Antonio MUÑOZ MOLINA, Séfarade, trad. Philippe Bataillon, Points, 528 p.

Quatrième de couverture :

"On entre dans chacune de ces histoires comme on pousse la porte d’un royaume inconnu."
L’Humanité

Kafka rejoint sa maîtresse, un inconnu fuit l’Allemagne nazie, Primo Levi est envoyé à Auschwitz : tous sont pris dans la tourmente de la guerre, ils sont citoyens de la patrie Séfarade. Dans les trains qui les mènent loin des combats, leur fureur s’apaise. Antonio Muñoz Molina fait céder le loquet du wagon qui renferme la vérité secrète de ces exilés : chacun peut devenir le juif d’un autre…

Antonio Muñoz Molina est né en 1956 en Espagne. Membre de la Real Academia Espanola, il a reçu le prix Femina étranger en 1998 pour Pleine Lune et le prix Médicis étranger en 2020 pour Un promeneur solitaire dans la foule.


Première édition
en France, Seuil, 2003


Première édition en Espagne, Alfaguara, 2001


Sefarad

Antonio MUÑOZ MOLINA (né en 1956)
Séfarade (2001, traduit en 2003)

Nous avons lu ce livre pour le 10 mars 2023 et le groupe breton pour le 11 mai.

Les 20 cotes d'amour des deux groupes

Chantal •CindyEtienneFanny Marie-Odile •Yolaine
Entre et Jacqueline
Annick LBrigitte LCatherine ÉdithNathalieRenée
Entre  etBrigitte T
Annick AClaire Monique L •Suzanne

Entre etFrançoise
Laura


DES INFOS AUTOUR DU LIVRE
Livres publiés
Le traducteur

Articles
Études
Vidéo
Repères biographiques

Nos 13 cotes d'amour parisiennes pour Séfarade

Annick L (avis transmis)
Un livre inclassable, qui se présente comme une série de "portraits" insérés dans une méditation plus large sur le thème exploré, s'apparentant même parfois à l'essai. Le lecteur se perd entre ces périodes de l'Histoire (contemporaine ou plus ancienne), errant d'un pays à l'autre, d'un continent à l'autre. Autant dire que mes premiers pas dans cette œuvre au long cours m'ont paru difficiles. D'autant que le titre me laissait croire qu'il s'agissait uniquement de raviver le souvenir de la diaspora juive issue des pays méditerranéens. Alors que le propos de l'auteur se veut universel : "Chacun peut devenir le juif de l'autre".
J'étais déroutée par cette perte de repères, mais aussi par les effets de ressassement omniprésents, par le changement constant de point de vue (un je assumé, puis un tu qui nous interpelle, puis un il ou elle qui prend ses distances, le tout dans une même phrase). Quel était le dessein de l'auteur ? Où voulait-il m'emmener ?
Et puis, peu à peu, j'ai trouvé mon rythme de lecture, chapitre après chapitre, et j'ai commencé à me sentir concernée par le propos, par ces fantômes incarnés dans des personnages célèbres - grands militants, écrivains, artistes - ou anonymes oubliés de la grande Histoire. Ils ont tous pour point commun d'avoir été condamnés à mort ou à l'exil par des régimes totalitaires - nazisme, communisme, franquisme - ou bien rejetés, déclassés par nos sociétés bien-pensantes (les pauvres gens dans les ghettos périphériques, les SDF qui hantent les rues de nos métropoles…). Certains sont attachants, d'autres ridicules ou détestables, mais leurs voix, leurs complaintes se croisent dans ce livre choral, comme dans celui de Svetlana Alexievitch. Et la posture de l'auteur est toujours empathique, sauf, bien sûr, pour le nazi réfugié en Andalousie. Il s'identifie même souvent à ses personnages : il y a là une composante autobiographique assumée.
J'ai été personnellement émue par ces destins tragiques ; j'ai éprouvé un profond sentiment de révolte contre l'injustice, l'arbitraire de leur sort. Je trouve le parti-pris original et intéressant. Et j'admire l'ambition de cet écrivain qui a consacré des années à des recherches pour rassembler des documents, des témoignages directs ou indirects. Un formidable livre contre l'oubli.
Mais j'ai été gênée par l'accumulation, la superposition des histoires, dans un grand désordre. Tout particulièrement après les deux chapitres "Tu es" et "Narva" qui pourraient clore l'ensemble. Pourquoi continuer ? Un problème de structure d'ensemble ?
Pour cette raison, je n'ouvrirai ce livre qu'aux ¾. Mais je remercie celles ou ceux qui nous l'ont proposé et je le recommanderai à des lecteurs… aguerris !
Nathalie (avis transmis depuis Nantes)

Les grèves auront eu raison de moi, j'en suis à la page 350 du roman, je comptais finir dans le train…
J'ai eu beaucoup de mal à comprendre s'il s'agissait d'un roman ou d'un recueil de nouvelles (puisque le mot "roman" est mentionné sur la première page). Au fur et à mesure de ma lecture, j'étais déboussolée et je cherchais malgré moi un fil directeur qui me permettrait de relier les textes entre eux. J'ai été très vite happée par la sensation d'une nostalgie très lourde qui a freiné ma lecture.
Les thèmes abordés sont très nombreux, je ne serai pas exhaustive et je relèverai simplement ceux qui m'ont le plus marquée.
En ce qui me concerne, la nostalgie a trouvé sa source dans l'hyperthème de la perte ! perte des lieux de vie, perte de la langue originelle, perte de l'identité, perte concrète de la vie, jusqu'à la perte de "son histoire".
Tout ceci parfois contrebalancé par des éclats de lumière :
- à la mort et à la disparition Molina oppose la pérennité, la trace qui perdure à ce qui est mortellement disparu "parce que des morceaux de toi-même demeurent dans d'autres vie", et l'existence même de son texte qui reprend des histoires singulières et les font s'entremêler pour les rendre vivantes
- image d'espoir donnée par les enfants qui s'installent "confortablement dans l'exceptionnel". Quelle merveilleuse image que cette capacité d'adaptation sans faille à lutter contre toute forme de tragédie !
- espoir des voyages qui, une fois la porte franchie, permettent d'échapper justement à cette définition et d'accéder à un nouvel ensemble de possible.
La nostalgie que j'ai fortement ressentie était liée à plusieurs éléments :
- la valeur qu'on attribue aux souvenirs dans lesquels on préfère se perdre que de se confronter à un futur imprévisible et qui forment un passé immuable et réconfortant
- le thème des voyages qui ne nous permettent pas de devenir autre et qui font que nous échappons seulement aux regards des autres qui nous enferment dans une définition et "usurpent" nos vies ! J'ai été frappée par l'expression "ils inventent ou décident ce que nous sommes" car, pour moi, elle est la source de toute forme de persécution (génocides compris).
J'ai été parfois perturbée par les changements de narrateur (par exemple dans l'histoire de Monsieur Salama) mais aussi par certaines informations ! J'ai cru comprendre que Salama avait été marié et avait perdu femme et enfants mais plus loin, on note qu'il n'a jamais été marié et qu'il est resté dans la timidité tortueuse de son adolescence ?
J'ai souri à l'évocation cruelle du "club des innocents" plusieurs fois évoqué Dénonciation sévère mais jouissive de leur "égolâtrie" et du peu d'intérêt pour le monde réel.
Il y a quelque chose d'absolument universel dans ce que Molina nous raconte (d'ailleurs il reprend le thème des migrations tragiques contemporaines avec beaucoup de pudeur et de délicatesse).
J'ai été émue aussi à cette idée terrible de préférer mourir que d'attendre qu'on vienne te chercher. Cela m'a fait penser aux jeux de l'enfance où parfois l'on préfère être pris que de subir encore la tension effroyable de la peur d'être pris !
Mon livre est beaucoup annoté, mais je m'arrête là.
Je l'ouvre aux ¾ parce que je trouve qu'il est trop gros pour ce qu'il a à nous raconter et que parfois, il en devient répétitif.
Mais merci à celui ou celle qu'il aura permis sa programmation.


Qui a proposé cet auteur espagnol et ce livre ?
C'est Manuela, du groupe de Tenerife, présente lors de la semaine lecture de l'été dernier. Le livre est de plus présent parmi "les 100 romans du Monde". Pour rappel, e
n 2019 Le Monde publie "Les 100 romans du Monde", un supplément d'une vingtaine de pages : sur les 100 auteurs, Voix au chapitre en a lu 63 (voir lesquels ici : il y a encore de quoi y choisir quelques lectures mémorables sans aucun doute...)


Etienne (avis transmis)
Je suis désolé je ne serai malheureusement pas avec vous ce soir encore une fois pour ce beau livre...
J'ai donc particulièrement apprécié Séfarade, roman très habile qui tisse sa toile progressivement pour nous étouffer en quelque sorte. Ça commence progressivement avec l'histoire du défilé de la semaine sainte (à tel point que j'ai dû relire le titre pour vérifier que je ne m'étais pas trompé de livre) et petit à petit les histoire ricochent directement ou par écho pour former un tableau de l'antisémitisme ordinaire et systémique du 20e siècle (la situation a-t-elle changé ?). La force de Muñoz est la puissance évocatrice de son talent narratif, de ses anecdotes personnelles ou découvertes en mêlant l'ordinaire et le fait historique. J'ai par exemple beaucoup pensé à Sebald comme type de procédé : un peu comme lui, ces histoires d'apparence différentes qui jalonnent le roman à chaque chapitre finissent par former un ensemble très cohérent et réel. On pense aborder une thématique nouvelle (le deuil, les illusions perdues, la notoriété, la mémoire de l'enfance) mais c'est finalement toujours l'ostracisme qui couve à chaque page. C'est parce qu'il se place du côté des Juifs mais surtout pas que (mention spéciale à l'histoire du soldat Espagnol Germanophile), qu'on arrive à toucher à une sorte d'humanité rare. Je suis sorti assez bouleversé de la lecture et ai noté beaucoup de références (Améry, la correspondance de Jesenka notamment).
Par ailleurs la langue est très fluide et me parle énormément ; j'aime beaucoup ce type d'écriture qui "vrille" sur elle-même tout en continuant à creuser ; je comprends qu'on évoque aussi Claude Simon (j'ai d'ailleurs pensé à La chevelure de Bérénice). [Plissements d'incompréhension des sourcils de l'assemblée écoutant l'avis d'Etienne lu à haute voix...] Je l'ouvre en grand.
Fanny

