Quatrième de ouverture : Jai voulu y croire, jai voulu rêver que le royaume de la littérature maccueillerait comme nimporte lequel des orphelins qui y trouvent refuge, mais même à travers lart, on ne peut pas sortir vainqueur de labjection. La littérature ne ma pas sauvée. Je ne suis pas sauvée.
(voir article des Inrocks ou de Livres Hebdo) La revue de presse sur le site de l'éditeur =>ici
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Neige Sinno (née en 1977 à Vars)
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Nos 15 réactions
au livre |
Claire
Je me pose la question suivante avant de commencer : allons-nous bien
parler du livre ?...
Jérémy
Ah oui ! Et non pas faire un débat de société...
Monique
L(avis
transmis)
(Je n'ai pas pris le temps de relire Triste tigre. Mon avis date
donc de décembre 2023, il y a bientôt un an)
Au départ, je n'avais pas envie de le lire ce livre parce
que j'avais l'impression d'avoir déjà pas mal lu sur l'inceste
ou la pédocriminalité, mais les critiques soulignaient
sa différence par rapport aux autres livres sur le sujet.
Il s'agit d'un livre de questionnements, à la fois sur son projet
d'écriture et surtout sur l'inceste sous tous ses angles :
de la prise en charge par la société, de son impact sur
les relations familiales et de voisinage ou des répercussions traumatiques
à vie pour la victime.
Elle s'efforce d'approcher ce qui a poussé son violeur à
commettre un tel acte, alors qu'en apparence c'est une personne incapable
de commettre même en pensée de tels actes, mais les a commis.
Elle constate son impuissance à le cerner objectivement.
Elle tente alors son portrait d'enfant, tout aussi irréalisable
parce qu'il renvoie aux questions de l'innocence et du consentement, mais
surtout parce que cet enfant n'existe qu'au travers du regard et du désir
de l'agresseur.
Elle analyse les témoignages en faveur de son bourreau durant le
procès.
Elle se réfère à d'autres pervers, bourreaux, criminels
de l'Histoire, qui ont commis des actes impensables ; pourtant ces
gens fascinent, intéressent.
Elle questionne les écrits d'autres auteurs sur le sujet, notamment
Lolita de Nabokov mais aussi Christine Angot, Toni Morrison, Virginia
Woolf, Camille Kouchner, Emmanuel Carrère, des rescapés
de la Shoah ainsi que les sciences sociales et des avis d'experts. Quelques
coupures de presse et lettres sont insérées dans ce récit.
L'auteur dit que la littérature ne l'a pas sauvée, juste
accompagnée et consolée, éclairée.
Dans "Fantômes", elle se demande comment vivre avec le
trauma, refaire sa vie ? "Il
n'existe pas un soi non-dominé, un équilibre auquel on pourrait
retourner une fois la violence terminée".
Comment transcender le mal dans la douceur et non dans un nouveau mal ?
C'est un texte littéraire, lucide, intelligent, bouleversant de
sincérité et qui ne donne pas l'impression d'être
voyeur.
Malgré de bons moments de lecture, je me suis lassée par
des redites. Je pense que plus ramassé, ce livre aurait pu me plaire.
J'ouvre à moitié.
Sabine(avis
transmis en transit)
Je m'envole pour Marrakech et donne mon avis sur le récit de Neige
Sinno, que j'avais lu avec "plaisir" à sa sortie.
C'est un livre essentiel, moins agressif que du Christine Angot, bien
écrit et très intéressant par toutes les pistes que
la narratrice explore. Elle s'interroge avec lucidité sur les comportements
des uns et des autres : les agresseurs qui se déjugent, flirtent
avec la mauvaise foi et le déni, les victimes qui furent peu épaulées,
les parents qui n'ont rien vu, les amis, les aidants qui tendront la main
ou la parole salvatrice. On a envie de comprendre comment la génération
(des sex/septuagénaires) a, sous couvert d'émancipation,
permis de tels dérapages.
Et puis, il y a toute cette réflexion sur ce que la littérature
peut apporter : j'ai beaucoup apprécié ces constantes références
à des uvres cultes (Lolita, entre autres) qu'il faudrait
relire. L'écriture s'impose à la fois comme un moyen (moyen
de coucher la souffrance, de la comprendre car c'est parce qu'on parle/écrit
que l'on pense, et non l'inverse). L'écriture est aussi une fin
en soi = s'établit un aller-retour entre l'auteur et son uvre.
Elle a transformé les mots en idées, ces idées l'ont,
à leur tour, transformée. Il en est de même pour nous,
lecteurs.
C'est donc un livre que j'ouvre en grand.
PS J'aimerais découvrir une uvre d'imagination de Neige Sinno
: quelqu'un peut-il conseiller un titre ?
Renée(avis
transmis de Narbonne)
J'ai trouvé la construction du livre un peu désordonnée.
C'est pas super bien écrit.
MAIS l'auteure a une analyse excessivement fine des événements,
de la psychologie de son violeur, du personnage de Lolita, et de la petite
fille qu'elle était.
J'ai été troublée et prise de pitié pour cette
enfant.
Elle n'élude aucune question, aucune réponse.
On sent l'ignominie du personnage qui lui rappelle que des écrivains,
des artistes "aiment" des enfants, sous-entendu : "je
suis un être supérieur", comme eux.
C'est horrible lorsqu'elle raconte qu'il veut qu'elle ait un orgasme,
donc elle simule pour que ça finisse plus rapidement. "La
plupart des pervers se racontent à eux même que ce qu'ils
ressentent et ce qu'ils font a son origine dans de l'amour"
(cf. le début de Lolita). Elle explique p. 47 que les hommes
la regardent parce qu'ils la sentent vulnérable... la pauvre gamine
les défie du regard et sa peur est prise pour de la provocation.
Quand elle écrit "ça pourrait toujours être
pire" pour le jury (p. 67) !!! C'est l'horreur absolue quand
elle voit dans la poubelle les carottes et autres légumes destinés
à lui assouplir les sphincters.
Elle ose avouer qu'elle se sent trahie par le fait qu'il ait des maîtresses
(est-elle anormal ?). C'est parce que dans son for intérieur,
elle croit qu'il l'aimait malgré tout ; p. 170, elle a envie d'être
pénétrée "par
curiosité" et "pour
être sûre que ce qu'il me faisait vivre était bien
un viol" d'où joie ????? Neige OSE TOUT écrire,
je trouve cela excessivement courageux.
