Quatrième de couverture : Martin Eden, un marin de vingt ans issu des quartiers pauvres dOakland, décide de se cultiver pour faire la conquête dune jeune bourgeoise. Il se met à écrire, et devient un auteur à succès. Mais lembourgeoisement ne lui réussit pas Désabusé, il part pour les îles du Pacifique. Ce magnifique roman paru en 1909, le plus riche et le plus personnel de lauteur, raconte la découverte dune vocation, entre exaltation et mélancolie. Car la réussite de luvre met en péril lidentité de lécrivain. Comment survivre à la gloire, et lunir à lamour, sans se perdre soi-même? Telle est la quête de Martin Eden, le marin qui désire éperdument la littérature.
Quatrième de couverture : Martin Eden, le chef-d'uvre de Jack London, passe pour son autobiographie romancée. Il s'en est défendu. Pourtant, entre l'auteur et le héros, il y a plus d'une ressemblance : Martin Eden, bourlingueur et bagarreur issu des bas-fonds, troque laventure pour la littérature, par amour et par génie. Mais sa chute sera à la mesure de son ascension vers le succès : vertigineuse et tragique
Martin Eden, Denis Lapière et Aude Samama, Futuropolis, 2016 Voir le site présentant une bibliographie sur Jack London |
Jack London (1876-1916)
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DES INFOS en bas de page | |
LE ROMAN Martin Eden Texte en ligne - Résumé des 45 chapitres - Traductions Adaptations de Martin Eden : au cinéma, en BD, au théâtre Articles sur Martin Eden JACK LONDON et son uvre Parcours - uvres Sur Jack London : Films - Émissions de radio - Biographies - Sites |
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Nos 26
cotes d'amour pour Martin Eden
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(Groupes non réunis "physiquement" pour cause de confinement mais bien vivants : groupe breton le 22 avril visuellement et avec le groupe parisien le 24 avril en échanges mel après les avis ci-dessous) |
Agnès Desarthe
Je viens de le terminer, je ne l'avais jamais lu. J'y ai été
menée par le film magnifique qu'en a tiré Pietro
Marcello (2019), et par une lecture, faite dans mon village par un
comédien, de Construire
un feu, qui m'a saisie. En commençant à lire Martin
Eden, j'ai été un peu déroutée ; je trouvais
les procédés trop visibles comme quand, au cinéma,
on passe au flou pour bien signifier que l'on est dans un flash-back
J'ai continué quand même, et j'ai bien fait. Martin Eden
est un roman ultraromanesque, l'un de ces livres qu'on ne veut pas lâcher,
avec lesquels on développe une sorte de relation adultérine :
on ment quasiment à ses proches pour aller le retrouver plus vite.
C'est un livre sur le désir d'écrire et sur le désir
d'apprendre (le second me bouleverse) ; mais aussi celui de faire
partie d'un monde qui nous rejette parce qu'on n'y est pas né.
Jack London (1876-1916) mêle de façon inédite critique
sociale et critique littéraire. Il donne aussi une place importante
au corps, il dit ce qu'il faut d'endurance physique pour écrire,
et réussit à faire un roman d'aventure à partir d'un
objet qui est l'écriture. De la vraie aventure avec tous les ingrédients
du genre le désir, l'échec, l'acharnement, le
danger jusqu'à la tragédie
Écrire comme on
vaincrait un dragon. C'est extraordinaire.
Brigitteen
Normandie
J'ai lu Martin Eden en ligne en profitant du lien
que Claire nous avait envoyé. Je pense qu'en d'autres circonstances
je ne l'aurais pas lu, car je classais les ouvrages de Jack London parmi
les romans d'aventures pour adolescents, et il y a longtemps que j'ai
passé cet âge !
La lecture est facile, le personnage central est intéressant. J'ai
apprécié la description de cet autodidacte et de son énergie,
de son courage, de sa détermination à surmonter tous les
obstacles pour accéder à la culture et devenir un intellectuel
de son époque. Il ne connaît pas la procrastination !
Mais, la deuxième partie est moins intéressante. On y retrouve
pratiquement toutes les étapes de la première partie ;
elles apparaissent dans un déroulement inverse et l'on sent alors
la dimension moralisatrice de cet ouvrage. L'auteur tombe ainsi dans un
des travers qu'il reprochait aux critiques littéraires incapables
de reconnaître le talent de Martin Eden à ses débuts.
Le roman est un peu daté en ce qui concerne la description des
modes de vie à Oakland autour de 1900 et de la misère noire
d'une partie de la population, c'est le monde du Charlot de Charlie Chaplin.
J'ouvre à moitié ½ et je lirai avec intérêt
les divers avis du groupe.
Annick Lprès
du Bois de Vincennes
J'ai trouvé beaucoup d'intérêt à relire ce
roman que j'avais dévoré quand j'avais 20 ans. Ma seconde
lecture est évidemment plus distanciée car, l'âge
aidant, je ne peux plus me projeter dans ce portrait d'un jeune homme
rebelle à l'ordre établi, ni dans cette histoire d'un amour
socialement interdit !
Pour moi Jack London est d'abord un formidable raconteur d'histoire, avec
un vrai talent d'évocation : il sait croquer des personnages,
une situation, planter un décor, etc. Et il a écrit des
romans d'aventure passionnants, pour la jeunesse entre autres. Quant à
Martin Eden, c'est un héros attachant : le jeune ouvrier ambitieux,
très doué, qui veut s'élever au-dessus de sa condition
et devenir un écrivain au prix des plus grands sacrifices, l'amoureux
passionné qui idéalise la figure de cette jeune bourgeoise,
pourtant prisonnière des conventions de son temps, la solitude
de ceux qui ont rompu les attaches avec leur milieu d'origine, sans oublier
la fin tragique
tout cela pourrait sembler terriblement naïf
et romantique, mais le narrateur conserve une forme de distance et de
dérision constante qui sauve l'ensemble. Un beau roman d'initiation
en somme !
Un choix de point de vue d'autant plus intéressant que le personnage
de Martin Eden est un peu l'alter ego de son créateur, même
si des différences importantes les séparent : Jack
London, au moment où il écrit ce livre, a trouvé
l'âme sur dans la personne de Charmian Kittredge, avec laquelle
il partage des projets passionnants (tour du monde sur le Shark, achat
d'un ranch
), il connaît déjà la célébrité
et surtout c'est, à l'époque, un socialiste convaincu qui
croit dans des idéaux collectifs, contrairement au héros
du roman, un individualiste forcené. Il mourra pourtant lui aussi,
à 40 ans, 9 ans après la parution de son livre, dans des
conditions controversées, ce qui va contribuer à la construction
d'un véritable mythe littéraire.
On trouve d'ailleurs également dans ce roman une charge assez féroce,
et réjouissante, contre la société bien-pensante
qui imposait ses codes et ses valeurs en cette toute fin de 19e siècle,
en Amérique comme en Europe.
Mais j'ai tout de même été lassée par les interminables
développements sur les lectures et références de
cet autodidacte surdoué, qui me semblent occuper trop de place
dans l'économie du récit. Je l'ouvre donc aux ¾.
Quant à l'adaption récente de Martin Eden au cinéma,
je l'ai trouvée très fidèle au personnage, malgré
la transposition d'époque et de pays (pourquoi l'Italie ?),
et bien incarnée par les acteurs. J'ai beaucoup aimé aussi
l'arrière-plan très présent du peuple dans les rues
de la ville... un beau point de vue.
Danièleà
Thiais
Je n'avais jamais eu envie de lire d'uvre de Jack London. J'ai été
forcée de lire Croc
Blanc quand j'étais enfant : mon père
voulait que j'aime ce roman (pas seulement que je le lise...). Ça
n'était pas ma tasse de thé, je suis donc passée
à côté de quelque chose. Il n'est jamais trop tard
pour changer d'avis....
C'est un livre qui se lit facilement et qui m'a tenue en haleine jusqu'au
bout malgré quelques longueurs. Le fait que ce roman soit en partie
autobiographique ajoute à son attrait. L'auteur présente
donc son personnage central, sans aucune modestie, comme un être
intelligent, doué d'une force vitale peu ordinaire, une personnalité
hors du commun, capable de s'extraire de son milieu, déjà
en prenant la mer très jeune pour gagner sa vie et échapper
à son milieu familial pauvre et sordide. Mais surtout, et c'est
là le thème central du roman, en tentant, par amour, de
dépasser les limites de sa condition, pour devenir digne de l'être
aimé, cette demoiselle Ruth, issue d'un milieu bourgeois et cultivé.
J'ai cru par moments lire du Stendhal dans la description de la naissance
de l'amour et de sa "cristallisation", dans son essai De
l'amour. Quelle finesse, quel rendu des étapes contradictoires
qui forgent le sentiment amoureux. Cette littérature me plaisait
beaucoup lorsque j'étais jeune, et, ma foi, cela me fascine encore !
Si j'osais, je dirais que j'ai pensé aussi, toutes proportions
gardées, à Lady
Chatterley, et même au film La
Leçon de piano de Jane Campion, dans la description de
l'attrait physique mutuel de deux personnes que tout semble opposer par
leur condition sociale. De même, l'abîme culturel entre eux
deux les attire l'un vers l'autre : cela permet à Ruth de
jouer les Pygmalion belle inversion des rôles féminin
et masculin et à Martin Eden d'accéder à
un univers intellectuel qu'il idéalise, tout autant qu'il idéalise
Ruth, lui "le ver de
terre amoureux d'une étoile". Laissons-nous un
moment gagner par le romantisme hugolien !
Mais surtout, tout en étant très loin du style d'Annie Ernaux,
on retrouve la même réflexion, à partir de l'expérience
vécue, sur le déterminisme social et sur la double condition
des gens qui changent de classe sociale. Comme elle, loin de renier son
passé, il en tire une vocation, celle d'écrire. Qui plus
est, "il était
également convaincu qu'elle [Ruth]
avait été handicapée par son milieu, comme il l'avait
été par le sien". Car pour lui, rien ne
vaut la vraie vie, y compris celle qu'il a vécue. Ce qui me plaît,
c'est cette leçon de vitalité et de confiance en soi, en
sa capacité et en son avenir, qui lui a permis de surmonter et
le dédain de la classe bourgeoise lorsqu'il était encore
un être rustre et malhabile, et le refus de la mafia des éditeurs.
Sa déception, pathétique, vient du manque de reconnaissance
de Ruth, ou, pire, de sa reconnaissance tardive et intéressée.
Elle vient du décalage entre le regard que l'on jetait sur lui
à cette époque et le regard qu'on jette sur lui après
son succès. Réalité triste et banale à la
fois, un topos de la littérature [clin d'il à Nathalie
quant au topos]... et de la vie, en quelque sorte ! Exprimée
par la répétition, un peu fastidieuse à mon goût :
"Je suis le même".
Jusqu'au bout je me suis demandé s'il allait faire acte de résilience...
Mais non. Cette méditation sur son cheminement identitaire le mène
au suicide, décrit dans un très beau souffle poétique.
J'ouvre aux ¾.
Monique Len
Dordogne
Ce livre est très fort et m'a impressionnée. Martin Eden
est un surhomme. Tout d'abord physiquement, mais il est également
doté d'une intelligence, d'une sensibilité et d'une volonté
hors du commun. Sa facilité à comprendre et à assimiler
des nouveaux concepts est déconcertante et à mon avis exagérée.
C'est un reproche que je ferai à l'auteur.
Suite à cet apprentissage, il se lance sur le terrain de la littérature,
confiant dans son génie et dans son imagination. Il découvre
la passion dévorante de l'écriture qui le vampirise.
Le génie de l'auteur, c'est de nous faire vivre cet acharnement
à écrire, les déconvenues et la vie de misère
qui l'accompagnent, comme un thriller. Il y a quelques longueurs, mais
je suis restée accrochée.
Ce qui fait la force de ce livre c'est tout ce qu'il dénonce :
- le monde de l'édition au début du 20e siècle et
l'hypocrisie du monde littéraire
- la bourgeoisie et ses valeurs
- l'état de pauvreté et d'avilissement de la classe ouvrière
- l'argent qui fait loi, avilissant la beauté, l'art et les hommes
- l'éducation qui n'est pas toujours synonyme d'intelligence
- la culture que l'on porte comme une étiquette.
La personnalité de Ruth est moins fouillée mais intéressante.
J'ai été choquée par son mensonge final lorsqu'elle
lui fait croire que personne n'est au courant de sa venue. Les rôles
de son père et surtout de sa mère sont bien vus.
La désillusion de Martin, quand enfin il est publié et "reconnu"
comme auteur, est vraiment rendue de façon poignante. Il gagne
beaucoup d'argent, il est célèbre mais sans qu'on reconnaisse
pour autant sa juste valeur. La répétition de "j'étais
le même" a beaucoup de force.
Martin est un personnage complexe qui est humain, généreux,
attentif aux autres, mais il n'est pas toujours très sympathique.
Il est imbu de sa personne et se considère très rapidement
comme bien plus intelligent et, au fur et à mesure de ses lectures,
bien plus cultivé que la majorité des gens qui ont bénéficié
d'une instruction.
La capacité que Martin a de s'instruire sans école m'a ramenée
à Ivan Illich et sa Société
sans école : "L'école
nous enseigne à croire que l'éducation est le produit de
l'enseignement" (phrase que j'ai retrouvée dans
Le
dossier sauvage de Philippe Artières proposé par
Séverine au 35e jour de confinement).
Ce livre est très bien écrit. Jack London est un merveilleux
conteur.
J'ouvre aux ¾.
Séverineà
Paris
J'avais lu Martin Eden il y a quelques années sur les conseils
d'une ancienne collègue de boulot. Comme j'ai mauvaise mémoire,
l'avantage, c'est que je peux relire facilement les romans. Je dois dire
qu'au début, je traînais des pieds à ouvrir le livre
ça ne me disait rien. Et comme dirait Claire : il est gros !
