris Berezovsky (1946-2013)
La propriété de Novo-Ogaryovo
(évoquée ch. 26, p. 229)
Le bâtiment sert de résidence
officielle au Président de la Fédération de Russie
depuis l'an 2000. Située à 25 km du Kremlin, la résidence
de Novo-Ogariovo dispose dun héliport, dune piscine,
de diverses salles de sport, dune écurie et dun poulailler.
Poutine se rend au Kremlin en hélicoptère depuis 2013.
QUELQUES ÉVÉNEMENTS ÉVOQUÉS DANS LE LIVRE |
En 1995, Bill Clinton accueille Boris Eltsine (1931-2007) à New York
|
Cliquez
ici pour visionner le fou-rire de Clinton
En 2000 : le naufrage
du sous-marin Koursk
|
En 2004, la
révolution orange est le nom donné à une série
de manifestations à Kiev et à travers l'Ukraine pendant
une quinzaine de jours, à la suite de la proclamation du résultat
du deuxième tour de l'élection présidentielle, que
de nombreux Ukrainiens perçoivent comme truqué par le gouvernement
de Viktor Ianoukovytch appuyé par Poutine. Le résultat est
l'annulation par la Cour suprême du scrutin et l'organisation d'un
nouveau vote qui voit la victoire de Viktor Iouchtchenko.
|
En 2007 : lors
de pourparlers russo-allemands
Connie,
le labrador noir
du président russe, est entré dans le bureau
"Elle
mavait raconté cet épisode qui lavait considérablement
marquée de sa rencontre avec Poutine, se souvient lancien
président de la République François Hollande. Elle
ma dit que Poutine savait quelle naimait pas les chiens,
ce qui mavait dailleurs assez bien éclairé sur
la personnalité de Vladimir Poutine." (France
Info)
La première version du livre s'intitulait "Le labrador"
et le livre commençait par cette scène, raconte Da Empoli,
dans cette vidéo d'entretien
avec Brice Couturier et Marie Ameller (du CNL, organisé par
Le Laboratoire de la République, Maison de l'Amérique Latine,
8 septembre 2022, 45 min,
12 min).
Pourquoi ? Parce que c'est un moment de bascule où Poutine casse
les règles de l'Occident...
|
2014 : cérémonie d'ouverture
des Jeux olympiques à Sotchi
La
cérémonie d'ouverture magnifie l'histoire
de la Russie : conquête des steppes, évocation des églises
russes, fondation de Saint-Pétersbourg par Pierre le Grand, bal
de Natacha Rostov dans Guerre et Paix de Tolstoï, ballet sur
la musique du Lac des cygnes de Tchaïkovski, évocation
du constructivisme des années 1920, industrialisation de l'époque
stalinienne, etc.).
Voir un résumé
filmé ici.
|
PERSONNAGES |
Vadim Baranov est
un personnage de fiction, ainsi que celle qui deviendra sa femme, Ksenia,
contrairement à ceux qui sont cités ci-dessous. L'auteur
s'est explicitement inspiré de Vladislav
Sourkov, mais en inventant sa famille, sa femme... Mais il joue un
rôle analogue au personnage du livre par rapport à Poutine,
a publié des livres, a démissionné, est visé
par les sanctions européeennes, etc. Le voici ici
avec Poutine en 2006
Vladislav Sourkov et Vladimir
Poutine en 2012
Knesia qui "torture" les personnages, cynique, opportuniste, traverse la corruption et la violence et représente beauté et pureté, dit l'auteur (entretien vidéo, 8 septembre 2022, 45 min, 12 min).
Mikhaïl Khodorkovski (né en 1963)
|
Khodorkovsky
courtise et épouse l'amante (fictive) de Vadim Baranov avant d'être
arrêté pour escroquerie en 2003 : sur un aéroport
sibérien, un groupe dhommes en treillis de combat fait irruption
dans lavion de ce puissant oligarque...
