Quatrième de couverture : "On entre dans chacune
de ces histoires comme on pousse la porte dun royaume inconnu." Kafka rejoint sa maîtresse, un inconnu fuit lAllemagne nazie, Primo Levi est envoyé à Auschwitz : tous sont pris dans la tourmente de la guerre, ils sont citoyens de la patrie Séfarade. Dans les trains qui les mènent loin des combats, leur fureur sapaise. Antonio Muñoz Molina fait céder le loquet du wagon qui renferme la vérité secrète de ces exilés : chacun peut devenir le juif dun autre Antonio Muñoz Molina est né en 1956 en
Espagne. Membre de la Real Academia Espanola, il a reçu le prix
Femina étranger en 1998 pour Pleine
Lune et le prix Médicis étranger en 2020 pour Un
promeneur solitaire dans la foule.
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Antonio MUÑOZ MOLINA (né en 1956)
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Les
20 cotes d'amour des deux groupes
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Chantal
Cindy Etienne
Fanny Marie-Odile
Yolaine |
DES INFOS AUTOUR DU LIVRE |
Livres publiés Le traducteur Articles Études Vidéo Repères biographiques |
Nos
13 cotes d'amour parisiennes pour Séfarade
|
Annick
L (avis transmis)
Un livre inclassable, qui se présente comme une
série de "portraits" insérés dans une méditation
plus large sur le thème exploré, s'apparentant même
parfois à l'essai. Le lecteur se perd entre ces périodes
de l'Histoire (contemporaine ou plus ancienne), errant d'un pays à
l'autre, d'un continent à l'autre. Autant dire que mes premiers
pas dans cette uvre au long cours m'ont paru difficiles. D'autant
que le titre me laissait croire qu'il s'agissait uniquement de raviver
le souvenir de la diaspora juive issue des pays méditerranéens.
Alors que le propos de l'auteur se veut universel : "Chacun
peut devenir le juif de l'autre".
J'étais déroutée par cette perte de repères,
mais aussi par les effets de ressassement omniprésents, par le
changement constant de point de vue (un je assumé, puis un tu qui
nous interpelle, puis un il ou elle qui prend ses distances, le tout dans
une même phrase). Quel était le dessein de l'auteur ? Où
voulait-il m'emmener ?
Et puis, peu à peu, j'ai trouvé mon rythme de lecture, chapitre
après chapitre, et j'ai commencé à me sentir concernée
par le propos, par ces fantômes incarnés dans des personnages
célèbres - grands militants, écrivains, artistes
- ou anonymes oubliés de la grande Histoire. Ils ont tous pour
point commun d'avoir été condamnés à mort
ou à l'exil par des régimes totalitaires - nazisme,
communisme, franquisme - ou bien rejetés, déclassés
par nos sociétés bien-pensantes (les pauvres gens dans les
ghettos périphériques, les SDF qui hantent les rues de nos
métropoles
). Certains sont attachants, d'autres ridicules
ou détestables, mais leurs voix, leurs complaintes se croisent
dans ce livre choral, comme dans celui de Svetlana Alexievitch. Et la
posture de l'auteur est toujours empathique, sauf, bien sûr, pour
le nazi réfugié en Andalousie. Il s'identifie même
souvent à ses personnages : il y a là une composante
autobiographique assumée.
J'ai été personnellement émue par ces destins tragiques ;
j'ai éprouvé un profond sentiment de révolte contre
l'injustice, l'arbitraire de leur sort. Je trouve le parti-pris original
et intéressant. Et j'admire l'ambition de cet écrivain qui
a consacré des années à des recherches pour rassembler
des documents, des témoignages directs ou indirects. Un formidable
livre contre l'oubli.
Mais j'ai été gênée par l'accumulation, la
superposition des histoires, dans un grand désordre. Tout particulièrement
après les deux chapitres "Tu es" et "Narva"
qui pourraient clore l'ensemble. Pourquoi continuer ? Un problème
de structure d'ensemble ?
Pour cette raison, je n'ouvrirai ce livre qu'aux ¾. Mais je remercie
celles ou ceux qui nous l'ont proposé et je le recommanderai à
des lecteurs
aguerris !
Nathalie (avis transmis depuis Nantes)
Les grèves auront eu raison de moi, j'en suis à la page
350 du roman, je comptais finir dans le train
J'ai eu beaucoup de mal à comprendre s'il s'agissait d'un roman
ou d'un recueil de nouvelles (puisque le mot "roman" est mentionné
sur la première page). Au fur et à mesure de ma lecture,
j'étais déboussolée et je cherchais malgré
moi un fil directeur qui me permettrait de relier les textes entre eux.
J'ai été très vite happée par la sensation
d'une nostalgie très lourde qui a freiné ma lecture.
Les thèmes abordés sont très nombreux, je ne serai
pas exhaustive et je relèverai simplement ceux qui m'ont le plus
marquée.
En ce qui me concerne, la nostalgie a trouvé sa source dans l'hyperthème
de la perte ! perte des lieux de vie, perte de la langue originelle, perte
de l'identité, perte concrète de la vie, jusqu'à
la perte de "son histoire".
Tout ceci parfois contrebalancé par
des éclats de lumière :
- à la mort et à la disparition Molina oppose la pérennité,
la trace qui perdure à ce qui est mortellement
disparu "parce
que des morceaux de toi-même demeurent dans d'autres vie",
et l'existence même de son texte qui
reprend des histoires singulières et les font s'entremêler
pour les rendre vivantes
- image d'espoir donnée par les enfants qui
s'installent "confortablement
dans l'exceptionnel". Quelle merveilleuse image que cette
capacité d'adaptation sans faille à lutter contre toute
forme de tragédie !
- espoir des voyages qui, une fois la porte franchie, permettent d'échapper
justement à cette définition et d'accéder à
un nouvel ensemble de possible.
La nostalgie que j'ai fortement ressentie était liée à
plusieurs éléments :
- la valeur qu'on attribue aux souvenirs dans lesquels on préfère
se perdre que de se confronter à un futur imprévisible et
qui forment un passé immuable et réconfortant
- le thème des voyages qui ne nous permettent pas de devenir autre
et qui font que nous échappons seulement aux regards des autres
qui nous enferment dans une définition et "usurpent"
nos vies ! J'ai été frappée par l'expression "ils
inventent ou décident ce que nous sommes" car,
pour moi, elle est la source de toute forme de persécution (génocides
compris).
J'ai été parfois perturbée par les changements de
narrateur (par exemple dans l'histoire de Monsieur Salama) mais aussi
par certaines informations ! J'ai cru comprendre que Salama avait été
marié et avait perdu femme et enfants mais plus loin, on note qu'il
n'a jamais été marié et qu'il est resté dans
la timidité tortueuse de son adolescence ?
