Extrait du site du Figaro

Quatrième de couverture : « Après la mort de sa mère, Yazid, le narrateur, décide de retourner rue Darwin dans le quartier Belcourt, à Alger. "Le temps de déterrer les morts et de les regarder en face" est venu.
Une figure domine cette histoire : celle de Lalla Sadia, dite Djéda, toute-puissante grand-mère dont la fortune s’est bâtie à partir du bordel jouxtant la maison familiale. C’est là que Yazid a été élevé, avant de partir pour Alger. L’histoire de cette famille hors norme traverse la grande histoire tourmentée de l’Algérie, des années cinquante à aujourd’hui.

Encore une fois, Boualem Sansal nous emporte dans un récit truculent et rageur. Les héros y sont les Algériens, déchirés entre leur patrie et une France avec qui les comptes n’ont toujours pas été soldés. Il parvient à introduire tendresse et humour jusque dans la description de la corruption, du grouillement de la misère, de la tristesse qui s’étend… »


 

Boualem SANSAL
Rue Darwin

Nous avons lu ce livre pour le 24 février 2017.
Et le groupe breton pour le 9 mars.


Voir en bas de page des infos sur le livre et l'auteur :
- Repères bio et bibliographiques
- Des réactions sur Rue Darwin
- L'œuvre de Boualem Sansal et la littérature du Maghreb d'aujourd'hui

Catherine (avis transmis)
C'est le deuxième livre de Boualem Sansal que je lis ; le premier avait été Le village de l'Allemand, livre qui m'avait beaucoup marquée, en particulier par le parallèle, fait par un auteur algérien, entre islamisme et nazisme.
Celui-ci est différent, même si on y retrouve les thèmes de l'islamisme, de l'Algérie et son histoire, la guerre, la corruption, les rapports compliqués avec la France ; il s'agit d'un livre ici beaucoup plus personnel puisque le personnage central, Yazid, semble avoir une histoire très proche de celle de l'auteur.
Le livre commence avec la mort de sa mère ; à cette occasion, tous les enfants sont rassemblés venus des 4 coins du monde. Ils évoquent leurs parcours très différents les uns des autres mais dans l'ensemble très brillants et représentatifs du monde moderne, alors que le héros est resté auprès de sa mère en Algérie et a mis sa vie personnelle entre parenthèses. Ce deuil l'amène à partir à la recherche de ses origines et retracer le parcours riche en couleurs de sa jeunesse. On découvre à sa suite le personnage extraordinaire de sa grand-mère, fief de tribu, dirigeante de maisons closes un peu partout dans le monde, frayant avec les dirigeants et qui dans son village est à la tête d'un village. Ce personnage assez invraisemblable paraît avoir vraiment existé. J'ai eu un tout petit de mal au début à rentrer dans l'histoire car il y a pas mal d'aller et retour entre présent et passé, mais ensuite j'ai lu ça presque comme un feuilleton. C'est un livre riche, qui pose beaucoup de questions, celle de la quête des origines, de la filiation, de la vérité, étant omniprésente. J'ai beaucoup aimé le style et la langue mais, l'ayant lu il y a quelques semaines, n'ai plus en mémoire de passages précis à citer.
Je l'ouvre aux ¾ et suis curieuse d'avoir vos avis que j'imagine contrastés.
Geneviève (avis transmis)
Impressions mêlées. Un roman riche en images, en couleurs, en imagination, en magie. Mais aussi souvent une impression de confusion, peut-être trop d'éléments pour former un univers vraiment crédible. Trois lieux : Paris, Alger, le village avec des allers-retours parfois difficiles à suivre. Certes, l'univers du village, de la reine Djéda, est fascinant et terrifiant mais on a une impression de malaise face à des personnages du village présentés comme tous malveillants, pervers, dominés ou dominants. On sent une haine de la religion qui par moments devient gênante. Pourtant, quelle richesse notamment dans les liens qui sont faits entre la chute de Djéda et celle de la France colonisatrice, et l'avènement d'un FLN déjà corrompu. Le secret de la naissance de Yazid est plus intéressant comme métaphore de l'identité impossible des Algériens, entre indépendance et attachement à la France, que comme ressort romanesque. Et pourtant c'est un roman dont il me restera beaucoup d'images et d'émotions, donc je l'ouvre aux ¾, il vaut la peine d'être découvert.

Monique S
Journées un peu trop précipitées ces jours-ci, je ne serai pas des vôtres ce soir, pourtant, j'ai lu le livre Rue Darwin. Je l'avais commencé, puis abandonné, l'esprit tout mélangé.
Dégoûtée ? De quoi ? De ces suites de ragots... à ras les pâquerettes ? Souvent misogynes, toujours englobants, sans nuances aucunes... Je suis mal à l'aise avec ce livre : il donne (c'est ainsi que je le ressens) une image extrêmement négative des Algériens, des musulmans. L'auteur est-il naïf ? Ou surfe-t-il sur les sujets contemporains et sensationnels ? J'ai un doute... J'ai lu les documents de Claire... et je me suis remise à la lecture. La fin d'abord... qui en fait n'apporte rien qu'on ne savait déjà. Puis le milieu, qui m'a donné l'impression d'amener des sujets "attendus". J'ai appris un mot nouveau, "phalanstère". Je ne sais pas pourquoi, en lisant ce livre, j'ai repensé à Naguib Mahfouz, en particulier à Impasse des deux palais, qui m'ouvrait les portes comme aucun autre livre, sur la richesse, la profondeur, la violence aussi et les contradictions de cette culture arabe, dont je ne connaissais presque rien à l'époque. Dans la dénonciation, je n'ai retrouvé ni le souffle, ni l'univers, ni l'écriture de Mendiants et orgueilleux d'Albert Cossery. J'ai hâte de découvrir les autres avis, qui m'éclaireront peut-être.
Séverine (avis transmis)
Tout d'abord, je tiens à dire que je préfère de loin la Rue Darwin à la Rue des voleurs. Là, je peux dire que j'y ai cru et que je me suis laissé porter ! Même s'il est vrai que cette histoire sur l'identité et les origines rocambolesques du narrateur sont totalement hallucinantes ! On est en plein romanesque. Ce que j'ai aimé, c'est le style très riche, les petites phrases bien senties ("Vivre n'est que porter le deuil de soi", "Chez les pauvres, la vie se passe de leur avis", "La guerre est une promesse de paix meilleure"…), le monde fabuleux de cette grand-mère matriarche (j'aurais d'ailleurs voulu en savoir plus : je pense que son monde mérite un livre à lui tout seul), le rôle des femmes (qui sont pour le narrateur importantes : la mère est vitale, le cœur du sujet), les considérations de cet homme sur la vie, la vérité… J'ai aimé lire ce que l'auteur fait dire à son narrateur sur l'islam : je comprends qu'il soit mal vu dans son pays, mais son radicalisme vis-à-vis d'un islam galopant et enfermant me parle beaucoup plus que ce que Mathias Énard a essayé de faire. J'ai aimé voir comment il décrit la transformation de son pays qui devient moins tolérant (avec la disparition notamment des "maisons de tolérance" ; d'ailleurs, cela m'amène à m'interroger sur cette expression : aujourd'hui des maisons de tolérance pourraient tout simplement être des lieux où l'on tolère la différence, la libre pensée, la liberté d'expression…), l'histoire de l'Algérie en filigrane (l'existence des tribus notamment). Mon seul bémol serait qu'il aurait mérité d'être un peu plus ramassé : je me suis essoufflée aux trois quarts du roman et je pense que quelques pages en moins auraient été bénéfiques car il y a des redites et des "on tourne en rond". Ce petit bémol me fait ouvrir le livre à ¾. Et je pense lire d'autres romans de cet auteur : j'ai au pied de mon lit, 2084 et Le village de l'Allemand...

Annick L
J'éprouve un intérêt pour l'exploration – même brève – de cette littérature dans le groupe, avec Daoud, Mouawad, Mathias Énard

Monique L
Et Le Pain nu de Choukri (oh la la…)
Annick L
J'ai lu également Le Serment des barbares. La comparaison s'impose entre Daoud et Sansal car une vision de leur pays les lie et un courage à toujours y vivre qui inspire le respect. Avec Sansal, c'est une œuvre littéraire et romanesque très accomplie. J'ai éprouvé de l'intérêt pour la quête de ses origines et de l'identité, qui est un point central du roman. J'ai trouvé génial le souffle évocateur, qui emporte l'imagination dans une dimension très romanesque. Il a un talent de conteur, une belle plume, très luxuriante, qui me rappelle les auteurs sud-américains. J'y trouve une méditation sensible sur la transmission dans les liens familiaux, avec un hommage à la mère et aux mères en général. Sur l'histoire du pays, il y a des pages décapantes. Je préfère ce livre aux Serment des barbares où les digressions étouffent le roman. Le personnage de Yazid est touchant. J'ouvre en très grand.
Richard
Je ne sais pas comment saisir ce livre. Il a la dimension d'une saga : et sur ce plan, il y en a de meilleures. L'auteur essaie de trop faire dans ce livre avec beaucoup d'événements différents. Assez vite, j'ai fait une fiche pour m'y retrouver dans les personnages. J'ai eu du mal à suivre la construction qui saute d'une époque à l'autre. Je n'apprécie pas ses incursions dans les pensées philosophiques que l'on retrouve au début de chaque chapitre : je me crois au bac…
Le récit croise la fiction avec la réalité historique et il est difficile de démêler le réel de l'imaginaire : ce n'est pas une critique, mais une question. J'ouvre à moitié, j'aimerais le relire.