Libre
à gauche
26 octobre 2003 et après dix ans d'incarcération à
droite en
2013 lors la grâce de Poutine juste avant les JO.
Boris Berezovsky (1946-2013) | |
|
|
Boris Berezovsky cultive des relations avec tous les milieux, dont celui du crime organisé, tire profit de la libéralisation post-communiste, entre dans le cercle intime d'Eltsine pour devenir l'un des plus influents oligarques de Russie. Lors d'une attaque à la bombe en 1994, son chauffeur est décapité lors de la déflagration. Il finance la création du parti Russie unie qui devient le soutien parlementaire de Poutine. Il démissionne de son mandat de député en 2000. | |
En 2001, il s'exile à Londres où il habite, en alternance avec sa propriété du cap d'Antibes. En 2004 il finance la révolution orange en Ukraine. En 2013, il est retrouvé mort dans sa salle de bain britannique. |
Sergueï
Stepachine (né en 1952) est nommé
par Eltsine directeur du Service de sécurité en 1994
et exerce cette fonction jusqu'en juin 1995. Il est nommé
président du gouvernement par Eltsine en 1999 et rapidement
remplacé par le futur président Vladimir Poutine qu'Eltsine
avait fait directeur du Service fédéral de sécurité
(FSB) en 1998 avant donc qu'il devienne président du gouvernement
de la Russie l'année suivante. On voit dans le roman Boris Berezovsky débiner Stephachine quand il intervient auprès de Poutine, alors chef du FSB, pour accepter de prendre le pouvoir : |
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Igor Sechine (né
en 1960), le "secrétaire" de Poutine
Un des nombreux oligarques présents dans le roman.
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Aleksandre Zaldostanov (né en 1963)
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Zaldostanov
devient en 1989 président du club des Loups de la nuit. Après
une première rencontre avec Poutine, il se rapproche progressivement
du pouvoir russe (ici
en 2010)
Evgueni
Prigojine
Evgueni
Prigojine (né en 1961) tient un restaurant
de luxe où a lieu une scène dans le roman :
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Evgueni Prigojine et Vladimir
Poutine en 2011
Lactuel patron des mercenaires de Wagner
est un ancien gangster : il est condamné en 1981 à 12 ans
de prison (il en effectuera 9) pour vols, fraude et implication dans la
prostitution de mineures. À sa sortie de prison en 1990, dans
la sulfureuse Russie post-soviétique, il se lance dans les affaires
à Saint-Pétersbourg : dabord vendeur de hot-dog, il
devient manager dune chaîne de supermarchés locale
avant d'effectuer un parcours dans le milieu de la restauration en ouvrant
un des premiers restaurants élitistes de Saint-Pétersbourg.
Son surnom de "chef de Poutine" viendra de la confiance de celui-ci,
connu pour craindre les empoisonnements... : Prigojine fournira le Kremlin...
La proximité du chef avec le président lui permettra surtout
de remporter des contrats de plus en plus importants. "Concord Restauration",
sera une branche du groupe qu'il développera en accroissant son
nombre denseignes (voir Libération,
30 janvier 2023).
Visite
de George W. Bush (servi par Prigojine) à Moscou en 2006 dans le
palais Constantin
à Strelna près de Saint Pétersbourg, la veille
du G8
AUTEURS CITÉS DANS LE LIVRE |
Nombre d'écrivains sont évoqués dans Le mage du Kremlin, un peintre (Roublev), un musicien (Chostakovitch) et un cinéaste (Rosselini). Les voici, par ordre d'apparition...
Joseph
Roth (1894-1939),
auteur austro-hongrois, dont nous avons lu dans le groupe La marche
de Radetzky
Baranov, le "mage du Kremlin", de temps en temps écrivait un essai sous un pseudonyme :
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Le roman publié en 1929 où apparaît Nikolas Brandeis s'intitule Gauche et droite : ce roman politique entrecroise les destins de deux frères ennemis, Paul et Theodor Bernheim, qui incarnent chacun une facette de l'Allemagne de Weimar, et celui d'un émigré russe juif, Nikolas Brandeis.
