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Quatrième
de couverture :
Jai voulu y croire, jai voulu rêver que le royaume
de la littérature maccueillerait comme nimporte
lequel des orphelins qui y trouvent refuge, mais même à
travers lart, on ne peut pas sortir vainqueur de labjection.
La littérature ne ma pas sauvée. Je ne suis pas
sauvée. |
Prix
littéraire du Monde,
prix Les Inrockuptibles,
prix Femina,
Prix Blù Jean-Marc Roberts,
prix Strega Europeo
et vingt prix Goncourt
Voir,
concernant ces innombrables prix :
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Triste
tigre, POL, 288 p.
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Triste tigre, lu par Neige Sinno, avec un CD audio,
durée d'écoute 7h, Gallimard, coll. Écoutez
lire, 2024
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Voici
la présentation des deux livres publiés en français
avant Triste tigre : un
recueil de nouvelles, puis un
premier roman.
La
vie des rats,
Marseille, La Tangente, 2007
La
Vie des rats est un recueil de douze nouvelles qui racontent des moments
de vies à la dérive se croisant sur les routes du sud de
la France et dans les rues de Marseille. Des personnages attendent que
quelque chose arrive, se demandant vaguement ce qui est arrivé
avant ou ce qui arrivera ensuite, comme si le réel était
pour eux dans une brume, impossible à distinguer clairement. Par
moments, une combinaison de hasards et d'actes de volonté leur
permet d'avoir pour quelques instants le sentiment d'exister, leur révélant
alors la présence des autres. Un livre sur la jeunesse et la solitude,
ces abîmes dont on ne peut s'échapper qu'en acceptant de
se perdre un peu.
Le
Camion,
Christophe Lucquin éditeur, 2018
C'est
l'histoire d'une jeunesse, peut-être la vôtre. C'est l'histoire
de jeunes gens qui ont rêvé dans leur enfance, leur adolescence,
que le monde serait ouvert pour eux, qu'ils seraient libres, que tout
serait possible. Ils se prennent ensuite la crise, la réalité,
en pleine face ; le chômage, les frontières, la nature dévastée.
On les rencontre à ce moment-là, autour d'un camion qu'on
leur a prêté, avant qu'ils ne se lancent chacun de leur côté
dans leurs vies, comme dans une attente de vivre.
Ils sont jeunes adultes, frustrés, rêveurs, ambitieux, résignés,
tous partagent l'envie d'ailleurs. Pour cela, ils ont un camion. Il ne
les transporte pas loin, il tombe souvent en panne, mais il les amène
à rêver de destinations lointaines : la Chine, l'Afrique,
etc.
Le camion c'est comme leur propre vie, la possibilité de s'échapper,
mais l'impossibilité de prendre l'élan. C'est un groupe
d'amis qui aimerait voyager loin, mais la vie s'impose et les rêves
passent.
Ce n'est pas un livre nostalgique, ni un road book, c'est un roman d'aventures
qui se passe dans un camion qui n'avance pas très vite, mais qui
va quand même plus loin que prévu.
Ô étonnement concernant Christophe Lucquin, éditeur
du roman de Neige Sinno Le Camion ! Voilà Christine Angot
qui rapplique, pas sous son meilleur jour...
Cet éditeur a été pris dans une
polémique car Christine Angot l'a accusé dans une
tribune de Libération de publier "des textes
à caractère essentiellement pédophile. De l'avis
même des amateurs d'érotisme, ces textes sont un peu limites,
un peu lourds et ne rencontrent pas le public".
Libération a publié son droit de réponse
=>ici.
Finalement, la cour dappel de Paris a jugé que lécrivaine
avait publiquement diffamé léditeur Christophe Lucquin
ainsi que sa maison dédition. Christine Angot est donc
condamnée, civilement et solidairement avec Laurent Joffrin,
directeur de la rédaction et de la publication du quotidien
Libération.
Auparavant,
Neige Sinno avait soutenu une thèse
en 2005 à l'Université d'Aix-Marseille 1 : L'écriture
de l'inquiétude dans les nouvelles de Raymond Carver, Richard Ford
et Tobias Wolff
Et
elle a publié au Mexique un essai
sur les figures du lecteur, intitulé Lectores
entre líneas: Roberto Bolaño, Ricardo Piglia y Sergio Pito,
récompensé en 2010 par le prix Lya
Kostakowsky.
Voici enfin la présentation de l'album
de BD Amatlan
d'Edmond Baudoin, L'Association, 2009
Un
jour doctobre 1996, Edmond Baudoin rencontre Neige Sinno à
la terrasse dun café à Nice. Quelques années
plus tard et des milliers de kilomètres plus loin, cest à
Amatlan au Mexique que les deux amants se retrouvent.
Amatlan commence comme un carnet, et prend vite une consistance imprévue
qui en fait lun des livres les plus accomplis et les plus touchants
dEdmond Baudoin.
Si Baudoin entreprend dans son carnet de dessiner les paysages dAmatlan
et de ses magnifiques montagnes où Zapata sest jadis
caché , il dessine aussi Neige, la bien-aimée qui
laccueille là-bas. Et sa relation avec Neige séclaire
de façon inattendue au moment où celle-ci, écrivain,
décide de rédiger un texte sur le carnet en cours, où
Baudoin lintègre et y réagit en retour.
Ce texte magnifique de Neige pousse le dessinateur dans ses retranchements,
et lensemble transcende ce carnet en un témoignage unique
sur lamour, au dessin toujours plus magistral.
Si Baudoin fait, selon ses dires, toujours le même livre,
il va néanmoins toujours un cran plus loin, et atteint avec ce
volume-ci une épure contemplative et apaisée, en même
temps quil témoigne dun enchevêtrement emblématique
de la complexité de nos sentiments.
Rencontres
et entretiens
- Le livre est sorti depuis peu : un long entretien avec Johan Faerber
dans Diacritik,
28 août 2023. Extraits :
Vous
lavez sans doute remarqué, le texte
commence par une phrase qui inclut la mention de me
too : moi aussi, mais ce nest pas pour dire moi aussi jai
été victime, cest pour affirmer que moi aussi
ce qui me fascine cest la violence, cest le monstre : "Car
à moi aussi ce qui me semble le plus intéressant cest
ce qui se passe dans la tête du bourreau".
Le
caractère presque ludique des passages où sont introduits
les articles de journaux me permet de faire raconter la partie la plus
terrible de lhistoire par la voix du journaliste qui commente
les faits au moment du procès, cest lui qui titre
7 ans de calvaire pour une fillette, au lieu
de devoir prendre en charge cet aspect directement à travers
la voix narrative. On ne sen rend peut-être pas compte à
la première lecture mais il y a dans tout le texte des stratégies
de ce genre qui me permettent de protéger mon lecteur, de lépargner
un peu, car je pense quil nest pas nécessaire daborder
les faits trop frontalement.
