Extrait du
site Le Soir (2017)
Quatrième de couverture :
« LAlgérie dont est originaire
sa famille na longtemps été pour Naïma quune
toile de fond sans grand intérêt. Pourtant, dans une société
française traversée par les questions identitaires, tout
semble vouloir la renvoyer à ses origines. Mais quel lien pourrait-elle
avoir avec une histoire familiale qui jamais ne lui a été
racontée ?
Son grand-père Ali, un montagnard kabyle, est mort avant quelle
ait pu lui demander pourquoi lHistoire avait fait de lui un "harki".
Yema, sa grand-mère, pourrait peut-être répondre mais
pas dans une langue que Naïma comprenne. Quant à Hamid, son
père, arrivé en France à lété
1962 dans les camps de transit hâtivement mis en place, il ne parle
plus de lAlgérie de son enfance. Comment faire ressurgir
un pays du silence ?
Dans une fresque romanesque puissante et audacieuse, Alice Zeniter raconte
le destin, entre la France et lAlgérie, des générations
successives dune famille prisonnière dun passé
tenace. Mais ce livre est aussi un grand roman sur la liberté dêtre
soi, au-delà des héritages et des injonctions intimes ou
sociales. »
Sur l'une des réimpressions de ce
roman, il y a une erreur dimpression : la page 286 est remplacée
par un doublon de la page 275. Voici la bonne page 286 ICI.
Prélude supposé à la conquête
de lAlgérie, la scène mythique entre le pacha turc
Hussein Dey et le consul français Pierre Deval, l'Affaire de l'éventail
aurait été le casus belli qui provoqua le blocus maritime
d'Alger par la marine royale française en 1827.
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Alice Zeniter
L'Art de perdre (2017)
Nous avons lu ce livre en mars 2018.
Le groupe breton l'a lu en avril.
Quelques repères
sur l'auteure et ses uvres en
bas de page.
Brigitte (avis transmis)
J'ai beaucoup beaucoup aimé ce livre. D'abord pour son souci d'exactitude
historique. Il évoque seulement une partie de la guerre d'Algérie;
et sans doute pas la plus souvent reprise. Il s'agit de la Kabylie rurale
et montagnarde. Le personnage d'Ali est un Harki, mais pas un Harki combattant
actif aux côtés des Français au sein d'une Harka,
mais un petit notable local qui cherche à protéger son exploitation
et sa famille (au sens large). En effet, il est dans une région
où se développe un FLN très actif et très
violent ; il recherche donc la protection du capitaine français
de la ville voisine en lui fournissant quelques renseignements aux dépens
de ses voisins et concurrents dans la production d'olives. Finalement,
personne ne saura jamais vraiment ce qu'il a fait pour être considéré
comme un Harki.
Suit une description de la vie des Harkis en France. L'auteure sait rester
mesurée dans sa façon de raconter les étapes de l'insertion
de la famille en France. La dernière partie traite de la façon
dont Naïma, une des petites-filles d'Ali, vit et ressent son double
lien à la France et à l'Algérie.
L'auteure réussit à rendre intéressants tous ses
récits par son art de romancière. Le texte n'est jamais
lourd, ni attendu. Les divers personnages ont une vraie existence.
Revenons sur le titre "L'art de perdre". A priori, je pensais
que c'était une façon élégante de désigner
le choix malheureux opéré par les Harkis. Mais ce n'est
pas du tout le propos de l'auteure, qui se situe à un niveau beaucoup
plus subtil. Perdre, c'est quitter, c'est se désapproprier. Naïma
n'est plus algérienne et l'Algérie n'est plus celle dont
lui a parlé sa grand-mère. Chacun des personnages pratique
à sa façon cet art de perdre l'Algérie : Ali,
Yema, Hamid, Dalila, Mohammed et Naïma, mais aussi la famille restée
sur les Crêtes en Kabylie, et les intellectuels de Tizi-Ouzou, ou
encore le peintre Lalla. C'est dans les dernières pages, à
travers un
poème d'Elizabeth Bishop, que l'auteure nous révèle
toute l'ampleur de son projet.
Finalement l'art de perdre c'est en fait l'art de vivre. Vivre c'est perdre
son passé, de même que choisir c'est renoncer. Nous mêmes
devons pratiquer l'art de perdre le groupe lecture de 1986, pour obtenir
celui de 2018 !
Un mot sur le style sans fioritures gênantes, mais avec de très
beaux passages, il est mis avec bonheur au service du projet de l'auteur.
Manon (avis transmis)
Comme tout le monde j'avais beaucoup entendu parler de L'art de perdre
et j'étais donc assez enthousiaste lorsque nous l'avons programmé,
mais j'ai assez vite déchanté.
Je m'explique : même si je trouve le sujet extrêmement
intéressant, la lourdeur de l'écriture m'a beaucoup pesé.
Je ne sais pas si en réalité de je devrai dire "lourdeur
de l'écriture" car c'est plutôt la "la lourdeur
des informations" qui m'a pesé.
En effet, j'ai eu la sensation tout au long du livre qu'Alice Zeniter
avait vraiment beaucoup travaillé pour écrire ce roman,
qu'elle s'était beaucoup documentée et ça
s'est positif mais ce qui l'est moins c'est que je m'en rende
compte à chaque page !
J'ai l'impression qu'elle a tout voulu mettre dans ce livre et en fin
de compte elle en a surtout trop mis ! Cela m'a vraiment sauté
aux yeux et vraiment gênée agacée
lors de l'évocation du Commando Georges. Je n'ai pas bien compris
la nécessité de l'évoquer car le problème
vient bien du fait d'évoquer et non de raconter/conter, sinon
pour dire "eh toi, Le lecteur, t'as vu comme j'ai bossé mon
sujet". Et ce genre d'évocation, il y en a tout le roman !
Insupportable bonne élève ! Les remerciements à
la fin en sont la meilleure preuve !
Autre exemple : Naïma se promène sur Les Champs et hop
topo anti-mondialisation "Le Macdonald c'est le Mal". Mais qu'est-ce
que cela vient faire dans cette histoire ! Et voilà le problème
à force de vouloir tout dire, tout montrer, elle m'empêche
de m'attacher aux personnages.
Son triptyque ne fonctionne pas, car elle ne va jamais au bout. Ses personnes
sont complexes et ils auraient selon moi mérité un livre
chacun. C'est une trilogie qu'elle aurait dû écrire.
En conclusion j'ouvre au ¼ pour l'intention... et enfin je me permets
de vous conseiller, sur la même période et toujours avec
ce thème du retour Nos
richesses de Kaouther Adimi.
Nathalie (avis transmis)
Il me reste encore quelques pages à lire mais je peux donner mon
avis sur l'uvre sans problème.
