6 novembre 2017-Restaurant Drouant-AFP Eric Feferberg
Photographie de la jacquette : Gustav Krupp von Bohlen und Halbach
©Georg Pahl, German Federal Archive, Bundesarchiv.
Quatrième
de couverture : "Ils étaient vingt-quatre,
près des arbres morts de la rive, vingt-quatre pardessus noirs,
marron ou cognac, vingt-quatre paires dépaules rembourrées
de laine, vingt-quatre costumes trois pièces, et le même
nombre de pantalons à pinces avec un large ourlet. Les ombres pénétrèrent
le grand vestibule du palais du président de lAssemblée
; mais bientôt, il ny aura plus dAssemblée, il
ny aura plus de président, et, dans quelques années,
il ny aura même plus de Parlement, seulement un amas de décombres
fumants.
É. V"
Les premières pages de L'ordre
du jour sont en
ligne (Actes Sud Littérature, coll. "Un endroit où
aller")
Quatrième de couverture : La prise de la Bastille
est lun des évènements les plus célèbres
de tous les temps. On nous récite son histoire telle quelle
fut écrite par les notables, depuis lHôtel de ville,
du point de vue de ceux qui ny étaient pas. 14 Juillet
raconte lhistoire de ceux qui y étaient. Un livre ardent
et épiphanique, où notre fête nationale retrouve sa
grandeur tumultueuse.
Quatrième de couverture :
Éric Vuillard poursuit avec Congo son entreprise de relecture
de lHistoire, quil tutoie au plus près, à hauteur
dhomme, mettant en scène les balbutiements de lépoque
coloniale pour dénoncer les travers de notre modernité.
Quatrième de couverture : Le spectacle est
lorigine du monde. Créé en 1883, le Wild
West Show de Buffalo Bill proposait dassister en direct aux
derniers instants de la conquête de lOuest : au milieu de
cavaliers, de fusillades et dattaques de diligence, des Indiens
rescapés des massacres y jouaient le récit de leurs propres
malheurs. Lillusion était parfaite. Par la force de la répétition
et le charme de la féerie, le Wild West Show imposa au monde
sa version falsifiée de lHistoire américaine.
Dune écriture acérée et inventive, Éric
Vuillard ressuscite les personnages de ce drame et livre une autre version
de la fable, dans les replis de sa naissance. Avec les armes de la littérature,
Tristesse de la terre noue ensemble les fils de deux histoires, celle
des derniers massacres dIndiens et celle de leur mise en scène
par le grand spectacle, en une évocation saisissante.
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Éric Vuillard
L'ordre du jour
Nous avons lu cet auteur pour le 6 avril
2018.
Le groupe breton l'avait lu pour le
15 mars 2018 et le nouveau groupe parisien
le 22 décembre 2017.
A propos des uvres d'Éric
Vuillard et de son parcours, ainsi que de questionnements sur la fiction
contemporaine, voir en
bas de page.
Séverine (avis transmis)
Un comble ! Cest moi qui ai proposé de lire Éric
Vuillard, déclenchant une polémique à laquelle je
nai pas assisté et maintenant je ne suis pas là pour
entendre vos avis ! Bon, en tout cas, personnellement, je suis ravie
davoir suggéré cet auteur. Jai donc lu Lordre
du jour, Tristesse de la terre : une histoire de Buffalo
Bill Cody
et 14
Juillet. Jaurais beaucoup à dire mais je vais
faire bref : jai adoré ! Jaime son principe
de faire de lHistoire un sujet littéraire et surtout de regarder
lHistoire sous un autre angle. Dans Lordre du jour,
je dirais que jai aimé sa façon de décrire
les bâtiments et surtout daller voir derrière les portes
ce qui se passe, là où certains décident de lavenir
de beaucoup. Dans Tristesse
de la terre, je dirais que jai été surprise
dapprendre que Buffalo Bill était un cow-boy dopérette !
Qui a tout de même eu le mérite dêtre linventeur
de cette image des Indiens faisant "ouh ouh" en mettant leur
main sur leur bouche ! Dans 14
Juillet, je dirais quil nous fait voir la Révolution
pas tant par les grands hommes que par le commun des mortels qui a pris
la Bastille. On sent derrière ces textes un passionné dHistoire
qui grâce à un style maîtrisé et prenant nous
donne envie de se replonger dans lHistoire ! Il me fait penser
à Pierre Bayard (cest Lordre du jour qui m'a
fait penser à ça avec un parallèle avec Aurais-je
été résistant ou bourreau ?) : il choisit
des sujets qui concernent tout le monde et qui peuvent parfois avoir un
côté un peu "spectacle" : Buffalo Bill chez
Vuillard et le Titanic chez Bayard (dailleurs Vuillard fait pas
mal de comparatif réalité/fiction). Bref, je suis fan !
Et je pense relire les livres que jai lus et surtout lire ceux que
je nai pas lus
et je pense que cest un auteur que je
vais suivre. Jouvre "en grand" avec peut-être juste
un moins que "en grand" pour 14 Juillet.
À noter tout de même que toutes ces "histoires"
sont tout de même très masculines et lui-même reconnaît
que les femmes sont peu présentes dans ces événements
historiques.
Richard(avis
transmis)
J'ai eu un certain plaisir à lire ce récit. C'est un grand
travail de documentation sur une période qu'on pensait bien connaître
d'un point de vue historique, mais dont j'ignorais beaucoup des aspects
humains.
Je dois croire que tout est vrai ; si c'est le cas, les détails
sont extrêmement intéressants : Schuschnigg est vraiment
lamentable et Ribbentrop diaboliquement malin dans son action de retardement
lors du dîner avec les Anglais.
Vuillard couvre un grand nombre d'aspects, les uns comiques (l'invasion
de l'Autriche bloquée par un bouchon à la frontière :
nous connaissons tous la scène de l'enlèvement de la barrière
douanière, mais nous n'avions jamais vu la suite), les autres tragiques
(1700 suicides en une semaine juste avant la connexion de l'Autriche à
l'Allemagne).
Le récit est très facile à lire, et Vuillard utilise
bien les phrases courtes pour donner un bon rythme.
Toutefois, ce travail de documentation allié à une bonne
écriture ne justifie pas à mes yeux l'attribution du prix
Goncourt. Est-ce que Vuillard ne bénéficie pas de l'attrait
d'un sujet ("Nazi bashing") à la mode ? J'ouvre
aux ¾.
P.S. Quelqu'un peut-il m'expliquer ce que Vuillard veut dire par "Adam
[von Opel] sorti des entrailles indéchiffrables
de sa mère" ?
Nathalie R
On lit dans les entrailles, et heureusement qu'on n'a pas su lire dans
celles-ci... indéchiffrables, donc.
Rozenn
(avis transmis ultra rapidement)
Je suis de baby-sitting impromptu ce soir. Le livre m'a plu. J'ai eu un
grand plaisir de lecture. Avec même des ravissements alors qu'a
priori le sujet ne m'intéressait pas. Je garde une impression de
fragments, peut-être parce que j'en ai relu des fragments.
Manuel
(avis transmis)
Quel drôle de livre que Lordre du jour. Je nai
pas eu de déplaisir à le lire, mais je me suis constamment
demandé quel était le projet littéraire dÉric
Vuillard. On y apprend que les industriels ont mis la main à la
poche pour financer le nazi. Ces industriels ont également utilisé
comme main duvre des prisonniers juifs. Est-ce quon
doit rire à cette farce de lAnschluss, avec un Hitler furieux
que ses tanks soient en panne et être forcé de les transporter
en train, ou à lattitude complaisante de lAutriche
: la mariée est consentante, ce nest pas un viol ? Ce
qui ma gêné, cest que javais en tête
plein dautres uvres bien plus marquantes comme Le
monde d'hier de Zweig ou Le
volcan de Klaus Mann et au cinéma Les
Damnés de Visconti. Il y a en filigrane une charge contre
lentreprise qui ma un poil agacé. Certaines dentre
vous disaient que Congo
était un meilleur livre. Quelle déception ! Javais
limpression de lire le même livre avec les mêmes "ficelles" !
Du coup jaurais préféré lire Congo en
premier. Quelle histoire abominable
que je ne connaissais pas. Décidément
les Occidentaux ont été lamentables pendant la période
coloniale. Jouvre les deux livres à moitié.