Et puis je me suis lancée, et là, je dois dire que j'ai
dévoré ce bouquin ! Je me suis prise à l'histoire
du héros. C'est très bien écrit : je voyais
les scènes, les personnages, etc. et j'avais vraiment envie de
savoir s'il allait parvenir à ses fins ! Par moment, Martin
Eden m'a agacée à vouloir s'acharner ainsi, quitte à
en mourir de faim ! D'ailleurs, le personnage, à ces moments-là,
m'a rappelé le héros de La
faim de Knut Hamsun que nous avions lu dans le groupe. Ensuite,
c'est elle qui m'a énervée ! Cette Ruth qui ne comprend
rien ! Et lui qui continue à vouloir faire plaisir à
cette pimbêche ! Et c'est là, que je me suis dit que
Jack London était fort, d'arriver à aussi bien camper des
personnages qui sont à la fois attachants et rebutants. On les
comprend : ils réagissent en fonction de leur milieu, et on
les trouve insupportables : elle de ne pas vouloir déroger
à son milieu et lui à vouloir intégrer ce milieu
bourgeois (dont il se rend compte finalement qu'il n'est pas si intelligent
et intéressant que ça). D'ailleurs, j'ai adoré le
passage où Martin Eden soutient s'être ennuyé à
l'opéra faisant part de son ressenti, quitte à aller à
l'encontre de la bien-pensance qui veut que l'on aime nécessairement !
Belle leçon sur le fait que l'on peut ne pas approuver ce que disent
la grande majorité et surtout les critiques !
Et sinon, j'ai souri d'une belle coïncidence qui voulait qu'au moment
de ma lecture, je lisais par ailleurs un hors-série de la
Revue des deux mondes
consacré à Simenon (mon idole pour ceux qui ne le sauraient
pas)
et il y avait un article qui portait sur la "stratégie"
de Simenon qui a consisté à produire beaucoup (sous pseudo
notamment) pour assurer ses arrières, un certain confort matériel
et pouvoir ensuite faire ce qu'il voulait : l'aspect financier de
l'entreprise littéraire était primordial pour lui. Et ça
m'a fait penser à Martin Eden avec ses calculs spéculatifs
sur le coût du mot et tout le pactole qu'il pourrait amasser. Bon,
il s'en est bien sorti finalement en gagnant très bien sa vie,
mais Simenon a été plus efficace.
S'agissant de la fin, je dois dire qu'elle m'a surprise
mais après-coup,
je ne vois quelle autre fin il y aurait pu avoir. Bref, j'ai beaucoup
aimé, donc j'ouvre en grand.
PS : juste un petit bémol, j'aurais fait un peu plus court
même si la longueur rend bien compte du long cheminement de Martin
Eden.
Annick Aà
Paris
C'est un beau roman au souffle lyrique et romanesque, qui nous conte l'histoire
d'une épopée intellectuelle, sociale et sentimentale. Martin
Eden est un personnage touchant, d'une grande intelligence, mû par
une soif inextinguible de connaissance et un désir de s'extraire
de sa condition sociale. L'auteur nous introduit avec talent et suspense
dans le combat de cet homme pour s'élever dans la société
et créer une uvre littéraire qui le fera reconnaître
comme un grand écrivain. Il nous fait partager les affres
de la création et de la passion amoureuse. Martin est un homme
libre qui apprend à penser par lui-même, sûr de sa
valeur et de ses jugements. Il est attachant car c'est un homme de passion
passion pour l'écriture, passion amoureuse, passion
intellectuelle.
Les passages sur la passion amoureuse entre Martin et Ruth m'ont énervée,
je les ai trouvés d'une grande mièvrerie et répétitifs.
Certes on y voit naître le désir montant d'une toute jeune
fille qui se découvre femme par les yeux d'un homme et ses débats
intérieurs sont bien décrits ; on y voit la force que
Martin y puise pour trouver le courage de se battre et son aveuglement
passionnel, mais cela m'a plutôt ennuyée.
La peinture sociale du livre m'a davantage intéressée. On
y perçoit les positions politiques de l'auteur dans sa description
des classes laborieuses, de la misère sociale, la barrière
de classe et le mépris de la bourgeoisie bien-pensante pour la
classe ouvrière. Très fine analyse des corps marqués
par l'appartenance à leur classe, lorsque Martin est introduit
pour la première fois chez Ruth, et un très beau passage
aussi, très dur, sur le travail en blanchisserie, où Martin,
abruti par le travail, ne peut plus penser. Acerbe critique de la bourgeoisie
bien-pensante, étriquée, conformiste et inculte, ainsi que
du monde littéraire.
La fin du livre est bouleversante. Formidable analyse de l'emballement
du processus dépressif qui assaille Martin. La blessure narcissique,
la chute de l'idéal, la pulsion de mort qui tue tout désir
et annihile toute raison de vivre. Puissante description de la machine
infernale de l'emballement médiatique et du côté destructeur
de la notoriété.
Je l'ouvre aux ¾.
Nathalie
à Nantes
Comment aborder cette uvre ? Je tourne en rond et j'ai du mal
à savoir par quel bout la prendre. C'est une uvre protéiforme,
une sorte de bobine de fils à elle toute seule. Quel fil dois-je
tirer en premier ? Combien de fils dois-je mettre de côté ?
Dois-je parler du personnage ? du rapport de l'écrivain à
son personnage ? de la littérature ? de la genèse
d'une uvre ? Dois-je évoquer la politique ? les
femmes ? les classes sociales ? Dois-je rapprocher l'uvre
d'une autre ? d'un courant ? Je ne pense pas qu'elle soit un
Ovni, elle se rattache à une mouvance : celle du roman de
l'échec. Y aurait-il un peu de L'éducation sentimentale
de Flaubert dans ce roman ?
Alors je me dis que je pourrais commencer par la fin : oui, j'aime
cette uvre. Oui, c'est une uvre que je n'oublierai pas. C'est
une uvre qu'il faut avoir lue, une uvre aussi à mettre
entre les mains de ceux ou celles qui veulent écrire et se découragent
parfois. C'est une uvre légère malgré sa fin
tragique.
J'ai eu l'impression d'entrer dans un huis-clos. Peu de personnages, peu
de lieux même si Martin Eden voyage, on ne cesse d'être enfermé
dans sa tête. Et en même temps, c'est une uvre très
visuelle avec quelques passages épiques comme celui du travail
dans la lingerie ou les bagarres de rue.
Je n'aime pas le personnage de Martin. Je le vois comme un homme grossier,
borné, incapable d'évoluer, enfermé dans une sorte
de paranoïa. Il me fait penser à une brute épaisse,
enfermée dans ses préjugés alors qu'il a de l'or
dans le cerveau et au bout des doigts. Mais faut-il aimer les personnages
dont on partage aussi longuement la vie ?
À aucun moment, Martin ne réussit à échapper
par lui-même à une sorte de destinée qui serait la
sienne, alors que les faits lui en donnent souvent les moyens : échec
de sa reconnaissance en tant qu'agitateur d'idées, échec
de ses études qui ne le mènent nulle part, échec
de ses relations aux autres, échec amoureux, échec de ses
uvres qui ne lui semblent pas reconnues pour ce qu'elles valent,
mais par simple enthousiasme communicatif ou une mode un peu snob "il
lui semblait difficilement admissible qu'elle pût apprécier
sa littérature et la comprendre" (p. 435 10/18).
Martin se montre incapable d'évoluer dans sa pensée, il
reste coincé dans sa situation de départ, liée à
sa classe sociale. Il lui est impossible d'accepter l'idée qu'on
puisse le lire et le comprendre, l'apprécier. Il ne cesse de ressasser
qu'on ne l'aime pas pour ce qu'il est. Son leitmotiv "j'étais
le même" le révèle. Il l'oppose à tous
et à tout alors que les années ont changé.
Cela me rappelle aussi une nouvelle "La
fin de Robinson Crusoé" de Michel Tournier dans le recueil
de nouvelles Le
Coq de bruyère
(1978) où c'est Robinson qui change et non son île disparue.
Or, comment serait-ce possible que Martin ne change pas ? Tout ce
qu'il a accompli, tout ce qu'il a vu, tout ce qu'il a vécu ne peut
pas ne pas l'avoir modifié. Le Martin des premières pages
ne peut être l'équivalent des dernières. Ce qui est
intéressant d'ailleurs, c'est aussi le format disproportionné
du personnage : capable d'avaler et de digérer des tonnes
de connaissances sans aucune difficulté, capable de surmonter les
pires restrictions, capable de rebondir mais incapable de ne pas se laisser
rattraper par ce qu'il considère faussement comme son essence intrinsèque.
Martin Eden se révèle un héros à part entière :
excessif et peu réaliste.
J'ai beaucoup souri et même ri parfois à la lecture de tous
ces passages qui nous montrent le personnage extrêmement prolixe
dans sa production littéraire. Cette facilité déconcertante
avec laquelle il se met à écrire exactement ce qu'il veut
me paraît extraordinaire. Le comptage des mots, des lignes, l'argent
escompté qui n'arrive pas. Je ne sais pas si Jack London a réellement
vécu cette situation, mais elle donne à rêver. Et
en même temps, son aveuglement quant à la qualité
de ce qu'il écrit me sidère. C'est cela qui me fait rire :
la capacité de l'écrivain (JL) à se moquer de l'écrivain
(ME).
J'ai quand même envie d'émettre quelques bémols :
J'aurais aimé voir JL écrire la rédaction de ses
dialogues souvent très grandiloquents
Je les ai trouvés
souvent fastidieux (c'est comme si on retombait dans les défauts
d'écriture du personnage). En ce qui concerne la critique de la
bourgeoisie, je ne trouve pas cela très réussi, cela m'a
ennuyée, je n'ai pas trouvé très réaliste
ou très virulente. Les personnages satellites me semblent peu approfondis.
Ils ne me semblent même pas être des types. Martin prend toute
la place. Et je n'ai pas eu du tout envie de m'intéresser à
la relation amoureuse du personnage avec les deux femmes.
Ce que j'aime, c'est son ampleur, cette épopée qui est sa
vie et la force destructrice de son entêtement qui le conduit à
une mort abominable, les images fortes qu'il m'en reste. La description
finale de sa mort étant vraiment très réussie car
même passer au travers du hublot est une sorte d'échec final.
J'ouvre aux ¾ pour la "longueur" du texte parfois.
Etienneà
Paris
En préliminaire, il s'agissait de ma première lecture numérique
et l'expérience a été plutôt agréable
pour moi, bien que l'impression, par moments favorisée par l'écran,
de survoler le texte ou d'aller trop vite n'a pu se détacher de
moi. J'ai été très heureux de lire Martin Eden.
Tout d'abord par ce que je fis l'acquisition il y a quelques années
du premier tome de Jack London en Pléiade, que je dévorai
en quelques mois, et que Martin Eden se trouve dans le second tome.
Or, des divers avis entendus, ce dernier est un peu à part dans
la bibliographie de London et il manquait pour que j'aie un panorama complet
de son uvre.
L'uvre commence à la façon d'un roman voltairien,
d'initiation dira-t-on. Le jeune Eden, idéaliste, bourreau de travail
cherche à se faire transfuge et s'élever grâce à
la culture par le truchement d'une bluette idéalisée. Ça
finit dans l'indifférence et la gloire de l'intéressé
et entre les deux des montagnes russes émotionnelles et amoureuses,
en attendant que soient publiés ses écrits.
Finalement, comme je le lisais dans une préface, la constance de
London dans son uvre est justement son inconstance, comme s'il affirmait
son droit à l'incohérence. En effet on ne sait jamais vraiment
si London verse dans le misanthropisme ou l'humanisme, le socialisme ou
le conservatisme, l'atavisme ou la possibilité de se transcender,
etc. En somme il semble toujours se débattre avec ses tentations,
avec sa fougue percutante qui lui est propre. Je trouve cela touchant
et lucide, peu l'ont fait.
En outre, il possède cette facilité d'écriture où
tous les personnages vous paraissent faits de chair, sentent le vécu,
ont une véritable profondeur. Et puis il se passe toujours quelque
chose, des revirements, un vrai savoir-faire dans l'art de raconter :
ce fameux souffle romanesque des grands auteurs américains.
Les passages que l'on devine autobiographiques sont d'une sincérité
bouleversante : les nuits passées à écrire,
sans manger, à économiser pour acheter des timbres, à
essuyer les échecs sans se décourager. Le roman fourmille
d'idées, de réflexions sur ce que signifie être un
auteur, sur l'art et plus largement la société dans toutes
ses couches.
La fin me paraît un peu plus faible et tourne un peu à la
farce sociale grinçante : on croit peu à ce revirement
soudain de la critique et ces millions qui lui tombent dessus, mais ça
fait tout de même l'affaire et on grince des dents de plaisir.
J'ouvre donc Martin Eden aux ¾ et remercie Nathalie de l'avoir
proposé.
Jacquelineà
Paris
Jack London, c'était pour moi, l'écrivain mythique aventurier,
l'enchantement de Croc
Blanc et de L'appel
de la forêt dans mon enfance, les nombreux tomes à
la couverture jaune de son uvre complète dans la bibliothèque
de ma mère qui l'admirait, un très bel album de ses photos
en noir et blanc paru il y a une dizaine d'années et Le
vagabond des étoiles un texte merveilleux sur une expérience
très réelle de prison et le pouvoir de l'imaginaire... Tout
cela me faisait aborder Martin Eden avec révérence
et un peu de crainte !