"La littérature
ne m'a pas sauvée. Je ne suis pas sauvée"
: phrase poignante.
J'ouvre en grand.
Clarisse (avis
transmis)
Triste Tigre est une autobiographie, pas un roman, et cela rend
difficile d'avoir un avis critique sur l'écriture du livre. Le
lecteur ne peut être que touché par l'histoire de Neige Sinno
et la manière dont elle a voulu protéger ses frères
et surs en dénonçant son beau-père. Il est
très frustrant de lire que les victimes ne s'en sortent pas selon
elle, mais qu'elles continuent de vivre les horreurs, pour moi qui travaille
en protection de l'enfance. J'étais sceptique sur le fait qu'elle
n'ait pas suivi de psychothérapie, je pense sincèrement
que cela l'aiderait, d'une façon ou d'une autre. Au début,
j'ai lu le livre d'une traite et ensuite la lecture est devenue difficile.
J'y allais à reculons, tant le sujet était lourd à
porter. La description du poids du traumatisme m'a fait directement penser
à L'écriture
ou la vie de Semprun : pour parler de l'horreur il faut l'avoir
traversée. Cependant, l'écriture de Neige Sinno est très
orale et ne semble pas avoir de valeur littéraire. Elle se questionne
tout au long du livre sur pourquoi elle écrit un livre sur l'inceste
alors que ce sujet a été déjà traité,
qu'elle ne le fait pas pour elle et que le point de vue de la victime
n'est pas intéressant, et même à la fin du livre je
n'ai pas la réponse. Je ne sais pas quoi en penser finalement.
J'ouvre à moitié.
Ce récit a cependant le mérite de m'avoir donné envie
de lire Lolita
de Nabokov, que je n'ai jamais lu, je ne sais pas ce que le groupe en
pense. Pourrait-il figurer dans nos prochaines lectures ?
Réactions
:
- je l'ai lu déjà, je n'ai pas envie de le relire
- je ne l'ai pas lu, j'aimerais le lire
- je l'ai lu déjà et l'ai adoré,
je me demande si j'ai envie de le relire
- je l'ai lu déjà, je serais intéressée de
le relire à la lumière de ce que Neige Sinno en dit
- il y a justement eu un documentaire sur l'histoire de la réception
de Lolita,
formidable : Lolita,
méprise sur un fantasme.
Pour l'instant, nous restons en suspens.
Claire
Si
Renée avait été là, j'aurais réagi
à la phrase suivante : "C'est pas super bien écrit".
Ce serait quoi "bien écrit", Renée ?
Si Sabine avait été
là, j'aurais réagi à la phrase suivante
: "On a envie de comprendre comment la génération
(des sex/septuagénaires) a, sous couvert d'émancipation,
permis de tels dérapages." Je lui aurais
fait remarquer, que contrairement à l'environnement de Matzneff
pour Le consentement de Vanessa Springora, il n'y a aucun adulte
défendant la liberté sexuelle avec les enfants et donc je
ne comprends pas sa remarque.
Si Clarisse avait
été là, j'aurais réagi à la phrase
suivante : "Triste Tigre est une autobiographie, pas
un roman, et cela rend difficile d'avoir un avis critique sur l'écriture
du livre" : pourquoi Clarisse ?
Odile(avis
transmis de Dijon)
J'avais lu Triste tigre il y a un an et c'est pour moi "un
livre grand ouvert" : avis fait d'admiration pour l'intégrité
et la lucidité de l'auteure, son esprit d'analyse,
sa façon de se resituer dans l'histoire des femmes et de la domination,
mais aussi, par ailleurs, par la justesse de ton de toutes ses réponses
dans les interviews.
Catherine entre et
J'ai lu ce livre au moment de sa parution
à peu près donc ik y a environ un an. Je l'ai lu un peu
à reculons en raison du sujet (j'avais déjà lu plusieurs
livres sur le viol et l'inceste dont Le consentement de Vanessa
Springora que j'avais bien aimé d'ailleurs), mais les critiques
avaient suscité mon intérêt. Je n'ai pas vraiment
eu le courage de le relire, je l'ai juste un peu feuilleté cette
semaine. Au moment de ma lecture, il m'avait marquée et j'en ai
gardé un souvenir assez précis.
Je l'avais d'une part trouvé très intéressant et
d'autre part sa forme m'avait paru originale. Le livre est difficile à
étiqueter, il ne se limite pas à un témoignage. C'est
quand même un récit autobiographique, mais l'auteure nous
avertit à plusieurs reprises sur le fait que ce qu'elle dit ne
reflète pas forcément l'exacte vérité, c'est
sa vision à elle. Elle se questionne tout au long du livre sur
sa démarche, elle va au bout de sa réflexion, elle cherche
sa vérité, elle a un objectif, même si on a parfois
l'impression de redites. Ça a soutenu mon intérêt
tout du long.
C'est aussi une réflexion plus large sur l'emprise, sur la domination,
la violence, la résilience, la personnalité des auteurs
de crimes sexuels. Il en ressort l'idée que ces abus sont commis
lorsque des hommes apparemment normaux ont tout simplement la possibilité
d'exercer leur emprise sur un être vulnérable sans conséquence
dommageable pour eux même. "Ils violent parce qu'ils le
peuvent" a fini par conclure un historien spécialisé
dans les guerres mondiales. C'est tout à fait ce que l'on constate
en ce moment.
Beaucoup de choses m'ont frappée dans ce livre, entre autres vers
la fin ce qu'elle dit sur sa fille, lorsqu'elle s'interroge sur sa possibilité
de franchir une limite, ce qu'elle ne fait pas. Son interrogation perpétuelle
aussi, lorsqu'elle se demande en croisant un homme dans un square si c'est
un violeur. Elle est marquée à jamais par ce qu'elle a subi
même si elle est résiliente et a construit sa vie. J'ai aimé
l'écriture, sans pathos.
Neige Sinno évoque aussi le rôle de l'écriture qui
ne l'a pas libérée, contrairement à une idée
assez répandue sur son pouvoir cathartique. Elle se réfère
aussi à d'autres auteurs, victimes d'abus sexuels, Virginia Woolf,
Toni Morrison, Virginie Despentes, Christine Angot entre autres. Elle
parle aussi de Nabokov ; j'ai été étonnée
de sa vision de Lolita et du fait que le livre dénonce les
abus sexuels qu'elle subit. Ça m'a donné envie de le lire.