J'ai souri à l'évocation cruelle du "club des innocents"
plusieurs fois évoqué Dénonciation sévère
mais jouissive de leur "égolâtrie" et du peu d'intérêt
pour le monde réel.
Il y a quelque chose d'absolument universel dans ce que Molina nous raconte
(d'ailleurs il reprend le thème des migrations tragiques contemporaines
avec beaucoup de pudeur et de délicatesse).
J'ai été émue aussi à cette idée terrible
de préférer mourir que d'attendre qu'on vienne te chercher.
Cela m'a fait penser aux jeux de l'enfance où parfois l'on préfère
être pris que de subir encore la tension effroyable de la peur d'être
pris !
Mon livre est beaucoup annoté, mais je m'arrête là.
Je l'ouvre aux ¾ parce que je trouve qu'il est trop gros pour ce
qu'il a à nous raconter et que parfois, il en devient répétitif.
Mais merci à celui ou celle qu'il aura permis sa programmation.
Qui a proposé cet auteur espagnol
et ce livre ?
C'est Manuela, du groupe de Tenerife, présente lors de la
semaine lecture de l'été dernier. Le livre est de plus
présent parmi "les 100 romans du Monde". Pour
rappel, en 2019 Le Monde publie "Les
100 romans du Monde", un supplément d'une vingtaine
de pages : sur les 100 auteurs, Voix au chapitre en a lu 63 (voir
lesquels ici
: il y a encore de quoi y choisir quelques lectures mémorables
sans aucun doute...)
mais jaime conserver entre les pages des cahiers et des livres des témoignages banals et précieux dun moment précis, boîtes dallumettes portant le nom dun restaurant, billets dentrée, tickets dautobus, nimporte quel document minime qui atteste une date et une heure, notre présence en un lieu, le bref itinéraire dun voyage. Je nai pas dattachement pour les choses, pas même pour les livres ni les disques, mais jen ai pour les lieux où je sais que mystérieusement sest exalté le meilleur de moi-même, la plénitude de mes désirs et de mes affinités, et ce que je voudrais accumuler comme un collectionneur avare et obsédé, ce sont les instants, les heures entières, les minutes que jai passés à écouter certaine musique ou à regarder des tableaux dans les salles dun musée, le plaisir de marcher avec toi un après-midi au bord de lHudson.
Je suis Etienne quand il rapproche cet auteur de Sebald dans son entrelacement
par le narrateur de l'histoire et de sa réalité. Hâte
qu'on en relise un.
J'ouvre à moitié. Je regrette que nous n'ayons pas lu un
livre de cet auteur plus accessible au commun des mortel.les dont je suis.
Laura
J'ai lu environ 130 pages. Mais dès le premier chapitre, je n'ai
rien compris. Je ne savais pas dans quoi je m'embarquais, je ne comprenais
pas les thématiques, et, pensant que c'était un roman, j'ai
été encore plus perdue de découvrir un recueil de
nouvelles dans lesquelles je n'arrivais pas à rentrer. Je suis
restée assez lointaine durant ma lecture, même si j'ai tenté
de vraiment me concentrer, de prendre du temps. Mais les nouvelles étaient
longues, et ne se prêtaient pas à une lecture entrecoupée.
Mais de quoi ça parlait ? Plein de personnages différents.
Les mouvements entre le "je", "tu", "il"
m'ont totalement déstabilisée. Et puis, dans certains chapitres,
quel rapport avec les camps ? J'ai continué, mais ça
n'allait pas mieux
Bref, j'ai été perdue pendant 130
pages. Ce n'était pas une expérience de lecture très
agréable, avec l'impression d'être face à mon propre
échec. Pourtant mon intérêt était éveillé
par Kafka, Kierkegaard
Cette lecture ne va pas me marquer. Et, finalement,
je crois que je n'ai pas du tout été intéressée.
J'ouvre ¼, parce que je suis sûre qu'objectivement c'est
un super livre, mais qui n'est probablement pas adapté au temps
et à la concentration que j'ai pu y consacrer, il était
vraiment difficile.
Annick
A
N'ayant pas le temps de lire ce livre en entier, j'ai fait le choix de
lire à partir des titres qui m'attiraient. J'ai lu "Sacristain",
"Copenhague"," Attendre", "Valdemún",
"Ô toi qui le savais" et "Tu es".
Le style de Muñoz Molina, avec ses longues phrases et ses dissensions,
m'épuise autant que le tragique de ses récits. C'est un
livre à la mémoire des victimes du nazisme et du stalinisme.
Il ressuscite ces vies détruites, ces exilés de leur pays
ou d'eux-mêmes. Ce qui m'a particulièrement intéressée
dans ces lectures est la bascule, le moment du basculement. Dans "Tu
es", bascule de l'identité entre ce que tu es et ce que tu
crois être et ce que les autres croient que tu es. Es-tu le même
à la sortie de ta visite chez le médecin qui t'apprend une
maladie grave qu'avant ? Ce moment où tu passes dans le statut
de malade. Primo Levi avant 1935 se considérait italien et ne se
pensait pas juif. Tu es ce que tu ignores ce que tu pourrais être
si tu te voyais expulsé de ta maison, de ton pays.
En plus léger un petit clin d'il à Proust : "Quelques
secondes durant, un goût ou une odeur ou une musique à la
radio, ou la sonorité d'un nom te transforme en celui que tu as
été, il y a 30 ou 40 ans, avec une intensité beaucoup
plus forte que la conscience de ta vie présente"
p. 385.
Dans "Copenhague", il y a une bascule assez épuisante
d'une phrase à l'autre de la pulsion de vie à la pulsion
de mort. Le plaisir et le désir d'une rencontre amoureuse durant
un voyage, l'état amoureux de Kafka et la ligne d'après
c'est l'horreur, les trains plombés, la déportation. Le
lecteur bascule d'une ligne à l'autre comme tous ces exilés
dans l'horreur. J'ouvre à moitié.
Brigitte
(à l'écran)
Je ne connaissais absolument pas Antonio Muñoz Molina, c'est une belle
découverte. J'ai commencé par être un peu découragée
par ce si grand nombre de nouvelles, regrettant que nous n'ayons pas préféré
choisir un roman.
Ce n'est qu'après avoir lu à peu près la moitié
du livre que j'ai compris qu'il s'agissait en fait d'un roman. En effet,
plusieurs personnages réapparaissent d'une nouvelle à l'autre
et le livre a une réelle unité : il s'agit toujours des
Séfarades. Leurs aventures, ou plutôt leurs mésaventures
au cours du XXe siècle, constituent la trame du texte.
J'ai été impressionnée par la qualité de l'écriture
et de la traduction de Philippe Bataillon. Dans "Narva", par
exemple, le narrateur réussit à entremêler la voix
du jeune lieutenant allemand et celle du narrateur sans jamais nous perdre,
malgré la situation compliquée qu'il décrit. Il présente
là, avec beaucoup de subtilité, un personnage "banal"
qui prend peu à peu conscience du génocide vécu par
les Juifs à côté de lui et qu'il ne voyait pas.