Je l'ai lu avec beaucoup d'intérêt et ce qui était
d'autant plus nécessaire que les conditions de lecture en ligne
étaient pour moi tout à fait inhabituelles et plutôt
décourageantes !
J'ai beaucoup aimé ce livre et sa densité (je regrette de
ne pas l'avoir en main pour en retrouver des passages en le feuilletant
rapidement).
J'ai aimé ce combat de Titan que mène Martin pour accéder
à une culture de l'écrit.
J'ai aimé cette histoire d'amour, moteur chez Martin et pas si
éthérée que ça du côté de Ruth,
dont j'ai trouvé le point de vue finement présenté.
J'ai découvert Spencer avec un petit sourire pour cette vision
totalisante probablement assez datée (positiviste ?) et pour
Martin l'autodidacte qui y trouve une vision cohérente du monde
J'ai aimé cette approche de la culture et de la littérature
traversée d'oppositions entre un monde vivant et réel et
un savoir stérile...
J'ai aimé être toujours en équilibre entre le doute :
vivre ainsi n'est pas possible ! (et cependant, je suis si loin de
ce que je découvre des conditions de vie en Amérique à
cette époque, pour ne pas parler de certaines conditions de vie
aujourd'hui !) et la croyance : soudain l'écrivain va
emporter mon adhésion avec une belle métaphore, très
justement maritime, de son héros...
J'ai aimé toutes les pistes de réflexions qu'ouvre ce livre
.
J'ouvre en grand et, dès que le confinement prendra fin, je vais
m'en acheter une version papier !
Manuel sur
les bords de Marne
Drôle de coïncidence de lire Martin Eden après
Les Choses de Perec. Pendant ma
lecture, je me suis sans cesse posé la question de lopposition
entre lart et la matérialité. Jai vu la récente
adaptation au cinéma de Martin
Eden et jai été gêné tout le
long de ma lecture. Je pensais souvent au film. Je pense que ladaptation
(très réussie) est bien plus centrée sur les questionnements
politiques (plus que philosophiques) de Martin Eden. Les deux premiers
chapitres sont magnifiques mais je me suis accroché pour finir
ma lecture (dans la version
Folio traduite par Philippe Jaworski)
Cest long !
Les personnages de la bourgeoisie sont caricaturaux ! Jack London
a écrit une charge contre la bourgeoisie sans subtilité.
Ruth est dune rare niaiserie. Sa famille et le milieu bourgeois
de San Francisco est du même acabit. Les envolées "cosmiques"
qui nous décrivent les transports amoureux de Martin Eden mont
paru navrantes (Ruth devient un dieu à aimer : au secours !).
Jai trouvé Martin Eden peu sympathique (mais je pense que
cétait voulu par Jack London). Pourquoi nous infliger par
le détail les envois des manuscrits ? Il y a de quoi couper.
Le projet de Jack London dopposer lart au matériel
ne ma pas du tout convaincu, tout comme léveil politique
de Martin Eden. Je ne connaissais pas Herbert Spencer
La figure
de lartiste dépressif désabusé et qui nest
pas aimé pour lui-même : grand bof pour ma part. Maria
est touchante de même que Joe et Brissenden. Jouvre au quart.
Claireà
Paris
Je n'avais jamais rien lu de Jack London, autant que je m'en souvienne,
et ne savais rien de l'auteur quand j'ai lu Martin Eden.
J'ai lu les avis qui précèdent et je suis d'accord avec
tout le monde... La midinette en moi a été enchantée
par l'histoire d'amour. L'éternelle enfant a été
embarquée par le conte : le misérable devient célèbre,
Maria a la ferme de ses rêves d'un coup de baguette magique, et
ça finit très mal. La groupie d'Annie Ernaux a été
ravie de trouver un de ses frères transfuge de classe via la culture.
La feignasse a regretté de n'être pas allée se renseigner
sur Spencer et cie ; peut-être aurais-je alors été
plus intéressée par ces passages assez chiants sur les références
théoriques de Martin Eden.
J'ai vraiment lu avec beaucoup de plaisir, voire plus, les aventures de
ce superman (qui aurait dû maintes fois mourir de faim), la transformation
de la Bête au contact de la Belle, puis la chute une fois le rêve
réalisé. L'arrière-plan social donnait une ampleur
à l'idylle et aux péripéties du héros. La
quête du personnage (être reconnu, célèbre)
prenait du panache parce qu'il s'agissait d'art, avec cette pulsion créatrice
qui l'emporte follement. Le tout bien tissé par le maître
d'uvre pour tenir en haleine. Martin s'est montré suffisamment
complexe pour susciter la séduction, l'agacement, l'exaspération,
rendant la lectrice que j'étais émotionnellement partie
prenante ; de même, j'ai pu m'identifier à Ruth, puis
l'ai lâchée tandis que je m'éloignais de Martin ;
comme si, finalement, j'étais amenée exprès à
me détacher des personnages qui étaient trop,
vraiment trop , des émotions, pour me centrer sur les
idées de Martin qui prennent de la place : mais là,
j'ai moins marché. Alors que j'ouvre aux ¾, j'ai bien
ri en lisant l'avis vache de Manuel, car je suis aussi d'accord avec lui.
J'ai vu le film
de Pietro Marcello et ai trouvé enrichissante cette adaptation
dans un autre pays et à une autre époque dont le contexte
politique donne du relief à l'engagement de Martin. Les séquences
archives en noir et blanc m'ont agacée et la partie où le
héros est devenu célèbre m'a déplu par rapport
au livre, avec, comme clou, le suicide sur la plage où il entre
déterminé dans la mer en nageant jusqu'à l'horizon,
j'ai trouvé ça un peu ridicule, mais comme dit Suzanne,
le mec qui passe dans le livre par le hublot c'est pas mieux.
J'ai ensuite découvert Jack London, ai mis en ligne ci-dessous
mes découvertes (émissions, articles, documentaire) et j'ai
été absolument passionnée par le parcours de cet
homme (la midinette adore aussi son couple avec Charmian,
super aventurière, le tout au bout du monde, sur les pas de Melville
et de Stevenson). J'ai bien aimé la préface
de l'édition Folio de Martin Eden, de la part du gars responsable
de la Pléiade qui met en garde d'y lire une autobiographie et qui
d'une certaine manière montre que London a raté son projet
puisqu'il voulait dénoncer l'individualisme de son héros
ce qu'on loupe pour notre plaisir.
Je remercie Richard et Nathalie qui nous ont fait lire cette année
deux classiques, Stevenson
et Jack London, qui sont des grands et des références quant
à l'art de narrer, d'embobiner le lecteur et de le transporter
loin du confinement...
Françoiseà
Paris
Je commencerai par le moins positif. Moi aussi j'ai trouvé la deuxième
partie plus faible, plus lourde. Il se répète beaucoup,
par exemple dans sa longue plainte quand arrive le succès, alors
que tout ce qu'il a écrit lui avait été d'abord refusé
(Je suis le même, rien
n'a changé, et pourquoi maintenant ? etc.) Bien
sûr, le personnage est attachant, on souffre avec lui, on a faim,
on s'énerve (enfin, moi) de l'incompréhension de Ruth. Du
gap qui les séparent, encore que je trouve sa famille très
libérale, au début, mais elle le voit crever de faim sans
rien faire, égoïsme de classe. Puis avec tout ce que j'ai
lu et entendu sur Jack London (merci Claire pour les liens), j'avoue que
je me suis plus attachée à l'auteur, découvrant à
quel point ce roman est autobiographique. Quelle vie ! trépidante,
fulgurante, dramatique, désespérée. Et donc pour
en revenir à Martin, j'ai été plus touchée
par l'aspect lutte des classes et déclassement, il ne trouvera
jamais sa place et oscillera entre des idéologies plus ou moins
socialisantes et philosophiques. Heureusement, tout de même, qu'il
y a un côté romanesque. C'est touchant, émouvant.
Très peu de personnages positifs : Maria, Brissenden...
Quant à l'écriture, en VO, ça coule tout seul, mais
il aurait pu y avoir quelques coupes pour plus d'efficacité, pour
être plus à l'os. Sur l'exemple
des différentes traductions que Claire nous a envoyées,
j'ai trouvé que la meilleure était l'avant-dernière.
Je l'ouvre à moitié.
Denisà
Paris
Mon avis sera court. J'ai terminé la lecture ce vendredi matin,
épuisé par l'intensité de cette écriture.
J'ai commencé la lecture il y a trois jours, et je crois que c'est
un peu court pour bien apprécier l'uvre. D'autant plus que
je l'ai lu en format Kindle, ce qui n'est pas bien agréable et
rend difficile la circulation à travers le livre.
Dès le début, j'ai été captivé par
ce texte. Quand je m'interrompais, j'avais hâte d'y revenir. J'ai
beaucoup aimé la description des émois amoureux du jeune
homme et toutes ses aventures dans le milieu "bien éduqué".
Une fois les déclarations d'amour émises, l'intensité
diminue un peu, on revient à des schèmes narratifs plus
banals. S'ouvre alors la partie "politique" de l'histoire, où
le narrateur (London, donc) expose ses idées personnelles, "individualistes".
Là, c'est largement répétitif pendant nombre de pages,
et j'en ai sauté plusieurs, poussé par le délai pour
remettre cet avis. Je me suis toutefois régalé de la verdeur
de la critique sociale, par exemple lors de la soirée mondaine.
Quel langage ! Quel tribun !
J'ai commencé à me lasser lorsqu'il ne fait plus qu'écrire
et chercher à publier, avant comme après la rupture des
fiançailles. Ses difficultés matérielles à
survivre sont constantes et peu variées. Je n'ai pas compris comment
lui est venu le grand succès (lui-même non plus, d'ailleurs,
voir chap. 40).
Mais il y a bien des morceaux de bravoure dans toute la dernière
partie de l'uvre : la visite de Ruth, les retrouvailles avec
ses anciens copains, sa revanche sur ceux qui se moquaient de lui, et
pour finir sa dépression, son désir de repos éternel,
sa noyade.
Malgré ses défauts, c'est une grande uvre épique
traçant un portrait d'une Amérique sans pitié pour
les pauvres, exploités jusqu'à l'os. Un peu démodée,
mais en la prenant comme un document historique, elle me fait penser au
Malraux que nous avions lu, La
condition humaine, qui comportait des passages jugés par
certains très outrés, voire ridicules.
J'ouvre en entier.
Fannyà
Paris
Martin et son idylle ont provoqué chez moi un ennui profond. Après
m'être rendu compte que je cherchais tous les prétextes pour
trouver une autre occupation que de me replonger dans le roman, il y a
deux jours j'ai décidé d'abdiquer... à la page 168,
c'est dire si je n'ai pas été persévérante.
J'ai apprécié l'écriture qui au début m'a
laissé penser que le plaisir des mots suffirait à me tenir
en haleine jusqu'au bout.
En ce qui me concerne, je crois que ce pauvre Martin pâtit du contexte
de lecture actuelle. Habituellement je peux tout à fait me laisser
emporter par de longs romans dans lesquels il ne se passe pas grand chose,
pourvu que le profil des personnages soit intéressant (que j'éprouve
ou non de l'empathie pour eux) et l'écriture plaisante. À
l'heure d'un confinement qui vient rebattre les cartes d'un quotidien
habituellement plus frénétique en mouvements et agitations
variées, qu'elles soient vaines ou non, je ne me sens pas disponible
pour lire ce roman dans lequel j'ai l'impression qu'il ne se passe rien.
Le déroulement est centré sur la vie intérieure des
personnages, donc dire qu'il ne se passe rien est de fait réducteur,
j'en ai conscience. Pour autant; cette forme de passivité dans
le déroulé du récit et le nombre de pages de l'ouvrage
entraînent aujourd'hui chez moi un phénomène de rejet.
Par ailleurs, les profils de Marin et de Ruth m'exaspèrent ; je
les trouve l'un comme l'autre confondants de bêtise, lui qui persiste
à se croire talentueux malgré les rejets successifs de ses
écrits et elle qui lui suggère sans cesse de faire des études,
oubliant les réalités économiques qui sont les siennes.
Je suis bien ennuyée pour ouvrir ce livre car je reste persuadée
que dans un autre contexte j'aurais pu y prendre du plaisir : ce n'était
pas l'heure pour moi de m'y atteler. Je vais donc avoir une position modérée
et l'ouvrir à moitié.
Je lirai vos messages en décalé comme la fois précédente.
J'ai hâte de lire tant les avis que ces échanges et suis
curieuse de voir si certains ont ressenti le même ennui que moi.
Catherine à
Paris
Un petit avis sur Martin Eden, livre parfait pour le confinement,
qui nous transporte ailleurs.
J'avais lu dans mon enfance L'appel
de la forêt et Croc
Blanc et j'avais lu quelques années plus tard Martin
Eden ; ce livre m'avait déjà marquée à
l'époque et je me suis laissé emporter à nouveau
par l'histoire, pleine de souffle et de lyrisme. C'est un livre qui se
lit très facilement, dont j'ai beaucoup aimé l'écriture,
tout particulièrement les premiers chapitres, la découverte
par Martin Eden de ce monde bourgeois dans lequel il détonne et
dont il n'a pas les codes ; et les chapitres se passant dans la blanchisserie.
Martin Eden est l'image même du héros, paré de toutes
les qualités morales, physiques et intellectuelles, qui va parvenir
par son courage, son intelligence et sa ténacité à
l'impossible, devenir un écrivain célèbre. Il est
convaincu de sa valeur et incapable d'adhérer aux conventions et
aux opinions toutes faites ; de ce fait, il suscite la controverse.
Par contraste, le personnage de Ruth est d'une grande banalité
et je trouve qu'on a du mal à croire à l'histoire d'amour,
à la passion aveugle de Martin Eden pour cette idiote conventionnelle
qui n'est pas capable de croire en lui et de dépasser les préjugés
de son milieu.