Rozenn
J'ai été emballée et en même temps, je ne sais pas. J'avais été emballée de façon plus précise par Le village de l'Allemand et 2084. Je me suis perdue. J'aimerais être l'éditeur et lui faire refaire le livre…

Plusieurs
Qu'est-ce que tu ferais refaire ?

Rozenn
Les autres livres sont plus ramassés. Il y a là une forme de ressassement, mais c'est bien aussi… même si les autres livres sont plus ramassés… J'aime bien le personnage… mon souvenir est très fort mais s'effiloche… Je le relirai peut-être avec plus de temps. Le courage de l'écrivain me fait avoir une exigence plus forte : j'aimerais qu'il soit au niveau de Dostoïevski !
Lisa
Je n'ai pas fini le livre, c'est une première pour moi. Quand je l'ai lu, j'ai trouvé le livre intéressant, mais quand je ne le lisais pas je n'avais pas envie de le reprendre : je trouvais étrange cette indifférence.
J'aime le côté historique. J'ai préféré Rue des voleurs. Il y a des réflexions intéressantes, par exemple sur la fuite face à l'islamisme. J'ouvre à moitié, c'est neutre… (Lisa part en cours de séance, elle est malade. Mais pas à cause du livre…)
Fanny
J'ai eu du mal à m'y retrouver, à le reprendre après l'avoir posé, j'étais un peu perdue. J'ai compris que le personnage de Yazid était paumé dans sa filiation, c'est donc ce que je ressentais. Et je me suis dit alors que le pari était réussi puisque le procédé fonctionnait, à partir de ce moment. J'ai eu de plus en plus d'intérêt à la lecture, avec cette phrase en ritournelle : retourne à la rue Darwin… C'est un roman engagé, courageux. J'ai lu qu'il avait mis beaucoup de lui, je me suis laissé happer par cette dimension.
J'ai trouvé que c'était très construit, entre présent/passé, ses deux familles. Les personnages secondaires manquent d'épaisseur et j'ai été gênée par les phrases générales, pseudo existentielles, qui suivent des descriptions, par exemple "on habite ces légendes plus qu'on les fait" (p. 276). J'ouvre aux ¾.
Nathalie R
Je suis partagée. Son écriture est résumée p. 142 : "c'était ma technique, parler, parler sans arrêt, tourner à droite, à gauche, inventer, mélanger le vrai, le faux, le drôle, le fumeux, noyer le poisson, étourdir, quoi.". C'est écrit comme un conte. J'ai eu envie de lâcher le roman, j'ai pu le trouver nauséeux, vulgaire. Concernant les femmes, c'est une catastrophe de lire cela. J'ai compris la construction mais après avoir terminé le livre. Je me suis réconciliée avec le roman après avoir fait des recherches sur le narrateur. J'ai trouvé le livre mal écrit : il abuse des adjectifs, il y a des phrases à rallonge, c'est dissonant. Je me suis même demandé s'il ne traduisait pas de l'arabe.
J'ai pensé à Istrati car rien n'est vraisemblable. Les personnages ont des qualités qui sortent de l'ordinaire, la dimension romanesque est réussie. Le profil de Yazid est intéressant. Il a l'art du conteur mais il écrit très mal : il s'agit d'une fresque mais son style est catastrophique du fait de ses dissonances.
Je salue l'engagement de l'auteur. J'ouvre ¼ et je ne le donnerai pas à lire.
Monique L
C'est un roman sur la quête des origines. Le personnage de Yazid m'a intéressée mais j'ai eu du mal à adhérer à l'histoire de la tribu des Kadri régentée par "la reine Djéda" : l'histoire de la grand-mère, je n'y ai pas cru depuis le début.
J'ai bien apprécié la rencontre des frères et sœurs autour du lit de la mère et les différences de leur ressenti et de leurs réactions. On perçoit bien l'incompréhension entre celui qui est resté en Algérie et ceux qui l'ont quittée pour faire leurs études et leurs carrières, leurs souvenirs ne sont pas les mêmes.
Ce récit nous fait traverser l'histoire de l'Algérie, de la colonisation à la guerre d'indépendance jusqu'à la guerre civile et l'emprise des Imams sur la jeunesse que l'auteur analyse d'un regard lucide. C'est un roman autobiographique ; il y a de beaux passages sur le fanatisme religieux : "La religion me paraît très dangereuse par son côté brutal, totalitaire. L'islam est devenu une loi terrifiante, qui n'édicte que des interdits, bannit le doute, et dont les zélateurs sont de plus en plus violents. Il faudrait qu'il retrouve sa spiritualité, sa force première. Il faut libérer, décoloniser, socialiser l'islam." Malgré les critiques qu'il en fait, on sent tout l'attachement de Boualem Sansal pour son pays.
Est-ce dû à une impossibilité de m'identifier ou de me positionner mais malgré la richesse indéniable de ce roman, je suis restée en dehors. J'avais aimé 2084 du même auteur. J'ouvre à ½.
Henri
J'avais rencontré Boualem Sansal à Textes & Voix pour 2084 juste après les attentats du 13 novembre ; l'auteur se montrait courageux rien que d'être là, on pouvait vraiment penser qu'il y avait des risques. 2084, j'ai aimé le début puis j'ai trouvé ça pénible.
Ici j'ai été happé par l'aspect romanesque, le pouvoir évocateur et les dissonances dans l'écriture. Cela tourne en bouche, on y revient, j'ai apprécié le style. Pourtant l'histoire ne m'intéressait pas. En revanche j'ai trouvé le personnage de Yazid très fort, il gagne en épaisseur au fur et à mesure qu'il fait le lien avec ses origine. J'ai cru que c'était sa propre histoire, j'ai eu beaucoup d'empathie avec le personnage. Ce livre m'a fait me rapprocher de l'Algérie que je ne connais pas contrairement au Maroc. J'ouvre aux ¾.

Jacqueline
En lisant les pages en exergue j'ai trouvé que c'était des banalités. Puis j'ai marché le premier tiers, j'ai été touchée par l'histoire de la mère même si je n'aimais pas tellement le style, je me suis laissé emporter tout de même. Ce monde extraordinaire suscitait de la curiosité.
Assez vite, j'ai eu l'impression que le questionnement du narrateur sur ses origines tournait en rond, c'était trop explicite, je restais extérieure. Par contre j'avais l'impression d'être dans un conte des 1001 nuits avec un contraste entre deux mondes : pauvres ou merveilleux. Je ne pouvais y croire. Par contre, un conte peut être pris à plusieurs niveaux tandis qu'ici je ne vois pas le projet de l'auteur.

Claire (excitée pour un rien)
Ah ça faisait longtemps qu'on n'avait pas vu réapparaître la question du projet de l'auteur
Jacqueline
Il y a cependant sa vision courageuse, c'est pourquoi j'ouvre quand même au ¼.
Denis
Je n'ai pas aimé Le village de l'Allemand. Rue Darwin a le même genre d'écriture que je n'aime pas. Certes, je respecte les visions et critiques sociales de l'auteur. Mais j'ai trouvé le livre pesant. Par comparaison j'ai lu Istanbul d'Orhan Pamuk : c'est merveilleux, ce livre fait entrer dans un autre monde, l'auteur nous y accueille et on s'y sent bien. Je n'offrirai pas Rue Darwin mais je pourrais le conseiller pour échanger. J'ouvre ¼ pour le respect du projet de l'auteur : la critique sociale et politique, complexe, construite.
Françoise D
J'ai beaucoup aimé, de même que Le village de l'Allemand. Par contre, je n'ai pas aimé 2084, je l'ai senti aveuglé par son projet. Ici j'ai adhéré à l'histoire, à la force de l'écriture qui fait sentir l'homme en colère. Il y a beaucoup de l'auteur dans le narrateur. Son vécu et son courage se retrouvent dans le narrateur. L'écriture le tient, c'est peut-être son projet. Je n'ai pas trouvé que c'était misogyne. J'ouvre en grand et je ne boude pas mon plaisir.

Claire
Je me souvenais de l'enthousiasme de Rozenn à propos de 2084 quand il était sorti et de sa conviction : il FAUT qu'on le lise ! J'étais donc pleine d'allant pour Rue Darwin qui m'a donné l'occasion de lire 2084 après. J'ai trouvé la situation de départ (les enfants différents réunis autour de la mère) intéressante et à partir de là les flashbacks habiles. Comme toi Richard, j'ai listé les personnages et m'y suis ainsi retrouvée. J'ai apprécié la construction. Je me suis posée régulièrement la question du rapport à la réalité et donc à l'autobiographie, ce que j'ai ressenti comme un défaut (le fait que la question se pose). Le style ne m'a pas déplu et j'ai été sensible aux énumérations qui reviennent régulièrement. Cependant, et cela fait de fortes réserves, il y a bien trop de blabla, de l'explicite comme tu dis Jacqueline, et dès l'exergue en effet ; et puis l'intrigue s'effiloche, tourne en rond, c'est parfois poussif, je ne sais même plus comment ça finit. Lorsque j'ai appris que Djéda, avec toute cette partie incroyable, haute en couleurs, existait....

