Quatrième de couverture : Dix nouvelles de la grande romancière
américaine. Tout le monde prend vie en quelques secondes, et s'impose
à nous : tueurs évadés du bagne, un général
de cent quatre ans, une sourde-muette, une jeune docteur en philosophie
à la jambe de bois, un Polonais que la haine des paysans américains
accule à une mort affreuse, et, grouillant à l'arrière-plan,
les petits fermiers, les nègres paresseux et finauds. Quatrième de couverture : Dix nouvelles de la grande romancière
américaine. Tout le monde prend vie en quelques secondes, et s'impose
à nous : tueurs évadés du bagne, un général
de cent quatre ans, une sourde-muette, une jeune docteur en philosophie
à la jambe de bois, un Polonais que la haine des paysans américains
accule à une mort affreuse, et, grouillant à l'arrière-plan,
les petits fermiers, les nègres paresseux et finauds. |
Flannery O'CONNOR (1925-1964)
|
Nous avons lu ce recueil de
10 nouvelles pour le 14 avril 2023 et le nouveau groupe l'a lu pour
le 21 avril. |
Les
13 cotes d'amour Entreet Catherine Jacqueline Monique L Annick L
Brigitte Claire
Fanny Laura
|
Laura(avis
transmis)
Je n'ai pas réussi à terminer le bouquin, manque de temps
mais aussi
d'intérêt. J'ai pourtant bien avancé,
intriguée par l'ensemble, mais à "Un cercle dans le
feu", j'ai lâché le livre. En réalité,
la lecture a commencé fort pour moi, avec les deux premières
nouvelles notamment, qui m'ont vraiment fait beaucoup d'effet. Je les
ai trouvées surprenantes, étonnantes, peu communes, merveilleusement
morbides. C'est la première qui m'aura le plus marquée,
jouant sur les registres, entre le comique et le tragique - l'incompréhension
et la si grande naïveté de la grand-mère, corrélée
aux meurtres dans les bois, cachés, non-dit, étouffés,
sauf les cris - le ridicule, et cette constante antithèse, finalement,
entre la grand-mère et le reste du monde, entre ses éblouissements
constants et la désillusion de sa famille. Et pourtant j'ai retrouvé
cette naïveté, cette bonté, autant chez le personnage
du serveur, que chez l'assassin. Comme si la grand-mère n'avait
pas encore été corrompue par la vie et qu'elle dévoilait,
chez chaque personnage, la part de bonté encore intacte en eux.
Ce fut donc une grande découverte pour moi !
Le seul problème, c'est que je m'attendais à enchaîner
ces surprises dans les nouvelles suivantes. Seulement, dès le début
de ma lecture de la deuxième nouvelle, accompagné du titre
("Le fleuve") peu éclairant en soi, mais très
significatif, j'anticipais déjà la fin : donc pas de surprise,
même si la violence de l'histoire était encore cathartique
pour moi. En bref, "je m'éclatais" dans ces chutes perverses.
Puis il y a eu la suite - Mr Shiftlet, la grossesse, le nègre factice
- qui ne m'ont fait ni chaud ni froid, mise à part un peu de déception
: ces nouvelles ne valaient vraiment pas les deux premières à
mes yeux. L'erreur des personnages, leur immoralité, les surprises,
tout cela ne m'a pas semblé si renversant : oui, Mr Shiftlet abandonne
la jeune mariée, oui le grand-père renie son petit-fils
(je me demande d'ailleurs s'il est possible de voir dans cette scène
de reniement et de persécution - nombre d'inconnus entourent l'enfant
avec beaucoup de violence - une métaphore christique, accompagnée
du silencieux pardon qu'accorde l'enfant au grand-père), mais en
soi je n'y ai rien vu de bien dramatique - il n'y a pas mort d'homme.
Parmi ces trois nouvelles, seule "Un heureux évènement"
m'a étonnée, en fin de lecture notamment, où j'ai
compris que la grossesse était en réalité anticipée
depuis le début de la nouvelle à travers la description
physique du personnage. Elle n'a que 34 ans, mais déjà sa
"silhouette évoquait une urne funéraire"
(p. 75 éd. Folio). Si les nouvelles qui ont suivi ne m'ont
pas semblé renversantes, je ne peux dénier à Flannery
O'Connor une grande finesse d'écriture, qui parvient à mêler
l'horreur, la tristesse, la mort, à un humour et une ironie habiles.
La comparaison à l'urne m'a fait pouffer de rire, je l'avoue !
Je ne rejette absolument pas ses écrits, et les ai sincèrement
appréciés, tout comme j'ai pris grand plaisir - je le souligne
- à lire un recueil de nouvelles : c'est une forme vraiment
agréable qui s'adapte bien au temps que l'on souhaite y consacrer,
peu ou beaucoup. Je soutiens et encourage donc d'autres lectures de ce
type ! J'en profite alors pour faire une proposition : la lecture
des nouvelles d'O'Connor m'a fait penser à une petite nouvelle
que j'ai lue il y a quelques années : "Once
upon a time" de Nadine Gordimer. Je garde le souvenir positif
d'un écrit étonnant, politique, renversant, peuplé
de peu de "braves gens"
Sa plume est elle aussi très
fine, acérée et réfléchie. La nouvelle a été
publiée en France en 1991 dans le recueil Le safari de votre
vie et autres nouvelles*. Bien que Gordimer ait été
lue dans le groupe, en juin 2004 (il y a déjà presque 20
ans !), la lecture a été celle d'un roman et non de
nouvelles : si vous avez été déçus, il
est possible de lui offrir une seconde chance. Qui plus est avec Gordimer,
on part loin, en Afrique du Sud, en plein apartheid ; et on lit une
femme. C'est pas mal, non ? Pour O'Connor, j'ouvre aux ¾.
Je
souhaite à tout le monde une belle soirée illuminée
de ces intéressantes et bien particulières nouvelles
*Nous constatons que Laura a bien vendu sa marchandise... Las, le livre épuisé est vraiment introuvable...
Danièle, un peu malade,
transmet juste un sms...
Je n'ai pas fini de lire O'Connor. Je me suis demandé un moment
si elle n'était pas malade ou perverse
Si ce n'était
l'humour qui transparaît, j'aurais refermé le livre. Peut-être
étais-je trop fatiguée pour me concentrer ?...
Catherine,
entre et
Je ne connaissais pas Flannery O'Connor ; j'ai assez peu lu d'auteurs
du Sud et, comme beaucoup de français, semble-t-il, je ne suis
pas fan de nouvelles, mais là, j'ai adoré
Flannery O'Connor a un vrai talent pour, en quelques phrases, planter
un décor, créer une ambiance. On est face à une galerie
de personnages improbables, le tueur évadé du bagne, le
faux général de 104 ans, l'unijambiste docteur en philosophie...
C'est très drôle et en même temps féroce, parfois
morbide. J'ai beaucoup aimé l'écriture.
J'ai été scotchée par la première nouvelle,
je ne m'attendais pas du tout à un dénouement pareil. Ça
commence assez soft et ça finit par une tuerie, précédée
d'un dialogue là encore totalement improbable entre la grand-mère
et le tueur. Ensuite on est moins surpris, on n'attend plus de happy end.
Certaines nouvelles sont plus insignifiantes - "Un heureux événement"
par exemple - ou seulement drôles - le faux général
qui meurt pendant la distribution des diplômes sans que personne
ne s'en aperçoive et qu'on transporte devant le distributeur de
Coca. J'ai beaucoup aimé "Braves gens de la campagne",
mais ma nouvelle préférée est la dernière,
"La Personne Déplacée" : c'est la plus féroce,
on est confronté au summum de la xénophobie, de la bêtise
et de la méchanceté.