Cette forme "ma vie comme
" [ma vie comme un film d'horreur,
ma vie comme une succession de faits divers] est un clin dil
à un texte de non-fiction qui a eu son importance pour moi pendant
lécriture, In the dreamhouse
de Carmen María Machado, qui emploie ce procédé
pour donner différentes entrées possibles à la
maison de rêve, qui devient cauchemar, qua été
sa relation amoureuse avec une personne toxique.
À noter : Lirelles a déjà
programmé ce livre Dans
ma maison rêvée. Voir nos
impressions =>ici.
- Premier prix littéraire
"Le Monde" : "Une petite brèche dans la chape de
silence", rencontre, par Raphaëlle Leyris, Le
Monde, 6 septembre 2024. Extraits :
Pourquoi
le cacher ? Au moment de voter pour le prix littéraire Le
Monde 2023, nombre de jurés ont confessé avoir été
saisis de crainte en découvrant que Triste tigre, lun
des dix livres en lice, portait sur un inceste.
Si
lidée dune thérapie individuelle de lauteur
par lécriture la "dégoûte",
elle nous précisait, au printemps, en revanche, espérer
en la possibilité dune forme "collective"
de catharsis, qui ferait de la littérature "un espace
privilégié, une table sur laquelle on peut poser des choses
conscientes et inconscientes quon essaie de régler en tant
que groupe social".
-
Prix Femina 2023 : "Ce qui me rend très fière cest
que ce prix soit rendu par un jury féminin",
un entretien avec Aude Ferbos, Sud Ouest,
9 novembre 2023.
Extrait :
Le
vécu me permet de faire la narration de faits écrits dans
ma chair. Mais ce point de vue énonciatif, cest aussi la
lectrice que je suis, moi qui lis des articles de presse, entends des
émissions de radio sur linceste.
Il y a donc eu un dédoublement permanent qui me permet dalterner
entre la narration et une partie un peu plus spéculative où
je ne suis plus seulement la personne à qui il est arrivé
ça, mais une conscience, une universitaire, une lectrice
- Le succès
est là : une interview approfondie avec Livres
Hebdo, 6 décembre 2023.
Extraits :
Je
rencontre beaucoup de lecteurs avec lesquels je parle de mon texte,
qui est déjà un peu à eux aussi. Je fais des rencontres
extraordinaires et à chaque discussion, d'une certaine façon,
je suis encore en train d'écrire ce livre.
Il
y a des traductions complètement inespérées, comme
en coréen. Les Coréens ont écrit une lettre extraordinaire
dans laquelle ils expliquent pourquoi ils sont intéressés
par ce livre. Ça le sort complètement du contexte, ils
y ont perçu des choses inattendues, sur la question de la non-fiction,
de la forme notamment. Et sur la façon dont mon texte est spéculatif
par le biais de la narration. Ça m'a beaucoup touchée,
car ils ont noté par exemple que je fais référence
au côté obscur de la Lune, celui qu'on ne voit pas. Ça
leur a rappelé des légendes dont jignore lexistence,
et leur a semblé un filtre intéressant pour réfléchir
au sujet du mal, et ça m'a beaucoup interpellée, car au
moment où je cherchais un titre au début, je voulais quil
renvoie à cette image. Je pensais à Lune noire,
ou à une formule qui faisait écho à cette obscurité.
Pour moi, c'est extraordinaire de voir des lectures différentes
qui parfois résonnent en moi. C'est assez mystérieux.
-
Parmi "Les 100 livres de l'année", Triste tigre
de Neige Sinno, propos recueillis par Margaux Morasso,
Lire Magazine,
décembre 2023-janvier 2024. Extraits :
J'avais peur qu'en publiant ce livre le fait
d'avoir été victime d'inceste soit accolé à
mon nom pour toujours. Maintenant, je me dis que ça n'est plus
entre mes mains. Je dois continuer mon chemin, écrire ce que
j'ai à écrire et qui est sans rapport avec ça.
À la radio, j'ai eu parfois l'impression
que les journalistes cherchaient à me faire dire des choses que
je n'avais pas écrites, comme si ce que j'avais écrit
n'était pas suffisant. Or, si je n'ai pas mis certaines choses
dans mon livre, c'est que je n'ai pas envie d'en parler.
Votre livre a été retiré du CDI
d'un lycée privé de Bretagne. Quel effet cela vous fait-il ?
J'aimerais comprendre la démarche de la directrice du lycée.
J'aimerais qu'il y ait une conversation entre elle et les directeurs
d'établissements scolaires qui ont choisi de proposer Triste
tigre aux élèves, qui ont choisi la parole. En parlant
le moins possible, on entretient le déni. À qui pense
la directrice en retirant le livre ? Qui croit-elle protéger?
Elle ne pense pas aux 10 % d'élèves qui sont abusés.
Elle pense aux autres. Est-ce par rapport aux scènes de viol
? Il y en a quelques-unes. Peut-être qu'elle se dit que c'est
trop pour des jeunes qui découvrent la sexualité, mais
c'est ignorer ce à quoi des lycéens de 15-18 ans sont
exposés sur Internet. Peut-être qu'elle assimile mon livre
à de la dark romance ? Triste tigre n'a rien à
voir avec ça. Jamais je ne mets en doute le consentement, quand
la dark romance explore une zone grise entre domination et consentement.
J'aimerais avoir plus d'éléments afin de réfléchir
à cette censure. À vrai dire, je suis surprise qu'il n'y
ait pas eu plus de cas. Moi-même, je trouve cela osé d'avoir
mis mon texte sur la liste du Goncourt des lycéens.
Voir le détail de cette interdiction au lycée
La Mennais de Ploërmel (Morbihan) dans le journal Le
Ploërmelais et dans Le
Monde.