J'ai été bouleversée par "Attendre", et
par la vie de Willi Münzenberg. J'ai beaucoup aimé "Ô
toi qui le savais". Je voudrais relever aussi le choix incroyable
fait par la sur Marie du Golgotha, si romanesque, d'un amant tellement
inaccessible à ses préoccupations, ce cordonnier qui apparaît
dans "Sacristain" et dans "L'Amérique". Et
tant d'autres encore ! J'ouvre aux ¾.
Françoise,
entre
et
Je suis beaucoup plus négative que vous. J'ai été
très déçue. J'avais beaucoup aimé Le
Sceau du secret, Carlota
Fainberg, Beltenebros
et L'Hiver
à Lisbonne. Je n'ai pas retrouvé l'atmosphère
de mystère, d'ambiguïté, que j'y avais trouvée
et que j'avais beaucoup aimée.
Pour moi, ce n'est pas un roman, ce sont des nouvelles. Avec un fil, oui,
mais ça part un peu dans tous les sens et je n'ai finalement pas
trouvé ce qui les relie. Il y a des Juifs séfarades victimes
du nazisme, mais pas que. Il y a des Espagnols anti-franquistes, des personnages
perdus dans un rêve d'amour impossible, etc. C'est un pot-pourri
Et finalement le titre est réducteur. Mais quel est le fil ? L'exil ?
Le destin de ceux qui sont victimes des régimes en général ?
Je me suis sentie perdue. Même l'écriture, j'y ai trouvé
pas mal de redondances.
Mais je dois dire que je n'ai lu que la moitié et ne suis pas sûre
d'aller plus loin. J'ouvre entre ¼ et ½.
Je précise le sous-titre en espagnol "Una novela de novelas"
("Un roman fait de nouvelles") et voici
la couverture en espagnol.
Renée
(à l'écran depuis Narbonne)
J'avais lu un essai fabuleux d'Antonio Muñoz Molina, Cordoue
des Omeyyades :
il était fasciné par la civilisation arabe de Cordoue du
8e au 11e siècle : les poètes, les musiciens, les savants,
les médecins faisaient briller cette civilisation. Les Juifs étaient
heureux dans cette société tolérante, mais ils ont
dû fuir Cordoue lorsque les califats ont été chassés
au 15e siècle.
Muñoz Molina a toujours été fasciné
par l'histoire, et dans ce récit polyphonique, Séfarade,
il mélange la fiction avec des épisodes contemporains du
narrateur. Les pronoms sujets passent subrepticement du "je"
au "il" puis au "tu" sans que l'on perde le fil de
l'histoire.
Il est obsédé par le problème de l'exil, autant le
déracinement subi par les Juifs d'Europe que celui que ressent
le provincial parti habiter Madrid (dans "Valdemún")
ou même celui que peut endurer tout homme à un moment de
son existence, c'est-à-dire ne plus se reconnaître, avoir
envie de changer de vie, de changer de peau pour vivre ses rêves
de jeunesse.
Dans "Olympia", il écrit : "il
y avait deux mondes, l'un visible et réel, l'autre invisible et
qui m'appartenait, et je m'adaptais, soumis, aux normes du premier pour
qu'on me laisse me réfugier sans trop de gêne dans le second"
Il cite la phrase la plus connue d'un auteur espagnol que j'aime beaucoup,
Calderón : "La
vie est un songe".
Dans "Münzenberg", Muñoz
fait écho à ce que nous avons lu dans Le
mage du Kremlin : manipulation massive des intellectuels occidentaux,
Gide, Romain Rolland entre autres, pour convaincre ce "club des innocents"
comme Münzenberg les appelait en secret, que l'URSS était
un rempart contre le totalitarisme. Dans "Shéhérazade"
nous voyons également l'aveuglement du peuple russe et des communistes
étrangers sur la personnalité de Staline. Rappel du Mage
encore !
J'ai trouvé ce livre assez difficile à lire car c'est un
puzzle de petites histoires avec juste un minuscule élément
qui les relie (j'ai repéré un coquillage par exemple) et
il est impossible de s'attacher à un personnage. Il demanderait
à être lu lentement, ce que je n'ai pas pu faire. J'ouvre
le livre aux ¾.
J'ai lu par ailleurs En
l'absence de Blanca, un superbe roman d'amour, classique mais
émouvant. Cette rencontre entre un homme qui adule sa femme, qui
l'aime d'un amour 100 % oblatif et de cette femme, feu follet avide de
culture, de voyages, d'aventures, est superbement racontée. La
fin est magnifique : il ne la reconnaît pas puisque celle qu'il
aime ne serait pas revenue, elle serait partie vivre son rêve. Cependant
il l'accepte telle qu'elle est. J'ouvre celui-là en GRAND.
Monique L
Je n'ai lu que la moitié. C'est une lecture difficile, exigeante.
Ce n'est pas possible de survoler sans se perdre. La structure du récit
est déroutante car elle ne s'appuie ni sur une chronologie linéaire
ni sur une thématique et utilise abondamment les digressions, passe
souvent de la première personne à la troisième personne.
Cette écriture déroutante est malgré tout efficace
car elle nous met dans un état d'incertitude où tout peut
basculer en un instant, ce qui nous met dans un état d'esprit plus
compréhensif et empathique à la lecture de ces vies. C'est
une uvre très intéressante, animée par un profond
humanisme. L'auteur y répare l'oubli de personnes qui furent en
butte à l'arbitraire et en proie à des exils causés
lors des grands bouleversements du siècle. Le fil directeur est
pour moi de redonner voix à des individus dont la vie a été
bouleversée par les secousses de l'histoire. : dix-sept récits
retraçant des vies traquées, en butte à l'arbitraire.
Ainsi défilent des anonymes mais également Franz Kafka,
son amante Milena Jesenska, Greta Buber-Neumann, Heinz Neumann, Victor
Klemperer, Willi Münzenberg, Primo Levi, Spinoza et Federico Garcia
Lorca.
J'ai commencé par apprécier les premiers récits,
mais rapidement j'ai trouvé que la lecture devenait fatigante bien
que très riche ; mais elle me demandait trop d'efforts.
Le contenu m'a intéressée, mais j'étais perdue par
la façon dont c'est construit et le mélange histoire et
vie personnelle, fiction et réalité, m'a gênée.
En pensant à la peinture, à l'art contemporain, parfois
difficile à appréhender, ça me permettait d'avancer.
C'est intéressant, mais trop différent, éloigné
de moi pour que je comprenne. Et c'est fatiguant ! Peut-être,
je relirai des morceaux. Et de plus, ça devenait douloureux de
lire en avançant. Mais c'est une uvre intéressante.
