Nikos Kokàntzis
Extrait des éditions Kedros

Édition 2018 de Gicoconda
à la couverture fort discutable

Quatrième de couverture
 :

"Gioconda est un de ces petits livres que l on n'oublie pas de sitôt. Dans la Grèce de la Seconde Guerre mondiale, deux adolescents vont découvrir la magie du désir et de l amour. La tourmente de la guerre emportera cet amour mais ce livre nous le restitue avec une force, une vérité extraordinaires et nous gardons longtemps au cœur sa lumière." Marie-Jo Sotto-Battesti, librairie Goulard, Aix-en-Provence


Michel Volkovitch

Extrait d'En attendant Nadeau

DEUX LIVRES
DE MICHEL VOLKOVITCH

Verbier : herbier verbal à l'usage des écrivants et des lisants,
Maurice Nadeau, 2000

Quatrième de couverture :

Ce verbier est un herbier verbal, dont les plantes seraient les mots non pas un traité, un manuel, une somme exhaustive, mais une série de notes qui sont à l'écrivain ce que le carnet de croquis est au peintre. Les mots, leurs sonorités, leur longueur, leur succession, les phrases, leur syntaxe, leur ponctuation, leur rythme, telles sont les étapes de ce voyage dans la langue française d'hier et surtout d'aujourd'hui. le verbier, déclaration d'amour à cette langue et à ses écrivains, s'adresse à tous les passionnés de l'écriture et de la lecture.

Coups de langue,
Maurice Nadeau, 2007

Quatrième de couverture 

- Tu continues ta chronique dans la Quinzaine l'an prochain, Michel ?
- Il vaut mieux que
je m'arrête, Maurice. La matière est inépuisable, pas moi... Les lecteurs non plus... Après six ans de Coups de langue, ils doivent en avoir marre ! Par contre, on pourrait tout rassembler en volume.
- Cela ferait une suite à ton Verbier. On ajouterait tes notes sur les temps verbaux chez Echenoz et Michon, ton papier sur les mots de la colère paru dans un numéro d'été de la Quinzaine...
- On mettrait sur la couverture les noms des auteurs que je cite le plus... Et pour le titre, j'aimerais bien garder Coups de langue.
- Pourquoi pas ? Après tout, ce que tu nous racontes là, c'est une histoire de mots, de gourmandise, d'amour...

 

Gâteaux apportés
par Jacqueline...

Nìkos Kokàntzis (1939-2009)
Gioconda (publié en Grèce en 1975)

Traduction et postface de Michel Volkovitch

Nous avons lu ce livre pour le 15 juin 2018. Michel Volkovitch était présent ; certains d'entre nous l'avaient rencontré grâce à un voyage littéraire en Grèce, et au sujet de la poésie grecque. Des infos sur le livre et sur le traducteur en bas de page.

Michel Volkovitch nous donne d'abord quelques éléments historiques.

L'histoire se passe à Thessalonique en 1941-1943. En 1945, Gioconda ne reviendra pas des camps, Nikos Kokàntzis est désespéré, n'en parle à personne et enfouit tout cela. A l'approche de la cinquantaine, il se dit qu'un jour il va mourir et donc que Gioconda mourra à nouveau. En 1974 les colonels s'en vont, les Grecs vont retrouver une parole plus libre. 1975, c'est la première édition de Gioconda en Grèce, jusqu'en 1990. Le livre est au départ assez ignoré par les Grecs. Le succès – très relatif – est venu plus tard. Le manque de succès s'explique d'une part du fait que l'auteur n'était pas connu, mais surtout parce que le thème des Juifs suscite un malaise en Grèce : Thessalonique pose problème. En 1913, les Juifs en constituent la population la plus importante, de toutes classes sociales ; et les Grecs étaient minoritaires. L'auteur n'a écrit pratiquement que ce texte.

Au début des années 90 Michel Volkovitch rencontre une amie allemande traductrice qui lui donne envie de traduire ce livre. Il est accepté tout de suite par les éditions de l'Aube. C'est un choix courageux de cette petite maison d'édition. Hélas, la première édition est intitulée "roman", ce qui change totalement le statut du texte ; dans la première édition grecque, la première ligne "ceci est une histoire vraie" est séparée du texte, placée sur la page de gauche. La rectification "récit" a été effectuée dans les éditions ultérieures. En France le livre a eu du succès. Il y a eu plusieurs éditions, avec des couvertures de plus en plus sexy, discutables.