- Un dialogue
entre Neige Sinno et Annie Ernaux, Le
Monde, 4 juin 2024. Extraits :
"Cest
votre exigence qui ma saisie, jai senti très vite
que votre livre allait être quelque chose dimportant",
confie Annie Ernaux en sadressant comme en un dialogue exclusif,
sans personne autour, à sa consur. (...) "Cest
un grand livre, vous allez jusquau bout de lhorreur, mais
vous le faites avec des moyens littéraires", poursuit
Annie Ernaux, avant de glisser un constat bienveillant, certainement
pas une leçon : "Moi, je récuse la question que
vous vous posez quand vous doutez que ce soit de la littérature,
je la récuse", soutient-elle. Neige Sinno plie sans
rompre sous le poids dun tel compliment. "Cest très
émouvant pour moi que ces lectures existent, elles ajoutent du
sens à mon travail, souffle-t-elle. Je fais un effort
énorme pour mexposer ainsi et jai cette angoisse
que ce soit mal réceptionné." Mais oui, être
lue et appréciée par Annie Ernaux, bien évidemment,
est bouleversant. "Le premier livre que jai lu de vous,
cétait Les Années, ça a ouvert une
porte (
). Jai lu vos textes pour découvrir des choses
que jétais en train de chercher pour moi-même."
Revue de presse
concernant
le livre sur le site de l'éditeur =>ici
Vidéos
- Neige
Sinno commente son livre aux Correspondances de Manosque, diffusion vidéo
Librairie Mollat, 22 septembre 2023, 10 min.
Elle
donne des précisions sur le choix du titre "Triste tigre"
dans =>cette séquence.
Un rapprochement tiré par les cheveux ? Le titre de la revue
Well Well Well, créé
en 2014 par Marie
Kirschen pour traiter de la culture lesbienne, a été
choisi, certes pour montrer qu'"être lesbienne, c'est bien
bien bien !", mais aussi en référence au
titre d'une chanson du groupe de punk rock américain Le
Tigre, proche des milieux militants lesbiens.
-
Un entretien vidéo
avec les lycéens lors des Rencontres nationales du Goncourt des
lycéens dont elle est lauréate, 1er décembre 2023,
23 min.
L'histoire de la publication du livre
- "Du manuscrit refusé au prix Femina,
itinéraire dun livre inattendu", Télérama,
6 novembre 2023. Extrait :
Jai
reçu entre quinze et vingt lettres de refus. (...) Javais
donc abandonné les envois, tout en continuant de croire très
fort à mon texte pour ne pas désespérer,
et parce que je ne pouvais pas le lâcher, javais commencé
à le traduire en espagnol. Quand je me suis aperçue, tardivement,
que les éditions P.O.L acceptaient de recevoir des manuscrits
par mail, je le leur ai quand même adressé, en janvier
dernier. Deux jours plus tard, javais une réponse.
-
"À chacun son poche", Marie-Anne Georges, La
Libre (Belgique), 8 août 2024. Extrait :
Après
combien de temps un grand format passe-t-il en poche ?
Les titres qui ont bien marché en grand format (ce qui se traduit
par des chiffres de vente dépassant les 5000 exemplaires) passent
au format poche dans une fourchette comprise entre un et deux ans. Jean-Paul
Hirsch (P.O.L) cite ainsi Triste tigre de Neige Sinno qui, continuant
de bien se vendre (on parle alors de long-seller), ne sera pas en poche
avant 2025 (sorti en 2023, il a, notamment, reçu le prix Femina
et le Goncourt des lycéens). Et paraîtra sans doute en
Folio à qui P.O.L cède entre 7 et 10 titres quand #formatpoche
en publie 3 ou 4, plus confidentiels.
Lectures
de Neige Sinno
- Un article de Neige Sinno sur un livre
argentin qu'elle aime offrir (L'Ancêtre
de Juan José Saer)
- Un article de Neige Sinno sur un
livre de nouvelles argentines (Sept
maisons vides, de Samanta Schweblin).
Et
voici NOS RÉACTIONS sur le livre
Ce
16 novembre 2024, nous étions 12 à réagir sur le
livre :
en direct : Claire Bo, Flora, Laetitia, Patricia, Véronique
en visio : Agnès, Aurore, Felina, Joëlle M
par écrit : Marie-Yasmine, Sophie
par audio : Stéphanie.
Prises ailleurs : Anne, Claire Bi, Joëlle L, Muriel, Nathalie, Nelly,
Sandra.
Les tendances concernant
le livre
|
Ont beaucoup apprécié : Agnès,
Claire
Bo, Felina,
Flora,
Laetitia,
Patricia,
Sophie,
Stéphanie et
Véronique.
Ont des réserves en demi-teinte : Aurore
et Joëlle
M.
Ou très vives
: Marie-Yasmine.
Stéphanie
(avis
transmis en audio)
Je suis en pause pendant la formation professionnelle que je suis en train
d'animer. J'ai beaucoup aimé le livre. J'ai été captivée
par la douceur de la langue, par cette écriture très douce
malgré le sujet extrêmement violent. En dépit de la
violence des mots dits, il y avait quand même une douceur dans la
progression de ma lecture et quelque chose qui faisait que je l'ai lu
presque d'un trait, en tout cas très rapidement.
En même temps, c'est un livre que je n'arrivais pas à envisager
de façon distincte du livre qu'on avait lu juste avant, Nos
armes : alors que je n'ai pas apprécié cet écrit,
enfin pas apprécié la façon dont c'est écrit,
alors que je me suis souvent ennuyée, même s'il y a des nuances
- je ne vais pas y revenir - en tout cas c'était une lecture assez
pénible pour moi. Alors Triste tigre, c'était un
peu comme une bouffée d'air, ce qui était très curieux
parce que le sujet est horrible. Le livre parle de faits extrêmement
difficiles à relater, et pourtant je l'ai lu avec une certaine
légèreté. Et j'ai beaucoup apprécié
la lecture de ce livre.
Une fois le livre refermé, au bout de 3 ou 4 jours c'est Nos
armes qui revient, et non Triste tigre que j'ai oublié,
peut-être je devrais dire refoulé, du fait de cette
étrangeté d'avoir pris plaisir à lire un livre, bien
écrit certes, mais qui relatait des choses extrêmement difficiles.
Donc je l'ai oublié et j'y ai repensé il y a quelques jours
en me disant tiens, le jour s'approche, je me faisais vraiment une joie
de vous retrouver toutes même si finalement ce n'est pas le cas,
et je me disais mais qu'est-ce que je vais raconter, et dans mon esprit
pendant ces derniers jours les deux livres, Nos armes et Triste
tigre, se mélangeaient. C'est comme si ça faisait un
amalgame. J'essayais de penser à Triste tigre et puis des
images de Nos armes revenaient et je me suis dit tiens comme dans
Nos armes il y avait cette violence parfois un peu gratuite, cette
violence "révolutionnaire" qui était présente
dans ce livre, je me suis demandé si le fait d'avoir oublié
Triste tigre et d'intercaler dans ma mémoire comme ça
des images de Nos armes, ce n'était pas dû au fait
que finalement Triste tigre c'était très doux et
il y manquait une réaction violente à ces viols perpétrés
pendant plusieurs années.