Peu de personnages sont épargnés dans ces nouvelles, quelques
enfants, mais pas tous. La religion est omniprésente, mais il s'agit
plutôt d'usurpateurs, sauf peut-être le prêtre catholique
de "La Personne Déplacée". C'est aussi une peinture
du Sud "profond" des États-Unis, des rapports entre petits
Blancs et Noirs ; on ne sait d'ailleurs pas quelle est la position de
Flannery O'Connor sur le sujet. Elle décrit.
Une vraie découverte pour moi. J'ouvre entre ¾ et entier.
Nathalie
Cela aura été un livre coup de poing qui frappe en plein
cur quand il est lu à une époque où le mot
"bienveillance" perle à toutes les commissures de bouches
! Et surtout en ce qui concerne les enfants.
J'ai eu souvent la nausée, souvent envie d'abandonner parce que
cela me tordait les tripes quand ce qu'on pourrait considérer comme
du vice ou de la perversion venait du monde de l'enfance.
Pourtant je n'avais qu'une envie, c'était de raconter tout à
tout le monde ! C'est un pouvoir incroyable cette possibilité de
raconter en quelques minutes quelque chose d'aussi complexe.
Les histoires sont pointues, ciselées, efficaces.
L'écriture est riche, souple et parfaitement rythmée. J'ai
adoré le procédé de la multiplication des points
de vue.
Par exemple, dans la dernière nouvelle, le récit met en
place un faisceau de regards ! Lors de l'arrivée des déplacés
on a un incroyable faisceau de regards ! Tout le monde regarde quelque
chose : le paon regarde Mrs Shorley qui est regardée par le narrateur
extérieur, le soleil regarde également la scène (sic),
les deux travailleurs noirs regardent également, cachés
mais elle sait qu'ils sont là et enfin, dans un véritable
choix cinématographique, Mc Intyre, regarde le couple descendre
de la voiture : le champ de vision se rétrécit puis s'ouvre
pour que puisse s'y trouver inclus la femme et les deux enfants du déplacé.
On retrouve le même procédé plusieurs fois dans les
nouvelles. Il y a toujours quelqu'un, une sorte de témoin silencieux
qui regarde et accompagne la narration extérieure. Il me semble
que l'appropriation de l'espace - quel qu'il soit - est une thématique
récurrente du recueil. Chacun pense être à une place
et le hasard vient bousculer la donne.
Le fait que les enfants soient abominables m'a beaucoup touchée.
Celui qui se noie va à sa propre perte par sa méchanceté
et son esprit obtus qui ne comprend rien. Je le trouve abominable même
si on peut considérer qu'il est maltraité, j'ai très
mal vécu son désir de faire le mal, c'est la même
chose chez les enfants dans le cercle de feu.
Celui qui m'a le plus émue c'est l'enfant dans le nègre
factice. J'ai eu l'impression qu'il était le seul qui aurait pu
voir au-delà des apparences et j'ai trouvé la scène
de "rencontre" avec la femme noire qui lui indique le chemin
absolument magnifique.
J'ai vraiment eu l'impression que malgré l'absence de jugement
sur ses personnages, l'écrivaine revendiquait l'humanité
et l'égalité des personnes noires.
Bref, j'ouvre en grand.
Monique L, entreet
La lecture de la première nouvelle m'a happée et m'a laissée
comme sidérée. Toutes les nouvelles ne m'ont pas aussi fortement
impressionnée, mais dans l'ensemble j'ai apprécié.
C'est une expérience savoureuse que cette lecture. C'est un délice
bien que l'arrière-goût soit amer. C'est troublant et dérangeant.
J'ai été entraînée par ces histoires, par leur
rythme, leur écriture.
Flannery O'Connor porte un regard acéré, féroce et
lucide sur la bêtise humaine, la méchanceté des hommes,
l'obscurantisme religieux. Elle nous dépeint la petite classe moyenne,
superstitieuse, remplie de préjugés mesquins du Sud ségrégationniste
de l'époque. Elle ne porte pas de jugement sur les êtres,
elle les décrit.
C'est une description de cette région : zones rurales abandonnées,
villes segmentées en quartiers et ghettos, services publics et
sociaux absents, indifférence des citoyens entre eux, travail partisan
de la police, enfance laissée en déshérence... situation
de subordination des Noirs par rapport aux Blancs.
Elle
a l'art du portrait : l'aspect physique, la manière de se tenir,
la voix, le regard, les pensées
En quelques mots, l'atmosphère
est donnée, pour camper les personnages et la situation.
C'est concis, percutant, incisif, grinçant, parfois ironique ou
narquois.
Mes nouvelles préférées : "Les braves gens ne
courent pas les rues", "Tardive rencontre avec l'ennemi",
"La Personne Déplacée".
Ce qui est remarquable et rend ces récits étranges, c'est
leur composition : ils nous promènent et s'arrêtent de façon
assez abrupte. C'est très particulier.
J'ouvre aux ¾.
Brigitte(à
l'écran depuis la Normandie)
D'un côté j'ai rapidement vu que j'avais affaire à
un très bon auteur et de l'autre j'ai été découragée
par la succession de nouvelles. Chaque fois, il faut entrer dans un nouvel
univers, c'est parfois difficile. Avec une tonalité grinçante,
chaque nouvelle met en évidence les lâchetés et faiblesses
des divers personnages.
Dans la première nouvelle, je me suis identifiée avec la
grand-mère qui, dans ses souvenirs de jeunesse, confond les noms
des états américains et embarque toute sa famille dans un
périple tragique, car elle n'ose pas avouer son erreur.
Je retiens "Les Temples du Saint-Esprit" qui raconte les délires
de deux adolescentes de quatorze ans élevées dans une école
catholique : elles se régalent du vocabulaire religieux, tout en
faisant les quatre cents coups. Un sujet que je n'avais jamais vu traiter.
J'ai particulièrement apprécié "Le nègre
factice" : le voyage en train et l'excursion dans la ville voisine,
nous introduisent dans les profondeurs du Sud américain. Cette
fois-ci, c'est de miséricorde et de pardon qu'il s'agit.
"Braves gens de la campagne", où le vendeur de bibles
fait la cour à Joy/Hulga en lui disant "qu'elle
n'est pas comme les autres", uniquement pour lui voler
sa prothèse de la jambe ! Joy/Hulga qui "au
fil des ans ressemblait de moins en moins aux autres et de plus en plus
à elle-même".
Malgré une certaine lassitude, j'ai continué ma lecture
et j'ai bien fait, puisque la nouvelle qui m'a le plus impressionnée,
c'est la dernière. On y retrouve le problème du mal engendré
par la bêtise, la lâcheté intellectuelle qui mène
à l'amalgame, tel ce raisonnement : cet homme qui porte de petites
lunettes cerclées de métal me rappelle celles d'un Allemand
contre qui j'avais combattu au moment du débarquement américain
de la fin de la deuxième guerre mondiale, c'est donc un nazi. En
fait, il s'agit d'un Polonais échappé des camps dont on
ne comprend pas la langue, c'est trop dérangeant. En plus il travaille
avec efficacité dans un lieu où triomphe le laisser-aller,
cela dérange les habitudes. Donc on va s'en débarrasser.
