Quatrième
de couverture :
Orlando, ce sont les mille et une vies dont nous
disposons, que nous étouffons et qu'Orlando seul libère,
car il lui est donné de vivre trois siècles en ayant toujours
trente ans. Jeune lord comblé d'honneurs, il est nommé ambassadeur
en Turquie, devient femme et rejoint une tribu de bohémiens, puis
retourne vivre sous les traits d'une femme de lettres dans l'Angleterre
victorienne.
Quatrième de couverture : Roman à clefs multiples, Orlando est essentiellement le roman de l'androgynat, l'histoire d'un homme qui devient femme, une allégorie qui est un aveu, une biographie où s'abolissent les limites des deux sexes en même temps qu'une réflexion sur l'esthétique littéraire comme moyen de subvertir l'ordre prétendu immuable du réel.
Une BD : Orlando de Delphine Panique, éd. Misma, 2013, 220 p. noir et blanc. Une dizaine de pages en ligne ICI. Interview à France Culture de l'auteure LÀ |
Virginia Woolf (1882-1941)
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Cindy
Françoise D Jean
Lisa Olivier
Suzanne |
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Dans l'ancien groupe
Avant
notre séance et après avoir lu le livre,
nous avons visionné le film Orlando
de Sally Potter sorti en 1992 et qui remporta 9 prix (bande
annonce ICI,
notes sur l'adaptation du roman par la réalisatrice en anglais
LÀ).
Nous avions lu antérieurement
: en 1987 Mrs Dalloway,
en 1990 La promenade au phare,
en 1993 nous avions déjà lu Orlando
(il y
a 26 ans donc), en 2000 Une
chambre à soi, l'été 2012 des livres de Virginia
Woolf et du groupe
de Bloomsbury et de Vita Sackville...
Sont
toujours avec nous et survivent de ces lectures précédentes
de Woolf : Annick A, Annick L, Brigitte, Claire, Geneviève, Henri,
Jacqueline, Manuel, Monique M, Rozenn. Se souviennent-ils de leurs
réactions ? Est-ce eux ou Virginia qui a changé ?...
Françoise D (avis
épuisé transmis)
Je ne pourrai venir voir le film ni ne viendrai vendredi : j'avoue que
je cale sur Orlando, j'en suis à 25% et j'en peux plus.
Finalement c'est peut être mieux de lire une bonne traduction plutôt
que la VO. M'étant forcée à aller jusqu'au bout de
Cosmos, là je dis STOP au masochisme.
Manuel(avis
en cours transmis)
La traduction et les notes magacent et rendent pénible la
lecture dOrlando alors que javais gardé un excellent
souvenir de ma
première lecture. Quel est lintérêt dans
les notes de faire remarquer les correspondances avec le château
de Knole ? Vita ? Je ne vois pas... Était-ce vraiment
le projet de Virginia Woolf ? Jen doute... Orlando reste dans
mon souvenir un éternel adolescent... agaçant parfois mais
plein dhumour. Je vais quand même terminer ma lecture... ou
retrouver mon ancien exemplaire. Bonne soirée à tous.
Etienne
(avis transmis)
Mais quelle étrange uvre ! À ce jour, difficile de
vous dire si je l'ai appréciée ou pas, tant mes impressions
ont été chahutées, à l'image du navire de
Shelmerdine tentant de franchir le Cap Horn, pendant cette lecture :
amusement, ennui profond, pâmoison devant une fulgurance de l'esprit,
enivrement sensoriel, puis de nouveau l'ennui, etc. Il faut vous dire
que je n'avais lu que Mrs
Dalloway de Virginia Woolf et que naïvement j'attendais quelque
chose dans le goût de La femme
changée en renard de Garnett (lecture fort appréciée
par ailleurs).
Que puis-je donc retenir d'Orlando ? Et bien je dirais peut-être
cette restitution plutôt réussie que chacun peut vivre et
avoir mille vies ; que les siècles s'écoulent mais
que les passions humaines (la recherche de la "gloâr")
restent les mêmes ; que la contemplation de la nature demeure
un puissant remède à la mélancolie. Bien d'autres
idées exprimées restent toutefois, volontairement ou non,
obscures et j'imagine nécessitent une exégèse approfondie.
En effet, je suis, comme l'autrice, assez surpris par le succès
de ce livre. C'est une lecture exigeante, voire difficile à bien
des égards, qui peut donner le sentiment d'être décousue.
D'abord, le fil narratif est extrêmement dur à suivre :
sauts temporels incessants, faits majeurs brièvement évoqués
(Comment ? Orlando est enceinte ?). Ensuite, il y a ce style
volontairement soutenu au mieux, voire emphatique ou boursoufflé
par moment. Quelle est son utilité ? Par exemple dans une
uvre comme Le
rivage des Syrtes, l'écriture participe pleinement à
la compréhension de cette dernière. Alors c'est pour nous
faire sourire ? Peut-être un peu, mais ce livre a manifestement
plus d'ambition. Virginia Woolf me paraît tout de même un
peu suspecte de vanité dans cette histoire et j'ai régulièrement
eu l'impression d'une démonstration de force érudite légèrement
cabotine au travers de ces lignes.
J'ouvre donc Orlando à moitié car je n'ai pas boudé
mon plaisir à de nombreux moments savoureux, que nombre d'idées
sont brillamment introduites, mais qu'il m'a semblé inachevé
ou insuffisamment conçu. Je suis donc impatient de lire votre herméneutique !
Jacqueline(avis
transmis)
En général, plus de 300 pages ne m'effraient pas, mais j'ai
trouvé dur de me retrouver face à cette "biographie"
qui s'étend sur plusieurs siècles alors que je suis aussi
ignorante en histoire et encore plus en histoire anglaise ; en culture
anglaise et encore plus en poésie anglaise
, même en
étant soutenue par le crédit accordé à la
revendication féministe de l'auteure et par tout ce que j'avais
découvert d'elle et du groupe
de Bloomsbury l'été
que notre groupe lui avait dédié.
J'avais cherché en bibliothèque la traduction recommandée
par Claire qui était partout empruntée. Ce livre était
donc très demandé ! Parallèlement, je pensais
à l'éducation originale de Virginia, libre dans la bibliothèque
de son père et j'ai découvert qu'Orlando était
notre Roland, j'ai découvert avec beaucoup de plaisir l'Orlando
furioso de l'Arioste, une chanson de geste tardive pleine de vie et
de rebondissements ! J'ai aussi mis le nez dans Comme
il vous plaira que je confondais un peu avec une autre comédie
de Shakespeare, vue à Avignon
. jusqu'à ce que je trouve
l'édition de la Pléiade
avec la bonne traduction. J'ai mis alors mes difficultés de lecture
sur le compte du papier bible et me suis décidée à
l'acheter
Les notes, analogues à celles de la Pléiade
(peut-être les mêmes), m'ont rapidement convaincues que ce
roman atypique ne devait son existence qu'à celle de Vita et à
l'amour que lui portait Virginia
, comme les photos qui illustrent
l'édition originale font toutes référence à
Dorset ou à des épisodes de la vie de Vita. Peut-être
influencée par des commentaires qui, ailleurs, le réduisaient
à une dimension transgenre, je ne voyais pas son intérêt
en temps qu'uvre littéraire...
Je crois par ailleurs que la part d'humour m'a complètement échappé
(peut-être quand même le plaisir de porter des jupes en pou
de soie ou la vague impression d'une énorme charge contre l'aristocratie
anglaise...).
Le film, ses images merveilleuses rendant vie à l'invraisemblable,
la nécessité où il était d'élaguer
trop de péripéties m'a beaucoup plu, en me permettant de
réinvestir cette histoire dont je n'avais pas trouvé le
fil : les ongles noirs de la vieille reine Elisabeth du film faisaient
écho à la main "mémorable" longuement décrite
par Virginia ; comme les images du film au récit de la reine
"culbutant" Orlando "parmi les coussins où ces femmes
l'avaient installée". Cela pourrait, me semble-t-il, ouvrir
une réflexion intéressante sur "genre", pouvoir
et revendication féministe !
Malheureusement, le temps m'a manqué pour relire le livre et y
trouver ce que je n'avais pas pu y voir ou ce à quoi je n'avais
pu être sensible. J'en reste donc à l'avis de ma première
lecture : ouvert un quart plutôt que fermé, à
la fois parce que, sans qu'il me plaise, je l'avais lu jusqu'au bout,
mais surtout par révérence envers son succès et par
reconnaissance envers les presses Hogarth et le soutien de Léonard
Woolf
Quand je n'avais pas vu le film, j'avais prévu de me débarrasser
de mon exemplaire de poche. Je ne le ferai pas, par contre, avant de l'avoir
relu, d'en avoir apprécié l'humour et parce qu'il me semble
que j'y trouverai autre chose qu'à la première lecture sur
la littérature, sur la place de l'écrivain et son rôle...
Claire
Incroyable, le rôle du film...
Monique L
Cet écrit est difficile à classer. C'est à la fois
un pastiche de biographie romancée, un roman fantastique et historique,
une satire sociale et une critique ironique de la littérature anglaise.