Annick L
Ah bon ?...

Claire
Oui… je lirai un truc. J'ai trouvé que cela affaiblissait le livre, tout en apportant une réponse sur l'aspect autobiographique. Quant à 2084, j'ai retrouvé non sans déplaisir les énumérations, mais, surtout, je me suis arrêté de lire chaque page pour me mettre à feuilleter et lire en lecture rapide jusqu'au bout : j'ai trouvé cela simpliste, puéril…

Françoise D
… naïf.
Claire
Tout à fait. Bref, Rue Darwin, j'ouvre à ½

Nathalie R
Je m'interroge sur son identité religieuse et les références au judaïsme p. 30 : "C'était une formule, elle venait naturellement sous la main, comme "l'année prochaine, à Jérusalem" vient naturellement avec le geste du salut chez les Juifs".

Jacqueline
J'y vois une volonté de montrer comment les différentes communautés cohabitaient dans un quartier populaire.

Annick L
Yazid apprécie le rabbin.

Jacqueline
Les frères et sœurs sont présentés de façon assez caricaturale, mais c'est peut-être comme cela que Yazid les perçoit ou alors cela correspond à une forme de réalité.

Richard
L'auteur a peut-être donné trop de détails, notamment sur la vie des frères et sœurs pour tenter de leur donner de la crédibilité.

Henri
Il faut peut-être prendre en compte qu'il écrit en Algérie et réfléchir aux lecteurs à qui il se destine, à savoir les Algériens aussi.

Claire
Dans des interviews, l'auteur nous explique – et c'est bien dommage – que c'est autobiographique, qu'il a commencé à écrire le livre trois mois après la mort de sa mère, et il dit ceci du narrateur : "Il me ressemble beaucoup, en effet. Comme moi, il a vécu, enfant, dans les années 1950-1960, rue Darwin [à 100 mètres de la maison de Camus], à Belcourt, quartier populaire d'Alger. Comme moi, au fur et à mesure qu'il grandissait, il ne savait plus qui était qui, quels étaient ses frères, qui était sa mère..."
Au moins, a-t-il inventé Djéda ?! Ou a-t-elle existé ? "Oui, mon père était son fils, ou plutôt le fils de sa sœur ou d'une cousine... Lalla Sadia était la chef du clan des Kadri, une femme très puissante, qui avait des biens partout - dont de nombreuses maisons de tolérance - en Tunisie, au Maroc, en France. Elle était très possessive, personne ne lui résistait, elle gouvernait son monde comme Saddam Hussein gouvernait l'Irak. Habile, elle a su naviguer à travers tous les régimes : l'administration française, puis le FLN et, à l'indépendance, elle est devenue une héroïne. Alors que l'Algérie est en faillite, Ben Bella lance une grande opération de solidarité nationale. Tout le monde y va de son écot, la Djéda, elle, donne des quintaux d'or. Du coup, elle a l'honneur de recevoir à déjeuner le président Ben Bella et Nasser, alors en visite en Algérie. Tout cela est passé au journal télévisé. Même sa mort fut homérique : elle a fini assassinée dans des conditions obscures..." (Voir le point sur la dimension autobiographique ICI)

Annick L
Je suis un peu déçue.

Claire
Plus sérieusement, on lui demande "comment écrivez-vous ?" Voilà sa réponse : "Je me donne un sujet, un thème, et je fouille à fond. Je sais que ça peut provoquer des débats et je m'arme donc d'éléments pour répondre. C'est une démarche lente, longue et compliquée. Ce n'est pas le tout de décrire une pierre qui tombe, encore faut-il comprendre et expliquer pourquoi. Pour Harraga par exemple, je m'inquiétais du désespoir des jeunes femmes qui refusent de se soumettre à l'ordre traditionnel et se voient rejetées de tous. Dans Le Village de l'Allemand, je me posais la question de la transmission, de ce que les parents taisent, mais que les enfants finissent par savoir. Alors, est-ce que c'est de la littérature ? Je n'en sais rien. C'est de l'histoire, c'est de la politique. En fait, la question qui se pose à moi, c'est : comment transformer ce qui est à l'origine un essai en littérature."("2015 marquera peut-être le début de la troisième guerre mondiale", Lire, décembre 2015) A-t-il réussi son coup dans ce livre ?... nous ne sommes pas tous d'accord...