La peinture sociale féroce est l'un des intérêts majeurs
du livre pour moi, aussi bien pour le monde des pauvres que celui des
bourgeois, allant par moment jusqu'à la caricature ("tu
appartiens aux filles comme Lizzie Connolly, à la légion
des travailleurs, à tout ce qui est bas, vulgaire et laid. Tu es
de la même espèce que le bétail et les esclaves qui
vivent dans l'immondice et la puanteur"...). La bourgeoisie
aussi est rhabillée pour l'hiver ("la
vulgarité est la base de la culture bourgeoise et de ses raffinements"...).
Il y a des idées un peu limites par moment (la société
des esclaves qui doit laisser la place aux forts et aux surhommes.)
Mon attention a un peu fléchi au milieu du livre ; j'ai trouvé
qu'il y avait des longueurs, mais j'ai beaucoup aimé, en revanche,
les derniers chapitres, lorsque Martin Eden, ayant atteint son but, sombre
dans la dépression. Cet état dépressif, qui le mènera
au suicide, cette impression de n'être plus à sa place nulle
part, son désintérêt profond pour tout ce qui l'entoure,
sont magistralement décrits. Je l'ouvre aux ¾.
Renée à
Narbonne
Dés le départ du livre, j'ai été en empathie
avec ce garçon sensible à la beauté, attiré
par tout ce qui le "dépasse". Il est conscient que son
milieu l'a privé de culture, alors que tout son être n'aspire
qu'à la connaissance et au maniement des idées. Son amour
pour Ruth est le prétexte qui justifie sa soif ; il devient
"ivre de lecture", "dévoré de curiosité".
Dès lors son application, sa détermination à s'instruire,
puis à écrire nous enchantent.
En 1909, London écrit :"Le
monde véritable
était celui de son cerveau et les histoires qu'il écrivait
la seule réalité possible". Proust en 1913
dans Le Temps retrouvé : "La
vrai vie (...), la seule vie par conséquent pleinement vécue,
cest la littérature." La parenté est
évidente. Il y a un autre passage où Martin Eden parle de
l'odeur de l'herbe qui lui rappelle son enfance
: c'est la
madeleine de Proust. Ils sont de la même génération,
mais l'écriture, bien sûr, est très différente,
tout en cherchant la même chose dans la vie : écrire
une uvre littéraire qui compte.
L'éveil de Ruth à la sensualité est bien décrit
également ; de même son statut de fleur évanescente
qui devient une jeune fille de chair grâce à une goutte de
fruit sur ses lèvres. Puis elle descend de son piédestal,
ainsi que son milieu bourgeois.
Le passage sur le socialisme ne m'a pas du tout intéressée.
La colère contre les éditeurs sonne comme du vécu
pour London. Martin devient prétentieux, il croit en son talent
d'écrivain.
Lorsqu'arrive le succès c'est "trop tard". Il en veut
à ceux qui l'encensent et répète souvent :"j'étais
le même", "j'étais le même",
avec désespoir.
Ce roman qui devrait être un roman d'apprentissage
de la vie, est finalement un roman d'apprentissage de la mort.
Je l'ai beaucoup aimé et je l'ouvre aux ¾.
Marie-Odile dans
les Pyrénées orientales
J'ai commencé la lecture de Martin Eden le 31 mars, juste
après avoir écouté comme chaque jour le journal
de confinement de Wajdi Mouawad et, curieusement, c'est avec la voix
de Mouawad que les mots, les phrases de Jack London sont parvenus jusqu'à
moi, avec la même respiration, les mêmes pauses, les mêmes
silences, qui ont donné à cet incipit la présence
d'une scène de théâtre, ou d'un tableau. Bref, je
n'étais pas du tout dans mon rythme de lecture habituel. Le texte
devenait précieux, il fallait prendre son temps. C'est peut-être
un effet du confinement, cette porosité de tout ce qui peut arriver...
de partout. J'étais impressionnée comme le jeune homme entrant
dans ce grand intérieur où il a peur de tout heurter...
Puis, la magie a cessé, la voix de Mouawad s'est estompée.
Et j'ai découvert la suite :
le jeu des regards dans la scène de la rencontre
le petit côté Lady Chatterley de Ruth attirée
par la force physique et même vulgaire de ce rustre qu'elle voudra
modeler, puis sauver
la découverte de la Beauté, de l'Esprit, de la Connaissance,
de la Création pour Martin qui jusque là ne connaît
que la Vie !... (roman d'apprentissage ?).
Certes, Martin m'a parfois agacée, parfois fait sourire, mais toujours
son incroyable force vitale m'a impressionnée. Lorsque, dans la
dernière partie, sa fragilité et son indifférence
remplacent son acharnement, son orgueil, et surtout son inébranlable
foi en lui-même, il m'a émue. Et c'est une grande tristesse
qui m'a envahie à la lecture de la magnifique et effroyable scène
finale dont j'ai éprouvé toutes les sensations.
De ses écrits, j'ai aimé les titres : Le Berceau
de la beauté, Poussière d'étoiles, La fumée
de joie, La honte du soleil, etc. Le Trop tard se répète
comme un commentaire de la vie : le succès arrive trop tard,
Martin arrive trop tard chez Brissenden, Ruth revient trop tard... Artiste
maudit, même dans le succès il souffre de n'être pas
aimé pour lui-même, de n'être pas reconnu. "J'étais
le même", J'avais faim et vous ne m'avez pas donné
à manger.
J'ai été sensible à la critique de la bourgeoisie,
des pseudo-intellectuels, du monde de l'édition, à la dénonciation
du travail qui déshumanise (blanchisserie), à l'inégalité
de condition des femmes suivant leur milieu, même si, en amour,
"toutes sont surs par la peau".
Les "gagnants" de cette histoire sont les Misérables :
Joe, Maria qui vit une sorte de conte de fées, et la famille qui
sans scrupules accepte l'argent. Car il y a peut-être des remèdes
à la misère, mais pas au malheur. Ayant quitté un
monde qui ne lui convient plus, rejeté par un monde auquel il aspirait
mais dont il découvre la vulgarité et la fausseté,
Martin se retrouve seul.
Histoire d'une vie très intense mais brève, d'une victoire
amère, d'une désillusion, d'un échec.
J'ai beaucoup aimé le passage où avant de prendre la parole
devant une assistance nombreuse, Martin voit apparaître au fond
de la salle, s'avançant vers lui, puis disparaissant, "le
fantôme de sa jeunesse". Discret mais intense.
J'ai apprécié la variété des ambiances :
ce roman contient des scènes d'une grande douceur (entre Ruth et
Martin, Ruth et sa mère) et aussi des scènes d'une grande
cruauté. Les combats féroces de Martin enfant m'ont rappelé
ceux de Croc-Blanc ou de Buck. Ce chapitre 16 m'est apparu comme une métaphore
de la vie du personnage et même de l'auteur.
J'ai regardé comme un film comique en noir et blanc le chapitre
33 relatant les démarches de Martin au Transcontinental puis au
Hornet. Cela m'a mise pour un temps à distance du personnage et
de ses tourments.
J'ai été sensible aux dialogues, aux belles évocations
de la nature, aux rêveries, à la place faite au corps qui
reste inaltérable dans sa vigueur et sa beauté...
Malgré les interminables tentatives de publications et les problèmes
d'argent répétitifs, cette lecture m'a toujours été
agréable. J'ouvre aux ¾.
Marie-Thédu
groupe breton réuni virtuellement (voir juste après), mais
allergique à Skype
Par quels mots qualifier ce livre ? Je dirais qu'il m'est apparu
comme un monument ; j'ai été très impressionnée
par la force et l'intensité qui s'en dégagent. Et nous sommes
sans cesse dans le ressenti.
Je ne peux m'empêcher de voir en Martin Eden Jack London lui-même,
comme les lecteurs de son époque. À ceux-ci, Jack London
avait répondu qu'il en était différent : en
lui projets, force de vie, vitalité, alors que Martin Eden n'avait
plus de projets et allait vers le suicide.
J'ai été très sensible à celui qui se sentira
toujours pauvre, même quand il deviendra riche et dépensier,
toujours proche des miséreux. J'ai suivi Martin Eden écoutant
les gens dans les parcs, découvrant l'exploitation de la force
de travail. Il lit Spencer, voit que les plus forts gagnent, darwinisme
social... Description d'une époque, mais cela est intemporel et
universel. À la lecture d'expériences vécues dans
les bas-fonds, j'ai pensé à Zola (la blanchisserie, les
femmes usées par le travail, les rues "putrides"). À
Jack London j'appliquerai cette phrase de Baudelaire dans Les fleurs
du mal : "Tu m'as
donné ta boue et j'en ai fait de l'or." Et puisque
je suis partie dans les associations, j'ajouterai qu'en voyant Martin
affamé, j'ai encore pensé à La
faim de Knut Hamsun (lui aussi larguait les amarres à
la fin, mais pas du tout dans le même état d'esprit).
Je retiens encore l'importance des corps, leur force (Martin et ceux de
son milieu), modelés par le travail ("ses
épaules tanguaient et roulaient"), usés
par le travail : tels les corps de Maria, des surs de Martin.
Corps et esprit de Martin modelables pour Ruth au corps fragile, émue
à la lecture d'un texte de Martin, la fêlure dans la carapace...
Corps malade de l'étrange Russ Brissenden, si différent
de celui de Martin, son alter ego cependant. Description des manifestations
de l'amour par de petits signes à peine perceptibles. De ce grand
livre (avis très réducteur), je retiendrai encore ce gouffre
entre deux mondes, gouffre venant de l'éducation, le travail acharné
et l'écriture intensive chez Martin Eden, sa persévérance
inouïe, les situations conflictuelles (souvent physiques), la fidélité
de Martin à ce qui se vit, au ressenti, l'humain toujours privilégié.
Triste parcours, l'Amour, la conquête de la gloire littéraire,
deux chimères.
Les dernières pages, belles et terribles : "Martin
Eden, l'écrivain célèbre, n'existait pas. Martin
Eden l'écrivain était un mirage né de l'imagination
de la foule et que la foule avait fait entrer de force dans la peau de
Martin Eden, voyou et marin."
Et ceci, adressé à Ruth et à tous finalement : "Pourquoi
n'avez-vous pas eu ce courage plus tôt ? Quand j'étais sans
le sou ? Quand je crevais de faim? J'étais le même
(...) Et, c'est pour
ça, pour ma gloire et mon argent, que vous voulez de moi ?".
"J'étais le même",
toujours...
La fin est terrifiante.
J'oubliais, j'enlève ¼ à cause du côté
répétitif de ce livre, et même si j'étais d'accord
avec Martin, je n'en pouvais plus de ses critiques des éditeurs,
de ses critiques des critiques...
Christian
à Arradon
Quelques brèves impressions qu'à fait resurgir en moi la
lecture du chef-d'uvre de Jack London Martin Eden. J'avais
adoré ce livre, il y a fort longtemps, à l'âge encore
tendre où les promesses de la jeunesse dessinent tous les possibles.
Aujourd'hui, j'aime tout autant ce livre, probablement un des grands qu'offre
la littérature américaine.
Martin Eden est le symbole de cette capacité inouïe
qu'à le personnage, alter ego de J. London, de croire à
un destin régénéré par la littérature
et le savoir et d'échapper ainsi à la misère de sa
condition sociale. Self-man made accompli, Martin, confronté à
une rencontre fortuite avec la sur d'Arthur celui-ci
défendu lors d'une rixe sur les docks d'Oakland , va
prendre la mesure quasi spontanément de l'importance que revêt
la culture (la "distinction" en acte) pour la bourgeoisie.
Ce qui est fascinant c'est l'énergie, la boulimie de cet autodidacte
qui vont conduire Martin à dévorer les livres, arcanes mystérieux
du savoir qui lui permettront de conquérir le cur de Ruth.
La séduction et l'amour comme puissances émancipatrices
d'une fatalité à même de transgresser les classes
sociales doivent s'accompagner chez Martin d'une maîtrise des connaissances
(aujourd'hui il s'agirait des codes) susceptibles de lui permettre d'être
reconnu et intronisé dans ce monde bourgeois convoité.
Alors, grâce à un travail acharné, doublé d'une
soif inextinguible de lectures en bibliothèques, Martin finit par
écrire des manuscrits dont malheureusement personne ne veut (critique
féroce du milieu éditorial). Ceci va précipiter Martin,
de nouveau, dans le désespoir et la misère.
Et là où ce livre magnifique touche véritablement
au grand uvre, c'est lorsque, miracle inattendu, ses textes vont
finalement intéresser puis rencontrer de plus en plus de succès,
lui offrant brutalement une gloire inespérée, mais sans
pour autant éteindre sa rancur ("auparavant
j'étais pourtant le même").
L'épilogue aussi surprenant que profondément moral (et politique),
c'est de montrer Martin défait par cette notoriété
soudaine puisqu'il comprend alors la futilité de cette bourgeoisie
"qui achète ses
livres sans mesurer leur profondeur subversive, sans se laisser brûler
par le feu qu'ils attisent". La fin tragique le
suicide de Martin Eden , est l'aboutissement de ce désespoir,
malgré la célébrité qui ne peut le sauver,
puisque le passé ne peut s'effacer, la rédemption n'ayant
pu s'opérer....
La foi en la littérature et le message qu'elle véhicule,
cette connivence d'avec les mots fraternels adressés aux lecteurs,
ne peuvent susciter une nouvelle conscience sur l'injustice de la société
et provoquer auprès de ceux-ci une interrogation morale sur le
destin de l'humanité. Martin Eden est un pur...