Dans chaque chapitre, j'aurais enlevé des morceaux, dont je ne
voyais pas ce qu'ils venaient faire là
J'ouvre à moitié
(ce n'est pas l'uvre que j'ouvre ainsi, mais ma propre lecture).
Catherine
Je n'ai pas fini non plus. Et quant à moi j'ai lu dans l'ordre
Je ne connaissais pas. J'ai trouvé l'image
sur la couverture appropriée, correspondant au voyage, à
l'exil, au déracinement, même si le livre ne se limite pas
à ça.
Globalement j'ai beaucoup aimé. L'écriture, le mélange
entre personnages anonymes, de fiction, et personnages réels. Pour
moi il y a un fil conducteur, une ambiance qu'on retrouve dans pratiquement
tout le roman/les histoires. J'ai beaucoup aimé le début,
les trois premières nouvelles. Il y a une vraie progression dramatique.
"Sacristain" avec la nostalgie de la ville natale, puis "Copenhague"
qui commence tranquillement avec le thème du voyage, de la transformation
du voyageur, des rencontres et tout d'un coup on passe à la guerre,
le passage des frontières, la déportation. Enfin "Attendre"
: c'est une des histoires que j'ai préférées, l'attente
insupportable de l'arrestation, pire que l'arrestation elle-même,
que l'on vient à souhaiter pour cette torture s'arrête. C'est
particulièrement plombant mais pour ma part, j'aime beaucoup les
livres plombants
Il y a quelque chose de très prenant dans ce livre, avec une homogénéité,
même s'il y a des parties qui le sont moins. J'ai aimé retrouver
des personnages d'une nouvelle à l'autre, Kafka et Milena Jesenska,
Heinz et Greta Neumann, même s'il y a parfois une certaine redondance.
Le sort des Juifs en particulier séfarades pendant la guerre est
omniprésent ; l'histoire de Monsieur Salama est particulièrement
poignante, mais d'autres parlent des républicains espagnols, des
communistes et de la terreur stalinienne (la nouvelle sur Münzenberg
et la manipulation des opinions occidentales m'a beaucoup plu), d'autres
ne font pas référence à la guerre ni aux Juifs :
"Olympia", avec cette vie par procuration, "Valdemùn",
"Berghof", avec de nouveau le thème de la vie qui bascule,
dans le cas présent, du monde des bien-portants à celui
des malades ; le fils qui bascule de l'enfance à l'adolescence
pendant les vacances.
C'est vrai qu'on est parfois perdu, par exemple dans "Valdemún",
j'ai relu certains passages plusieurs fois pour savoir qui parlait, la
mère morte ou la fille, son mari. Mais pour moi, ça a aussi
fait partie du charme, d'être un peu perdue et de se laisser porter
sans tout comprendre.
Il faut que je finisse le livre pour avoir un avis complet. Je suis contente
d'avoir découvert cet auteur, ça m'a donné envie
d'en lire d'autres.
Jacqueline, entreet
Je suis l'une des rares à l'avoir lu en entier
Je m'y suis plongée, prise par "Sacristain", et sa nostalgie,
de quitter la société où on a été élevé
Je ne voyais pas le rapport avec le titre et par ailleurs, persuadée
de lire un roman - même si dans mon
édition, le sous-titre "roman" ne figure pas - j'étais
un peu déçue de trouver des nouvelles et d'attendre celle
du titre. Mais j'avais été très touchée par
la description de la rencontre finale ou communiquer n'est plus possible
J'ai beaucoup aimé ensuite, dans "Copenhague", cette
littérature qui parle de littérature : "Je
comprends maintenant que sur notre terre sèche et continentale
les trains de nuit étaient le grand fleuve qui nous emportait vers
le monde et qui nous en ramenait, le grand flux qui s'écoulait
dans l'ombre en direction de la mer ou des belles cités où
nous attendait sans doute une nouvelle existence, plus lumineuse et vraie,
plus ressemblante à celle que promettaient les livres."
J'ai admiré cet écrivain, sa manière de me parler
de choses lues, de récits entendus et de choses vécues en
me les rendant sensibles, comme si je partageais sa pensée
Je crois que mes nouvelles préférées sont celles
qui se passent en Espagne : "Sacristain", "Valdemún",
"Où que l'homme aille", une peinture du changement, de
la précarité avec des éclairs d'amour
Par ailleurs, j'ai été très intéressée
de découvrir une vision de la diaspora juive autre que celle que,
moi, je pouvais en avoir. Je n'avais jamais réalisé que
Spinoza était séfarade. Il m'a semblé que, dans ces
récits, en utilisant ce terme qui d'habitude est plutôt opposé
à ashkénaze, Muñoz Molina recréait une espèce
d'unité de cette diaspora dans une histoire commune d'exils successifs
En fait, à travers ce livre il m'a semblé aussi être
plongée dans toute une histoire de l'Espagne. Avec "En grand
silence", j'ai partagé les inquiétudes de ce soldat
caché qui finalement échappe aux partisans soviétiques
grâce à la femme qu'il a sauvée de la famine avec
son enfant
, un récit d'une grande humanité !
Moi qui étais persuadée que je n'irais jamais à New
York , en lisant le dernier récit, j'étais prise d'une grande
envie d'aller à Manhattan rien que pour voir cet extraordinaire
musée hispanique
Dans "Narva", cependant, il y a eu de brefs moments auxquels
je n'ai pas vraiment cru, même si chacune des situations est vraisemblable
et peut me renvoyer à des situations analogues, leur réunion
ne m'a pas convaincue.
Bref, la lecture de ce livre a été une grande découverte
de l'Espagne et d'un écrivain. J'ouvre un bon ¾ et peut-être
en entier.
Chantal
Cindy Marie-Odile
Yolaine
Édith EntreetBrigitte T Suzanne Jean présent ne l'a pas lu |
Synthèse
rédigée par Yolaine
suivie d'avis individuels |
Marie-Odile, deux jours après
Je viens de reparcourir les dernières pages de Séfarade
que j'avais lues un peu rapidement dans le bus pour Pontivy. Et il m'est
apparu clairement que la gardienne de la bibliothèque de l'Hispanic
Society n'est autre que Sur Golgotha du chapitre "Amérique".
Comment ne l'avais-je pas reconnue du premier coup alors que Molina, tout
en prenant soin de ne pas révéler son nom, multiplie les
indices (son départ d'Espagne, son goût pour la cigarette,
le souvenir de la place Santa Maria, de la rue Royale...) ? J'avais l'impression
ce matin de retrouver avec surprise et satisfaction une vieille copine
que je n'avais pas vue depuis longtemps (40 ans je crois) et que j'avais
un peu oubliée !!!
Et je me suis dit que j'étais sans doute passée au cours
de ma lecture (comme dans la vie ?) auprès d'autres personnages
déjà rencontrés sans les reconnaître, même
si certains sont plus transparents (le cordonnier, l'homme à l'ordinateur
et au coquillage blanc...). Cela confirme pour moi la complexité
de la construction et l'inépuisable richesse de ce texte qui mérite
lecture et relectures.