Comme si Neige Sinno ne s'était pas suffisamment rebellée,
et c'est pourquoi j'intercalais de la violence par rapport aux crimes
commis contre elle. Je pense que je vais essayer de revenir au livre pour
réfléchir. Enfin c'est un livre que j'ai lu avec plaisir
aussi parce que moi aussi j'ai un côté où je réagis
avec douceur à la violence. Elle cite des auteurs, et c'est aussi
un peu ma façon de réagir ; je ne savais pas que Virginia
Woolf que j'aime beaucoup avait été abusée dans son
enfance.
En tout cas c'est une lecture que j'ai appréciée. J'y reviendrai
parce qu'elle est troublante. Je vais m'arrêter là et vous
laisser débattre de ce livre violent sans violence. C'est vraiment
curieux de vous parler de tout ça depuis un bureau où je
me suis enfermée pour pouvoir vous parler alors qu'il y a une formation
qui se déroule en bas et il faut que j'y retourne très vite,
je suis très frustrée de ne pas être là avec
vous et j'espère qu'à la séance sur les Surs
Nardal, nous pourrons reparler de façon informelle de Triste
tigre.
Marie-Yasmine
Je ne peux pas être parmi vous aujourd'hui car je suis retenue à
un stage d'arts martiaux (viet
vo dao - vo co
truyen) ; j'avais pourtant beaucoup de choses à dire sur Triste
Tigre, mais je vais pouvoir vider mon sac sur le tapis et dans cet
avis.
Je ne peux pas donner un avis sincère sans séparer la dimension
littéraire et la dimension opinion du livre.
Je n'ai rien à redire à la dimension littéraire,
c'est bien écrit, la structure qui semble décousue sert
le propos et n'est pas si chaotique au final. Le fond est puissamment
amené par la forme, et en tant que lectrice j'ai été
baladée dans le monde de l'autrice de façon puissante, choquante
et fluide. C'est donc très réussi.
Sur la dimension opinion, c'est tout le contraire. Je trouve ce livre
et son propos extrêmement dangereux.
Le terme "brisé pour la vie" qu'elle emploie de façon
filée dans le livre et ses longs épanchements sur le fait
qu'il n'y aucun espoir, qu'elle marche dans un enfer sombre en permanence,
qu'elle peut reconnaître ceux qui, comme elle, marchent de ce côté
de la vie et n'auront jamais droit à la paix et l'insouciance,
tout cela est tout simplement dangereux, et tout simplement faux. Son
désespoir est très réel, sa souffrance est très
réelle, mais son diagnostic et son pronostic est parfaitement erronés.
Elle n'est pas capable de le voir parce que c'est un symptôme du
C-PTSD,
de penser qu'il n'y a aucune solution et aucun espoir.
Elle n'a aucun recul parce justement elle refuse de se traiter, mais en
plus elle clame à toutes les autres victimes de maltraitance infantile
et/ou d'inceste qu'il est illusoire de chercher un soulagement, c'est
criminel. Elle sous-entend que se traiter allègerait le poids pour
son agresseur de ce qu'elle a subi, alors que c'est tout le contraire.
Elle vit chaque jour dans le monde de son agresseur en refusant de se
soigner, elle continue d'être sa victime, et de le laisser envahir
toute sa vie, son corps et son esprit.
Si son beau-père lui avait brisé la jambe, et qu'elle avait
refusé le plâtre et les séances de kiné, aurait-elle
clamé partout qu'être boiteux quand on a été
agressé c'est normal et qu'il ne faut chercher aucun salut dans
des traitements dont la science a pourtant prouvé l'efficacité
? Son discours serait immédiatement perçu comme absurde
et dangereux. Et bien c'est exactement la même chose pour son cerveau,
qui a été brisé et qu'elle refuse de soigner en clamant
ensuite que de toute façon c'est impossible.
Pire encore, elle a choisi d'avoir un enfant, et de vivre avec des pensées
intrusives et des images d'elle agressant sexuellement son enfant lorsqu'elle
s'en occupe. Si elle ne le fait pas pour elle (la perte de l'estime de
soi est aussi un symptôme), pourquoi ne le fait-elle pas pour son
enfant ? C'est parfaitement irresponsable.
Je pense aussi à toutes les victimes qui vont lire ce livre et
recevoir la confirmation qu'elles sont foutues, que leur vie est gâchée
et que rien ne sert de se battre. Elles n'ont vraiment pas besoin de ça
dans leur vie déjà si dure. J'aimerais pouvoir leur dire
que c'est faux, qu'elles ne sont pas brisées, elles ont juste besoin
d'un plâtre et d'un kiné pour leur esprit, qu'elles le trouveront
en poussant la porte d'un cabinet de psychologie pratiquant la psychologie
scientifique (TCC
et EMDR notamment).
Je suis très triste que la diffusion de ce livre puisse permettre
à cette idée de prospérer dans l'esprit de victimes.
Je vous souhaite une séance passionnée, et j'ai hâte
de lire vos échanges !
Sophie
(depuis Nice)
Je n'avais pas envie de lire le livre.
Car je pensais que cela allait être de nouveau un témoignage
sur le sujet.
Je n'avais pas envie d'un nouvel écho à ma propre histoire
ni à celles des 160 000 enfants agressés chaque année
en France.
Finalement comme tout le monde en disait le plus grand bien, je me suis
décidée à le lire.
Je l'ai lu, au bord d'un lac, pour respirer la nature et sentir la beauté.
Car j'avais un peu peur de ce que j'allais y trouver.
Je l'ai lu en une fois, captée de suite, par le va-et-vient constant
entre son vécu, ses références, ses analyses. Son
langage cru et un peu retenu. Le ton intimiste et un autre plus neutre.
Son expérience, ses ressentis et ceux des autres. La négation
de l'aspect thérapeutique de son écriture malgré
cet aspect bien réel. La progression non chronologique des faits
mais plutôt une progression dans son analyse, recul sur ses émotions,
et possibilité de survivance.
J'ai aimé les multiples références, artistiques,
littéraires (romans, poésies, chansons) et leurs extraits,
ou cinématographiques, et leur mise en lien avec son histoire et
son analyse.
Les références sociologiques, journalistiques, sous toutes
leurs formes, essais, journaux, podcast. Les références
juridiques et pénales. Les lettres manuscrites.
J'ai aimé la structure en deux parties, qui étonne par leur
nom de chapitres judicieux, les titres non équivoques, le titre
et son explication un peu complexe. La réflexion sur son travail
d'écriture et sur l'art.