Pas possible pour moi de vous rejoindre ce soir. Je vous envoie mon avis très partiel car j'ai lu jusqu'à "Olympia".
Tout d'abord j'ai été charmée par le style de l'écriture c'est un peu comme une longue promenade sinueuse. Seulement le fond est difficile, douloureux et le style justement nous porte au cœur du récit.
Alors je n'ai pas réussi à aller très loin. J'ai l'impression que je pourrais picorer chapitre par chapitre mais le lire d'une traite m'a été difficile. J'ai eu du mal également à scander la lecture de chacun des chapitres, je trouvais toujours difficile de m'y replonger après l'avoir posé.
J'ai pu lire "Attendre" d'une traite et j'ai été vraiment transportée comme immergée dans le récit. J'ai été saisie par la manière dont l'angoisse est décrite et le fait que face à cette attente le moment de l'arrestation apparaît presque moins pire.
J'ai également été très touchée par le personnage de Monsieur Salama, le décalage entre ce que "les gens " extérieurs disent de lui et sa sensibilité lorsque l'auteur parle directement de lui est saisissant.
Sur plusieurs récits on trouve le mélange de plusieurs histoires, je trouve que c'est ce qui fait du "même " au cœur de tous ces traumatismes et qui vient donc remettre de l'humain, du partageable face à ces atrocités.
Ce sentiment se trouve renforcé par l'emploi du "tu" (ex p80) qui embarque également le lecteur.
De là où j'en suis j'ouvre en grand et je vais le laisser sur ma table de nuit pour m'y replonger de temps à autre.
Belle soirée à vous. Je serai là la prochaine fois sans faute. En attendant, hâte de vous lire.
Claire
Je ne savais rien, si ce n'est GRAND ÉCRIVAIN(chouette !). Pas lu la 4e de couverture, juste le titre, le sous-titre "roman" et le nom du traducteur.
J'ai trouvé absolument formidable le premier chapitre. J'ai pensé à ce que René de Ceccatty nous a dit de ce qui l'intéresse chez un écrivain : une voix. Et quelle voix pour parler dans ce premier chapitre de l'attachement au passé !
J'ai lu le deuxième chapitre, oui, carrément ! Tolstoï, Conrad, Primo Levi, c'est quoi tous ces écrivains qui arrivent, et puis encore Walter Benjamin, Kafka, et re Primo Levi hum hum hum. Evguénia Ginzburg vingt ans dans les camps, ça s'embarque mal. Francisco Ayala, c'est qui cet écrivain qui lit Proust je ne le connais pas, Le jardin des Finzi Contini c'est quoi cette promenade littéraire, on n'est qu'à la page 50 et encore Bruce Chatwin je connais pas celui-là et Kierkegard fffttt lu à Voix au chapitre non mais !
Il y a quantité de dates, écrites entièrement en lettres, quel choix éditorial rebarbatif !
3e chapitre, horrible : je saute… ; ce chapitre "Attendre" est atroce. Avant c'était très bien. Je ne comprends pas comment ce roman fonctionne, chaque chapitre n'étant pas la suite du précédent.
Chapitre 4 "En grand silence", ça a l'air horrible : je saute.
Chapitre 5 " Valdemúr"… : c'est bien triste je saute.
Chapitre 6 "Ô toi qui le savais", les camps non merci.
À ce stade, je conclus que, pour ce livre, n'en rien savoir a vraiment nui à ma lecture : j'aurais un peu su et compris donc comment il était fait, quels étaient ses thèmes, ses fils, je l'aurais appréhendé autrement et n'aurais pas été ainsi sur la défensive, voire le rejet.
Là, entracte. Après avoir appris plein de choses intéressantes sur l'auteur et ses livres (voir ci-dessous), j'ai voulu le reprendre, mieux parée. Mais c'était trop tard : je suis allée directement au dernier chapitre, merveilleux, avec sa surprise, son cadeau pour finir... une vraie image.
Je suis repartie en arrière avec "Olympia", jolie chronique, mais que j'ai laissée en cours de route, la motivation était tombée. Le livre est trop gros : À BAS LES GROS LIVRES !
Je garderai le souvenir de la sensibilité vraiment séduisante de ce narrateur/écrivain ; j'aime d'emblée cet homme qui mêle de façon profonde émotion et réflexion. Par exemple, quand dans le dernier chapitre, il dit qu'il n'a jamais collectionné quoi que ce soit :

mais j’aime conserver entre les pages des cahiers et des livres des témoignages banals et précieux d’un moment précis, boîtes d’allumettes portant le nom d’un restaurant, billets d’entrée, tickets d’autobus, n’importe quel document minime qui atteste une date et une heure, notre présence en un lieu, le bref itinéraire d’un voyage. Je n’ai pas d’attachement pour les choses, pas même pour les livres ni les disques, mais j’en ai pour les lieux où je sais que mystérieusement s’est exalté le meilleur de moi-même, la plénitude de mes désirs et de mes affinités, et ce que je voudrais accumuler comme un collectionneur avare et obsédé, ce sont les instants, les heures entières, les minutes que j’ai passés à écouter certaine musique ou à regarder des tableaux dans les salles d’un musée, le plaisir de marcher avec toi un après-midi au bord de l’Hudson.

Je suis Etienne quand il rapproche cet auteur de Sebald dans son entrelacement par le narrateur de l'histoire et de sa réalité. Hâte qu'on en relise un.
J'ouvre à moitié. Je regrette que nous n'ayons pas lu un livre de cet auteur plus accessible au commun des mortel.les dont je suis.
Laura
J'ai lu environ 130 pages. Mais dès le premier chapitre, je n'ai rien compris. Je ne savais pas dans quoi je m'embarquais, je ne comprenais pas les thématiques, et, pensant que c'était un roman, j'ai été encore plus perdue de découvrir un recueil de nouvelles dans lesquelles je n'arrivais pas à rentrer. Je suis restée assez lointaine durant ma lecture, même si j'ai tenté de vraiment me concentrer, de prendre du temps. Mais les nouvelles étaient longues, et ne se prêtaient pas à une lecture entrecoupée. Mais de quoi ça parlait ? Plein de personnages différents. Les mouvements entre le "je", "tu", "il" m'ont totalement déstabilisée. Et puis, dans certains chapitres, quel rapport avec les camps ? J'ai continué, mais ça n'allait pas mieux… Bref, j'ai été perdue pendant 130 pages. Ce n'était pas une expérience de lecture très agréable, avec l'impression d'être face à mon propre échec. Pourtant mon intérêt était éveillé par Kafka, Kierkegaard… Cette lecture ne va pas me marquer. Et, finalement, je crois que je n'ai pas du tout été intéressée. J'ouvre ¼, parce que je suis sûre qu'objectivement c'est un super livre, mais qui n'est probablement pas adapté au temps et à la concentration que j'ai pu y consacrer, il était vraiment difficile.
Annick A
N'ayant pas le temps de lire ce livre en entier, j'ai fait le choix de lire à partir des titres qui m'attiraient. J'ai lu "Sacristain", "Copenhague"," Attendre", "Valdemún", "Ô toi qui le savais" et "Tu es".
Le style de Muñoz Molina, avec ses longues phrases et ses dissensions, m'épuise autant que le tragique de ses récits. C'est un livre à la mémoire des victimes du nazisme et du stalinisme. Il ressuscite ces vies détruites, ces exilés de leur pays ou d'eux-mêmes. Ce qui m'a particulièrement intéressée dans ces lectures est la bascule, le moment du basculement. Dans "Tu es", bascule de l'identité entre ce que tu es et ce que tu crois être et ce que les autres croient que tu es. Es-tu le même à la sortie de ta visite chez le médecin qui t'apprend une maladie grave qu'avant ? Ce moment où tu passes dans le statut de malade. Primo Levi avant 1935 se considérait italien et ne se pensait pas juif. Tu es ce que tu ignores ce que tu pourrais être si tu te voyais expulsé de ta maison, de ton pays.
En plus léger un petit clin d'œil à Proust : "Quelques secondes durant, un goût ou une odeur ou une musique à la radio, ou la sonorité d'un nom te transforme en celui que tu as été, il y a 30 ou 40 ans, avec une intensité beaucoup plus forte que la conscience de ta vie présente" p. 385.
Dans "Copenhague", il y a une bascule assez épuisante d'une phrase à l'autre de la pulsion de vie à la pulsion de mort. Le plaisir et le désir d'une rencontre amoureuse durant un voyage, l'état amoureux de Kafka et la ligne d'après c'est l'horreur, les trains plombés, la déportation. Le lecteur bascule d'une ligne à l'autre comme tous ces exilés dans l'horreur. J'ouvre à moitié.
Brigitte (à l'écran)