Monique L
L'ordre du jour est le premier livre d'Éric Vuillard que
je lis. Sa lecture m'a été facile et j'ai apprécié
qu'il nous raconte des petits détails dont j'ignorai l'existence
et qu'il s'attarde sur des anecdotes. Il nous fait découvrir des
accords scandaleux, des scènes ridicules, des coups de bluff incroyables,
des discussions ubuesques
des secrets d'Histoire. Le grotesque et
le tragique ne cessent de se mêler.
J'ai tour à tour été indignée, impressionnée.
Se promener dans les coulisses d'événements historiques,
c'est instructif et même plaisant.
Ce récit court est bien écrit et très documenté.
Le ton est juste.
Je n'ai aucune légitimité en la matière mais le Goncourt ?...
Ce n'est pas ce que j'attends de la littérature, malgré
l'intérêt que j'ai pris à lire ce livre qui plus est
très bien écrit. Je ne connaissais Éric Vuillard
que de nom et penserai à lui pour parfaire mes connaissances historiques...
Le débat sur la frontière entre l'histoire et de la littérature
n'est pas clos !! La parution de trois romans historiques, Les
Bienveillantes de Jonathan Littell (2006), Jan
Karski de Yannick Haenel (2009) et HHhH
de Laurent Binet (2010), ont fortement réanimé ce débat
sur la capacité des romanciers, plus grande peut-être que
celle des historiens, à rendre compte du vrai. J'ouvre à
moitié.
Éric Vuillard opère un changement de focale dans 14
Juillet par rapport à ce que l'on nous a relaté
sur cet événement : il donne la voix au peuple, il
n'y a pas de personnages, mais des figurants. Le récit est foisonnant
de détails. Il évoque des professions et patois disparus.
On y croise des noms, des visages, des conditions sociales, oubliés.
On ne s'attarde sur aucun personnage et c'est frustrant. J'ai apprécié
la richesse du vocabulaire, l'ironie et l'originalité du point
de vue.
Tout ceci aurait dû m'intéresser, mais j'ai eu du mal à
lire ce livre qui m'est vite apparu comme un exercice de style. De plus
le style (accumulation de verbes, d'adjectifs, de listes de noms par ordre
alphabétique) et le rythme trop rapide ont rendu ma lecture "fatigante"
et distanciée. Cela m'a paru factice bien que, sans aucun doute,
très documenté. Humble, l'auteur reconnaît qu'au fond,
on ignore ce qui se produisit vraiment. J'ouvre à moitié.
Henri
Le livre m'a agacé. Certes, c'est très documenté.
La lecture est facile ; je n'ai pas aimé le style, le format
des courts chapitres. Il s'écoute parler ou plutôt écrire.
Le début "Le
soleil est un astre froid. Son cur, des épines de glace.
Sa lumière, sans pardon." : pitié !
Je n'ai pas aimé non plus le positionnement : il surplombe,
il dissèque. J'ai lu sur le même sujet le livre d'Annie Lacroix-Ritz
dont je vous citerai des passages : les industriels qui se font de
l'argent sur la guerre, il n'y a pas que les Allemands. J'ouvre au ¼.
Catherine
J'ai lu L'ordre du jour et, comme il était court, Tristesse
de la terre et 14
Juillet. C'est bien écrit, les scènes sont très
bien retracées. Je trouve que c'est un peu téléphoné,
mais c'est bien écrit : le dîner avec Chamberlain par
exemple. Mais c'est très simplificateur. C'est un récit,
ce n'est pas de la fiction. Il donne son avis quand il dit "je",
il donne son jugement moral. J'ai découvert que les panzers sont
tombés en panne en Autriche. C'est bien écrit, mais un peu
fabriqué. J'ouvre à moitié.
Tristesse de la terre est plus original. C'est la conquête
de l'Ouest. C'est assez glaçant sur la destruction d'une tribu
indienne par des Indiens. 14 Juillet, c'est plus foisonnant. Intéressant,
comme tu disais Monique, avec le peuple comme personnage. Mais est-ce
de la littérature ? J'ouvre à moitié.
Françoise D
Je suis assez négative, partagée. Ça se lit bien,
on apprend des choses. Pourquoi a-t-il eu le Goncourt ! C'est plus
un historien écrivain. Je ne suis pas enthousiasmée. Je
suis déçue même. Je n'ai rien lu d'autres de lui.
Il se sert de l'Histoire (avec un grand H) pour tenter de nous en raconter
une d'histoire, mais sans ce qui fait un bon écrivain, l'imagination.
Il n'arrive pas à créer des personnages. Tout ça
reste factuel, alors oui, on apprend des anecdotes (peu en fait), mais
après... ? On n'est pas embarqué, enfin, je
ne suis pas embarquée. J'ouvre à moitié.
Nathalie R
Quand j'ai vu le prix, Je ne l'ai pas acheté. C'est pourquoi j'ai
lu Tristesse
de la terre à 6,80 €... C'est plutôt
Tristesse des hommes... Il n'y a pas de place pour les femmes comme
le rappelait Séverine. La femme de Buffalo Bill est très
belle au début comme lui mais elle devient très moche en
vieillissant ne supporte pas les incartades de son mari qui lui reste
très élégant. La façon dont cela a été
écrit : il travaille à partir de photos. L'acmé,
c'est la bataille ou les Indiens sont massacrés par d'autres Indiens,
habillés en uniforme américain. Cela m'a fait penser à
Barthes quand
il décrit l'italianité dans Communication
au sujet des images. Les stéréotypes des images fixées
dans nos mémoires. J'ai aussi pensé à Rousseau. Vuillard
remplit le vide sans qu'on sache si c'est vrai ou faux. Ce livre m'a fait
rêver. J'ouvre à moitié.
Danièle
J'ai été ébranlée par les avis négatifs
que je viens dentendre. Mais jen reste à ce que je
voulais dire. J'ai beaucoup aimé L'ordre du jour. J'ai aimé
la capacité de l'auteur à s'indigner et à faire passer
sa colère. Pour moi, ce n'est pas de l'histoire, c'est un message
politico-littéraire. Sur le fond, j'ai pensé à Brecht
et à La
résistible ascension d'Arturo Ui (Danièle insiste
sur le mot résistible). La couardise, la lâcheté,
la bêtise, la paresse ont empêché qu'on interrompe
l'ascension d'Hitler. Mais Brecht traite ce thème de manière
distanciée, tandis quÉric Vuillard transmet toute
son énergie dans un style littéraire explosif et recherché
qui doit aboutir à nous faire partager son indignation. Il le fait
aussi sur le mode de lhumour et de la caricature : il ridiculise
les personnages quil critique. On pense à Chaplin. C'est
pour moi un point de vue littéraire original qui nous fait réfléchir,
au-delà du pouvoir magnétique dHitler, sur les rapports
(compromissions) entre les hommes au pouvoir entre eux et, ici, les grandes
dynasties allemandes du monde de lentreprise, chacun agissant pour
son propre intérêt. Mais jy ai vu une portée
qui dépasse lhistoire de lAllemagne. J'ouvre aux ¾.
Jacqueline
J'ai été surprise par ce livre qui a eu le prix Goncourt.
Est-ce un roman ? Il m'a rappelé François-Henri
Désérable par le sujet historique revu par un romancier,
c'est un genre un peu inclassable. Je l'ai dévoré. (Se
tournant vers Henri) : le début avec le soleil astre froid
m'a plu. J'ai pensé à Brecht aussi. Il y a, en une succession
de tableaux, une dénonciation des grands groupes. C'est théâtral,
très bien mis en scène. C'est bien écrit. Ça
m'a plu. (Jacqueline lis le dernier paragraphe du livre) : cela m'a prise
à la gorge. Puis j'ai repris le livre : à la relecture j'ai
resitué les événements. J'ouvre aux ¾ car
je suis enthousiaste, prise par l'écriture.
Fanny
Je l'ai lu sans recul. Sur moi ça a marché. Surtout le début.
C'est très fort, très dur. Il va du général
au particulier. C'est bien amené. C'est un texte dense. L'emploi
du présent me marque, qui entraîne une tension dramatique.
Que ce soit une vision partielle, simplifiée, ne me gêne
pas ; ça n'a pas la prétention d'être un texte
exhaustif d'un point de vue historique. Les fils des industriels allemands
sont toujours là mais doit-on faire porter aux descendants la responsabilité
de ce qu'on fait leurs ancêtres ? Si je le relisais, je ne
sais pas si j'aurais le même engouement, d'autant plus qu'avec dix
jours de recul je me rends compte qu'il y a beaucoup d'éléments
stylistiques que j'ai oubliés. J'ouvre à moitié.