Dès les premiers chapitres du roman, j'ai été bouleversée
et emportée dans un seul souffle vers mon passé, le passé
de mes proches, et le monde obscur des questions familiales sans réponses.
Je dis mon passé parce que je fais partie de la génération
qui a vu au quotidien les Français d'Algérie ou les Algériens
français dans son environnement immédiat. J'ai vécu
petite dans une résidence des années 70, en construction,
dans le Sud-Ouest de la France, entourée d'Algecos dans lesquels
vivaient des hommes en communauté et qui un peu trop
souvent à mon goût d'enfant me poursuivaient
d'un regard, d'un geste ou d'un mot déplacé. Il faut dire
que je ressemblais à un parfaite petite arabe à cette époque... !
Et parce que comme la plupart d'entre nous, j'ai au moins une personne
dans mon entourage qui a dû participer aux événements
d'Algérie. Alice Zeniter me semble avoir réussi le pari
de raconter quelque chose de très clair. J'ai passé mon
temps à aller confronter les faits rapportés et la réalité
historique, pour savoir ce qui était de l'ordre de l'invention
ou pas. Je trouve qu'elle crée un univers cohérent, équilibré
autour du père. Je ressens beaucoup de tendresse pour lui, beaucoup
plus en fait que pour Hamid, que j'ai du mal à me représenter
parce que c'est un homme adulte, à l'âge où moi je
suis encore petite. Pour moi, Ali est un homme bon qui croit bien faire
pour sa famille et pour lui. Il n'est jamais montré comme orgueilleux.
La narration me semble très équilibrée dans la première
partie et permet de comprendre comment chacun va essayer de se sortir
de ce guêpier qu'il n'a pas forcément désiré.
Une phrase que j'ai eu envie de retenir, c'est celle qui formule l'idée
que tous les indigènes voulaient en quelque sorte l'indépendance,
car qui aurait pu vouloir logiquement continuer à vivre sous le
joug de l'oppresseur ? De là, à prendre les armes et
le maquis, c'est une autre histoire. Moi qui cherchais la narration d'une
mort d'enfant pour un travail personnel, j'ai été très
touchée par le petit garçon qui meurt ! C'est un passage
magnifique. Il y a plein de passages superbes dans cette première
partie très envolée ! J'ai très bien "vu"
les choses et les êtres, j'ai pu commencer un peu à comprendre
les enjeux, les tensions, les rôles de chacun. J'ai également
parfaitement pu imaginer l'arrivée dans les camps et ensuite le
beau passage dans la forêt. Mais, j'ai des doutes sur l'incapacité
récurrente des instituteurs à faire progresser les enfants
d'émigrés telle que la narratrice la présente (surtout
à une époque où de nombreuses classes à plusieurs
niveaux existaient dans les campagnes). Ça m'a franchement agacée,
cette vision qu'elle a donnée. Et ensuite, j'avoue que même
si je lis toujours de bon cur, la partie qui se passe à Paris
m'intéresse vraiment beaucoup moins et j'aurais préféré
un développement de la première. Le génie de certaines
descriptions, de la mise en place d'ambiances, a disparu. Cette construction
du coup, me semble artificielle. La saga perd de son souffle et j'ai du
mal à comprendre comment l'écrivain peut autant perdre de
son talent de narration. C'est un peu comme si elle avait un carnet bourré
de notes de travail, de choses croquées sur le vif et qu'elle les
entremêlait coûte que coûte dans son récit.
Bref, j'ouvre aux ¾ !
Claire
Je suis contente d'avoir entendu l'avis sévère de Manon
car j'étais persuadée que tout le monde aimerait. J'ai BEAUCOUP
aimé. C'est l'idée de bonheur de lecture qui domine, alors
que pourtant c'est un livre gros et donc repoussant... L'Histoire est
tout du long présente, instructive pour les ignares comme moi,
vécue de l'intérieur, incarnée : l'émotion
est là, attachée aux personnages et à leurs péripéties.
La construction est subtile, avec un entrelacement progressif. L'écriture
permet de se régaler, avec de l'esprit (de la pensée aussi),
un regard ("Les mouvements
de leur chevelure accrochent la lumière en cascades dorées
et quand elles tournent sur elles-mêmes au gré des accords,
les cheveux ont toujours un temps de retard sur leur visage et reviennent
leur fouetter la bouche et les yeux par surprise, en mèches folles
qui s'attardent çà et là, prisonnières de
la sueur du front"). J'ai deux petites réserves :
une impression d'artifice à travers la création d'un ou
deux personnages pour présenter un point de vue et avoir un contexte
complet ; et trois lignes avant la fin, le mot téléologique
dont je me passerai de l'ampoulation... Mais je lui pardonne et j'ouvre
en grand. J'ai lu L'ordre du
jour de Vuillard que nous lisons bientôt et j'ai envie de
faire des comparaisons quant au traitement de l'Histoire...
Séverine
Je venais de lire Kamel
Daoud oui oui je suis fan j'étais
dans l'ambiance. Cela se lit très bien. Je me suis rendu compte
que je n'ai rien appris à l'école sur la guerre d'Algérie.
J'aurais préféré creuser davantage l'histoire des
grands-parents. Le portrait de Naïma et sa profession dans la troisième
partie font artifice pour moi. J'ai aimé le passage dans les camps
qui m'a appris beaucoup. J'ouvre aux ¾. C'est une belle découverte,
je comprends son succès.
Denis
C'est la partie kabyle que j'ai préférée. J'ai appris
avec ce livre beaucoup de choses sur les harkis. J'ai moins aimé
la partie parisienne, ce qui m'intéresse c'est ce que je ne connais
pas. Je n'ai pas tellement aimé l'écriture, trop explicative,
manquant d'implicite. Cela produit de la lourdeur. La partie en Normandie
se lit avec plaisir, mais est-ce très différent de ce que
l'on voit à la télé ? Le profil de l'auteur
est intéressant, le livre est écrit par quelqu'un qui a
fait de la sociologie (froncement de sourcils de plusieurs). Les
personnages ne m'ont pas accroché. Dans la troisième partie,
j'ai peiné dans la lecture, et dans l'ensemble je suis plutôt
déçu. J'ouvre à moitié.
Monique L
J'ai été bouleversé par ce livre passionnant. Je
pensais bien connaître cette période, mais j'ai compris des
choses que je n'avais pas vues. Il y a de l'émotion, l'auteure
écrit avec subtilité et délicatesse, refusant tout
préjugé. Tout est abordé, notamment sociologiquement.
Il y a aussi de l'amour. L'écriture m'a plu, élégante.
L'écriture au présent dans donne une certaine distance.
J'ouvre en grand.