Je n'oublierai pas ce livre. Je l'ouvre aux ¾, presque en grand.
Jérémy
Avant la lecture : J'avais entendu parler de ce livre et de son
auteure au moment où il avait été publié,
notamment parce qu'il avait reçu de nombreux prix. J'avais bien
aimé les interviews que j'avais entendues de Neige Sinno, elle
m'avait toujours semblé d'une grande finesse et d'une grande intelligence.
Pour autant, je n'avais pas envie de lire ce livre. En ayant beaucoup
entendu parler, j'avais déjà un peu l'impression de l'avoir
lu avant de l'ouvrir. Par ailleurs, j'ai l'impression que l'actualité,
littéraire ou l'actualité tout court, est saturée
des thèmes du viol, qu'il soit sur mineur ou pas, et de l'inceste.
Je n'ai pas envie de retrouver ce que je peux lire à longueur de
pages dans les journaux ou entendre dès que j'allume la radio lorsque
j'ouvre un livre. J'ai besoin de m'échapper au contraire, j'ai
envie d'un ailleurs. Enfin, ma maxime en matière de lecture étant
"La vie est trop courte pour lire les ouvrages qui n'ont pas subi
l'épreuve du temps", je ne pouvais pas me retrouver dans
cet ouvrage.
Après la lecture : Malheureusement l'a priori négatif
que j'avais sur le livre n'a pas été démenti à
la lecture. Je l'ai lu comme un témoignage/ essai, et pas comme
un roman qu'il n'est pas bien sûr. Aussi n'ai-je pas prêté
une attention particulière au style, ou disons que je l'ai abordé
sans trop exigence en la matière. Pour autant, la première
phrase est pour le moins décontenançante et ne brille pas
par son élégance et sa fluidité : "Car
à moi aussi, au fond, ce qui me semble le plus intéressant,
c'est ce qui se passe dans la tête du bourreau."
Car ? On s'attendrait à ce qu'il y ait une antériorité
que le "car" viendrait expliquer, mais non. À moi aussi ?
Qui sont les autres ? Ce qui... c'est ce qui... : on a vu plus digeste
pour commencer. Pour suivre en deuxième page, trois phrases qui
commencent par "Et". Bref, on va vraiment faire l'impasse sur
le style.
Claire
Comme Jérémy est - hélas - le seul homme de
la soirée, le seul à ne pas du tout aimer le livre, le seul
à avoir un avis écrit après la soirée très
très très long, je me permets de le couper, toujours après
la soirée, pour laisser répondre Neige Sinno sur la première
phrase :
Vous lavez sans doute remarqué, le texte commence par une phrase qui inclut la mention de me too : moi aussi, mais ce nest pas pour dire moi aussi jai été victime, cest pour affirmer que moi aussi ce qui me fascine cest la violence, cest le monstre : "Car à moi aussi ce qui me semble le plus intéressant cest ce qui se passe dans la tête du bourreau".
Jérémy
Je
n'avais pas du tout, mais alors pas du tout remarqué, bêta
que je suis, qu'elle faisait allusion à me too dans la première
phrase du livre !
Claire
À vrai dire moi non plus !... Mais j'apprécie beaucoup sa
façon de commencer in medias res, nous émergeant
immédiatement dans son monologue.
Jérémy
J'ai également eu beaucoup de mal avec la construction. J'ai trouvé
le tout assez fouillis et répétitif. Claire a dit que c'était
un sillon qu'elle creusait sans cesse. Oui, c'est sûrement ça.
Sauf que moi j'ai touché le fond assez vite. J'ai l'impression
qu'elle répète toujours la même chose mais avec d'infimes
variations. C'est vrai que dans la veine psychologique, psychanalytique
et auto-analysante, on ne peut pas lui reprocher de ne pas aller au bout
de son sujet, mais il y en a d'autres qu'elle n'aborde que peu et qui
m'auraient pourtant intéressé : ses relations avec ses frères
et surs et l'impact de ce qu'elle a subi sur celles-ci, l'attitude
de sa mère au moment où elle a su et l'impact également
sur leur relation, le procès, l'attitude des "institutions"
qui n'ont rien vu lorsqu'elle était enfant, etc. J'ai l'impression
qu'elle ressasse beaucoup. D'ailleurs il me semble qu'elle le dit elle-même
à un moment dans le livre : elle n'arrive pas à en sortir,
à s'en sortir, elle y revient toujours. C'est bien évidemment
éminemment compréhensible. Mais le fait qu'elle m'entraîne
aussi dans cette spirale en tant que lecteur et que j'aie moi aussi l'impression
d'être pris dans des sables mouvants dont je n'arrive pas à
sortir est plus ennuyeux.
Sur le fond, j'ai été très gêné par
plusieurs passages. Page 165, elle évoque les violeurs en utilisant
le terme "Cette identité
de monstre qu'ils rejettent tous ensuite". À mon
sens, les qualifier de monstres, c'est leur dénier toute humanité,
les exclure du royaume des hommes. Pour moi c'est très problématique
car cela revient à considérer qu'ils ne sont pas faits de
la même "glaise" (elle utilise ce terme à un autre
endroit) que nous. Or je pense au contraire que leur cruauté, leur
perversité, leur sadisme, font partie intégrante de notre
humanité. D'une certaine manière, c'est trop facile de les
qualifier de monstres, cela revient à jeter un voile pudique sur
ce qu'il y a de plus sombre en nous, qui peut s'exprimer ou pas, mais
qui sommeille tout de même en chacun de nous. C'est aussi problématique
car si ce ne sont pas des hommes, ils ne peuvent pas être jugés
comme tels.
Claire
Il n'y a pas exclusion de l'humanité. Le monstre n'est pas le seul
bourreau : "La victime
de viol est un monstre de souffrance, de
solitude et de haine". Et le
dernier paragraphe du livre commence ainsi : "Cest
un monde où victime et bourreau sont réunis."
Jérémy
Je m'insurge sur le fait de mettre sur le même plan et donner le
même sens au substantif tout court et au substantif + de + défaut,
qui pourrait alors être remplacé par "un amas de",
"un tas de", "un parangon de", "une boule de
", etc. Bref !
Par ailleurs, page 183, elle dit également clairement qu'elle aurait
préféré qu'il se suicide : "Comme
je l'ai dit, qu'il se donne lui-même la mort m'aurait semblé
une solution plus juste que des années de prison."