Claire
Je reviens sur l'ébranlement de Danièle suite aux commentaires
des avis d'Henri et Catherine : "c'est fabriqué".
On se dit qu'on s'est fait avoir, on n'a rien vu, quelles cruches ont
est, et j'en suis
J'ai trouvé le tout début chiant,
je ne comprenais pas, et la fin que tu as lue Jacqueline, idem. Très
vite j'ai beaucoup aimé. J'ai été retenue par l'écriture,
les mots même, l'usage des temps, l'art des portraits et le je :
ce narrateur non identifié m'a rappelé le je non
identifié non plus d'Alice Zeniter (froncement de sourcils de
Catherine) ; d'ailleurs le livre m'a rappelé plus généralement
L'art de perdre (refroncement
de sourcils de Catherine) ; oui, avec un traitement littéraire
de l'Histoire différent. J'ai aimé ces petits chapitre bien
dosés, ce va-et-vient entre présent et futur (quand on passe
à Nuremberg, puis revient en arrière), ce sens de la dramaturgie.
Un art de la construction.
Brigitte
Construction n'est pas fabrication...
Claire
Merci Brigitte ! A la fin de chaque chapitre, je revenais en arrière
pour savourer le titre du chapitre. Parfois l'écriture se fait
rythmée avec des formules ternaires : "au
lieu de la vitesse, la congestion ; au lieu de la vitalité, la
congestion, au lieu de l'élan, le bouchon" (p. 109).
J'ai apprécié les registres variés. Il y a une résonance
actuelle politique, par exemple les ciments Lafarge avec Daesh. C'est
du plaisir avec un sujet grave et une forme pas banale, oui au Goncourt...
Après j'ai voulu en lire un autre, j'ai choisi le plus petit, Congo,
et là la cata, ça commence pareil
J'ouvre aux ¾.
Denis
et
J'ai lu Congo aussi mais j'ai d'abord lu L'ordre du jour :
j'étais scotché. J'ai beaucoup aimé. Ce qui men
reste, surtout car je n'ai plus le livre que j'ai donné
à ma fille elle apprendra des choses , c'est l'entrevue
entre Hitler et Schuschnigg : comment ce pauvre homme va-t-il sen
sortir ? L'entrée en Autriche m'a rappelé Le
Dictateur de Chaplin, avec "ce mélange de ridicule
et d'effroi". Et aussi Les damnés de Visconti, qui
montre très bien comment une famille de grands industriels se trouve
obligatoirement embringuée dans des relations très étroites
avec le parti nazi. La scène avec le chancelier autrichien donne
une représentation plausible de lattitude d'Hitler. Je trouve
cela très intéressant, car au fond je nai aucune idée
du genre de bonhomme quétait Hitler (en dehors des grands
traits : un fou paranoïaque, etc.). Or cest important
de connaître les processus par lesquels la bande à Hitler
est arrivée à prendre le pouvoir et à détruire
la société allemande. Je connais un reportage de Kessel
dans les années vingt, mais guère plus. Je suis certainement
mal renseigné... Sur Goebbels, il y a le livre de Kessel encore
lui Les
mains du miracle.
Lordre du jour est un bon livre, j'ouvre ¾. Quant
à Congo, avec son style imprécateur sans humour, j'ouvre
¼.
Christelle
Sur moi, ça a marché. C'est efficace, bien écrit.
J'ai aimé le format. Certains passages étaient si précis
et imagés que c'était pour moi comme un documentaire :
l'avancée de l'armée allemande, la rencontre des deux chanceliers
(qui est mon passage préféré : effrayant !),
Daladier aux accords de Munich...
Les interactions des politiques européens et celles des industriels
allemands avec Hitler ne voyant souvent que ses propres intérêts
font réfléchir sur une certaine médiocrité
de la nature humaine. Le passage concernant le futur ministre du Reich,
Ribbentropp, et les allusions qui montrent comment Hitler a choisit ses
ministres laissent également songeur vis-à-vis de la qualité
des gouvernants (j'ai lu ce passage au moment de l'"affaire J.V. Placé"
et cela ne m'a pas rassurée). Il y a une charge sur les industriels
allemands qui s'étend jusqu'aux petits-enfants : cela mériterait
un débat et une vue plus vaste des positionnements économiques,
politiques... à l'époque, ce que la brièveté
du récit ne permet pas.
Je n'ai pas aimé le tout début du livre, peu accrocheur,
la conclusion, artificielle, et le passage faisant appel à l'histoire
de Soutter, le peintre qui peint avec ses doigts passage
qui m'a paru également plaqué : il faudrait probablement
que je le relise en regardant les uvres.
J'ouvre aux ¾.
Brigitte
Voilà un livre terrible, épouvantable
mais peut-être
indispensable. Malheureusement ce qu'il raconte n'est pas de la fiction,
mais la réalité.
Il nous démontre que nos démocraties occidentales ne peuvent
pas résister à un fou surfant sur une vague populiste. Ces
politiques "civilisés", plutôt intelligents, très
informés de la politique et des relations internationales, un peu
corrompus, un peu courageux, habituellement capables de prendre des décisions,
souvent dynamiques, aptes à affronter les foules
sont complètement
démunis devant un fou violent. On voit la population se laisser
manipuler pour en arriver à applaudir l'envahisseur. Seuls quelques
rares personnages lucides se suicident dans une discrétion absolue.
L'écriture est totalement au service du projet. C'est un livre
très réussi qui nous force à réfléchir
et à affronter un monde terrifiant.
Heureusement que la plupart des fous ne sont pas en phase avec une conjoncture
adaptée à leur folie.
Claire
Le groupe breton m'a signalé qu'Éric Vuillard fut longtemps
leur voisin et fréquente la même librairie ; d'ailleurs,
le dédicataire de L'Ordre du jour, Laurent Évrard,
est un libraire qui est le premier à avoir cru en lui comme écrivain.
Pour ce qui est du genre, je trouve passionnant de lier Vuillard à
ces livres qu'on a lus, de Zeniter,
Emmanuel
Carrère, et aussi à De
sang froid qu'on avait lu jadis
Françoise D (sautant de son fauteuil)
... rien à voir, Trumane Capote, c'est un grand écrivain
!
Claire
... ainsi qu'à ce qu'a fait Rosa
Montero avec Marie Curie
Henri (tout à coup attendri)
Ça c'est autre chose !
Claire
J'ai écouté plusieurs émissions
sur Vuillard à France cucul, dont des émissions
avec des historiens et j'ai trouvé fort intéressant d'entendre
ceux-ci dire qu'ils ont à apprendre des écrivains, ce dans
la lignée de Michelet.
Henri (qui revient à la charge)
Dans ces courts chapitres, ce livre qui se lit vite, je vois l'esprit
du temps, des tweets.
Claire (convaincue)
Ça y est, on est des superficiel.le.s...
Denis (jubilant)
Je retrouve ma mauvaise foi quand je n'aime pas un livre
Henri (toujours pugnace)
Et ce qui m'énerve c'est quand je lis que Vuillard "dépoussière"
l'histoire (ici
ou là)
et ses formules rythmées genre anaphore de Hollande
Plus sérieusement, Henri évoque les cartels dans le livre
d'Annie Lacroix-Ritz qu'il a apporté : Aux
origines du carcan européen (1900-1960) : la France sous influence
allemande et américaine (éd. Delga-Le Temps des
Cerises, 2015)
Christelle
Je me suis arrêtée sur le mot palinodie : "Ici,
on flanoche, piapiate, esquiche, rognonne et on s'amuse de la palinodie
du président autrichien").
(Les smartphones s'affairent pour trouver
la définition : désaveu
de ce que l'on a pu dire ou faire précédemment, changement
d'opinion et principalement d'opinion politique, le fait de revenir sur
ce que l'on a fait ou dit, de se désavouer.)
Catherine
C'est comme si Henri changeait d'avis sur le livre après nous avoir
entendus
En tout cas c'était bien un-livre-pour-le groupe-lecture...
Avis du nouveau groupe parisien
Alix
Ce livre m'a un peu déroutée. Ce n'est pas que je me sois
ennuyée, mais j'ai eu du mal à vraiment accrocher.
Sur le fond, le thème de L'ordre du jour est intéressant
et nécessaire. C'est bien raconté. J'ai ressenti une vraie
angoisse lorsque Schusschnigg se rend à Berchtesgaden déguisé
en skieur pour rencontrer Hitler. J'ai aimé la scène du dîner
avec les Ribbentropp et Chamberlain, juste après l'annexion de l'Autriche.
