Tamara Drewe, trad. Lili Sztajn, Denoël, 2019

Présentation éditeur : Avec son nez refait, ses jambes interminables, ses airs de princesse sexy, son job dans la presse de caniveau, ses aspirations à la célébrité et sa facilité à briser les cœurs, Tamara Drewe est l’Amazone urbaine du XXIe siècle. Son retour à la campagne, dans le village où a vécu sa mère, est un choc pour la petite communauté qui y prospère en paix.
Hommes et femmes, bobos et ruraux, auteur à gros tirage, universitaire frustré, rock star au rancart, fils du pays, teenagers locales gavées de people, tous et toutes sont attirés par Tamara, dont la beauté pyromane, les liaisons dangereuses et les divagations amoureuses éveillent d’obscures passions et provoquent un enchaînement de circonstances aboutissant à une tragédie à la Posy Simmonds, c’est-à-dire à la fois poignante et absurde.
Librement inspiré du roman de Thomas Hardy Loin de la foule déchaînée, un portrait à charge délicieusement cruel et ironique de l’Angleterre d’aujourd’hui.

Posy Simmonds (née en 1945)
Tamara Drewe (2007, traduit en France en 2019)

Nous avons lu ce livre pour le 17 mai 2024.

Nous avons lu pour la séance précédente le roman auquel ce roman graphique se réfère, Loin de la foule déchaînée de Thomas Hardy. Les gourmands ont lu non seulement Tamara Drewe, mais aussi Gemma Bovery et/ou Cassandra Darke.
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Nos 13 cotes d'amour
Annick L Sabine
CatherineFanny Claire
Entre et Françoise Rozenn
Jacqueline Monique L
JérémyManuelThomas
Odile