1997
1998
1999
2006
2014
2018

Il y a eu un regain d'intérêt en Grèce. Et une réédition chez un autre éditeur, avec une couverture sobre et appropriée. C'est d'ailleurs le succès en France qui a déclenché le regain d'intérêt en Grèce : ainsi, un extrait de la critique de Florence Noiville figure sur la quatrième de couverture grecque.
Le livre est traduit dans sept ou huit pays. De manière générale c'est en France que les livres grecs sont le plus traduits.

Nos réactions sur le livre

Rozenn
J'ai aimé à la première lecture. Après j'ai été furieuse car Gioconda n'existe pas face aux plaisirs de l'homme qui prend beaucoup de place. Je n'en suis qu'à 28 % de la lecture de ma deuxième lecture, mais j'apprécie quand même.

Geneviève
Je suis allée à Thessalonique l'année dernière, j'ai découvert son histoire. Ce livre me touche donc particulièrement. À Thessalonique, où j'étais accueillie par une collègue, je me suis peu à peu rendu compte de la place énorme qu'avait eu la communauté juive et de la manière dont sa disparition avait été occultée. J'ai notamment appris que l'université où je travaillais avait été construite sur les ruines du cimetière juif, on y marche en quelque sorte sur les tombes. J'ai constaté que dans le très complet musée consacré à l'histoire complexe de Thessalonique, la communauté juive était à peine évoquée. En revanche, il y a un beau musée privé qui retrace son histoire, dans un ancien hôtel particulier. J'ai lu ce livre à la lumière de ce voyage, c'était passionnant de voir revivre cette histoire, juste avant la disparition d'une communauté et de sa coexistence avec d'autres cultures, comme une réponse à mes questions. En revanche, j'ai trouvé douloureuse la plongée dans cette histoire d'amour tout en en connaissant immédiatement la fin tragique inéluctable.

Fanny
Le livre m'a beaucoup touchée, c'est un témoignage magnifique. C'est magnifique de faire revivre cette jeune fille si longtemps après. On voit le personnage principal grandir, s'engager, gagner en maturité. L'histoire se déroule sur deux années mais j'ai eu l'impression de lire la transformation entre un personnage qui est quasiment un enfant au début du récit et un jeune adulte, à travers l'évolution de son désir pour Gioconda et de son engagement dans la résistance. Je trouve très riche ce parallèle entre la guerre et l'histoire d'amour, cela m'a rappelé les Lettres à Lou d'Apollinaire. Même si je n'ai pas douté de l'issue, j'ai été happée par le fil narratif et très touchée de cette volonté de permettre à travers l'écriture que Gioconda ne meure pas une deuxième fois.

Brigitte Duzan (que nous rencontrerons en septembre pour des lectures chinoises, invitée ce soir tant que simple lectrice du livre ET traductrice du chinois)
J'ai retrouvé des points communs avec beaucoup de textes de la littérature chinoise contemporaine, pour tout ce qui concerne les descriptions de la ville, avec la banalisation de l'immobilier et l'emprise croissante du béton sur les fleurs et la verdure. En revanche, la grande différence tient à la liberté d'expression des sentiments qui n’existe pas, ou pas sous cette forme, dans les romans chinois. J'ai beaucoup aimé la manière dont la guerre est évoquée, en arrière-plan, puis son irruption dans le cours de la vie des deux jeunes gens. Pour moi, cependant, ce serait plutôt une nouvelle.

Annick A
Je l'ai lue deux fois, la première à Thessalonique ce qui a influencé ma lecture. Ma deuxième lecture est moins enthousiaste. J'étais bouleversée par la mort de l'homme, le pianiste, au début du livre. Le livre est touchant et émouvant. Pour ce qui est de l'écriture, j'ai trouvé que c'était très adolescent, voire un peu mièvre. J'ai aimé l'interaction entre l'amour et la guerre et la manière dont l'auteur peut vivre intensément cet amour.

Jacqueline
J'ai aimé. C'est surtout une histoire d'amour d'adolescente, avec sa force. Cela m'a donné envie de relire Daphnis et Chloé et le Journal d'Anne Frank (qui peut être lu comme un modèle d'entrée dans la sexualité). La description des changements dans la ville pourrait être transposable ailleurs. J'ai eu le sentiment d'un monde juif disparu.
Concernant la traduction : le terme de corps est employé de manière surprenante, ce qui rend compte de la découverte de la sexualité. Cela existe-t-il en grec ou est-ce une trouvaille de l'auteur ou du traducteur ?