Evgueni
Zamiatine (1884-1937)
Nous avons lu L'inondation et Le pêcheur d'homme dans
le groupe.
C'est Zamiatine qui provoque la rencontre entre le narrateur français
et Baranov qui va raconter son histoire. Le livre
Nous de Zamiatine est cité plusieurs fois (dans la traduction
dHélène Henry, Actes Sud,
2017). Le livre est ici
en ligne dans une ancienne traduction de Benjamin Cauvet-Duhamel ;
cette traduction est également publiée sous un autre
titre, Nous autres (Imaginaire
Gallimard).
Le texte de Zamiatine est écrit en 1920, publié
en 1924 en anglais, traduit en français en 1929 d'après
la version anglaise, et seulement en 2017 à partir du texte russe.
Il ne sera accessible au lecteur russe qu'en 1988, est souvent présenté
comme la source d'inspiration de chefs-d'uvre, tels
Le Meilleur des mondes d'Aldous Huxley (1932), 1984
de Georges Orwel (1949) ou Un
bonheur insoutenable d'Ira Levin (1970). Voici ici
l'histoire du livre et de sa traduction par la dernière traductrice,
Hélène Henry (avant-propos, Actes
Sud, 2017).
Cette fiction, adoptant la forme du journal intime, décrit la société
du XXXe siècle, soumise à l'État Unique gouverné
par le Bienfaiteur. Chaque individu, réduit à un numéro,
est condamné au bonheur d'État. D-503, personnage principal
et narrateur, rend compte d'un système scientifiquement établi
: destiné à ceux qui connaissent encore "l'état
sauvage de la liberté", le carnet qu'il tient, livré
au lecteur, est supposé faire l'éloge de l'État Unique
afin de les "soumettre au joug bienfaisant de la raison "
et " de les forcer à être heureux". Le roman
montre la puissance d'un système quasiment imperturbable qui s'immisce
dans la conscience de chaque être, témoignant de ce type
d'emprise idéologique, supprimant toute réflexion individuelle.
Voici le long passage permettant la rencontre grâce à Zamiatine du mage du Kremlin :
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Au passage, Nabokov (1899-1977) n'est pas épargné (littérairement)...
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Et l'on continue avec Zamiatine...
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Une fois la rencontre faite, le lecteur découvre
l'authentique "supplique
adressée par un artiste à Staline".
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C'est à ce moment-là que Chostakovitch (1906-1975) est cité :
|
Voir ici le récit en images de ce scandale au Bolchoï où Staline quitte sa loge avant la fin de lopéra : un scandale politique qui arrive par la musique (vidéo de Jérémie Rousseau et Lucie Bombled avec des archives visuelles, 4 min 12).
Kafka (1883-1924)
et Thomas Mann (1875-1955)
|
Casanova (1725-1798),
La Fontaine (1621-1695),
La comtesse de Ségur (1799-1874),
le cardinal de Retz (1613-1679)
|
En ligne : Histoire de ma vie de Casanova et Mémoires du cardinal de Retz. En livre de poche : Histoire de ma vie de Casanova, Mémoires du cardinal.
Astolphe de Custine (1790-1857)
Nous avons déjà rencontré ce
marquis grâce à la lecture d'Ourika
de Claire de Duras. Astolphe de Custine, fiancé avec Clara, la
fille cadette de la duchesse, s'était enfui trois jours avant la
signature du contrat de mariage. Le comportement du jeune marquis, qui
passait pour le plus beau parti du faubourg Saint-Germain, avait profondément
affligé Mme de Duras qui avait encouragé ce projet de mariage,
non seulement parce que Astolphe portait un nom illustre, rendu plus noble
encore par le courage avec lequel son père et son grand-père
étaient montés sur l'échafaud, mais aussi parce qu'il
était beau, sensible, cultivé, extrêmement intelligent,
et qu'il rêvait de devenir écrivain. C'est seulement quelques
années plus tard que la révélation de l'homosexualité
du jeune marquis allait expliquer son étrange comportement envers
la famille Duras. Ce qui permettrait à Claire de Duras d'écrire
son troisième roman Olivier
ou le Secret, où le couple ne parvient pas au bonheur en
raison d'un mystère
sexuel.