Qu'elle ne souhaite pas le meilleur à l'homme qui l'a violée
pendant des années, c'est bien compréhensible. Là,
c'est autre chose. Cela me semble qui plus est paradoxal car il y a un
autre passage dans le livre dans lequel elle explique qu'elle est moralement/philosophiquement
opposée à la prison et qu'elle aurait préféré
une obligation de soins, laquelle n'a d'ailleurs pas été
prononcée. Elle aurait préféré une obligation
de soins mais en même temps elle souhaite la mort du criminel. Difficile
à saisir comme position.
Page 202 : En évoquant le fait que son beau-père ait refait
sa vie, qu'il se soit marié, ait eu d'autres enfants et ait ouvert
une ferme pédagogique avec sa nouvelle femme : "La
loi ne peut pas les en empêcher (avant la prison on est considéré
innocent, après la prison on a purgé sa peine et on est
donc, comme par l'opération du Saint-Esprit, considéré
à nouveau comme innocent." On sent quand même,
par le ton ironique pour ne pas dire sarcastique qu'elle emploie dans
ce passage et dans tout ce qui précède, que ça la
gêne, qu'avant on soit considéré comme innocent. Cela
la gêne peut-être, et je peux le comprendre de là où
elle est, mais la présomption d'innocence c'est ce qui nous protège
tous, individuellement et collectivement en tant que société,
et c'est l'un des fondements de l'État de droit. Quand elle dit
qu'après la prison on est à nouveau considéré
comme innocent, c'est faux. Le crime qui a été commis n'est
pas effacé, il figure pour toujours sur le casier judiciaire, de
la même manière que la victime sera toujours victime et victime
pour toujours, comme Neige Sinno le dit elle-même. Pour autant,
cela signifie-t-il que le criminel, une fois sa peine purgée, doive
être exclu de la société, banni, exilé ? Que
faudrait-il faire de ces hommes qui n'auraient pas eu le bon goût
de se suicider ? On m'a dit que ce n'était pas son propos,
qu'elle ne "proposait" rien. Elle ne propose peut-être
rien (enfin si, le suicide), mais elle dessine tout de même une
solution en creux en détaillant ce qui selon elle est inacceptable,
indécent, injuste : que le criminel continue de vivre. Et à
vivre selon les mêmes termes qu'elle : en étant en couple,
en ayant des enfants. Après tout elle aurait très bien pu
ne pas aborder ce sujet : la peine prononcée et l'après.
Mais elle le fait, donc elle ouvre le débat. Et ce qu'elle souhaiterait,
en creux, c'est bien le bannissement social et pourquoi pas la castration
chimique pour ceux qui ne se seraient pas donné la mort.
Dans le passage qui précède, elle tourne en dérision
la foi de la femme de son violeur : "Elle
aussi, elle est à fond dans la religion. C'est peut-être
ce côté irrationnel, cette ferveur mystique, qui lui permettra
de lui pardonner quand elle apprendra ce qu'il a fait. Elle l'accepte
avec tout son être, tel que Dieu le lui envoie, avec son âme
de pécheur et sa quête de rédemption. [
] il
s'agit de cette jeune femme qui, par charité envers cet homme dont
elle est amoureuse, parvient à pardonner ceux qui l'ont offensée
et à dépasser les obstacles que le Seigneur a mis sur son
chemin pour qu'elle puisse prouver sa foi en Lui et en la vie."
On sent bien que cela lui est inaccessible et incompréhensible,
le pardon, la rédemption, que l'on puisse s'amender, changer. Là
encore, de là où elle est, on peut le comprendre et on ne
peut pas lui en vouloir de ne pas pardonner. Mais ce qui me gêne,
c'est que parce qu'elle a été victime, elle dénie
aux autres le droit et la possibilité de pardonner. Ou disons que
seule une folle de Dieu, une mystique qui n'a pas toute sa tête
et ne sait pas bien ce qu'elle fait, peut pardonner. Cela peut sembler
dérisoire mais elle me fait penser à ces enfants qui, dans
la cour de récréation, parce qu'ils ont été
victimes d'une injustice de la part de l'un de leurs camarades, montent
une cabale pour qu'il soit exclu par tous les autres. On ressent aussi
cette forme d'aigreur (je mesure à quel point le terme peut paraître
indécent au regard de ce qu'elle a subi mais je n'en trouve pas
d'autre) lorsqu'elle parle de ceux qui ont racheté la maison, à
vil prix, et dont on sent bien qu'elle les méprise, d'avoir indirectement
profité de ce qui lui est arrivé pour acquérir une
maison dévalorisée du fait des crimes qui y ont été
perpétrés. Maison dans laquelle ils ont qui plus est le
culot et l'indécence de se construire une vie de famille et leur
petit bonheur quotidien, alors qu'elle, elle y a tant souffert. Mais comment
peuvent-ils ?
Pour toutes ces raisons, je n'ai pas (du tout) aimé ce livre et
je le ferme donc en grand.
Brigitte(à
l'écran)
C'est un avis très positif sur ce livre hors norme. Est-ce un témoignage
? Ou bien un essai?
J'en retiendrai qu'il existe un réseau quasi-invisible composé
de tous ceux qui ont réussi à surmonter une épreuve
effroyable (viol, torture
) et à rejoindre une vie "normale
". Ils se reconnaissent lorsqu'ils se croisent. Leur préoccupation
est essentiellement de s'attaquer aux obstacles rencontrés par
ceux qui vivent au fond de l'enfer dont ils ont réussi à
s'extraire.
J'ouvre aux ¾.
Claire
Avant ou autour de la lecture : J'ai lu sur "le sujet"
en 2020 Le
consentement de Vanessa Springora que j'ai trouvé remarquable.
Par son ton, sa composition, son écriture et son enjeu. Certes
le contenu dépasse la dimension littéraire. Mais je l'ai
considéré avant tout comme une uvre.
Ici,
il en va de même pour ce livre. Que je ne voulais pas lire quand
il est sorti en raison de son "sujet". Mais la litanie d'échos
sur sa qualité littéraire m'a convaincue a priori
que c'était un livre important. Je suis vraiment contente de l'avoir
lu dans le cadre d'un groupe "littéraire", plutôt
qu'un groupe "militant".