Je ne connaissais absolument pas Antonio Muñoz Molina, c'est une belle découverte. J'ai commencé par être un peu découragée par ce si grand nombre de nouvelles, regrettant que nous n'ayons pas préféré choisir un roman.
Ce n'est qu'après avoir lu à peu près la moitié du livre que j'ai compris qu'il s'agissait en fait d'un roman. En effet, plusieurs personnages réapparaissent d'une nouvelle à l'autre et le livre a une réelle unité : il s'agit toujours des Séfarades. Leurs aventures, ou plutôt leurs mésaventures au cours du XXe siècle, constituent la trame du texte.
J'ai été impressionnée par la qualité de l'écriture et de la traduction de Philippe Bataillon. Dans "Narva", par exemple, le narrateur réussit à entremêler la voix du jeune lieutenant allemand et celle du narrateur sans jamais nous perdre, malgré la situation compliquée qu'il décrit. Il présente là, avec beaucoup de subtilité, un personnage "banal" qui prend peu à peu conscience du génocide vécu par les Juifs à côté de lui et qu'il ne voyait pas.
J'ai été bouleversée par "Attendre", et par la vie de Willi Münzenberg. J'ai beaucoup aimé "Ô toi qui le savais". Je voudrais relever aussi le choix incroyable fait par la sœur Marie du Golgotha, si romanesque, d'un amant tellement inaccessible à ses préoccupations, ce cordonnier qui apparaît dans "Sacristain" et dans "L'Amérique". Et tant d'autres encore ! J'ouvre aux ¾.
Françoise, entre et
Je suis beaucoup plus négative que vous. J'ai été très déçue. J'avais beaucoup aimé Le Sceau du secret, Carlota Fainberg, Beltenebros et L'Hiver à Lisbonne. Je n'ai pas retrouvé l'atmosphère de mystère, d'ambiguïté, que j'y avais trouvée et que j'avais beaucoup aimée.
Pour moi, ce n'est pas un roman, ce sont des nouvelles. Avec un fil, oui, mais ça part un peu dans tous les sens et je n'ai finalement pas trouvé ce qui les relie. Il y a des Juifs séfarades victimes du nazisme, mais pas que. Il y a des Espagnols anti-franquistes, des personnages perdus dans un rêve d'amour impossible, etc. C'est un pot-pourri… Et finalement le titre est réducteur. Mais quel est le fil ? L'exil ? Le destin de ceux qui sont victimes des régimes en général ? Je me suis sentie perdue. Même l'écriture, j'y ai trouvé pas mal de redondances.
Mais je dois dire que je n'ai lu que la moitié et ne suis pas sûre d'aller plus loin. J'ouvre entre ¼ et ½.
Je précise le sous-titre en espagnol "Una novela de novelas" ("Un roman fait de nouvelles") et voici la couverture en espagnol.
Renée (à l'écran depuis Narbonne)
J'avais lu un essai fabuleux d'Antonio Muñoz Molina, Cordoue des Omeyyades : il était fasciné par la civilisation arabe de Cordoue du 8e au 11e siècle : les poètes, les musiciens, les savants, les médecins faisaient briller cette civilisation. Les Juifs étaient heureux dans cette société tolérante, mais ils ont dû fuir Cordoue lorsque les califats ont été chassés au 15e siècle.
Muñoz Molina a toujours été fasciné par l'histoire, et dans ce récit polyphonique, Séfarade, il mélange la fiction avec des épisodes contemporains du narrateur. Les pronoms sujets passent subrepticement du "je" au "il" puis au "tu" sans que l'on perde le fil de l'histoire.
Il est obsédé par le problème de l'exil, autant le déracinement subi par les Juifs d'Europe que celui que ressent le provincial parti habiter Madrid (dans "Valdemún") ou même celui que peut endurer tout homme à un moment de son existence, c'est-à-dire ne plus se reconnaître, avoir envie de changer de vie, de changer de peau pour vivre ses rêves de jeunesse.
Dans "Olympia", il écrit : "il y avait deux mondes, l'un visible et réel, l'autre invisible et qui m'appartenait, et je m'adaptais, soumis, aux normes du premier pour qu'on me laisse me réfugier sans trop de gêne dans le second" Il cite la phrase la plus connue d'un auteur espagnol que j'aime beaucoup, Calderón : "La vie est un songe".
Dans "Münzenberg", Muñoz fait écho à ce que nous avons lu dans Le mage du Kremlin : manipulation massive des intellectuels occidentaux, Gide, Romain Rolland entre autres, pour convaincre ce "club des innocents" comme Münzenberg les appelait en secret, que l'URSS était un rempart contre le totalitarisme. Dans "Shéhérazade" nous voyons également l'aveuglement du peuple russe et des communistes étrangers sur la personnalité de Staline. Rappel du Mage encore !
J'ai trouvé ce livre assez difficile à lire car c'est un puzzle de petites histoires avec juste un minuscule élément qui les relie (j'ai repéré un coquillage par exemple) et il est impossible de s'attacher à un personnage. Il demanderait à être lu lentement, ce que je n'ai pas pu faire. J'ouvre le livre aux ¾.
J'ai lu par ailleurs En l'absence de Blanca, un superbe roman d'amour, classique mais émouvant. Cette rencontre entre un homme qui adule sa femme, qui l'aime d'un amour 100 % oblatif et de cette femme, feu follet avide de culture, de voyages, d'aventures, est superbement racontée. La fin est magnifique : il ne la reconnaît pas puisque celle qu'il aime ne serait pas revenue, elle serait partie vivre son rêve. Cependant il l'accepte telle qu'elle est. J'ouvre celui-là en GRAND.
Monique L
Je n'ai lu que la moitié. C'est une lecture difficile, exigeante. Ce n'est pas possible de survoler sans se perdre. La structure du récit est déroutante car elle ne s'appuie ni sur une chronologie linéaire ni sur une thématique et utilise abondamment les digressions, passe souvent de la première personne à la troisième personne.
Cette écriture déroutante est malgré tout efficace car elle nous met dans un état d'incertitude où tout peut basculer en un instant, ce qui nous met dans un état d'esprit plus compréhensif et empathique à la lecture de ces vies. C'est une œuvre très intéressante, animée par un profond humanisme. L'auteur y répare l'oubli de personnes qui furent en butte à l'arbitraire et en proie à des exils causés lors des grands bouleversements du siècle. Le fil directeur est pour moi de redonner voix à des individus dont la vie a été bouleversée par les secousses de l'histoire. : dix-sept récits retraçant des vies traquées, en butte à l'arbitraire. Ainsi défilent des anonymes mais également Franz Kafka, son amante Milena Jesenska, Greta Buber-Neumann, Heinz Neumann, Victor Klemperer, Willi Münzenberg, Primo Levi, Spinoza et Federico Garcia Lorca.
J'ai commencé par apprécier les premiers récits, mais rapidement j'ai trouvé que la lecture devenait fatigante bien que très riche ; mais elle me demandait trop d'efforts.
Le contenu m'a intéressée, mais j'étais perdue par la façon dont c'est construit et le mélange histoire et vie personnelle, fiction et réalité, m'a gênée. En pensant à la peinture, à l'art contemporain, parfois difficile à appréhender, ça me permettait d'avancer. C'est intéressant, mais trop différent, éloigné de moi pour que je comprenne. Et c'est fatiguant ! Peut-être, je relirai des morceaux. Et de plus, ça devenait douloureux de lire en avançant. Mais c'est une œuvre intéressante.
Dans chaque chapitre, j'aurais enlevé des morceaux, dont je ne voyais pas ce qu'ils venaient faire là… J'ouvre à moitié (ce n'est pas l'œuvre que j'ouvre ainsi, mais ma propre lecture).
Catherine
Je n'ai pas fini non plus. Et quant à moi j'ai lu dans l'ordre…
Je ne connaissais pas. J'ai trouvé l'image sur la couverture appropriée, correspondant au voyage, à l'exil, au déracinement, même si le livre ne se limite pas à ça.
Globalement j'ai beaucoup aimé. L'écriture, le mélange entre personnages anonymes, de fiction, et personnages réels. Pour moi il y a un fil conducteur, une ambiance qu'on retrouve dans pratiquement tout le roman/les histoires. J'ai beaucoup aimé le début, les trois premières nouvelles. Il y a une vraie progression dramatique. "Sacristain" avec la nostalgie de la ville natale, puis "Copenhague" qui commence tranquillement avec le thème du voyage, de la transformation du voyageur, des rencontres et tout d'un coup on passe à la guerre, le passage des frontières, la déportation. Enfin "Attendre" : c'est une des histoires que j'ai préférées, l'attente insupportable de l'arrestation, pire que l'arrestation elle-même, que l'on vient à souhaiter pour cette torture s'arrête. C'est particulièrement plombant mais pour ma part, j'aime beaucoup les livres plombants…
Il y a quelque chose de très prenant dans ce livre, avec une homogénéité, même s'il y a des parties qui le sont moins. J'ai aimé retrouver des personnages d'une nouvelle à l'autre, Kafka et Milena Jesenska, Heinz et Greta Neumann, même s'il y a parfois une certaine redondance.
Le sort des Juifs en particulier séfarades pendant la guerre est omniprésent ; l'histoire de Monsieur Salama est particulièrement poignante, mais d'autres parlent des républicains espagnols, des communistes et de la terreur stalinienne (la nouvelle sur Münzenberg et la manipulation des opinions occidentales m'a beaucoup plu), d'autres ne font pas référence à la guerre ni aux Juifs : "Olympia", avec cette vie par procuration, "Valdemùn", "Berghof", avec de nouveau le thème de la vie qui bascule, dans le cas présent, du monde des bien-portants à celui des malades ; le fils qui bascule de l'enfance à l'adolescence pendant les vacances.
C'est vrai qu'on est parfois perdu, par exemple dans "Valdemún", j'ai relu certains passages plusieurs fois pour savoir qui parlait, la mère morte ou la fille, son mari. Mais pour moi, ça a aussi fait partie du charme, d'être un peu perdue et de se laisser porter sans tout comprendre.
Il faut que je finisse le livre pour avoir un avis complet. Je suis contente d'avoir découvert cet auteur, ça m'a donné envie d'en lire d'autres.
Jacqueline, entreet
Je suis l'une des rares à l'avoir lu en entier…
Je m'y suis plongée, prise par "Sacristain", et sa nostalgie, de quitter la société où on a été élevé… Je ne voyais pas le rapport avec le titre et par ailleurs, persuadée de lire un roman - même si dans mon édition, le sous-titre "roman" ne figure pas - j'étais un peu déçue de trouver des nouvelles et d'attendre celle du titre. Mais j'avais été très touchée par la description de la rencontre finale ou communiquer n'est plus possible…
J'ai beaucoup aimé ensuite, dans "Copenhague", cette littérature qui parle de littérature : "Je comprends maintenant que sur notre terre sèche et continentale les trains de nuit étaient le grand fleuve qui nous emportait vers le monde et qui nous en ramenait, le grand flux qui s'écoulait dans l'ombre en direction de la mer ou des belles cités où nous attendait sans doute une nouvelle existence, plus lumineuse et vraie, plus ressemblante à celle que promettaient les livres."
J'ai admiré cet écrivain, sa manière de me parler de choses lues, de récits entendus et de choses vécues en me les rendant sensibles, comme si je partageais sa pensée…
Je crois que mes nouvelles préférées sont celles qui se passent en Espagne : "Sacristain", "Valdemún", "Où que l'homme aille", une peinture du changement, de la précarité avec des éclairs d'amour…
Par ailleurs, j'ai été très intéressée de découvrir une vision de la diaspora juive autre que celle que, moi, je pouvais en avoir. Je n'avais jamais réalisé que Spinoza était séfarade. Il m'a semblé que, dans ces récits, en utilisant ce terme qui d'habitude est plutôt opposé à ashkénaze, Muñoz Molina recréait une espèce d'unité de cette diaspora dans une histoire commune d'exils successifs…
En fait, à travers ce livre il m'a semblé aussi être plongée dans toute une histoire de l'Espagne. Avec "En grand silence", j'ai partagé les inquiétudes de ce soldat caché qui finalement échappe aux partisans soviétiques grâce à la femme qu'il a sauvée de la famine avec son enfant…, un récit d'une grande humanité !
Moi qui étais persuadée que je n'irais jamais à New York , en lisant le dernier récit, j'étais prise d'une grande envie d'aller à Manhattan rien que pour voir cet extraordinaire musée hispanique…
Dans "Narva", cependant, il y a eu de brefs moments auxquels je n'ai pas vraiment cru, même si chacune des situations est vraisemblable et peut me renvoyer à des situations analogues, leur réunion ne m'a pas convaincue.
Bref, la lecture de ce livre a été une grande découverte de l'Espagne et d'un écrivain. J'ouvre un bon ¾ et peut-être en entier.