Alix (du nouveau groupe parisien dont les avis vont suivre)
J'ai eu du mal à lire ce livre et d'ailleurs je ne l'ai pas lu en entier. Je l'ai commencé, puis laissé parce que je ne comprenais rien à qui était le père ou le frère de qui. Finalement je l'ai repris en l'ouvrant au hasard et je suis tombé sur le magnifique chapitre qui parle de la guerre, à partir de la p. 97. Je l'ai lu avec grand intérêt et émotion. Cela m'a rappelé à la fois des lectures antérieures (certaines descriptions m'ont rappelé celles de Lawrence Durrell que certains ici avaient trouvées un peu crues) et des cours de relations internationales… Je cite : "les bombes dans les cafés et la gégène dans les caves, ça n'est vraiment pas la guerre, il n'y a pas de promesse de paix dans ces merdiers, sinon celle des charniers, et la preuve est que jamais la paix n'a montré le bout du nez par ici et jamais les relations entre les deux pays n'ont été sereines." Et puis il y a cette façon très particulière de décrire Alger, la beauté, la douleur, le poids du passé, l'insouciance, la guerre, le terrible, comme si la misère était vraiment moins terrible au soleil finalement : "La ville et ses beautés, ses laideurs et ses micmacs, ses coins et ses recoins encore plus étranges, ses balcons vertigineux et ses vues panoramiques, ses plages polluées par tant de vieux rêves brisés"...
Après j'ai un peu continué le reste du livre mais en le survolant car je n'ai décidément pas vraiment accroché. Je trouve que le thème est émouvant – une famille qui se retrouve alors qu'ils sont tous dispersés aux quatre coins du monde, peut-être ne se reverront-ils jamais après cela – mais l'auteur n'a pas su m'émouvoir en le racontant ; mais c'est peut-être parce que j'ai loupé une partie du livre. Certains aspects m'ont paru un peu clichés, pas très naturels (même s'ils sont peut-être réels, je ne sais pas dans quelle mesure le livre est autobiographique). Par exemple, le frère homosexuel qui meurt du sida, ou la réussite sociale de tous les frères et sœurs sauf Hédi, le vilain petit canard (il en faut bien un !). Vraiment ? Les élites mondialisées ou le rebelle fanatisé ? Est-ce que la vie n'est pas un peu plus nuancée en général ? J'ouvre le livre à moitié.
Inès
Je n'ai pas terminé ce livre, il ne m'a vraiment pas plu. Je l'ai trouvé confus, je ne l'ai pas compris. Je ne l'ai trouvé ni émouvant ni touchant. Je l'ai même trouvé un peu surfait. J'ai eu l'impression de lire une autre langue. Je ne le terminerai pas et sans aucun regret. Livre fermé.
Émilie
La première partie du livre est abordable. Le reste est long et je me demande même si tous les passages de descriptions qui se suivent apportent vraiment quelque chose à la narration. Je n'ai pas trouvé crédibles les histoires de tous ces personnages. Je ne dirais pas que c'est désagréable à lire, mais je ne l'ai vraiment pas aimé. On en sort avec un sentiment de défaite : toutes les époques sont finalement terribles et aucune ne vaut la peine d'être vécue. Il s'agit à mon avis d'une vision assez caricaturale. Je n'ai pas été touchée par les personnages du livre alors que c'est ce que j'apprécie le plus dans un roman. Cela fait un certain moment que je l'ai terminé et finalement je ne m'en rappelle presque plus. Je l'ouvre à moitié.
Françoise H
J'ai été vraiment déçue par ce livre. J'avais entendu une interview de l'auteur sur France Culture et (malgré les questions peu pertinentes de la journaliste) j'avais été très intéressée par ce que l'auteur avait raconté. Je l'avais trouvé très dynamique et très critique, avec son regard très décapant sur l'Algérie et son réquisitoire contre l'islamisme (après avoir entendu cette interview, je peux confirmer que le livre est autobiographique). Quand j'ai commencé à lire le livre, j'ai été tout de suite frappée par la description vraiment incroyable du bordel et de la grand-mère. Cela m'a transportée et puis, à un certain moment, tout a basculé. J'ai d'un coup ressenti que l'auteur ne savait plus écrire un roman : ce n'était plus un roman ce qu'il était un train d'écrire, mais un essai. Or, cet essai est pertinent. La manière dont il décrit la société algérienne brutalisée par la guerre est juste et m'a ouvert les yeux. Mais à part ça, il quitte le roman, il laisse de côté les personnages, et j'ai trouvé cela ennuyeux. Il n'y a plus de fiction. A mon avis c'est un très bon écrivain, il a un regard très fin, mais il ferait mieux d'écrire des essais. Je l'ouvre à moitié.
Ana-Cristina
Je trouve ce récit très émouvant. J’aime beaucoup (p. 42-44 par exemple) la description que Boualem Sansal fait de la rue Darwin et la description des personnages qui la fréquentaient est très évocatrice. Le va-et-vient entre la petite histoire et l’Histoire est très bien menée. La part la plus intime s’ouvre sur l’universel.
Parfois je me suis perdue dans les dates et les événements. Mais que le chemin ne soit pas balisé attise mon attention et ma curiosité. C’est confortable de se mouvoir dans un espace inconnu éclairé par une lumière pas trop aveuglante. Je crois que j’aime bien les auteurs qui n’offrent pas tout sur un plateau, où une part d’incertitude subsiste. Ici la structure non linéaire du livre participe de cette incertitude. Cette structure épouse les méandres de la mémoire. Je pense que c’est un roman que je pourrai relire. La première lecture n’en épuise pas les images et les émotions. Et le sens ? Quel sens je donne à cette histoire ? Là tout de suite je dirai aucun que je peux formuler de façon intelligible. Mais la lecture de ce livre fait son chemin et irrigue chez moi des champs qui demandent à être éveillés. Bien sûr il y a la recherche des origines. Une œuvre de Frank Stella me paraît la schématiser, Ifafa II, la version de 1964. Si je devais plancher sur la signification de cette histoire, je partirais sans doute d’une phrase trouvée p. 144 qui résonne comme un proverbe chinois : "le sens vient avec le courant".
Ce livre m'a beaucoup plu, ça a été une vraie découverte : rien que pour cela je suis contente d'être à Voix au chapitre ! Je l'ouvre complètement.
Valérie
Cela aurait été vraiment dommage de ne pas lire ce livre, ponctué de magnifiques passages : "Après tant de vicissitudes et d'échos frelatés, je me demande où j'en suis : dans le réel ou le virtuel ? Enfant de la guerre ne sait de quoi il est fait, de grandes vérités fondatrices ou de perfides et lamentables complots. Je n'ignore pas seulement mes origines, qui est mon père et qui est ma mère, qui sont mes frères et mes sœurs, mais aussi quel monde est ma terre et quelle véritable histoire a nourri mon esprit. Là aussi, il faut tout reprendre". Ce qui m'a le plus fascinée, ce n'est pas tant l'histoire, ni les personnages, mais plutôt ce que l'auteur raconte de l'Algérie, son enquête. Ce que l'auteur dit, raconte de la guerre m'a vraiment interrogée. P. 125 par exemple : "La guerre qui n'apporte pas une paix meilleure n'est pas une guerre, c'est une violence faite à l'humanité et à Dieu, appelée à recommencer encore et encore avec des buts plus sombres et des moyens plus lâches, ceci pour punir ceux qui l'ont déclenchée de n'avoir pas su la conduire et la terminer comme doit s'achever une guerre : sur une paix meilleure". Ce passage a vraiment fait un écho en moi. Finalement, pourquoi faire une guerre ? Y a-t-il une explication une justification légitime ? L'histoire de cette famille n'est qu'un "prétexte" littéraire. La seule chose qui compte vraiment c'est la voix du narrateur : cet enfant de la guerre à la recherche de soi-même. Ce livre est magistralement écrit, j'aurais vraiment envie de rencontrer cet écrivain et de lui serrer la main. Je l'ouvre complètement.
Nathalie B
Je suis profondément d'accord avec Valérie. La façon dont l'auteur décrit la guerre est extrêmement forte. Petite, j'ai été très marquée par la lecture de La question d'Henry Alleg. Dans mes livres d'histoire à l'école, la guerre d'Algérie occupait à peine un paragraphe. Ensuite, je me suis intéressée à cette page de l'histoire, mais je n'ai jamais envisagé cette guerre comme une guerre à l'intérieur de la guerre. Je n'avais jamais mesuré l'ampleur de cette guerre intestine, je ne l'avais jamais vue du côté algérien. Ce livre m'a ouvert les yeux et a complètement transformé ma vision des choses. Quel courage a cet homme ! Il écrit ce roman-réquisitoire et il habite toujours en Algérie, rue Darwin. A travers ce livre, qu'il a commencé à écrire après la mort de sa mère, il reconstruit le roman de sa vie. Il reconstruit son puzzle, "sa" vérité. Je l'admire et j'aime sa manière d'écrire. A travers son écriture, on sent l'homme scientifique, réservé, et cela m'a énormément touché. C'est un livre d'une grande intelligence et d'une grande force. Je l'ouvre complètement !
François
Un roman qui se lit facilement, très facilement... Je trouve que malgré toutes les horreurs, il fait la part belle au charme des lieux (par exemple à Tanger qui a impressionné beaucoup d'écrivains, de Paul Bowles à William Burroughs en passant par Jean Genet et Samuel Beckett). Le narrateur qui est un passionné de littérature y fait lui-même référence. J'ai beaucoup aimé l'innocence de son héros qui se laisse entraîner par la vie et les événements un peu comme un Candide marocain ou un personnage des Mille et une nuits.
L'histoire contemporaine est aussi très présente dans ce le livre qui nous plonge dans les bouleversements du monde arabe qui s'étendent à l'Europe avec leurs cortèges d'espoir et de désillusions. Ils se reflètent dans la vie et la conscience du narrateur qui est toujours un peu en porte à faux par rapport aux événements. L'émergence des "Printemps arabes", les ravages causés par la montée des extrémismes et de l'Islam radical sont bien la toile de fond tragique de ce livre par ailleurs plutôt bien fait pour plaire. Sans doute parce que l'auteur est profondément imprégné par la langue et la culture du monde arabe qu'il connaît très bien... Son héros tiraillé entre ses origines et ses contradictions est bien emblématique d'un pays dévasté qui n'a jamais retrouvé la paix. Il en montre aussi bien l'horreur que l'incroyable beauté. Certaines de ses descriptions rappellent celles du Camus de Noces et de L'Étranger.
En marge de cet intérêt historique, Mathias Énard ne lésine pas sur le sensationnel et la couleur locale, quand il s'agit d'évoquer un monde qui depuis toujours fascine le lecteur européen en mal d'ailleurs et d'exotisme. Mais son évocation de la rue et de l'atmosphère des villes ne manque pas d'une certaine force. Elle rappelle (un peu) celle du magnifique romancier égyptien Albert Cossery. Les passages sur Barcelone m'ont aussi (de loin) fait penser au Journal du voleur de Jean Genet.
Le point faible de ce livre m'a semblé surtout être le style souvent pesant et ressassant. La trame romanesque est aussi passablement éculée.
En définitive je n'ouvrirai qu'à peine à moitié.
Flavia
Je n'ai pas aimé ce livre et je ne l'ai pas terminé. Le style et la langue ont représenté pour moi un véritable obstacle. J'ai rencontré énormément de mots et expressions que je ne connaissais pas et qui m'ont semblé désuètes. En outre, je n'ai développé aucune forme d'empathie envers le personnage principal : cette voix qui me parlait à l'oreille d'une manière hermétique et assez paternaliste m'a agacée. Je suis d'accord avec Françoise : ce n'est pas un roman, mais un essai tourné en fiction. Je n'aime pas ce mélange de genres, en tout cas, je ne trouve pas que cela ait réussi dans ce roman. Je ne l'ai pas trouvé percutant, mais plutôt déprimant. Il ne laisse même pas une lueur d'espoir. C'est une vision des choses que par nature je n'arrive pas à partager. Livre fermé.
Julius
J'ai adoré ce livre que j'ai trouvé d'une finesse psychologique remarquable. Pour moi, ce roman est un chef d'œuvre, non pas tant par des prouesses de style que par l'acuité et la sensibilité qui traversent de part en part tout le récit en faisant évoluer le personnage principal dans un va-et-vient bouleversant entre son enfance et l'âge adulte, alors même qu'il passe les 20 premières années de sa vie d'adulte à "faire silence" pour nier, dans un instinct de survie désespéré, tout son passé d'enfant, comme s'il pouvait être à la fois deux personnages différents.
Et puis un roman qui commence par "Se raconter est un suicide" (p. 13) et qui se termine par "Mon Dieu, comme on sait se mentir, et comme on sait renouveler ses mensonges avec les saisons" (p. 246), cela me parle. Cela me parle car c'est un roman qui a pour pierre angulaire le langage, le dire et le non-dire. La quête n'est pas banale, elle n'est pas commune, elle n'est pas déjà vue et usée jusqu'à la corde : pour moi, elle est, dans ce roman, exceptionnelle car je ne la vois pas comme une quête du soi, mais comme une quête du dire à soi-même, sur soi-même, une quête de l'émergence de la parole, de la source, de toute source de l'existence à soi et au monde.
Comment un enfant dans l'état d'esprit décrit p. 79 ("Qu'ai-je pu penser de cela, à cet âge ? Que sait-on à cinq ans ? Que ressent-on ? Quelles questions se pose-t-on ? Je découvrais que mon père n'était pas mon père et il venait de mourir ; que ma mère n'était pas ma mère et elle venait de disparaître ; que ma vraie mère était une inconnue qui m'avait conçu avec des inconnus de passage dans une maison interdite et elle avait disparu à son tour. Ne restait que Djéda et plus tard, j'ai découvert qu'elle n'était pas ma grand-mère mais la sœur aînée de ma grand-mère, laquelle n'était pas plus ma grand-mère que son fils n'était mon père.", comment un enfant qui a vécu cela peut-il se construire pour se métamorphoser en un adulte dont on voudrait qu'il soit normal, inséré, brillant... ? Non bien sûr, d'où cette phrase que j'ai trouvée terrible mais combien éclairante et décisive : "Vivre n'est que porter le deuil de soi." (p. 50) On dirait du Cioran. Sauf que ce n'est pas gratuit, ce n'est pas du tout du procédé et je retrouve dans cette enfance assassinée celle du petit Wahhch assistant aux scènes de torture de sa famille dans les fosses de Sabra et Chatila dans Anima de Wajdi Mouawad. C'est la même déflagration, la même rupture, le même choc qui provoquent une seule obsession : le silence.
Alors, autour de cela, tout le reste ne me semble que décor. Décor somptueux, intellectuellement passionnant, mais décor. J'ai trouvé remarquable d'originalité et très nouveau le regard philosophique sur la guerre et passionnantes les observations portées sur l'Algérie d'avant-hier, d'hier et d'aujourd'hui. J'ai adoré la description somptueuse de l'empire de Djéda, cet univers délirant d'un bordel conçu comme un état dans l'État, son organisation, ses règles de fonctionnement, ses ramifications infinies, sa domination des esprits, j'ai été séduit par les fulgurances du récit, l'écho permanent entre l'histoire individuelle de Yaz, l'histoire collective du phalanstère et l'Histoire avec un grand H, mais pour moi ce n'était que cerise sur le gâteau. Pour moi, la richesse exceptionnelle de ce livre réside dans cette quête, non pas tant de soi-même que du langage. "Vivre c'est combattre" dit-il en citant Camus, mais aussi "C'est un grand crime que le silence, le plus grand de tous." (p. 173). J'ai été happé par cette lutte contre le silence, ce silence qui lui fait dire "On peut vivre les choses, les subir, mourir par elles, mais pas les dire." (p. 261). Or ce qui n'est pas dit n'existe pas, le combat est là. Je n'ai pas lâché ce livre un seul instant.