Je n'ai lu qu'un
livre de Christine Angot, pas uniquement centré sur l'inceste
: et contrairement à ces deux autres livres, l'auteure me gêne
par rapport à ses textes, alors que pour Springora et Sinno, leur
parole porte la littérature.
Si je considère mon expérience de lecture, je dois
ouvrir en très grand. Je trouverais des réserves dans une
phrase par ci, une image par là. Mais je trouve le tissage que
constitue ce texte comme une grande uvre. Je comprends que Monique
puisse dire que des redites l'ont lassée. Moi non, au contraire :
j'ai aimé ces spirales, ces sillons tracés, parcourus, reparcourus
autrement, cet entrelacement de sentiments, dont la colère, et
d'analyse ; j'ai aimé les sarcasmes (par exemple au sujet de la
fellation : "un
acte qui peut se pratiquer facilement, sans faire de bruit, qui ne laisse
pas de trace. Un bon rapport qualité-prix, on pourrait dire").
J'ai aimé l'aspect (en)quête. J'ai aimé qu'elle revienne
sur ses propos : "Voilà
des phrases bien pompeuses. Je me laisse emporter, là. Je ne devrais
pas faire de généralités, il y a tellement de chance
de se tromper." Et plus cruel pour elle-même,
qu'elle relativise les horreurs : "Ça
pourrait toujours être pire. Il ne me fait pas manger mes excréments,
il ne me force pas à le regarder décapiter des animaux",
sans parler de la Syrie ou de la Shoah qu'elle évoque. Plus d'une
fois dans la lecture, j'ai pensé que sa réflexion sur le
mal était illustrée par le procès
de Mazan.
J'ai aimé la réflexion sur la littérature en train
de se faire, la fiction/la non-fiction, la référence jamais
décorative à des auteurs.
J'ai aimé la voix. Je la suis, elle m'appelle. Je la suis dans
sa démarche, dans le texte où je marche.
J'ai été submergée par l'émotion quand elle
dit : "Moi aussi
j'ai mon foyer aujourd'hui. Je regarde tendrement ma fille et son père
marcher devant moi main dans la main sur un sentier. Vous savez maintenant
à quoi je pense volontiers et ce que je ne peux m'empêcher
d'imaginer."
Je trouve l'écriture dense, sèche et vibrante. Et le livre
est pour moi une grande uvre d'une femme que j'admire.
Fanny
Pour ce livre, je ne vois
pas comment je pourrais "ouvrir le livre". Je n'ai pas envie
de porter un jugement littéraire sur un livre qui va au-delà.
Je me suis d'ailleurs demandé si c'était "un-livre-pour-le-groupe-de-lecture"...,
mais à vous entendre je n'en doute plus.
Est-ce que j'ai eu un plaisir de lecture ? Non ! Est-ce
que j'attendais impatiemment de le retrouver avant de me coucher ?
Non.
J'ai trouvé la construction foutraque, avec beaucoup de longueurs
et de redites. Mais je pense que ces retours en arrière incessants
avec une mémoire très visuelle sont liés à
la mémoire traumatique. Cela m'a aussi fait penser à Semprun,
mais je trouve que L'écriture
ou la vie a une portée littéraire qui va bien au-delà.
Je n'ai pas trouvé le livre de Neige Sinno bien écrit, j'ai
trouvé son style assez maladroit. Mais quelle importance cela peut
avoir en regard de la portée de son témoignage ?
Je travaille dans la protection de l'enfance comme Clarisse et je l'ai
lu avec un regard lié au travail. Contrairement à la plupart
d'entre vous, je n'ai pas senti la distance dans son récit. J'aurais
envie de dire qu'elle écrit des choses très justes mais
ce serait absurde car il ne serait pas possible de prétendre le
contraire puisqu'il s'agit de son vécu. Alors je dirais plutôt
qu'elle écrit des choses très fortes, souvent difficilement
soutenables à la lecture. Mais sur ce point aussi qu'est-ce que
ce malaise à la lecture en regard de ce qu'elle a enduré
?
J'ai trouvé très intéressant ce qu'elle écrit
sur les enjeux de pouvoir dans la pédocriminalité. Et j'ai
apprécié qu'elle ose parler avec un langage cru, je trouve
courageux de ne pas édulcorer le récit des violences subies.
Il fallait oser écrire ce qu'elle dit sur les pipes, chapeau !
Annick L (à l'écran)
Je n'ai pas
envie d'évaluer ma réception de ce livre. Pour moi il est
inclassable. Quant à sa "portée littéraire"
je ne pense pas que ce soit important. Alors que je n'ai eu aucun doute
pour le livre
de Semprun.
En fait, je n'ai jamais lu de livre-témoignage sur ce sujet, sans
doute pour me protéger. Mais, malgré mon appréhension,
j'ai été happée très vite par la forme originale
qu'elle a choisie, en dialogue avec le lecteur, voire en l'interpellant,
et j'ai apprécié la distance qu'elle garde constamment.
La narratrice refuse de faire appel à notre compassion. Elle nous
entraîne plutôt dans une réflexion sur cette expérience
terrible, au fil d'une quête sincère et touchante pour trouver
l'angle juste. Et elle évite soigneusement tous les stéréotypes,
au plus près de sa vérité personnelle. C'est remarquable
!
Neige Sinno a eu "la chance" que sa mère finisse par
l'accompagner quand elle a porté plainte et que son beau-père
a reconnu les faits. Mais combien de victimes n'obtiennent pas réparation
? Et comment faire tomber le silence qui entoure la plupart de ces affaires
? C'est, de ce point de vue un livre salutaire.
Mais on en ressort bouleversé.
Annick A
Je l'avais lu il y a 6 mois et l'avais détesté. Je l'ai
relu.
Finalement, j'ai beaucoup aimé ce livre.
Elle est restée silencieuse 21 ans. C'est très intéressant
qu'elle soit allée en justice.
Elle introduit beaucoup le lecteur. On est pris. Ce n'est pas toujours
confortable.
Ce témoignage peut aider d'autres.
"Un enfant ne peut pas
ouvrir ou fermer la porte du consentement. Il natteint pas cette
poignée. Elle nest simplement pas à sa portée."
C'est très beau.
Elle est constamment en train d'espionner les pères.
Elle affirme que la victime "portera,
toute son existence, la trace du viol".
En effet la "domination
sexuelle est une forme de soumission qui atteint les fondements
mêmes de lêtre". Ces phrases
nous disent que c'est un crime pour toute la vie.