Les cotes d'amour du groupe breton
réuni à Pontivy le 11 mai 2023
Chantal •Cindy •Marie-Odile •Yolaine
Édith
EntreetBrigitte T
•Suzanne

Jean présent ne l'a pas lu
Synthèse rédigée par Yolaine
suivie d'avis individuels

Unanimité de notre petit groupe sur l'intérêt et la richesse de cet ouvrage quasiment encyclopédique qui a rendu notre échange très vivant. Bien que nous soyons toutes à peu près d'accord sur le fond, nous avons trouvé ample matière à disserter. Les divergences dans les appréciations tiennent davantage à la difficulté d'entrer dans ce "roman des romans", ainsi que l'indique le sous-titre choisi par Molina (novela de novelas).
Cet écueil tient-il à la forme adoptée : est-ce un roman, un recueil de 17 nouvelles sans rapport les unes avec les autres, une autobiographie, une réflexion historique, une méditation sur le nazisme et l'antisémitisme, un récit de fiction ou un recueil de témoignages ? Un peu tout cela mais "pas que" ?
Le cheminement dans cette œuvre est rendu ardu par une construction déconcertante qui nous balade dans l'espace et le temps avec de constants allers et retours entre des personnages, connus ou fictifs (ce qui augmente notre perplexité), aux destins croisés et qui réapparaissent d'une histoire à l'autre, dans des contes gigognes. Il faut venir à bout de phrases très longues pour finalement s'apercevoir qu'on ne sait plus très bien où l'on est. Chaque vie est un roman, nous dit Molina, mais chacun d'entre nous vit plusieurs vies, vies rêvées et vies vécues.
Au-delà de cette écriture très novatrice, qui ne devient vraiment addictive qu'après avoir vaincu le premier tiers du texte, il faut également surmonter son angoisse, certains passages très sombres étant tellement hallucinants de vérité qu'ils en deviennent insupportables.
Ce kaléidoscope balaie toute l'histoire européenne du vingtième siècle, depuis l'expulsion des Séfarades d'Espagne sous l'Inquisition en 1492 en passant par l'Allemagne nazie, l'Union soviétique de Staline et l'Espagne de Franco, mais ces récits de la diaspora ne se limitent pas à l'histoire tragique du peuple juif. La quête acharnée de Molina pour rassembler au fil des travaux, lectures et voyages de nombreuses années tous ces souvenirs, a pour fil d'Ariane le thème de l'exil sous toutes ses formes, et sa compassion s'étend aux malades, handicapés, drogués des trottoirs de Madrid et migrants de toute provenance. Le portrait de Velasquez, conservé au musée de l'Hispanic Society of America de New York et qui clôt le dernier chapitre, laisse lui aussi deviner la souffrance de l'exil doré des princesses des familles régnantes des siècles passés, élevées dès leur prime jeunesse dans une cour étrangère. Ce livre publié en 2001 nous étonne par la pertinence de son actualité. Il va à l'essentiel, et semble pouvoir faire une place à toutes nos catastrophes contemporaines, qu'il éclaire de sa vision panoramique sur le monde et l'être humain.
Une question a taraudé nos Bretonnes : est-ce son histoire que nous raconte l'auteur ? Il est probable que le fait d'être né en Andalousie donne un poids particulier à l'engagement de cet écrivain espagnol envers le devoir de mémoire, alors que tant de charniers clandestins reposent encore sous les pieds des touristes qui arpentent la péninsule ibérique. C'est le socle sur lequel est édifié son travail de préservation de la mémoire et de sauvegarde des témoignages de ces destinées individuelles broyées par le malheur des nations.
Mais le message est universel, chacun de nous peut devenir une victime, un migrant dépossédé de son identité et de son humanité, courant après ses papiers, ses valises, un train ou un avion. Notre dignité est conditionnée par le regard de l'autre. Dans ce monde "globalisé", la fuite est impossible, comme dans l'épisode de Narva. Il reste cependant l'évasion littéraire, et le voyage que nous offre Antonio Muñoz Molina est très puissant. La beauté du texte réside dans la qualité de l'écriture, des descriptions très évocatrices, des portraits saisissants, dans l'intelligence et la profondeur des réflexions des humains confrontés à la destruction et à la mort, et surtout dans l'empathie inépuisable de l'auteur qui rend la lecture bouleversante.
Chantal (exceptionnellement absente)
Ce livre m'a... emportée !
Un texte dense, une lecture complexe au premier abord. L'auteur mêle tout au long du livre le JE du narrateur et le JE du personnage dont il est question, revient au JE du narrateur... : déroutant ; mais on s'habitue assez vite et dans ces entrelacs, le lecteur, moi, JE suis entraînée, impliquée dans ces histoires, questionnée. Ce qu'il fait directement dans certains chapitres : "et toi, que ferais-tu si... ?"
J'ai découvert des personnes totalement inconnues ou dont j'avais vaguement entendu parler, je suis allée "fouiller" sur internet, longuement, mon dieu, quels destins ! Et au-delà des vies "vérifiables".
L'auteur a le talent de nous les rendre vivants, dans leur quotidien, avec leur peur, leurs angoisses, dans la certitude et l'attente d'être arrêtés, l'incompréhension et le désarroi d'être trahis par ceux-là même qu'ils ont servis (Mundzenberg).
Molina bouscule, mélange les lieux, les époques, passé, présent, il NOUS bouscule. Ce qui est passé, l'est-il vraiment ? En sommes-nous si sûrs ? Nos vies banales le seront-elles toujours ? La "ligne invisible, définitive", qui sépare le malade du bien-portant, le Juif vivant comme tout le monde du Juif soudain pestiféré... cette ligne va-t-elle dans l'avenir nous concerner ? Non ? En sommes-nous certains ?
J'ai voyagé dans ce livre, je voyage encore en relisant certains chapitres-histoires. Il m'a emmenée au cinéma voire La conférence (celle qui a eu lieu en 1942 pour décider de la solution finale... : glaçant), sur Arte Le travail forcé sous l'Allemagne nazie, la série Arte espagnole Dis-moi qui je suis - titre cucul mais qui retrace 1934-1989, sur toute l'Europe, très intéressante.
Merci Voix au chapitre : un livre comme je les aime, ouvert en grand pour moi.
J'attends vos avis avec impatience.
Edith
(présente, mais qui rédige son avis avant la séance)
Cette lecture INTENSE n'est que l'évocation de souvenirs, démarches mentales très élaborées, lieux géographiques (Copenhague, Narva, Prague, les camps de concentration, les gares, Madrid, etc.) Nostalgie, émotion, évocation du drame de l'holocauste et du massacre des Juifs dans les camps, histoires de tentatives de fuir sans vraiment de lieu d'accueil, personnages anonymes et personnages historiques et littéraires, rencontres manquées suivies du désir de recherches irréalisables, question des identités - celle que l'on a du regard de l'autre - et celle de sa propre identité. L'identité de l'auteur se conjugue à la première personne, mais il me semble que ses adresses au lecteur et ses récits confiés lors de ses rencontres (voyages multiples) sont autant de facettes de sa propre histoire d'homme hanté par la question juive et leur "malheur" - identité qui se dérobe et se révèle dans les autres. L'auteur bouge, lit, rencontre, se documente et me propose un récit de nouvelles autonomes dans leur récit et totalement croisées dans les questions abordées, comme l'
identité de chacun "ILS nous regardent et nous ne savons pas qui ils peuvent bien voir en nous, ou ce qu'ils inventent ou devinent que nous sommes" (p. 35) ou encore le trauma que continue de provoquer chez lui la volonté de tuer la "race" juive sous Hitler et le tourment existentiel et littéraire que cela déclenche encore et produit cette œuvre énorme.
Kafka, Milena Jesenka, Primo Levi, Proust Montaigne, Jean Améry (autrichien se découvre juif à 30 ans : il sort p. 476 d'un lieu public un café à Vienne en 1935 et apprend qu'il est autre, un apatride et de plus menacé…) et divers auteurs espagnols, autant de lectures, de personnes - qui furent vivantes - et qui alimentent ses souvenirs, qui revêtent pour lui le costume de sa vérité sinon de sa recherche. Les Juifs et leur triste destin comme évoqué déjà, et les frontières qui ne protègent pas quand on est juif en 1939- 1945 : frontières dont il parle si bien dans la dimension de la crainte d'être "arrêté" et j'ose ajouter l'actualité de cette question que celle de fuir et d'être arrêté ou empêché. Je connais le frisson que représente le passage d'une frontière dont on doit - bien qu'en règle - justifier le franchissement !!!! Récemment vu à la TV, au moment de la lecture de ce livre : La ligne de démarcation : une France coupée en deux (1940-1943).
Je n'ai lu que 8 nouvelles. Je les ai choisies par le titre. J'ai relu deux fois certaines, en découvrant que malgré le plaisir intense de lecture (avec une traduction agréable et fluide) et une attention soutenue à l'enchaînement des propos et évocations intrigantes ; je n'avais plus de souvenirs, il m'a fallu pour y remédier noter des noms lieux et quelques situations pour me remémorer et tenter cet avis.
Inquiétante cette sensation ? Les longues très longues phrases bien balancées (tiens, cela me renvoie à Proust dont il est aussi lecteur : la lecture de Proust dans le train soutenant la durée ou plutôt le temps du voyage), tout me met dans une très agréable sensation de lecture, mais le fait que la trame de chaque nouvelle soit ténue, sans centre si ce n'est l'intitulé, que les personnages soient fugaces, parfois des silhouettes, le plus souvent des faits racontés qui s'enchevêtrent par la prégnance du souvenir et de la rapidité de la pensée - qui se joue du temps et des dates - tout cela participe à la fois au plaisir et à la perte de repères. À ce propos, j'ai été gênée par les dates transcrites en lettres. Je lisais à haute voix ces mêmes dates pour m'en faire une image mentale. Le souvenir des faits de la guerre 1939-45, l'enfance de l'auteur (le Sacristain si émouvant de son enfance à lui adulte), la date de parution du livre, 2001, donc le présent de l'auteur, la guerre franquiste, tout cela je le redis contribue à ma confusion, mais aussi au grand plaisir de m'immerger.
Extraordinaire la dernière nouvelle "Séfarade" : la diaspora juive espagnole dans ce musée de Manhattan : objets livres peintures et cette enfant anonyme peinte par Vélasquez. J'avais désir de tout souligner tant j'éprouvais la force du propos. Souvenirs des morts, uniques dans leurs vies mais ai destin commun. Ce dernier chapitre est pour moi le nœud qui a fait de chacune des nouvelles précédentes
Un bijou d'écriture et une force d'évocation. Anonymat et présence historique vérifiée de toutes les présences et des lieux qui demeurent eux au-delà de la mort de ceux qui les ont fréquentés. Nostalgie ressentie en ce qui me concerne.