La patronne qui a plus ou moins initié ce crime est finalement
abandonnée de tous sauf peut-être du prêtre et des
paons !
Cette nouvelle me rappelle "Monsieur
Durant" de Dorothy Parker que nous avions lue
l'an dernier. On y retrouve les mêmes ingrédients (bêtise,
lâcheté, amalgame
), qui conduisent toujours à
des drames. J'ouvre aux ¾.
Jacqueline, entreet
Ça se lit merveilleusement bien. Je l'ai d'abord lu comme des nouvelles
noires, comme un polar
puis, à la relecture de certains passages,
je découvrais d'autres choses, il y avait plus que cela, j'ai trouvé
que c'était solide.
J'ai beaucoup aimé les dialogues, tout en subtilité, où
l'on entre sans pouvoir bien situer les protagonistes
À peu
près à la même époque, Hemingway faisait des
choses comme ça.
Je me serais assez bien passée des descriptions de personnages,
précises, souvent humoristiques, mais qui ne me permettent guère
de les situer, faute de connaître le code, sûrement évident
pour les contemporains américains. De toute façon, en général,
dans la vie, je me souviens mieux des paroles entendues que de l'aspect
physique.
Par contre, j'ai beaucoup aimé les descriptions inattendues de
paysage : un nuage comme un navet
Cette lecture a été une évocation extraordinaire
d'une société et des petites gens qui la composent. La dernière
nouvelle "La Personne Déplacée" est ma préférée
; elle a une autre résonance : je n'étais plus dans une
histoire noire, bien construite, mais dans une autre facette de ce que
je crois connaître
J'ouvre ¾ +
Jérémy
(présent
pour la première fois)
Avant la lecture
Je n'avais jamais entendu parler de l'autrice et ne connaissais même
pas son nom. Je n'avais donc aucun a priori la concernant. Je ne
suis pas lecteur de nouvelles, je préfère m'installer dans
le temps long du roman. La 4e de couverture mentionnant des tueurs évadés
du bagne et des nègres et la photo de couverture utilisée
dans l'édition de poche m'ont fait penser que nous nous situerions
dans un État du Sud des États-Unis, dans les années
1940-1950. Là non plus, ce n'est pas vraiment l'imaginaire de lecture
vers lequel je me dirige habituellement. Mais la 4e de couverture met
en avant un "humour implacable" et une "fantaisie grinçante",
ce qui aurait vraiment pu me plaire. J'ai donc abordé ce livre
dans un état d'esprit "mi-figue mi-raisin".
La lecture
J'ai lu ce recueil de nouvelles sans déplaisir, par petites touches,
certainement en raison du style aiguisé. J'ai tout de même
trouvé lourdes les descriptions de paysages : j'ai fini par relever
toutes les occurrences du mot "soleil" tant il revient ! Pour
autant, il n'a pas touché mon affect. Je n'ai pas été
ému, inspiré, agacé ou transporté. J'ai souri
à quelques reprises tout au plus, mais je n'ai pas du tout ri !
Je suis resté assez extérieur au pessimisme de ce livre
mal aimable. Il s'en dégage une vision très sombre de l'humanité :
rien ni personne ne nous sauvera et il n'y a de toute façon rien
à sauver puisque nous sommes tous intrinsèquement mauvais.
L'autrice n'esquisse aucune porte de sortie. Il n'y a pas de lumière,
aucun espoir, pas d'échappatoire. Tout peindre en noir comme elle
le fait confine au cynisme et à la facilité.
Je l'ai donc lu en me demandant à chaque nouvelle où elle
"voulait en venir". Je n'ai parfois trouvé aucune réponse
à cette interrogation, comme dans "Tardive rencontre avec
l'ennemi" ou "Un heureux évènement".
Il me semble qu'un fil directeur se dégage d'un certain nombre
de nouvelles : une satire des personnes ayant la foi, ou tout du moins
des personnes qui n'ont que la religion et Dieu à la bouche mais
dont le cur et les actes sont bien loin des dogmes du christianisme
:
- Mrs Cope dans "Un cercle dans le feu" qui manque au devoir
d'hospitalité, ne fait preuve d'aucune empathie et est très
attachée aux biens terrestres
- le "représentant en bibles" dans "Braves gens
de la campagne", qui n'est qu'un Tartuffe fétichiste qui abuse
de la fille à la jambe de bois
- le prédicateur orgueilleux dans "Le Fleuve"
- le prêtre dans "La personne déplacée",
qui, par son déni et en faisant la sourde oreille lorsque Mrs McIntyre
lui dit qu'elle souhaite renvoyer le Polonais, a une part de responsabilité
dans sa mort.
J'ai bien aimé la manière dont les enfants sont présentés
et surtout le fait qu'ils s'expriment comme des adultes et portent sur
ce qui les entoure un regard lucide et aiguisé. Ils sont à
la fois :
- malpolis et grossiers dans "Les braves gens..."
- cruels et sarcastiques dans "Les Temples du Saint-Esprit"
(la petite fille) ou superficiels (les deux adolescentes)
- bornés et fiers dans "Le nègre factice"
- inquiétants, ingrats et criminels dans "Un cercle dans le
feu"
- un peu bêtes et morveux dans "Le fleuve".
Alors qu'ils représentent l'avenir de l'humanité, ils sont
déjà, eux aussi, condamnés et il n'y a donc rien
à espérer d'eux non plus.
En définitive, ce recueil de nouvelles m'a interpellé mais
pas touché. Je n'aurai ni envie de le relire ni envie d'en recommander
la lecture !
Renée
(à
l'écran depuis Narbonne)
Je n'avais pas du tout envie de lire ce livre, ayant envie d'auteurs contemporains.
Or j'ai eu beaucoup de plaisir. Le thème est pour moi : le mal.
La cruauté, le racisme, l'égoïsme, la méchanceté
gratuite, ont suscité mon intérêt. La nouvelle avec
les loubards est tout à fait d'actualité (on en a du même
type à Argelès).
L'écriture réaliste est très forte. Avec des personnages
épouvantables, par exemple l'homme dans l'histoire de la mère
qui veut marier sa fille débile. Idem celui qui dérobe sa
jambe de bois à une adorable et courageuse jeune fille : c'est
violent.
La dernière nouvelle "La Personne Déplacée"
est remarquable. Il y a deux phrases qui m'ont frappée : "Au
fil des ans, vivre était devenu une telle habitude que tout autre
état lui semblait inconcevable." et "Il
flottait autour de sa personne une odeur de factures".
Brigitte
"manipulées" !
Renée
Ah oui : "tendrement manipulées".
Je pense à Joan
Didion (jamais lu à Voix au chapitre !), plus "moderne".
Mais
j'ai pris plus de plaisir à lire Flannery que Didion. Elles sont
pessimistes toutes les deux : Didion nous décrit la décadence
de cette bourgeoisie des USA, l'ennui, la drogue, le sexe triste. C'est
davantage contemporain mais on a tellement rabâché ça
depuis, que j'en ai un peu marre.
Après
la soirée : finalement,
alors que je pensais l'ouvrir aux ¾,
je l'ouvre en grand. J'ai relu des passages et je l'ai proposé
avec enthousiasme à mon groupe de Narbonne : je vous dirai les
réactions...
Françoise
Je fais partie de ceux qui n'aiment pas les nouvelles, mais j'ai bien
aimé au début l'écriture percutante, l'ironie mordante,
l'humour, mais quel pessimisme ! Pas de racisme car tout le monde, Blancs,
Noirs, vieux, jeunes, etc. est renvoyé dos à dos.