Bref ! Le marquis de Custine fit un voyage
en Russie, de juin à septembre 1839 (Saint-Pétersbourg,
Moscou, Iaroslavl, Vladimir, Nijni Novgorod). Nicolas Ier accorde au marquis
des audiences, les aristocrates russes le courtisent. Il publie en 1843
La Russie en 1839 (texte en
ligne).
|
Roberto Rossellini (1906-1977)
|
La manière dont le monarque français
dépouille ses courtisans semble avoir été un apprentissage
utile...
La
prise de pouvoir par Louis XIV, réalisé
par Roberto Rossellini, produit par l'ORTF en 1966 (en
vod 2,99€), commence par la mort en 1661 de Mazarin. Louis XIV,
jeune roi de petite taille, apparemment de faible envergure, décide,
à la stupeur de ceux qui le connaissent, des courtisans, de s'imposer.
En fait, il va régner en maître, mettant un frein aux problèmes
soulevés par son accession au trône. Il appelle Colbert,
avec l'appui de qui il organise sa politique, en centralisant les pouvoirs
entre ses mains. Il écarte sa mère, fait arrêter Fouquet
et donne à Versailles une renommée mondiale.
Gogol (1809-1852),
Pouchkine (1799-1837),
Tolstoï (1828-1910)
et le peintre d'icônes Andreï Roublev (1360~1370-1427~1430)
L'allusion à Tolstoï est d'abord
un titre...
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La nouvelle « Ma première oie » figure dans Cavalerie rouge dIsaac Babel (Imaginaire Gallimard).
Édouard Limonov (1943-2020) est le seul écrivain vivant rencontré dans le livre.
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On le retrouve
dans un autre livre... :
Edouard
Limonov naît en 1943 , dans la famille d'un gradé de la police
politique, le NKVD. A Kharkov, en Ukraine soviétique, il fréquente
les voyous de son quartier, avant de faire partie de la bohème
artistique locale ; il découvre la littérature du samizdat
et commence à écrire des vers, fortement influencés
par Vladimir Maïakovski (1893-1930). En 1974, il part pour l'Amérique
où il mèe une vie de sans-abri, puis de domestique, avant
de revenir en 1980 s'installer en France.
Il y est accueilli à bras ouverts dans les cercles intellectuels
de la capitale, impressionnés par Le
Poète russe préfère les grands nègres,
roman sur ses déboires new-yorkais). Il collabore tous azimuts
à des journaux communistes comme d'extrême droite. A la suite
de son engagement proserbe lors des guerres de Yougoslavie (1991-2001),
il perd ses appuis chez les intellectuels français et est boudé
par les éditeurs.
Après avoir fait le coup de feu au côté des milices
serbes en Bosnie, il retourne en Russie au milieu des années 1990,
fonder le Parti national-bolchevique, ultranationaliste, qui attiredes
milliers de jeunes (jusqu'à son interdiction en 2007). En 2001,
il est arrêté pour trafic d'armes et tentative de coup d'Etat
au Kazakhstan et condamné : il passe deux ans en prison où
il écrit huit livres. Dans l'un d'entre eux, Mes
prisons, il évoque toutes les geôles qu'il a connues
dans sa vie : la liste est impressionnante.
Son action politique fut longtemps marquée par une opposition radicale
au pouvoir de Vladimir Poutine. En 2011-2012, il fut l'un des principaux
meneurs des manifestations contre les fraudes électorales accompagnant
son retour au pouvoir.