Et du côté des témoins défendant le violeur,
ils disent que son crime "était
une anomalie", alors que
pour elle il "fait de
tout le reste de son existence une aberration".
Mais il n'y a pas de pathos dans ce livre. Elle prend le
lecteur en otage, le fait entrer dans le champ du viol.
C'est un beau livre, un beau témoignage. J'ouvre aux ¾.
Françoise
Je fais partie de ceux qui ont poussé à programmer ce livre.
Je l'ai lu il y a longtemps déjà et vous entendre me l'a
remis en mémoire.
J'étais complètement scotchée quand je l'ai lu.
À propos de l'objet littéraire ou pas, ça m'énerve
! C'est comme pour les polars : ça ne peut pas être littéraire,
ben si parfois (par exemple Javier Cercas avec sa dernière trilogie :
quel plaisir de le lire et de l'écouter sur
France Culture avec Caroline Broué ; désolée
pour cette parenthèse qui n'a - presque - rien à voir...)
Il s'agit d'écriture ou pas !
Je l'ai reçu comme quelque chose qui s'exprimait enfin.
Les répétitions ne m'ont pas du tout gênée.
Je suis admirative qu'elle ait pu faire ce récit, atteindre cette
maîtrise. On sent qu'elle est toujours dedans (et le sera toujours
sans doute), mais en même temps elle parvient à un recul
qui lui permet une analyse qui touche à l'universel. Et quel courage
!
Personne n'a parlé de Christine Angot, tant mieux ! Elle, pour
qui l'inceste est son fonds de commerce, et qui n'atteint pas cette distance
et dont elle ne sort pas (cf. son
dernier film).
Rapprocher le livre de celui de Semprun
ne m'était pas venu à l'idée.
C'est un livre que je recommande à tous. J'ouvre en grand !
Rozenn(à
l'écran)
Aussitôt le livre fermé, lu d'une traite - si je m'étais
arrêtée, je ne pense pas que j'aurais repris la lecture,
je me serais trouvé de bonnes raisons - j'ai voulu m'auto-dicter
mon avis pour ne pas l'oublier. J'ai tendance à effacer de ma mémoire
ce qui me gêne trop.
Au début de la visio, je ne retrouvais pas l'enregistrement sur
mon téléphone. Je me suis dit que j'avais dû l'envoyer
à quelqu'un par erreur et je me demandais bien à qui
Je l'ai retrouvé et j'ai retrouvé mes impressions :
Intéressant par le parti pris de rechercher de distance, l'évitement
de curiosité malsaine ; mais de temps en temps brusquement un mot
ou un détail cru et violent qui donne de la réalité
et qui ne laisse pas indemne.
Intéressant aussi la tentative de se placer du point de vue du
violeur.
La simplicité de l'écriture ne nous empêche pas de
ressentir la cave et les autres lieux, la façon dont elle ancre
les souvenirs dans les lieux rend les faits concrets.
Le ton est net, comme si elle cherchait à être au plus près
non pas d'une vérité, mais de ce qu'elle cherche à
dire. Elle nous entraîne dans son questionnement sur ce que peut
apporter la littérature à de telles blessures, elle lit,
elle écrit, nous fait partager ce cheminement.
J'ai été touchée par le peu qu'elle laisse deviner
de ses relations ensuite avec sa mère et la sur qui reste
habiter là-bas et le reste du village, comme si on ne lui pardonnait
pas à elle.
Horrifiée par la deuxième vie de son père avec la
possibilité de récidive.
En fait, elle dénonce le fait que le mal nous entoure, qu'il est
possible, imminent. Je n'ai pas encore le courage de relire le passage
où elle masse sa fille. Mais quelle doit être la limite de
nos caresses ? Ne faut-il pas veiller sans cesse, surveiller les autres
et soi-même. C'est avec une grande légèreté
qu'elle fait planer cette menace et la nécessité d'être
vigilant.
J'ai enfin réussi à rédiger ces quelques lignes et
je voudrais avoir le courage de le relire
un jour peut-être.
Je ne sais plus comment je l'ai "ouvert", mais avec le recul,
je l'ouvre en grand.
Jacqueline
J'ai beaucoup de mal à en parler car il y a trop de choses dans
ce livre.
Je retrouve dans ce que vous dites beaucoup de mes impressions, mais il
y aurait tant à dire !
Je l'avais lu quand il est sorti et je me souviens d'avoir été
admirative de sa distance pour arriver à écrire les faits,
sans complaisance ni pathos.
Je craignais un peu une nouvelle lecture , mais c'était pour le
groupe... je l'ai relu et ne le regrette pas. En effet, j'ai, alors, eu
l'impression qu'à la première lecture, j'étais passée
à côté... C'est tellement riche.
Et cette sincérité ! Y compris pour assumer ses doutes.
Elle n'est jamais dans le paraître, l'image toute faite portée
par la doxa. Elle démolit, au contraire, systématiquement
les idées toutes faites. Elle assume une parole engagée
jusque dans ses jugements littéraires sur des uvres qui lui
permettent de maintenir sa distance, en analysant aussi bien les faits
rapportés que les commentaires que ces uvres ont suscités.
J'ai beaucoup aimé cette parole
J'ouvre en grand.
Claire
Le drame de Neige Sinno se passe à Vars où nous avons organisé
deux de nos semaines lecture... Nous étions au col de Vars à
2000 m, dans notre Spoutnik isolé, et Vars comporte quatre
hameaux : Les Claux, Sainte-Catherine, Sainte-Marie et Saint-Marcellin,
le plus bas à 1 500 m, où est née Neige Sinno dans
un chalet d'alpage (voir =>les
détails des circonstances de sa naissance).
Alors que j'ai plaisir à mettre de la documentation en ligne, cette
fois, je n'ai mis aucune doc en ligne avant la séance, afin que
le livre se suffise encore plus que d'habitude à lui-même.
Cependant, j'ai essayé de répondre à la question
de Sabine : "J'aimerais
découvrir une uvre d'imagination de Neige Sinno : quelqu'un
peut-il conseiller un titre ?" Et finalement, de fil en aiguille,
voici des éclairages.
DES INFOS AUTOUR DU LIVRE Les textes de Neige Sinno Articles et entretiens |
Voici la présentation des deux livres publiés en français avant Triste tigre : un recueil de nouvelles, puis un premier roman.