Aucune "humanité", dans le sens positif du terme. Mais
tout cela, mené avec brio je l'admets, m'a assez vite lassée,
car attendu.
Dès que j'ai compris que chaque histoire allait être horrible
et mal se terminer, plus d'espoir et plus de curiosité, la lecture
m'est devenue pénible.
N'étant pas enthousiaste, j'ouvre à moitié.
Annick L
Flannery 0'Connor est indéniablement une auteure remarquable, avec
un talent particulier pour écrire des nouvelles. Elle sait camper
en quelques images un cadre, des personnages, l'enjeu d'une histoire et
elle sait faire monter rapidement la tension narrative. J'ai d'ailleurs
été surprise par la confrontation brutale, dès la
première nouvelle, de cette famille très ordinaire avec
la folie de ce tueur psychopathe et ses comparses qui vont les achever
un à un. J'ai même relu une deuxième fois le dialogue
surréaliste entre la grand-mère et "le Désaxé"
pour tenter de le ramener à sa part d'humanité. Quel choc
!
La mécanique fonctionne bien : je savais ensuite à quoi
m'attendre et je guettais le moment où l'irruption d'un personnage,
voire une situation inédite (par exemple le grand-père et
son petit-fils venus de leur campagne pour découvrir la grande
métropole et ses habitants afro-américains) allait faire
déraper leur existence misérable mais balisée. De
ce point de vue j'ai été comblée !
J'ai aussi beaucoup aimé cette peinture sociale burlesque avec
sa galerie de personnages, handicapés (une jeune fille sourde-muette,
un manchot, une agrégée de philo avec sa jambe artificielle)
voire dégénérés (le grand-père qu'on
exhibe dans son fauteuil roulant, les trois jeunes voyous qui mettent
le feu aux champs, le faux prédicateur manipulateur et fétichiste).
Le Mal est partout ! Et la dernière nouvelle est particulièrement
tragique puisque, cette fois, l'arrivée de cette famille de Polonais
qui a fui les camps de la mort en Europe va servir de révélateur
aux pires instincts de xénophobie, de haine de l'Autre, chez ces
petits Blancs qui vivent dans la ferme : le Mal vient ici de l'intérieur...
Quel pessimisme ! Il y a d'ailleurs peu de lueurs d'espérance,
ou de rédemption (pour utiliser un terme religieux), sauf à
la fin de la nouvelle "Le Nègre factice". Une sorte de
malédiction semble frapper ce petit monde. Du coup c'est une lecture
dérangeante, qui nous plonge dans les aspects les plus sombres
de la nature humaine.
Une seule réserve : je me suis sentie étrangère à
toute la dimension spirituelle, métaphysique, qui imprègne
certains dialogues ou certaines histoires, comme dans "Le fleuve",
"Les temples du Saint-Esprit", les sermons du prêtre catholique
dans "La personne déplacée"
J'ouvre aux ¾.
Fanny
J'avais oublié que c'étaient des nouvelles et attendais
la suite après un premier chapitre. Bon, mais ce ne fut pas comme
ce recueil de nouvelles que nous avions lu - et dont je ne retrouve plus
le titre et l'auteur - où je me suis fait avoir, croyant pendant
un bon moment être dans un roman....
J'ai très vite pensé à Jim Harrison.
Françoise, fan de
Jim
Tu ne peux pas dire ça !
Fanny
Si... Pour sa manière de dresser une peinture sociale.
Après la première nouvelle et "Le fleuve", j'ai
compris, bon OK, ça va mal finir. "L'heureux événement",
je n'ai pas trop compris, et avec "Le temple du Saint-Esprit",
j'ai eu un coup de mou. Le mel
de Claire est arrivé sur ces entrefaites, ça m'a aidée
à raccrocher la lecture. Contrairement à Jérémy
qui ne se verrait pas relire le livre, je trouve qu'il gagnerait à
être relu.
On rit des chutes. Et il est difficile de s'apitoyer sur ces "affreux,
sales et méchants", et même sur le Polonais de la dernière
nouvelle, venu des camps... pas sûr qu'il ne va pas s'en mettre
plein les poches.
Mon seul bémol, qui vient en fait de mon plaisir, j'aurais envie
de rester avec les personnages ; donc j'ouvre aux
¾ en raison de cette frustration.
Claire
Je trouve un point commun avec notre
lecture précédente, La Ronde
: les personnages plus ou moins monstrueux ne sont pas jugés, il
n'y a pas de moralisation. Faut l'faire, car question péchés,
on cumule...
J'ai pourtant lu le livre il y a peu, mais j'ai beaucoup oublié
comme d'hab : aussi ai-je relu ce jour toutes
les premières phrases et toutes les dernières phrases :
20 phrases donc, et j'ai retrouvé tout l'univers d'un coup.
J'aime l'excès dans ce livre. C'est-à dire ?
Les descriptions au couteau, qui, contrairement à toi, Jacqueline,
me font sauter les personnages aux yeux : "Ses
cheveux couleur de mûres s'entassaient autour de sa tête comme
des petits pains à saucisses" ou "c'était
une grosse femme, dont les yeux verts roulaient dans leur orbite, comme
s'ils avaient été huilés."
(Je me suis demandé comment aujourd'hui paraissent les phrases
en anglais avec le mot "nègre".)
J'ai aimé une sorte d'humour : "Tiens,
tiens ! marmonna Mrs. Cope, en lançant derrière elle une
grosse touffe de chiendent. Elle l'extirpait comme un fléau envoyé
par Satan pour détruire sa propriété".
Enfin, de là à éclater de rire comme certaines...
que je vois rejoindre la cohorte des désaxés du livre...
Et excès bien sûr dans l'horreur des histoires : elles sont
toutes horribles, avec une distance, une narration sèche qui en
font la force et le point commun. Je remarque que soit ce point commun
lasse (Françoise par exemple), ou est jouissif (Annick par exemple).
Le clou pour moi c'est la docteure en philosophie qui se fait chourrer
dans une scène de séduction sa jambe de bois : TOO MUCH
!
Pour ma part, je recommanderai ce livre avec circonspection, mais enthousiasme
mystérieux, du genre ça peut pas plaire à tout le
monde, sous-entendu faut en être pour aimer...
Après j'ai découvert l'auteure, et là j'ai été
scotchée. Elle qui vit dans la souffrance, le mal de la maladie,
quel humour sur soi ! (Voir par exemple ici).
Pour ce qui est de la religion, j'invite à lire l'introduction
que le traducteur a rédigée à son premier roman sur
les évangélistes, en partie grâce à de la doc
que lui a fournie Flannery : c'est vraiment croustillant.
Etienne(à
l'écran depuis Rennes)
C'est n'est finalement qu'au bout de quelques pages de ce recueil, lu
il y a quelques mois, que j'ai réalisé que Flannery O'Connor
m'avait fait une très forte impression. Ce sentiment qu'une immense
écrivaine s'imposait d'emblée, une sorte d'autorité
qui ne fait pas de place au doute. Oui, je n'ai lu que Les Braves Gens
ne courent pas les rues (je suis en train d'enchaîner avec Mon
mal vient de plus loin), mais elle est probablement devenue mon
écrivaine états-unienne préférée.
(Etienne montre à l'écran l'énorme volume des
uvres
complètes en Quarto - plus de 1200 pages et près
d'un kilo...)