J'ajoute pour finir que la lecture de nouvelles provoque chaque fois cette forme de difficultés à se souvenir. J'ouvre aux ¾, je n'ai pas tout lu. Je suis heureuse de cette découverte. J'ai souligné de très nombreux passages et remarques. Envoûtant. Le ¾ qui pourrait devenir en grand. En attente d'échanges.
Marie-Odile
J'ai été absorbée par l'immense richesse de ces textes.
Il me semble que beaucoup d'entre eux parlent de la trace que laissent les hommes et les événements. Persistante sur les autres hommes et leur mémoire (trace indélébile parfois comme le montre le leitmotiv de Salama concernant sa femme et ses filles disparues). Presque effacée sur les lieux même de cette disparition (le panneau dans la clairière à la place du camp de concentration).
Traces laissées dans le souvenir par les rencontres parfois furtives dans un train, une rue. Traces dans le paysage, panneaux le long des routes réactualisant les précédents voyages.
Car les déplacements des personnages en train, en voiture, tissent des toiles qui se recoupent ou se superposent, entretenant un va-et-vient du présent au passé. Le train peut être un lieu de désir, de rencontres qui auront ou n'auront pas lieu, comme le train de Casablanca où voyage Salama avec ses jambes infirmes inavouées. J'ai aimé cette façon de parler du non-advenu par ce vers de Baudelaire "Ô toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais." qui dit tant en si peu de mots.
Mais ce sont parfois des déplacements terribles dictés par l'Histoire, l'exil, la déportation.
Le narrateur se fait parfois discret et il m'est arrivé de me demander qui raconte. On passe imperceptiblement et très fréquemment de la troisième à la première personne pour désigner un même personnage. On suit le fil de la pensée du narrateur avec ses méandres, et ça m'a donné une impression de grande proximité avec les personnages. Ceci d'autant plus que le recours à la première personne permet un langage oral de plus en plus fréquent avec ces longues phrases sans ponctuation.
Je me suis laissé emporter par l'écriture fluide et je n'ai éprouvé aucune lassitude, en raison du mélange de récits et de réflexions. Rien n'est jamais semblable, même si les thèmes se rejoignent, si on retrouve les mêmes personnages d'un chapitre à l'autre selon une composition complexe que j'aurais aimé approfondir. J'ai remarqué la fréquence des dates et l'importance des noms de lieux qui ancrent et fixent les récits dans l'Histoire.
J'ai aimé la construction habile des chapitres, le récit premier contenant parfois d'autres récits comme la vie familiale de Fanny alias sœur Golgotha dans le chapitre consacré à la vie du cordonnier. Le récit progresse souvent vers les dernières pages qui justifient le titre comme dans Amérique. L'univers nazi du Berghof arrive là où je ne l'attendais pas, malgré les allusions fréquentes aux Allemands. La chute dans "Olympia" comporte une double surprise : la femme que l'homme n'osait espérer arrive sur le quai, mais en réalité pour rejoindre quelqu'un d'autre.
Certains chapitres m'ont angoissée, surtout lorsque le lecteur est interpellé par le tutoiement. "Et toi que ferais-tu si tu savais...". Dans "Attendre", l'inévitable arrestation à venir génère une tension insoutenable pour Klemperer, et même pour moi lectrice. Le thème de l'attente est aussi présent dans "Munzenberg", récit biographique que j'ai eu du mal à supporter et que je me suis autorisée à ne pas lire entièrement.
D'autres récits m'ont amusée comme "Amérique" qui retrouve le cordonnier du premier récit dans ses relations avec sœur Golgotha.
Certains passages m'ont émue : la mort de la mère dans "Valdemun", la non rencontre du train, d'autres sont durs : le vécu du jeune homme qui s'est enrôlé pour partir en Russie dans "En grand silence".
"Berghof" est pour moi un très beau texte sur la sensualité, l'amour conjugal, familial, mais aussi la sensibilité du médecin face au patient, l'empathie envers les migrants. Ces thèmes aussi différents trouvent leur place l'un près de l'autre comme les hommes se côtoient, se rencontrent ou coexistent. Le ton m'a toujours paru légèrement empreint de mélancolie et de tendresse.
De manière générale, j'ai ressenti l'empathie de l'auteur pour ses personnages qu'il s'agisse de Kafka, d'un inconnu, d'un "mort vivant", quels que soient les vécus, les parcours, les misères, bref "le roman que chacun porte en soi". Et j'ai aimé son regard profondément humaniste, servi par un style plein de générosité et de sensibilité.
Brigitte entre  et
Lecture longue et pas toujours facile. Il y a
urait eu tellement de recherches à faire pour tout comprendre. Je me sens inculte devant un grand écrivain ! Et au final je n'arrive pas à trancher : ouvert entre ½ et ¾.
À l'heure de finaliser mon avis, je suis contente d'avoir pris mon temps et d'avoir surmonté la difficulté à lire certaines nouvelles. D'ailleurs est-ce un roman ou un recueil de nouvelles (cf. première page sous le titre) ? Avant d'ouvrir le livre, la crainte de ne pas arriver à lire ce roman et d'être dans l'inconfort avec un mal être émotionnel a été forte et m'a parasitée : crainte induite par la quatrième de couverture et quelques avis glanés ici ou là. En un mot, je n'avais aucune envie de me plonger dans les horreurs et les souffrances humaines vécues par des Juifs espagnols séfarades, pas plus que dans les horreurs de l'antisémitisme pendant la Seconde Guerre mondiale. Cependant j'étais curieuse.
Le titre : séfarade (pas de majuscule), adjectif issu du nom de la véritable patrie de ces juifs chassés d'Espagne et du Portugal fin du XVe siècle. Un qualificatif lourd qui accompagne l'histoire familiale d'Antonio Muñoz Molina ? Au fil des nouvelles, l'auteur espagnol nous confie des souvenirs douloureux. Il partage des histoires d'hommes et de femmes inconnus (fiction) ou ayant existé (Kafka et sa maîtresse, Lavrenti Beria, Münzenberg…) Pourquoi ce choix ? Veut-il être un messager, un passeur en nous racontant des épisodes de vie de personnes contemporaines de ses parents, de ses grands-parents du temps de la dictature de Franco et de la Seconde Guerre mondiale ? J'imagine qu'ils lui ont raconté : "ce que les yeux ont vu ne peut s'effacer, on ne peut pas faire que le temps remonte ni faire comme si ce qu'on a entendu n'existait pas" ("Narva").
La lecture m'a demandé de l'attention. L'auteur nous transmet longuement sa réflexion avec beaucoup d'émotions. Les nouvelles sont denses avec des allers retours qui me perdent parfois ("Ô toi si le savais", "Berghof", "l'Amérique").
Je peux être lassée par un savoir encyclopédique. Comme dans la nouvelle sur Willi Münzenberg, militant communiste allemand. Alors je passe des pages…
Des passages sombres et je retrouve ma difficulté à lire les pages réalistes que l'auteur déroule lentement n'épargnant pas le lecteur de détails sur la souffrance humaine tant physique que morale : le danger, l'inquiétude, la frayeur qui détruit la vie, la faim qui rend bestial, l'épuisement dans la fuite, la séparation irréparable, le remord, le supplice de l'incertitude, l'horreur infligée à des hommes par des hommes et la torture m'angoissent. C'est pour moi une corde sensible !
Les nouvelles ont une structure commune :
- souvent de longs, très longs paragraphes
- l'emploi des pronoms : je, tu et il est parfois déroutant
- régulièrement des allers retours me perdent. Alors je pose le livre. Je ne sais pas si je continuerai et… le lendemain, je reprends l'ouvrage. Je m'étonne.
Je me suis aussi laissé entraîner par "Attente", "Narva", "Valdenùm". Dans cette dernière, j'ai aimé le texte testamentaire réaliste et paradoxalement plein de vie. Ça me parle, ça me touche.
J'ai aimé cheminer avec monsieur Salamé notamment à Tanger, ville que je connais ("Ô toi qui le savais"). Cet homme ne peut se défaire de ses souvenirs et il dit "usurper sa vie" tout comme l'a fait son père qui n'a pu sauver sa femme et ses filles des camps de concentration. L'oubli est impossible ! Mais le souvenir… émoussé avec les photos perdues se partage et atténue la douleur. La vie remet monsieur Salamé sur le même chemin que ce père qu'il avait fui pour se protéger. La boucle est bouclée.
J'ai aimé "Olympia" et "Cerbère". Réflexions sur le poids des souvenirs enfouis et le destin : "le piège, c'est d'attendre de trouver quelque chose de mieux".
Dans la nouvelle "Shéhérazade" (prénom persan qui signifie l'enfant de la patrie), cette femme m'émeut. Elle ne sait plus si sa patrie est l'Espagne où elle est née et qu'elle a regagné pour sa retraite ou la Russie, terre d'exil communiste où elle a vécu cinquante ans et laissé une grande partie d'elle-même.
L'homme est-il spectateur ou auteur de sa vie ? Est-il comme le malade chronique pour qui "le temps de sa vie…est une lente durée sans modification véritable" ? Notre représentation sociale de la normalité n'est-elle pas un danger pour l'homme ("Où que l'homme aille") ?
Que veut transmettre l'auteur dans ce livre sans aucun doute fort bien documenté ? Je trouve important de souligner les nombreuses références historiques et littéraires que j'avoue modestement n'avoir pas pris à chaque fois le temps d'explorer ? La dernière nouvelle "Séfarade" en est l'illustration.
Muñoz Molina veut-il laisser un message de tolérance dans une atmosphère que je trouve souvent lourde et oppressante ? Je n'en suis pas convaincue. Interroge-t-il le lecteur sur la construction identitaire entre la force du destin et le poids des souvenirs ? "Tu n'es pas une personne unique, et tu n'as pas une histoire unique, et ni ton visage ni ton métier ni les autres circonstances de la vie passée ou présente ne demeurent invariables" (introduction de la nouvelle "Tu es").
Dans plusieurs nouvelles, le destin est lié à l'identité administrative. Ces documents peuvent "marquer dans le destin de chacun la différence entre la vie et la mort" (Müzenberg). Ce livre résonne pleinement dans l'actualité. Je pense au démantèlement de bidons ville à Mayotte et à l'expulsion de sans-papiers. L'auteur veut-il raconter pour effacer l'épreuve du temps et partager pour ne pas oublier ?
Ce n'est pas un euphémisme que d'affirmer que les hommes sont cruels : l'Histoire se perpétue encore et toujours sur tous les continents, à travers le monde entier. L'antisémitisme existe. Des hommes fuient d'autres hommes qui les menacent au nom de quoi ? Au nom de qui ? Muñoz Molina écrit que "chacune de ces créatures infimes est un être humain, il a un nom, un visage qui n'est semblable à personne d'autre" (Müzenberg). La barbarie, la persécution se perpétuent. Je pense bien sûr aux attentats antisémites, à l'Ukraine, à l'Iran, aux dictatures sud-américaines et africaines et leur flot de migrants…
Seule dans une librairie je n'aurais pas choisi ce livre. Aujourd'hui je suis enchantée de l'avoir découvert.