Factuel : la faible peine rendue par la Justice à son agresseur
est révoltante. Autant que la facilité à refonder
une famille par cette même personne.
Un petit plus très narcissique : j'ai apprécié découvrir
que l'auteur de romans graphiques niçois avec qui elle a une relation
et qui va l'encourager à porter plainte, est un
auteur que j'apprécie depuis mon adolescence, que j'ai immédiatement
reconnu. J'aime son travail. Il est venu faire une conférence
avec Ernest Pignon Ernest cette année à Nice. Il est
très à l'écoute des gens qu'il dessine avec un bel
imaginaire et un style épuré.
Je joins à mon avis deux photographies prises :
- lors de ma lecture :
- et une autre prise le lendemain en
écoutant Claude Ponti parler de son travail et de sa résilience :
Elles sont pour moi un écho à la lecture de ce livre.
Sur la suggestion de Claire, j'ajoute que j'ai fait deux fois un travail
sur ce sujet :
- en 2012 : Être
IMMUNE
- et en 2024 : FILLETTE
Agnès
Jai
lu ce livre une deuxième fois pour notre groupe, puisque je lavais
déjà lu au début de cette année. Javoue
que je redoutais un peu cette relecture, à cause de son sujet.
Mais je nai pas regretté de my être à
nouveau plongée.
La première fois, cette lecture faisait suite à dautres
livres sur les sujets de linceste et du viol, deux romans de Christine
Angot, Le
consentement de Vanessa Springora et La
familia grande de Camille Kouchner. Javais alors trouvé
Triste tigre un peu moins intéressant que ces livres, moins
poussé dans lanalyse, moins réflexif, moins percutant.
Je change davis après cette deuxième lecture. Jai
trouvé pertinent quelle remette en question le concept de
résilience (qui est précieux, mais de plus en plus pris
pour une injonction). Elle y revient plusieurs fois dans son livre, lart,
la littérature, ne sauvent pas du traumatisme de la violence et
de lanéantissement, du moins le processus est compliqué
et peut échouer.
Jai aimé quelle appuie ses réflexions sur de
nombreux textes littéraires dauteurs et dautrices (qui
sont pour la plupart des écrivain-es que jaime) et sur certaines
uvres cinématographiques. Elle cite Nabokov (dailleurs,
elle ma permis de comprendre le roman Lolita
sans plus faire de contresens), V. Woolf, Annie Ernaux, Maylis de Kerangal,
Camille Kouchner, Emmanuel Carrère, Jean Hatzfeld, Hannah Arendt,
Sartre, Genet, Eribon, V. Despentes, Christine Angot, Claude Ponti, Céline
Sciamma, etc.
Je partage totalement son opinion sur lincompréhension quelle
mentionne au début du portrait de son violeur : comment est-ce
possible davoir lidée de violer un enfant et, pire,
de passer à lacte ?
Deux passages mont paru particulièrement insoutenables (mais
nécessaires dans le déroulé du récit et la
démarche de vérité) : le fait que son beau-père
mette un point dhonneur à provoquer un orgasme quand il la
viole, pour se déculpabiliser (il utilise même cet argument
au procès pour se faire passer pour un "mec bien"). Une
horreur. Et le moment où sa fille lui demande de lui masser le
dos et où elle éprouve un vertige, simaginant violer
lenfant. Un passage qui met très mal à laise.
Elle mentionne quelle livre un témoignage, que ce récit
est une autobiographie, mais je trouve que son texte va bien au-delà,
puisque cest aussi une analyse de notre société, qui
tolère les viols et linceste. La phrase la plus percutante
est celle citée à deux reprises, pourquoi passent-ils à
lacte ? Parce quils le peuvent.
Elle mène aussi une réflexion sur lécriture,
outre le fait quelle ny voit pas de vertu thérapeutique,
elle sinterroge sur lidée de faire de la beauté
avec de lhorreur. Elle le répète, faire de lart
avec de la souffrance est une voie sans issue. Je ne partage pas son opinion,
mais je trouve intéressant quelle lance ces pistes.
En bref, un ouvrage important, essentiel même, dans la lignée
des ouvrages que jai cités plus haut.
Flora
Je rebondis sur ce que dit Agnès, d'accord
avec elle pour dire qu'il est important de lire ce livre. Je suis fière
qu'on l'ait proposé et qu'on le lise ensemble.
Plus on parle de ces drames, plus on libère la parole et plus on
peut aider les victimes.
Comme Stéphanie, j'ai aussi oublié le livre, mais grâce
à vous, le contenu m'en revient.
C'est un livre facile à lire, bien écrit, cru aussi. J'ai
aimé comme elle s'adresse à nous.
Je le lirai peut-être une deuxième fois, mais le conseiller,
je ne sais pas...
Les références m'ont aidée. J'avais lu Lolita,
mais j'étais un peu jeune ; là, je l'ai vu autrement, c'est
éclairant.
Une fois de plus, je suis contente d'avoir lu le livre choisi.
Véronique
Je n'ai pas fini le livre, l'ai juste commencé. Et dans l'intervalle,
j'ai été invitée par une copine au vernissage d'une
exposition, Bestiaire intime
(avec des dessins d'animaux accompagnés d'un texte) : à
30 ans, après avoir eu un enfant, l'inceste oublié est revenu.
J'ai envie de vous lire ce qui est dit sur la jolie page en ligne présentant
l'exposition :
"Tous ces animaux sont nés du ventre sombre du traumatisme.
En revanche, leur représentation se veut lumineuse, et directement
accessible. Les textes, autant que les dessins, sont des supports pour
apprivoiser des monstres blessés (qui traînent sous le tapis
de la conscience) et leur trouver un sens, une utilité, des qualités.
Faire
grandir un jardin zoologique privé, cest une manière
de survivre à linceste, en acceptant les vagues démotions
fossilisées qui enveloppent comme les couches dun oignon.
Par la peinture, lécriture et limagination, les animaux
du dedans sexpriment, sapprivoisent et se soutiennent. Ainsi,
il est possible de réconcilier les parties de soi prisonnières
du passé et de lamnésie traumatique.
Ce travail pourra toucher évidemment les survivant.es, celleux
qui cherchent sans cesse à se colmater de lintérieur,
mais également un public plus large. Le Bestiaire intime permet
à chacun et chacune de sinterroger sur son propre monde intérieur.
Car personne ne sort indemne de lenfance : il y a toujours des morsures
à panser, des fauves à apprivoiser, et une enfant intérieure
à consoler."