Je suis depuis plusieurs années dans une quête littéraire
du Sud des États-Unis (rappelez-vous mes propositions Dites-leur
que je suis un homme, plus récemment Le
Brigand bien-aimé, et ce n'est peut-être pas fini
)
et Ms O'Connor s'est donc logiquement imposée à moi.
Ce qui m'a donc frappé en premier fut évidemment ses personnages
d'une densité rarement égalée : des hommes et des
femmes crus, profonds, sans concession, presque palpables. Cette impression
de les connaitre intimement au bout de trois pages et le tout sans fioritures.
Il y a une impression d'incarnation que j'ai rarement rencontrée.
Oui, je trouve que la comparaison avec Dickens n'est pas galvaudée.
Ensuite, et il faudra quand même que je le vérifie à
la lecture de ses romans, j'ai trouvé la construction de chaque
nouvelle quasi parfaite : une accroche, une montée en tension brillante
et un dénouement souvent inattendu : mais quelle gifle que la nouvelle
inaugurale, quelle tension insoutenable, on se dit que non il doit rester
une once d'humanité à ce brigand, que lui aussi doit avoir
une mère
Quel humour grinçant aussi, le malaise côtoie souvent le
rire jaune : la leçon cuisante mais malgré tout pleine d'humanité
du "Nègre factice", la pathétique mais hilarante
"Tardive rencontre avec l'ennemi".
Enfin le fond du livre, livre dont le titre aura rarement été
aussi honnête : oui les braves gens ne courent pas le rues, oui
l'humanité est globalement médiocre, la bassesse et l'hypocrisie
infusent tous nos actes. Constat simple, impitoyable mais pas si pessimiste
que cela, plutôt lucide car il n'y a aucun apitoiement. Un regard
global, sans aucune pudeur et où finalement, de temps en temps
la rédemption n'est pas complètement impossible (le nègre
factice, la personne déplacée).
En somme une écriture touchée par la grâce... je l'ouvre
évidemment en grand.
LES LIVRES de Flannery O'Connor |
Romans et nouvelles
- La
sagesse dans le sang [Wise Blood, 1952], roman, trad. et préface
Maurice-Edgar Coindreau, 1959 ; rééd. L'Imaginaire 2012
- Les
braves gens ne courent pas les rues [A Good Man is Hard to Find,
1955], dix nouvelles, trad. Henri Morisset, 1963 ; rééd.
Folio, 1981 ; Folio
bilingue 2018 ; deux nouvelles extraites de ce livre : Un
heureux événement suivi
de
La Personne Déplacée, Folio 2 €, 2005.
- Et
ce sont les violents qui l'emportent [The Violent Bear It Away,
1960], roman, trad. Maurice-Edgar Coindreau, préface de J. M. G.
Le Clézio, 1965.
- Mon
mal vient de plus loin [Everything That
Rises Must Converge], trad. et préface Henri Morisset, 1968 : ce
recueil de neuf nouvelles est le dernier livre qu'ait écrit Flannery
O'Connor, publié après sa mort.
Autres
textes posthumes
- Le
Mystère et les murs : écrits de circonstance,
trad. André Simon, 1975 ; recueil posthumes d'articles et conférences
regroupés selon 4 thèmes : l'écrivain et son pays,
l'enseignement de la littérature, la création artistique,
le problème du romancier catholique. Extrait
ici : "Deux
caractéristiques définissent mon uvre : je suis née
dans le Sud et je suis catholique".
- Pourquoi
ces nations en tumulte ?, trad. Claude Fleurdorge, Michel Gresset
et Claude Richard, 1975 : recueil de sept nouvelles inédites de
Flannery O'Connor. Les cinq premières nouvelles font partie de
la thèse qu'elle a présentée pour son diplôme
de Master of Arts à l'Université d'État d'Iowa en
1947. La dermière nouvelle a donné son titre au recueil
et devait servir d'esquisse à un roman qui n'a jamais vu le jour.
- L'habitude
d'être [The Habit of Being: Letters of Flannery O'Connor,
1979], correspondance, trad. Gabrielle Rolin, édition de Sally
Fitzgerald, 1985 ; rééd. L'Imaginaire, 2003.
- Journal
de prière [A Prayer Journal, 2013], trad. Alain Sainte-Marie,
Actes Sud, 2019 ; journal intime que Flannery OConnor a tenu à
21 ans.
uvres rassemblées
- La
Sagesse dans le sang - Les Braves gens ne courent pas les rues -
Et ce sont les violents qui l'emportent - Mon mal vient de plus loin -
Pourquoi ces nations en tumulte ?, préface de Roger Grenier,
Biblos, 1991.
- uvres
complètes : romans, nouvelles, essais, correspondance,
préface de Guy Goffette, Quarto, 2009.
UNE COURTE VIE STUPÉFIANTE |
Enfance
et formation
- 1925 : naissance à Savannah en Géorgie, dans une famille
catholique d'origine irlandaise ; son père est agent immobilier.
- 1930 : Flannery OConnor, raconte dans Holiday
magazine, qu'à 5 ans une expérience l'a marquée
pour la vie ; Pathé News a envoyé un photographe de New
York à Savannah pour photographier sa poule de Bantam qui présentait
la particularité de marcher à reculons ; son existence est
attestée par un petit film réalisé à lépoque
par Pathé News, Do
You Reverse? (1932), désopilant. Elle s'étend dans
cet
article de 1961 sur sa prédilection pour diverses espèces
de gallinacés, notamment pour les paons, qui se développera
jusqu'à la fin de sa vie, comme le montre cette photographie :
Revenons à l'enfance : elle fréquente les écoles
paroissiales de la ville. Les poules sont le sujet préféré
de ses dessins et bien qu'elle écrive déjà de vraies
histoires fort bien ficelées qui donnent naissance à de
petits livres pour enfants, le dessin reste son mode d'expression privilégié.
- 1938 : déménagement à Milledgeville, toujours en
Géorgie, dans la maison de la famille maternelle ; le père
les rejoint tous les week-ends. Flannery va à Peabody High School,
où l'éducation expérimentale y est très libre.
- 1941 : à quinze ans, O'Connor, fille unique,
perd son père de 44 ans, d'un lupus érythémateux.
"À cette époque, il n'y avait rien à faire,
sinon appeler les pompes funèbres. Quand il est mort, ma mère
a demandé au docteur si ce mal était héréditaire
et l'homme de science lui a répondu qu'il n'avait jamais entendu
parler de deux cas dans la même famille. Dix années plus
tard, je lui opposais un démenti."
Elle choisit de rester à Milledgeville et suit un programme accéléré
de trois ans au Georgia State College for Women (GSCW) :
- 1942-1945 : elle y sera rédactrice en chef de Corinthian,
le magazine littéraire de GSCW et également caricaturiste
: elle publie des dessins dans presque tous les numéros du journal
du campus, pour l'annuaire du collège, ainsi que pour les murs
du salon des étudiants. Fiction, essais et poèmes occasionnels
dans The Corinthian, démontrent très tôt son
penchant pour la satire et la comédie. Voir ici un article "Flannery
O'Connor: Cartoonist" et un de ses dessins :
- 1945-1947 : une bourse en journalisme la fait accéder à
l'Université d'État de l'Iowa, mais elle estime que le journalisme
ne sera pas son métier et contacte Paul
Engle, directeur de 1941 à 1965 du désormais célèbre
Writers' Workshop d'Iowa,
pour s'inscrire au programme de maîtrise en création littéraire
dont elle sera diplômée. Elle y fait la connaissance d'écrivains
et critiques importants qui interviennent dans le programme : ainsi, Andrew
Nelson Lytle Lytle, rédacteur en chef de la Sewanee
Review, a été l'un des premiers admirateurs de la
fiction d'O'Connor et publiera plus tard plusieurs de ses textes. Paul
Engle, qui recherchait la singularité et non le formatage, fut
le premier à commenter les premières ébauches de
ce qui allait devenir Wise Blood, son premier roman, publié
en 1952.