Rappelons que Jack London était socialiste, militant et averti
des luttes populaires, notamment celle de la Commune. Il demeure profondément
individualiste (sa vie de vagabond, d'aventurier, de coureur des mers
à bord du Snark) en témoigne, mais il est aussi lecteur
attentif de Marx, et un analyste pertinent de la "working class"
californienne dont il se sentait particulièrement solidaire.
Homme "complet", authentique et empreint de convictions fortes,
l'auteur de Croc blanc offre une palette de mille vies que son
uvre prodigieuse met en scène. Peut-être en ce sens
est-il également représentatif du rêve américain,
celui des utopies que nombre d'écrivains portent en eux.
Ce qui est toutefois assez curieux chez J. London, c'est que ses
livres tels Croc blanc, Les Aventuriers du rail, L'Appel de la forêt
(pour ceux dont je me souviens) ont été longtemps relégués
dans une littérature Jeunesse ou bien celle de simple récits
d'aventures (ce qui n'est nullement péjoratif, mais un peu limité).
Je crois que c'est profondément injuste. Martin Eden, son
livre le plus accompli à mon sens, le démontre.
Par l'ampleur des sujets traités et sa maîtrise du récit
où l'homme trouve toute sa place dans une société
en mouvement (l'Amérique du début du nouveau siècle),
par la fluidité de son style, la critique sociale jamais absente,
de même que la réflexion humaniste sur le sens des destinées
humaines, par les superbes descriptions de la nature, J. London demeure
un grand écrivain que l'on peut admirer et certainement relire
avec plaisir.
Sa vie fut son uvre. C'est son côté "rimbaldien".
J'ouvre grand ouvert Martin Eden.
Synthèse de la rencontre
par Skype entre 6 Bretons
rédigée par Yolaine, suivie d'avis individuels
Chantal
Cindy
Édith
Jean Suzanne
Yolaine
Différence de taille avec nos rencontres "d'avant",
nous n'avons pas pu partager un de ces merveilleux repas où nous
rivalisions d'imagination pour être au diapason du roman que nous
venions de lire, mais nous étions quand même en phase avec
Jack London, qui décrit souvent dans ses uvres l'impossibilité
de faire un vrai repas et les tortures de la faim.
Nous étions surtout enchantés de rompre ce cruel confinement
par nos retrouvailles, ce fut un plaisir vif et partagé.
Nous avons tous ouvert ce roman en grand et sans hésitation aucune,
mais cette unanimité recouvre des approches diverses et divergentes.
Il y a ceux qui ont lu London dans leur jeunesse, et qui avaient hâte
de le retrouver, et ceux qui le découvraient, avec plus ou moins
d'envie et d'enthousiasme. Les commentaires (passionnés) se sont
focalisés sur les défauts et qualités du personnage
de Martin Eden, dont Claire nous a fait remarquer que nous en parlions
comme si il était vivant. Tout le monde a semblé faire une
distinction nette entre le héros du roman et l'auteur, et pourtant
la distance n'est pas si grande, l'impression de véracité
de ce récit étant renforcée par les expériences
personnelles de la vie de l'auteur (avis de la rédactrice de ces
lignes).
Séduction, force, vitalité, volonté et persévérance,
ambition, soif de connaissance et d'absolu, recherche idéaliste
de la beauté, que ce soit dans l'art, dans la littérature,
ou dans l'amour, sincérité, plutôt des qualités
donc, même si Pierre [mari de Yolaine qui ne fait pas partie
du groupe mais en lit tous les livres, passé tout à coup
dans le champ de vision de la caméra de Skype...] l'a qualifié
de "gringo", ce qui est par certains côtés assez
juste et en même temps vraiment injuste.
Dans la liste des défauts, l'orgueil, le machisme et le cynisme
vis-à-vis des femmes, ont opposé les défenseurs de
Martin à ceux (celles et ceux, mais plutôt celles) de Ruth,
qui a dû attendre deux longues années avant de se voir durement
repoussée pour cause de préjugés bourgeois. Le refus
de compromis fait avorter ce conte de fées et cette merveilleuse
histoire d'amour, où la passion romanesque à la Balzac se
termine dans la solitude et le désespoir.
La dimension sociale et politique de ce récit qui dénonce
les méfaits épouvantables du capitalisme aux États-Unis
sur une partie de la population au début du XXe siècle,
n'a rien perdu de sa modernité, et sa peinture de la "fracture
sociale" qui sépare le monde bourgeois de Ruth et celui des
matelots du port d'Oakland pourrait être transposé dans bien
des situations actuelles, comme il l'a été pour l'Italie
d'après guerre dans le film
de Pietro Marcello en 2019. Si cette vision nous a paru éclairante,
elle a aussi allongé le nombre de pages dont la lecture a paru
un peu confuse et fastidieuse à certains, à l'image du parcours
socialiste un peu chaotique de London...
Nous avons tous aimé l'écriture, très charnelle,
très précise, parfois hallucinante de vérité,
et la qualité des descriptions. Certains l'ont dégustée
comme une friandise chapitre par chapitre au fil des semaines égrenées
du confinement, d'autres se sont laissé emporter par ce parcours
de vie d'un surdoué et l'ont lu d'une traite. Lecture facile, rédaction
en mode feuilleton payée à la ligne ou au nombre de mots,
ainsi que le rapporte l'auteur lui-même ? Mais l'accessibilité
de la langue utilisée n'enlève rien à la magie de
la narration, au contraire.
Les lectrices les plus sentimentales veulent croire que c'est la rencontre
avec Ruth qui incite Martin à devenir un écrivain, pour
la séduire et accéder à son univers. C'est en tout
cas un témoignage puissant sur la genèse et les souffrances
de la création littéraire.
Chantalà
l'île d'Houat
J'ai adoré ce livre : en période de confinement, je
m'astreignais à ne lire qu'un ou deux chapitres par jour... pour
le savourer de nouveau le lendemain.
Le personnage m'a emballée, le genre de gars dont je serais tombée
raide amoureuse ! Un physique de rêve, loubard charmeur, un
sourire et hop ! Une personnalité hors du commun : volonté,
persévérance, ténacité pour atteindre son
but être écrivain même dans
les pires conditions, sa soif d'absolu, sa recherche de l'amour et de
la beauté. Enfin la certitude de son talent, l'orgueil, qui le
fait se sentir supérieur à tout le monde, et, pour finir,
le désespoir qui va l'emporter, à l'idée insupportable
de "n'être rien".
L'auteur, avec ses talents de conteur, nous fait littéralement
vivre l'évolution de ce jeune homme pauvre et inculte, qui par
hasard va fréquenter un milieu bourgeois qu'il va idéaliser
totalement, de même qu'il va idéaliser Ruth, jeune fille
tellement différente de toutes les femmes qu'il a connues :
"la pure et gracieuse
cristallisation de son essence divine" ! En ayant
parfaitement conscience de leur différence de classe sociale :
"elle n'avait jamais
travaillé, voilà le gouffre qui les séparait."
Sa découverte, grâce à Ruth, d'un monde nouveau, de
murs nouvelles, et enfin de la culture, de la littérature,
est très bien décrite, et émouvante. Émouvante
aussi la soif qui s'éveille en lui de tout connaître, et
d'arriver coûte que coûte : je serai écrivain.
La construction du livre, en très courts chapitres, est adroite :
marche après marche, on suit, on souffre avec Martin, en suivant
son chemin, dur, laborieux, fatigant..., ses envois de manuscrits, les
refus constants qu'il essuie, la pauvreté extrême, la faim,
on se demande si cela va se terminer enfin...
Les descriptions, parfois longues, sont remarquables, par exemple le travail
à la blanchisserie, les bagarres de son enfance avec Tête
de Fromage, l'auteur a dû vivre tout ça !
Talent d'écrivain et talent de sociologue ; j'ai été
touchée par cet aspect du livre : constamment, il fait le parallèle
entre les conditions de vie des pauvres, des ouvriers, et celles des bourgeois
aisés ; et touchée surtout par la conscience douloureuse
qu'il a, quand il retrouve ses copains d'avant, de n'être plus à
sa place, ni parmi eux la littérature les sépare ,
ni parmi les bourgeois hypocrites qui finissent par l'encenser après
l'avoir méprisé : transfuge de classe... tout son chemin
l'a isolé de tous.
Et puis le succès littéraire qu'il ne comprend pas :
pourquoi maintenant ? Avec les mêmes livres refusés
pendant si longtemps ? Question qui devient une obsession "qui
lui rongeait la cervelle comme un asticot indestructible"...
et qui va le détruire, jusqu'au suicide.
Je note un passage assassin sur les critiques littéraires, j'ai
pensé au Masque et la Plume ! "Les
chiens de garde du succès littéraire sont les ratés
de la littérature"...
Et sur la beauté qu'il cherche en littérature, j'ai aimé
ce passage : "le
mystère de la beauté n'était pas moins grand que
celui de la vie, que vie et beauté étaient la trame et la
chaîne d'une même étoffe, dont il n'était lui-même
qu'un lambeau, tissé de rayons de soleil, de cheveux d'ange et
de poussières d'étoiles".
Je pourrais continuer... écriture "belle" et charnelle,
qui me parle à la tête, aux tripes et au cur... tout
ce que j'aime ! Ouvert tout grand.
Cindyau
Couédo
Le choix de Jack London m'a plu et j'avais hâte de lire Martin
Eden. Jack London a pour moi une place d'honneur dans la littérature.
Je l'ai lue bien sûr en ce bon vieux temps et relu avec mes enfants
avec les Contes
des mers du sud.
Jack London écrit à partir de sa vie, de son passé
d'ouvrier, de matelot autodidacte amoureux et incompris de Mabel Appelgarth,
mais aussi il écrit à partir de sa passion d'écrivain.
J'ai choisi la traduction
de Claude Cendrée qui m'a semblait parfaite. En effet dès
les premières pages, j'ai suivi le marin un peu gauche, honteux
mais si attachant dans cet appartement luxueux, bien éloigné
de son univers. À partir de sa rencontre avec Ruth, on ne quitte
plus le livre !
L'écriture est fluide, descriptive, simple, captivante. L'histoire
est touchante parce que le personnage, c'est beaucoup Jack London qui
est lui-même touchant, humain, sincère, sensible
Je
reste marquée par le livre d'une grande beauté, beauté
dans l'écriture, dans l'histoire romanesque, dans cette beauté
de nous raconter une belle leçon de vie. Rester soi-même.
C'est une histoire qui met l'amour comme fil conducteur. Au départ,
ce coup de foudre et une prise de conscience immédiate qu'il doit
la conquérir avec un savoir. On comprend que la lecture, les livres
seront ses outils : "Il
prit Browning et Swinburne sur la chaise et les embrassa".
Et on se met à la place du personnage et oui "Bon
Dieu ! se disait-il, je vaux autant queux et, sils savent
un tas de trucs que je ne sais pas, je pourrais leur en apprendre quelques
autres dont ils ne se doutent pas". Et plus loin en regardant
son "front carré,
bombé", il se demandait "quel
genre de cerveau habitait là-dedans ? De quoi était-il
capable ? Jusquoù pourrait-il le mener ? Jusquà
Elle ?" Il se parle : "Martin
Eden, demain matin, à la première heure, tu iras à
la bibliothèque populaire et tu tinstruiras sur les bonnes
manières. Compris ?"
Ruth, tombe naturellement sous son charme avec des retenues liées
à sa condition. Elle lui sert de professeur et c'est pour gagner
son amour qu'il s'instruira et écrira. "Cest
une tâche grandiose que dexprimer des sentiments et des sensations
par des mots écrits ou parlés, qui donneront à celui
qui écoute ou qui lit, la même impression quà
son créateur."
Le mot "populaire" fait penser qu'il ne sera pas à sa
place dans cette quête du savoir, que ça sera difficile et
qu'il lui faudra de la persévérance, du courage. "Compris"
induit qu'il lui faudra tenir malgré toutes les portes qui se fermeront
sans abandonner ses rêves et jusqu'à la folie. "Il
fit des rêves qui par leur folie et leur audace rivalisaient avec
ceux des mangeurs de haschich"
Pour écrire il fera appel à ses souvenirs de marins, de
ses sentiments, de la beauté. Et on voyage à travers ses
courts récits de pêcheurs de perles en Polynésie
Il se compare à un chien endormi au soleil qui ne dormirait plus
mais qui lutterait souffrirait. D'autres comparaisons : bête
de somme, tête de fromage. Et Ruth le compare à
un bull dog "que l'on
m'a donné comme jouet".
Il persiste à devenir écrivain parce que Ruth "comprendrait
alors la raison de son obstination à écrire. Et, en attendant
ce moment-là, il continua à travailler avec rage."
Et elle : "il n'y
a aucun danger que je devienne amoureuse de Martin Eden"
dit-elle à sa mère. Au milieu du récit pourtant,
on espère qu'elle l'aimera pour ce qu'il est devenu, un personnage
encore plus magnifique et flamboyant : "l'amour
avait opéré en lui cette extraordinaire transformation,
qui, du matelot grossier, avait fait un étudiant et un artiste".
Il y a de belles discussions entre lui et Ruth sur l'Art avec l'exemple
de la forêt et une scène vue à l'Opéra "les
gambades éléphantines de Mme Tetralani sabotent pour moi
le plaisir de la musique". Il ne subordonne pas son "goût
au jugement unanime du public", alors qu'elle a "le
respect les opinions officiellement accréditées".
Les discussions dans le milieu intellectuel de Ruth, puis au sein des
milieux politiques, sont d'une intelligence humaine et sensible, comme
avec le professeur Caldwell : "je
veux dun homme ce quil a de mieux en lui, appelez ça
'boutique', métier, ou ce que vous voudrez". J'ai
aimé les passages quand il dénonce les idées et les
préjugés bourgeois. Son éloquence et ses discours
politiques sont d'une grande clarté et captivants.