Inès (à la fin de la rencontre)
Mon grand-père est algérien, mon père est algérien. J'ai l'impression de connaître déjà tout ce qui est raconté dans ce roman. Si ce livre ne m'a pas parlé c'est finalement parce qu'il m'a trop parlé…

 

11 AVIS DU GROUPE BRETON répartis selon trois réactions globales suivies d'avis individuels
: Annie, Chantal, Marie-Odile, Marie-Thé, Yolaine
: Jean-Luc, Suzanne
: Édith, Lona, Marie-Claire, Odile
Marie-Claire
Désolée de ne pouvoir être présente. Ce livre de Boualem Sansal m'a beaucoup plu. J'ai beaucoup apprécié sa connaissance de la société, le personnage central entre Mère maquerelle et Mère Theresa, la situation de la femme algérienne. J'ai un gros point d'interrogation sur la situation actuelle...
Lona
C'est parfaitement bien écrit et de lecture facile et agréable, avec quelques pointes d'humour : en tous cas je suis rentrée tout de suite dans cette saga familiale algérienne ou cette biographie (?). C'est un récit à la recherche d'identité, "pour ne pas rester entre deux mondes disjoints, deux histoires inachevées" (p. 186) : identité personnelle (qui est ma mère ?), identité familiale (ma fratrie ?), identité nationale (déchirement entre son Algérie et la France avec qui les comptes ne sont pas soldés), car "chacun vient de quelque part, d'une famille, d'un village, d'un clan, d'une culture, d'un malheur quelconque, d'une belle aventure" (p. 275). Est-ce que Yaz va continuer à vivre avec ses secrets et rester au milieu du gué ? Il retournera Rue Darwin, lieu de son enfance !
Yaz, le fils aîné, fait l'évacuation sanitaire de sa mère Karima d'Algérie vers à la Salpêtrière de Paris. Durant le voyage en avion "la mère est passée du sommeil au coma, sans se faire remarquer, discrète et courageuse jusqu'au boutelle passait du coma à la mort, sans déranger personne". Ses enfants de la diaspora sont auprès d'elle, avec une mémoire en morceaux. Ils essaieront de retricoter l'Histoire. Les personnages sont tous algériens. La fratrie est à l'image de la mondialisation vivante : elle est dispersée entre France, Canada, USA, Afghanistan, Londres, Hong Kong, Singapour, Algérie… Chacun a un parcours de vie différent. On ne se fréquente pas.
De belles pages de l'Algérie d'avant la guerre d'indépendance : la liberté des enfants, leurs jeux dans les rues, le relationnel social, la pauvreté dans les ghettos où l'étranger n'est pas le bienvenu, la débrouille, l'entraide, le statut de la femme (domination, suspicion, surveillance des hommes, vengeance si nécessaire pour sauver l'honneur)… Rappels de la violence de la police, des milices, de la famine, de la guerre d'Algérie, du chaos politique et social de l'époque, de Vichy, du Vél d'Hiv, d'Israël, ces guerres qui devaient "amener une paix meilleure, mais elles étaient sans espoir, car on ne combattait pas, on assassinait tout simplement" (p. 123).
De longues interrogations sur l'islam (il me semble que c'est une préoccupation personnelle de l'écrivain). "L'islam règne en maître jaloux et vindicatif. La liberté est un péché impardonnable... Le bonheur est dans le martyr" (p. 35), "il n'y a d'homme libre que soumis à l'islam"(p. 38). Et ailleurs il se veut rassurant envers sa famille pour son petit frère, parti faire le djihad, il parle "d'islamisme modéré, de taliban pacifique…, de croyants qui redeviendraient des hommes de paix et de tolérance" (p. 178), mais il affirme que "le problème est dans l'islam lui-même et se demande si les musulmans sont compatibles avec l'islam" (p. 179). Fuir devant l'islam ? "Ce serait la plus mauvaise chose à faire, car c'est lui offrir l'espace pour se propager et massacrer plus de gens" (p. 172). Et de conclure qu'un "monde sans imams serait plus sûr" (p. 235).
J'ai aimé le personnage de la grand-mère, Djéda, maîtresse-femme, haut en couleurs, d'une personnalité bien trempée, dominatrice, manipulatrice, fière et tendre, régnant sur ses maisons closes en parfaite reine-mère, reine maquerelle, qui inspire des sentiments extrêmes de peur et d'admiration. De belles pages sur la vie dans les bordels (mais sait-on ce qui s'y passe ?), des enfants-pupilles issus de la prostitution, des relations arabo-juives (le rabbin Simon). Yaz est ballotté entre adoption, enlèvement et substitution de mère… Daoud et son homosexualité sont traités avec beaucoup de respect, de tendresse et d'affection.
C'est un beau livre que je recommande. Biographie ? En partie – Marie Odile l'a confirmé. Je me demande si Boualem Sansal "continue à habiter ses légendes plus qu'il ne les fait", et si "elles sont encore trop grandes pour lui" ?
NB - J'ai eu la chance de rencontrer Boualem Sansal l'an dernier lors de son passage à Vannes pour dédicacer ses livres. Il n'y avait pas grand monde au moment où je suis passée et nous avons pu échanger un bon quart d'heure : nous avons parlé de nos guerres (Algérie et 1939-45) et d'islam. Il a clairement exprimé ses inquiétudes à propos de l'islamisation de la France, en la comparant à l'islamisation de l'Algérie ; il souligne le manque de volonté de nos gouvernants et des Français.
Odile
L'entrée est superbe, avec la mère dans le coma. Je me demandais si c'était une femme qui s'occupait ainsi de sa mère ; non, le narrateur est un homme. Les autres sont dégueulasses. C'est bien écrit, bien pensé. Faïza est une petite peste, perverse. La mère maquerelle m'a dégoûtée.

Jean-Luc
C'est peut-être autobiographique...

Odile
Mais ça n'a pas d'importance. C'est bien écrit, c'est senti, c'est superbe. C'est un bon bouquin qui permet de voir ce qu'on a fait en Algérie.
Annie
Je l'ai lu deux fois. La première lecture m'a laissée désemparée, oppressée. J'ai été interrogative sur ce "roman" en tant que tel. Le climat est très trouble, oppressant. J'ai été attentive aux noms, aux parcours de vie. Le personnage de Djéda est assez trouble. Il y a de la violence, y compris de la part des médecins à l'encontre des prostituées. Une deuxième lecture m'a permis de mieux rentrer. Filtré par l'auteur, il y a un aspect qu'on ne connaît pas, où on ne trouve pas sa place, un écart qui m'a attachée à ce récit en spirale, en gigogne ; ça m'a émue ce roman à tiroir. J'ai eu plaisir à entrer dans cette douleur de vivre.
Suzanne
Je me suis attardée aux portraits des femmes : ce n'est pas elle, Djéda, qui fait le sale boulot, elle est dans un rôle masculin. Et Faïza ?! Faïza deuxième époque avec son GPS... La place des femmes m'a plu.