Marie-Odile, deux jours après
Je viens de reparcourir les dernières pages de Séfarade que j'avais lues un peu rapidement dans le bus pour Pontivy. Et il m'est apparu clairement que la gardienne de la bibliothèque de l'Hispanic Society n'est autre que Sœur Golgotha du chapitre "Amérique". Comment ne l'avais-je pas reconnue du premier coup alors que Molina, tout en prenant soin de ne pas révéler son nom, multiplie les indices (son départ d'Espagne, son goût pour la cigarette, le souvenir de la place Santa Maria, de la rue Royale...) ? J'avais l'impression ce matin de retrouver avec surprise et satisfaction une vieille copine que je n'avais pas vue depuis longtemps (40 ans je crois) et que j'avais un peu oubliée !!!
Et je me suis dit que j'étais sans doute passée au cours de ma lecture (comme dans la vie ?) auprès d'autres personnages déjà rencontrés sans les reconnaître, même si certains sont plus transparents (le cordonnier, l'homme à l'ordinateur et au coquillage blanc...). Cela confirme pour moi la complexité de la construction et l'inépuisable richesse de ce texte qui mérite lecture et relectures.
Je suis tentée de l'ouvrir en grand et demi !


DES INFOS AUTOUR DU LIVRE

Livres publiés
Le traducteur

Articles
Études
Vidéo
Repères biographiques

LIVRES PUBLIÉS

Antonio Muñoz Molina a publié des romans, longs ou courts, des nouvelles, un journal, des essais...

Romans
- 1986 : Beatus Ille, trad. Jean-Marie Saint-Lu, Actes Sud, 1989, rééd. Points 1993 ; rééd. Seuil, 2000 ; rééd. Points, 2001, 416 p.
- 1987 : Un hiver à Lisbonne, trad. Dominique Salgas, Actes Sud, 1990. Retraduction : L'Hiver à Lisbonne, trad. Philippe Bataillon, Seuil, 2001 ; rééd. Points, 2016, 288 p. Adapté au cinéma par José Antonio Zorrilla en 1990.
- 1989 : Beltenebros
, trad. Claude Bleton, Actes Sud, 1991 ; rééd. Babel, 1995 ; rééd. Seuil, 2004 ; rééd. Points, 2010, 256 p. Adapté au cinéma
par Pilar Miró, avec Terence Stamp.
- 1991 : Le Royaume des voix, trad. Claude Bleton, Actes Sud, 1993 ; rééd. Points, 2000, 720 p.
- 1992 : Les Mystères de Madrid, trad. Claude Bleton, Actes Sud, 1993, 172 p. Initialement publié sous forme de feuilleton dans le journal El País ; le titre fait référence au feuilleton du XIXe siècle Les mystères de Paris d'Eugène Sue.
- 1994 : Le Sceau du secret, trad. Claude Bleton, Seuil, 1995, 160 p.
- 1995 : Une ardeur guerrière : mémoires militaires, trad. Philippe Bataillon, Seuil, 1999, 336 p.
- 1997 : Pleine lune, trad. Philippe Bataillon, Seuil, 1998 ; rééd. Points, 1999 ; rééd. Points Policier, 2008, 448 p. Prix Fémina étranger 1998. Adapté au cinéma par Imanol Uribe.
- 1999 : Carlota Fainberg, trad. Philippe Bataillon, Seuil, 2001 ; rééd. Points, 2002, 192 p.
- 2001 : En l'absence de Blanca, trad. Philippe Bataillon, Seuil, 2004 ; rééd. Points, 2006, 126 p.
- 2001 : Séfarade, trad. Philippe Bataillon, Seuil, 2003 ; rééd. Points, 2005, 528 p.
- 2006 : Le Vent de la Lune, trad. Philippe Bataillon, Seuil, 2008 ; rééd. Points, 2012.
- 2009 : Dans la grande nuit des temps, trad. Philippe Bataillon, Seuil, 2012 ; rééd. Points, 2013, 1008 p.
- 2014 : Comme l'ombre qui s'en va, trad. Philippe Bataillon, Seuil, 2016 ; rééd. Points, 2017, 504 p.
- 2018 : Un promeneur solitaire dans la foule, trad. Isabelle Gugnon, Seuil, 2020, 522 p. Prix Médicis étranger 2020.

Nouvelles
- De 1988 à 2011 : Rien d'extraordinaire, trad. Philippe Bataillon, Seuil, 2000, 240 p.

Journal
- 2004 : Fenêtres de Manhattan, trad. Philippe Bataillon, Seuil, 2005 ; rééd. Points, 2008, 384 p.

Essais
- 1991 : Cordoue des Omeyyades, trad. Philippe Bataillon, Hachette littératures, 2000 ; rééd. Seuil, 2012, 240 p.
- 2013 : Tout ce que l'on croyait solide, trad. Philippe Bataillon, Seuil, 2013, 256 p.
- Participation à un ouvrage collectif : Méditerranée, amère frontière, Actes Sud, 2019.

Romans adaptés au cinéma
- 1990 : L'hiver à Lisbonne, réalisé par José Antonio Zorrilla avec Christian Vadim, Hélène de Saint-Père, Dizzy Gillespie, Fernando Guillén Cuervo, Eusebio Poncela.
- 1991 : Beltenebros, par Pilar Miró et avec Terence Stamp, Patsy Kensit, José Luis Gómez, Simón Andreu.
- 2000 : Pleine Lune, scénario Elvira Lindo (femme du romancier), réalisé par Imanol Uribe avec Miguel Ángel Solá, Adriana Ozores, Juan Diego Botto.
Dans un entretien, Antonio Muñoz Molina dit qu'il pense peu de bien des films adaptés de ses livres...

LE TRADUCTEUR : PHILIPPE BATAILLON

Nous connaissons sa femme...
Pour un livre qui avait compté dans le groupe, L'Ancêtre de Juan José Saer, Laure Bataillon reçoit en 1988 le Prix de la meilleure traduction décernée par la Meet (Maison des Écrivains Étrangers et des Traducteurs). Après sa disparition en 1990, ce prix adopta son nom : décerné à la fois à l'auteur et à son traducteur, ce prix a été créé pour attirer l'attention sur un ouvrage de littérature étrangère contemporaine paru en français.

Philippe Bataillon a été durant quarante et quelques années photographe, cadreur puis directeur de la photographie pour la télévision. Marié durant trente ans à Laure Guille-Bataillon, il a été le premier lecteur puis le dactylographe de ses nombreuses traductions. D'elle, il a beaucoup appris sur son métier. Après sa mort en 1990, il a commencé à traduire divers textes courts, puis des œuvres romanesques. Depuis, plusieurs dizaines de ses traductions ont été publiées, principalement de Juan José Saer et Antonio Muñoz Molina dont il a traduit plus d'une douzaine de titres.

Antonio Muñoz Molina indique son rapport aux traductions dans un entretien avec Laura Sillero (Festival des Assises Internationales du Roman à Lyon le 1er juin 2013) :

Quelle est votre attitude vis-à-vis des traductions qui sont faites de vos œuvres ? Dans quelle mesure êtes-vous impliqué dans la publication d'un ouvrage dans une autre langue ? Vérifiez-vous les traductions de quelque manière que ce soit ? Essayez-vous de les corriger ?

Uniquement lorsqu'il s'agit de langues que je connais, le français et l'anglais. Dans ce cas, j'interviens. Dans d'autres cas, souvent, les traducteurs peuvent toujours vous demander, et même si vous ne connaissez pas la langue, vous connaissez la vôtre, vous pouvez donc aider un traducteur à résoudre des problèmes de contexte, de nuance. Mais dans le cas du français et de l'anglais, je m'implique assez, au point de refuser parfois une traduction.