J'ai aimé certaines remarques : "Les
ombres pénètrent dans le grand vestibule du palais de l'Assemblé ;
mais bientôt, il n'y aura plus d'Assemblée, il n'y aura plus
de président, et, dans quelques années, il n'y aura même
plus de Parlement, seulement un amas de décombres fumants.",
"Tout va pouvoir continuer
comme avant : les promenades au bord du Danube, la musique classique,
le babillage inconsistant, les pâtisseries de chez Demel ou Sacher".
Mais j'ai trouvé le style parfois pénible, lourd. C'est trop
moralisateur et on voit trop les ficelles. C'est peut-être une spécificité
de cet auteur, je n'ai lu aucun autre de ses livres pour l'instant. Par
exemple, la scène où le vieux Gustav est en train de dîner
et voit des gens dans un coin de la pièce : "ce
n'est donc pas Gustav qui hallucine ce soir-là, au milieu de son
repas de famille, c'est Bertha et son fils qui ne veulent rien voir. Car
ils sont bien là, dans l'ombre, tous ces morts".
Je comprends bien que l'auteur veut dénoncer la collusion entre les
intérêts économiques des grands industriels et ceux
des Nazis, et le fait que les industriels ont du sang sur les mains. Mais
je trouve que le procédé n'est pas très fin, pas très
original. De même, j'ai trouvées agaçantes plein de
petites phrases ironiques ("sûr
qu'il en connaissait un bout en sciences politiques, lui qui avait su dire
non à toutes les libertés publiques") ou mélodramatiques
("est-ce que la vieille
enfant fripée qui se reconnaît sur le petit film , dans le
rectangle froid du téléviseur, elle qui est toujours vivante,
après la guerre, les ruines, l'occupation américaine ou russe
(
) est-ce
qu'elle soupire parfois, tirant les souvenirs pénibles de leur formol ?")
glissées çà et là.
J'ouvre à moitié.
Julius
J'ai commencé par lire Congo dont la thématique m'intéressait,
ayant prévu de lire les deux autres dans la foulée. Mais ce
livre court m'a littéralement retenu de lire les deux autres. Il
raconte le lancement de la colonisation de l'Afrique à partir d'une
conférence réunissant différents dirigeants de pays
européens qui se sont partagé l'Afrique. C'est ainsi que j'ai
appris d'ailleurs que le Congo belge avait été propriété
privée du roi des Belges. Le sujet était intéressant
mais je n'ai pas aimé le style. Le ton est suffisant. La toile historique
n'est qu'un prétexte sans que l'Histoire soit sérieusement
établie. Vuillard campe quelques portraits qu'il se complaît
à tourner en ridicule avec un ton d'autosatisfaction assez insupportable.
Il se plaît à enfoncer des portes ouvertes. (Julius lit
quelques extraits.)
Les personnages comme par exemple celui de Chodron de Courcel (diplomate
français) sont décrits comme grotesques, grossiers. Le portrait
des frères Goffinet est un copié/collé de Wikipédia
Cette façon de dénoncer...
François
Qu'est-ce qui te gêne ?
Julius
C'est très inélégant ; cette dénonciation
sans recul de ces hommes dont on jette le nom en pâture, ces jugements
à l'emporte-pièce
Valérie
L'Ordre du jour m'a intéressée mais la dénonciation
de ces 24 hommes d'affaire du début a un peu un goût de leçon
de morale.
Audrey
J'ai lu 14 Juillet. J'avais envie d'aimer ce récit historique,
mais au fil de ma lecture, je me suis sentie gênée car ne
me paraît pas du tout respecter l'objectif annoncé du livre
"Il faut écrire
ce qu'on ignore
C'est depuis la foule sans nom qu'il faut envisager
les choses. Et l'on doit raconter ce qui n'est pas écrit".
La première scène est saisissante. Mais il faut aller chercher
le vocabulaire avec un discours si peu accessible
Je ne comprends
pas mieux la Révolution avec cette journée-là. L'intention
me gêne. L'auteur parle pour les "petites gens" mais pas
à ces gens-là. C'est la classe dominante qui parle à
la classe dominée, du haut de sa hauteur, en montrant bien que
celui qui écrit est au-dessus. Je trouve cela agaçant et
Julius
... très suffisant.
Audrey
Oui, suffisant. Je suis d'accord avec ce terme. Par ailleurs, j'ai été
surprise par les descriptions géographiques, je ne comprenais pas,
ne m'y retrouvais pas. L'énumération des rues m'a un peu
agacée. Mais il y a de très beaux passages : le passage
du saccage de la Folie, "maison
de plaisance, extravagance d'architecte, outrance princière",
la mort de Sagault
L'auteur montre admirablement la tension de la
foule. La scène des Invalides avec ces gens qui s'engouffrent est
extraordinaire. Il arrive à créer cette impression de foule
mais en revanche ne permet pas d'y voir la fraternité. Quelques
petites touches mais pas plus. En revanche, il fait bien percevoir l'idée
de confusion. (Audrey lit un extrait sur la mort de Sagault p. 149
à 151)
Julius
Ça, je reconnais, il a un vrai talent pour faire mourir les gens.
Émilie
J'ai vraiment beaucoup aimé 14 Juillet. Je n'ai pas trouvé
le texte suffisant. J'ai beaucoup aimé qu'on parle de ceux qui
n'ont pas la parole. Le rythme est rapide, essoufflé même,
comme s'il était écrit d'un seul trait. Le récit
est très réaliste. Je n'avais pas réfléchi
au fait qu'ils étaient si nombreux à être désuvrés,
sans travail, que leurs langues étaient différentes, que
leurs patois étaient si divers, qu'ils ne parlaient pas la même
langue. Lors du passage sur la sur venant voir parmi les corps étendus
s'il n'y a pas son frère, l'auteur énumère la description
des corps, leurs vêtements, l'indication de leur nom et ainsi ces
personnages, qui ont existé mais que l'histoire a oublié,
prennent corps. Quant à la géographie des lieux, je n'ai
pas eu de problème. Quand on connaît Paris, on voit le cheminement.
Et ce qu'on ne connaît pas ne gêne pas le récit. Ce
récit des petites histoires dans la Grande Histoire est captivant.
En général, la Révolution de 1789 nous est généralement
enseignée comme une révolution bourgeoise, mais ce qu'on
voit là, c''est l'action des gens du peuple. Il est rendu hommage
à ces petites gens.
Julius
Sur les rues de Paris, tu dis que c'est agaçant Audrey. Ce que
j'ai moi-même trouvé agaçant, c'est la façon
dont Vuillard veut entrer en connivence avec le lecteur, comme si celui-ci
était censé connaître tous les noms dont il parle
mais qu'il faut aller rechercher. Cela a un côté très
désagréable pour le lecteur.
Audrey
Cela m'a effectivement gênée.
Émilie
Pour moi, au contraire, cette liste de noms me donne l'impression qu'on
y est tous.
François
C'est très irrationnel, mais très juste ce que tu dis.
Valérie
Je n'ai lu que 70-80 pages de 14 Juillet. J'ai trouvé long
le passage sur l'énumération des corps, c'était toujours
le même type de description ; les corps se ressemblaient et en devenaient
anonymes. J'ai lu également L'ordre du jour. Ce sont des
livres qui se lisent facilement, au même rythme que l'auteur semble
écrire. Il décrit un événement que tout le
monde connaît mais il essaie d'individualiser les destins. Côté
énumération, je trouve cela un peu fastidieux. Quand on
écoute les extraits lus par Julius et on les compare à L'Ordre
du Jour et 14 Juillet, on peut se dire qu'il y a un petit côté
recette. Mais ceci étant, j'ai trouvé l'écriture
belle avec un rythme haletant.
Julius
Cela m'a fait penser à un livre de cet auteur insipide, Le
papillon de Siam de Maxence Fermine, que je n'ai pas du tout aimé.
Valérie
Je pensais que Vuillard était historien, mais en fait c'est un
cinéaste, et ce récit ressemble bien à un travail
de cinéaste : la découpe des scènes décrites,
le côté visuel, bruyant. Son uvre de mémoire
est important pour les futures générations.
Françoise H
Ce récit est très agréable à lire. C'est une
belle entreprise pour déconstruire et revisiter la journée
du 14 juillet 1789. Mais je n'ai rien compris à la prise de la
Bastille.
Audrey
Moi non plus, je n'ai rien compris.
Nathalie B
Personnellement j'y retrouve la mêlée, la confusion que cela
devait être.