- 1948-1949 : après sa maîtise, elle obtient une résidence
d'artistes à Yaddo
où elle le travaille. Elle est accueillie par Sally (qui, amie
de toujours, publiera des écrits posthumes) et Robert Fitzgerald,
qui sera son exécuteur testamentaire, à Ridgefield au Connecticut
: chez eux, dans une chambre au-dessus de leur garage, elle trouve de
catholiques dévots qui lui fournissent un équilibre entre
solitude et communication nécessaire à sa créativité
et sa vie intellectuelle et spirituelle ; elle ne sortait que pour aller
à la messe quotidienne et à la boîte aux lettres.
Maladie et vie d'écrivaine
- 1950 : elle est frappée à 25 ans
par le lupus, maladie incurable et auto-immune qui n'était alors
traitée que par l'utilisation de stéroïdes ; elle survit
à la première attaque mettant sa vie en danger : "Mon
père voulait écrire, mais il manquait de temps, d'argent,
d'expérience, ou d'occasions de se lancer, comme j'en ai eu. Pas
de danger que je l'idéalise car j'ai hérité de la
plupart de ses défauts ainsi que de ses goûts. Physiquement
aussi je tiens de lui, puisque j'ai la même maladie : le lupus.
Quand mon père est mort, ma mère a demandé au docteur
si c'était héréditaire et le docteur a dit que non,
il n'avait jamais vu le mal sévir deux fois dans la même
famille. Dix ans plus tard, j'étais atteinte, mais aujourd'hui
la maladie peut être contrôlée, tout en restant inguérissable.
Quoi qu'il en soit ce que j'écris (bon ou mauvais) me procure un
supplément de bonheur à l'idée que je fais ce qu'il
aurait voulu faire..." La découverte des corticoïdes
et de l'hormone ACTH font espérer à Flannery qu'elle s'en
sortira : "Je dois mon existence et ma joie de vivre aux glandes
pituitaires de milliers de cochons quotidiennement égorgés
à Chicago. Si les cochons portaient des robes, je ne serais pas
digne d'en baiser l'ourlet. Depuis sept années, ils se sacrifient
pour moi !"
Elle assiste à la dégradation progressive de son corps ;
elle dit qu'elle devient chauve et que son visage "ressemble à
une pastèque". Sa voix s'altère : "On dirait
la voix d'une très vieille femme, le nez pris dans une pince à
linge et ses dents reposant à côté d'elle dans une
soucoupe." À l'hôpital, une infirmière la
fait rire : "Cette brave femme ignorait qu'elle était du
plus haut comique et que rire me faisait atrocement mal. Je considère
qu'elle a augmenté mes souffrances de 100 %." C'est une
rare plainte, le ton est plutôt celui-ci : "Je viens de
quitter l'hôpital où les chirurgiens se sont baladés
dans mon corps. À les en croire, cette virée fut un franc
succès." Elle apprend que ses hanches sont en trop mauvais
état pour être opérées et qu'elle devra garder
ses béquilles : "Et voilà la question réglée."
Flannery s'enorgueillissait de posséder les plus belles béquilles
métalliques du pays... (citations tirées d'un article horriblement
savoureux de Roger Grenier, Flannery
O'Connor ou le mystère du génie littéraire,
Le Monde, 12 janvier 1985).
- De 1951 à sa mort en 1964 : elle vit à Andalusia Farm,
un domaine familial, juste à l'extérieur de la ville de
Milledgeville, avec sa mère : l'une élevait des paons,
cygnes, poules faisanes, oies exotiques, l'autre du gros bétail,
des mules, des poneys shetland. Elles sont aidées par Louise et
Jack Hill, un couple de métayers noirs. C'est aujourd'hui un musée :
Sur la propriété, Hill
House est une ancienne habitation d'esclaves.
Son premier roman paraît en 1952. Regina, sa mère, n'est
pas vraiment un soutien dans sa création : "Au début
de ma carrière, j'ai eu le sentiment que je creuserais la tombe
de ma mère en écrivant comme je le faisais, mais je n'ai
pas tardé à découvrir que c'était vanité
de ma part. Les mères sont beaucoup plus résistantes que
nous ne le pensons." Sa mère reste étrangère
à sa création : elle lui donne à lire un nouveau
manuscrit et la trouve profondément endormie à la page 9.
Elle effectue ce qu'elle appelle des "expéditions
gagne-pain", pour boucler les fins de mois : conférences dont
certaines sur un même thème qui fait l'objet de plusieurs
moutures, remaniées en fonction du public : les principales ont
été publiées à titre posthume par Gallimard.
C'est justement dans un Festival de littérature qu'elle fait en
1962 la connaissance d'une écrivaine qu'elle avait lue, Eudora
Welty, autre écrivaine du Sud que nous aussi
avons lue récemment. Elles partagent le même humour mordant
et la connivence est complète quand Eudora raconte une anecdote
que Faulkner lui a récemment rapportée : l'une de ses
admiratrices, coiffeuse, lui avait envoyé par courrier une scène
d'amour et souhaitait recueillir son avis sur sa prose ; le "maître"
avait répondu en ces termes : "Mon chou, je ne l'aurais
pas écrite exactement comme ça mais continuez, vous êtes
bien partie" (relate la biographe Cécilia Dutter, Flannery
O'Connor, Dieu et les gallinacées, éd. du Cerf, 2016).
Tout au long de sa vie, elle a entretenu une énorme
correspondance, avec des personnes très variées, y compris
sa mère. Après sa mort, une sélection de ses lettres,
éditées par son amie Sally Fitzgerald, a été
publiée sous le titre L'habitude
d'être.
Place
de la religion dans sa vie, dans ses textes
Même lorsqu'il lui est devenu de plus en plus difficile de marcher,
Flannery O'Connor va à la messe presque tous les jours à
l'église catholique à Milledgeville :
En 1958, une vieille cousine entreprend d'emmener Flannery
à Lourdes, ce qui provoque cette réaction : "Je
ne compte pas me baigner. Je fais partie de ces gens qui consentiraient
à mourir pour leur religion plutôt que de prendre un bain
pour elle." Elle précisera au retour : "J'ai prié
pour le roman auquel je travaillais à l'époque, pas pour
mes os dont je me soucie moins."
À Rome, elle sera bénie par le Pape Pie XII. Elle ira aussi
à Milan et Lisbonne. A Paris, elle rencontrera Gabrielle Rolin
avec laquelle elle entretient une amitié épistolaire de
longue date, et qui traduira ultérieurement l'ensemble de sa correspondance.
De ce voyage elle dira : "Nous sommes allées
en Europe et j'ai survécu, mais mon aptitude à rester chez
moi a maintenant atteint un point de quasi perfection, je pense que cela
va m'être utile jusqu'à la fin de mes jours. Je n'ai pas
trop souffert des foules, mais tout était trop rapide. Les béquilles
ont été un atout formidable : dans tous les avions, on me
faisait passer en premier."