Danièle
J'ai eu beaucoup d'émotion à lire ce roman, surtout en tant
que Pied-Noir et fille de Pied-Noir. A partir d'un mal être causé
par le silence qui entoure ses origines, la narratrice s'engage dans des
recherches sur ses racines algériennes. Malgré la difficulté
due aux tabous, aux souffrances vécues intérieurement par
sa famille, aux problèmes de communication dus à la langue
à l'intérieur même des familles, elle arrive avec
beaucoup de délicatesse à reconstruire une histoire des
Harkis qui remonte à trois générations, tient compte
des différentes sensibilités et va en profondeur. Elle ne
force personne à se confier. D'ailleurs, elle sait que c'est impossible.
Leur histoire est trop cruelle. Je retrouve dans ce livre la complexité
des approches du problème algérien, loin des stéréotypes
habituels. Le livre éclaire sur le désarroi des Algériens,
et en particulier des Kabyles, qui, comme Ali, tout en aspirant plus ou
moins secrètement à l'indépendance, ne se reconnaissaient
pas dans le FLN, et en ont supporté les conséquences. On
ne sait plus qui, du FLN, ou des extrémistes Pieds-Noirs de l'OAS,
ou du gouvernement français, a commis le plus d'atrocités
qui pouvaient être évitables. L'auteure arrive aussi à
éclairer des aspects peu connus de l'histoire de l'Algérie
à l'époque coloniale : l'organisation foncière on
apprend que les Arabes pouvaient être aussi propriétaires
; les relations entre clans dans les villages ; la distinction fondamentale
entre Arabes et Kabyles, qui n'ont pas du tout la même histoire
et qui se détestent cordialement ; les relations entre Arabes
et Pieds-Noirs qui ne sont pas tous de gros colons, loin de
là, mais ont tous un certain sentiment de supériorité
malgré leur désir de bien faire, une sorte de paternalisme
; le totalitarisme du FLN qui a évincé un autre parti indépendantiste
en puissance. Mais surtout le livre éclaire sur le sort honteux
que la France a réservé aux Harkis à leur arrivée
en France et sur les conditions de vie extrêmement dures qui leur
ont été infligées pendant de longues années,
et sur les conséquences psychologiques et sociales pour les générations
suivantes. C'est un roman très touchant dans sa recherche très
pudique, sans esprit de revanche mais très efficace par sa sobriété.
L'auteure, par ce livre, atteint le but qu'elle s'était sûrement
fixé : elle redonne une certaine fierté aux Harkis.
Annick A
C'est un livre à plusieurs facettes : historique et sociologique,
ainsi que psychologique sur la recherche d'identité. J'ai trouvé
intéressant l'angle de présentation du point de vue historique,
centré sur les harkis qui n'ont pas les moyens de choisir. J'ai
le plus aimé la partie sur les grands parents et l'arrivée
en France. J'ignorais qu'ils avaient passé autant de temps en camp.
Il y a des passages extraordinaires, par exemple sur la
place des objets p. 217 et cette scène drôle sur
le passage de
l'assistante sociale p. 202. J'ai trouvé un peu banal
et convenu le discours sur la deuxième génération
avec Hamid. J'ai trouvé ennuyeux la partie à Paris sur Naïma,
et ses retrouvailles avec l'Algérie assez plates, trop longues.
Mais j'ai apprécié le cheminement de cette jeune femme dans
la quête d'elle-même. J'ouvre à moitié.
Henri
Je l'ai lu facilement et avec plaisir, en partie du fait de nombreux déplacements
en train. Bien sûr, j'ai été emballé par la
première partie, comme la plupart, mais je trouve cependant louvrage
bien équilibré et la troisième partie ma également
intéressé, cest celle vis-à-vis de laquelle
javais le plus dattentes, dans la mesure où le personnage
de Naïma, troisième génération, est évoquée
demblée. L'auteur tisse des liens avec le présent :
le présent "actuel" qui devrait être le point d'orgue
de cette quête d'identité.
J'aurais aimé que lauteur développe plus lalternative
qui se pose à Naïma : aller creuser ses racines en Algérie
pour combler les vides de lhistoire familiale et élaborer
sa propre construction identitaire ou, au contraire, saffranchir
totalement de ce passé qui lui tombe parfois dessus, devenir en
quelque sorte "apatride, inodore et incolore". Lécriture
est fluide, les situations, les personnages et les dialogues bien menés.
Le regard posé sur les événements est respectueux
et délicat ; il ne cherche pas à nous convaincre de
prendre parti. La narration rend bien compte de la complexité des
sorts dans lesquels lhistoire place les protagonistes. Si le parti-pris
des incises de lauteur ne ma pas en soi gêné,
jai trouvé cependant quon voyait une peu trop la couture
"didactique", documentée des références,
les "passages obligés" adossés aux événements
historiques (exemple : la présence dAli sur les lieux
au moment de lattentat du Milk Bar). Les références
cinématographiques, utilisées comme des analogies pour "faire
comprendre" me sont apparues comme la marque dune posture trop
orientée pour "accrocher" un certain type de lecteur
(que j'imagine ne rien connaître de la guerre dAlgérie
et être peu versé dans la lecture).
Claire
Quand tu vas au cinéma, tu ne lis pas ?...
Manuel
Elle ne fait pas référence à n'importe quel cinéma...
Henri entreet
Je n'aime pas cette référence à du "périssable".
(Jai lidée quun "grand livre" doit
toujours exploiter des références soit intemporelles soit
déjà historiquement ancrées, mais pas des éléments
qui participent du courant de surface de la mode (i.e. lactualité).
J'ouvre ¾. Ce nest pas un ouvrage que je relirai (lun
de mes critères pivot), mais je le recommanderais volontiers car
il est à la fois plaisant, prenant et instructif.
Richard
Je n'ai lu que la première partie qui m'a emballé. J'ouvre
en grand cette partie. J'aime l'histoire d'Ali, Monsieur Tout le monde
qui veut protéger sa famille et se laisse rattraper par les événements.
Il pourrait y avoir un parallèle avec les Français pendant
l'Occupation. En 1956 quand j'étais en Angleterre on ne savait
rien de tout ça, cela pousse à réfléchir sur
ce qu'on aurait fait dans cette situation.
Rozenn
Le début est à première vue plus fort, plus exotique,
mais arrivée à la fin ce que je trouve le plus fort c'est
une question posée sans être formulée clairement :
qu'est-ce que c'est que d'être descendant d'une famille considérée
comme traître ? La date d'arrivée en France fait que
tout le monde connaît son histoire mieux que Naïma elle-même.
Un détail fait qu'elle devient tout à coup porteur de toute
une histoire qui n'est pas la sienne.
Son acceptation en Algérie est peut-être un peu à
l'eau de rose. On ne sait pas comment elle vivra cet héritage à
son retour. Ce n'est pas son histoire à elle. Clarisse elle reste
en butte au silence de son mai : elle doit accepter qu'il ne raconte
pas ce qu'il ne sait pas, ne comprend pas ou ne peut pas dire, qui n'est
pour lui non plus pas son histoire.