Françoise H
Plongé dans ce livre, on se sent perdu comme cela devait l'être.
C'est un récit plutôt linéaire, intercalant des scènes.
La liberté dont l'auteur fait preuve m'a beaucoup séduite.
L'auteur puise des souvenirs dans d'autres histoires avec des entrelacements
multiples. Pour ma part, j'ai trouvé plaisant ces clins d'il
au lecteur, même s'il peut arriver d'être un peu perdu dans
le registre qu'il utilise. Il cite Michelet en faisant un parallèle
avec ce que lui-même entreprend d'un autre point de vue. J'aime
assez ce rapport à l'histoire contemporaine. Par exemple, il fait
référence à l'Intifada dans le jet des pierres des
parisiens qui dépavent les rues. J'ai trouvé ce maelström
très réjouissant. Et vraiment ce sentiment de foule, ces
mouvements contradictoires, le mélange de morts et de vivants en
action faisait bien apparaître le tourbillon de ce jour-là.
J'entends les critiques mais même si le récit n'est pas très
clair, j'ouvre en grand.
Anne
On devrait avoir des ouvertures intermédiaires. Entre livre grand
ouvert et aux ¾, j'aimerais bien une sous-catégorie.
Julius
En outre, avec le recul, après avoir fait la connaissance d'autres
uvres, on a parfois envie de modifier son premier avis, pris dans
l'émotion toute vibrante de sa lecture.
Nathalie B
Ce serait intéressant de faire une séance annuelle par exemple
pour revisiter les avis de toutes nos lectures sur l'année.
J'ai lu 60-70 pages de 14 Juillet et ce premier tiers me donne
déjà envie de l'ouvrir en grand. C'est un exemple passionnant
de micro-histoire. Et qui fait réapparaître le côté
social qui semble avoir disparu depuis une vingtaine d'années des
programmes scolaires. Et cette relecture du côté social est
pour moi très vivifiant. C'est de toute façon un récit
engagé au sens sartrien du terme. Et qui fait écho à
notre monde moderne. L'auteur donne vie à ces hommes et femmes
qui se révoltent, qui organisent, dans une incroyable désorganisation
la "sédition". "Elle
[la sédition]
surgit dans le monde et le renverse, puis sa vigueur faiblit, on la croit
perdue. Mais elle renaît un jour."
(p. 60)
Nathalie F
Je n'aime pas la fiction historique qui prend des libertés avec
l'Histoire. Je suis fan de Laurent Binet. Dans HHhH,
il expose ce qui lui pose problème : "Je
me demande bien comment Jonathan Littell sait que Blobel, le responsable
alcoolique du Sonderkommando (...), en Ukraine, avait une Opel. Si Blobel
roulait vraiment en Opel, je m'incline. J'avoue que sa documentation est
supérieure à la mienne. Mais si c'est du bluff, cela fragilise
toute l'uvre." Je suis entièrement d'accord
avec cette position. Ce 14 Juillet est en revanche un scandale.
Les personnages doivent être réels tant ils sont énumérés
de façon scolaire. Pour autant, Éric Vuillard n'arrive pas
à leur donner vie. Je reconnais la manière poussive et académique
d'un auteur en mal d'imagination, qui s'alimente dans la grande histoire
pour trouver un sujet. C'est tout à fait le genre de livre que
je pourrais écrire moi-même si j'avais beaucoup plus de talent.
Toutefois, je dois dire que j'ai lu avec un certain plaisir la fin du
livre. Je l'ouvre à un quart pour la chute de la Bastille.
C'est dire si j'ai abordé avec un a priori négatif L'ordre
du jour. Car s'il est vraiment une chose que j'abhorre, c'est la frénésie
du XXIe siècle pour les nazis, fournisseurs officiels de grain
à moudre depuis 1933. Cette littérature a un goût
de réchauffé, et il n'est pas un livre historique écrit
a postériori qui ne vaille son alter ego d'époque. Ainsi
Au
revoir là-haut est une pâlissime copie du Feu
de Barbusse. Idem pour Les
Bienveillantes de Jonathan Littell au regard de La
mort est mon métier de Robert Merle.
Je n'aime la fiction historique que lorsqu'elle est justifiée,
documentée, argumentée. J'ai vu rapidement que L'Ordre
du Jour était la réalisation de toutes mes peurs. De
la mauvaise, mauvaise, mauvaise personnification post-hoc grotesque de
nazis en pardessus de laine, à laquelle je m'oppose formellement.
Anne
J'ai eu beaucoup de plaisir à lire L'ordre du jour que je
ne considère pas comme un livre d'Histoire. La force du récit,
écrit avec beaucoup d'ingéniosité, tient en ceci
que le mot-clé qui fait le sens profond de ce livre n'est énoncé
qu'à la presque fin du récit, "Bluff".
Tenue en haleine tout au long du brillant développement il m'est
apparu alors comme une étonnante évidence. C'est sur du
bluff que la Deuxième Guerre mondiale a été déclenchée !!
A l'orée de cette catastrophe, sont présentés, comme
des fantoches, 24 épouvantails du lobbying, 24 sosies du monde
industriel, 24 profils mythiques qui, comme le chur grec annonce
la tragédie. Ils errent dans un huis clos où se décide
le huis clos de la planète.
Mais l'espièglerie de Vuillard dépasse la tragédie
car il sait en faire une sorte de farce ! Nous avons, tel Tintin
au pays des soviets, un petit tyran Viennois déguisé
en skieur pour aller parler au Führer plus pervers que fou furieux,
quoique bien fou et bien furieux. Le rapport de forces entre Hitler et
Schuschnigg est carrément drôle tout du long des aléas
de leur discussion. Vuillard m'a épatée par son humour qui
sait montrer le dérisoire au-delà du terriblement grave
en dessinant avec acuité les portraits des personnages. Il fait
également preuve d'un art de maniement du suspense avec ces histoires
de malfrats qui jouent au poker le destin du monde et qui paradoxalement
jouent celle de leur propre mégalomanie et destin sordide. Échecs,
suicides, pendaisons. Il y a encore comment Schuschnigg qui ne sait que
dire non, dit oui devant Hitler, il y a l'histoire du fiasco de l'attaque
des troupes allemandes et l'hilarante description des chars d'assaut,
le repas Ribbentrop/Chamberlain, mais moins drôle, la joie fêtarde
des Autrichiens en attente des Allemands et leurs règlements de
compte avec les juifs. Ainsi suis-je passée du rire au chagrin,
à la terreur et à l'abasourdissement face à l'imposture
humaine. J'ai par ailleurs admiré la façon dont Vuillard
a construit son livre avec des espaces temps qui s'imbriquent les uns
avec les autres par la description d'intrigues qui se jouent simultanément
sur la scène de l'Europe. Tandis que Vuillard met en lumière
le peintre Louis Soutter, âme et pinceau des terreurs du monde,
il décrit la technique des nazis pour se défendre de leurs
propres démons en les faisant agir dans la réalité.
Leurs tableaux vont réellement saigner, pourrir, trembler, hurler,
brûler
Il faut se souvenir qu'Hitler a voulu être peintre
et ne l'a pas pu, comme si ses propres représentations cauchemardesques
n'avaient pu que s'incarner pour de vrai et non se représenter
dans un acte artistique. Ainsi en va-t-il du destin des souffrances humaines
lorsqu'elles dépassent l'imagination et j'ai vraiment aimé
le chemin qu'a pris Vuillard pour nous le dire.
Valérie
Le message de Vuillard est de rappeler des faits historiques de façon
concise. Il permet ainsi de prendre connaissance d'événements
historiques de façon rapide. C'est un travail de mémoire
et pédagogique. Tu es extrêmement sévère dans
ton jugement.
François
En tout cas, pour moi, L'ordre du jour a été une
lecture jubilatoire... comme quoi les prix ont parfois du bon... Avec
une Histoire qui, sur fond d'opérette viennoise, montre bien "la
permanence du mal".
Les patrons de la finance et de l'industrie qui financent la campagne
d'Hitler sont bien des "enseignes mythologiques" dont les noms
ont survécu jusqu'à nous...,ils s'appellent Agfa, Opel,
Telefunken... "la corruption
est un poste incompressible du budget des grandes entreprises".