Je suis tentée de l'ouvrir en grand et demi !
Livres publiés Le traducteur Articles Études Vidéo Repères biographiques |
LIVRES PUBLIÉS |
Antonio Muñoz Molina a publié des romans, longs ou courts, des nouvelles, un journal, des essais...
Romans
- 1986 : Beatus
Ille, trad. Jean-Marie Saint-Lu, Actes
Sud, 1989, rééd. Points 1993 ; rééd.
Seuil, 2000 ; rééd. Points, 2001, 416 p.
- 1987 : Un hiver à Lisbonne, trad. Dominique Salgas, Actes
Sud, 1990. Retraduction : L'Hiver
à Lisbonne, trad. Philippe Bataillon, Seuil,
2001 ; rééd. Points, 2016, 288 p. Adapté
au cinéma par José Antonio Zorrilla en 1990.
- 1989 : Beltenebros,
trad. Claude Bleton, Actes Sud, 1991 ; rééd. Babel, 1995
; rééd. Seuil,
2004 ; rééd. Points, 2010, 256 p. Adapté
au cinéma par Pilar Miró, avec Terence
Stamp.
- 1991 : Le
Royaume des voix, trad. Claude Bleton, Actes
Sud, 1993 ; rééd. Points, 2000, 720 p.
- 1992 : Les Mystères
de Madrid, trad. Claude Bleton, Actes Sud, 1993, 172 p. Initialement
publié sous forme de feuilleton dans le journal El País
; le titre fait référence au feuilleton du XIXe siècle
Les mystères de Paris d'Eugène Sue.
- 1994 : Le
Sceau du secret, trad. Claude Bleton, Seuil, 1995, 160 p.
- 1995 : Une
ardeur guerrière : mémoires militaires, trad. Philippe
Bataillon, Seuil, 1999, 336 p.
- 1997 : Pleine
lune, trad. Philippe Bataillon, Seuil,
1998 ; rééd. Points, 1999 ; rééd. Points
Policier, 2008, 448 p. Prix Fémina étranger 1998. Adapté
au cinéma par Imanol Uribe.
- 1999 : Carlota
Fainberg, trad. Philippe Bataillon, Seuil,
2001 ; rééd. Points, 2002, 192 p.
- 2001 : En
l'absence de Blanca, trad. Philippe Bataillon, Seuil,
2004 ; rééd. Points, 2006, 126 p.
- 2001 : Séfarade,
trad. Philippe Bataillon, Seuil,
2003 ; rééd. Points, 2005, 528 p.
- 2006 : Le
Vent de la Lune, trad. Philippe Bataillon, Seuil,
2008 ; rééd. Points, 2012.
- 2009 : Dans
la grande nuit des temps, trad. Philippe Bataillon, Seuil, 2012
; rééd. Points, 2013, 1008 p.
- 2014 : Comme
l'ombre qui s'en va, trad. Philippe Bataillon, Seuil,
2016 ; rééd. Points, 2017, 504 p.
- 2018 : Un
promeneur solitaire dans la foule, trad. Isabelle Gugnon, Seuil,
2020, 522 p. Prix Médicis étranger 2020.
Nouvelles
- De 1988 à 2011 : Rien
d'extraordinaire, trad. Philippe Bataillon, Seuil, 2000, 240 p.
Journal
- 2004 : Fenêtres
de Manhattan, trad. Philippe Bataillon,
Seuil, 2005 ; rééd. Points, 2008, 384 p.
Essais
- 1991 : Cordoue
des Omeyyades, trad. Philippe Bataillon, Hachette
littératures, 2000 ; rééd. Seuil, 2012, 240 p.
- 2013 : Tout
ce que l'on croyait solide, trad. Philippe Bataillon, Seuil, 2013,
256 p.
- Participation à un ouvrage collectif : Méditerranée,
amère frontière, Actes Sud, 2019.
Romans adaptés au cinéma
- 1990 : L'hiver
à Lisbonne, réalisé par José Antonio
Zorrilla avec Christian Vadim, Hélène de Saint-Père,
Dizzy Gillespie, Fernando Guillén Cuervo, Eusebio Poncela.
- 1991 : Beltenebros,
par Pilar Miró et avec Terence Stamp, Patsy Kensit, José
Luis Gómez, Simón Andreu.
- 2000 : Pleine
Lune, scénario Elvira Lindo (femme du romancier), réalisé
par Imanol Uribe avec Miguel Ángel Solá, Adriana Ozores,
Juan Diego Botto.
Dans un entretien,
Antonio Muñoz Molina dit qu'il pense peu de bien des films adaptés
de ses livres...
LE TRADUCTEUR : PHILIPPE BATAILLON |
Nous connaissons sa femme...
Pour un livre qui avait compté dans le groupe, L'Ancêtre
de Juan José Saer, Laure Bataillon reçoit en 1988 le Prix
de la meilleure traduction décernée par la Meet (Maison
des Écrivains Étrangers et des Traducteurs). Après
sa disparition en 1990, ce prix adopta son nom : décerné
à la fois à l'auteur et à son traducteur, ce prix
a été créé pour attirer l'attention sur un
ouvrage de littérature étrangère contemporaine paru
en français.
Philippe Bataillon a été durant quarante et quelques années
photographe, cadreur puis directeur de la photographie pour la télévision.
Marié durant trente ans à Laure Guille-Bataillon, il a été
le premier lecteur puis le dactylographe de ses nombreuses traductions.
D'elle, il a beaucoup appris sur son métier. Après sa mort
en 1990, il a commencé à traduire divers textes courts,
puis des uvres romanesques. Depuis, plusieurs dizaines de ses traductions
ont été publiées, principalement de Juan José
Saer et Antonio Muñoz Molina dont il a traduit plus d'une douzaine
de titres.
Antonio Muñoz Molina indique son rapport aux traductions dans un entretien avec Laura Sillero (Festival des Assises Internationales du Roman à Lyon le 1er juin 2013) :
Quelle est votre attitude vis-à-vis des traductions qui sont faites de vos uvres ? Dans quelle mesure êtes-vous impliqué dans la publication d'un ouvrage dans une autre langue ? Vérifiez-vous les traductions de quelque manière que ce soit ? Essayez-vous de les corriger ?
Uniquement lorsqu'il s'agit de langues que je connais, le français et l'anglais. Dans ce cas, j'interviens. Dans d'autres cas, souvent, les traducteurs peuvent toujours vous demander, et même si vous ne connaissez pas la langue, vous connaissez la vôtre, vous pouvez donc aider un traducteur à résoudre des problèmes de contexte, de nuance. Mais dans le cas du français et de l'anglais, je m'implique assez, au point de refuser parfois une traduction.