Je trouve cet ensemble réussi et cet enchevêtrement de genres
donne à cette uvre son originalité et sa richesse.
J'aime beaucoup les uvres inclassables si elles sont de qualité.
Virigina Woolf s'amuse à confronter des sources fictives, des témoignages
lacunaires, parodiant le travail des historiens. Ce qui m'a principalement
marquée, c'est la place du temps dans cette uvre. Un temps
inconstant et élastique où le personnage vieillit au ralenti.
Les heures sont marquées, le passage des époques est accéléré,
des horloges sonnent. L'heure de minuit est chaque fois celle des événements
importants émaillant le récit, jusqu'à sa conclusion.
Orlando se caractérise également par la nostalgie,
le retour permanent aux demeures, lieux de l'enfance, de la jeunesse,
à la maison natale, le long du déroulement des siècles.
C'est une quête des racines.
Il est également question de littérature et d'écriture :
le rôle de la poésie, la difficulté d'écrire,
une critique ironique d'auteurs reconnus. Il est à noter qu'Orlando
développera véritablement ses talents d'écrivaine
et ne sera reconnue qu'après avoir été homme et femme.
Il y est beaucoup question de nature et d'animaux, ce qui pour moi n'est
pas surprenant car très anglais.
Et bien entendu, c'est ce qui est le plus connu, Orlando fait une
critique du système binaire des sexes : travestissement, androgynie,
transsexualité, bisexualité, transgenre, banalisation de
l'homosexualité, marginalisation de l'hétérosexualité.
Je soulignerai deux points :
- C'est avec l'arrivée du XIXe siècle, qu'Orlando ne peut
plus fuir le mariage ; elle doit se soumettre à l'esprit du siècle.
(Le pseudo-biographe fera de ce mariage une parenthèse dans la
vie d'Orlando, tout comme son expérience de la maternité).
- C'est au moment où Orlando, après avoir été
homme devient femme qu'elle découvre que le monde n'est pas le
même selon que l'on porte une jupe ou un pantalon. C'est alors qu'elle
se travestit en homme pour se rendre seule dans les lieux publics ou pour
bavarder la nuit avec les prostituées alors qu'Orlando homme ne
s'était jamais travesti.
Ce qui est intéressant et en tout cas, m'a beaucoup plus c'est
la voix narrative du pseudo-biographe qui est très présent.
Il s'adresse directement au lecteur et donne régulièrement
son point de vue par des remarques. Certaines sont pleines d'humour. À
mesure qu'Orlando prend conscience des contraintes des femmes, la voix
se fait plus malicieuse et polémique face à la vision androcentrique
du monde.
Le roman s'achève avec nostalgie par la perception et l'évocation
nocturne de paysages et d'autres fantômes du passé et au
douzième coup de minuit.
Malgré certaines longueurs, je ne me suis jamais ennuyée
à la lecture d'Orlando. J'ouvre aux ¾.
Richard
J'en ai lu 60 % et le reste en lecture rapide.
Claire (à Richard toujours écossais et grâce à
qui nous venons juste de programmer
un roman écossais)
Tu l'as lu en anglais ?
Richard
Oui, et ce n'est pas pour cela que j'ai compris davantage. J'ai eu à
prendre mon dico. Mais ce n'est pas le problème. Si un écrivain
sortait ce livre aujourd'hui, aurait-il du succès ? Serait-il
compris ? Et il n'y a pas de groupe de Bloomsbury aujourd'hui.
Annick
Tu veux dire que c'est très daté ?
Richard
Daté oui, hors du temps. Si on aborde le livre comme une histoire,
oui c'est une biographie. Mais les personnages sont assez plats, il n'y
a pas de caractérisation. On est accroché, empêché
d'avancer par des phrases qui font contre-sens.
(Regards interrogatifs...)
Richard
Je vais rechercher un exemple. C'est daté oui. Ça ne maintient
pas. Si on prend un passage qu'on examine, oui il y a des lumières,
mais c'est trop difficile sur la longueur. C'est donc de l'insatisfaction
que je ressens. À la fin, j'aimais mieux car la fin s'approchait...
J'ouvre un quart pour un certain intérêt.
Ah oui
j'ai passé une partie de mon enfance à Richmond
où se passe le début du roman et j'habitais même à
500 m de Road Sheen, qui est mentionnée dans le livre et j'ai
été au Sheen Grammar School (l'ancienne orthographe était
Shene).
Bref, cela me fait penser que la version anglaise d'Orlando est
très étudiée, annotée.
Fanny
Je suis très loin d'avoir tout compris. Si certains moments se
méritent, je ne me suis pas ennuyée. Et j'ai trouvé
du plaisir sans effort. C'est bien écrit, il y a de beaux passages,
par exemple quand le nuage arrive sur Londres. C'est très visuel :
la Tamise gelée, puis le dégel brusquement, cela m'a paru
invraisemblable. J'ai bien aimé l'écriture.
Il y a un décalage avec le biographe qui intervient : c'est plaisant,
mais parfois ça casse le rythme et il m'a alors été
plus difficile de me replonger dans la lecture. J'ai cependant apprécié
ce procédé.
J'ai aimé les passages sur l'écriture, notamment quand il
s'essaie à écrire puis que le maître le saborde. Je
n'ai pas trouvé comme Monique qu'il pouvait écrire après
avoir vécu dans les deux sexes ; pour moi son écriture
est la même, c'est le jugement porté par me maître
qui diffère, probablement parce que c'est un autre siècle
où que le regard du maître a changé.
Je suis un peu déçue par la transformation en femme. C'est
trop vite balayé. Elle s'endort, se réveille femme :
je suis restée sur ma faim. Elle accouche, très bien, OK,
on ne l'a pas vue enceinte. Rien sur le bébé : c'est un
peu court.
J'ouvre aux ¾. Ma fille a vu que je lisais Virginia Woolf, elle
me dit : ah tu lis Virginia Woolf "faut
que je le lise, c'est une féministe" (ça
semble branché...), tu veux le livre, ah non pas celui-là
Richard
En 1928, le public a pu être choqué. L'amant
de Lady Chatterley a été interdit jusqu'en 1960.
J'ai retrouvé un exemple de phrase problématique : "Thus
confronted, she stared at Orlando with a stare in which timidity and audacity
were most strangely combined." (traductions
ici) C'est contradictoire, timidité et audace.
Catherine
Ah bon ?
Fanny
La fin je n'ai pas bien compris.
Annick L
J'ai l'impression d'avoir vécu une expérience de lecture
inédite, bizarre. J'avais lu
La promenade au
phare, Une
chambre à soi, et
Mrs
Dalloway
que j'avais adoré. J'avais aussi vu, il y a longtemps,
Orlando
avec Isabelle Huppert, dont je garde un souvenir ému. J'étais
donc très contente de lire Orlando. Malheureusement j'ai trouvé
la lecture de ce livre difficile, vraiment, et je me suis souvent ennuyée.
J'ai bien apprécié l'avis d'Étienne, dans lequel
je me suis reconnue. Mais, pour résumer mon avis personnel, voici
ce que j'aime : il y a beaucoup d'humour et d'ironie, avec des saillies
relatives aux autres écrivains, à la société
anglaise, aux différentes époques ; le personnage d'Orlando
est extraordinaire, quel panache, quelle liberté (un non-conformisme
précurseur - au tout début du 20e siècle -
par rapport à la différence des sexes et à la condition
imposée aux femmes) ! J'aime aussi cette dimension du roman
d'aventures à travers les âges, pleine de péripéties
incroyables - par exemple son escapade en Turquie avec les Bohémiens,
loin de la "vie civilisée". Il y a d'ailleurs quelques
scènes inoubliables comme celle du dégel sur la Tamise (une
catastrophe bien réelle au début du 17e siècle)...
Richard
... oui en 1603...
Annick
... ou du changement de siècle qui se glisse un soir à la
tombée de la nuit. Dommage que tout cela soit noyé sous
un fleuve de descriptions (Virginia Woolf adore les énumérations
)
et de monologues intérieurs, de réflexions sur l'amour,
le sens de la vie, la société, la littérature, etc.
Ça donne un côté boursouflé, emphatique. Je
n'aime pas non plus les intrusions constantes de la narratrice, ça
coupe le fil de l'histoire, j'en avais assez. Trop c'est trop ! Peut-être
que c'est un style daté, comme le disait Richard ? Je ne sais pas.
Comment "ouvrir" ? Je suis partagée car j'aime le
personnage de Virginia Woolf, ce qu'elle représente. Disons
à moitié.
Fanny
On peut aussi lire ce livre dans une dimension historique, sociologique.
Monique
Pour moi ce n'est pas un roman.
Fanny
Il y a des passages très romanesques.
Monique
Moi je distingue romanesque et roman, cela ne relève pas forcément
de la même chose. C'est une biographie romancée. Je vois
plutôt un mélange de genres, c'est ce qui m'a plu.
Annick
Moi j'aurais préféré que ce soit un vrai roman. En
fait c'est plus un prétexte pour disserter sur plein de sujets.