Monique L(avis transmis de Dordogne)
J'ai été assez déçue par cet ouvrage. Le parallèle avec Loin de la foule déchainée ne m'a pas vraiment sauté aux yeux. Oui Tamara Drewe, comme Bathsheba, fille libre et instinctive et n'ayant pas froid aux yeux qui à cause de sa beauté, déchaîne les passions, les jalousies, les ragots, et malgré elle, précipite des drames. Elle est courtisée par trois hommes son voisin écrivain (Boldwood,), un jardinier (Oak) et Ben (Troy). Andy le jardinier, jeune homme courtois et serviable comme Oak finira en couple avec Tamara. Les brebis sont remplacées par des vaches.
J'ai tout de même apprécié ce roman graphique, indépendamment de sa libre inspiration du roman de Thomas Hardy. J'ai aimé la construction, la composition alternant dessins, extraits de journaux et textes à la première personne qui nous font découvrir les points de vue des différents personnages : Glen à la recherche d'inspiration, Beth, femme aimante, tolérante et secrétaire de Nicholas, ou encore Casey !
Le dessin est très précis et plein de détails.
Il s'agit avant tout de la peinture acerbe et caustique de la vie dans un petit village anglais avec ses ados désœuvrés, ses villageois au chômage et ses néo-ruraux friqués. C'est en même temps une critique du monde de l'édition et du monde littéraire qui décrit également les affres et les arcanes de la création littéraire.
Les personnages sont bien développés et leur psychologie est bien rendue, aussi bien par le texte que dans les expressions de leurs visages. J'ai apprécié le portrait des deux jeunes filles, Jody et Casey, les affres de l'adolescence, leur avidité de sensations fortes et d'émotions intenses, leurs fantasmes pour la star de rock… : deux sensibilités différentes et attachantes.
L'ambiance, dans cet endroit paumé d'Angleterre, est bien décrite. Les thèmes abordés sont nombreux : jalousie, échecs, réussite, adultère, adolescence désœuvrée.
Ma lecture n'a pas toujours été facile. Je n'ai pas ressenti l'humour annoncé. J'ai passé un bon moment, certes. Mais je ne l'ai pas trouvé aussi fantastique que les échos que j'en avais eus. J'ouvre à moitié.
Annick L(avis transmis de Bordeaux)
J'ai découvert cette artiste, auteure-dessinatrice, il y a seulement quelques mois. Je trouve qu'elle a beaucoup de talent et qu'elle a su affirmer un style original, plutôt classique dans le dessin, dans ce genre de livres qu'on appelle aujourd'hui des romans graphiques. J'aime beaucoup son dessin, en noir et blanc, très précis, qui va à l'essentiel et donne une présence forte aux personnages et au décor. J'en ai lu deux où j'ai retrouvé le même univers, le même type de personnages (des bobos confrontés à des ruraux, un peu ploucs), entraînés dans des tribulations amoureuses difficiles, avec un sens de l'observation psychologique et social très fin, le tout doté d'un sens de l'humour (ironie ?) redoutable.
Il s'agit vraiment de romans (130 pages pour Tamara Drewe), qui installent une intrigue complexe menée avec vivacité, pleine de rebondissements, dans une temporalité longue (au fil des saisons dans Gemma Bovery). J'ai pris grand plaisir à les lire.
J'ai particulièrement aimé Gemma Bovery, peut-être parce que je découvrais l'univers de cette auteure, mais aussi parce que j'y ai retrouvé au fil du récit plein d'échos au roman de Flaubert (y compris à travers des références assumées). Une seule différence majeure : l'ajout d'un narrateur - qui va jouer un rôle-clé - Joubert, le boulanger, amoureux, transi mais assez pervers, de la belle Anglaise. Autre différence importante, qui change complètement l'impression générale : un sens de l'humour et de l'absurde qui atténue le côté mélodramatique de cette histoire. Comme dans Tamara Drewe : la mort de l'écrivain célèbre écrasé par un troupeau de vaches en folie ne peut que nous arracher un sourire. Bravo pour cette adaptation moderne très réussie !
Du coup, Tamara Drewe m'a paru un peu moins accrocheur, sans doute parce que je m'étais familiarisée avec le ton de l'auteure, avec le jeu subtil dans les relations entre le texte et les illustrations. Et je n'ai pas pu m'empêcher de chercher des échos avec le roman de Thomas Hardy… très lointains ! Mais je me suis beaucoup amusée à travers ce portrait à charge, assez cruel, de ce petit cercle de citadins bobos, avec des prétentions littéraires, qui se retrouve dans cette résidence idyllique. Belle invention également que celle des deux personnages d'adolescentes désœuvrées, dans cette campagne qui suinte l'ennui, prêtes à tout pour mettre un peu de piment dans leur existence… jusqu'au drame final.
Posy Simmonds est une excellente scénariste qui sait ménager ses effets et enrichir son récit grâce à l'alternance des points de vue (essentiellement Beth, l'épouse trompée, et Glen, l'universitaire frustré).
Ne boudant donc pas mon plaisir (pas si fréquent !), j'ouvre en grand.
Jacqueline
Effet générationnel ? Les BD et les romans graphiques c'est pas mon truc ! Je suis habituée aux "vrais livres". C'est ce que j'aime depuis mon enfance.
J'ai eu du mal à m'y mettre : autrefois, je ne lisais que les textes sans bien regarder les images ! J'ai dû apprendre à m'y intéresser : dans ce groupe et aussi pour les enfants à qui il m'arrive de présenter des livres sans texte.
Voix au chapitre m'a fait découvrir le roman graphique avec Là où vont nos pères. Six ans plus tard, je mesure mieux comme je l'ai aimé ! En tout cas, ça m'a suffisamment convaincue pour que je lise et offre la récente biographie de García Lorca
Celui-ci ? Sa couverture est très alléchante : un joli visage séduisant (malgré, me semble-t-il, une petite coquetterie dans l'œil : c'est peut-être la mèche !) De plus, il a des traits communs avec la photo de Posy derrière. Par la suite, je trouverai le regard aguicheur de Tamara fidèle à la Bethsabée de Hardy. Il m'a un peu manqué dans le film que j'ai pourtant beaucoup apprécié.
En arrière-plan, sur la couverture, un beau paysage de campagne anglaise. Dans le film, on en voit beaucoup plus : un vrai bonheur ! Pour moi, quand même, rien ne vaut les descriptions merveilleuses de Hardy. Dans ce paysage de couverture, on voit des moutons dont deux copulent : ce seront pratiquement les seuls moutons du livre. Sauf une case minuscule p. 41 avec Andy, après les noces des chèvres et avant la chronique de Tamara sur le sujet . Par la suite, il n'y aura plus que des vaches. Mais elles seront responsables de la catastrophe causée par le chien !
Ah ! le rôle du chien ! Dans le roman de Hardy, son portrait psychologique m'enchante. Il est peu présent mais en poursuivant les moutons, il joue un rôle essentiel dans l'intrigue amoureuse. Chez Posy, il intervient beaucoup plus souvent avec des rôles divers. Vers la fin, il fuit les vaches qui le chargent. Surprenant ! Mais je ne l'ai pas remarqué tout de suite. Dans le film ? Je n'ai pas fait attention ; qu'il ait poursuivi les vaches me semble plus vraisemblable...
(Thomas opine du chef et confirme)
On ouvre le livre et, en exergue, une petite annonce : c'est la référence à Loin de la foule déchaînée ! On apprend en même temps qu'il va être question de business autour de la création littéraire. On est d'emblée dans l'univers de Posy puisque c'est autour de l'écriture qu'elle exerce son talent de créatrice.
J'ai beaucoup apprécié et je pourrais ouvrir en grand Literary Life, recueil de ses chroniques dans The Guardian Review.
(Rozenn, qui a pris le livre et le feuillette, nous montre, hilare et conquise, cette réunion de groupe de lecture)

(paru d'abord dans Le Guardian)


Claire
Peut-être à la prochaine semaine lecture...