ARTICLES SUR Séfarade |
Des articles en France avant même
sa traduction à la sortie du livre en Espagne
- "Récits de persécution
et de solitude", Amelia Castila, El Pais, Courrier international,
n °543, du 29 mars au 4 avril 2001.
- "Antonio
Muñoz Molina, le messager des exilés", Amelia Castilla,
Lire, 1er juin 2001.
Articles à sa sortie en 2003
- "La
mélodie Muñoz Molina", Frédéric Vitoux,
L'Obs, 27 février 2003
- "Le catalogue du pire",
Fabrice Gabriel, Les inrockuptibles, 12 février 2003.
- "Les fantômes du siècle",
Bruno Corty, Le Figaro littéraire, 6 mars 2003.
- "Errants et fugitifs",
Norbert Czarny, La Quinzaine littéraire, 16 juin 2003.
- "Séfarade
d'Antonio Muñoz Molina", Albert Bensoussan, Le Magazine
littéraire, 1er avril 2004.
- "Trains
de fantômes : la symphonie transportante des bannis par Antonio
Muñoz Molina", Claire Devarrieux, Libération,
27 février 2003.
- "Séfarade,
les exils dAntonio Muñoz Molina, par Jean-Luc Douin,
Le Monde, 28 février 2003. Ce roman figure parmi les
100 romans du Monde.
-"Livres.
Mémoire vive", Jean-Charles Gateau, Le Temps (quotidien
suisse), 1er mars 2003.
Le livre a mis du temps à arriver
au Mexique
- "Sefarad.
Una novela de novelas" ("Un roman fait de nouvelles")
Central de Noticias Diario Judío, 25 mai 2016, Diario Judío:
El Diario de la vida judía en México y el Mundo (Le
journal de la vie juive au Mexique et dans le monde).
ÉTUDES |
- "'Rappelle
ton âme endormie' : mémoire et construction identitaire dans
Séfarade dAntonio Muñoz Molina", Dagmar
Vandebosch, Culture
et mémoire : représentations contemporaines de la mémoire
dans les espaces mémoriels, les arts du visuel, la littérature
et le théâtre, éd. de l'École polytechnique,
2008, p. 369-377.
- De Christine
Pérès, professeure des universités:
Le
nouveau roman espagnol et la quête d'identité : Antonio Muñoz
Molina, préface de Antonio Muñoz Molina, L'Harmattan,
2001 (adaptation d'une thèse)
Les
jeux de la création et de la réception dans le roman mosaïque :
lecture de "Sefarad" dAntonio Muñoz Molina, Berne,
Peter Lang, 011
"Lécriture
de lHistoire dans le roman mosaïque : Rabos
de lagartija (2000) de Juan Marsé et Sefarad (2001) dAntonio
Muñoz Molina", Bulletin hispanique, 2014, p. 757-772.
Elle a dirigé la thèse suivante :
- Le factuel et le fictionnel dans Ardor guerrero, Sefarad et Ventanas de Manhattan d'Antonio Muñoz Molina, Élodie Vaquero-Nourrisson, Toulouse II, 2012 : cette thèse comporte en annexe un entretien avec Antonio Muñoz Molina, dont voici des extraits :
- Pouvez-vous nous donner votre opinion au sujet des liens qu'entretiennent le factuel et le fictionnel dans Ardor guerrero, Sefarad et Ventanas de Manhattan ?
- Pour moi, il y a une division radicale entre fiction et non fiction. Je suis très attaché à un type de littérature et d'écriture radicalement de non-fiction, autrement dit qui n'admet pas l'invention, comme par exemple les écritures historique, de divulgation scientifique ou de témoignage. Pour moi, le pacte qu'établit le lecteur avec le texte est très important et ce pacte de départ est un pacte de fiction ou de non-fiction. Il s'agit d'un accord et quand cet accord se noue dans Ventanas de Manhattan ou dans Ardor guerrero, il se maintient strictement car si ces uvres participent d'une littérature narrative, c'est d'une littérature de non-fiction. Quand on écrit un livre d'Histoire on n'a pas le droit de mentir, du moins consciemment. Aussi, j'ai l'obligation de m'en tenir aux faits, tels que je les ai expérimentés empiriquement car, comme dans une expérience scientifique, l'expérimentation doit s'ajuster au maximum à l'hypothèse initiale.
Il s'agit toutefois d'un regard subjectif.
Bien sûr, mon regard est subjectif mais cette subjectivité est soumise au pacte. Ainsi, j'essaie de ne pas mentir consciemment. C'est la différence entre la fiction et la non-fiction. Dans la fiction il y a une liberté qu'il n'y a pas dans la non-fiction. Dans Sefarad il s'agit d'un pacte distinct car il y a un jeu romanesque autour de l'autobiographie. Beaucoup de voix disent "je" et ce "je" est parfois très proche de mon expérience personnelle et parfois non. (...)
L'exil semble être un thème récurrent dans les trois uvres de notre corpus puisqu'il est présent dans Sefarad à travers l'exil durant la guerre civile espagnole ou les dictatures roumaine et argentine, tout comme dans Ardor guerrero où il est vécu par certains soldats comme la possibilité de découvrir le monde et, avec plus de force encore, dans Ventanas de Manhattan à travers vos séjours new-yorkais et les personnes que vous rencontrées tels que les jeunes immigrés de l'Institut Cervantès où vous dispensez des cours ou les amis espagnols que vous fréquentez lors de vos dîners. Pourquoi la question de l'exil vous interpelle-t-elle autant ?
Les plus grandes créations artistiques, littéraires et scientifiques du XXe siècle ont été réalisées par des personnes qui avaient abandonné leur pays pour des raisons économiques ou politiques. Tant de films américains incroyables ont été tournés par des exilés. On pourrait dire que le film noir américain a été créé par des européens qui avaient fui Vienne ou Berlin. Dans l'exil, coexistent la douleur et la possibilité de la libération. C'est la double face de l'exil.
L'exil permettrait donc aussi d'être plus créatif ?
Oui. Fuir, abandonner la terre natale permet de devenir un autre.
C'est votre cas ?
Oui. Il faut seulement être prudent avec le terme d'"exil". On ne peut pas comparer l'exil politique de quelqu'un qui a été expulsé de son pays et qui ne peut y retourner sans courir de danger, avec le privilège de voyager, de se promener dans un pays étranger et de rêver. C'est toute la différence entre fiction et non-fiction. En ce qui me concerne, l'exil est l'histoire de ma vie. On abandonne le village natal et on arrive ici, à Madrid. Quand j'étais petit, ma première vocation était de devenir étranger. L'Espagne était alors un pays très isolé. On pouvait reconnaître quelqu'un qui venait d'un autre village. Pas d'une autre province ou d'un autre pays mais d'un autre village. On a commencé à voir des touristes à Úbeda lorsque j'ai eu quatorze ans ou quinze ans, l'âge où on se révolte et où on souhaite quitter sa province natale. (...)