Ce que j'aime dans ce livre, c'est, comme l'a dit, Nathalie, qu'il mêle
justement "la petite et la grande histoire". Quand Chamberlain
ne reconnaît pas Hitler et le prend pour un valet de pied, c'est
tout l'aveuglement de l'époque et de l'Histoire qui est résumé
en un instant. Le récit est plein d'anecdotes de ce genre qui font
ressortir ce qu'a été cette période de l'Anschluss
et des accords de Munich avant de se terminer comme on sait... C'est dire
que sous l'anecdote perce toujours l'abcès tragique. Ce n'est pas
un hasard si l'auteur évoque Lubitsch et Le
Dictateur de Chaplin. On pourrait aussi ajouter le Brecht d'Arturo
Ui pour la folle déglingue... En bon cinéaste
qu'il est ou a été, Vuillard sait bien nous faire voir les
choses et surtout, il opère entre elles un montage elliptique souvent
saisissant. Je pense au fou rire nerveux qui secoue Goering et Ribbentrop
au procès de Nuremberg... Les vocifération d'Hitler au "balcon
de Sissi" ont aussi quelque chose de glaçant. L'histoire des
Juifs de Vienne avant l'Anchluss à qui l'on coupe le gaz parce
qu'ils l'utilisent pour se suicider fait franchement froid dans le dos.
Par contre, on rit plutôt jaune à voir les foules autrichiennes
qui attendent Hitler comme une star-rock. A noter que l'anecdote est aussi
parfois stupéfiante quand on apprend par exemple que "la
famille Krupp ne comprend rien au visions du Patriarche qui entend sortir
de l'ombre, comme des revenants tous les déportés qu'ils
ont comme les autres patrons employés dans leurs usines."
Mais si L'ordre du jour est un bon livre, c'est aussi parce que
l'auteur est manifestement engagé dans son récit qui est
une démystification de l'Histoire. Il associe parfaitement l'inconscience
des foules prêtes à se satisfaire de tous les compromis et
celle des dirigeants qui les trompent. Car dans ce grand jeu de dupes,
les peuples sont aussi preneurs. Pour finir, on en ressort avec l'idée
que l'Histoire (avec un grand H) n'est qu'un mensonge permanent. Un pieux
mensonge, dont il ne reste pour se protéger que ces vieilles statues
au pied desquelles on se contente de déposer quelques fleurs et...
"du pain pour les oiseaux."
Même si Vuillard n'est pas Brecht, Tolstoï ou Victor Hugo (mais
qui pourrait le lui reprocher ?), j'ouvre en grand.
Nathalie B
C'est un récit tout aussi engagé que
celui du 14 Juillet qui se veut démonstration car comme
le titre L'ordre du jour l'indique, cela vaut pour aujourd'hui.
Vuillard prend prétexte de l'Histoire pour alerter sur les dangers
de notre actuel monde. Je trouve que ce récit est très abouti
et exprime parfaitement ce qu'il veut énoncer. Il parle du mal
absolu, de la peur, de la lâcheté, de l'inconscience qui
laisse faire. Ce n'est pas un hasard s'il évoque l'inscription
de la fin d'une prière "Et délivre-nous du mal"
se trouvant dans la villa
Godi Malinverni qui n'est pas à l'ordre du jour dans le Palais
où ont été convoqués réunis ces 24
hommes d'affaires qui vont financer Hitler. "
Ils sappellent BASF, Bayer, Agfa, Opel, IG Farben, Siemens, Allianz,
Telefunken. Sous ces noms, nous les connaissons? Nous les connaissons
même très bien. Il sont là, parmi nous, entre nous.
Ils sont nos voitures, nos machines à laver, nos produits dentretien,
nos radios-réveil, lassurance de notre maison, la pile de
notre montre. Ils sont là, partout, sous forme de choses. Notre
quotidien est le leur. Ils nous soignent, nous vêtent, nous éclairent,
nous transportent sur les routes du monde, nous bercent. Et les vingt-quatre
bonshommes présents au palais du Président du Reichstag,
ce 20 février, ne sont rien d'autre que leurs mandataires, le clergé
de la grande industrie ; ce sont les prêtres de Ptah. Et ils se
tiennent là impassibles, comme vingt-quatre machines à calculer
aux portes de l'Enfer." On finit par l'oublier. Et pourtant...
AVIS du groupe
breton
(avec la synthèse des avis
rédigée par Yolaine, suivie de 4 avis)
½ : Chantal,
Jean, Suzanne, Yolaine
¾ : Jean,
Marie-Odile, Marie-Thé
: Annie,
Claire, Édith
Cette comptabilité ne reflète pas exactement le sentiment
général (les torturés hésitant entre moitié
et plus, ¾ et plus
) qui penche plutôt pour un plébiscite.
Bien qu'il y ait quelques réserves sur l'attribution du prix Goncourt
à un tel ouvrage, la qualité de l'écriture et l'intérêt
du sujet font l'unanimité.
Le débat a porté sur la forme : ni roman ni récit
historique, "inclassable", plutôt fiction documentaire,
où les faits relatés sont réels mais font l'objet
d'un montage et d'une mise en scène théâtrale. Claire
fait état du procédé de "l'exofiction"
concernant les livres littéraires qui mettent en scène des
personnages historiques.
Les scènes de l'entrevue du chancelier autrichien avec Hitler ou
du déjeuner d'adieu donné par Chamberlain à Downing
Street à l'intention de Ribbentrop, ont été qualifiées
de vaudevilles.
L'utilisation de la première personne à certains moments
permet de penser que c'est d'abord le point de vue de l'auteur qui s'exprime.
Son expérience de cinéaste influence probablement son regard
et la qualité des portraits qui se succèdent.
Sur le fond, nous avons tous ressenti une profonde émotion due
à la gravité du sujet et à ses résonances
contemporaines : période sombre, cynisme du monde de la finance
et de l'industrie, force de l'image et de la propagande.
Petit bémol du côté de Yolaine, qui se pose la question
du danger de condenser et romancer l'histoire de cette façon, danger
d'autant plus grand que le texte est brillant.
Marie-Odile (du groupe breton)
Je suis admirative de la capacité de cet auteur à reconstituer
des scènes terrifiantes, que j'ai lues avec effroi. Des détails
qui pourraient paraître insignifiants, des vêtements, des
gestes, des regards, des sueurs imaginés, donnent corps à
ces protagonistes qui en un lieu et en un jour précis décident
de l'équilibre ou du déséquilibre du monde. Le temps
est toujours resserré, c'est une affaire d'heure, de minute parfois.
L'affrontement entre Hitler et Schuschnigg m'a particulièrement
impressionnée (partie d'échec impitoyable). L'interminable
dîner Chamberlain/Ribbentrop, où légèreté
et gravité se mêlent, est traduite de façon théâtrale,
cinématographique, et je me suis réjouie de la puissance
infinie des mots.
J'ai aimé les détails risibles, pitoyables, le vocabulaire
parfois familier "Il
rognonne quelques mots. Il graillonne religieusement son tire-jus".
Les comparaisons des hommes avec des lézards ou des crapauds rapprochent
de la caricature. L'invasion de l'Autriche relève parfois du cirque.
Et j'ai pensé à Ubu d'Alfred Jarry. Si ce n'était
de l'Histoire vraie avec toutes les conséquences que l'on sait,
on rigolerait bien.
Mais la force du récit tient à la gravité de certaines
pages : l'évocation émouvante de la vie et de l'uvre
de Soutter, le rapprochement (début et fin) entre les grandes marques
que nous connaissons tous et les camps de la mort. Lorsque c'est présenté
sous cet angle, on se sent touché de près.
Ce texte est pour moi une sorte de prouesse d'écriture, mais j'aurais
peut-être apprécié une plus grande continuité
entre les chapitres juxtaposés. Je n'irais pas jusqu'à dire
que j'aurais aimé qu'Edouard Vuillard en fît un roman, quoique...
J'ouvre aux ¾ ce livre glaçant (et ce n'est pas parce que
je l'ai lu un jour d'hiver).
Édith (du groupe breton)
De mon souvenir scolaire, j'avais retenu que la déclaration de
guerre par les états alliés avait été le résultat
de l'intimidation des alliés par le bluff d'Hitler. En fait, j'avais
surtout compris que la guerre est le résultat de multiples situations
tellement humaines qu'il aurait fallu
et cela a eu lieu
Je
ressens très fort en lisant le livre le fragile équilibre
de la paix et en quoi l'intervention des humains avec leur triste humanité
fait basculer cet équilibre.