Jacqueline
Il y a des dessins de styles très variés, sans doute pastiches d'autres dessinateurs. Je ne saurais pas reconnaître chacun. Pour le travail journalistique, il m'est arrivé de penser à Plantu en moins politique…

Fanny
Et Sempé ?

Jacqueline
La libraire de cet album a une vague ressemblance avec Glen, le narrateur, qui me paraît le portrait craché de la narratrice de Cassandra Darke, comme celui du boulanger narrateur de Gemma Bovery. Il y a un style de la dessinatrice, un peu comme, quelquefois, au fil des romans d'un même auteur, on retrouve un même type de personnage...
J'apprécie ces histoires bien menées qui jouent ironiquement avec les romans qui les ont inspirées. Ce ne sont pas des pastiches puisque Posy dessine et met en scène une société différente, celle d'aujourd'hui. J'apprécie son travail de composition analogue à celui d'un bon romancier.
Seulement, moi qui aime les textes et leur musique, je n'ai pas trouvé mon compte dans le roman : p. 127 par exemple le flux de pensée de Glen ne m'a pas paru crédible et de même p. 129 quand Beth parle paysage, c'est très mal dit, en désaccord avec le personnage, là encore. Contrairement aux dialogues des bulles...
J'ouvre à moitié.
Thomas
La BD et le roman graphique sont des univers qui me sont familiers. Et j'étais d'autant plus content de me plonger dans Tamara Drewe que j'avais apprécié Cassandra Darke quelques années plus tôt.
Je craignais seulement qu'il ne s'agisse que d'une transposition modernisée du
roman de Hardy. Finalement ce n'était pas du tout le cas. Même s'il y a quelques parallèles, c'est réellement une nouvelle histoire à part entière.
Mais j'y ai retrouvé les mêmes défauts que dans le roman de Hardy : personnages caricaturaux et un peu lisses ; on reste un peu en surface, on ne va pas dans la profondeur. Par exemple, Tamara reste cette bimbo aguicheuse, dont on ne cerne pas très bien les motivations (notamment lors de sa première apparition où elle séduit tout le monde, Glen compris). À certains moments, on se dit qu'il y a plus que cela, elle veut écrire, elle a du caractère, mais finalement ce n'est que peu exploré. Quant à l'histoire d'amour entre Nicolas et Tamara, je n'y crois pas du tout. Enfin, je ne sais pas trop quoi faire du personnage de Glen, qui pourrait paraître sympathique, mais s'efface trop souvent pour que je m'y attache réellement.
Pour ce qui est du graphisme, je n'ai pas eu de coup de cœur, et j'ai été un peu désarçonné par l'omniprésence du texte, qui pourrait parfois suffire, alors que j'ai été habitué à des romans graphiques donnant une place plus importante au dessin. Cette technique aurait pu être intéressante d'un point de vue humoristique en créant volontairement un décalage entre le texte (qui reprend le point de vue, ou plutôt le récit, des personnages) et le dessin (qui montre ce qu'il s'est réellement passé a priori), mais il me semble que cette possibilité a été assez peu exploitée.
J'ouvre ¼ pour cette comédie romantique avec cette fin assez feel-good, pas désagréable mais pas totalement satisfaisante non plus. On dirait du Aurélie Valognes en moins bien !