Et qu'en est-il pour la toile de Vélasquez au terme de Sefarad ?
Cette fillette aussi, c'est moi. À l'université, j'ai étudié l'histoire de l'art car l'art est une partie des choses que j'aime dans la vie et simplement une partie de la vie. Si je me suis identifié à Stendhal c'est parce que pour lui aussi, la musique, la peinture ou l'architecture ne sont jamais des expériences culturelles isolées des expériences ordinaires. Pour Stendhal, la musique est une promesse de bonheur.
Pouvez-vous nous préciser si le personnage de Camille Safra est tiré de la réalité ?
Oui, je l'ai rencontrée à Copenhague. Cette histoire est une histoire réelle, seul le nom de Camille Safra est inventé.
VIDÉO |
- Entretien réalisé à la Bibliothèque régionale de l'Alcazar à Marseille dans le cadre du 17e Festival du film espagnol, 8 novembre 2018, 18 min : c'est le seul entretien où Antonio Muñoz Molina s'exprime en français (qu'il parle très bien) : il répond d'abord à un interviewer du festival de cinéma qui n'a pas lu une ligne de lui, de sorte qu'il se présente et présente son uvre de manière très intéressante.
- Pour ceux qui comprennent l'espagnol : un entretien approfondi d'Antonio Muñoz Molina avec Javier Herraez, RTVE (Radio y Televisión Española), 3 novembre 2018, 56 min.
- "À Úbeda, les fantômes dAntonio Muñoz Molina", Invitation au voyage, Linda Lorin, Arte, 21 novembre 2022, 13 min 45.
REPÈRES BIOGRAPHIQUES |
Enfance et formation
- Né en 1956 à Úbeda en Andalousie.
Famille de maraîchers. (voir l'émission d'Arte "À
Úbeda, les fantômes dAntonio Muñoz Molina",
Invitation au voyage, Linda Lorin, Arte, 21 novembre 2022, 13 min 45).
Deux frères comme deux enfants uniques (à cause de la différence
d'âge, lui étant le plus âgé). Une enfance entourée
de femmes protectrices, avec de grandes familles qui ne se séparent
pas, unies par l'agriculture.
- Études secondaires chez les pères salésiens, où
est née sa prise de conscience de l'oppression et l'intolérance
religieuses,
- "Depuis que j'avais 13 ans, j'achetais les journaux."
Bourse pour des études de journalisme à l'Université
centrale de Madrid.
- Abandonne pour étudier l'histoire de l'art à
l'Université de Grenade. Diplôme en 1979.
- Né sous la dictature de Franco, il a été témoin
du développement de la démocratie après la mort de
Franco en 1975.
Fonctionnaire, journaliste
Après ses études, il est d'abord au
chômage : "j'ai
décroché un petit boulot d'assistant à la mairie,
et à partir de là j'ai commencé à écrire,
dans des journaux", tout en travaillant
comme fonctionnaire à Grenade.
Que pouvez-vous dire sur l'influence que la pratique journalistique a eue sur votre carrière de romancier ?
Je crois que le journalisme est une branche de la littérature. Une branche de la littérature peut être meilleure ou pire : elle a une série de variantes et il existe des sous-genres dans le journalisme. Mais c'est de la littérature, au sens où le monde se raconte avec des mots. Ma formation d'écrivain a vraiment commencé lorsque j'ai commencé à écrire pour un journal de Grenade, aujourd'hui disparu, qui était le Diario de Granada. Et il y a aussi une composante française là-bas, parce qu'à cette époque je lisais constamment Le spleen de Paris de Baudelaire, et puis je me souviens avoir descendu la rue à travers Grenade, le long du Zacatín et de la Bib-rambla, et pensé à ce qu'il fallait faire comme un "spleen de Granad", et c'est ce que j'ai fait, quand j'ai écrit un livre intitulé El Robinson urbano, mon premier livre, mais cette illumination de la ville contemporaine, ce que vous avez sous les yeux, peut faire l'objet de littérature, et cette discipline du journal, de prêter attention à ce qui se passe autour de vous, en plus d'avoir l'obligation de devoir livrer à un moment donné, avec un livraison, avec un délai de livraison, avec une certaine longueur, cette discipline vous guérit de beaucoup de bêtises sur l'inspiration, cette paresse de penser "eh bien, j'écrirai quand ça me passera par la tête", non, dans le journal il n'y a pas... Et moi je continue d'écrire dans les journaux et ça continue d'être le cas. C'est-à-dire que l'inspiration doit arriver avant un certain temps, elle ne peut pas attendre, et l'inspiration doit être sujette à une certaine durée. C'est une excellente école pour un écrivain. (Entretien avec Laura Sillero, Festival des Assises Internationales du Roman à Lyon le 1er juin 2013)
Ecrivain marié à une écrivaine,
au beau parcours dans l'institution littéraire, dont voici quelques
dates :
- 1986 : premier roman, Beatus Ille qui reçoit le prix Ícaro
de littérature.
- 1987 : L'Hiver à Lisbonne reçoit
le Prix de la Critique et le Prix national de Narration.
Vous avez publié votre premier roman en 1986. Avez-vous imaginé que vous deviendriez l'écrivain que vous êtes aujourd'hui ?
Non, j'ai eu beaucoup de chance. Cela a coïncidé avec une époque qui, je crois, a été la grande époque, qui s'achève malheureusement, de la rencontre entre les écrivains espagnols et le public espagnol et européen. La seconde moitié des années 80 a été une explosion de littérature et de lecteurs, du coup il y avait beaucoup plus de lecteurs, pourquoi ? Parce que la démocratie a généré cela. Donc des écrivains comme Javier Marías, comme Julio Llamazares, Rosa Montero, des gens comme ça, on se retrouve avec un public beaucoup plus large que ce qu'on avait imaginé. Alors on a fait des livres de littérature qui se voulaient de la littérature sérieuse, mieux ou moins bien mais de la littérature sérieuse, et on a trouvé que ça avait beaucoup de lecteurs. Ils disent toujours "en Espagne tu ne lis pas", Proportionnellement, le nombre de lecteurs qu'il a eu jusqu'à récemment en Espagne est bien supérieur à celui d'un livre de littérature aux États-Unis, par exemple. Je dis à mes amis américains mes tirages de livres et ils sont très surpris. J'ai eu beaucoup de chance. Et puis il y a eu une autre chance fondamentale, c'est que nous sommes arrivés à un moment où notre pays s'ouvrait au monde, donc pour la génération précédente, se connecter avec le monde extérieur, non seulement avoir des lecteurs à l'extérieur mais recevoir des influences de l'extérieur était très difficile, nous avons donc eu la chance que nos livres aient été publiés à l'étranger, dans de nombreux cas, ils ont eu de nombreux lecteurs, et nous avons été lus non pas en tant que représentants d'un pays exotique soumis à une dictature comme cela pouvait arriver auparavant, mais en tant qu'écrivains. Comme ce festival, international. Qu'un écrivain d'une génération avant la mienne puisse assister à un festival international comme celui-ci en toute normalité, c'était très rare. On s'habitue aux choses et elles semblent normales, mais nous avons eu une situation historique très favorable. (Entretien avec Laura Sillero, Festival des Assises Internationales du Roman à Lyon le 1er juin 2013)
- 1992 : Il s'installe à Madrid.