Pour en revenir au livre que j'appréhendais de lire, il se lit
facilement, c'est bien écrit, avec ces références
à Lolita, à Virginia Woolf, on saisit aisément. Elle
se met dans la tête de son violeur, c'est terrifiant, je n'avais
jamais lu quelque chose comme ça. Je vais le finir, encouragée
en plus par vos échos.
Laetitia
Il s'agit du troisième livre que je lis sur le sujet du viol après
Le
consentement de Vanessa Springora (lu
avec Lirelles en avril 2020) et
La
familia grande de Camille Kouchner. J'avais une certaine appréhension
à entamer cette lecture au regard de ce sujet, pour le moins délicat.
Pourtant,
je l'ai trouvé bien plus intéressante que les deux autres
citées précédemment - d'un point de vue "littéraire".
Dès le titre, la référence "aux textes"
est là : le "Tigre" renvoie ainsi notamment à
un poème de William Blake, The
Tyger.
J'ai par ailleurs relevé cette parole de l'auteure lors d'une interview
: "Il y a plusieurs tigres dans mon titre et ils sont tristes
de différentes façons". Cela interroge !
Trois aspects m'ont plus particulièrement intéressée
:
- Tout d'abord, le projet du livre : il ne
s'agit pas cette fois de l'histoire du dévoilement du viol - puisque
l'enquête et la condamnation ont déjà eu lieu -
mais d'appréhender la figure du violeur en la questionnant socialement
et depuis la littérature. C'est la forme multiple du récit
qui me semble la plus audacieuse. Neige Sinno décortique et met
à nu tous les rouages à travers différentes formes,
différents registres, différents angles.
Un format hybride entre récit et faits, entre reportage, documentaire,
récit de voyage et roman.
J'ai apprécié les références à Lolita,
Virginia Woolf, Céline Sciamma...
Pour reprendre la définition de la non-fiction des Éditions
du sous-sol (spécialisées dans la traduction du genre),
il s'agit "d'écrits entre fiction et réalité.
La narrative non-fiction est une littérature inspirée de
faits réels qui emprunte à l'enquête journalistique
et à l'écriture romanesque. Des reportages à lire
comme des romans. Un genre littéraire à part entière".
- Ensuite, elle écrit que "la littérature
ne l'a pas sauvée", contrairement à de nombreux
auteurs/autrices pour lesquels c'est le contraire.
C'est une position atypique.
C'est parce qu'elle va mieux (ou semble l'être... je suis d'accord
avec Marie-Yasmine : elle n'est pas guérie) qu'elle s'autorise
à écrire.
Elle renvoie à l'importance de la santé mentale, tout en
refusant pour elle-même une aide psychiatrique (mais pas pour les
personnes emprisonnées...).
- Enfin, l'actualité du propos. À
l'heure du procès des viols de Mazan, le texte de Neige Sinno résonne
tout particulièrement. La figure du beau-père est insupportable
(lui-même est une victime, etc.). La première phrase du livre
renvoie au contexte post "Me too" ("moi aussi"). Et
tout le texte s'inscrit dans une réflexion plus globale sur la
définition du Mal.
Pour conclure, je voulais revenir sur les extraits de journaux (à
l'intérieur du livre) qui ont un écho particulier pour notre
groupe dans la mesure où nous nous sommes rendues à Vars
il y a deux ans.
Il nous fallait lire ce livre. Merci Lirelles.
Felina
J'ai
lu le livre avec intérêt, quasi d'une traite, happée.
Il s'agit d'une histoire vraie, d'une autofiction, je n'ai rien à
dire sur l'histoire proprement dite, c'est la forme qui m'intéresse,
avec ce questionnement continue de l'autrice, ce récit découpé,
avec des documents.
De l'extérieur, il s'agit d'une famille "normale", et
derrière la photo souriante, c'est l'horreur.
J'ai apprécié que ce soit un récit non linéaire,
sans climax. J'ai apprécié la façon dont tout est
amené, en prenant en compte plein de points de vue : elle analyse
avec l'appui d'études, elle effectue un travail de comparaison
pour appréhender ce qui s'est passé. Elle dit que l'écriture
n'a pas de rôle thérapeutique, mais les livres sont d'une
grande aide : on se soigne par les livres.
Comme Laetitia, j'ai fait le lien avec le procès de Mazan, et comme
Agnès, je vois confirmé dans le livre que les violeurs violent
car ils le peuvent : l'occasion est propice. Cela me bouleverse
à chaque fois, de constater qu'il s'agit de personnes apparemment
ordinaires.
Bref, Triste tigre est une uvre sincère, importante,
que j'ai beaucoup appréciée, pour moi à lire dans
les écoles.
Patricia
J'ai lu Triste tigre de Neige Sinno à la sortie du livre,
il y a plus d'un an. Je me souviens en avoir parlé à une
séance Lirelles et dit que j'avais beaucoup aimé
ce livre. Je ne pensais pas à ce moment-là qu'on le retiendrait
à Lirelles, donc je n'ai pas pris de notes. Pour la séance
je n'ai pas eu le courage de relire le livre, j'ai essayé de me
remémorer, mais je ne me souviens plus de tous les détails.
En fait, je l'avais lu dans la foulée des livres qui concernaient
les abus sexuels sur mineurs par des proches, et l'inceste. Parmi ces
livres, il y avait Le
consentement de Vanessa Springora, La
familia grande de Camille Kouchner, Un
si long silence de Sarah Abitbol (la championne de patinage artistique),
entre autres. Et aussi les livres de Christine Angot et son
film sorti il y a peu.
Je pense que tous les témoignages sur ce sujet sont absolument
nécessaires et que plus il y en a qui osent en parler mieux c'est.
Je compare ça aux témoignages sur la Shoah écrits
par les familles des victimes, pour montrer que ça a existé
et pour qu'on n'oublie jamais.
Pour revenir à Triste tigre, j'avais trouvé que
la lecture de ce livre avait été facile, livre bien écrit,
bien structuré, et intéressant avec des idées nouvelles.
Je l'ai vu plus comme un essai, matière à réflexion,
que comme un roman. Neige Sinno analyse de façon fouillée
l'ensemble des processus autour de l'inceste, sur tous les points de vue.
Elle en parle sans aucun affect, d'une manière concrète,
les pieds sur terre, malgré des propos très crus, et avec
un certain humour quand même. Elle s'appuie sur son propre cas,
mais aussi sur plein de références, notamment le livre Lolita,
qu'elle interprète autrement que ce qui est montré dans
le film
(que je n'ai pas vu). Et elle m'a, du coup, donné envie de le lire.