J'ai trouvé l'écriture fabuleuse, je reprenais le livre
avec plaisir. Je le donnerai à lire autour de moi à
des amis je ne pense pas que je le relirai, mais je lirai volontiers
dautres livres du même auteur.
Manuel(qui
a complété son avis après la soirée, une fois
le livre fini)
Il est des livres qui résonnent plus que d'autres et celui-ci m'a
énormément touché. Les trois parties m'ont toutes
intéressé. À chaque destin d'Ali, d'Hamid et de Naïma,
sa façon de perdre. Le livre foisonne de personnages. En général,
je suis vite perdu et ma lecture devient laborieuse mais ici non. Parfois
esquissés, ils forment une fresque cohérente.
Dans la première partie, Ali va être pris dans la guerre
d'indépendance. J'ai trouvé que le narrateur nous faisait
revivre les événements avec talent : par exemple l'attentat
au Milk Bar. Il y est question de l'honneur d'Ali ; qu'aurait-on
fait à sa place ? Le narrateur nous éclaire sur son
choix : "Rien
n'est sûr tant qu'on est vivant, tout peut encore se jouer, mais
une fois qu'on est mort, le récit est figé et c'est celui
qui a tué qui décide", et plus loin :
"Maintenant, il est
traître de son vivant. Et il avait raison : ça ne fait aucune
différence" (p. 110).
C'est la manière d'Ali de s'insurger contre la barbarie. Le départ
d'Algérie est subi par les femmes.
Dans la deuxième partie, la famille d'Ali arrive en France. La
France froide. Après des séjours dans plusieurs camps, la
famille est logée dans un HLM en Normandie. J'ai aimé le
regard détaché et chargé de désillusions de
Yema sur son nouvel environnement. Les descriptions du HLM notamment,
qui s'opposent aux descriptions des maisons chaleureuses des collines
d'Algérie : "L'eau
se niche dans les moindres recoins de terre qu'elle peut changer en boue,
elle va les chercher sous les immeubles, dans les talus qui entourent
les places de parking et, en faisant sortir de sous le bitume les marais
bruns que même les enfants évitent, elle renvoie à
son statut d'illusions la modernité apparente des HLM. Ceux-ci
paraissent redevenir peu à peu un village de glaise fragilement
bâti sur la campagne gluante" (p. 242).
Le père est résigné et affaibli. Son fils se rebelle
contre sa famille et les traditions. Par exemple le ramadan : "Si
dieu existe, lance Hamid déboussolé, je prends le pari qu'il
n'est pas là pour nous faire chier" (p. 262).
Il décide finalement de tourner le dos à l'Algérie,
à son passé douloureux.
En 2016, Naïma travaille dans une galerie d'art ; elle est célibataire
bien qu'étant la maîtresse de propriétaire de la galerie.
S'offre à elle la possibilité de partir en Algérie
ce voyage qu'elle n'a jamais pu faire car il lui était
interdit par Hamid. Le retour à Alger est palpitant avec le retour
au village ; on y croise des femmes et des hommes attachants. Alice
Zeniter nous donne de tristes nouvelles de l'Algérie qui est un
pays plongé dans un calme chaos. J'ai été tenu en
haleine jusqu'à son retour à Paris. J'ai été
ému par Yema contemplant les photos prises par sa petite fille
lors de son voyage.
Les portraits des femmes sont remarquables. L'histoire des harkis, je
la connaissais un peu. J'en avais discuté avec des amis de lycée
suite à un reportage télé où des Harkis prenaient
à partie Mitterrand. J'ai trouvé malin la narration en majorité
à la troisième personne et qui permet parfois d'interpeller
le lecteur (p. 174) et parfois à la
première personne ; et on ne saura pas qui est ce "je".
C'est un livre chargé d'images fortes, terribles et atroces. C'est
un livre moderne qui cite aussi bien Cioran que Spielberg. Je n'ai pas
trouvé convenu le personnage d'Hamid mais extraordinaire. J'ouvre
en grand.
Françoise
Je l'ai lu il y a longtemps. Il me reste l'impression générale
d'avoir aimé. L'histoire des harkis est particulièrement
intéressante car vue de l'intérieur. Elle est très
discrète sur que sur ce qu'Ali a fait. J'ai aimé l'amitié
avec la famille de pieds-noirs en Algérie lorsqu'Hamid croit qu'il
n'y a pas de différence avec ses yeux d'enfant. J'ai aimé
le parcours de migration. Les images sont très frappantes. Elle
a du talent. Ce parcours de migration, c'est aussi le sien, l'auteure,
en lien avec l'histoire de sa famille.
Bien sûr, comme c'est un gros livre, alors il y a des passages plus
faibles, mais ça ne m'a pas pesé car emportée par
le récit, et je trouve son écriture très "porteuse".
J'ouvre en grand pour ce réel plaisir de lecture.
Fanny, entreet
Je rejoins l'avis de Manon. C'est bien ficelé, bien documenté :
grâce à ce livre, ma fille au brevet n'aurait pas situé
en 1980 la Guerre d'Algérie... Les personnages paraissent prévus
pour incarner son propos, ce qui entraîne peu d'empathie à
la lecture. Quelque chose n'a pas pris, c'est une démonstration,
j'ai fini par être agacée. Quand le livre se boucle comme
il a commencé par l'exposition, elle, l'auteure ne va pas au bout.
La voix de la narratrice m'a énervée, m'a paru factice (par
exemple p. 320 : "Ali
est trop fier pour faire le premier pas et contacter son fils. C'est seul
qu'il se rend au rendez-vous qui si je ne l'écrivais pas
sombrerait avec sa mort dans un oubli irrémédiable).
Il y a d'autres boucles (p. 333, Naïma, comme à la première
page dit "je ne vais
pas y arriver") : j'aurais aimé qu'elle creuse,
elle n'en fait rien de ses boucles. La fin donne l'impression de ne pas
savoir comment finir. J'étais contente qu'elle arrête. J'ai
bien aimé ce qu'elle montre de l'intérieur, au niveau culturel
par exemple : p. 25 "on
dépense toujours l'argent pour pouvoir l'exhiber. En montrant qu'on
est riche, on le devient moins". J'ai aimé également
ce qu'elle dit sur la différence dans le rapport à la souffrance
et la plainte : ici on dit "ça
va passer", là-bas on accueille la souffrance et
la plainte ; p. 77 et autour, j'ai aimé la manière
dont est construit ce passage qui met en parallèle la circoncision
d'Hamid et la scolarité d'Annie qui va à l'école,
c'est assez fort ; p. 232 j'ai trouvé assez malvenu le
parallèle entre les amours de Naïma et le parcours d'exil
de l'Algérie ; p. 335, elle dit qu'elle ne peut pas vivre
avec un homme qui garde tous ses secrets, c'est intéressant, un
vrai sujet sur les relations de couple qui va d'ailleurs au-delà
du parcours d'exil.