Le livre d'Éric Vuillard me renvoie à ce souvenir :
l'ouverture du chapitre "Une réunion secrète"
ce 20 février m'introduit directement dans le sujet. Le ton descriptif
abonde en détails portés sur les vêtements, ce sont
des hommes très sérieux et puissants, des industriels habitués
à paraître. "Ils
étaient 24, près des arbres, vingt quatre pardessus noirs"
et ainsi de suite la description par le détail des costumes, des
déambulations à travers les salons, des corps qui avancent
sans échanges
Tout le chapitre "Une réunion secrète"
est un régal de lecture. Texte presque narquois à certains
moments, dérisoire par les détails apportés en opposition
avec le sérieux des décisions (LA GUERRE !). La supposée
grandeur de ces industriels allemands est en contradiction avec leur "petitesse"
humaine. Tout au long de la lecture, je ressens du malaise et la précision
des détails augmente ce malaise.
Tout au long du livre, Éric Vuillard me prend (nous prend) à
témoin du déroulement, minute par minute et heure par heure,
de la rencontre avec Hitler, Ribbentrop, Chamberlain et tous les autres
protagonistes.
Je vis et je réagis en visualisant vraiment le chassé-croisé
des intervenants alliés, la couardise velléitaire de Schuschnigg
l'Autrichien ("il y
a dans ses traits quelque chose de mou, d'indécis"...).
Puis survient le détail de la poche de sa veste froissée
sur l'original de la photo que l'on va recadrer pour la rendre "décente" !
Le style fouillé, méticuleux, riche en vocabulaire précis
de l'auteur nous fait sentir le cur des protagonistes, les ambitions,
les peurs, les double jeux
Cela me fait dire que tout était
écrit par Hitler et que la mascarade de la diplomatie n'est là
que pour détourner la vérité écrite.
J'ai lu deux fois ce livre avec toujours du plaisir et chaque fois, avec
un frisson de bonheur de texte, les images arrivent. Je reprends ce livre
pour écrire ce texte et à nouveau le désir de reprendre
la lecture.
Livre magistral pour moi. Étrangement en résonance avec
notre époque, HÉLAS
Chantal (du groupe breton)
Avis mitigé..., mais pour moi pas de prix Goncourt !
Le sujet est bien sûr très intéressant : cet
épisode de la Deuxième Guerre mondiale, l'invasion de l'Autriche
par Hitler, était bien loin dans ma mémoire... Du 20 février
33 au 15 mars 38, tout est prévu, organisé, financé,
réalisé !
J'ai beaucoup aimé la première partie du livre : la
réunion du 20 février 33 où 24 chefs d'industrie
allemands viennent rencontrer Hitler et lui apporter le financement nécessaire
à ses noirs projets : scène saisissante, une scène
de théâtre ! On les voit, littéralement, arriver,
accueillis par Goering... et on les voit, aujourd'hui, toujours là,
bien plus riches ; et on SE voit, nous-mêmes, consommateurs
des produits de leurs usines, Krupp, Bayer, Siemens, etc. Terrible !
J'ai beaucoup aimé le style de Vuillard dans les derniers chapitres,
"les morts", "mais qui sont tous ces gens" ;
les descriptions des suicides en Autriche après l'Anschluss, les
prisonniers qui meurent au travail dans les usines des camps pour le plus
grand profit des industriels... là, le style est d'un "écrivain" !
MAIS j'ai détesté le milieu du livre ! Le style est
lourd, avec pas mal de bavardages inutiles, des passages grandguignolesques
parfois, vulgaires même (p. 109-110) ; avec des portraits
de personnages caricaturaux, des clowns, mais bon les clowns ont des psychologies
et là... pas vraiment !
Voilà : donc ouvert ½.
Marie-Thé
Si je ne l'ouvre pas "en grand", c'est parce que je rencontre
un obstacle des la première de couverture avec le mot "récit".
Même après avoir écouté Éric Vuillard
en parler lors de sa venue à Vannes, et même après
avoir échangé avec lui sur ce sujet entre autres, je n'ai
pas été complètement convaincue. Certes, dans un
récit tout est vrai, pas d'intrigues, pas de personnages (comme
c'est le cas chez Zola par exemple), mais je rejoins tout de même
Olivier Guez dont je viens de terminer le livre La
disparition de Josef Mengele :
"Certaines zones d'ombre
ne seront sans doute jamais éclaircies. Seule la forme romanesque
me permettait d'approcher au plus près la trajectoire macabre du
médecin nazi." Et je ne suis pas non plus Éric
Vuillard lorsqu'il dit que le récit est "une
forme qui colle mieux au monde d'aujourd'hui.", etc. Comme
si le roman était un genre dépassé ? Livre d'histoire,
récit, roman, je ne sais plus...
J'ai aimé ce livre éclairant de façon bien différente
une époque très sombre, une révélation...
À l'origine du mal (j'ai pense à Haneke aussi) il y a cette
"réunion secrète" dont les acteurs sont Hitler,
Goering, et eux : "ils étaient 24..." A la fin de l'histoire
traversée par le mal, un nombre inouï de cadavres. D'un côté
les bourreaux, les nazis, de l'autre les victimes de la "solution
finale". Mais entre les deux, tous ceux qui ont permis que l'Histoire
se déroule ainsi : les 24 bien sûr, mais aussi tous ceux
qui ont été silencieux, indifférents (?), ou qui
ont suivi aveuglément, au moment de
l'Anschluss par exemple : "Le
crime était déjà là, dans les petits drapeaux,
dans les sourires des jeunes filles, dans tout ce printemps perverti."
Livre éclairant une époque obscure toujours... Ainsi, comment
sans moyen aucun (matériel militaire en panne, ridicule entrée
en Autriche), "même
le monde le plus sérieux...plie devant le bluff ",
comment donc peut-on arriver à dominer puis à vaincre ?
Réponse : la force de l'image, les films de propagande de
Goebbels ou de Leni Riefenstahl, redoutable et fascinant...
J'ai été sensible au côté théâtral,
au côté solennel aussi, rendus en quatrième de couverture
et dans les premières pages : "Le
régisseur a frappe trois coups mais le rideau ne s'est pas levé."
"Ils étaient
24..." Entrée en scène monumentale puis
ascension. La chute est encore très loin, pourtant quelques signes
ça et là semblent l'annoncer. Les oppositions m'y ont fait
penser : soleil et froid, cur et "épines
de glace", "ils
étaient 24 près des arbres morts" et plus
loin : "comme
un tas de feuilles mortes invisibles". "Le
lustre scintille mais il est mort." Lumière et
ombres à venir.
La danse macabre de Soutter depuis Ballaigues comme une vision de ce qui
allait arriver, un mauvais présage...
Avec la déchéance de Gustav Krupp, je pense au film Les
Damnés de Visconti, terrible... (L'adaptation au théâtre
d'Ivo van Hove, que je n'ai
pas vue, serait éprouvante aussi...)
Je retiendrai encore les portraits de ces "24
machines à calculer aux portes de l'Enfer", de
Lord Halifax, d'Hitler qu'il avait pris pour un laquais, de Schuschnigg,
de Ribbentrop, de Chamberlain, et des autres. La description de certaines
situations : l'incroyable rencontre de Lord Halifax et de Goering,
de Schuschnigg et Hitler : "Voici
qu'il dit oui à tout ce qu'on lui demande. Il suffit de ne pas
le demander gentiment." Passages plutôt drôles
lorsqu'il est question de la soudaine fermeté de l'insignifiant
président autrichien Miklas ou de l'invitation demandée
par l'Allemagne pour envahir l'Autriche (aberration et cynisme).
Époque trouble ou s'étendent mensonges, trahisons, compromissions :
accords de Munich que signent Daladier et Chamberlain. Et Halifax écrivant
à Baldwin : "Le
nationalisme et le racisme sont des forces puissantes, mais je ne les
considère ni contre-nature ni immorales. "
A retenir aussi, cette transmission : "les 24" du début
ne sont plus là, mais ils ont tout transmis à leur descendance :
"Les entreprises ne
meurent pas comme les hommes." "Ces
noms existent encore. Leurs fortunes sont immenses." Leur
puissance aussi. "Regardons-les
attendre le 20 février..."
Je terminerai avec cette phrase à la fin du livre : "L'Histoire
est là, déesse raisonnable, statue figée au milieu
de la place des Fêtes." Et cette dédicace
d'Éric Vuillard : "L'ordre
du jour, où l'Histoire n'est pas une déesse raisonnable."
À
PROPOS DES UVRES d'Éric Vuillard et de son parcours, ainsi
que de questionnements sur la fiction contemporaine :
- Les ÉCRITS
d'Éric Vuillard... : récits, poèmes, scénarios
- Les UVRES situées dans
un parcours personnel
- Des ANALYSES : audio, vidéo,
presse écrite, réflexions sur le "genre"
ÉRIC VUILLARD
A ÉCRIT...