Jean-Luc
J'ai été surpris de voir des femmes avoir autant de pouvoir dans la vie algérienne.

Chantal
Attention, berbère !

Suzanne
Et le rabbin qui souffle la connaissance aux femmes ! Extraordinaire... Mentir, travestir, arranger, voilà des thèmes du roman. J'aime cette phrase : "affranchis du réel nous ne sommes que le reflet de nos rêves" p. 112.

Lona
Tous ceux qui ont réussi, c'est hors de leur pays.

Suzanne
J'ai été touchée par la recherche du narrateur de son frère Daoud.
Édith (avis transmis)
Ainsi que le héros Yazid qui comprend et réalise en fin de recherche les liens entre lui et ses "amis, frères, et sœurs" et peut enfin établir la généalogie, j'ai eu besoin d'écrire, de mémoire, à la fin de ma lecture, les noms et les liens des protagonistes comme si cela me concernait… Joyeuse fin pour moi... toute relative pour l'auteur… Livre que j'ai lu très rapidement m'autorisant de très longues plages de lecture.
J'ai "plongé" dans le texte d'emblée (j'avais lu Le village de l'Allemand et en avais été très imprégnée). La tragédie de la guerre algéro-française – du fait de ma date de naissance ainsi que du roman familial – m'a toujours fortement interrogée. J'ai reconnu au cours de cette lecture – mais ils m'étaient déjà familiers – ces personnages hauts en couleur d'une Algérie déjà rencontrée, soit en littérature soit au cinéma, et je retrouve ambiance et descriptions de la vie des quartiers pauvres d'Alger.
Mais aussi, étonnement de ressentir, dès les premières pages de ce récit, une biographie, celle de l'auteur. Ce livre est écrit à la première personne dans un style très "impliqué", l'auteur progressant par recoupements et déductions pour aboutir à la reconstruction de son histoire au dévoilement de sa lignée car il s'agit bien de cela... Cette "progression" pour mettre en évidence la réalité des liens qui unissent les personnages est soulignée par l'auteur à l'intérieur du récit par des paragraphes en italique faisant "écho" aux textes qui introduisent chacune des parties du livre (secret, vérité qu'on se voile, réflexion à soi même, langage intérieur : p. 19, 25, 30, 31, 35, 80, 180, 204.)
J'ai particulièrement été saisie par la force du chapitre concernant la Guerre d'Algérie, en une réflexion élargie à toutes les guerres : réflexion sombre et relativement sans espoir ("Je me demande si on peut connaître la guerre"), désespérante dans la force de l'analyse.
Le rapport de fidélité à sa mère nourricière et le récit de sa fin à Paris, la rencontre avec ses frères entourant cette mère, sont émouvants dans la simplicité du constat de l'absence de liens adultes. Les deux mères liées par le même secret, leur vigilance muette et leur mort rapprochée pourraient appartenir au monde des récits romanesques…, ce qui n'est pas le cas. J'ai vérifié rapidement que Boualem Sansal avait bien accrédité chacun des éléments évoqués dans le récit : la reine RANAVALO de Madagascar, romanesque cette DJÉDA morte en 1954 qui hérite de cette somptueuse demeure et qui règne par le pouvoir de l'argent (celui des bordels) sur le monde politique et l'épisode troubles de la dernière guerre avec l'évocation de l'hôtel LUTÉTIA de triste mémoire, cela me donne envie de lire Pierre Assouline.
La famille couvrait 4 continents : exode et impossible partage dans le retour pour les obsèques. 40 ans de silence pour l'auteur et urgence au décès de sa mère d'aller rue Darwin, dans un retour à l'enfance et aux lieux de son enfance : force des lieux…
Très beau ROMAN ? Que je recommanderai à des amis comme déjà je l'ai fait pour Le Village de l'Allemand. Style coulant. Phrases profondes avec arrêt pour en saisir toute le sens. Construction solide de ce voyage vers sa vérité qui apparaît, le livre fermé, dans toute son "évidence". Mais qu'est-ce que la vérité ?... "Ce serait donc une chose qui s'accomplit en nous et nous accomplit en même temps"… A mon âge et dans ma situation, le sillon est tracé, je me verrais mal mourir avec d'autres idées que celles qui m'ont accompagnée jusque là. "Mais devenant certitude est-elle toujours la vérité ?" Le trouble demeure… La raison est apaisée… Mais ! "Tout est certain dans la vie, le bien, le mal, Dieu, la mort, le temps, et tout le reste, sauf la Vérité."
Démarche sur le mode analytique ? Écriture et catharsis ? Cet auteur est contemporain et très exposé médiatiquement : ses propos et déclarations à venir seront forts de cette lecture. "Le pays est ainsi je l'ai dit qu'il ne laisse de répit ni à la vie ni à la mort".
Chantal
½ avec "regret" car j'aime l'auteur… Comme dit Claire peut-être que ce qu'il représente et ce qu'il écrit, c'est mêlé...
Citation : "c'était ma technique, parler, parler sans arrêt, tourner à droite, à gauche, inventer, mélanger le vrai, le faux, le drôle, le fumeux, noyer le poisson, étourdir, quoi. (...) Il faut constamment ramer colmater, distraire, ennuyer, surprendre, disputer si nécessaire" : c'est le résumé parfait de ce que j'ai ressenti à cette lecture : trop foisonnant, trop "mélangé", trop, trop, trop !!! Sans cependant être gênée par la complexité de ces 2 familles.
Je crois que je n'avais pas envie de mettre devant mes yeux cette douleur récurrente de B. Sansal, cette colère devant son pays et ce qu'il est devenu. Plus que de l'amertume, c'est de la souffrance qui semble s'accentuer au fil de ses livres... et je n'ai pas lu 2084 ! J'ai aimé ce grand survol de l'histoire de l'Algérie en parallèle avec l'histoire de la famille de Yaz/Sansal. J'ai appris des éléments de cette grande Histoire, tel que l'exil à Alger de la dernière reine malgache… J'ai été touchée par la quête de l'adulte Yazid sur son histoire, son identité, son attachement à ses deux familles : attachement et souffrance… J'ai de même été touchée par cette fratrie éclatée, dispersée aux quatre coins du monde…
B. Sansal dit dans ses interviews qu'il s'agit d'une autobiographie en grande partie : peut-être aurait-il dû laisser le mystère... ?? Et le romanesque de plusieurs de ses personnages... ??
Marie Thé
½ alors que j'ai bien aimé. Je m'attendais à mieux. L'écriture m'a déçue. La fin est assommante, avec des répétitions, des retours en arrière. Et ça ne décolle pas. C'est une quête de l'origine, de la vérité. Cela dans un autre monde, un autre lieu, un autre temps. Ce livre m'a énormément fait penser à Camus, à Premier homme quand tout le monde est mélangé, dans la pauvreté. J'ai pensé aussi à Kamel Daoud et au rapport avec la mère, "Maman est morte aujourd'hui" : Meursault n'avait pas pleuré à la mort de sa mère.
J'ai aimé toutes les religions qui se côtoient, la description de l'imam...

Plusieurs
Non le rabbin...