Quel personnage ce Martin et tenace, travaillant 19h reclus dans son appartement.
Et Ruth reste inchangée. Je n'ai pas aimé son personnage,
froide, insensible, étroite d'esprit "Ce
qui était grand, puissant, original en lui, elle ne le voyait pas" ;
elle s'en tient aux "valeurs établies", et lui-même
aux siennes avec une "rage
iconoclaste pareille à celle des sauvages des îles de lArchipel"
qu'elle lui reproche.
Le livre est aussi très actuel, moderne quand il dénonce
les individualistes, les idées et les préjugés bourgeois.
Mais aussi quand il réfléchit aux conditions de vie de Marianne
et de sa sur, à tous ceux de la classe de Ruth "dirigeant
leur mesquine petite vie selon de mesquines petites formules fantoches
moutonniers, modelant leur existence sur celle du voisin".
Peu importent pour lui la réussite et la célébrité.
Au début du livre, il le dit, il pense que la gloire c'est bien,
mais Ruth c'est la réalisation d'un rêve divin : "rien
ne peut nous séparer, déclara-t-il triomphalement. Car je
crois en notre amour et lantipathie de vos parents ne me fait pas
peur. Tout, dans ce bas monde, peut aller à vau-leau, sauf
lamour... Lamour, à moins dêtre débile
et chancelant, doit triompher." Chancelant, il le deviendra
en étant malade avec ses délires, visions et souvenirs de
Tahiti, puis arriveront de bonnes nouvelles avec des chèques et
l'annonce de parutions de ses livres. Mais l'argent pour lui n'était
plus le moyen de le satisfaire. Sans boussole, sans rames sans port à
l'horizon, il se laisser aller à la dérive sans lutter davantage
puisque lutter c'est vivre et que vivre c'est souffrir
on comprend
mieux la fin de l'histoire car son esprit doute de l'existence.
La mort de Brissenden et sa rupture avec Ruth laissent un grand vide,
alors on comprend aussi l'appel de la mer
Je n'ai pas été surprise par la fin et je ne l'ai pas trouvé
triste. J'ai été transportée jusqu'aux derniers mots.
Comme au tout début du livre j'ai eu l'impression d'être
dans la scène et j'ai très bien vu ce hublot par lequel
il disparaît. Jusqu'à son dernier souffle je l'ai accompagné,
j'étais là !
Martin Eden, quel personnage inoubliable ! Lutteur courageux et obstiné,
animé d'une force physique et morale hors du commun.
J'ai terminé le livre en étant très touchée.
Cette histoire à l'écriture riche et puissante va me manquer.
Un coup de cur immense. Je l'ouvre en très grand !
Édith à
Pontivy
Texte en confinement : une "première"
presque
agréable !
Je n'avais pas acheté le livre peu pressée de
le découvrir (voilà déjà plusieurs fois que
cela m'arrive avec les propositions de Voix au chapitre
et
que, lecture faite, je suis acquise !). Et, de plus, j'ai apprécié
de lire sur écran.
Je suis allée voir le film sorti au début 2020. Pas vraiment
emballée. Le début du film est plus intéressant que
les scènes à suivre qui m'ont parue verbeuses le
mot socialisme revenant souvent et j'ai mal saisi l'argument
de Martin Eden. Peut-être ce film est à revoir à la
lumière du livre ?
Première impression : PLAISIR DE LECTURE, un feuilleton chaque
jour à portée de main d'un clic
J'ai ressenti du plaisir
à découvrir l'histoire de Martin Eden et du plaisir aussi
à savoir que j'avais 346 pages avant la fin. J'ai donc pris le
temps et fait durer le plaisir. Une fois la lecture terminée, je
constate une volonté : celle de Jack London de faire durer
l'histoire comme les feuilletonistes du XIXe siècle payés
à la ligne ou aux mots.
Martin Eden, son héros, s'adresse lui-même à ces journaux.
Et ils sont nombreux. Je crois savoir que cette époque imprimait
beaucoup et que la presse était suivie par de très nombreux
lecteurs
(souvenir de ma
bouquinerie).
Et puis, au-delà de ces remarques, de grandes idées au sujet
des classes sociales et de leurs différences concernant la culture,
l'hygiène, les codes sociaux, etc., arrivent, au fil des chapitres,
intégrant et imprégnant l'histoire amoureuse de Martin et
de Ruth, les motifs de leur attrait réciproque et les délicates
et subtiles descriptions de leur séduction réciproque :
tandis que pour Ruth il s'agit de modeler Martin à l'aulne de ses
valeurs de classe, "Vivre
pour une femme pareille !" se dit Martin, "pour
la gagner, pour la conquérir et... mourir pour elle.
Les livres avaient raison : de telles femmes existaient – elle en
était une" : c'est le début de son "addiction"
à Ruth et moteur du récit. Quelque chose me dit qu'il y
a illusion réciproque et que la fin "eau de rose" ne
fonctionnera pas, c'est tout l'objet du roman. Comme je le disais précédemment
le "suspense" est en acte.
Le récit va bon train et me plonge dans l'univers fin XIXe fort
bien décrit. Se déroulent alors la fascination, le désir
de correspondre au désir de l'autre. Martin se vit comme vierge
de toute connaissance du monde auquel appartient Ruth. Le déroulement
de l'histoire amoureuse bascule au moment ou Martin se rend compte qu'il
a dépassé Ruth et le "monde" de cette dernière,
MAIS le désir pour Ruth demeure. J'ai apprécié le
petit passage dans lequel Martin réalise que Ruth au
cours d'un repas ou il est admis remarque la tache de cerise
sur ses lèvres : elle n'est pas un pur esprit... Puis Ruth
ne réagit pas à sa poésie : "Ruth
n'avait rien compris", elle n'avait pas deviné
ce qu'il en était de sa poésie. Si "la
passerelle était rompue", Martin Eden n'en
est pas encore au désamour... Il faudra attendre les derniers chapitres
pour lire comment en un instant s'arrête le désir et l'image
merveilleuse et chérie s'effondre. Le modèle conjugal des
parents de Ruth est sans lien avec le modèle masculin de Martin
(gros mots, vin, bagarre, corps musclé) et pourtant la virilité
et la rusticité ainsi que sa force de caractère, son corps
puissant, sa nuque
l'attirent sans toutefois se reconnaître
dans cette émotion, ni nommer ce sentiment. Elle n'est pas advenue
femme au regard d'un homme, Martin me semble manipulé en ce sens
par les deux parents qui espèrent de ce lien "déniaiser"
leur fille ! J'ai beaucoup apprécié toutes les séquences
où chacun réalise à quelles distances sont leurs
goûts et leurs références : poètes et
poésie, opéra, vues sur la société et plus
particulièrement à propos des hommes de leur entourage (Mr
Butler, Arthur, Olney) : la scène au cours d'un repas concernant
Butler et sa capacité à avoir franchi les échelons
de la réussite est réjouissantes Je prends le parti de Martin
Eden : d'ailleurs pendant de nombreux chapitres, je suis en accord
avec ses arguments et je "souffre" de ses déconvenues
et je souhaite sa reconnaissance par les journaux qui permettront fortune
et reconnaissance
et légitimité.
Le personnage de l'intellectuel Caldwell, rencontré dans les meetings
auxquels Martin se risque avec plaisir et sans crainte aucune, est touchant
malgré et aussi à cause du désespoir et de la désillusion
qui l'habite
et le conduira au suicide. Effet miroir pour Martin :
solitude de celui qui est parvenu "ailleurs" de ses concitoyens
et que la mort guette.
Et puis je vois Martin changer de comportement par rapport à son
uvre (quelle en est la valeur réelle ? Ses uvres
sont pourtant celles qui lui furent refusées, alors pourquoi maintenant
ce succès ?) et je le vois souffrir de la vanité de sa bonne
fortune
Ses écrits s'achètent, lui procurent des dollars,
mais il est trop tard ; il a creusé en autodidacte sa trop
grande différence avec le monde et, de ce fait, organisé
sa solitude.
Ses bons sentiments et sa reconnaissance envers ceux qui l'ont aidé
tel qu'il était autrefois dans son évolution
demeurent, mais avec tellement de distance que même cela ne lui
procure que peu de joie !
Ainsi, ses retours généreux
vers chacun de ses bienfaiteurs (sa sur, Maria Silva, Joe
)
m'apportent, à la façon d'un roman de gare, du plaisir d'un
juste retour des choses
c'est bon et satisfaisant
comme dans
les contes !
Mais je n'aime pas sa distance presque froide sinon "gouailleuse"
avec les femmes : femme de sa condition ancienne, modèle,
"elle", de l'amour dit désintéressé, et
je n'aime pas non plus le détachement cynique envers Ruth. Cette
dernière, en quelque sorte est "punie" de son impossibilité
à sortir des valeurs et des codes de son monde. C'est trop facile :
elle attend deux ans contre la volonté de ses parents le mariage
suprême, aboutissement d'un désir !
Elle est
victime, oie blanche, de son milieu, de son éducation, elle se
trompe d'objectif, MAIS Martin, du fait de son admiration, ne fait à
aucun moment bouger la situation. Mais je réfléchis en femme
de ce siècle. Ainsi, je ne condamne pas Ruth dans son refus de
Martin, et si j'admire l'homme qu'est devenu Martin, je pense qu'un tel
homme s'est trop enfermé dans une légitimité orgueilleuse
et inaccessible, pas même envers une femme qui lui ressemblerait.
Non pas socialiste, mais anarchiste : sa loi est rigoureuse et son
choix de solitude sans concession
: pas fait pour un lien durable,
pas fait pour des compromis, pas fait pour le monde qu'il vient de découvrir.
Martin a ce qu'il a vraisemblablement recherché sans le savoir
dès le début de sa rencontre coup de foudre avec Ruth. Il
a ce qu'il mérite dans le sens littéral. Toute cette route
vers la CULTURE, LA CONNAISSANCE, qui est ouverture de l'esprit aux causes
et aux effets, aux liens des choses percutant sa nature profonde d'homme
du peuple et de ses valeurs acquises des jeunes années, retourne
au fondamental : la mer, les voyages et pas de liens qui retiennent ;
un grand appétit de vivre d'être et de partage, dans sa liberté
acquise et sans regret.
J'ai vraiment, en cette période de confinement, apprécié
l'évasion que ce livre apporte. Lecture facile, vivante
tranquille
! Feuilletonnée car chaque fois retrouver les héros sympathiques
de cette fin de siècle. J'ai déjà recommandé
la lecture à qui le veut ! Merci pour ce bon moment.
Les échanges
par courrier électronique après lecture de nos avis
Claire
Quand jai vu arriver les avis positifs, voire très très
positifs, qui se succédaient, jai pensé aux réactions
dAnnick A disant pour dautres livres: ce nest pas
un livre-pour-le-groupe-lecture, car il ne prête pas à la
discussion, cela va être une juxtaposition de contentements, point
final, que ça va être ennuyeux...
Heureusement des bémols sont arrivés : Annick justement,
Manuel vraiment vachard... Fanny qui consent à ouvrir à
moitié...
Je suis quand même sidérée que Fanny dise quil
ne se passe rien dans ce livre.... comme quoi le haletant des uns est
le somnifère des autres...
Fanny
Je n'ai lu que moins de 200 pages, d'où peut-être le fait
que j'ai l'impression qu'il ne se passe rien. J'ai aussi l'impression
que l'intérêt est dans ce que Martin Eden éprouve,
ce qui m'a à ce jour laissée insensible.
Séverine
En tout cas, Martin Eden nest pas pour le consensus et naime
pas toujours ce que lon doit aimer, parce que certains ont décrété
quil fallait aimer : cf. son avis cinglant sur la soirée
à lopéra.
Claire
Pensez-vous quon laurait pris au groupe Voix au chapitre ?...
Danièle
Nous laurions peut-être pris, mais il aurait été
très critique vis-à-vis de nous...
Nathalie
Il me semble que c'est un livre pour le groupe car si on analyse les raisons
pour lesquelles on aime, elles sont très divergentes !
Certains y voient un manifeste socialiste... d'autre une ode à
l'amour (niark ! berk), etc. et j'en passse.
Chantal
Je revendique le droit d'aimer les livres "pas pour le groupe"
!
Claire
Chantal se rebelle, et justement... Annick L dit : l'âge aidant,
je ne peux plus me projeter dans ce portrait d'un jeune homme rebelle
à l'ordre établi, ni dans cette histoire d'un amour socialement
interdit !
Jai à peu près le même âge quAnnick
et je peux me projeter dans des personnages de ce type : est-ce donc vraiment
une question dâge ?...
Yolaine
Même quand on est content (par exemple en Bretagne où l'attrait
de l'Amérique n'est finalement pas négligeable) et qu'on
a aimé le livre sans réserve, on peut être critique.
En lisant certains reproches, il me semble que Ruth ne fait pas l'unanimité.
Certains la trouvent niaise. Ça me fait penser que lorsque nous
avons lu les
mémoires d'Obama, j'avais trouvé le regard de Barak
un peu niais aussi. C'est la façon dont les Américains regardent
leurs femmes qui nous choquent, me semble-t-il. Les Français sont
beaucoup moins idéalistes, ils sont même cyniques. Donc cette
histoire d'amour à l'anglo-saxonne est un peu déroutante
pour des Latins.
Renée
Les avis ne sont pas tous unanimes : Nathalie de Nantes n'a pas lu le
même livre que les autres. Je suis scandalisée qu'elle pense
Martin : "brute épaisse... grossier... incapable d'évoluer".
Parce que c'est un marin ? Parce qu'il a les mains rugueuses ? Pensez
au marin de Entre
ciel et terre de Stefansson.