D'où le fait que le genre soit aussi flottant.
Monique
Ce qui me plaît est que ça ne soit pas attendu.
Denis
Est-ce que tu aimes le nouveau roman ?
Annick
Non, mais j'aime les formes contemporaines. Ici il y a une forme de surabondance
qui me gêne. C'était déjà le cas dans La
saga de Youza que la plupart d'entre vous aviez aimé l'année
dernière.
Catherine
Je n'ai pas tout à fait fini, j'ai lu la fin rapidement. Je ne
pensais pas que ce serait aussi long. J'avais lu Mrs
Dalloway, Une
chambre à soi que
j'avais beaucoup aimés. Je m'attendais à un livre assez
proche alors que c'est très différent. J'ai lu toutes les
notes et du coup ça m'a pris du temps. J'ai aimé les lectures
multiples qu'on peut en faire. C'est un roman d'aventures et une biographie,
ou plutôt une pseudo- biographie. Le narrateur intervient beaucoup
et ça rompt un peu le fil. Il y a des côtés romanesques.
Et des pages extraordinaires de description : le grand gel, la reine
Elisabeth, la cour, la nature, le passage aussi à l'époque
victorienne quand il se met à pleuvoir et qu'il y a du lierre partout.
Ça correspond au moment où elle veut se marier. Il y a un
côté historique, des références à la
littérature anglaise ; heureusement qu'il y a des notes car
je connais mal cette littérature. Ces références
historiques et littéraires m'ont intéressée.
C'est très drôle aussi. Je me demandais si c'était
sérieux. Si ce n'était pas un pastiche. La description des
trois écrivains par exemple est très drôle.
C'est à la fois daté et novateur. Sur les femmes, le genre,
c'est très moderne. C'était sûrement choquant à
l'époque. Oui le style est parfois très (trop) emphatique.
Et il y a des moments obscurs. Mais le personnage est fascinant. C'est
un livre foisonnant, marquant. Je suis contente de l'avoir lu. J'ouvre
aux ¾. C'est une expérience de lecture. Un livre inclassable.
Qui ne laisse pas indifférent.
Annick
Traduire un livre pareil doit être très difficile.
Séverine V (une nouvelle
Séverine dans le nouveau groupe impose cette consonne)
Je rejoins Annick. Je me suis profondément ennuyée. Je suis
allée jusqu'au bout, car c'était pour le groupe et parce
que c'était mon premier Virginia Woolf. J'étais prête
à lâcher. Et puis quand il se change en femme, ça
m'a donné envie de continuer.
C'est comme si elle avait eu une idée révolutionnaire, mais
du mal à tenir sur la longueur. J'avais vu le film Vita
et Virginia...
Claire
... qui donne envie de lire Orlando, n'est-ce pas ?
Séverine
Oui. Et je rejoins Etienne sur la construction. Il y a des saillies en
effet, mais c'est pas travaillé. Sur la fin, ça s'essouffle,
comme dans le film d'ailleurs. Je suis déçue. Le personnage
s'isole comme homme, et me fait penser à À
rebours. Certes, le personnage est fascinant.
C'est daté et sur les femmes c'est révolutionnaire, je suis
d'accord.
Un mauvais point, pour moi : j'ai horreur des romans qui parlent
d'écriture. Péniblement je me disais il me reste encore
tout ça à lire, c'était très dur
Comme
parfois, on a là aussi envie de dire : mais qu'a fait l'éditeur !
Claire
L'éditeur, c'était elle-même
Annick et Catherine en chur
Aujourd'hui l'éditeur ferait quelque chose !
Séverine
J'étais donc perturbée et avais envie de "fermer"
le livre... Non, car il y a une bonne idée mais l'exécution
pêche. Globalement donc je me suis ennuyée, mais de façon
différente qu'avec Cosmos.
C'est beaucoup plus poussif. Je me demande quel serait laccueil
si on anonymisait la couverture, si on ne savait pas que cest un
Woolf : ne se dit-on pas que ça doit être bien car cest
elle ? Et chose surprenante aussi, javais limage dune
intellectuelle, donc je mattendais à quelque chose de très
"intello" et en fait non
Claire
Orlando a tout pour me plaire : j'aime la fantaisie qui préside
au projet, l'idée de changement de sexe, de changement d'époque,
les points de vue nettement féministes, l'humour souvent présent,
le jeu avec le narrateur et le genre (biographique), la langue dense,
les formules ("bonheurs d'écriture"), les illustrations
mystérieuses puis qui s'éclairent (voir ci-dessous)
; et l'édition Folio fournit des tas de notes intéressantes.
Allais-je enfin rejoindre ceux qui aiment Virginia Woolf romancière ?
Il n'en a rien été : chaque page, qui contient un élément
qui me plaît, me tombe littéralement des mains, comme s'il
y avait une pâte pleine d'insignifiance qui m'envahissait. Je suis
plombée par la vacuité qui me submerge. Je me mets rapidement
à sauter des pages pour voir ce qui se passe et
qui s'avère sans aucun intérêt. Je retombe régulièrement
sur un élément qui me plaît et aussitôt, continuant
ma lecture de la page, le délaissement s'impose à moi. Il
en a été de même pour tous les livres lus avec le
groupe, Mrs Dalloway, La
promenade au phare, Une
chambre à soi et j'ai relu mon avis datant d'il y a 26
ans sur Orlando : je disais ne rien comprendre à Orlando
du
fait de mon petit qi ; cette fois je comprends car j'ai vu des adaptations
(deux au théâtre, une au cinéma), mais je n'adhère
toujours pas, mais pas du tout. J'ouvre un quart, par... sympathie.
Par contre, j'aime toujours Flush,
la biographie d'un chien qu'elle a écrite, et tous ses écrits
qui ne sont pas de la fiction : articles, textes théoriques ;
sa vie et le groupe de Bloomsbury me
fascinent toujours autant.
Je sors du livre, pardon, pour vous lire la fin de son texte "Comment
devrait-on lire un livre ?" où Virginia Woolf imagine
qu'à l'aube du Jugement dernier, "lorsque
les grands conquérants, législateurs, hommes d'État,
viendront recevoir leur récompense leurs couronnes,
leurs lauriers, leur nom gravé pour toujours dans le marbre impérissable ,
le Tout-Puissant se tournera vers Pierre et lui dira, non sans une certaine
envie, lorsqu'Il nous verra arriver avec nos livres sous le bras : Regardez,
ceux-là n'ont pas besoin de récompense. Nous n'avons rien
à leur offrir. Ils ont aimé lire"...
Denis
Je n'avais aucune idée préconçue sur Bloomsbury et
Virginia Woolf. Mon premier contact a été une déception :
je n'avais aucune envie de lire un roman historique. Et comme je ne connais
rien de l'histoire anglaise, il me manquerait tout le fond culturel pour
comprendre l'oeuvre. Après une trentaine de pages, je me suis senti
découragé et j'ai eu envie de laisser tomber. Mais ayant
appris qu'elle était un peu folle et que l'écriture était
pour elle un moyen d'échapper à la folie, cela a changé
mon regard sur le texte. Je me suis dit que cela valait sans doute le
coup d'insister et je me suis trouvé beaucoup plus indulgent envers
les bizarreries du "roman".
J'avais vu le film Mrs
Dalloway, mais n'en ai aucun souvenir à part la noyade
dans l'étang.
Annick
... y a aussi le film The
Hours qui évoque Mrs Dalloway.
(Du coup nous programmons Les
heures de Michael Cunningham, dont nous pourrons regarder l'adaptation...)
Denis
Par ses qualités visuelles, le film Orlando
m'a apporté beaucoup de représentations qui me manquaient
pour faire vivre les personnages en accord avec le texte, notamment les
costumes et les scènes de cérémonial.
Quant à la structure du livre, j'ai encore été indulgent
vis-à-vis des longueurs, des passages pompeux. En général,
j'aime bien les descriptions, donc là, j'étais servi. Comme
je ne suis pas un fétichiste de la lecture en continu, je ne me
suis pas gêné pour grappiller les passages qui me plaisaient.
L'intrigue n'est pas bien compliquée et les résumés
qu'on trouve partout m'ont suffi pour situer mes "morceaux choisis".
Dans l'ensemble, j'ai aimé son écriture, il y a quelque
chose d'hypnotique qui m'a saisi, j'ai été pris. Et il y
a de l'humour. Par exemple, il y a des énumérations à
n'en plus finir alors qu'elle critique celles de Pope. Mais j'ai lu le
livre comme des morceaux choisis. J'ai écouté Isabelle Huppert
dans un extrait
d'Orlando et je reconnaissais des phrases que j'avais lues et donc
qui m'avaient marqué.
J'ouvre aux ¾ car c'est totalement original. Pourquoi ce livre
a-t-il eu tant de succès ? Qu'est-ce qui était novateur
chez Virginia Woolf ?