Catherine
Je connaissais Posy Simmonds de nom, mais n'avais jamais lu ses albums. J'ai commencé par Cassandra Darke. J'ai ensuite lu Tamara Drewe puis Gemma Bovery et pour compléter vu les deux films, très réussis et fidèles aux albums ; c'est la même actrice d'ailleurs dans les deux et elle s'appelle Gemma ! J'ai aussi assisté à la table ronde avec Riad Sattouf, très intéressante, mais j'ai raté l'expo.
J'ai aimé la mise en page qui mélange des pavés de texte, des journaux, des messages, les changements de narrateur, les retours en arrière. C'est très original ; elle a vraiment un style qui lui est propre. Il ne s'agit pas d'adaptation ou une transposition de romans à l'époque moderne ; elle crée quelque chose de nouveau, de contemporain. Mais bien sûr on retrouve des thèmes, des clins d'œil (les vaches qui remplacent les moutons, pourchassées par un chien ; la campagne anglaise ; les trois soupirants autour de Tamara qui succombe aux charmes du mauvais garçon ; les amants de Gemma).
J'ai adoré l'humour de Posy Simmonds, le boulanger obsédé par Emma Bovary, Gemma mourant étouffée par une bouchée de pain, Tamara qui devient sublime parce qu'elle se fait refaire le nez, le langage des adolescentes. J'ai aimé le regard qu'elle porte sur le monde qui l'entoure, sur les Anglais comme sur les Français, sur les auteurs et le monde de l'art, les écrivains, sur les femmes, les hommes et les rapports amoureux. Son regard sur ses personnages est aussi assez tendre. Même le personnage de Cassandra est très attachant et sa méchanceté, sa radinerie, son égocentrisme et sa malhonnêteté m'ont fait beaucoup rire. Elle s'adoucit et s'humanise d'ailleurs à la fin de l'album. Il y a aussi toute une galerie de personnages secondaires, souvent féminins, Beth, les deux adolescentes, mais aussi Glenn.
Pour finir, j'ai beaucoup aimé le graphisme, même s'il est assez classique, la précision du dessin, les détails que l'on découvre petit à petit. Des trois albums, mon préféré est Gemma Bovery, je l'ai trouvé plus riche et j'ai adoré le personnage du boulanger, obsédé par Flaubert et madame Bovary ; j'ai un peu moins aimé Tamara Drewe, mais au total, un régal. J'ouvre aux ¾ (un peu de mal à ouvrir en grand, ça m'apporte moins qu'un roman même s'il ne faut évidemment pas comparer).
Fanny