J'ouvre entre un quart et la moitié.
Catherine
J'ai beaucoup aimé. J'ai eu du plaisir. C'est parfait pour un aller
retour Paris-Cherbourg, c'est le bon timing
J'ai apprécié
l'aspect historique et les deux premières parties. J'ai eu un compagnon
pied-noir, avec le tabou associé. Et ma naissance a empêché
mon père de partir à la guerre d'Algérie. Le livre
n'est pas manichéen, c'est subtil, par exemple comment Ali choisit
son parti. C'est très bien écrit. J'ai beaucoup aimé
l'arrivée en France de la famille. Le poids de la ronde sur deux
générations est montré avec beaucoup de subtilité.
Les enfants disent à l'instituteur "je
viens de l'Algérie française" et l'instituteur
répond "ça
n'existe pas l'Algérie française." Il y
a beaucoup de passages touchants. J'ai beaucoup aimé. La troisième
partie, c'est plus convenu. Mais je suis très content de l'avoir
lu. J'ouvre aux ¾.
Jacqueline
J'ai un peu de mal en parler. Je dis tout de suite que j'ouvre aux trois
quarts parce que je l'ai lu sans pouvoir décrocher. Il y a des
moments où j'ai été très touchée :
quand ils arrivent au camp de Rivesaltes, les références
à tous ceux qui les y ont précédés dont les
Républicains espagnols...
Je suis sensible à la dimension légendaire du début,
la pêche du pressoir et les origines de la fortune du grand-père,
cela m'a évoqué Carole
Martinez ou le village dont parle Boualem
Sansal. J'ai du mal à penser que c'était dans les années
30, mais c'est ce que Naïma sait par les récits oraux de sa
grand-mère ce qui justifie la dimension mythique... J'aime beaucoup
le personnage de la grand-mère. J'ai été très
intéressée par le séjour dans la forêt, y compris
les chenilles processionnaires
J'ouvre aux trois quarts avec une
impression de livre facile. L'univers kabyle m'a évoqué
des familles connues ici : une fillette qui avait sept surs
parce qu'il fallait un garçon pour reprendre les terres (qu'elle
ne connaissait pas !) et sa fierté en promenant le neuvième
enfant dernier né : un garçon enfin !
Geneviève
Je ne l'ai pas encore tout à fait fini, mais j'ai beaucoup de plaisir
à le lire, au point d'avoir hâte de reprendre le métro
pour reprendre ma lecture, ce n'est pas fréquent ! C'est vrai
que la première partie est très forte, mais j'ai beaucoup
aimé aussi la seconde partie avec l'arrivée à Flers,
dans une région, la Normandie, que je connais bien. Je connaissais
l'histoire des harkis et leur abandon par l'armée française,
mais je suis contente de voir retracer cette histoire trop peu connue,
comme celle d'ailleurs des enfants et adolescents vietnamiens, enfants
de militaires français rapatriés à la fin de la guerre
d'Indochine. J'aurais aimé pouvoir proposer ce livre quand j'étais
documentaliste en Seine-Saint-Denis, pour des jeunes qui souvent ne connaissaient
pas leur propre histoire. Çaurait été plus
accessible que des grands classiques comme Kateb Yacine. Par ailleurs,
je suis très sensible aux romans qui traitent de cette question
du choix dans l'histoire : qu'est-ce qui fait qu'on est ou non "du
bon côté" ? Je suis heureuse de l'avoir lu, je
le conseillerai et je l'ouvre en grand.
Annick L (qui a proposé le livre)
Ce roman sur le drame qu'ont vécu les harkis m'a passionnée.
Je l'ai parcouru à nouveau en diagonale pour notre soirée
et j'ai trouvé le même intérêt à la relecture
de certains passages qui m'avaient marquée. Je l'ai d'ailleurs
recommandé, voire offert, à plusieurs personnes... avec
succès. C'est vraiment une belle uvre littéraire...
rien à voir avec un livre de sociologue, malgré les inserts
d'informations qui viennent préciser des éléments
de contexte historique. D'ailleurs elle a effectivement fait des études
littéraires et de théâtre !
Son projet était ambitieux (écrire une épopée
des harkis, ces oubliés de notre histoire nationale) et pour soutenir
son approche large (une saga familiale qui va de 1930 à nos jours,
sur trois générations et dans plusieurs lieux différents !)
elle a fait le choix d'un narrateur omniscient, comme dans le roman classique,
qui introduit la distance nécessaire, en s'autorisant souvent des
commentaires, sérieux ou ironiques. La première partie en
Algérie, dans les montagnes de Kabylie, est bien brossée,
le lecteur a l'impression de s'y trouver projeté et c'est surprenant.
Dans son évocation (très documentée) du camp de Rivesaltes,
puis de la Normandie, dans cette cité où la famille va habiter,
elle déploie le même talent pour planter un décor
et donner chair à son récit. La troisième partie
se situe dans un milieu que nous connaissons mieux, parisien et branché,
qui nous semble sans doute moins exotique mais qui s'inscrit bien dans
la trajectoire de la petite-fille Naïma. Si cette vaste fresque n'est
jamais abstraite, c'est qu'Alice Zeniter sait comment rendre attachants
ses personnages en nous faisant vivre leurs sentiments de l'intérieur
(elle a dû beaucoup interroger ses proches puisque sa famille a
vécu une expérience similaire), que ce soit le grand-père
Ali et sa femme Yema, ou, plus tard, Hamid, le père de Naïma,
qui a joué la carte de l'intégration en s'éloignant
de sa famille. En bonne dramaturge, elle sait aussi mettre en scène
quelques moments de confrontation émouvants car chargés
de non-dits et de sentiments refoulés : par exemple celle
entre Hamid et Clarisse une nuit dans la cour de leur immeuble, entre
Hamid et son vieux père qu'il rejette, ou lorsque le vieil Ali
et son vieux copain algérien d'enfance qui avait choisi
le camp de l'indépendance se retrouvent dans un café
parisien. Sans compter tous les figurants secondaires qui permettent d'incarner
la diversité des trajectoires de toutes ces victimes de la guerre
d'Algérie, qui a aussi été une guerre civile. Et
en plus cette romancière a le sens des formules saisissantes qui
permettent d'appréhender plus concrètement toute la complexité
de ce qu'elle évoque : «"Au
moment où ils naissent l'Algérie dit "Droit
du sang": ils
sont algériens. Et la France dit "Droit du sol" : ils
sont français. Alors eux, toute leur vie, ils ont le cul entre
deux chaises et de manière très officielle »,
« Tu peux venir
d'un pays sans lui appartenir. Il y a des choses qui se perdent... On
peut perdre un pays », « Parfois
il n'y a que des questions à ajouter aux questions »,
etc.