Claire
C'est le stream of consciousness, le monologue intérieur,
après Proust et Joyce
Annick
Oui, mais ce qui est bizarre c'est que Virginia Woolf l'avait aussi largement
utilisé dans Mrs Dalloway, où il ne se passe rien,
et que là je m'étais sentie concernée. Pareil chez
Marguerite Duras
Denis
J'ai beaucoup aimé les changements de point de vue qu'amènent
les changements de sexe. Les moqueries féministes vis-à-vis
des hommes sont un régal. J'ai aussi beaucoup aimé la période
où elle s'aperçoit qu'elle peut contrôler elle-même
ses changements de sexe.
Annick
C'est effectivement très intéressant intellectuellement,
mais sans plus.
Monique
Le film m'a beaucoup moins plu que le livre.
Séverine
Moi pareil. En fait, il est à limage du livre pour moi. En
tout cas le prince charmant, ça c'est quelque chose ! La réalisatrice
a dû bien samuser dans cette caricature
cest assez
féministe car cest un homme qui a le rôle de la jolie
potiche...
Catherine
Si on n'a pas lu le livre, on ne comprend pas le film.
Denis
J'ai cherché des critiques sur le film, il est vraiment passé
inaperçu en 1992
Claire
J'en ai trouvé une, petite
et rigolote
Denis
Le film a coûté 4 millions de dollars et en a rapporté
5
Richard
Et l'apparition de l'oie sauvage dans les derniers mots, quelle en est
signification ? ("It
is the goose !" Orlando cried, "The wild goose
")
Denis
C'est l'image de la liberté, comme Le
merveilleux voyage de Nils Holgersson
Lisa (découvrant
les avis après la séance)
Je ne suis pas venue parce que je n'arrivais pas à le finir...
Ennui mortel pour moi aussi ! Et comme d'autres, je me suis demandé
si le livre aurait le même succès s'il n'y avait pas "Virginia
Woolf" sur la couverture.
Mais la différence avec le nouveau groupe est frappante :
NETTES DIFFÉRENCES
ENTRE LES 13 AVIS DE L'ANCIEN GROUPE...
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Anlon(avis
transmis)
Enfin, une lecture issue de ce groupe à mon goût. Orlando
atteint le paroxysme de ce que j'estime être le parangon de la littérature :
un style lyriquement passionnel et une intrigue vitale font de cette uvre
une délectable lecture dans laquelle il est susceptible au lecteur
de se perdre, tellement l'écriture est édénique,
tellement elle est paradisiaque, jusqu'à oublier les nécessités
de sa vie terriblement terrestre.
En effet, cette perceptibilité du monde et de la manière
par laquelle l'Homme interagit avec celui-ci, ce pouvoir d'introspection
fine, infiniment magnifiée jusquà ce qu'en émerge
l'élégance d'autour de soi, ce pouvoir d'autopsie de soi
idéalisée, extériorisée, et reflétée
sur son entourage : ce pouvoir qui appartient seul aux poètes
- les vrais dieux de ce monde -, et l'expressivité intérieurement
émotive d'Orlando, donnent une éblouissante beauté,
comparable seule au génie et à la délicatesse de
Proust, à cet astre littéraire.
Je trouve ainsi l'acmé de mon échelle appréciative
et, après avoir ouvert cette uvre en entier, je ferme tous
les autres d'un cran.
Marguerite(avis
transmis)
Avec des premières allures de roman historique, nous voilà
à remiser notre incrédulité, et partis pour suivre
Orlando, nimbé d'une lumière cristalline, sur les sentiers
d'une si vaste propriété anglaise. Une sorte de tapis volant
géographique qui traverse les âges. En 317 pages, nous
vieillissons de trois siècles avec un personnage qui ne prend pas
une ride, mais qui devient femme après avoir été
un jeune homme et dame le pion à un biographe qui peine à
le suivre. Point d'ancrage spatial, temporel et d'écriture :
un grand chêne, au faîte de la grande maisonnée, et
dont Orlando a besoin de sentir les puissantes racines sous son ventre
et ses cuisses. Cette nature profonde qui résiste si bien à
l'écriture. Un chêne qu'il porte ensuite contre sa poitrine
sous forme de long poème, un long poème de trois siècles
dont Orlando, devenue ELLE, se défait et remet à un éditeur
pour impression. Car ELLE écrit et lorsqu'elle cesse d'écrire,
elle se surprend de voir dans cette bulle du temps que le monde a continué
de tourner, comme il aurait si bien pu tourner
sans elle. Le vertige
nous saisit presque à chaque page d'une écriture qui ouvre
tous les abîmes, comme ceux de ces petits lacs noirs, enfouis dans
la cervelle où se reflètent le monde, les arts, la culture.
Orlando, Il et Elle dans le monde et le monde en Lui et en Elle. Revenons
au chêne, avec Orlando vers lequel la jeune femme qu'il est devenu
retourne se jeter à ses pieds, non pour s'y endormir, mais avec
cette fois avec un cri du cur : elle ne se mariera jamais
si ce n'est avec vent, la forêt, la terre auxquels elle appartient
et aux mousses sur lesquelles elle laisse reposer sa joue, doucement.
Et voilà que lors de ses sensuelles épousailles apparaît
Shelmerdine, chevalier presque ailé, presque mythologique, caparaçonné
pour traverser les géographies de la terre, s'arracher au cap Horn
qu'il s'épuise à défier. Il vient enlacer Orlando
dans une noce qui invente un nouveau babil, cette langue qui déjà
manquait pour parler à Sasha. Un concentré d'amour. Le désir
à l'état pur. Désir qui pousse vers l'autre, désir
qui pousse à être autre et sans cesse se transformer, désir
qui pousse l'autre vers soi. Mouvement perpétuel. L'alliance.
Dans sa première existence, Orlando jeune prince se laisse enchanter
- désenchanter par le mirage d'une princesse - câtin
russe qui lui glisse entre les doigts lorsque minuit sonnent ! Et
nous voilà au cur d'un conte de fée inversé.
Où tout finira mal. Un conte qui gèle tout au moment du
grand dégel. Le biographe peine à suivre mais il suit, empêtré
qu'il se trouve dans ses siècles de références livresques.
Or, l'écriture va prendre le pas sur la biographie et tout bascule
dans la tempête de ce premier douzième coup de l'horloge.
Conte et décompte, Lui Orlando nous plonge dans la dystopie d'une
solitude amère où l'écriture appelle : il deviendra
ELLE. Au terme d'un septième jour d'une insurrection sanguinaire,
dans un doux zéphire planant sur son sommeil. Des anges se penchent
sur le front d'une Re-naissance. Orlando, Elle, arrive dans une parfaite
nudité et connaîtra l'Arcadie heureuse des bergers et des
bohémiens de la montagne, au milieu de brebis. Du conte dystopique
nous voilà grimpant sans coup férir les collines bibliques.
Et lui qui était prince de sang devient bergère gardienne
des brebis et cueillant du raisin. Prince des villes et des cours, la
voilà près des chèvres et des torrents dans l'innocence
du rire. Lui qui était le silence devient si bavard avec Elle.
Et Elle devient la femme qui regarde l'homme qu'elle fut. Au point que
devenue Elle, Orlando est saisi à nouveau par Sasha. Quelles pages
admirables sur un être devenu Deux en Un. Il/Elle accomplit le couple
et se rejoignent au delà de toutes les méconnaissances,
il n'y a plus de "Mal-Entendu". Ils se connaissent si bien l'un
l'autre ! Si semblables en somme. "Si
Milord était devenue une lady, elle n'en avait jamais vu de plus
gracieuse et puis rien de ne les distinguait l'un de l'autre : tout deux
étaient si beaux, ils se ressemblaient comme deux gouttes d'eau."
Mais la voilà tenaillée soudain par l'ardent désir
"de posséder
une plume et du papier". Il lui faudra quitter le siècle
de l'aube de l'humanité. Revenir dans le siècle des villes.
Qu'importe, Milord revient en Milady, et se poursuit au château,
les cheminées ont une vie propre, le chien bouscule l'ordre de
la cérémonie, les cerfs qui bramaient à la lune entrent
tout comme les chiens de chasse et se dispersent à l'intérieur.
Interpénétration.
De villes en villes, de siècle en siècle, Orlando et son
écriture traversent et tordent le grand oxymore qui tient tout
le livre : "Chacun
cherche la paix de l'esprit dans l'asservissement de l'autre."
Car l'écriture de ce roman halluciné en conte de fée
est tout entier construit sur des oxymores qui maintiennent la lecture :
une chose et son contraire, chacun va d'autant mieux à son affaire
que nulle voix n'impose quoique ce soit. Sous la plume de Virginia Woolf,
tous les contraires qui clivent le monde en fragments disjonctifs sont
ici reliés par la coordination si intime de l'alliance du masculin
qui devient féminin et du féminin qui accueille le masculin :
singularité et protocole de cour, poésie et biographie,
nature et culture, masculin et féminin, le grand dégel et
la glaciation amoureuse, vérité et domination, amour et
trahison, céder pour résister, revenir pur s'échapper,
une société qui est à la fois tout et rien, la vérité
une affaire de croyance, etc.