Neige Sinno se démarque des autres autrices citées ci-dessus,
car on n'y retrouve pas des propos qui emportent le lecteur dans des émotions
excessives, par exemple pour Sarah Abitbol avec Un si long silence
qui avait réussi à me faire pleurer.
De même, on n'y retrouve pas la colère comme dans les uvres
de Christine Angot, ni un esprit de vengeance.
De plus, elle réussit en un seul livre à traiter tous les
sujets, car le sujet est complexe, alors qu'il aura fallu à Christine
Angot plusieurs livres et un documentaire (vue du père, vue de
la mère, vue de son inceste, vue des proches et de sa fille, son
conjoint, la plainte à la police, etc.). L'ensemble de l'uvre
de Christine Angot est plus percutant, elle y a consacré sa vie.
Il semble que Neige Sinno veuille rapidement passer à autre chose.
En écoutant l'avis de Marie-Yasmine, je trouve qu'elle a effectivement
raison, je n'avais pas pensé en lisant ce livre aux victimes potentielles
qui le liraient et l'impact qu'il aurait sur elles, son côté
désespérant, du genre "on ne s'en remet jamais".
Et c'est d'ailleurs ce que j'ai pu percevoir aussi dans les autres livres
que j'ai cités : "on ne s'en remet jamais".
Par rapport au titre du livre, la métaphore du tigre, essayer d'apprivoiser
le tigre qu'on a en soi, je suis surprise de voir qu'à chaque témoignage
on y retrouve souvent un animal. Par exemple :
- Neige Sinno : le tigre
- Sophie ayant vécu un traumatisme similaire, dans son avis elle
nous joint une photo illustrant cela par un chat noir ou une panthère
- Véronique nous parle d'une amie ayant aussi vécu cela,
qui fait une thérapie par l'art et qui peint des fauves
- Je pense à Barbara avec L'aigle
noir qui illustre l'inceste de son père
- Je me souviens aussi d'un livre de Thérèse Bertherat
qui décrivait une méthode de gymnastique douce (tirée
de Françoise Mézières) destinée à soigner
le corps et l'esprit, et elle avait appelé son livre Le
repaire du tigre.
En conclusion, ce livre est pour moi un incontournable pour qui veut s'informer
sur l'inceste.
Joëlle
M
Ce que j'ai aimé, c'est le style, et
pour ce qui est du fond, je réagis comme Felina.
Elle a réussi à garder un ton suffisamment léger
en dépit du sujet.
Le livre est rythmé par des citations ou références,
ce qui casse le rythme, et c'est plutôt pas mal.
J'ai apprécié qu'elle essaie de rentrer dans la tête
du violeur, ce qui change des autres livres sur le sujet.
J'ai lu le livre d'une seule traite (un livre dont j'apprécie d'ailleurs
le nombre de pages...).
Ce que j'ai moins aimé, ce sont les répétitions :
pourquoi ces redites, je n'ai pas compris et n'ai pas du tout apprécié.
Mais bon, j'ai plutôt aimé lire le livre alors que j'avais
des craintes du fait du sujet.
Bref, une belle trouvaille de Lirelles.
Aurore
J'ai du mal à avoir un avis construit sur ce livre au sujet important.
Je suis plus touchée par les livres de Christine Angot que celui-ci
: les deux sont horribles.
Neige Sinno tourne en rond, elle se répète.
Par ailleurs, je n'ai pas du tout aimé les passages où elle
essaie de nous guider, j'ai réagi comme Joëlle
L qui avait critiqué l'absence de liberté du lecteur
que Marion Brunet imposait dans Nos
armes. Ainsi je n'aime pas quand elle dit "Je suis dure
avec ma mère. Je sais que le lecteur, la lectrice, auront tendance
à être durs avec elle aussi" : c'est au lecteur
d'avoir son avis.
Je n'aime pas non plus quand elle évoque la lectrice : c'est
un lecteur, mon père, qui a lu le premier ce livre avant
moi.
L'écriture n'est pas une thérapie, dit-elle ; elle dit pourquoi
elle n'a pas fait de thérapie : "Je nai pas vu de
psychologue, ni de psychanalyste. Je nai jamais parlé de
cela avec des professionnels. Dans mon milieu, on ne consulte pas, on
a peur, et on sait aussi que dans les structures qui nous sont ouvertes,
le service public submergé, les praticiens de province pas très
bien formés, les services gratuits dont les salles dattente
sont remplies de cas sociaux, de véritables cours des miracles
de la souffrance mentale, on a pas mal de chances de tomber sur quelquun
de trop débordé ou dincompétent."
Elle n'arrive pas à se libérer du traumatisme, alors que
la démarche EMDR
a fait ses preuves.
Finalement je n'arrive pas à dire que j'ai aimé ou que je
n'ai pas aimé. C'est un livre intéressant, mais des choses
m'ont dérangée dans la forme qui est intéressante
pourtant.
À la fin de chaque chapitre, dans le dernier paragraphe, c'est
comme si elle baissait de registre, ça me bloquait, ce n'est pas
fluide.
Angot m'a plus touchée et son
film m'a émue. Ici, c'est cru mais sans émotion.
Claire
Bo
J'ai lu sur "le sujet" en 2020 avec Lirelles Le
consentement de Vanessa Springora que j'ai trouvé remarquable,
par son ton, sa composition, son écriture et son enjeu. Certes
le contenu dépasse la dimension littéraire, mais je l'ai
considéré avant tout comme une uvre.
Ici, il en va de même pour ce livre. Moi non plus, je ne voulais
pas le lire quand il est sorti en raison de son "sujet". Mais
la litanie d'échos sur sa qualité littéraire m'a
convaincue a priori que c'était un livre important. Je suis vraiment
contente de l'avoir lu dans le cadre d'un groupe "littéraire"
plutôt qu'un groupe "militant".
Je n'ai lu qu'un livre de Christine Angot, Un
amour impossible, pas uniquement centré sur l'inceste,
et qui m'avait plu. Mais son auteure me gêne par rapport à
ses textes, alors que pour V. Springora et N. Sinno, leur parole
me semble porter la littérature. Irais-je jusqu'à dire que
Christine Angot en a fait son fonds de commerce ? Non, mais...
Si je considère mon expérience de lecture, ma réaction
est très positive. Je trouverais bien des réserves dans
une phrase par ci, une image par là. Mais je trouve le tissage
que constitue ce texte une grande uvre. Je comprends qu'Aurore et
Joëlle soient gênées par des redites. Moi non, au contraire
: j'ai aimé comme des spirales, des sillons tracés, parcourus,
reparcourus autrement, un entrelacement de sentiments (dont la colère
je trouve) et d'analyse.