On peut être surpris par l'absence relative de
catholiques dans son uvre. Quand ils apparaissent, ils sont ignorants,
grossiers. O'Connor présente des protestants, persuadés
qu'ils ont "la Sagesse dans le sang", titre de son premier roman
: Hazel, le héros de ce roman, refuse Dieu, mais fonde la secte
nouvelle de "l'Église-sans-le-Christ" et, sous couvert
de moralisme, donne libre cours à ses instincts.
Maurice Edgar Coindreau, son premier traducteur, qui la "découvrit"
pour Gallimard, est l'auteur d'une étonnante
introduction à son roman La
sagesse dans le sang, fondée sur une documentation que
lui a en partie fournie Flannery elle-même ; elle s'ouvre ainsi
: "En présentant La sagesse dans le sang au public
français, je ne me dissimule pas létendue de ma responsabilité
ni les risques auxquels jexpose Miss Flannery OConnor. Il
ne sagit pas, en effet, dun ouvrage où de simples innovations
de technique menaceraient de rebuter les lecteurs enclins à la
paresse. Nulles audaces ny pourraient effaroucher les prudes. Le
récit est nerveux, mené bon train ; lhorreur sy
mêle agréablement au comique, et linattendu tient sans
cesse lesprit en éveil. Lennui, par suite, nest
pas à craindre. Le danger est ailleurs, dans la nature même
du sujet, et le lecteur français serait dautant plus excusable
de se méprendre sur la signification de La sagesse dans le
sang quil ignore tout ou à peu près
du milieu dans lequel se déroule cette étrange histoire.
En effet, les évangélistes, faune toujours burlesque, parfois
tragique et souvent dangereuse, ne figurent pas dans notre cheptel national
; aussi, certains lecteurs seront-ils tentés de crier à
linvraisemblance et, peut-être même, de prêter
à Flannery OConnor des intentions sacrilèges et blasphématoires
quelle na pas. Car Miss OConnor est profondément
religieuse".
Flannery O'Connor avait lu Bernanos, Léon Bloy, François
Mauriac, mais aussi Teilhard de Chardin.
"J'écris comme je le fais parce que je suis catholique
et non bien que je le sois. C'est ainsi. Il n'y a pas à tortiller.
Mais je suis une catholique particulièrement concernée par
la conscience moderne, ce phénomène que Jung décrit
comme solitaire, coupable, échappant à l'histoire."
Le Clezio évoque la dimension religieuse dans son article "L'univers
de Flannery O'Connor", La Nouvelle Revue Française,
n° 153, septembre 1965, qui commence par ces mots : "Pour
l'être religieux, il y a pire que l'athée : c'est le faux
prophète".
Voyons un article dans la prestigieuse revue jésuite : "Flannery
O'Connor : la nouvelle comme parabole", Marie Liénard,
Études, n° 5, 2005, p. 657-666.
Ne lésons pas, au profit de Dieu, les amis des bêtes : "Le
cri du paon dans la gueule du dragon : les autres voix dans les nouvelles
de Flannery OConnor", Claudia Desblaches, Cahiers de
littérature orale, 2014.
Et quand "Amen" et les paons se rejoignent... : "Pour
déployer sa queue, le mâle se secoue violemment jusquà
ce quelle souvre telle une corolle autour de lui. Puis, avant
même quon lait vu faire, il pivote sur lui-même
pour ne plus montrer que son dos. Certains croient voir là une
insulte, dautres une lubie. Lexplication est simple à
mes yeux : cest que le paon est aussi satisfait des deux côtés
de sa personne. Quand le paon se présente de dos, le spectateur
essaie souvent de le contourner pour lobserver de face, mais le
paon continue à pivoter, si bien que cest impossible. La
seule chose à faire est de ne pas bouger et attendre quil
se retourne de son plein gré. Quand il le veut bien, il vous fait
face. Alors vous pouvez voir, auréolés sous la voûte
vert-bronze qui lencercle, toute une constellation de soleils qui
dardent sur vous leurs flammes.
'Amen ! Amen !' sest écriée un jour une vieille
femme noire, et jai souvent entendu des exclamations analogues à
cet instant où linadéquation du langage humain est
flagrante. Certains sifflent, dautres pour une fois se taisent.
Un camionneur qui conduisait un chargement de foin a lancé en voyant
un paon pivoter sous ses yeux au milieu de la route : 'Zyeutez-moi
ct enflé là !', freinant
si brutalement quil a failli renverser sa cargaison de foin. Un
paon qui fait la roue na jamais bougé dun pouce devant
un camion, un tracteur ou une voiture. Cest au véhicule de
lui céder le pas. Aucun des miens ne sest jamais fait écraser."
Découvrir la personne de Flannery
Un article permet vraiment
de l'imaginer, tout en tissant le lien avec l'uvre : "Flannery
O'Connor : Un paon pour ange gardien", Marie-Claire Pasquier,
Les cahiers du GRIF, n°39, 1988, "Recluses
vagabondes", pp. 39-48.
RADIO : des émissions qui valent la peine |
La plus longue et la plus ancienne, rediffusée
dans les Nuits de France Culture : "Une
saison en enfer avec Flannery O'Connor", 19 février 1982,
1h29.
L'émission commence par la lecture de la première nouvelle
que nous lisons. Le témoignage de Gabrielle
Rolin qui a connu Flannery est formidable, notamment le portrait qu'elle
en fait. Hector Bianciotti intervient également.
Le plaisir de la lecture de ses textes
: "Quand
Flannery O'Connor décrit le grotesque de la nature humaine",
Ça peut pas faire de mal, Guillaume Gallienne, France Inter,
26 octobre 2013, 47 min.
Ne pas manquer le premier texte sur les paons ! De nombreuses lectures
qui permettent d'élargir l'expérience de la lecture des
nouvelles que nous lisons.
Le plaisir de découvrir Flannery
par deux de ses biographes passionnées :
"Flannery
O'Connor", Matthieu Garrigou-Lagrange, La Compagnie des uvres,
France Culture, trois émissions d'une heure, 11 au 14 septembre
2017 :
- 1er épisode qui vaut la peine : "L'habitude
d'être" (allusion à son livre L'habitude
d'être), avec Cécilia Dutter, auteure une biographie
au titre évocateur, Flannery O'Connor, Dieu et les gallinacées,
éd. du Cerf, 2016.
4e de couverture : L'Amérique. Le Sud. Les
Blancs, les Noirs et comme un goût d'Apocalypse. C'est dans
ces lieux âpres et retirés que se déroule la vie
de Flannery O'Connor (1925-1964), écrivain parce que catholique,
catholique parce qu'écrivain. Avec cette biographie littéraire, Cécilia Dutter nous fait entendre la voix d'un auteur qui disait "crier pour que les sourds entendent", et jette une lumière inédite sur cette femme qui aura lutté sans faiblir contre la maladie. Ce combat quotidien et sa foi sans faille lui feront écrire des romans et des nouvelles dont les titres en disent long sur l'existence : Les braves gens ne courent pas les rues, La sagesse dans le sang, Et ce sont les violents qui l'emportent, Mon mal vient de plus loin... |
|
Mais la grâce et le rire sont
là, toujours, nécessaires, mystérieux, et ce
sont eux qui donnent aux textes de Flannery leur singularité,
une grandeur qui la place à la hauteur d'un Dostoïevski
ou d'un Bernanos. Auteur d'une dizaine d'ouvrages, Cécilia Dutter est un écrivain qui compte. Son roman Lame de fond (Albin Michel, 2012, Prix Oulmont de la Fondation de France) et son essai sur Etty Hillesum (Robert Laffont, 2010) ont été des succès critiques et de librairie. Elle a tenu pendant deux ans une chronique très suivie dans le journal La Vie. |
|
Présentation vidéo par l'auteure du livre et de Flannery O'Connor, sur le site de l'éditeur, 5 min |
- 2e épisode très intéressant : "Une lettre à la mère" (allusion à sa correspondance), avec Geneviève Brisac, auteure d'une biographie intimiste de Flannery O'Connor, Loin du Paradis, initialement parue chez Gallimard en 1991 et rééditée aux éditions de l'Olivier en 2002.