A chaque rencontre des contraires passe une ombre dans l'écriture
et sonne un des douze coups à l'horloge. Et au dernier passage
de l'ombre, Elle, Orlando revient appeler Shelmerdine, se jetant au pied
du grand chêne, sur les racines duquel "Elle
chevauchait le monde." Retour à l'incipit du livre
et à "ce château fantôme sur la terre" que
la lune fait naître.
Je me prends à penser et me demande si tout cela ne serait pas
un songe, entre deux sommeils. Le sommeil initial - qui n'est pas
nommé - mais qui au pied du chêne fait que libellules,
freux, et daims dessinent des cercles autour d'Orlando, lui, et de son
immobilité si absolue - et cette nuit de la fin qui monte
avec la lune, qui dessine le château fantôme - sur
la terre est-il écrit - et l'oiseau sauvage et solitaire qui
s'envole au dessus d'Orlando, d'elle et de lui. "Rien
n'existe. Toute l'affaire est un miasme, un mirage" était-il
écrit quelques pages avant.
Comment quitter Orlando sans penser à Alice et Lewis Carroll, ce
songe profond de Virginia Woolf comme un écho ténébreux,
halluciné, fantasque et d'une écriture si radicalement propice
à toutes les transformations qui agitent ce désir qui nous
fait vivre ? Un conte, un roman, une illusion certes ! mais
dont les effets sont eux bien réels.
Grand, grand ouvert bien sûr. Encore une fois merci pour cette immense
découverte et je suis curieuse de vos lectures respectives.
Monique M
C'est grâce à Voix au chapitre que je me suis vraiment plongée
dans l'uvre de Virginia Woolf. J'avais vu Orlando
à l'Odéon dans la mise en scène de Bob Wilson avec
Isabelle Huppert et Une
chambre à soi avec Edith Scob, mais le théâtre
à mon avis ne peut pas restituer toutes les nuances psychologiques
et la puissance de l'écriture de Virginia Woolf. D'autre part,
la théâtralité de la mise en scène de Bob Wilson,
ses couleurs violentes, trahissaient, gommaient, la subtilité de
l'uvre.
Les textes de VW, me semble-t-il, doivent être lus ou entendus dans
leur intégralité pour en saisir toute la puissance, l'exigence
de l'auteur, la passion qui l'habitait, sa folie ou sa grande mélancolie,
qui exacerbaient son talent d'écriture, lui donnant un aspect quasi
divinatoire.
Je vous conseille la réécoute de la magnifique Grande
Traversée consacrée à VW, diffusée sur
France Culture en juillet dernier : on y découvre, en cinq
émissions d'une heure cinquante, l'adolescence de Virginia à
Londres dans le quartier de Kensington, sa fratrie, le Bloomsbury group,
salon philosophique à l'image de ceux de Cambridge, créé
à l'initiative de son frère Toby, où se réunissaient
leurs amis artistes et intellectuels (elle y rencontre son futur mari
Leonard avec lequel elle fondera la maison d'édition Hogarth Press)
et une analyse très fine et documentée de la vie et l'uvre
de Virginia Woolf.
J'ai lu Orlando avec un intérêt grandissant au fur
et à mesure que se déroulait l'intrigue et j'ai été
stupéfiée par le talent de cet écrivain, son audace,
sa modernité, son intelligence, son tempérament impétueux,
passionné, transgressif. Cette traversée des siècles
et des murs de la Grande-Bretagne du règne d'Elisabeth Ier
au 20e siècle pose un regard ironique, vivant, imagé sur
la vie et les personnages de ces différentes époques. On
présente Orlando comme une lettre d'amour à Vita
Sackville-West, grand amour de Virginia dans les années 20, mais
ce livre me semble être avant tout une ode à la bisexualité,
d'où sa construction particulière, cette grande traversée
des siècles avec ce questionnement récurent : "Es-tu
absolument sûre que tu n'es pas un homme ? Est-il possible que tu
ne sois pas une femme ?" qui revient en boucle dans
le livre, comme si de tous temps la problématique en avait été
posée.
Et cette traversée que nous relate Virginia Woolf dans Orlando
est époustouflante de créativité, de poésie,
de vision fantasmée de la nature, de descriptions saisissantes
(par exemple des rues de Londres au 17e siècle : "apprentis,
tailleurs, poissonnières, maquignons, aigrefins, écoliers
faméliques, servantes en guimpe, petites vendeuses d'oranges, palefreniers,
cabaretiers salaces
toute la canaille des rues de Londres était
là, raillant et bousculant, ici jetant les dés, disant la
bonne aventure, poussant, chatouillant, pinçant
. en haillons,
les pieds protégés de la glace en tout et pour tout par
une serpillère entortillée").
Elle porte un regard moqueur sur les habitudes de la petite bourgeoisie,
leurs conversations de salon insipides éternellement recommencées,
centrées sur la goutte de M. X, la visite de Mme Y, critique le
colonialisme, l'enrichissement inutile des classes supérieures.
L'entrée dans le 19e siècle,
avec cette accumulation de nuages noirs au-dessus de Londres, est
saisissante : à la légèreté et la liberté
du 18e siècle vont succéder la pudibonderie et le carcan
de l'époque victorienne. J'aime :
- l'intensité avec laquelle le livre est écrit, cette vibration
sous-jacente à chaque moment vécu qui explore tout à
la fois le contexte extérieur, la situation dans laquelle le personnage
est placé et la foule de pensées et sensations qui l'assaillent
a ce même instant (par exemple le passage où Orlando attend
Sasha pour s'enfuir avec elle).
- l'art de camper les personnages : Elisabeth, Sasha, Greene
- sa vision fantasmée de la nature. Avec un talent de conteuse,
VW élargit l'espace, on sent que la campagne exerce sur elle une
fascination, un attrait irrésistible, constitue un refuge et une
source d'inspiration ; Orlando repose sous un figuier quand "Tout
à coup une ombre..."
- son humour : le dîner très drôle du poète
Greene chez Orlando ou encore le départ d'Orlando de Constantinople :
"C'est à dos
d'âne, suivi d'un chien étique, en compagnie d'un gitan que
l'ambassadeur de Grande Bretagne à la cour du Sultan quitta Constantinople"
- son regard critique sur les valeurs traditionnelles, les normes familiales
: pour les gitans, l'ascendance de 4 siècles de la famille d'Orlando,
n'est rien comparée à la leur qui remonte à 2 ou 3000
ans et la généalogie des Howard et des Plantagenets n'est
ni meilleure ni pire que celle des Smith ou des Jones ; et sa réflexion
sur l'accumulation de richesses et sur les conflits qui naissent entre
personnes aux valeurs opposées...
- son style, très construit, très travaillé aussi
brillant dans les descriptions de personnages, villes ou paysages, que
dans l'exploration des sentiments.
- la fin du roman où, après avoir évoqué les
multiples "mois" qui vivent en une même personne, elle
revit tous les épisodes de sa vie en un grand moment du récit
fulgurant et poétique.
Cela m'a donné envie de lire toute son uvre.
Françoise H
J'ai lu les notes de La Pléiade sur Virginia Woolf. Celles-ci insistent
sur l'aspect biographie auquel était sensible V.W. sous l'influence
de son père. Heureusement que le livre fait un portrait à
travers plusieurs périodes historiques.
En ce qui concerne le rapport hommes/femmes, je trouve qu'il reste dans
la tête des hommes du 20e siècle un peu de paléolithique.
L'épisode des turqueries est très Pierre Loti et est de
l'ordre du fantasme, pas du tout réaliste. Elle fait défiler
les descriptions et les paysages à toute allure. Chaque époque
évoquée dans le livre décrit un type de relation
amoureuse différente. (Il y aura débat là-dessus,
tout le monde n'étant pas d'accord). J'ai beaucoup aimé
ce livre et je l'ouvre totalement.
Ana-Cristina
J'ai beaucoup aimé. Les artistes voient ce que nous ne voyons pas,
comme s'ils percevaient les choses différemment, et le rendent
sous une forme personnelle. Virginia Woolf est un grand poète.
Les passages qui m'ont le plus marquée sont ceux où elle
est dans son flux de pensée ("courant de conscience") :
c'est comme un prisme de couleurs, elle part sur une image qui produit
des explosions d'autres images, comme dans un kaléidoscope. Elle
suit toutes les époques avec leur genre littéraire, tout
en les critiquant. Plus elle se rapproche de sa période, plus j'aime
le livre. J'ouvre en grand.
Anne
Il y a un passage magnifique lorsque le fleuve se craquèle au moment
du dégel. C'est la destruction du monde, les personnages sont sidérés.
Elle est tout le temps dans un imaginaire onirique, des choses présentes
et évanescentes, la poursuite de ce qui a disparu.
J'ai compris la question du transgenre, Virginia Woolf a toutes les sensibilités
autour de ce qui peut se passer dans cette transformation. Elle montre
les habitudes sociales des époques.
Il n'y a pas d'autre, elle est seule. C'est une fuite en avant, la recherche
de l'extase, alternant avec des moments d'effondrement. Elle court après
son identité et elle aime toutes ses identités, elle est
multiple. Quand elle rencontre Bonthrop, enfin elle rencontre quelqu'un
d'autre qu'elle-même.