Ce n'est pas étonnant que ce livre ait à la fois été
récompensé par le Prix
Goncourt des lycéens et par le Prix
littéraire du Monde !
Annick A, prise de regret
Finalement j'ouvre aux ¾ et non à moitié.
Danièle
La subtilité a été évoquée ; j'y vois
aussi de la pudeur.
Henri
Je reviens à ce que dit Rozenn. Certes c'est un vrai écrivain :
les trois parties, le dosage, tout cela me convient. Mais avec Naïma,
je pensais qu'elle allait porter plus haut l'ambition. Quand p. 11, elle
[lauteur] écrit "Qu'est-ce
que vous croyez qu'elles font vos filles dans les grandes villes ? Elles
disent qu'elles partent pour leurs études. Mais regardez-les :
elles portent des pantalons, elles fument, elles boivent, elles se conduisent
comme des putes. Elles ont oublié d'où elles viennent".
Claire
C'est Mohamed qui dit ça.
Annick L
L'un des frères d'Hamid, plein d'amertume, qui n'a jamais réussi
à trouver sa voie dans la société française.
Henri
Naïma, à la troisième génération, elle
en fait quoi ? P. 377, quand sa copine après les attentats lui
dit : "Quand même,
les musulmans n'ont pas vraiment condamné les attaques. Tu peux
comprendre que le reste de la population se disent qu'ils sont peut-être
solidaire", elle lui répond : "Tu
veux que j'appelle ma grand-mère et que je te la passe pour qu'elle
te présente ses excuses ?" Je suis frustré
par l'ancrage d'aujourd'hui.
Rozenn
Naïma est renvoyée à de une honte supposée,
et qui n'est pas la sienne, ça ce n'est pas dit, ce n'est pas dicible.
Henri
Quand tu parlais, Richard, des collabos, les harkis c'est pire pour eux
dêtre considérés comme des traîtres car
ils ont fait deux guerres sous le drapeau français.
Rozenn
Ce qui n'est pas dit ou pas dicible, c'est : et maintenant ?
Une fois qu'elle est allée en Algérie ?
Annick L
La fin reste ouverte là-dessus et c'est bien.
Fanny
Par rapport à son père : elle ne peut pas connaître
l'histoire par son père.
Henri, avec un coup de théâtre
Voilà ce que j'aurais aimé : qu'elle s'interroge, d'où
elle vient, tout en disant qu'elle a le droit de devenir inodore. Mais
j'ouvre en grand.
Fanny
Ce qu'il reste du voyage ? Elle peut admettre que son père
n'en parle pas.
Annick A
Elle joue un rôle de médiatrice, elle fait du lien, elle
est la première à retourner en Algérie.
Danièle
Fanny tu disais que les personnages sont convenus, mais tu montres le
contraire
Fanny
C'est plutôt qu'ils ne créent pas d'empathie de ma part,
si je lis le livre comme un roman.
Geneviève
Dans un roman à caractère historique, on connaît la
suite. C'est la tension narrative qui fait le livre.
Danièle
Je pense à Laurent Mauvignier, avec Des
hommes.
Rozenn
Aujourd'hui, pour moi la question c'est : à quoi sommes-nous
indifférents ?
Henri
A 5 millions de réfugiés syriens par exemple.
Claire
Je pense à Bayard avec Aurais-je
été résistant ou bourreau ?
Danièle
En tout cas, ce qui est dans le livre me semble très vrai par rapport
à ce que j'ai vécu.
Denis
Je me demande comment elle a fait pour reconstituer la vie de son grand
père. J'aurais aimé qu'elle explique son cheminement. Là-dessus,
j'ai une passion pour les uvres de W.G. Sebald, dans Austerlitz
ou Les
émigrants.
Plusieurs
Mais c'est inventé, ce n'est pas autobiographique.
Denis
Ah, je n'avais pas bien compris. C'est dommage, j'aime bien Ali. A part
lui, je ne suis pas arrivé à m'intéresser aux personnages,
je trouve qu'ils manquent de dynamique, de projet, de vision de leur avenir...
C'est peut-être le reflet de leur situation objective, mais ils
m'apparaissent comme des profils sociologiques. La partie kabyle est-elle
inspirée par les études d'ethnologie de Bourdieu ?
Dans leurs écrits, les sociologues ne font pas du roman, leur but
n'est pas de produire des uvres littéraires. Pour moi, dans
un roman, il faut du rêve, de l'utopie... Le personnage d'Hamid,
par exemple, me paraît inconsistant d'ailleurs Clarisse lui
dit : "je ne sais
pas qui tu es".
Claire
Remarque, La
Misère du monde de Bourdieu, c'était des vies passionnantes.
D'ailleurs ça a été monté au théâtre.
Jacqueline, dis-nous la raison de ta réserve, à savoir que
c'est une lecture facile...
Denis, ne perdant pas de vue le fil sociologique
Je pense aux Choses de Perec, qui ont eu leur valeur lorsqu'il
est sorti, mais aujourd'hui cela ne serait probablement plus très
intéressant, sinon comme témoignage d'un certain style de
vie le développement de la société de consommation
(c'est le souvenir que j'ai de ce bouquin, je me trompe peut-être).
Séverine, Claire et d'autres, opinant du bonnet...
Si on lisait Les
Choses de Perec...
Rozenn, revenant à la question de la facilité, mais
pour la quitter en glissant
Un livre trop facile ?
Un livre qui glisse, j'ai eu un grand plaisir à le lire mais une
frustration : peut-être de devoir passer à côté
du non dit, d'une honte imméritée et niée et
qui d'ailleurs ne nous regarde pas plus que Naïma.
Marie-Odile (du groupe breton)
J'ai aimé les trois parties de ce roman pour leurs différences
et leur continuité.
Curieusement, ce qui a retenu mon attention au début , c'est la
question des corps, bien sûr les corps mutilés, exposés,
torturés dont on a déjà tous entendu parler, mais
aussi le corps de l'ancien combattant qui, s'il renonce à sa pension,
devient en quelque sorte la propriété de l'État français,
le corps dont l'intégrité est menacée si un nom ne
lui est pas associé (il est important de mourir avec son corps
et son nom), le corps de l'enfant mort peut-être d'avoir porté
le nom d'Akli. Peu de corps féminins en revanche : celui de
Yema, fatigué, celui de Michelle, séduisant, sont en arrière-plan.