<= en
2012
L'annexion de la Crimée et la guerre dans le Donbass, à
partir de 2014, trouvent toutefois grâce à ses yeux et le
conduisent à conclure une forme de "trêve" avec
le Kremlin. On revit même Limonov sur les chaînes de télévision
nationale...
Joseph
Kessel (1898-1979)
Déjeuner sur la Riviera chez Boris Berezovsky qui raconte l'histoire d'un aristocrate exilé à Paris, dans la communauté des Russes blancs :
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Zelda Fitzgerald (1900-1948)
C'est chez Anastasia Tchekhova (inventée ou inspirée d'une descendante de Tchekhov, que se rencontrent Baranov et Garry Kasparov :
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Rainer Maria Rilke (1875-1926)
Ksenia et Baranov se retrouvent au bar Metropol :
|
La citation est extraite des Poésies
d'amour de Rilke :
Es-tu si lasse ? Je veux te mener doucement
hors de ce tumulte, qui depuis longtemps me pèse aussi.
Notre blessure est à vif sous le joug de ce temps.
Vois, derrière la forêt où nous marchons en tremblant,
comme un château illuminé déjà le soir attend.
Viens avec moi. Le matin ne le saura jamais,
et dans la maison nulle lampe n'épiera ta beauté
Ton parfum imprègne comme un printemps les oreillers :
le jour a mis tous mes rêves en pièces, -
tresses-en une couronne.
(Munich, février 1897)
Mikhaïl Boulgakov (1891-1940)
Berezovsky a été retrouvé mort dans la salle de bains de sa résidence et on assiste à la réaction de Poutine :
|
La citation un peu tronquée est extraite de
Le maître et Marguerite de Boulgakov (dont Voix au chapitre
a lu plusieurs
livres). La voici, complète :
« Voilà ce quil faut
lui objecter, pensa Berlioz, résolu à poursuivre la discussion.
Certes, lhomme est mortel, personne ne songe à le nier. Mais
lessentiel cest que
»
Mais létranger ne lui laissa pas le temps douvrir la
bouche :
Certes, lhomme est mortel, dit-il,
mais il ny aurait encore là que demi-mal. Le malheur, cest
que lhomme meurt parfois inopinément. Voilà le hic
! Et dune manière générale, il est incapable
de savoir ce quil fera le soir même.
Jean Cocteau (1889-1963)
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Puisque ces mystères me dépassent, feignons d'en être l'organisateur" est une phrase extraite de Les mariés de la Tour Eiffel de Jean Cocteau.
Brodsky (1940-1996), poète, prix Nobel de littérature en 1987, expulsé d'URSS en 1972, exilé aux Etats-Unis
On retrouve Zamiatine cité à la toute fin du livre :
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On peut lire le texte de Brodsky en ligne : "A propos de la tyrannie".
La Bruyère (1645-1696)
La Bruyère précède Brodsky
vers la fin du livre, mais il sera choisi pour terminer ce florilège,
avec un commentaire de l'auteur du livre lui-même.
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Vous avez reçu ce prix pour un roman. Le considérez-vous comme une valeur ajoutée à votre travail de journaliste, denseignant et dessayiste ?
Oui, dans la mesure où il me relie à toute une littérature historique. Je connais la Russie, mais dautres avant moi et bien plus célèbres que moi en ont parlé dans leurs écrits. Je cite dans mon roman lauteur français La Bruyère (1645-1696) qui, mieux que nimporte quel journaliste, évoque la Russie sans y avoir jamais posé les pieds. Cela signifie quil existe une philosophie du livre alimentée par un imaginaire foisonnant. La Bruyère était membre de lAcadémie française, comme lest aujourd'hui lécrivain péruvien Mario Vargas Llosa (86 ans), dont luvre observe avec acuité le pouvoir politique. Cest dire que cette littérature historique demeure encore vivante au sein dune grande institution, qui reconnaît mon travail. (Entretien avec Ghania Adamo, Swissinfo, 31 octobre 2022)
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