J'ouvre en grand.
Nathalie B
Avant de commencer Orlando, j'ai lu Ma
vie avec Virginia qui sont des extraits du journal de Leonard
Woolf ; il a partagé presque 30 ans de vie commune avec cette
autrice. Leonard Woolf était lui-même une sacré personnalité,
très engagée dans le socialisme, la lutte contre le colonialisme,
un militant de la paix très impliqué dans la rédaction
des propositions britanniques pour le traité de Versailles qui
donnera naissance à la Société des Nations. Sans
Leonard, il n'y aurait sans doute pas eu de Virginia Woolf dont il a pris
soin quotidiennement. Elle se serait vraisemblablement suicidée
bien avant ses 60 ans s'il n'avait pas été à
ses côtés. Ce roman a réussi à me prendre et
me surprendre. J'aime beaucoup l'écriture poétique de la
romancière, souvent onirique, à la fois douce et dure. J'ai
trouvé sa composition d'une grande intelligence. À la question
de Françoise qui questionne la relation entre les époques
et la construction de l'amour, je dirai pour ma part que ce n'est pas
seulement à travers les époques, mais également à
travers sa propre traversée des âges qu'Orlando construit
sa capacité d'amour après avoir été victime
d'un viol, car c'est quand même un viol même si c'est le fait
de la Reine Elisabeth elle-même. Notre héros croisera d'abord
la passion qui le dévastera avec la trahison, puis les rencontres
sans lendemain, un mariage express avant de devenir femme. Une femme qui
a du mal à choisir entre le être Femme et le être Homme,
dans une société où la liberté est du côté
masculin. Il lui faudra du temps, une cheville brisée, une union
avec la nature, une rencontre avec un homme avec une part acceptée
de féminin, pour se revendiquer femme. Même si le être
femme et le être homme n'est pas plus clair au début qu'à
la fin du roman. "Dans
chaque être humain se produit une vacillation d'un sexe à
l'autre
" Ce roman se disant une biographie de Vita
Sackville-West, certes se veut à la gloire de celle-ci, mais parle
également beaucoup de Virginia Woolf. C'est aussi une belle réflexion
sur l'écriture, son rapport à l'écriture, au mot
juste, à la phrase exacte, un jeu sur l'exercice de la biographie,
le roman romantique, le roman d'aventure... Elle a écrit d'ailleurs
L'art du roman.
J'ouvre en grand.
François
Un très beau roman même si l'écriture est moins stupéfiante
que celle de La
promenade au phare, de Mrs
Dalloway ou de La
traversée des apparences. La voix de Virginia Woolf se
fait tout de même entendre. Difficile de ne pas y être sensible.
Tant il est évident qu'à travers l'histoire d'Orlando on
retrouve celle sous-jacente de l'auteur, avec de nombreux traits de sa
personnalité de femme et d'écrivain. Et c'est ce qui fait
que malgré d'indéniables longueurs et des épisodes
plus ou moins mirobolants, on s'attache à son personnage qui est
un peu (beaucoup) son double. Les conflits qui l'habitent, l'insatiable
quête de soi appartiennent bien à Virginia qui les a magnifiquement
sublimés dans une histoire qui tient surtout par la résonance
et les multiples facettes de l'écriture. Je suis personnellement
très sensible à la poignante mélancolie qu'elle exprime
et à son incomparable vibrato. Sans compter la fulgurance des idées
et des intuitions dans des domaines qui nous occupent beaucoup aujourd'hui.
Sans oublier non plus l'humour extraordinairement décapant dont
elle ne se départit presque jamais et qui est comme on sait "la
politesse du désespoir".
Olivier
J'ai peur d'être un peu rabat joie après tous ces éloges.
J'ai écouté les
émissions sur France Culture sur Virginia Woolf qui m'ont plu,
sa personnalité m'a plu. A cette occasion j'ai entendu une nouvelle
La Mort de la phalène
de Virginia Woolf, magnifique, j'ai été très impressionné.
Je partais donc content de lire Orlando.
Mais je n'ai pas réussi à le lire ! Je n'ai pas entendu
le mot amour ou émotion. Ce livre ne m'a d'ailleurs
procuré aucune émotion. J'ai essayé, j'ai trouvé
des descriptions extraordinaires, intelligentes. Mais elle débite,
elle débite, tout ça ne fait pas un roman. Ça ne
me touche pas. Elle raconte, mais pas d'émotion. Le côté
historique m'a ennuyé à mourir. Elle veut augmenter la réalité,
mais n'y arrive pas, elle montre un paysage de manière intellectuelle.
L'histoire d'Orlando ne m'intéresse pas, les transgenres ne m'intéressent
pas. On ne parle que de sexe, en ce sens, elle est très moderne.
Mais quelle horreur que cette modernité. Qu'elle ait abordé
le problème du genre ne fait pas d'elle un génie.
J'ai eu une difficulté presque physique à lire ce livre,
et ce n'est pas ce que j'attends de la littérature. J'ai souffert
! Je ferme le livre.
David
C'est très bien que le consensus sur ce livre ait été
rompu. Il y a peut être une sensibilité masculine qui s'horripile
de la vision purement féminine de ce livre, sans système
formel, pas construit. Il y a sans doute une liberté de style qui
était révolutionnaire à l'époque, mais pas
de squelette du roman. Un aspect ludique, expérimental, ça
oui, même un aspect conte. Cela me fait penser à Don Quichotte
au féminin, cette quête de soi-même. Pas de restriction
à la liberté, à la folie. Avec la description du
ressenti, elle a tout expérimenté dans ce personnage. C'est
intéressant de voir la possibilité d'être multisexe,
sans morale ni moralisme, avec une désinhibition totale. Pas de
pensée formelle, on peut prendre le livre à n'importe quelle
page, c'est toujours la même musique qui emporte, sans que l'on
sache où. Pour qui aime le verbe, c'est plein de pépites.
Avec ce talent, on aurait pu imaginer autre chose, une quête. C'est
juste littéraire, l'histoire d'une vie. Les femmes ne s'imaginent
pas établir un système à la Balzac ou Dumas. Il y
a beaucoup de choses, quand même dans ce livre, on peut s'y référer.
J'ouvre quand même aux trois quarts.
Séverine G
J'aurais été plus sévère avec ce livre si
je n'avais pas été l'avant-dernière à parler,
mais vous m'avez fait entrevoir des aspects positifs du livre. Je me suis
quand même ennuyée.
Virginia Woolf a écrit ce livre pour se délasser, et il
est très inégal en qualité, avec des passages merveilleux,
mais pas de construction. Il est trop fantaisiste, ce qui rend le livre
ennuyeux. Même quand elle ne fait rien, elle remplit le vide, elle
remplit des pages de variations, alors que d'autres passages sont beaux
et pleins d'intérêt, certains féroces et réjouissants.
Je trouve que c'est plus un livre sur la question de l'identité
que du genre.
Finalement, elle trouve son identité en rencontrant celui qui sera
son mari, en qui elle voit la femme, alors qu'elle sera pour lui un peu
homme. C'est aussi plus une réflexion sur l'écriture que
l'écriture d'un livre. Il manque beaucoup pour que ce soit un vrai
livre. Il y a quelques portraits bien menés d'écrivains.
C'est un livre sur la sensualité (notamment dans son rapport à
la nature) plus que sur l'amour, avec peu d'émotion amoureuse en
tous cas.
J'ouvre à moitié.
Anne-Marie
J'ai eu beaucoup de mal à lire ce livre jusqu'au bout, j'ai souffert
moi aussi, ce livre m'a presqu'énervée par moments. Pourtant
j'étais fascinée par le personnage de Virginia Woolf, et
j'ai toujours envie de lire ses autres livres car elle a beaucoup de talent,
beaucoup de lyrisme, de l'énergie, de l'humour. Ses descriptions
sont très fortes, vivantes. Toutes ces qualités sont gâchées
dans cette divagation ! Était-ce un pari, ce livre ?
Savait-elle où elle allait ? C'est décousu, interminable,
inégal.
Je n'ai pas ressenti une seule émotion, j'ai été
agacée par le héros puis l'héroïne, sa désinvolture
très étudiée, très artificielle, ce personnage
multiple mais faux. On dirait qu'elle a glissé des éléments
de la vie de Vita dans un portrait qui ne ressemble à rien. Je
n'ai pas vu non plus l'homme dans Orlando. À aucun moment, d'ailleurs.
Au début du livre, il est décrit comme joli, délicieux,
charmant, avec de jolies jambes. Il se livre à des comportements
capricieux et fantasques très féminins. Je n'ai pas non
plus senti le passage de l'homme à la femme, c'est juste une phrase,
pas de ressenti réel, pas de différence de sensibilité
entre le personnage masculin puis féminin. Virginia Woolf ne se
met jamais dans ce qui pourrait apparaître comme un comportement
d'homme, la transformation est purement verbale, elle n'existe pas en
dehors de la description des vêtements féminins qui entravent
Par moment elle délire complètement et sombre dans le grotesque,
par exemple : l'épisode du petit bateau qu'elle regarde couler
dans un parc sur la Serpentine croyant voir le brick de Bonthrop couler,
puis elle se rend compte que ce n'est pas cela, elle s'écrit "l'extase,
l'extase" et envoie des télégrammes à son
bien aimé composés de quelques mots-clés mystérieux
pour lui expliquer tout cela : ce texte interminable et loufoque
est confondant d'ennui. Il y a beaucoup de passages de ce genre que j'appellerai
remplissage. C'est très variable.