Dans la deuxième partie, le corps apparaît de façon
plus ponctuelle mais chargée de signification. C'est le doigt encré
dont on ne sait que faire et qu'on garde en l'air après qu'il a
servi de signature pour confirmer sa nationalité française.
C'est le corps blessé par les chenilles qui déclenche le
rire qu'on avait oublié depuis la guerre, ou encore la gifle reçue
par Hamid lors de la signature des papiers de renonciation à la
terre d'Algérie. On signe avec son nom, avec son corps aussi. Cette
deuxième partie accorde plus de place à la langue, à
l'écriture, à l'expression. Il s'agit de lire, d'écrire
pour ceux qui ne savent pas, mais aussi de dire, de sortir du silence,
du secret et de la honte. Le corps souillé de Clarisse effrayée
par le rat permettra d'avancer un peu dans ce sens sans que le voile ne
se lève complètement car tout est complexe : les situations,
les opinions, les sentiments
La troisième partie donne place au corps sexué (Christophe,
Naïma) et au corps voilé des femmes d'Algérie. C'est
dans cette partie aussi que l'art fait son apparition avec Lalla
Fatma N'Soumer (dont le nom est emprunté à une femme
résistante face à l'occupation française du 19e siècle !)
et que Naïma concrétise par la photo l'arbre généalogique
transparent, aérien, dessiné du doigt dans la maison de
Kabylie.
Le texte d'Alice Zeniter donne chair à une histoire connue mais
souvent tue. Elle restitue avec fidélité les époques
(depuis celle où le combien n'existe pas, où on ne compte
ni les crêtes, ni les années, jusqu'au moment où les
études sur les harkis se font avant tout quantitatives p. 420),
les lieux (depuis cette montagne de Kabylie où les crêtes
s'opposent à la vallée, jusqu'aux camps et aux cités
HLM, avant de revenir vers l'Algérie). Elle illustre ce que Jean
Echenoz appelle "le
principe de culpabilité par ascendance, descendance et association".
Comment y échapper quand on est Ali, Hamid ou Naïma ?
Alice Zeniter parle de l'Histoire, à l'échelle de la famille,
au quotidien, sans mélo, se méfiant des clichés.
A travers ce roman, j'ai retrouvé mes amis algériens dans
une foule de détails, mais surtout dans la simplicité et
la profondeur des conversations et l'humour mêlant tendresse et
auto-dérision. Je sors de cette lecture avec l'idée que
chaque petite chose d'une vie peut devenir un roman dès lors qu'elle
s'inscrit dans un parcours qui n'est pas dénué de sens.
J'ai aimé le
poème d'Elisabeth Bishop. J'ai souvent pensé que vivre
c'est perdre : ses dents, ses clés, sa virginité, son
temps, son chat, son procès, ses parents, ses illusions, le fil
de ses pensées, du sang, du poids, la mémoire, l'appétit,
la vue, son pays etc. etc.
Si je devais faire un reproche à l'auteure, c'est d'avoir voulu
tout aborder, donc tout survoler dans la dernière partie. Il y
avait peut-être là matière à un autre roman.
Celui-ci je l'ouvre en grand car j'ai senti, en le refermant, qu'il allait
me manquer.
Nous regardons un document de 3 min signalé par Nathalie en rapport
avec la p. 192, "Les harkis à Jouques et au logis d'Anne"
sur le site
de l'INA : il s'agit d'un reportage au Journal de FR3, le 22
avril 1976. Nous sommes sidérés de voir que les camps existaient
en 1976.
Nous écoutons les réponses assez éclairantes sur
L'Art de perdre, à deux questions posées à
l'auteure :
- Quelle est la genèse de L'Art de perdre
?
Est venu d'abord un intérêt pour l'Algérie.
C'est en écrivant Jusque
dans nos bras (2010) que j'ai réalisé combien elle
était absente de ma vie et combien il était étonnant
que jamais je n'aie cherché à combler cette absence. J'étais
encore dans le cursus universitaire, donc je faisais des recherches en
permanence, pour ma thèse en études théâtrales,
ou pour des articles que j'avais à écrire. Et j'ai réalisé
soudain que jamais je n'avais consacré ne serait-ce que quelques
heures à essayer de connaître l'Algérie. Cela commençait
à me démanger. C'est alors qu'un de mes amis, qui est documentariste
et enfant de pieds-noirs, a décidé de monter un documentaire
à partir d'un voyage en Algérie que nous ferions, son grand
frère, lui et moi. Nous sommes partis en 2011, mais sur place je
suis restée totalement bloquée : je cherchais à ressentir
quelque chose de précis, alors que rien ne venait. C'est lors d'un
second voyage, en 2013, que j'ai commencé à prendre des
notes. L'Algérie s'est mise à revenir sans cesse me chercher.
Je me suis intéressée à son actualité, à
ses artistes. Lorsque j'écrivais Juste
avant l'oubli (2015), alors que j'étais en résidence
d'écriture à Manosque, en parlant au téléphone
avec mon père, j'ai découvert qu'il connaissait la région,
qu'il pouvait me donner des indications topographiques précises.
Il m'a alors raconté qu'il avait vécu là, me parlant
pour la première fois du Logis d'Anne, le camp situé à
quelques kilomètres de Manosque où a été installée
sa famille lorsqu'elle est arrivée d'Algérie, en 1962.
- Le matériau documentaire et historique
que vous prenez en charge est énorme
Cette base documentaire m'était indispensable parce
que je me défiais, en tant que romancière, de la psychologie.
La raison pour laquelle le rapport des générations m'intéresse,
c'est précisément parce qu'il leur est difficile de se comprendre.
Il aurait donc été présomptueux de ma part d'essayer
de me plonger dans les pensées de mes personnages, de prétendre
savoir ce que c'était qu'être Ali, le grand-père,
puis être Hamid, le père. Ça n'avait pas de sens,
alors même que si j'écrivais le livre, au fond, c'est parce
que n'avais pas accès directement aux pensées de mon père
et de mon grand-père. Parmi les choses qui m'ont fait signe, et
ont déterminé la manière dont j'ai procédé,
il y a le travail de Pierre Bourdieu. Je me souviens particulièrement
d'une scène du documentaire que lui a consacré Pierre Carles,
La
sociologie est un sport de combat, dans laquelle on voit Bourdieu
s'exprimer au Val-Fourré, et être pris à partie par
des jeunes gens issus de l'immigration qui lui reprochent de confisquer
la parole de façon indue sur cette question de l'immigration.
Bourdieu leur répond fermement qu'il ne confisque pas la parole,
que la sociologie, partant des témoignages, permet une lecture
scientifique d'une situation qu'eux ne peuvent avoir, que ce regard scientifique
doit coexister avec la parole des témoins dont il n'est pas l'ennemi.