Marie-Thé
Et cette machine totalitaire qu'est cette Djéda. C'est un livre sur l'illégitimité, concernant les enfants, ce qui ne soit pas se faire. J'ai aimé cette histoire dans la grande Histoire. J'ai pensé aussi au livre d'Antoine Leiris Vous n'aurez pas ma haine.
Yolaine
J'ai terminé le livre cette nuit. Comme Marie Thé, certains passages m'ont semblé interminables. Le passage avec la mère, ça m'a pompé l'air ; sur la mort, c'est un peu convenu, ça ne m'a pas parlé. Mais on est attrapé par le récit. Qui a cependant une lourdeur, je n'ai pas été accrochée par le style. Ce qui m'a séduite, c'est la réflexion sur la famille, les bâtards, la fausse mère : la vie est faite de plus de rencontres que d'hérédité. Il y a une réflexion sur le temps, l'Algérie d'hier et d'aujourd'hui ; avec à la fois une nostalgie de ce qui n'est plus et une réflexion contemporaine. Je ne me suis pas identifiée au narrateur. Le bordel ? J'ai eu du mal à y croire même si c'est vrai. Je suis mitigée tout en trouvant le livre relativement intéressant.
Marie-Odile
Il s'agit d'une relecture. J'aborde ce texte sans l'enthousiasme de la découverte, mais avec le plaisir de retrouver une écriture riche, une phrase rythmée, un vocabulaire recherché où s'insère souvent une expression familière inattendue et avec l'impatience de voir apparaître le personnage le plus invraisemblable de cette histoire : Djéda, car c'est elle qui m'a marquée à la première lecture, elle et son pouvoir, elle et son bordel.
Pour moi ce roman présente à la fois la simplicité d'un récit autobiographique, la lucidité mordante d'un regard satirique, la beauté d'un texte littéraire. Boualem Sansal mêle l'histoire du narrateur, son histoire, à l'histoire de son pays, suffisamment pour qu'on sache que rien de tout cela n'aurait pu se produire ailleurs.
Séparations, départs, métamorphoses se succèdent, se répètent dans les secrets et les non-dits qui interdisent à l'enfant de savoir qui est qui. J'ai aimé le va-et-vient entre le narrateur et l'enfant qu'il était, confronté à ce méli-mélo d'improbables filiations.
Toutefois, le récit, cette fois, m'a parfois paru long, répétitif, du fait de sa composition : le retour sur les frères et sœurs, qui auraient pu être présentés une bonne fois pour toute par exemple. Le récit piétine de façon interminable là où on aimerait que ça avance. Pourquoi tant de répétitions, de retour sur le déjà dit ? Pour traduire la difficulté ou la peur de découvrir un secret (connu depuis toujours) ?
J'ai préféré les passages consacrés à l'Algérie (le phalanstère, la rue Darwin) plutôt que ceux qui se passent à Paris. J'ai aimé les descriptions du quartier, les portraits pittoresques (le rabbin de Belcourt, l'imam de l'hôpital parisien).
A première lecture, je l'aurais ouvert en grand ; aujourd'hui je l'ouvre à moitié et je ne le relirai pas une troisième fois sinon…
Jean-Luc
J'ai passé un an en Algérie à cette époque Je suis enrichi par tout ce que j'ai entendu. Pour moi, il y a trois époques : avant que je n'ai pas connue, après que je n'ai pas connue, et pendant que j'y étais: trois mois de combat, six mois avant l'indépendance - une période de bascule. Quel sens j'ai pu donner à cela… J'ai lu le livre avec ces interrogations. C'est un Algérien qui n'était pas du FIS qui avait gagné les élections, puis ce fut la guerre civile. Sansal, c'est un esprit indépendant, non touché par l'intégrisme, enragé, révolté. C'est une étude de mœurs et de société? J'étais en Kabylie, mais on n'était pas mélangé et je pouvais percevoir la société. Les femmes ont un pouvoir : cela, je ne pouvais le voir. C'est une Algérie sans hommes et avec des femmes voilées que j'ai connues.

Suzanne
Il y a eu des combattantes, par exemple la Kahina a pris les armes – c'est d'ailleurs un personnage de roman...

Chantal et Lona
... berbère et c'était bien avant.

Jean-Luc
J'ai ressenti des échos très forts avec ce livre. Certains étaient francophiles, il y avait des rivalités dans les familles. J'ai aimé les personnages. J'ai cru que c'était vrai. J'ai relu le livre en diagonale, ce livre qui m'a plu. Parallèlement je relisais avec mes petits enfants L'Étranger et je me disais : dans quel bouquin suis-je ?... C'est bien écrit : si on décrit la misère, cela n'empêche pas d'apprécier.

Marie-Odile
On fait du beau avec du laid.

Claire (de passage dans le groupe breton)
Je me souviens que tu nous avais parlé de ton expérience qui rendait ta lecture aiguë quand nous avions lu Passé sous silence d'Alice Ferney qui concerne l'Algérie.

Jean-Luc
J'avais 12 gars sous mes ordres, dont 6 Algériens, des paysans, pas harkis, qui étaient en fait des citoyens français.

Suzanne
Cela me fait penser à un livre extraordinaire 120 000 tombeaux de Pierre Guyotat.

 

INTERNAUTES
Anne (internaute)
Nous sommes faits de plusieurs vies, dit Boualem Sansal. Oui, un livre est à chaque fois une autre vie pour moi. Celle-ci m'a profondément émue. J'ai suivi haletante le charivari des chemins secrets de Yazid comme lui-même a monté la rue Adolphe Blasselle en quête de sa généalogie, puis la rue "Darwin", du même nom qu'un immense chercheur attaché aux origines.
Quels secrets ? Une grand-mère non grand-mère, une mère non mère, un père non père. Qui est qui, l'enfant de qui ? Il cherche, et moi avec lui. Dans le brouillard des souvenirs clos, je me suis prêtée à suivre ses énigmes à multiples tiroirs secrets où les choses circulent comme sur des chaises musicales.
J'ai gravi les événements curieuse comme dans un polar. J'ai suivi la vie de l'enfant qui grandit avec les événements. J'ai vu comment il a "attrapé le virus de la politique" sur fond de guerre avec l'apparition des Moudjahidins et la montée du terrorisme. J'étais touchée que dans tout ce fatras et avec trop de mères – vieilles, jeunes, inventées – il reste stoïque et loyal envers celle qui lui avait été octroyée, "en trompe l'œil". Celle là il la tient et parmi tant de morts !
Ah oui, celui qui tenait lieu de père meurt très tôt. Il n'y aura plus jamais d'homme. Si, un frère mort et un grand-père suicidé. Aucun qui soit un gage de force. Curieuse, j'espérais qu'il s'en invente un mais non, Yazid n'est plus que soumis au désir des femmes gigantesques et idéalisées. Il n'est plus que conçu dans le dédale des détournements. J'ai ressenti du désarroi en constatant son errance dans cette étrange et troublante maison où, pour ma part, j'ai longtemps confondu les espaces : le village, la maison, la citadelle, le bordel, le phalanstère… Pourtant il réussit à y trouver du plaisir, à partager des jeux avec d'autres enfants et j'ai admiré la force de l'enfance. Avec Yazid, j'ai pris conscience de la détermination qu'il faut avoir pour lutter contre les dénis et les abattre successivement.
Je suis tout de même restée dubitative sur la conclusion où Yazid se dit libre. Libre ? Va-t-il pouvoir trouver si facilement son identité et sa liberté, sans père aucun ? Mais j'ai vite considéré qu'il a fait un pas de géant. Un pas d'homme. Comme un Goliath il a dominé les mensonges, l'oubli, les dénis et beaucoup d'émotions. Il a rompu avec les conventions et les pactes, avec le faux. Il a vaincu. Et puis, n'a-t-il pas été s'inspirer de l'ombre d'un grand homme ? Darwin le chercheur ! Oui, il sera libre.
Le livre ne le dit pas mais la dédicace est parlante. "A ma défunte mère, à mes frères et mes sœurs de par le monde". Le personnage et l'auteur sont confondus. En fermant le livre, je suis rassurée pour lui, il n'est pas condamné à errer. Comme l'auteur, il saura aller au fond des choses. Dans les règles de l'art, il écrira. C'est du moins ce que le texte me permet d'imaginer… A chacun sa façon de continuer l'histoire…
Ce texte est beau. Très bien construit avec tous ses sentiers tortueux, chaotiques, ses avancées, ses retours. On tâtonne, on est dans du vivant, de l'espoir. Le livre s'ouvre vers l'ailleurs et je le laisse grand ouvert.
Muriel (internaute)
J'ai aimé la générosité de B. Sansal qui offre à sa mère décédée en 2009 un roman autobiographique rageur et féroce sur l'histoire de sa famille algérienne, avec un rythme haletant, surtout durant la première partie de 1957 à nos jours.
J'ai savouré l'enfance de Yazid au sein du clan féminin dirigé par Djéda chef de tribu et grand mère richissime â la tête un empire de prostitution : le personnage de Madame La Maréchale, douillette comme tous les dictateurs (mais chez elle se lamenter était un art qu'elle maîtrisait au plus haut point p. 73) est puissant, drôle, beaucoup de gaieté circule parmi les enfants du sérail.
J'ai été très sensible aussi lorsque le narrateur âgé de 8 ans arrive rue Darwin pour vivre avec sa mère : on ressent le décor est plein de misère, de chaleur, de rires, de gaîté.
J'ai aimé ses phrases choc, son humour, lorsqu'il narre la cavalcade des enfants dans les rues qui malgré la pauvreté sont joyeux avec "distribution de dragées et de claques".
La description de la fratrie est magnifique, émouvante, drôle, un peu triste pour ce grand frère qui s'est, somme toute, sacrifié pour que les plus jeunes prennent leur envol aux quatre coins du monde.
Par contre j'ai trouvé un peu (beaucoup) fastidieuse la deuxième partie, à Paris à la recherche de Daoud, puis trop longue son retour à Alger avec Farroudja.
Mais c'est incontestablement un roman qu'il faut lire car l'auteur, narrateur, est puissant, sincère, lucide, courageux notamment par rapport à la guerre : "la guerre qui n'apporte pas une paix meilleure n'est pas une guerre, c'est une violence faite à l'humanité"... J'ouvre aux ¾ ce roman.

 

DOC SUR LE LIVRE ET L'AUTEUR

Repères bio et bibliographiques
Écrivain algérien d'expression française, outre des nouvelles, des ouvrages techniques chez divers éditeurs, il a publié aux éditions Gallimard des romans et des essais. Censuré dans son pays d'origine à cause de sa position très critique envers le pouvoir en place, il habite néanmoins toujours en Algérie.