Par moments on ne sait si elle est dans le rêve, dans la réflexion
philosophique, dans la folie ou les trois à la fois et cela donne
de jolies images obscures : "toutes
nos passions les plus violentes et l'art et la religion sont les reflets
que nous voyons dans le creux sombre à l'arrière de notre
tête lorsque le monde visible est momentanément obscurci".
À d'autres moments, elle nous inflige des considérations
délirantes sur la vie, la pensée, et l'oisiveté de
son héros presque sans vie assis dans un fauteuil et c'est très
très long...
L'intérêt principal du livre à son époque a
certainement été son côté décalé,
iconoclaste, dérangeant. C'est cependant insuffisant à mes
yeux pour en faire un chef-d'uvre. J'ouvre au quart.
Françoise H
Oui, en effet, ce qu'a dit Séverine est juste, c'est un livre sur
les identités (elle parle de ses "mois").
Monique
C'est un livre décousu, une ode à Vita. Elle bâtit
tout autour de sa relation. C'est une uvre qui échappe au
reste des écrits de Virginia Woolf. Ce livre serait une parenthèse.
François
Elle est dans la transsexualité.
Nathalie
Je pense que ce livre, contrairement à ce que jai entendu,
est très construit. Il transmet des émotions, comme par
exemple, le passage où Orlando attend Sasha qui ne viendra jamais.
Quant au genre, c'est aussi une question d'identité.
François
Elle parle aussi beaucoup de l'ennui.
David
Ce livre n'a peut être pas de sens politique pour tout le monde.
Olivier
Le sujet n'est pas bien traité, ce n'est pas un problème
politique. Elle nous balade. Si c'est du féminisme, cela ne me
saute pas à la figure.
David
Si, il y a du féminisme dedans, elle montre sa liberté à
toutes les pages.
Olivier
J'ai d'autant plus été déçu par le livre que
j'avais aimé l'émission
de France Culture sur l'auteur.
François
J'ai été très ému par ce livre, par cette
revendication de liberté.
Ana-Cristina
Elle avait le souci d'écrire avec une sincérité totale.
Même si ce livre n'est pas sur la même ligne que ses autres
romans, on ne peut pas dire qu'elle écrit sans précision.
Son rapport à la liberté n'est pas préconçu
et cela ne vient que d'elle. Elle prenait des risques. A chaque période
racontée, il y a ce que cette période permettait et la réponse
de Virginia Woolf à cette situation.
Séverine
L'image sur son livre, son uvre, qu'Orlando veut enterrer, puis
finalement laisser sur le sol, à la fin du livre, est très
forte. Est-ce qu'un livre a une valeur alors que c'est le livre qu'elle
a porté en elle pendant plusieurs siècles ?
Anne
Je trouve qu'elle n'est en effet pas du tout homme dans ce livre. Elle
ne rencontre jamais le père. Elle est en quête des sensations
de l'enfance. C'est très narcissique comme écriture, elle
veut une liberté totale, refuse de se soumettre à l'ordre.
Katherine(avis
transmis après la soirée)
J'étais déjà mitigée en débutant la
lecture d'Orlando : j'étais heureuse de découvrir
Virginia Woolf dont je n'avais lu aucune uvre, mais la quatrième
de couverture (annonçant l'histoire d'un homme qui se change en
femme) ne m'inspirait pas
Et ça n'a malheureusement pas loupé.
J'apprécie beaucoup le style de Virginia Woolf, et bien que le
rythme soit un peu lent et que le fil conducteur de l'histoire m'apparaisse
difficile à cerner, j'ai bien aimé la première partie
du roman où Orlando homme évolue en Angleterre, mais j'ai
complètement décroché au moment de sa transformation
en femme alors qu'il est ambassadeur en Turquie.
Je tente de finir le roman malgré tout (à l'instar de Cosmos),
mais vient un moment où la beauté de l'écriture ne
suffit plus lorsque l'histoire me paraît fade
J'ouvre au quart
!
Chantal |
Manque d'enthousiasme et morosité ont été les sentiments dominants à la lecture de cette uvre pourtant célèbre de Virginia Woolf, qui nous a paru un peu datée, et qui a prolongé la perplexité que nous avons ressentie à notre précédente lecture de Voix au chapitre (À rebours de Huysmans), Orlando et des Esseintes semblant partager le même mal de vivre.
Nous avons débattu de la forme :
- roman historique ? Assez réussi, nous avons tous aimé
la description du grand gel à Londres au début du XVIIe
siècle, ou les réceptions exotiques de l'ambassadeur à
Constantinople)
- Biographie assez invraisemblable, dont le héros vit 300 ans sans
prendre une ride, ou plutôt autobiographie déguisée :
Orlando exprime en effet les préoccupations existentielles de Virginia
et sa passion pour la romancière Vita Sackville-West à travers
le personnage de Sacha
- ou plutôt à lire comme un conte ?
Expérience littéraire, construction savante et déroutante
pour les uns, pas de construction du tout pour les autres. Style ennuyeux,
phrases interminables, et cerise sur le gâteau, traduction difficile,
ou abondance de notes qui hachent la lecture. Ceux qui n'ont pu échapper
au texte de Charles Mauron, malgré les avertissements judicieux
de Claire, se sont noyés dans des passages un peu abscons.
Pourtant on y trouve aussi de l'humour, comme dans les récits des
rencontres d'Orlando avec la vieille reine Elisabeth Ire. À relire
donc dans le texte original
Mais plusieurs d'entre nous ont calé
avant la fin, quelle que soit la traduction.
Sur le fond, peu nombreux sont ceux qui ont trouvé de l'intérêt
pour le sujet. On y parle beaucoup de littérature et de poésie,
et la souffrance de la création y est relatée avec justesse.
L'importance de la nature et l'amour pour la beauté de la campagne
anglaise donnent aussi l'occasion de superbes descriptions. Mais cette
histoire d'errance dans le temps, l'espace et l'identité, dégage
un malaise profond.
Nous aurions pu nous rattraper avec la dimension féministe de cet
ouvrage : la recherche de ce qui fait la différence entre
l'homme et la femme, de la place de la femme (en particulier la femme
écrivain) et son évolution au fil des siècles, du
mariage, de la procréation, de la sexualité, est quasiment
obsessionnelle, mais les réponses apportées nous semblent
aujourd'hui artificielles ou superficielles, même si elles ont pu
paraître révolutionnaires à son époque.
Nous arrivons donc à un paradoxe : nous saluons unanimement
les qualités littéraires de Virginia Woolf et la richesse
de son imagination, mais à l'exception de Chantal, l'ennui semble
avoir tué le plaisir de lire.
Chantal
Présenté comme une "biographie", dédié
à Vita dont elle était passionnément amoureuse, ce
qui, en 1928 était difficilement "écrivable".
Elle veut tout embrasser dans ce livre à travers Orlando :
l'histoire du 16e au 20e siècle, la vie des sociétés
de ces époques, les thèmes qui lui sont chers : l'identité,
la nature, la littérature.
Je suis entrée dans la première partie du livre, foisonnante,
avec plaisir, comme dans un conte. La poésie, les couleurs, les
sons la sensualité dans les descriptions des scènes, des
lieux, j'ai adoré ! Avec l'humour ou la dérision, juste
ce qu'il faut (ah
l'odeur des dessous de la vieille reine...), le
fantastique, l'onirisme quand le jeune Orlando qui s'ennuie joue avec
la tête du Maure, les récits du grand gel et du grand dégel
sur Londres... un régal ! Des Esseintes
n'est pas loin quand Orlando désespère, se lamente comme
un riche qu'il est, en meublant sa chambre. J'ai aimé le passage
où, après sa catalepsie, il ne se souvient de rien :
très beau passage qui relie cette perte de mémoire à
une sorte de refuge pour pouvoir continuer à vivre (Alzheimer ?)
La deuxième partie aborde des thèmes intéressants :
- l'identité homme-femme, pas si claire
- la vanité des institutions humaines et tous les protocoles qui
en découlent (les statuts des personnes, les cérémonies,
etc.)
- la place de la femme dans chaque société, de la femme
écrivaine. La femme est libre quand elle prend l'apparence d'un
homme.
Mais tout cela est trop dense, trop touffu... La fin ? Mystérieuse.
Mais j'ai beaucoup aimé ce fil tout au long du livre : "Le
chêne", la nature, le poème, la littérature,
ce fil qui tient Orlando-Virginia debout, en vie, Nature et Littérature
qui seules lui apportent "l'extase".
Beau livre, belle discussion autour de Virginia. J'ouvre aux ¾.