- 1994 : Mariage avec Elvira
Lindo qu'il a rencontrée en 1990, elle aussi écrivaine.
Ils auront trois enfants, en plus d'un premier enfant qu'elle avait. Elle
est journaliste, scénariste, romancière, Prix national de
littérature jeunesse en 2000, connue surtout sous le nom de "Manolito
Gafotas", son alter ego enfant.
- 1995 : Membre de l'Académie royale de la langue espagnole ; son
discours d'intronisation s'intitule Destierro
y destiempo de Max Aub (Exil et contretemps de Max Aub).
- 2004-2006 : Directeur de l'Institut Cervantes de New York. Vit entre
Madrid et New York.
- 2012 : il fait don d'une partie de ses écrits
à la Bibliothèque nationale : cahiers tirés de livres
et de journaux, brouillons de romans, poèmes de jeunesse et pièce
de théâtre inédits.
- 2013 : Prix
Prince des Asturies, le plus prestigieux prix espagnol. Il enseigne
à New York, dans une maîtrise en écriture créative
et a des étudiants d'Espagne et de toute l'Amérique latine.
- 2013 : Prix
Jérusalem ("Antonio
Muñoz Molina primé à Jérusalem",
Elias Levy, The Canadian Jewish News, 22 janvier 2013).
Antonio Muñoz Molina est l'objet d'une polémique lorsqu'un
groupe d'intellectuels, dont l'essayiste français Stéphane
Hessel, l'écrivain britannique John Berger et le cinéaste
Ken Loach, l'avaient appelé à refuser une invitation à
se rendre en Israël pour recevoir le Prix Jérusalem pour la
liberté des individus dans la société, organisé
tous les deux ans par la foire internationale du livre de Jérusalem.
"Israël est un pays pluriel, que je sache, de la même
façon qu'il y a des gens très réactionnaires et intégristes,
il y a des gens progressistes très critiques contre l'occupation
des territoires, des gens qui à l'intérieur d'Israël
militent pour une solution au conflit", avait-il dit alors au
quotidien El Pais. Son discours =>ici
Il succède au Britannique Ian McEwan et à d'autres écrivains
prestigieux comme Graham Greene ou J. M. Coetzee. Ce prix, qui récompense
un auteur ayant abordé dans ses uvres les thèmes de
la liberté de l'individu, de la société, de la politique
et des gouvernements, est doté de 10 000 dollars.
- 2020 : Prix
Médicis étranger en 2020 (obtenu deux ans plus tard
par Kourkov pour Les
abeilles grises)
Pour terminer ce parcours voici des extraits d'un entretien
qui figure après l'article de Natalie Levisalles "Antonio
Muñoz Molina : l'absolue liberté de l'imagination"
(Libération, 26 août 2016) :
Vous avez vécu presque vingt ans aux Etats-Unis. En quoi est-ce intéressant pour un écrivain de vivre loin de chez lui ?
Ah, c'est très important. Il y a quelques mois, je me suis demandé : qu'est-ce que c'est que cet instinct que j'ai de partir, de toujours changer d'endroit ? Je suis né comme ça, déjà enfant, je voulais être ailleurs, ça doit être génétique. J'ai lu que, dans chaque espèce, il y a des individus qui ont le travel bug, le virus du voyage. Je suis né dans une petite ville et je voulais en partir, j'avais le sentiment que la vie était ailleurs.
La première fois que je suis allé aux États-Unis pour une longue période, c'était il y a plus de vingt ans, comme visiting professor à l'université de Virginie. Je me suis plongé dans la vie américaine, j'ai passé un semestre comme un moine. Ensuite, j'ai vécu à New York pendant quatorze ans. C'était si intéressant, si vivifiant, comme si tout recommençait. La première fois que je suis allé voir mon éditeur américain, j'étais nerveux, je tournais dans le quartier, comme au début de ma carrière.
Javais été élu à lAcadémie espagnole à 40 ans, ça aurait été facile de men accommoder, de faire partie de lestablishment. En Amérique, je nétais personne, aller aux Etats-Unis ma permis déchapper à une dignité excessive décrivain établi. Avec ma femme, on voyait lEspagne et lEurope à distance, on devenait plus européens et plus espagnols. Cest à New York que je suis devenu un vrai Européen. Aux Etats-Unis, on se sent instinctivement, profondément européen. On dit toujours que lidée dEurope est abstraite, mais ce nest pas vrai.
Vous dites : "depuis mon enfance, jai toujours voulu partir des endroits où jétais", mais en même temps, dans tous vos livres, il y a cet enracinement très profond à Ubeda, votre ville natale.
C'est absolument vrai je n'y avais jamais pensé, c'est une espèce de révélation pour moi ! Je pense que c'est lié à des structures cognitives très profondes chez l'être humain. Si on voit le roman seulement en termes littéraires, on ne peut pas comprendre. Le roman est la manifestation concrète d'une chose très ancienne et très enracinée dans la psyché humaine. Dans les contes populaires, les chansons, les poèmes, les films il y a toujours ce double élan, ces deux histoires fondamentales que l'être humain se raconte à lui-même depuis la nuit des temps : l'histoire du départ et celle du retour, l'Odyssée, l'enfant prodigue Dans les contes pour enfants, le héros est toujours quelqu'un qui part. (...)
Vous écrivez : "Écrire, cest progresser de ce que lon ne sait pas vers ce que lon sait." Mais encore ?
Cest une chose qui, avec les années, a beaucoup changé chez moi. Au début, on pense quon doit avoir en tête une structure merveilleuse, comme un bâtiment flottant dans les airs. Avec le temps, on découvre la presque absolue incertitude du travail. On commence à écrire en pensant quon va dire quelque chose de précis, mais le moment même de lécriture devient souverain, cest comme un moment de divination. Pour ce roman en particulier, je ne savais pas ce que jallais écrire, cest seulement sur le moment que je trouvais. On penserait que lexpérience vous donne un contrôle technique du métier, mais ce nest pas vrai, pour moi en tout cas. Je crois plutôt quon doit aider le livre à sécrire lui-même. Je dois avouer que jai découvert avec joie labsolue liberté de limagination ; à chaque fois que jai voulu imposer une structure à une histoire, ça a été un échec.
Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme
au rejet :
|
||||
à
la folie
grand ouvert |
beaucoup
¾ ouvert |
moyennement
à moitié |
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peu
ouvert ¼ |
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