C'est comme Martin un amoureux des choses raffinées de la poésie.
Nathalie
AH ! ah ah Renée... je suis petite fille de marin pêcheur
et femme de scaphandrier aux mains épaisses et rugueuses... il
sent le fer et le pétrole... etc. etc. sur l'air de mon légionnaire...
Chantal
Et il est VIVANT ! Évidemment après Orlando...
et le personnage d'À rebours,
ça change ! Là, on est sur la "vraie" terre.
Nathalie
Qui aurait voulu de Martin dans son lit ? Pas moi ;)
Renée
Moi, son envie d'apprendre m'aurait attendrie, Pygmalion inversé
et... pourquoi serait-il mauvais amant ?
Nathalie
Je n'en sais rien, je ne me suis jamais sentie une âme de Pygmalion.
Il vit pour lui-même et peut-être un peu pour sa sur
et la famille de sa sur. Ce qu'il est ne me le rend pas désirable.
Un homme obsédé par des images (pour la femme qu'il désire)
et par des mirages pour le reste.
Renée
Mais Ruth n'est qu'un prétexte. Il n'a pas pour elle un amour oblatif : elle
fait partie de son rêve de culture, de poésie et de gloire.
Denis
Le roman est très pudique sur le sexe...
Danièle
Je suis moi aussi étonnée que lon puisse dire de Martin
quil est incapable dévoluer. Il me semble quil
ne fait que ça toute sa vie !
Claire
Nous vlà lancés dans lautobiographie de Nathalie,
ben justement...
Danièle dit : Le fait que ce roman soit en partie autobiographique
ajoute à son attrait. Cindy dit : L'histoire est touchante
parce que le personnage, c'est beaucoup Jack London qui est lui-même
touchant, humain, sincère, sensible
Danièle et Cindy ont donc lu le roman en connaissant la vie de
Jack London et en le retrouvant dans son roman : Martin Eden serait-il
une autofiction ?... Est-ce parce que lauteur a vécu ce quil
raconte que cest touchant ? Ou est-ce que la lectrice se dit :
derrière ce personnage il y a Jack qui a vécu ça,
comme cest touchant !
Quand Jack London a écrit ce livre, il ne sétait pas
suicidé. Francis Lacassin, un des premiers spécialistes
de London dit : "Jack London n'était pas Martin Eden mais
il le devint". Rigolo ?
Nathalie
J'y ai pensé pour tout l'aspect du métier d'écrivain
et de la façon dont il pense y parvenir. C'est vraiment passionnant.
Impossible de ne pas essayer d'établir de liens avec son propre
vécu d'écrivain.
Séverine
Cest marrant parce que je nai jamais pensé à
Jack London en lisant le livre
quil sagisse de lui,
un peu, beaucoup ou pas du tout, ça ne ma pas interpellée.
Danièle
Je ne lis pas les documents de Claire avant davoir lu le livre.
Et là, jai eu besoin en cours de lecture de savoir si lauteur
décrivait un personnage totalement fictif imbu de sa personne ou
si cétait une autobiographie plus ou moins partielle. Et
donc je pense que lauteur est lui aussi un personnage hors du commun,
et en cela je trouve cette réalité touchante.
Claire
Est-ce dans le fond parce que tu tinterrogeais sur la vraisemblance
du personnage ?
Danièle
Oui, quelque part je peux me permettre alors dadmirer le personnage
et donc lauteur davoir vécu une vie si exceptionnelle.
Si cela était une pure fiction, je my intéresserais
moins.
Jacqueline
Qu'un écrivain parle de ce qu'il connaît ce qui
effectivement peut lui permettre de faire un bon livre et
on qualifie son roman d'autobiographique, ce qui fait un petit plus éditorial,
y a qu'à voir toute les manchettes "d'après une
histoire vraie" ! Ceci dit, j'ai été ravie
dans la biographie envoyée par Claire d'apprendre que sa mère
était spirite, ce qui a ajouté pour moi quelque chose au
Vagabond
des étoiles qu'il m'était impossible de prendre
pour autobiographique, bien que d'avoir connu la prison lui a permis d'écrire
cette dénonciation du système carcéral...
Claire
Denis dit dans son avis : S'ouvre alors la partie "politique"
de l'histoire, où le narrateur (London, donc) expose ses idées
personnelles, "individualistes".
Cest le contraire, d'après la préface
en Folio de Jaworski qui cite ses sources : Jack London a voulu faire
dans Martin Eden le procès de lindividualisme. "Il
avait toujours été farouchement opposé à ce
quil appelle la théorie du surhomme de Nietzsche (l'une des
références philosophiques de Martin Eden)".
Et London écrivit : "L'un
des thèmes de ce livre est une critique de lindividualisme
(en la personne du héros). Jai dû cafouiller, car pas
un journaliste ne la vu". Ce qui est plutôt
rigolo. Moi non plus, je ne lai pas vu.
Séverine
Je ne lavais pas vu comme ça non plus, mais pourquoi pas,
en effet ! Car finalement il réussit mais il donne beaucoup !
Il est individualiste et a envie de réussir. Il arrive à
ses fins mais il nest pas si individualiste puisquil partage
sa fortune en distribuant aux personnes qui lui sont proches.
Denis
Si on se borne au livre, c'est bien l'individualisme qu'il défend.
J'avoue n'avoir pas compris ce que c'est, selon Martin. Le mot ne me semble
pas adéquat pour sa doctrine du "plus fort gagne". Peut-être
un autre sens à son époque ?
Claire
Tu as raison, mais cétait le contraire que pensait London.
Etienne
Pas si sûr Claire
À mon sens, London est traversé
de contradictions. Il oscille entre le "misanthropisme" (hé
hé) et lhumanisme. Dans son uvre Le
peuple de lAbîme, on ressent très bien cette
dualité je trouve...
Claire
Tu veux dire quil est et socialiste et individualiste ?
Etienne
En fonction des situations oui. Il agit surtout par instinct, sans idéologie
je trouve.
Renée
Même dans Martin Eden. Etienne a raison, c'est tout à
fait ce que j'ai senti. Le personnage est riche à cause de ça
: il est généreux mais se sent seul et incompris d'où
son suicide.
Yolaine
Mais que ce soit Martin Eden ou London, les positions politiques ou philosophiques
ne sont pas toujours cohérentes, alors c'est normal que nous aussi
nous ne sachions pas très bien où ils en sont.
Annick L
Un autre sujet d'intérêt pour moi dans ce livre : les liens
entre le personnage de Martin et son auteur. Du coup j'ai eu envie de
lire des éclairages là-dessus : Jack London pointe
des différences (il était lui-même à l'époque
un socialiste convaincu qui croyait à un projet collectif de transformation
de la société... idéal qu'il a perdu par la suite).
Tout le contraire de ce jeune idéaliste qui n'a d'autre horizon
que sa propre réussite. Pourtant on ne peut pas s'empêcher
de trouver des ressemblances dans leurs deux parcours. Et la mort brutale
de Jack London encore jeune (la thèse du suicide semble discutable)
fait résonner la fin du roman de façon forte.
Nathalie
Je ne sais pas comment exprimer cela, mais oui, cela me paraît tout
à fait perceptible cette obsession de lui-même. Malgré
certaines idées que le personnage émet, il est profondément
individualiste tout au long du roman (sic) et c'est ce qui peut
le rendre insupportable. Serait-il le parangon de l'artiste ?
Lisa, passant la tête par la "porte" de la "réunion"
Je n'ai pas envoyé mon avis car je n'ai pas fini le livre, j'en
suis au premier quart. Pour l'instant, je suis surprise par le livre,
je ne m'attendais pas à ça ! Je n'avais rien lu sur
le livre, et je m'attendais à un roman d'aventures.
Pour l'instant, je ne trouve pas Martin très crédible. Sa
soif d'apprendre ok me paraît réaliste, mais pas la vitesse
à laquelle ca se fait.
J'ai hâte de voir où le livre va aller, comment l'histoire
va évoluer.
Annick L, revenant au personnage Martin
Désirable ou pas, là n'est pas la question... ce qui m'a
rendu le personnage attachant, c'est son projet personnel : j'admire
le courage et l'énergie que ce jeune ouvrier dépense pour
accéder à la culture et pour devenir un écrivain.
Surtout à une époque où les portes de l'ascension
sociale étaient bien refermées. Je le trouve aussi touchant
par son idéalisme et son romantisme amoureux. C'est en cela que
je ressens un décalage "d'âge"... la perte des
illusions.
Claire
Ah d'accord. Au fait, lécrivain self made man,
qui en a bavé, cest vraiment américain. Est-ce quon
a de grands auteurs français célèbres
qui nont pas fait détudes, qui ont travaillé
dans des blanchisseries ? Ne répondez pas Jean Rouaud était
kiosquier, il avait une licence de lettres.
Chantal
Ta remarque Claire est terrible...
Claire
Mais il y en a peut-être, je lignore, hé les cultivé.e.s
! Y en a ?
Cest aussi quelque chose de typiquement américain, lesprit
self made man, non ?
Renée
Et Jean
Genet ? Et Violette
Leduc ?
Chantal
Charles
Juliet.
Danièle
Je nai pas pensé à un auteur, mais à un acteur :
Gérard Depardieu, qui sest lancé dans St Augustin...
Nathalie
Ça dépend ce que l'on met sous le terme d'écrivain,
non ?
Shakespeare...
Denis
Le bagnard qui a écrit Papillon
?
Nathalie
Cocteau... Zola... Apollinaire.
Claire
Cocteau a mangé de la vache enragée ? Je ne le vois pas
travailler dans une blanchisserie... mais bon...
Denis
Marguerite
Audoux, qu'on a lue ?
Chantal
Les succès qui arrivent comme ça tout d'un coup après
des années de galère, moi ça me fait me questionner
sur les succès littéraires 2020... ceux que les critiques,
ces "chiens
de garde de la littérature" veulent bien nous faire
connaître. Et les autres ?
Claire
Heureusement qu'on a le groupe lecture pour découvrir Épépé...
Geneviève, glissant sa tête entre
deux "portes"
Bon, j'arrive après la bataille, je viens de finir, ravie de l'avoir
lu mais pas sans critiques : des longueurs, une tendance au ressassement...
d'étranges valeurs parfois qui transparaissent dans des commentaires
sur cet organisme sain, cette virilité... mais quel portrait d'un
monde, de ses valeurs, ses conflits, ses contradictions... une lecture
qui en vaut la peine et pour moi pleinement un livre pour le groupe pas
pour la polémique qui ne me passionne pas mais pour
un autre éclairage sur un auteur que je croyais connaître.
Claire
Tu parles Geneviève, de la polémique pour-le-groupe-lecture-ou-
pas... cétait une blague bien sûr : ça va de
soi que Martin Eden était un livre pour nous, même
si... et si...
Renée
L'un de vous a écrit que Martin Eden est imbu de lui-même ;
oui, à un certain moment, il est exaspérant : il se
croit le meilleur, il est supérieur à TOUS... je lui pardonne.
Dans le livre, il est invraisemblable que les succès s'enchaînent
aussi vite, mais ça aussi je le pardonne à London : j'ai
eu trop de plaisir à lire.
Denis
Je trouve le personnage Martin pas vraisemblable du tout, mais cela n'enlève
rien à l'oeuvre. Ou, au moins, le critère de vraisemblance
se discute. Est-ce que les tableaux cubistes sont vraisemblables ?
Nathalie
Suis-je la seule à avoir ri ?
Je n'ai lu aucun des documents envoyés ou proposés par Claire.
Mais quand même, quand il se suicide et qu'il n'est pas foutu de
passer correctement du premier coup par le hublot, je n'ai pas pu m'empêcher
de rire... Et à de nombreux autres moments dans le livre. Suis-je
une horrible sorcière ?
Claire
Bien daccord avec le coup du hublot, mais tu crois Nathalie que
cest fait pour rire... alors ça ! Un talent que je navais
pas vu, lhumour...
Chantal
Moi j'ai ri souvent dans les scènes avec Ruth cette gentille dinde.
Renée
OH Nathalie ! La scène du suicide est terrible et tu as RI ?????
Suis-je trop naïve ? Ou es-tu trop blasée ?
Nathalie
Si l'on suit mon raisonnement sur le "roman de l'échec"
que je maintiens avec ferveur, il n'est même pas foutu dans un premier
temps (après, oui) de le faire de façon digne et élégante.
Quelle idée de passer par le hublot ! Je n'arrive pas à
penser que Jack London n'a pas voulu cet aspect grotesque du premier pas
de sa mise à mort.
Annick
Pourquoi se suicide-t-il ? Parce qu'il n'a pas d'autre projet que celui
de satisfaire son ambition, parce que c'est un loup solitaire, avec peu
d'amis, et qu'il entretient des relations difficiles avec sa famille (surs,
beaux-frères) : il se trouve à la fois coupé
de son milieu d'origine et rejeté par la classe sociale dans laquelle
il rêverait d'être intégré... une impasse
Nathalie
N'aurait-il plus rien à écrire ?
Danièle
Moi jai trouvé la fin plutôt poétique et surréaliste
(il est vrai que le surréalisme côtoie lhumour), ça
ma permis de mévader dans un monde dans la forme de
leau.
Nathalie
On va quand même pas bovaryser !!!! :)
Ben oui j'ai ri, et ensuite j'ai pleuré. Il est où le problème
?
Ce passage raté par le hublot était grotesque.
Etienne
Je suis daccord, ça ma fait rire !
Claire
Ça fait une qualité de plus au livre.
Renée
Je ne dis plus rien sinon je vais provoquer Nathalie en duel !
[Rappelons que Renée vit à Narbonne et Nathalie à
Nantes...]