ARTICLES SUR Séfarade

Des articles en France avant même sa traduction à la sortie du livre en Espagne
- "Récits de persécution et de solitude", Amelia Castila, El Pais, Courrier international, n °543, du 29 mars au 4 avril 2001.
- "Antonio Muñoz Molina, le messager des exilés", Amelia Castilla, Lire, 1er juin 2001.

Articles à sa sortie en 2003
- "
La mélodie Muñoz Molina", Frédéric Vitoux, L'Obs, 27 février 2003
- "Le catalogue du pire", Fabrice Gabriel, Les inrockuptibles, 12 février 2003.
- "Les fantômes du siècle", Bruno Corty, Le Figaro littéraire, 6 mars 2003.
- "Errants et fugitifs", Norbert Czarny, La Quinzaine littéraire, 16 juin 2003.
- "Séfarade d'Antonio Muñoz Molina", Albert Bensoussan, Le Magazine littéraire, 1er avril 2004.
- "Trains de fantômes : la symphonie transportante des bannis par Antonio Muñoz Molina", Claire Devarrieux, Libération, 27 février 2003.
- "Séfarade, les exils d’Antonio Muñoz Molina, par Jean-Luc Douin, Le Monde, 28 février 2003. Ce roman figure parmi les 100 romans du Monde.
-"Livres. Mémoire vive", Jean-Charles Gateau, Le Temps (quotidien suisse), 1er mars 2003.

Le livre a mis du temps à arriver au Mexique
- "Sefarad. Una novela de novelas" ("Un roman fait de nouvelles") Central de Noticias Diario Judío, 25 mai 2016, Diario Judío: El Diario de la vida judía en México y el Mundo (Le journal de la vie juive au Mexique et dans le monde).

ÉTUDES

- "'Rappelle ton âme endormie' : mémoire et construction identitaire dans Séfarade d’Antonio Muñoz Molina", Dagmar Vandebosch, Culture et mémoire : représentations contemporaines de la mémoire dans les espaces mémoriels, les arts du visuel, la littérature et le théâtre, éd. de l'École polytechnique, 2008, p. 369-377.

- De Christine Pérès, professeure des universités:
Le nouveau roman espagnol et la quête d'identité : Antonio Muñoz Molina, préface de Antonio Muñoz Molina, L'Harmattan, 2001 (adaptation d'une thèse)
Les jeux de la création et de la réception dans le roman mosaïque : lecture de "Sefarad" d’Antonio Muñoz Molina, Berne, Peter Lang, 011
"L’écriture de l’Histoire dans le roman mosaïque : Rabos de lagartija (2000) de Juan Marsé et Sefarad (2001) d’Antonio Muñoz Molina", Bulletin hispanique, 2014, p. 757-772.
Elle a dirigé la thèse suivante :

- Le factuel et le fictionnel dans Ardor guerrero, Sefarad et Ventanas de Manhattan d'Antonio Muñoz Molina, Élodie Vaquero-Nourrisson, Toulouse II, 2012 : cette thèse comporte en annexe un entretien avec Antonio Muñoz Molina, dont voici des extraits :

- Pouvez-vous nous donner votre opinion au sujet des liens qu'entretiennent le factuel et le fictionnel dans Ardor guerrero, Sefarad et Ventanas de Manhattan ?

- Pour moi, il y a une division radicale entre fiction et non fiction. Je suis très attaché à un type de littérature et d'écriture radicalement de non-fiction, autrement dit qui n'admet pas l'invention, comme par exemple les écritures historique, de divulgation scientifique ou de témoignage. Pour moi, le pacte qu'établit le lecteur avec le texte est très important et ce pacte de départ est un pacte de fiction ou de non-fiction. Il s'agit d'un accord et quand cet accord se noue dans Ventanas de Manhattan ou dans Ardor guerrero, il se maintient strictement car si ces œuvres participent d'une littérature narrative, c'est d'une littérature de non-fiction. Quand on écrit un livre d'Histoire on n'a pas le droit de mentir, du moins consciemment. Aussi, j'ai l'obligation de m'en tenir aux faits, tels que je les ai expérimentés empiriquement car, comme dans une expérience scientifique, l'expérimentation doit s'ajuster au maximum à l'hypothèse initiale.

Il s'agit toutefois d'un regard subjectif.

Bien sûr, mon regard est subjectif mais cette subjectivité est soumise au pacte. Ainsi, j'essaie de ne pas mentir consciemment. C'est la différence entre la fiction et la non-fiction. Dans la fiction il y a une liberté qu'il n'y a pas dans la non-fiction. Dans Sefarad il s'agit d'un pacte distinct car il y a un jeu romanesque autour de l'autobiographie. Beaucoup de voix disent "je" et ce "je" est parfois très proche de mon expérience personnelle et parfois non. (...)

L'exil semble être un thème récurrent dans les trois œuvres de notre corpus puisqu'il est présent dans Sefarad à travers l'exil durant la guerre civile espagnole ou les dictatures roumaine et argentine, tout comme dans Ardor guerrero où il est vécu par certains soldats comme la possibilité de découvrir le monde et, avec plus de force encore, dans Ventanas de Manhattan à travers vos séjours new-yorkais et les personnes que vous rencontrées tels que les jeunes immigrés de l'Institut Cervantès où vous dispensez des cours ou les amis espagnols que vous fréquentez lors de vos dîners. Pourquoi la question de l'exil vous interpelle-t-elle autant ?

Les plus grandes créations artistiques, littéraires et scientifiques du XXe siècle ont été réalisées par des personnes qui avaient abandonné leur pays pour des raisons économiques ou politiques. Tant de films américains incroyables ont été tournés par des exilés. On pourrait dire que le film noir américain a été créé par des européens qui avaient fui Vienne ou Berlin. Dans l'exil, coexistent la douleur et la possibilité de la libération. C'est la double face de l'exil.

L'exil permettrait donc aussi d'être plus créatif ?

Oui. Fuir, abandonner la terre natale permet de devenir un autre.

C'est votre cas ?

Oui. Il faut seulement être prudent avec le terme d'"exil". On ne peut pas comparer l'exil politique de quelqu'un qui a été expulsé de son pays et qui ne peut y retourner sans courir de danger, avec le privilège de voyager, de se promener dans un pays étranger et de rêver. C'est toute la différence entre fiction et non-fiction. En ce qui me concerne, l'exil est l'histoire de ma vie. On abandonne le village natal et on arrive ici, à Madrid. Quand j'étais petit, ma première vocation était de devenir étranger. L'Espagne était alors un pays très isolé. On pouvait reconnaître quelqu'un qui venait d'un autre village. Pas d'une autre province ou d'un autre pays mais d'un autre village. On a commencé à voir des touristes à Úbeda lorsque j'ai eu quatorze ans ou quinze ans, l'âge où on se révolte et où on souhaite quitter sa province natale. (...)

Et qu'en est-il pour la toile de Vélasquez au terme de Sefarad ?

Cette fillette aussi, c'est moi. À l'université, j'ai étudié l'histoire de l'art car l'art est une partie des choses que j'aime dans la vie et simplement une partie de la vie. Si je me suis identifié à Stendhal c'est parce que pour lui aussi, la musique, la peinture ou l'architecture ne sont jamais des expériences culturelles isolées des expériences ordinaires. Pour Stendhal, la musique est une promesse de bonheur.

Pouvez-vous nous préciser si le personnage de Camille Safra est tiré de la réalité ?

Oui, je l'ai rencontrée à Copenhague. Cette histoire est une histoire réelle, seul le nom de Camille Safra est inventé.

VIDÉO

- Entretien réalisé à la Bibliothèque régionale de l'Alcazar à Marseille dans le cadre du 17e Festival du film espagnol, 8 novembre 2018, 18 min : c'est le seul entretien où Antonio Muñoz Molina s'exprime en français (qu'il parle très bien) : il répond d'abord à un interviewer du festival de cinéma qui n'a pas lu une ligne de lui, de sorte qu'il se présente et présente son œuvre de manière très intéressante.

- Pour ceux qui comprennent l'espagnol : un entretien approfondi d'Antonio Muñoz Molina avec Javier Herraez, RTVE (Radio y Televisión Española), 3 novembre 2018, 56 min.

- "À Úbeda, les fantômes d’Antonio Muñoz Molina", Invitation au voyage, Linda Lorin, Arte, 21 novembre 2022, 13 min 45.

REPÈRES BIOGRAPHIQUES

Enfance et formation
- Né en 1956 à Úbeda en Andalousie. Famille de maraîchers. (voir l'émission d'Arte "À Úbeda, les fantômes d’Antonio Muñoz Molina", Invitation au voyage, Linda Lorin, Arte, 21 novembre 2022, 13 min 45). Deux frères comme deux enfants uniques (à cause de la différence d'âge, lui étant le plus âgé). Une enfance entourée de femmes protectrices, avec de grandes familles qui ne se séparent pas, unies par l'agriculture.
- Études secondaires chez les pères salésiens, où est née sa prise de conscience de l'oppression et l'intolérance religieuses,
- "Depuis que j'avais 13 ans, j'achetais les journaux." Bourse pour des études de journalisme à l'Université centrale de Madrid.
- Abandonne pour étudier l'histoire de l'art
à l'Université de Grenade. Diplôme en 1979.
- Né sous la dictature de Franco, il a été témoin du développement de la démocratie après la mort de Franco en 1975.

Fonctionnaire, journaliste
Après ses études, il est d'abord au chômage :
"j'ai décroché un petit boulot d'assistant à la mairie, et à partir de là j'ai commencé à écrire, dans des journaux", tout en travaillant comme fonctionnaire à Grenade.

Que pouvez-vous dire sur l'influence que la pratique journalistique a eue sur votre carrière de romancier ?