Ça me fait sourire d'entendre que c'est une question de génération, la familiarité avec les BD. Car pour ma part, j'ai été baignée dans la BD par mon père, qui est justement de la génération qui dit que c'est une question de génération...
Je rebondis aussi sur la perception qu'un roman graphique, c'est un roman, mais un peu en moins bien. Pour moi il ne faut pas comparer, c'est un autre genre littéraire qui permet de combiner textes et dessins dans une composition spatiale que permet l'agencement des planches : par exemple, quand Glen est dans les toilettes et qu'est juxtaposée la scène qu'il surprend. Le film apporte une autre dimension dans le fil narratif grâce au jeu des acteurs, mais il peut plus difficilement réaliser cette perception simultanée que ne le montre la BD.
J'ai lu Tamara Drewe et pensais finir Gemma Bovery, mais ça ne se lit pas si vite. J'ai trouvé que Tamara Drewe était plus près du livre que Gemma Bovary qui est plus une création en écho au roman de Flaubert.
J'ai aimé l'humour. Il y a dans le livre un côté foutraque : on ne sait pas où lire et ça donne de la force. Gemma Bovary, avec les chapitres, ça peut donner un aspect brouillon, mais c'est construit. Dans Gemma Bovery, j'aurais aimé un peu plus de couleur.
Sur ces deux romans graphiques, Posy Simmonds met en scène des personnages féminins qui ont des similitudes dans leur profil (femmes libérées qui se laissent tout de même prendre dans des relations avec des séducteurs superficiels). Par ailleurs, plusieurs personnages se ressemblent beaucoup. Si je trouve l'ensemble talentueux dans les deux cas, je me demande si elle est capable de plus de diversité ou si ces redondances montrent une limite à sa créativité. Ce qui me donne envie, d'autant plus à vous entendre, de lire d'autres créations de Posy Simmonds.
Dans le film Tamara Drewe, j'ai aussi été saisie par la ressemblance des acteurs avec les personnages du roman graphique, et j'ai très envie de voir le film Gemma Bovery avec Luchini dans le rôle du boulanger.
J'ouvre aux ¾, en raison d'un petit bémol dû au dessin.
Claire
Ça faisait un bout de temps que je n'étais pas venue les mains dans les poches sans avoir noté mon avis, et je me rappelle ainsi qu'avant j'étais incapable de commencer la première car mon avis n'était pas encore "constitué". Ainsi, aujourd'hui, j'ai été successivement d'accord avec chacun des avis formulés. Ai-je donc un avis personnel ? Va falloir se décider...
J'ai aussi son Literary Life, plutôt à feuilleter, et j'ai lu les trois romans graphiques de Posy Simmonds. Non seulement on a un roman, mais en plus, y a des dessins ! C'est Cassandra Drake que j'aime le moins et Gemma Bovary que j'aime le plus ; mais j'apprécie Tamara Drewe, même si je suis d'accord avec toutes les critiques.
Je trouve chaque livre très construit. Et quand on voit le parcours de Posy Simmonds, on constate qu'elle a inventé le roman graphique : elle crée, elle n'imite pas un genre existant.
Quant à l'adaptation du roman de Hardy, qui n'en est pas une, j'apprécie la transposition, je trouve originale l'actualisation qu'elle en fait.
C'est le quatrième album que nous lisons dans le groupe : nous avons fait très fort pour commencer en 2018 avec un album sans texte (Là où vont nos pères de Shaun TAN), suivi d'une autobiographie (L'Arabe du futur de Riad SATTOUF), un essai (Et à la fin, ils meurent : la sale vérité sur les contes de fées) et maintenant une transposition d'un roman (Tamara Drewe: c'est pas génial cette diversité ?...
Je suis complètement Florence Noiville (venue parmi nous pour un de ses livres) : "Tout l'art de Posy Simmonds consiste à mettre en bulles l'air du temps. Elle sait parler comme les ados des années 2000, restituer les états d'âme d'un vieil écrivain sur le retour, décrire une séance de dédicace aussi narcissique que pathétique dans une librairie de province, un dialogue au pub The Rick ou une page de journal très intime. Toute son habileté consiste aussi à mélanger les genres - un bloc de texte comme un chapeau journalistique, des cases de bande dessinée, un SMS, des reproduction de tabloïds ou de petites annonces… - et à faire de tout ça le reflet morne et fascinant d'un certain quotidien anglais."
Intéressantes aussi les précisions données sur sa façon de travailler : "L'impression de justesse tient aussi à la manière de travailler de Posy Simmonds. Ouvrant un cahier noir, l'illustratrice montre les centaines de croquis et de notes, de flèches et de renvois, qui ont présidé à l'élaboration de Tamara Drewe. Des esquisses d'une précision inouïe, à l'encre, au crayon, à la gouache, au feutre… "Je travaille comme un cinéaste, explique-t-elle. Quand j'ai la trame de l'histoire, je fais mon casting, je dessine tous les personnages, je décide des lieux de l'action mais aussi de la marque de leur voiture, de la taille de leurs chaussures ou de la couleur de leur brosse à dents. À la fin, ils sont tellement vrais que j'entends leur voix dans ma tête." Le résultat : deux ans et demi de travail et un parfait équilibre entre texte et images, tendresse et causticité. Une chronique à la fois pertinente et impertinente du monde moderne. Une manière très personnelle, aussi, de revisiter un texte classique (voir l'article entier ›ici sur Tamara Drewe).
Le film de Stephan Frears est vraiment une réussite ; il enrichit d'ailleurs le rapport avec le roman de Thomas Hardy puisque l'un des personnages essaie d'écrire un livre sur cet auteur.
Chapeau à la traductrice pour sa traduction, notamment du langage des ados ; dans une intéressante interview ›ici, elle dit : "le texte s’inscrit vraiment dans une époque : les deux adolescentes parlent un anglais prolétarien des années 1990, que Posy a butiné au cours de ses balades, en écoutant les jeunes filles parler dans le bus. J’ai donc dû m’appuyer sur mes souvenirs et faire des recherches, dans les magazines, les livres, les disques de l’époque, pour trouver le mot juste et le ton approprié".
Quant à Posy Simmonds, elle est sidérante, avec son air de ne pas y toucher. Dans la rencontre à Beaubourg avec Sattouf, on voit à quel point celui-ci l'admire.
J'ouvre aux ¾, à cause de ceux qui n'ont pas aimé...
Manuel
Mon avis va être plus nuancé que ce que j'ai dit pendant la soirée. Je suis comme Riad Sattouf, admiratif devant la qualité des dessins et surtout la palette de type de dessins : gouache, dessins au stylo ou changements de typographie, reproduction de coupures de presse, etc.
J'ai aussi aimé les pages qui sont toutes très différentes dans leur narration par exemple p. 99 et les pensées de Tamara en pleine page ou p. 49 avec les mels vachards. J'aime sa virtuosité et son inventivité dans la narration.
En revanche je n'ai pas adhéré à cette histoire. J'ai eu l'impression de perdre mon temps. Cela manque de fond. L'antagonisme ville/campagne est montré avec de gros traits. Je ne suis pas bouleversé par l'histoire que je trouve superficielle.
Jérémy

J'ai dû tomber dans une faille spatio-temporelle et j'ai lu Gemma Bovery et non Tamara Drewe..., pas du tout alerté par le fait que le film à "l'affiche" était bel et bien Tamara Drewe.
C'était mon premier roman graphique. Ce n'est pas du tout un genre vers lequel je me dirige naturellement. Je ne suis pas très BD, je ne l'étais déjà pas enfant, ni roman graphique. Je ne sais donc pas si j'aurai le courage de lire Tamara Drewe.
Je ne connaissais rien de Posy Simmonds et je n'attendais pas grand-chose du livre. À ce titre-là je n'ai pas été déçu. Ça m'a excité autant qu'une camomille. C'est à la littérature ce qu'une pastille Vichy est à un restaurant gastronomique. Cela fond sous la langue, cela dure 3 minutes, ce n'est pas désagréable du tout, mais qu'en garde-t-on ? Je n'ai pas été particulièrement emballé par les dessins, ni subjugué par le texte ou emporté par l'histoire. Bref, je l'ai lu sans difficulté mais cela n'a pas "imprimé" plus que cela.
Je parlerais plutôt de BD romancée, le terme de roman ne me paraît pas approprié. L'ouvrage a peut-être aussi souffert de la comparaison avec Le Barrage contre le Pacifique que j'avais fini juste avant et qui m'a tant enthousiasmé et avec Portnoy et son complexe que je suis en train de lire.