4e de couv : "Toute sa vie elle explique
quelle est avant tout une catholique, exilée au milieu
des évangélistes sudistes, et une Sudiste, exilée
comme les autres, parce quils ont perdu la guerre. Double exil,
comme les deux droites qui forment angle de vue, double foyer optique
pour percevoir la réalité distordue, grotesque, baroque,
et magnifique des gens du Sud." Flannery OConnor (1925-1964) est considérée comme le plus grand écrivain du Sud depuis Faulkner. Son uvre brève et intense cinq ouvrages de fiction, un recueil dessais et un volume de correspondance est pourtant méconnue en France. |
|
En mêlant sa propre voix à celle de Flannery OConnor, Geneviève Brisac nous rend infiniment proche cette femme qui consacra sa vie à scruter le mystère de la Grâce et la folie des murs, sans jamais perdre son sens de lhumour. |
- 3e épisode, moins intéressant : "Flannery à la folie", avec Guy Goffette, auteur de la préface à l'édition Quarto en 2009 des uvres complètes de Flannery O'Connor (2009) et Jean Rolin (dont nous avons lu deux de ses livres) qui a écrit Savannah, un voyage sur les traces de Flannery O'Connor (2015) ; il était le compagnon de la photographe Kate Barry, fille de Jane Birkin et du compositeur John Barry, et il refait après sa mort le voyage déjà fait avec elle (voir quelques photos ici et là l'expo qui lui fut consacrée, avec pour titre un des livres de Flannery, The Habit of being).
VIDÉOS et DIAPORAMAS en anglais |
- Une biographie
illustrée, 11 min.
- Un film documentaire récent : Flannery
the storied life of the writer from Georgia, de Elizabeth Coffman
et Mark Bosco, 2019 : en ligne, juste la
bande annonce ici.
- Un documentaire en ligne : Flannery
O'Connor documentary, 2004, 20 min.
- Uncommon
Grace: The Life of Flannery O'Connor, de Bridget Kurt, site PBS
(Public Broadcasting Service), 2017, 58 min.
- La voix de Flannery O'Connor qui lit en 1959 la première nouvelle
de notre livre : "A
Good Man Is Hard to Find", 37 s.
QUI A DÉCOUVERT EN FRANCE Flannery O'Connor ? |
Comment le livre de Flannery O'Connor que nous lisons,
publié en 1955 à New York, arriva-t-il jusqu'à nous...
?
C'est grâce au grand traducteur Maurice
Edgar Coindreau, dont Sartre disait : "La littérature
américaine, c'est la littérature Coindreau."
Il a alors découvert William Goyen et traduit pour Gallimard La
Maison d'haleine en 1954 et Le
Fantôme et la chair en 1956, alerte alors l'éditeur
: "Si cette faune vous plaît tellement, vous devriez lire
Flannery O'Connor : il y a des évangélistes dans tout ce
qu'elle écrit et les portraits qu'elle trace vous enchanterait".
L'éditeur acquiert aussitôt les droits de Wise Blood
de Flannery O'Connor, roman publié en 1952.
On est en 1956 et Coindreau se réjouit qu'un contrat ait été
signé pour Wise Blood et demande à Dionys
Mascolo (directeur du service des droits étrangers à
la NRF et par ailleurs mari de Marguerite Duras) de s'assurer également
des droits de A Good Man is Hard to Find, ce recueil où
l'on trouve "les meilleures nouvelles écrites ces dernières
années", paru aux États-Unis en 1955. Mascolo suit
ses recommandations et, tandis que Coindreau s'occupe personnellement
de la traduction de Wise Blood, Michel
Mohrt (en charge des traductions et du domaine anglo-saxon de Gallimard),
se met en quête d'un traducteur pour les nouvelles. Dès juin
1957, il propose en prépublication la nouvelle "A Good Man
is Hard to Find" ("Les Braves gens ne courent pas les rues",
alors traduit par "On ne peut se fier à personne") à
La Revue de
Paris. Jugée "un peu trop macabre pour les lecteurs
de cette estimable revue", selon les termes de Michel Morht,
la nouvelle est refusée. Ce qui n'entame en rien la détermination
de l'éditeur à publier une uvre "peut-être
un peu 'osée', mais assez typique d'une jeune littérature
américaine". Maurice Edgar Coindreau prendra cependant
le soin d'écrire une introduction
à l'édition française de Wise Blood : confiant
dans la qualité littéraire d'un récit où "l'horreur
s'y mêle agréablement au comique", il craint en
revanche qu'un malentendu avec le lectorat français, peu au fait
des particularités de la société du vieux Sud américain,
ne desserve à la fois le livre et son auteur.
Le 31 janvier 1959, Flannery O'Connor écrit avoir "reçu
des nouvelles de M. Coindreau" à ce sujet (son traducteur
était entré en contact avec elle par l'intercession de la
romancière Caroline
Gordon, épouse du poète Allen
Tate rencontré à l'université de Princeton où
Coindreau était professeur) : "Il dit que je ne dois pas
m'en faire pour l'introduction. Ce qu'il lui faut, c'est une sorte d'article
qu'il espère écrire et publier avant la sortie du livre
traduit. Il s'agit de présenter les évangélistes
et les prêtres itinérants, de montrer le rôle qu'ils
jouent dans le Sud et dans la littérature américaine [
]
Il vient ici le 1er avril pour parler de ces questions avec moi. Je me
demande ce que je vais faire d'un vieux monsieur français pendant
quelques jours." C'est ainsi qu'en avril 1959 Coindreau se rend
à Andalusia, le domaine familial où Flannery vit le plus
souvent recluse en raison de la maladie qui l'emportera en 1964. Elle
lui confie à cette occasion la documentation qui lui permettra
d'écrire la fameuse introduction qui vaut vraiment la lecture (ici)...
"Les Français portent Erskine
Caldwell aux nues, peut-être m'aimeront-ils donc aussi, si la
traduction est assez infidèle", écrivait Flannery
O'Connor à ses amis Sally et Robert Fitzgerald en 1955.
Le roman paraît sous le titre La
Sagesse dans le sang en novembre 1959. Il sera non seulement bien
reçu, mais le succès critique en France contribuera aussi
à la notoriété du roman outre-Atlantique, où
il fut plutôt mal accueilli à sa parution en 1952 : "M.
Coindreau, le traducteur de La
Sagesse dans le sang, vient de passer quatre jours avec nous. Il
a apporté des comptes rendus des journaux français, une
pleine page dans L'Observateur, illustrée de la photo de
Billy Graham.
On y parle de mon livre et de celui de Nelson Algreen (La
Rue chaude) ; je m'en tire mieux que lui
" observe Flannery
O'Connor en 1960 (d'après un document
sur le site de Gallimard ; voir aussi un portrait
de Coindreau à sa mort ici).
Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme
au rejet :
|
||||
à
la folie
grand ouvert |
beaucoup
¾ ouvert |
moyennement
à moitié |
un
peu
ouvert ¼ |
pas
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