Des récits, des poèmes
- 1999 : Le
Chasseur, roman, éd. Michalon, poche Babel 2018
- 2002 :
Bois vert, poésies, éd. Léo Scheer
- 2005 : Tohu,
roman, éd. Léo Scheer
- 2009 :
Conquistadors (sur la conquête du Pérou par Pizarro
et la chute de l'Empire inca), éd. Léo Scheer, 2009, poche
Babel 2015
- 2012 :
La Bataille d'Occident, récit, Actes Sud, poche Babel 2014
- 2012 :
Congo, récit, Actes Sud, poche Babel 2014
- 2014 : Tristesse
de la terre : une histoire de Buffalo Bill Cody, récit,
Actes Sud, poche Babel 2016
- 2016 : 14
Juillet, récit, Actes Sud, Babel 2018
- 2017 : L'Ordre
du jour, récit, Actes Sud (prix Goncourt)
- 2018 (à paraître) : La guerre des pauvres, Actes
Sud
Pour le cinéma
- 2002 : La
Vie nouvelle, long métrage, scénariste
- 2006 : L'Homme
qui marche, court métrage, scénariste et réalisateur
- 2008 : Mateo
Falcone, long métrage, scénariste et réalisateur
(adaptation de la nouvelle Mateo Falcone
de Prosper Mérimée)
LES UVRES SITUÉES
DANS UN PARCOURS PERSONNEL
(extrait du site de la BNF,
janvier 2018)
Éric Vuillard est né pendant les événements
de Mai 68, le 4 mai, à Lyon, dans une famille dorigine franc-comtoise.
Il raconte que, du balcon, sa mère lui montre alors son père,
jeune chirurgien en lutte contre le mandarinat, sur les
barricades. Excellent élève que lécole ennuie,
Éric Vuillard aime traîner dans les rues de la Croix-Rousse
et finit en pension. Sa grand-mère maternelle linitie aux
livres dart et lemmène au cinéma. Il est adolescent
lorsque son père décide darrêter la médecine
et installe la famille dans un village en ruines de la Drôme alpine,
sans électricité ni toilettes. Il fuit un temps linternat
pour partir en stop en Espagne et au Portugal, revient passer le bac,
enchaîne avec des études sans visée pratique dinsertion
sur le marché du travail (droit, sciences politiques, philosophie,
anthropologie enfin histoire et civilisation sous la direction de Jacques
Derrida à lEHESS), puis repart ensuite une année à
Rome.
Il publie à 31 ans un premier texte, Le
Chasseur chez Michalon en 1999, puis sessaie au cinéma.
Dabord scénariste pour La
Vie nouvelle de Philippe Grandrieux (2002), il réalise
un court-métrage, L'Homme
qui marche (2006) et un film, Mateo
Falcone (2008), du titre dune nouvelle de Mérimée.
Il voyage à nouveau, au Mexique et au Pérou
notamment. Tohu,
qui paraît chez Léo Scheer en 2005 est un roman aux éclats
lyriques et baroques ; Conquistadors,
en 2009, une volumineuse épopée qui lui vaut quelques prix.
Il sinstalle alors en Bretagne avec son épouse
et commence une série de livres plus sereins, où lHistoire
occupe une large place.
Ce changement de cap littéraire le conduit
à changer déditeur, et La
Bataille d'Occident sort chez Actes sud en 2012. En 2014, Tristesse
de la terre : une histoire de Buffalo Bill Cody figure dans la
sélection de plusieurs prix littéraires. Sa réécriture
de la prise de la Bastille dans 14
juillet reçoit en 2016 le prix Alexandre Vialatte et en
2017, Éric Vuillard obtient le prix Goncourt avec L'Ordre
du jour où il revient sur le rôle des industriels
allemands dans linstallation du nazisme au pouvoir et les coulisses
de l'Anschluss.
DES ANALYSES
Audio
- France Culture, La Grande Table par Olivia Gesbert,
"Dans
les coulisses de l'Histoire avec Éric Vuillard", 17 mai
2017, 27 min (avec des archives sonores de l'époque).
- France Culture, L'invité culture par Lucas Menget, "Roman
et Histoire : l'Anschluss vu par Éric Vuillard", 17 juillet
2017, 16 min.
- France Inter, La Marche de l'histoire par Jean Lebrun, "Éric
Vuillard, Goncourt avec L'ordre du jour", 9 novembre 2017,
29 min (avec des archives sonores de l'époque).
- France Culture, La Fabrique de l'histoire par Emmanuel Laurentin,
"Réécouter
L'histoire entre archives et fictions", 10
novembre 2017, 52 min (sur les rapports entre histoire et la littérature,
avec deux historiens).
- À la
librairie Charybde (Paris 12e), une lecture-discussion
avec Éric Vuillard autour de L'ordre du jour, 15 juin
2017, 1h12.
Vidéo
- Conférence
d'Éric Vuillard
donnée à Lagrasse le 26
octobre 2014, lors du banquet d'automne "La
fabrique du roman", 26 min.
- Rencontre
avec Éric Vuillard autour de L'ordre du jour, lors des
20e Rendez-vous de l'Histoire à Blois, novembre 2017, 4
min.
Presse écrite sur Éric
Vuillard
- "Éric
Vuillard en dialogue avec Pierre Schoentjes" notamment sur le
rapport à l'histoire (Pierre
Schoentjes est professeur de littérature française à
lUniversité de Gand), Revue critique de fixxion française
contemporaine, 2012.
- "Ce quon
appelle fiction participe à la structure de notre savoir",
entretien réalisé par Muriel Steinmetz, L'Humanité,
5 mai 2017.
- Éric Vuillard, Goncourt 2017 : "L'histoire
est une manière de regarder le présent", par Françoise
Dargent, Le Figaro, 6 novembre 2017
- "10
choses à savoir sur Eric Vuillard, prix Goncourt 2017"
par Grégoire Leménager et Elisabeth Philippe, Bibliobs,
6 novembre 2017.
- "Éric
Vuillard, sondeur d'histoire" par Pierre Assouline, L'Histoire,
n°442, décembre 2017.
Réflexions sur le "genre"
- Arlette Farge et Éric Vuillard : "Faire
entendre quelque chose du silence du grand nombre", propos recueillis
par Julie Clarini, Le Monde, 8 septembre 2016
- "Littérature : quand la réalité dépasse
la fiction", et entretien avec Ivan Jablonka, prix Médicis
2016 : "De Laëtitia, j'ai voulu faire une héroïne
des temps modernes", Nathalie Crom, Télérama,
2 novembre 2016.
- Feuilleton, "Pour
la littérature du réel", éd. du Sous-sol,
nº 18, 6 octobre 2016 : À loccasion des 5 ans de
la revue, Feuilleton "convie les grandes voix de la
littérature du réel à définir ce genre hybride
qui constitue la littérature de notre temps, la seule à
même de saisir peut-être toute la complexité de nos
sociétés. À linstar de Tom Wolfe et de son
ouvrage mythique
Le Nouveau Journalisme, anthologie et tentative de définition
du genre dans les années 1970, ce numéro rassemble entretiens,
textes historiques et réflexions dauteurs emblématiques
de la narrative nonfiction, à travers des essais ou des entretiens.
Au sommaire : Emmanuel Carrère, Hunter S. Thompson, David Samuels,
Gabriel García Márquez, Maria Sonia Cristoff, Roberto Saviano,
Ted Conover, Philippe Vasset, Joan Didion, Gay Talese, Janet Malcolm,
William Finnegan, Ivan Jablonka."
- "Le
triomphe du roman sans fiction", Pierre Assouline, La République
des livres, 8 septembre 2017 : sont concernés par cet
article, outre Vuillard : Emmanuel Carrère, Philippe Jaennada,
Per Olov Enquist, Javier Cercas, Laurent Binet et Yannick Haenel, Georges
J. Arnaud, Patrick Deville, Antonio Munoz Molina.
-
Agnès Delage, maîtresse de conférences à
Aix-Marseille, travaille sur le phénomène du "roman
historien" : Javier Cercas parle de "roman sans fiction",
que Truman Capote appelait "roman de non-fiction". Le terme
de "non-fiction novel" est apparu aux États-Unis en 1966,
après la parution de De
sang-froid de Truman Capote. Un exemple de colloque organisé
dans son université en 2013 : "La
réécriture de lHistoire dans les romans de la postmodernité".
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