Sabine
Imagine le dessin en BD par Simmonds.

Jérémy
J'ouvre ¼.

Sabine
J'ai été longtemps fermée à la BD, jusqu'à Maus.
J'ai connu Posy Simmonds après avoir vu le film Gemma Bovery : elle est subtile, il y a un jeu de poste sur le profil des personnages.
J'ai adoré le dessin.
L'insertion des pauses narratives est réussie.

Claire
C'est quoi les pauses narratives ?...

Sabine
Je mesure moins le travail fait sur Loin de la foule déchaînée pour Tamara Drewe.

J'aime le triptyque : roman/roman graphique/film.

Claire
Avec le film adapté du roman, ça fait pour certains d'entre nous un tétraptyque et avec l'exposition un pentaptyque...
Sabine
À travers nos échanges, on pourrait faire partie de la BD de Simmonds...
Comme Annick, je ne boude pas mon plaisir et j'ouvre en grand.
Odile

Je n'ai pas réussi à rentrer dans cette histoire.
Il est vrai que j'avais un handicap car je n'avais pas du tout aimé le roman de Thomas Hardy et en plus je l'ai lu dans la traduction déconseillée. J'ai pourtant abordé le roman graphique avec l'espoir qu'il apporte un peu de légèreté et d'humour que je n'ai pas trouvés ou pas suffisamment. Le cadre de la résidence d'écrivains et les rapports ruraux-urbains m'ont paru assez caricaturaux pour être ennuyeux et pas assez pour être comiques.
Je ne m'attendais pas à autant de texte et il m'a paru plat et inutilement bavard.
Quant aux dessins, bof. En plus, d'après ce que certains viennent de dire et de montrer, les représentations de personnages sont un peu toujours les mêmes d'un album à l'autre, un peu comme dans les mangas...
J'ai écouté ce que vous avez dit en espérant mettre de l'eau dans mon vin, mais non, je n'y arrive pas. Les personnages ne m'intéressent pas plus que ceux de Thomas Hardy, je ne trouve pas l'influenceuse particulièrement audacieuse, ni les prétendants distrayants.
J'ai aimé les deux gamines qui me feraient ouvrir le livre à 10%.

Rozenn
Je suis d'accord avec tout ce qui a été dit.

Le groupe
!?!?!?!?!?!?!?...
Rozenn
entre et
Intérêt et difficultés de prendre la parole la dernière...
J'ai lu
Gemma Bovery au milieu des Démons de Dostoïevski et interrompue par la découverte du Disciple de Mikhail Rudy. Un contexte difficile, exigeant.
J'aime bien le personnage du boulanger dans Gemma Bovery
et Glen dans Tamara Drewe, tous deux si humains : à la fois gentils et à fuir.
Le lieu, résidence d'écrivains (plus ou moins autoproclamés et avec plus ou moins d'assurance), m'a fait rire en me rappelant les colloques de Cerisy.
Mais qu'est-ce qui m'en reste ? Pas grand-chose.
Un peu de plaisir pour le premier (Gemma Bovery) et moins pour le deuxième (Tamara Drewe). Par contre, j'ai bien aimé le film de Stephan Frears.
J'ai croisé Dissident club : chronique d'un journaliste pakistanais exilé en France de Taha Siddiqui et j'ai apprécié : il relate en détail l'histoire du Pakistan, avec beaucoup d'informations politiques ; et des images qui servent le propos lui permettent d'en dire peu et d'alléger.
Mais pour revenir à la question de la lecture de BD : quand j'étais enfant, elles étaient interdites à la maison et je ne sais pas les lire, aller du texte à l'image et inversement. J'ai été un peu déçue que ma petite fille se mette à en lire, mais elle m'a fait découvrir Astérix - même si nous ne rions pas des mêmes passages. Je pense que c'est plus éducatif que générationnel.
Comment j'"ouvre" ? ½ pour Tamara Drewe et ¾ pour Gemma Bovery.
Après la lecture d'un texte critique par Claire, j'ai réalisé qu'il ne faut peut-être pas comparer avec des romans, mais avec d'autres BD ou romans graphiques.
Françoiseentre et (après la séance)
Je rejoins beaucoup d'avis déjà exprimés. Ce fut pour moi une lecture agréable. C'est à la fois sérieux par certains des sujets abordés, comme l'environnement, les adolescentes, le village, et drôles comme la description du milieu littéraire, certains personnages (surtout les mecs) ; je pense que c'est assez bien vu.
Le graphisme est sympa. La référence à Thomas Hardy est très lointaine, trop subtile pour moi sans doute, comme Gemma Bovery, sans le titre je n'aurais sans doute pas pensé à notre Emma nationale.
Posy Simmonds n'est pas dans la top liste de mes auteurs de BD préférés, elle vient après Tardi, Bilal, et surtout Sattouf et Guy Delisle que j'adore.
J'ouvre entre ½ et ¾.