J'ai aimé l'aspect (en)quête.
J'ai aimé les sarcasmes, par exemple au sujet de la fellation :
"un acte qui peut se pratiquer facilement, sans faire de bruit,
qui ne laisse pas de trace. Un bon rapport qualité-prix, on pourrait
dire".
J'ai aimé qu'elle revienne sur ses propos : "Voilà
des phrases bien pompeuses. Je me laisse emporter, là. Je ne devrais
pas faire de généralités, il y a tellement de chance
de se tromper." Et plus cruel pour elle-même quand elle
relativise les horreurs : "Ça pourrait toujours être
pire. Il ne me fait pas manger mes excréments, il ne me force pas
à le regarder décapiter des animaux", sans parler
de la Syrie ou de la Shoah qu'elle évoque.
Plus d'une fois dans la lecture, j'ai pensé que sa réflexion
sur le mal était illustrée par le procès
de Mazan.
J'ai été submergée par l'émotion quand elle
dit : "Moi aussi j'ai mon foyer aujourd'hui. Je regarde tendrement
ma fille et son père marcher devant moi main dans la main sur un
sentier. Vous savez maintenant à quoi je pense volontiers et ce
que je ne peux m'empêcher d'imaginer."
J'ai aimé la réflexion sur la littérature en train
de se faire, l'interrogation fiction/non-fiction, la référence
jamais décorative à des auteurs.
J'ai aimé la voix. Je la suis, elle m'appelle. Je la suis dans
sa démarche, dans le texte où je marche.
Je trouve l'écriture dense, sèche et vibrante. Et le livre
est pour moi une grande uvre d'une femme que j'admire.
Maintenant, il y a l'avis de Marie-Yasmine, qui m'a semblé très
intéressant et alors que la question ne m'était pas venue,
je m'interroge : mais oui, pourquoi n'a-t-elle pas fait de démarche
vers un psy ?
Au fait, et comme l'évoque Laetitia, le
drame de Neige Sinno se passe à Vars où nous avons organisé
notre semaine
littéraire en 2021... Nous étions au col de Vars à
2000 m, dans notre Spoutnik isolé ; Vars comporte quatre hameaux
: Les Claux, Sainte-Catherine, Sainte-Marie et Saint-Marcellin, le plus
bas à 1 500 m, où est née Neige Sinno dans un chalet
d'alpage (voir =>les
détails des circonstances de sa naissance).
Sophie et Marie-Yasmine, qui
n'étaient pas présentes, découvrent leurs avis respectifs
- parmi les premiers ci-dessus - et se centrent volontairement dans leur
dialogue sur la question de la thérapie (et non l'aspect littéraire).
Sophie
Même si Neige Sinno ne cesse de répéter que son écriture
n'est pas thérapeutique, elle l'est par le fait même d'être
écriture. C'est-à-dire une activité artistique qui
met en mots. Qui dit les choses. Qui les dit à elle-même,
et qui les dit aux autres, puisque le livre est édité et
diffusé.
Ce travail d'écriture est cathartique, même si elle écrit
le contraire, car elle se libère pour partie par le récit
de son vécu.
Thérapeutique dans le sens où, comme dans une thérapie,
elle ne fait pas que raconter ce qu'elle a vécu, elle revit ses
émotions et s'en éloigne petit à petit. Le travail
thérapeutique généralement fait avec un psy, elle
le fait seule à travers ses lectures, ses analyses, ses recherches
de sens, de tristes réalités systémiques. Grâce
à ce travail, elle replace la culpabilité là où
elle doit être, c'est à dire chez l'agresseur et non plus
chez la victime.
Concernant les vies brisées, je pense comme Neige Sinno qu'elles
le sont.
Un vase que l'on casse, même si on peut en recoller les morceaux,
le vase gardera malgré tout trace de ses morceaux recollés.
Il restera fragile et portera trace de son passé.
Dans le cas de l'inceste, en plus des morceaux à recoller, à
l'inverse d'un vase déjà formé, la construction de
l'enfant est en cours.
L'adulte devra donc vivre avec non seulement les traces de son passé,
mais aussi avec une construction déstructurée ou bancale
ou... En cela sa vie est brisée.
Brisée ne veut pas dire impossible à vivre, ni impossible
à dépasser. C'est pourquoi on parle de personne survivante
à l'inceste.
Comme toi, je crois en la thérapie, par des professionnelles,
mais aussi par l'art, les rencontres.
Tous les chemins sont possibles. Comme celui de Neige Sinno par exemple.
Je n'ai peut-être pas lu le livre comme elle l'a écrit.
Je l'ai lu avec mes idées.
Marie-Yasmine
Je pense en effet, Sophie, que notre discussion n'est pas littéraire
mais sur le fond du sujet.
J'ai une vision beaucoup plus "médicale" et je crois
que l'on peut bien sûr "bricoler" pour s'en sortir, et
mener dans ce cas une vie "brisée" tant bien que mal,
mais je crois aussi qu'il existe aujourd'hui des outils qui ont fait leurs
preuves scientifiquement et qui ne sont pas simplement des rustines comme
peuvent l'être les activités que tu évoques, mais
un vrai traitement et une vraie thérapie qui laissent la place
à une vie qui n'a rien de brisée, et où la déstructuration
initiale n'est plus qu'un événement parmi d'autres, dans
son identité et son quotidien.
Je pense aussi que l'auteure doit à son enfant et aux victimes
qui vont la lire de ne pas propager l'idée qu'il est inutile de
se soigner et que ce serait soulager son bourreau de sa responsabilité.
L'art ou les rencontres permettent parfois d'arriver à un stade
où on est capable de consulter mais ne seront jamais capable de
réparer le fonctionnement cérébral dysfonctionnel
qui est la source des symptômes du C-PTSD. En revanche des thérapies
en sont capables. L'EMDR a des effets sur le cerveau visibles sur IRM
et des effets sur les symptômes concrètement mesurés.
Il ne viendrait à l'idée de personne de dissuader une victime
de se soigner d'une blessure physique, pourquoi le tolérer pour
les blessures psychiques. Et comme je ne recommanderais pas les huiles
essentielles à un blessé par balle, je ne recommanderai
pas la lecture ou l'art à une victime de trauma infantiles graves
comme outil thérapeutique.
Anne (très
débordée, entre deux coups de violoncelle)
Je n'ai pas eu le temps de me replonger dans Triste tigre hélas.
En un mot ? J'avais moyennement aimé.
Claire
Bi (devait être présente,
ne s'est pas réveillée de sa sieste, nous donnera son avis
plus tard)
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