Je crois que le journalisme est une branche de la littérature. Une branche de la littérature peut être meilleure ou pire : elle a une série de variantes et il existe des sous-genres dans le journalisme. Mais c'est de la littérature, au sens où le monde se raconte avec des mots. Ma formation d'écrivain a vraiment commencé lorsque j'ai commencé à écrire pour un journal de Grenade, aujourd'hui disparu, qui était le Diario de Granada. Et il y a aussi une composante française là-bas, parce qu'à cette époque je lisais constamment Le spleen de Paris de Baudelaire, et puis je me souviens avoir descendu la rue à travers Grenade, le long du Zacatín et de la Bib-rambla, et pensé à ce qu'il fallait faire comme un "spleen de Granad", et c'est ce que j'ai fait, quand j'ai écrit un livre intitulé El Robinson urbano, mon premier livre, mais cette illumination de la ville contemporaine, ce que vous avez sous les yeux, peut faire l'objet de littérature, et cette discipline du journal, de prêter attention à ce qui se passe autour de vous, en plus d'avoir l'obligation de devoir livrer à un moment donné, avec un livraison, avec un délai de livraison, avec une certaine longueur, cette discipline vous guérit de beaucoup de bêtises sur l'inspiration, cette paresse de penser "eh bien, j'écrirai quand ça me passera par la tête", non, dans le journal il n'y a pas... Et moi je continue d'écrire dans les journaux et ça continue d'être le cas. C'est-à-dire que l'inspiration doit arriver avant un certain temps, elle ne peut pas attendre, et l'inspiration doit être sujette à une certaine durée. C'est une excellente école pour un écrivain. (Entretien avec Laura Sillero, Festival des Assises Internationales du Roman à Lyon le 1er juin 2013)

Ecrivain marié à une écrivaine, au beau parcours dans l'institution littéraire, dont voici quelques dates :
- 1986 : premier roman, Beatus Ille qui reçoit le prix Ícaro de littérature.
- 1987 : L'Hiver à Lisbonne reçoit le Prix de la Critique et le Prix national de Narration.

Vous avez publié votre premier roman en 1986. Avez-vous imaginé que vous deviendriez l'écrivain que vous êtes aujourd'hui ?

Non, j'ai eu beaucoup de chance. Cela a coïncidé avec une époque qui, je crois, a été la grande époque, qui s'achève malheureusement, de la rencontre entre les écrivains espagnols et le public espagnol et européen. La seconde moitié des années 80 a été une explosion de littérature et de lecteurs, du coup il y avait beaucoup plus de lecteurs, pourquoi ? Parce que la démocratie a généré cela. Donc des écrivains comme Javier Marías, comme Julio Llamazares, Rosa Montero, des gens comme ça, on se retrouve avec un public beaucoup plus large que ce qu'on avait imaginé. Alors on a fait des livres de littérature qui se voulaient de la littérature sérieuse, mieux ou moins bien mais de la littérature sérieuse, et on a trouvé que ça avait beaucoup de lecteurs. Ils disent toujours "en Espagne tu ne lis pas", Proportionnellement, le nombre de lecteurs qu'il a eu jusqu'à récemment en Espagne est bien supérieur à celui d'un livre de littérature aux États-Unis, par exemple. Je dis à mes amis américains mes tirages de livres et ils sont très surpris. J'ai eu beaucoup de chance. Et puis il y a eu une autre chance fondamentale, c'est que nous sommes arrivés à un moment où notre pays s'ouvrait au monde, donc pour la génération précédente, se connecter avec le monde extérieur, non seulement avoir des lecteurs à l'extérieur mais recevoir des influences de l'extérieur était très difficile, nous avons donc eu la chance que nos livres aient été publiés à l'étranger, dans de nombreux cas, ils ont eu de nombreux lecteurs, et nous avons été lus non pas en tant que représentants d'un pays exotique soumis à une dictature comme cela pouvait arriver auparavant, mais en tant qu'écrivains. Comme ce festival, international. Qu'un écrivain d'une génération avant la mienne puisse assister à un festival international comme celui-ci en toute normalité, c'était très rare. On s'habitue aux choses et elles semblent normales, mais nous avons eu une situation historique très favorable. (Entretien avec Laura Sillero, Festival des Assises Internationales du Roman à Lyon le 1er juin 2013)

- 1992 : Il s'installe à Madrid.
- 1994 : Mariage avec Elvira Lindo qu'il a rencontrée en 1990, elle aussi écrivaine. Ils auront trois enfants, en plus d'un premier enfant qu'elle avait. Elle est journaliste, scénariste, romancière, Prix national de littérature jeunesse en 2000, connue surtout sous le nom de "Manolito Gafotas", son alter ego enfant.
- 1995 : Membre de l'Académie royale de la langue espagnole ; son discours d'intronisation s'intitule Destierro y destiempo de Max Aub (Exil et contretemps de Max Aub).
- 2004-2006 : Directeur de l'Institut Cervantes de New York. Vit entre Madrid et New York.
- 2012 : il fait don d'une partie de ses écrits à la Bibliothèque nationale : cahiers tirés de livres et de journaux, brouillons de romans, poèmes de jeunesse et pièce de théâtre inédits.
- 2013 : Prix Prince des Asturies, le plus prestigieux prix espagnol. Il enseigne à New York, dans une maîtrise en écriture créative et a des étudiants d'Espagne et de toute l'Amérique latine.
- 2013 : Prix Jérusalem ("Antonio Muñoz Molina primé à Jérusalem", Elias Levy, The Canadian Jewish News, 22 janvier 2013).
Antonio Muñoz Molina est l'objet d'une polémique lorsqu'un groupe d'intellectuels, dont l'essayiste français Stéphane Hessel, l'écrivain britannique John Berger et le cinéaste Ken Loach, l'avaient appelé à refuser une invitation à se rendre en Israël pour recevoir le Prix Jérusalem pour la liberté des individus dans la société, organisé tous les deux ans par la foire internationale du livre de Jérusalem.
"Israël est un pays pluriel, que je sache, de la même façon qu'il y a des gens très réactionnaires et intégristes, il y a des gens progressistes très critiques contre l'occupation des territoires, des gens qui à l'intérieur d'Israël militent pour une solution au conflit", avait-il dit alors au quotidien El Pais. Son discours =>ici
Il succède au Britannique Ian McEwan et à d'autres écrivains prestigieux comme Graham Greene ou J. M. Coetzee. Ce prix, qui récompense un auteur ayant abordé dans ses œuvres les thèmes de la liberté de l'individu, de la société, de la politique et des gouvernements, est doté de 10 000 dollars.
- 2020 : Prix Médicis étranger en 2020 (obtenu deux ans plus tard par Kourkov pour Les abeilles grises)

Pour terminer ce parcours voici des extraits d'un entretien qui figure après l'article de Natalie Levisalles "Antonio Muñoz Molina : l'absolue liberté de l'imagination" (Libération, 26 août 2016) :

Vous avez vécu presque vingt ans aux Etats-Unis. En quoi est-ce intéressant pour un écrivain de vivre loin de chez lui ?

Ah, c'est très important. Il y a quelques mois, je me suis demandé : qu'est-ce que c'est que cet instinct que j'ai de partir, de toujours changer d'endroit ? Je suis né comme ça, déjà enfant, je voulais être ailleurs, ça doit être génétique. J'ai lu que, dans chaque espèce, il y a des individus qui ont le travel bug, le virus du voyage. Je suis né dans une petite ville et je voulais en partir, j'avais le sentiment que la vie était ailleurs.
La première fois que je suis allé aux États-Unis pour une longue période, c'était il y a plus de vingt ans, comme visiting professor à l'université de Virginie. Je me suis plongé dans la vie américaine, j'ai passé un semestre comme un moine. Ensuite, j'ai vécu à New York pendant quatorze ans. C'était si intéressant, si vivifiant, comme si tout recommençait. La première fois que je suis allé voir mon éditeur américain, j'étais nerveux, je tournais dans le quartier, comme au début de ma carrière.
J’avais été élu à l’Académie espagnole à 40 ans, ça aurait été facile de m’en accommoder, de faire partie de l’establishment. En Amérique, je n’étais personne, aller aux Etats-Unis m’a permis d’échapper à une dignité excessive d’écrivain établi. Avec ma femme, on voyait l’Espagne et l’Europe à distance, on devenait plus européens et plus espagnols. C’est à New York que je suis devenu un vrai Européen. Aux Etats-Unis, on se sent instinctivement, profondément européen. On dit toujours que l’idée d’Europe est abstraite, mais ce n’est pas vrai.

Vous dites : "depuis mon enfance, j’ai toujours voulu partir des endroits où j’étais", mais en même temps, dans tous vos livres, il y a cet enracinement très profond à Ubeda, votre ville natale.

C'est absolument vrai… je n'y avais jamais pensé, c'est une espèce de révélation pour moi ! Je pense que c'est lié à des structures cognitives très profondes chez l'être humain. Si on voit le roman seulement en termes littéraires, on ne peut pas comprendre. Le roman est la manifestation concrète d'une chose très ancienne et très enracinée dans la psyché humaine. Dans les contes populaires, les chansons, les poèmes, les films… il y a toujours ce double élan, ces deux histoires fondamentales que l'être humain se raconte à lui-même depuis la nuit des temps : l'histoire du départ et celle du retour, l'Odyssée, l'enfant prodigue… Dans les contes pour enfants, le héros est toujours quelqu'un qui part. (...)

Vous écrivez : "Écrire, c’est progresser de ce que l’on ne sait pas vers ce que l’on sait." Mais encore ?

C’est une chose qui, avec les années, a beaucoup changé chez moi. Au début, on pense qu’on doit avoir en tête une structure merveilleuse, comme un bâtiment flottant dans les airs. Avec le temps, on découvre la presque absolue incertitude du travail. On commence à écrire en pensant qu’on va dire quelque chose de précis, mais le moment même de l’écriture devient souverain, c’est comme un moment de divination. Pour ce roman en particulier, je ne savais pas ce que j’allais écrire, c’est seulement sur le moment que je trouvais. On penserait que l’expérience vous donne un contrôle technique du métier, mais ce n’est pas vrai, pour moi en tout cas. Je crois plutôt qu’on doit aider le livre à s’écrire lui-même. Je dois avouer que j’ai découvert avec joie l’absolue liberté de l’imagination ; à chaque fois que j’ai voulu imposer une structure à une histoire, ça a été un échec.


Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :
                                        
à la folie
grand ouvert
beaucoup
¾ ouvert
moyennement
à moitié
un peu
ouvert ¼
pas du tout
fermé !

 

Nous écrire
Accueil | Membres | Calendrier | Nos avis | Rencontres | Sorties | Liens