Les BD ou romans graphiques cités pendant la séance


- De cape et de crocs, une série d'AYROLLES de 12 tomes d'aventures dans la veine des romans de cape et d'épée, avec de nombreuses références littéraires, Delcourt, de 1995 à 2016 ; l'intégrale fait 664 p.

- L'incroyable histoire de la littérature, éd. Les Arènes, Catherine Mory, Philippe Bercovici, 2022, 352 p.

- Les culottées de Pénélope BAGIEU, Gallimard, 2016, 312 p.

- Dissident club : chronique d'un journaliste pakistanais exilé en France de Taha SIDDIQUI, 2023, Glénat, 264 p.

- Federico García Lorca- biographie de García Lorca… Ilu ROS, trad. Carole Fillière, Robert Laffont, 2023, 360 p.

- La route, Manu LARCENET, Dargaud, 2024, 160 p., adaptation du roman de Cormac McCarthy, La route, que nous avions lu

- Et à la fin, ils meurent : la sale vérité sur les contes de fées, Delcourt, 2021, 400 p.

- L'Arabe du futur de Riad SATTOUF, Allary éditions, 5 tomes de 2014 à 2020, 1080 p.

- Là où vont nos pères de Shaun TAN, Dargaud, 2014, 128 p.


Un peu de doc autour de Posy Simmonds


UN PRIX
Nous avions déjà choisi de la lire, et hop ! Posy Simmonds a reçu le Grand Prix d'Angoulême 2024.
Pour rester à Angoulême et éco
uter un entretien de fond, écoutez Posy Simmonds dans 9e art, le podcast de la Cité Internationale de la Bande Dessinée et de l'Image d'Angoulême, 17 janvier 2024, 24 min

UNE EXPOSITION
L'exposition "Posy Simmonds, dessiner la littérature" s'est tenue à la BPI du Centre Pompidou du 22 novembre 2023 au 1er avril 2024. On peut consulter :
- le livret d'exposition
- le dossier de presse de l'expo
- des articles et entretiens du magazine de la BPI, Balises.

Dans le cadre de l'exposition, a eu lieu une rencontre Posy Simm
onds / Riad Sattouf au Centre Pompidou le 26 février 2024. Voix au chapitre avait lu L'Arabe du futur et on a pu voir lors de la rencontre l'admiration que Riad porte à Posy...

DES VIDEOS
- excellente et brève : le passé et l'actualité de Posy Simmonds, France TV arts, 21 janvier 2024, 4 min 30
- à la Grande Librairie, 30 novembre 2023, 3 min 28
- à la Maison de la poésie avec Coco, 28 novembre 2023, 1h
- si vous l'avez manquée,
visite de l'exposition en anglais avec Paul Gravett, commissaire scientifique associé, 11 min.

LES ROMANS GRAPHIQUES DE POSY SIMMONDS
Son amour de la littérature l’a conduite à choisir trois chefs-d’œuvre du XIXe siècle, non pour en produire des adaptations modernes, mais pour s’en servir comme inspiration et bâtir des histoires qui lui sont propres et parlent à notre époque.
Les deux premiers romans, Gemma Bovery et Tamara Drewe, ont d'abord été publiés en feuilletons d'une centaine d'épisodes, dans un format défini par The Guardian,
le grand journal de référence au Royaume Uni.
Elle y fut dessinatrice de presse pendant 30 ans, où, tel Plantu dans Le Monde, son dessin y était quotidien : "Je me rendais au journal le matin, pour chercher les informations, et je devais remettre le dessin au journal à 5 heures de l'après-midi".
Le troisième roman graphique, Cassandra Darke, a lui, été publié directement en volume.
Ses romans graphiques lui ont apporté une importante reconnaissance à l’étranger. Ils ont été publiés en plusieurs langues, deux d’entre eux ont été adaptés au cinéma, et Gemma Bovery a donné lieu à une sérialisation radiophonique pour France Culture.