Annick
Je trouve qu'il y a quelque chose de fascinant dans ce roman où
l'auteur se moque souvent de son "héros", de ses maladresses,
de sa difficulté à vivre tout simplement... alors que lui-même
neuf ans plus tard...
Monique
Jarrive un peu tard et essaie de lire toutes les interventions,
mais je ne comprends pas la discussion sur le suicide.
Claire
Plusieurs disent que le suicide par le hublot est rigolo et Renée
trouve ça tragique, prête à en découdre avec
qui rit...
Nathalie
Au moins à te lire, je ris aussi ! Merci Renée ! Tu pourras
me passer par le fer de ta lance, mais quand on sera déconfinées
!
****
Fin des échanges, effectués par mel pour cause de confinement :
ils auront duré un peu plus d'une heure
****
DES INFOS SUR MARTIN EDEN ET JACK LONDON | |
Le roman
Martin Eden Le texte de Martin Eden en ligne en différents formats Le résumé des 45 chapitres Les traductions Des films adaptés de Martin Eden Une BD : Martin Eden Des adaptations théâtrales de Martin Eden Quelques articles sur Martin Eden Jack London et son uvre Des repères sur le parcours de Jack London Les uvres de Jack London Des films sur Jack London à voir de chez soi Des émissions de radio Des biographies Des sites |
|
LE ROMAN MARTIN EDEN | |
Le texte de Martin Eden en ligne en différents formats : | |
- en version originale sur
gutenberg - traduction de Claude Cendrée sur bibliothèque électronique, sur bibebook, sur ebooks, sur bouquineux |
|
Le résumé des 45 chapitres | |
|
Pour se remémorer les péripéties du roman, chapitre par chapitre. |
Les traductions | |
|
Trois traductions
sont actuellement disponibles en poche (il
en existe d'autres, d'anciennes éditions) : - de Claude Cendrée en 1921 (10/18) - de Francis Kerline en 1993 (Libretto) - de Philippe Jaworski en 2016 (Folio et Pléiade) Voir la comparaison des premières pages ICI. |
La première phrase de Martin Eden selon 7 traductions | |
-1909 :
"The one opened the door with a latch-key and went in, followed
by a young fellow who awkwardly removed his cap". - 1921 : "Arthur ouvrit la porte avec son passe-partout et entra, suivi d'un jeune homme qui se découvrit d'un geste gauche." (Claude Cendrée) - 1948 : "Quelqu'un ouvrit la porte avec un passe-partout et entra suivi d'un jeune homme qui, gauchement, retire sa casquette." (Madeleine Follain) - 1955 : "Arthur ouvrit la porte avec son passe-partout et entra, suivi d'un jeune homme qui se découvrit d'un geste gauche." (Claude Sirven) - 1975 : "Il s'avança vers la porte, ouvrit avec un passe-partout et entra. Le garçon qui le suivait, encore très jeune, enleva sa casquette d'un geste gauche." (Jean Muray) - 1993 : "L'homme ouvrit la porte avec une clé et entra, suivi d'un jeune gaillard qui retire sa casquette avec gaucherie." (Francis Kerline) - 2010 : "Le quidam ouvrit la porte avec une clé et entra, suivi d'un jeune gaillard qui retira sa casquette avec gaucherie". (Francis Kerline) voir les premières pages lues par Denis Podalydès ici - 2016 : "Le type mit une clé dans la serrure et entra, suivi d'un jeune gars qui ôta sa casquette d'un geste gauche." (Philippe Jaworski) |
|
Retraduire Jack London | |
- "Publier Jack London aujourdhui : retraduire ? Réviser les traductions ? Le point de vue du directeur de collection" Noël Mauberret, Palimpsestes, n° 15, 2004, "Pourquoi donc retraduire ?" | |
Des films adaptés de Martin Eden | |
- 1914 : Martin Eden de Hobart
Bosworth - 1918 : Pas né pour l'argent de Nicandre Tourkine (aucune copie restante) - 1942 : The Adventures of Martin Eden de Sidney Salkow - 2019 : Martin Eden de Pietro Marcello (visible en VOD 4,99€ ici par exemple) |
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Une BD | |
Martin Eden, Denis Lapière et Aude Samama, Futuropolis, 2016 | |
À noter pour les fans d'Hugo Pratt : Corto Maltese rencontre Jack London en Mandchourie, dans le tome 1 - La jeunesse, paru en 1981. | |
Des adaptations théâtrales | |
- Martin
Eden, adapté et mis en scène par Jean-Louis
Sarthou, au Studio d'Ivry, en tournée de 1976 à
1978. À la scène, mais sous une autre
forme artistique, le rappeur Nekfeu
fait référence au roman dans "Martin
Eden", premier titre de son premier album Feu, sorti
en 2015. Extrait : |
|
Quelques articles sur Martin Eden (divers : littéraire, politique, philosophique) | |
- "Martin
Eden : Jack London", Jean Montenot, magazine Lire,
n° 479, octobre 2019 - "Le roman comme analyseur du conflit social : une lecture sociologique de Martin Eden", Federico Tarragoni, Actuel Marx, revue internationale d'études marxistes, PUF, n° 65, 2019 - "Martin Eden ou la quête du bonheur en Amérique", Michèle Émond, revue Horizons philosophiques, vol. 14, n° 1, automne 2003 - "Martin Eden ou le désenchantement romantique d'un écrivain réaliste", Anne Wicke, Cahiers Charles V, n° 26, juin 1999 (revue dédiée aux études anglophones en France) Et aussi : la préface au roman dans l'édition Folio, par Philippe Jaworski qui a dirigé l'édition des uvres de Jack London en Pléiade. |
|
JACK LONDON ET SON UVRE | |
Des repères sur le parcours de Jack London | |
- 1876 : Naissance à San Francisco
de John (pas encore Jack) Griffith London. Sa mère, Flora Wellman,
abandonnée par son amant qui ne voulait pas d'enfant, tente
de se suicider. Quelques mois après, elle épouse John
London, un veuf, père de deux enfants. Plus tard, pour le distinguer
de ce père, on appellera l'enfant Jack. - 1880-1892 : Nombreux déménagements autour de la baie de San Francisco. Flora est spirite, donne des leçons de piano. John travaille la terre. Flora est instable, fière d'être une Américaine de vieille souche. Elle ne sait pas gérer l'argent de la famille. Jack lit avec passion, fait des petits boulots, fréquente les voyous du port d'Oakland, découvre l'alcool et le travail dans l'industrie. Il devient pilleur d'huîtres, travaille ensuite pour la patrouille de pêche. - 1893 : Jack s'embarque sur le Sophie Sutherland pour aller chasser le phoque au large des côtes du Japon. Il en tirera la matière de son premier récit : Un Typhon au large du Japon. Il va travailler dur dans les usines, puis suivre les vagabonds le long des voies de chemin de fer. Il participera à la marche des chômeurs sur Washington et sera emprisonné à Niagara Falls pour vagabondage. Il devient socialiste et lit beaucoup Nietzche, Darwin, Spencer. Il écrit mais ne publie rien. - 1897 : C'est la ruée vers l'or du Klondike. Jack London y participe. Il ne trouve pas d'or, attrape le scorbut, est rapatrié au printemps 98. Il trouve chez les chercheurs d'or, les trappeurs et les Indiens une vraie source d'inspiration. Il publie alors sa première nouvelle sur le Grand Nord : À l'homme sur la piste. Le recueil Le fils du loup est un succès. Jack se marie, il aura deux filles. - 1902 : Jack London part pour Londres, passe trois mois avec les travailleurs pauvres, les sans-logis et les chômeurs. Il en ramène un livre hallucinant : The people of the abyss, titre que l'on peut traduire par Le peuple de l'abîme ou Le peuple d'en bas. - 1903 : Énorme succès de son livre The Call of the Wild qui sera vendu à six millions d'exemplaires. En français, ce livre peut s'intituler L'appel de la Forêt ou L'appel sauvage. Jack se sépare de sa femme, il a rencontré Charmian Kittrege. Il écrit Le loup des mers. La mer est son second pôle d'inspiration. - 1904-1905 : Scandales. Jack fait souvent la une de la presse. Correspondant de guerre en Corée, il est expulsé par les Japonais. Il soutient les révolutionnaires russes et publie La guerre des classes. Il divorce et se remarie avec Charmian. Il écrit Croc Blanc. C'est encore un succès énorme. - 1906 : Il se fait construire un bateau, le Snark, et commence un tour du monde qui s'arrêtera en Australie. Là, il sera soigné pour plusieurs maladies tropicales. Il écrit Martin Eden. - 1909 : Jack, malade, rentre en Californie où il s'occupe de son ranch, continue à militer par des conférences sur le socialisme qui font scandale, et boit toujours. Il se fait construire une magnifique maison, "La maison du Loup", qui brûle la veille de son inauguration. Il entreprend un voyage autour du Cap Horn. - 1913 : John Barleycorn, son autobiographie d'alcoolique paraît. Le livre servira de "bible" aux tenants de la prohibition. - 1916 : Jack voyage à Hawaï et démissionne du parti Socialiste qu'il trouve trop "tiède". - 22 novembre 1916 : Atteint d'urémie, il meurt après avoir pris une forte dose de médicaments. (Pour un développement très intéressant et illustré de cette biographie, voir le site d'où ce résumé est tiré, l'Association des amis de Jack London) |
|
Les uvres de Jack London | |
Romans - Nouvelles - Écrits
autobiographiques - Essais et écrits non fictifs - Correspondance
(non traduits en français : théâtre et poèmes) Les uvres sont très nombreuses ; on peut consulter des listes : - sur le site Jack London - sur wikipedia - sur le site Gallimard, la liste des uvres dans les 2 tomes de la Pléiade - le catalogue des 39 titres publiés par Phébus |
|
- Un biopic de 1943 : Jack London
d'Alfred Santell, d'après le livre de la seconde femme
de London The
Book of Jack London de Charmian London, noir et blanc, 1h34,
en ligne ici
mais sans sous-titres - Un documentaire : Jack London, l'enfant secret du rêve californien, série Un siècle d'écrivains, film écrit par Michel Le Bris, réalisé en 1994 par Michel Viotte,45 mn, en ligne ici - Un documentaire-fiction : après ce documentaire, en 2016, Michel Viotte tourne au Canada, aux États-Unis et en Polynésie un film retraçant la vie de Jack London, Jack London, une aventure américaine, Arte, 1h 36 (version de 2 x 52 min), avec David Tournay et Angelica Sarre. Celui-ci obtient le prix du meilleur film biographique au Wine Country Film Festival de Californie en 2017. Voir un article élogieux du Monde le présentant. En location 2,99€ sur Arte ici. Michel Viotte a prolongé cette exploration de l'univers de Jack London à travers : une exposition dont il est commissaire "Jack London dans les mers du Sud", créée en 2017 au Centre de la Vieille Charité (Marseille) et reprise en 2018 au Musée d'Aquitaine (Bordeaux). Entretien à France Culture. deux ouvrages, Les vies de Jack London et Jack London dans les mers du Sud : l'Odyssée du Snark, parus aux éditions de la Martinière. |
|
Des émissions de radio | |
- En priorité : France
Culture, La
Compagnie des auteurs, 4 émissions d'une heure sur Jack
London, par Matthieu Garrigou-Lagrange, 17 au 20 octobre 2016
1/4 : " La
force vitale de Jack London" - 2/4 "Martin
Eden, double de Jack London ?" - 3/4 "Les
idées derrière les mots" - 4/4 "Une
philosophie de la vie" |
|
- Les Nuits de France Culture, nuit
spéciale Jack London, 10 au 11 décembre 2016
(de minuit à 6h30), par Albane Penaranda, avec rediffusion
de plusieurs émissions et trois entretiens en direct avec Noël
Mauberret et Michel Viotte, tous deux spécialistes de l'auteur
: 1/3 "Le style de Jack London est un étonnant mélange de Maupassant et Rimbaud", 35 min 2/3 "Jack London a été à l'origine de la modernité des lettres américaines avec Mark Twain", 35 min - émission particulièrement intéressante 3/3 Romans préférés, l'Association des Amis de Jack London, exposition sur Jack London, 9 min "Jack London dans la ruée vers l'or", Nuits magnétiques, avec Francis Lacassin, par Jean-Pierre Milovanoff et Mehdi El Hadj, 22 février 1985, 1h30 "J'aime mieux être un météore superbe plutôt qu'une planète endormie", Une vie, une uvre, par Geneviève Ladouès, 14 décembre 1989, 1h30 - France Culture, série "Jack London, naissance d'un écrivain", 8 épisodes d'une demi-heure, novembre 2016, par Yves Simon, auteur de Jack London : le vagabond magnifique - France Inter, Le Temps d'un bivouac,"Les mille et une vies de Jack London", par Daniel Fiévet, 16 août 2017, 54 min |
|
Des biographies | |
- Francis Lacassin, Jack
London ou l'écriture vécue, Christian Bourgois,
1994 - Jennifer Lesieur, Jack London, Taillandier, 2008, Prix Goncourt de la Biographie ; Libretto, 2012 - Yves Simon, Jack London : le vagabond magnifique, éd. Menges, 2009 - Bernard Fauconnier, Jack London, Folio biographies, 2014 |
|
Des sites | |
- jack-london.fr
animé par Noël Mauberret, président de l'Association
des Amis de Jack London et directeur de collection aux éditions
Phébus, où il a supervisé la réédition
des uvres complètes de Jack London. - jack-london.net site américain animé par Helen Darcy Abbott, descendante d'une des deux filles de Jack London et sa première épouse, Elizabeth Maddern |
Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme
au rejet :
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à
la folie
grand ouvert |
beaucoup
¾ ouvert |
moyennement
à moitié |
un
peu
ouvert ¼ |
pas
du tout
fermé ! |
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