QUELQUES
PRÉCISIONS
- sur l'histoire du roman : un conte de fée,
de Virginie Woolf à Virginie Despentes
- les potins : qui aime qui ?
- les illustrations du livre choisies par
Virginia Woolf : d'où elles sortent ?
- les adaptations du roman Orlando :
n'en jetez plus !
- les traductions
disponibles, éventuellement pour choisir son édition, en
accédant à une comparaison orientée...
Pour une biographie très très très détaillée
(reliée à la littérature) de Virginia Woolf, voir
COMPTOIR
LITTÉRAIRE et pour
une analyse très très très fouillée de cette
uvre, toujours COMPTOIR
LITTÉRAIRE.
"Je ne pouvais m'extirper un seul
mot ; et finalement
j'ai enfoui ma tête dans les mains : plongé ma plume dans l'encre, et écrits ces mots, comme automatiquement, sur une feuille immaculée : Orlando, Biographie. Je n'avais pas plus tôt fait cela que mon corps fut inondé de jouissance et ma cervelle d'idées." (Lettre à Vita Sackville) |
Virginia Woolf avait taxé son projet d'"escapade"
par rapport à ses livres précédents (Journal,
mai 1927), un roman commencé "comme une plaisanterie".
Orlando paraît en octobre 1928 à
Londres. Virginia Woolf ne sattendait pas au succès international
dOrlando. Son premier étonnement vint de son premier
lecteur, son mari Leonard, et quelle saperçut qu"il
le prenait plus sérieusement quelle sy attendait"
(Journal,
31 mai 1928).
Publié en octobre 1928, Orlando en était déjà
en décembre à sa troisième édition :
6000 exemplaires avaient été vendus ; même succès
aux États-Unis. La critique du New
York Times salua louvrage comme "une application
à l'écriture de la théorie de la relativité
d'Einstein", recourant à la "quatrième
dimension de l'écriture"... wouaah ! Le roman allait
permettre au couple Woolf de vivre plus à laise.
Et ce ne fut pas tout, quand on pense aux adaptations,
sans parler de la dernière de cette année : Rei
Kawakubo, directrice de Comme des garçons, dédie son
défilé de mode à Orlando.
Et puis, Orlando est bien sûr une mine pour les études
sur le genre... Quand Virginie (Woolf) entre dans la Pléiade, qui
fait l'article dans le Monde ? Mais l'autre Virginie (Despentes) !
Voir son bel article
ici ("Virginia Woolf, cette femme que le mariage n'hétérosexualise
pas, que le mariage ne transforme pas en mère, que l'amour lesbien
n'homosexualise pas. Entre les pages de laquelle on s'endort homme et
on se réveille femme. Même les siècles perdent leurs
rigidités, le temps se fait flexible.")
Les potins
Orlando s'ouvre par la dédicace : "à V. Sackville-West".
Virginia Woolf eut une histoire amoureuse avec Vita à partir de
1924, qui était, comme son mari, bisexuelle. Pour des détails
pour midinettes littéraires (il y en a parmi nous...), voir Le
portrait d'un mariage, de Nigel Nicolson leur fils et la Correspondance
1923-1941 Vita Sackville-West Virginia Woolf. Rappelons pour les
purs esprits (y en a-t-il parmi nous ?...) que dans le
groupe de Bloomsbury réunissant la crème des intellectuels
et des artistes de l'époque, tout le monde couchait avec tout le
monde un monde de rêve. Non ? Ah bon... (voir la
carte du tendre
de Vita et de mari, montrant où se situe Virginia dans cette toile
d'araignée).
Vita Sackville avait vécu dans l'extraordinaire château de
Knole qui a 7
cours (comme les jours de la semaine), 52 escaliers (les semaines de l'année)
et 365 pièces (les jours), géré par le National
Trust. On pourrait prévoir un voyage pour Voix au chapitre
(si on trouve un mécène). Mentionner Knole n'est pas qu'un
potin, si l'on considère les illustrations.
En effet, la biographie puisque tel est le sous-titre ("Orlando
: une biographie") est illustrée comme sil
sagissait dune "vraie" biographie par des uvres
anciennes venant du château et trois photos de Vita Sackville-West
déguisée Vita à qui luvre
est dédiée, on l'a déjà dit, et qui fut le
modèle du personnage Orlando, on ne l'a pas dit... Pour les autres
"clés" : Sasha renvoie à Violet
Trefusis, elle-même écrivaine et avec qui Vita eut une
liaison passionnée, l'archiduchesse au vicomte Henry
Lascelles qui avait dragué Vita. Des potins, des potins...
sommes-nous bien à Voix au chapitre pour qui seule
compte LE littéraire et où figure à l'entrée
: NUL N'ENTRE ICI S'IL CONFOND L'AUTEUR ET LE NARRATEUR ?...
Les
illustrations du livre choisies par Virginia Woolf dans l'édition originale de 1928, publiée par Hogarth press, maison d'édition fondée par elle et son mari. Les titres ci-dessous sont ceux du livre. Des commentaires sont ajoutés pour Voix au chapitre. Ne s'agit-il pas de la suite de "la rubrique potins" ? |
||
|
1. "Orlando enfant" : il s'agit d'Edward Sackville, une partie d'un tableau "Les deux fils d'Edward, 4e comte de Dorset" de Cornelius Nuie, qui se trouvait dans les appartements privés de Lord Sackville à Knole. | 2. "La Princesse russe enfant" : c'est Angelica Bell, âgée de neuf ans, en costume russe, photographiée par Vanessa Bell la sur de Virginia Woolf, expressément pour Orlando. Angelica épousera David Garnett (amant du mari de Vanessa...) dont nous avons lu La femme changée en renard. |
Virginia et Vita se sont rendues
à Knole
pour choisir des portraits pour Orlando (1, 3 et 4). |
||
|
4. "Orlando en ambassadeur" : Richard Sackville, 5e comte de Dorset, de Robert Walker, de la collection Knole.
7. "Marmaduke Bonthrop Shelmerdine, esquire" : homme et artiste inconnus vers 1820, dans la collection privée de Nigel Nicolson (fils de Vita Sackville), achetée par Vita, se trouve au château de Vita Sissinghurst. |
|
Infos sérieuses tirées
de la Virginia
Woolf Society of Great Britain...
|
Adaptations
d'Orlando
Certains d'entre nous en auront vu plusieurs, voire toutes... :
deux pièces au Théâtre de l'Odéon :
- Orlando,
mise en scène de Katie Mitchell en 2019 - bande annonce ICI
-
Orlando, mise en scène de Robert Wilson en 1993, avec Isabelle
Huppert seule en scène (qui fait la couverture
de l'édition Folio) - bande annonce ICI
deux films
- Orlando
de Sally Potter en 1992 - bande annonce ICI
- Vita
et Virginia de Chanya Button en 2018 - bande annonce ICI
(le projet d'Orlando est clairement évoqué...)
une chorégraphie et une musique
- Woolf
Works, en 2015, se réfère à trois textes
de Virginia Woolf (Mrs Dalloway, Orlando, Les vagues), chorégraphie
de Wayne McGregor et musique de Max Richter : ici Orlando
pas de deux
Une BD
-
Orlando de
Delphine Panique, éd. Misma, 2013, 220 p. Une dizaine de pages
en ligne ICI.
Pour les fanas de Patti Smith
(il y en a parmi
nous), on peut l'entendre et la voir lire
Virginia Woolf ici, accompagnée au piano et à la guitare
par ses deux enfants.
Et la voix de Virginia ? Le seul enregistrement existant encore eut lieu à la BBC en 1937 : c'est une conférence une dizaine d'années après Orlando sur les mots (texte anglais ici, en français là).
Trois traductions (le texte original est en ligne ici) |
avec chacune plusieurs éditions deux exemples pour comparer - une phrase de la préface
où Virginia dit que de nombreux amis l'ont aidée à
écrire ce livre : Les uns sont morts et si fameux que j'ose à peine les nommer : mais nul ne peut lire ou écrire sans devenir le perpétuel débiteur de Defoe... (1931) Certains sont morts et si illustres que j'ose à
peine les nommer. Pourtant, personne ne peut lire ou écrire
sans en être à jamais redevable à Defoe... (1994) - la première phrase du premier chapitre : He for there could be no doubt of his
sex, though the fashion of the time did something to disguise it
was in the act of slicing at the head of a Moor which swung
from the rafters. IL car son sexe n'était pas
douteux, quoique la mode du temps fît quelque chose pour le
déguiser faisait siffler son épée à
coups de taille contre une tête de Maure qui, pendue aux poutres,
oscillait. (1931) Il car son sexe ne faisait aucun doute quoique la mode du temps contribuât un peu à le travestir affrontait à grands coups d'épée la tête d'un Maure qui se balançait aux chevrons. (1994) Il car il n'y avait aucun doute quant à son sexe, bien que la mode du temps contribuât à le déguiser était occupé à donner de grands coups de sabre sur une tête de Maure qui se balançait, accrochée aux solives. (2012) Pour d'autres comparaisons du texte d'Orlando, voir ICI |
Nos
cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :
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