Romans
- 1999 : Le Serment des barbares
- 2000 : L'Enfant fou de l'arbre creux
- 2003 : Dis-moi le paradis
- 2005 : Harraga
- 2008 : Le Village de l'Allemand ou Le journal des frères Schiller
- 2011 : Rue Darwin
- 2015 : 2084 : la fin du monde. Grand prix du roman de l'Académie française 2015

Essais
- 2006 : Po
ste restante : Alger : lettre de colère et d'espoir à mes compatriotes
- 2007 : Petit éloge de la mémoire : quatre mille et une années de nostalgie
- 2013 : Gouverner au nom d'Allah : islamisation et soif de pouvoir dans le monde arabe

Parcours en lien avec ses livres
- Né en 1949 dans un petit village algérien.
- Formation d'ingénieur à l'École nationale polytechnique d'Alger et doctorat d'économie.
- Enseignant, consultant, chef d'entreprise et haut fonctionnaire au ministère algérien de l'Industrie. Il sera limogé en 2003 pour ses prises de position critiques contre le pouvoir en place particulièrement contre l'arabisation de l'enseignement.
- En 1999, il publie son premier roman, Le Serment des barbares, qui reçoit le prix du premier roman et le prix Tropiques ; succès de librairie, invitations en France ou en Allemagne.
- Son troisième roman, Dis-moi le paradis, publié en France en 2003, est une description de l'Algérie post-colonisation, à travers les portraits de personnages que rencontre le personnage principal lors de son voyage à travers ce pays. Le ton est très critique envers le pouvoir algérien (se moquant de Boumediene, critiquant ouvertement la corruption, l'incapacité à gérer les suites de l'indépendance et attaquant parfois violemment les islamistes). Ce livre est l'une des raisons qui ont conduit le pouvoir à limoger l'auteur de son poste de haut fonctionnaire au ministère de l'Industrie algérien.
- En 2003, Boualem Sansal est rescapé du séisme meurtrier qui a touché sa région à Boumerdès. Après avoir été porté disparu pendant un certain temps, il est retrouvé grâce à un appel lancé par la télévision algérienne.
- En 2005, s'inspirant de son histoire personnelle, il écrit Harraga (Harraga qui signifie "brûleur de route", surnom que l'on donne à ceux qui partent d'Algérie, souvent en radeau dans des conditions dramatiques, pour tenter de passer en Espagne). Pour la première fois, les personnages principaux sont deux femmes : une médecin pédiatre qui vit dans la misère à Alger recueille une jeune femme enceinte. Là aussi, le ton est très critique envers le pouvoir algérien : l'argent du pétrole coule à flots, mais accaparé par une minorité de dirigeants, le peuple est dans la misère et les jeunes vont tenter leur chance ailleurs.
- Son livre Poste restante : Alger : lettre de colère et d'espoir à mes compatriotes, publié en 2006, est resté censuré dans son pays. Après la sortie de ce pamphlet, il est menacé et insulté, mais il décide de rester en Algérie. Sorti l'année suivante, Petit éloge de la mémoire : quatre mille et une années de nostalgie, est un récit épique de l'aventure berbère.
- Boualem Sansal est lauréat du grand prix RTL-Lire 2008 pour son roman Le Village de l'Allemand ou Le journal des frères Schiller, censuré en Algérie, car il fait le parallèle entre islamisme et nazisme. Le livre raconte l'histoire du SS Hans Schiller, qui fuit en Égypte après la défaite allemande, et se retrouve ensuite à aider l'armée de libération algérienne, pour finalement devenir un héros de guerre et se retirer dans un petit village perdu.
- En 2007, il reçoit le prix Édouard-Glissant, destiné à honorer une œuvre artistique marquante de notre temps selon les valeurs poétiques et politiques du philosophe et écrivain Édouard Glissant (réflexion sur le métissage et toutes les formes d’émancipation, celle des imaginaires, des langues et des cultures).
- En 2011, il remporte le prix de la paix des libraires allemands, pour la manière dont il "critique ouvertement la situation politique et sociale de son pays". En mars 2008, il choisit de se rendre au Salon du livre de Paris, malgré la polémique soulevée dans le monde arabe quant au choix d'Israël comme invité d'honneur et l'appel au boycott venant des pays arabes et de certains intellectuels. Il s'en explique par la formule : "Je fais de la littérature, pas la guerre", et en ajoutant "La littérature n'est pas juive arabe ou américaine, elle raconte des histoires qui s'adressent à tout le monde." Ce choix aggrave sa situation en Algérie.
- En 2011, il publie un nouveau roman, celui que nous avons choisi de lire, Rue Darwin, l'histoire d'une famille prise dans la guerre d'Algérie. C'est un livre très personnel, écrit trois mois après la mort de sa mère. Connu pour ses propos critiques envers toute forme de religion, et l'islam en particulier, il dit dans une interview au sujet de ce livre : "La religion me paraît très dangereuse par son côté brutal, totalitaire. L'islam est devenu une loi terrifiante, qui n'édicte que des interdits, bannit le doute, et dont les zélateurs sont de plus en plus violents. Il faudrait qu'il retrouve sa spiritualité, sa force première. Il faut libérer, décoloniser, socialiser l'islam." ("Il faut libérer l'islam", entretien avec Marianne Payot, L'Express, 24 août 2011)
- En mai 2012, il participe à la troisième édition du Festival international des écrivains à Jérusalem, suscitant de nombreuses critiques dans le monde arabe. En juin 2012, il reçoit le prix du Roman arabe pour son livre Rue Darwin, avec l'opposition des ambassadeurs arabes qui financent le prix. En octobre 2012, Boualem Sansal et l'écrivain israélien David Grossman, avec le soutien du Centre Nord-Sud du Conseil de l’Europe, ont lancé "L’appel de Strasbourg pour la paix" dans le cadre du premier Forum mondial de la démocratie organisé par le Conseil de l’Europe ; près de 200 écrivains venant de cinq continents ont depuis signé cet appel, et se sont déclarés prêts à s’engager pour faire progresser la paix et la démocratie partout dans le monde.
- En 2013, l'Académie française lui décerne le grand prix de la francophonie, destiné à “couronner l’œuvre d’une personne physique francophone qui, dans son pays ou à l’échelle internationale, aura contribué de façon éminente au maintien et à l’illustration de la langue française”.
- En 2015, il obtient le Grand prix du roman de l'Académie française pour son roman 2084 : la fin du monde. Ce roman de science-fiction crée un monde fondé sur l'amnésie et la soumission à un dieu unique. Inspiré de 1984 d'Orwell, le pouvoir religieux extrémiste a lancé une nouvelle langue, l'abilang.
- Un long entretien dans Lire, suite à ce roman et revenant sur son parcours : "2015 marquera peut-être le début de la troisième guerre mondiale".
- A France Culture, 5 émissions lui sont consacrées dans la série "A voix nue", du 14 au 18 mars 2016.
- Il met régulièrement en garde contre la progression de l'islamisme, particulièrement en France ; à la fondation Varenne, le 13 décembre 2016, il déclare que les Algériens sont "inquiets parce qu’ils constatent jour après jour, mois après mois, année après année, que la France ne sait toujours pas se déterminer par rapport à l’islamisme : est-ce du lard, est-ce du mouton, est-ce de la religion, est-ce de l’hérésie ? Nommer ces choses, elle ne sait pas, c’est un souci. Pendant ce temps, le boa constrictor islamiste a largement eu le temps de bien s’entortiller, il va tout bientôt l’étouffer pour de bon."
- Ses dernières prises de position en janvier 2017 : dans Valeurs actuelles ("Islamisation : la France m’inquiète…") et dans Le Monde ("La radicalisation doit être traitée comme un enjeu euroméditerranéen").

Des réactions sur Rue Darwin

- Des INTERVIEWS de l'auteur :
"Il faut libérer l'islam", Marianne Payot, L'Express, 24 août 2011
• à la radio interview par Pascal Paradou à "Culture vive" sur RFI, 19 septembre 2011 (26 min) ; émission retranscrite : « "Rue Darwin", la vie presque tronquée de Boualem Sansal » (on peut y écouter l'intégralité de l'entretien).
• "Le mauvais islam continue à avancer", par Grégoire Leménager, BiblioObs, le 14 octobre 2011.
• "A voix nue", France Culture, 14 au 18 au mars 2016 "Boualem Sansal, dissidence", cinq épisodes

- Une étude universitaire sur la dimension autobiographique : "Rue Darwin : vers une lecture autobiographique ?", Lise Romain, extraite de « Une démythification de l’histoire algérienne : enjeux du récit de soi dans l’œuvre de Boualem Sansal », 2016.

- Scandale autour de Rue Darwin :
• TRIBUNE : "Pourquoi je démissionne du prix du roman arabe", par Olivier Poivre d'Avror, écrivain, diplomate, directeur de France Culture, Libération, 10 juin 2012
• "Le Prix du roman arabe rattrapé par l'idéologie", Le Monde, 14 juin 2012, Pierre Assouline
• "Boualem Sansal primé malgré le mépris", Édouard Launet, Libération, 19 juin 2012
• INTERVIEW de l'auteur : "Je ne suis pas en guerre contre Israël", Alexandra Schwartzbrod, Libération, 18 juillet 2012

L'œuvre de Boualem Sansal et la littérature du Maghreb d'aujourd'hui : "Lettres de l'autre rive", Le Monde, 5 juin 2013, Catherine Simon



 

 


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