La
vie des rats, Marseille, La Tangente, 2007
Le
Camion, Christophe Lucquin éditeur, 2018 Oh étonnement concernant Christophe Lucquin, l'éditeur du roman de Neige Sinno Le Camion ! Voilà Christine Angot qui rapplique à son pire !... En effet, cet éditeur
a été pris dans une polémique car Christine
Angot l'a accusé dans une
tribune de Libération en 2016 de publier "des
textes à caractère essentiellement pédophile.
De l'avis même des amateurs d'érotisme, ces textes
sont un peu limites, un peu lourds et ne rencontrent pas le public".
|
Auparavant,
Neige Sinno a soutenu une thèse
en 2005 à l'Université d'Aix-Marseille 1 : L'écriture
de l'inquiétude dans les nouvelles de Raymond Carver, Richard
Ford et Tobias Wolff (au
passage, remarquons que si nous avons lu du Carver et du Ford, nous
n'avons jamais lu de livre de Tobias
Wolff) Et elle a publié au Mexique un essai sur les figures du lecteur, intitulé Lectores entre líneas: Roberto Bolaño, Ricardo Piglia y Sergio Pito, récompensé en 2010 par le prix Lya Kostakowsky. |
Enfin, voici la présentation de l'album
de BD Amatlan
d'Edmond Baudoin, L'Association, 2009 : Un
jour doctobre 1996, Edmond Baudoin rencontre Neige Sinno à
la terrasse dun café à Nice. Quelques années
plus tard et des milliers de kilomètres plus loin, cest
à Amatlan au Mexique que les deux amants se retrouvent. Amatlan commence comme un carnet, et prend vite une consistance imprévue qui en fait lun des livres les plus accomplis et les plus touchants dEdmond Baudoin. Si Baudoin entreprend dans son carnet de dessiner les paysages dAmatlan et de ses magnifiques montagnes où Zapata sest jadis caché , il dessine aussi Neige, la bien-aimée qui laccueille là-bas. Et sa relation avec Neige séclaire de façon inattendue au moment où celle-ci, écrivain, décide de rédiger un texte sur le carnet en cours, où Baudoin lintègre et y réagit en retour. Ce texte magnifique de Neige pousse le dessinateur dans ses retranchements, et lensemble transcende ce carnet en un témoignage unique sur lamour, au dessin toujours plus magistral. Si Baudoin fait, selon ses dires, toujours le même livre, il va néanmoins toujours un cran plus loin, et atteint avec ce volume-ci une épure contemplative et apaisée, en même temps quil témoigne dun enchevêtrement emblématique de la complexité de nos sentiments. |
Rencontres et entretiens
- Le livre est sorti depuis peu : un long entretien avec Johan Faerber
dans Diacritik,
28 août 2023. Extraits :
La non-fiction américaine a été une influence déterminante pour écrire ce texte parce quelle ma aidée à trouver la voix narrative qui est le point de départ et la condition de possibilité de Triste tigre. Cest une voix qui assume une subjectivité tout en se posant aussi comme capable de produire une analyse théorique. Elle permet de faire en sorte que celle qui a vécu une expérience et celle qui prend de la distance en relation à cette expérience puissent être présentes dans le même espace textuel et dialoguer. Ce terme de non-fiction, que jemploie moi aussi, est très vague et il ne rend pas compte des possibilités offertes par ce genre littéraire qui est en train de se construire depuis une vingtaine dannées. Je crois que ce qui est en jeu ici rejoint lidée de Georges Didi Huberman dans son livre Le témoin jusquau bout, un titre fabuleux qui a causé sur moi une forte impression, et qui fait du témoignage une arme littéraire dune puissance inégalée.
La sincérité ne mimporte pas en littérature. Ce qui mimporte cest lhonnêteté. Ce que je pense et ressens au fond de moi, ce que je dirais si jétais sincère, restera mon secret, mais je mengage à ne pas mentir ni trahir, je mengage à chercher, à tâtonner pour approcher la vérité. Cest une distinction difficile à faire, jen conviens. Il faudrait que je donne un exemple : la sincérité devrait me pousser à dire tout ce que jai sur le cur, à faire état de ma colère, de mon dégout, à dire que je pense quun viol sur un enfant est un crime impardonnable, quelles que soient les conditions. Lhonnêteté moblige à restreindre cet épanchement et à mettre tout cela en perspective : cest la violence dont jai été victime qui me fait ressentir ce que je ressens.
- Premier prix littéraire "Le Monde" : "Une petite brèche dans la chape de silence", rencontre, par Raphaëlle Leyris, Le Monde, 6 septembre 2024. Extraits :
Pourquoi le cacher ? Au moment de voter pour le prix littéraire Le Monde 2023, nombre de jurés ont confessé avoir été saisis de crainte en découvrant que Triste tigre, lun des dix livres en lice, portait sur un inceste. (...)
Si lidée dune thérapie individuelle de lauteur par lécriture la "dégoûte", elle nous précisait, au printemps, en revanche, espérer en la possibilité dune forme "collective" de catharsis, qui ferait de la littérature "un espace privilégié, une table sur laquelle on peut poser des choses conscientes et inconscientes quon essaie de régler en tant que groupe social".
- Prix Femina 2023 : "Ce qui me rend très fière cest que ce prix soit rendu par un jury féminin", un entretien avec Aude Ferbos, Sud Ouest, 9 novembre 2023. Extrait :
Le vécu me permet de faire la narration de faits écrits dans ma chair. Mais ce point de vue énonciatif, cest aussi la lectrice que je suis, moi qui lis des articles de presse, entends des émissions de radio sur linceste.
Il y a donc eu un dédoublement permanent qui me permet dalterner entre la narration et une partie un peu plus spéculative où je ne suis plus seulement la personne à qui il est arrivé ça, mais une conscience, une universitaire, une lectrice
- Le succès est là : une interview approfondie avec Livres Hebdo, 6 décembre 2023. Extraits :
Je rencontre beaucoup de lecteurs avec lesquels je parle de mon texte, qui est déjà un peu à eux aussi. Je fais des rencontres extraordinaires et à chaque discussion, d'une certaine façon, je suis encore en train d'écrire ce livre.