Dans cette scène, Bourdieu est sublime, il ne se démonte
pas, il ne s'excuse pas. Et il ajoute même, à l'intention
des jeunes gens, qu'ils devraient lire La
Double Absence, du sociologue Abdelmalek Sayad, en concluant :
si vous refusez ce que ce livre peut vous apprendre, vous êtes des
cons. Lorsque je me suis mise à écrire L'Art de perdre,
j'ai gardé en tête qu'un regard extérieur, un recoupement
de données, peuvent en apprendre plus qu'un témoignage en
prise directe. C'est pourquoi j'ai commencé par reconstruire le
milieu dans lequel vivait Ali, puis celui d'Hamid, en me disant que, cela
fait, peut-être que je pourrais y ajouter de la psychologie, mais
pas avant. C'est une décision esthétique qui s'appuie sur
une foi dans le savoir, sur la conviction qu'il mène à la
vérité autant que l'expérience. Savoir et expérience
sont complémentaires, c'est comme une danse à deux. (extrait
de "En faisant le choix de la fiction, j'ai préservé
ceux qui n'avaient pas envie de parler", Nathalie Crom, Télérama,
27 novembre 2017)
Nous avons cité pendant la soirée des
livres évoquant l'Algérie, que nous avons lus dans
le groupe, d'Alice
Ferney, Jérôme
Ferrari, Boualem
Sansal, Kamel
Daoud, Yasmina
Khadra, Albert
Camus...
Dans L'Art de perdre, p. 153, Naïma met en pages le catalogue
d'une exposition de Thomas Mailaender sur "les
voitures cathédrales", appelées ainsi parce
que leur chargement s'empile parfois très haut. Elles illustrent
les allers-retours des immigrés entre leur pays dorigine
et leur lieu de vie. Les photos ont été prises par Thomas
Mailaender quand il travaillait sur le port de Marseille. En voici des
exemples :
Extrait du site du Musée
national de l'histoire de l'immigration
Synthèse des avis du groupe
breton (Annie, Chantal, Édith, Jean, Marie-Claire,
Marie-Odile, Marie-Thé, Suzanne)
:
Trois personnes ¾ :
Quatre personnes
¼
: Une personne
Les réserves portent sur la dernière partie du livre, qui
"se traîne", veut dire trop de choses ; la fin est
trop romancée, mal ficelée ! Pour l'une d'entre nous,
la lecture s'est révélée lourde, avec une construction
et un style qu'elle n'a pas aimés (trop d'apartés), elle
n'a pas pu "entrer" dans le livre.
Mais pour la plupart, le livre a été très apprécié,
permettant une lecture "personnelle", provocant des résonances
par son sujet : la Guerre d'Algérie, période toujours
là dans notre esprit...
La discussion s'est faite autour de la multitude des thèmes qu'aborde
l'auteur, et qui prêtent tous à réflexion :
- le principal étant ce SILENCE du personnage Ali, de son fils
Hami silence qui va peser sur la génération
des petits-enfants, certains "réussissant" leur vie,
d'autres se dirigeant vers le radicalisme peut-être...
- le thème de la HONTE : honte d'être considéré
comme traître à l'Algérie, étant harki, devenu
brebis galeuse, Jokyah ! Considéré comme "rien"
en France : d'abord parqué comme prisonnier à Rivesaltes
ou Jouques, puis en HLM en Normandie
- le thème de la perte d'identité, de la dépossession,
très important pour Ali, qui, dans la tradition kabyle, considère
non sa réussite personnelle, mais celle de la famille, du clan,
de la communauté.
- la dimension historique qu'Alice Zeniter revendique, cette guerre entre
l'Algérie et la France qui surgit dans ce village de Kabylie, forçant
les gens à "basculer" d'un côté ou de l'autre,
est vraiment incarnée dans la famille d'Ali ; le lecteur "entre"
dans ces destins, mektoub, bonne ou mauvaise fortune, et passe, comme
Ali et Hamid, de cette fraîcheur algérienne au froid glacial
de l'Orne, de la vie au silence...
Très belle lecture. Et quelles discussions elle a provoquées
entre nous, autour de la chorba et des délices orientaux (hyper)
sucrés !
SUR L'AUTEURE ET SES UVRES
: quelques repères
Formation
- Née en 1986 dune mère normande et dun père
algérien kabyle, elle vit dans la Sarthe jusquà 17
ans.
- Khâgne au lycée Lakanal à Sceaux. En 2006, entre
à la Sorbonne Nouvelle en même temps qu'à l'École
Normale Supérieure. Master d'études théâtrales,
suivi de trois ans de thèse sur le dramaturge britannique Martin
Crimp durant lesquels elle enseigne aux étudiants de la licence.
Elle vit presque trois ans en Hongrie où elle enseigne le français
en tant que lectrice. Abandonne son doctorat, pour se consacrer à
ses activités artistiques.
En tant que dramaturge ("je
suis dramaturge dans les deux sens : le sens français
qui est décrire des pièces de théâtre
et le sens allemand qui est dêtre spécialiste du texte
auprès dun metteur en scène et dune équipe
de théâtre")
- Assistante-stagiaire à la mise en scène
en Hongrie dans la compagnie théâtrale Kreatakor.
- Collabore à plusieurs mises en scène de la compagnie
Pandora.
- Travaille en 2013 comme dramaturge pour la compagnie
Kobal't.
- Collabore à l'écriture de
Fever, une adaptation du roman
de Leslie Kaplan, réalisée par Raphaël Neal en
2015.
- A écrit deux pièces, Spécimens humains avec
monstres (lauréate de l'Aide
à la création du CnT en 2010) et Trilogie inachevée,
jouées et mises en espaces à plusieurs reprises, ainsi qu'un
spectacle musical jeune public Un
Ours, of course ; le conte musical Un
Ours, of course ! a été publié chez Actes
Sud en 2015.
Romans
- 2003 (premier roman publié à 16 ans) : Deux
moins un égal zéro, éd. du Petit Véhicule
- 2010 : Jusque
dans nos bras, Albin Michel (Le livre de poche, 2011)
- 2013 : Sombre
Dimanche, Albin Michel, prix du Livre Inter (Le livre de poche,
2015)
- 2015 : Juste
avant l'oubli, Flammarion, prix Renaudot des lycéens (J'ai
lu, 2016)
- 2017 : L'Art
de perdre, Flammarion, prix littéraire du Monde,
prix Goncourt des lycéens.
Entretiens
sur L'Art de perdre
- "Mon livre est un moyen d'aborder l'Histoire autrement", avec
Sophie Rahal (Télérama,
16 novembre 2017)
- et surtout : "En faisant le choix de la fiction, j'ai préservé
ceux qui n'avaient pas envie de parler", avec Nathalie Crom (Télérama,
27 novembre 2017)
Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme
au rejet :
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à
la folie
grand ouvert
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beaucoup
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