DES ROMANS GRAPHIQUES EN LIEN AVEC DES ROMANS ET DES FILMS
Voici les trois romans graphiques et les romans et films qui y sont liés :


1. Gemma Bovery
publié en Angleterre en 1999, trad. Jean-Luc Fromental & Lili Sztajn, Denoël, 2000 ; Denoël Graphic 2012 ; 2014 avec une préface d'Anne Fontaine à la suite de son adaptation cinématographique et 12 pages de sketchbooks en couleurs :

Il rappelle bien sûr Madame Bovary :

adapté au cinéma de nombreuses fois, notamment par Jean Renoir en 1932 avec Valentine Tessier, par Vincente Minnelli en 1949 avec Jennifer Jones, par Claude Chabrol en 1991 avec Isabelle Huppert.

"J’ai lu Madame Bovary – en français – pour la première fois vers quinze ans", explique Posy Simmonds. Gemma Bovery en est une adaptation libre, qui transpose la trame narrative de nos jours. Gemma Bovery raconte l'installation d'un couple d'Anglais dans un petit village normand, l'illustratrice Gemma Bovery et son mari Charlie Bovery, ébéniste. Le roman de Flaubert est cité par Joubert, voisin de Gemma et narrateur principal, dès que les Bovery emménagent : "Madame Bovary est notre voisine !!! Sans blague !". Il poursuivra les parallèles entre le roman et la vie de ses voisins, jusqu’à s’inquiéter de la fin tragique qui attendrait Gemma. Pour interrompre la liaison adultère de celle-ci, il lui envoie anonymement un extrait du roman, etc.

Gemma Bovery a été adapté au cinéma : Gemma Bovery par Anne Fontaine (2014), avec Fabrice Luchini, Gemma Arterton, Jason Flemyng. Bande annonce ›ici.

Sur France Culture, en 2018, 10 épisodes sont adaptés à partir du roman graphique.


2. Tamara Drewe
publié en 2007, trad. Lili Sztajn, Denoël Graphic, 2008 ; en édition limitée introuvable en 2010 avec une préface de Stephen Frears :
  
Il s'inspire du roman de Thomas Hardy Loin de la foule déchaînée (1874), éd. Sillage ou Livre de poche ou Archipoche :
   
      
Nous aurons lu Loin de la foule déchaînée pour le 26 avril 2024.

Le roman a lui-même été adapté au cinéma :
› en 1916 : Far from the Madding Crowd, film américain muet, de Laurence Trimble, tourné en Angleterre, avec Florence Turner et le chien Jean...
› en 1967 : Loin de la foule déchaînée, film britannique de John Schlesinger, avec Julie Christie et Terence Stamp
› en 2015 : Loin de la foule déchaînée, film américain réalisé par Thomas Vinterberg, avec Carey Mulligan et Matthias Schoenaerts.

Tamara Drewe et Loin de la foule déchaînée se situent dans un décor semblable : le Wessex imaginaire de Hardy est inspiré de son Dorset natal, région où se déroule Tamara Drewe. Les personnages principaux se ressemblent : une jeune héroïne, belle et indépendante, et trois hommes autour d’elle. Tous·tes sont obsédé·es par la célébrité, et séparé·es par un fossé social. L'intrigue de Tamara Drewe renvoie à l'actualité, s’appuyant notamment sur la presse people, des échanges de courriels et le désœuvrement de la jeunesse rurale.

L'album a été adapté au cinéma en 2010, Tamara Drewe, par Stephan Frears, avec Gemma Arterton. Bande annonce ›ici.
Ne manquez pas l'interview de Posy Simmonds à propos du film l'année de sa sortie.


3. Cassandra Darke
publié en 2018, trad. Lili Sztajn, Denoël Graphic, 2019 :

L'album revisite Un conte de Noël (1843) de Charles Dickens, ici en Folio :

qui raconte la rédemption de Scrooge, un avare peu sympathique.

"J’ai emprunté certaines humeurs et motifs du livre, mais en les gardant en arrière-plan", explique Posy Simmonds. Comme le Scrooge de Dickens, l'héroïne est pingre et solitaire, aime le froid hivernal, déteste Noël, et rencontre un fantôme rédempteur. Les histoires se passent à Londres et le sous-sol de Cassandra, comme la cave de Scrooge, y joue un rôle déterminant. Les deux récits comportent en outre une dimension sociale, évoquant la stratification d’une société fondée sur les privilèges. Cependant, le roman graphique est ancré dans le monde contemporain, racontant par exemple le sort d’une prostituée clandestine. Cassandra Darke se déroule dans le milieu de l’art.


• Par ailleurs, Posy Simmonds publie en 2003 Literary Life, trad. Lili Sztajn & Corinne Julve, Denoël Graphic, 2014 :
       Folio BD, 2015 :
Elle y caricature toutes les étapes de la vie d’un livre, depuis les affres que traverse l’auteur pour le concevoir, jusqu’à sa promotion, ses ventes et son accueil par les critiques, les libraires et les lecteurs..., nous, quoi !


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