Il y a des traductions complètement inespérées, comme en coréen. Les Coréens ont écrit une lettre extraordinaire dans laquelle ils expliquent pourquoi ils sont intéressés par ce livre. Ça le sort complètement du contexte, ils y ont perçu des choses inattendues, sur la question de la non-fiction, de la forme notamment. Et sur la façon dont mon texte est spéculatif par le biais de la narration. Ça m'a beaucoup touchée, car ils ont noté par exemple que je fais référence au côté obscur de la Lune, celui qu'on ne voit pas. Ça leur a rappelé des légendes dont jignore lexistence, et leur a semblé un filtre intéressant pour réfléchir au sujet du mal, et ça m'a beaucoup interpellée, car au moment où je cherchais un titre au début, je voulais quil renvoie à cette image. Je pensais à Lune noire, ou à une formule qui faisait écho à cette obscurité. Pour moi, c'est extraordinaire de voir des lectures différentes qui parfois résonnent en moi. C'est assez mystérieux.
- Parmi "Les 100 livres de l'année", Triste tigre de Neige Sinno, propos recueillis par Margaux Morasso, Lire Magazine, décembre 2023-janvier 2024. Extraits :
À la radio, j'ai eu parfois l'impression que les journalistes cherchaient à me faire dire des choses que je n'avais pas écrites, comme si ce que j'avais écrit n'était pas suffisant. Or, si je n'ai pas mis certaines choses dans mon livre, c'est que je n'ai pas envie d'en parler.
Votre livre a été retiré du CDI d'un lycée privé de Bretagne. Quel effet cela vous fait-il ?
J'aimerais comprendre la démarche de la directrice du lycée. J'aimerais qu'il y ait une conversation entre elle et les directeurs d'établissements scolaires qui ont choisi de proposer Triste tigre aux élèves, qui ont choisi la parole. En parlant le moins possible, on entretient le déni. À qui pense la directrice en retirant le livre ? Qui croit-elle protéger? Elle ne pense pas aux 10 % d'élèves qui sont abusés. Elle pense aux autres. Est-ce par rapport aux scènes de viol ? Il y en a quelques-unes. Peut-être qu'elle se dit que c'est trop pour des jeunes qui découvrent la sexualité, mais c'est ignorer ce à quoi des lycéens de 15-18 ans sont exposés sur Internet. Peut-être qu'elle assimile mon livre à de la dark romance ? Triste tigre n'a rien à voir avec ça. Jamais je ne mets en doute le consentement, quand la dark romance explore une zone grise entre domination et consentement. J'aimerais avoir plus d'éléments afin de réfléchir à cette censure. À vrai dire, je suis surprise qu'il n'y ait pas eu plus de cas. Moi-même, je trouve cela osé d'avoir mis mon texte sur la liste du Goncourt des lycéens.J'avais peur qu'en publiant ce livre le fait d'avoir été victime d'inceste soit accolé à mon nom pour toujours. Maintenant, je me dis que ça n'est plus entre mes mains. Je dois continuer mon chemin, écrire ce que j'ai à écrire et qui est sans rapport avec ça.
- Un dialogue entre Neige Sinno et Annie Ernaux, Le Monde, 4 juin 2024. Extraits :
"Cest votre exigence qui ma saisie, jai senti très vite que votre livre allait être quelque chose dimportant", confie Annie Ernaux en sadressant comme en un dialogue exclusif, sans personne autour, à sa consur. (...) "Cest un grand livre, vous allez jusquau bout de lhorreur, mais vous le faites avec des moyens littéraires", poursuit Annie Ernaux, avant de glisser un constat bienveillant, certainement pas une leçon : "Moi, je récuse la question que vous vous posez quand vous doutez que ce soit de la littérature, je la récuse", soutient-elle. Neige Sinno plie sans rompre sous le poids dun tel compliment. "Cest très émouvant pour moi que ces lectures existent, elles ajoutent du sens à mon travail, souffle-t-elle. Je fais un effort énorme pour mexposer ainsi et jai cette angoisse que ce soit mal réceptionné." Mais oui, être lue et appréciée par Annie Ernaux, bien évidemment, est bouleversant. "Le premier livre que jai lu de vous, cétait Les Années, ça a ouvert une porte ( ). Jai lu vos textes pour découvrir des choses que jétais en train de chercher pour moi-même."
Revue de presse concernant le livre sur le site de l'éditeur =>ici
Vidéos
-
Neige Sinno commente son livre aux Correspondances de Manosque, diffusion
vidéo Librairie
Mollat, 22 septembre 2023, 10 min.
-
Un entretien vidéo
avec les lycéens lors des Rencontres nationales du Goncourt des
lycéens dont elle est lauréate, 1er décembre 2023,
23 min.
L'histoire de la publication du
livre
- "Du
manuscrit refusé au prix Femina, itinéraire dun livre
inattendu", Télérama,
6 novembre 2023. Extrait :
"Jai reçu entre quinze et vingt lettres de refus. (...) Javais donc abandonné les envois, tout en continuant de croire très fort à mon texte pour ne pas désespérer, et parce que je ne pouvais pas le lâcher, javais commencé à le traduire en espagnol. Quand je me suis aperçue, tardivement, que les éditions P.O.L acceptaient de recevoir des manuscrits par mail, je le leur ai quand même adressé, en janvier dernier. Deux jours plus tard, javais une réponse."
- "À chacun son poche", Marie-Anne Georges, La Libre (Belgique), 8 août 2024. Extrait :
"Après combien de temps un grand format passe-t-il en poche ?
Les titres qui ont bien marché en grand format (ce qui se traduit par des chiffres de vente dépassant les 5000 exemplaires) passent au format poche dans une fourchette comprise entre un et deux ans. Jean-Paul Hirsch (P.O.L) cite ainsi Triste tigre de Neige Sinno qui, continuant de bien se vendre (on parle alors de long-seller), ne sera pas en poche avant 2025 (sorti en 2023, il a, notamment, reçu le prix Femina et le Goncourt des lycéens). Et paraîtra sans doute en Folio à qui P.O.L cède entre 7 et 10 titres quand #formatpoche en publie 3 ou 4, plus confidentiels."
Lectures et articles de Neige Sinno
-
Un article sur un livre argentin qu'elle
aime offrir et que nous avons lu (L'Ancêtre de Juan José
Saer)
- Un article sur un livre de nouvelles
argentines
(Sept maisons vides de Samanta Schweblin).
Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme
au rejet :
|
||||
à
la folie
grand ouvert |
beaucoup
¾ ouvert |
moyennement
à moitié |
un
peu
ouvert ¼ |
pas
du tout
fermé ! |
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