Michel V
???

Claire
Oui, le mot corps à la place du mot sexe, le sexe de Nikos.

Michel Volkovitch
J'ai suivi le texte et une certaine pudeur qui donne en même temps de la force. Non, ce n'est pas une façon habituelle de dire sexe en grec. Même si la Grèce, au moins en 1975, est très pudique dans sa littérature.

Séverine
Je n'ai pas fini le livre, je ne voulais pas me précipiter. J'ai été sensible à l'ensemble des sens qui sont mis en éveil. À travers les descriptions, je vois Gioconda, par exemple la manière dont elle se tient les genoux. Il y a à la fois un côté très adolescent et des propos très matures qui laissent perplexe. Face au discours actuel des professionnels dénonçant les risques pour les jeunes, surexposés à la pornographie, c'est peut-être ce livre qu'il faudrait leur donner à lire...
Il y a un contraste dans l'écriture entre la sensualité et le côté factuel pour décrire la guerre. C'est émouvant et agréable à lire. J'ai vraiment l'impression de voir les scènes, au-delà de l'histoire d'amour.

Claire
Parmi les réserves exprimées dans quelques avis d'absents, il y a une dimension conventionnelle de l'écriture qui est ressentie. Je ne partage pas cet avis : pour moi ce livre est unique à deux sens du terme (de la part de l'auteur et pour moi) ; de plus, alors que je n'aime pas relire, je l'ai relu l'ayant lu avant de visiter Thessalonique, et mes impressions n'ont pas du tout faibli. Je le prends comme une œuvre littéraire et c'est sa force que je retiens : sa force narrative, alors qu'à la septième page c'est comme Titanic on sait comment ça finit ; il se passe énormément de choses, et j'ai été tenue par la tension narrative. Il y a un argument, j'ai envie d'utiliser ce mot théâtral, fort, avec cet amour sur fond d'histoire qui n'est pas qu'un décor, et Roméo et Juliette peuvent aller se rhabiller. L'émotion a été forte, soudaine, à certains moments, sans avoir l'impression que c'était mon côté midinette qui était sollicité. Et j'ai trouvé très forts l'émerveillement de la découverte de l'amour, leur liberté ce faisant, leur égalité aussi, et je ne ressens pas comme toi Rozenn, pour moi Gioconda est bien présente. Quant à l'écriture, elle contribue pour moi à cette force du livre, sauf à quelques moments que j'ai trouvés ratés quand Gioconda s'exprime directement ; pour le reste, il y a des moments d'esquisse (pour l'occupation par exemple avec les queues devant les commerces), de gouache (pour des scènes intenses, dramatiques), d'aquarelle (pour des envolées, par exemple la scène d'amour sur fond de bombardement). Je rejoins Séverine pour l'utilisation du livre comme outil éducatif...

Christelle
En fermant ce récit, je me suis dit que je ne l'oublierai pas. Parfois je me souviens que j'ai aimé un livre mais je me souviens juste de mon impression. Je pense que, de Gioconda, je me souviendrai bien des scènes. En partie car c'est une histoire simple, dans un lieu unique que je trouve très bien décrit, très présent, vivant presque (les deux maisons, le terrain vague et ses hautes herbes qu'on voit bouger). Aussi car le récit est court, intense et très sensitif. La fin, bien que connue depuis le début, est bouleversante, on ressent la douleur de l'auteur et on sent que cette douleur perdure, 30 ans après ! Le ravissement de l'histoire d'amour est un peu écrasé par cette douleur et j'ai trouvé très intéressante la question de Michel Volkovitch dans la post-face : "Dira-t-on qu'il a eu le bonheur, ou le malheur, de vivre cette histoire ?" Difficile d'y répondre mais il semble en tout cas que l'auteur ne veut surtout pas l'oublier et qu'il a trouvé l'écriture comme ultime manière de faire vivre Gioconda quand objets, lieux et souvenirs disparaissent. Le rapport au lieu est important car on voit combien il est difficile pour lui de constater la disparition des maisons et du terrain, de plus au profit d'immeubles sans intérêt.

Annick L
C'est une histoire d'amour (au sens fort !) solaire et tragique à la fois de par sa fin inéluctable. Au début, j'ai trouvé ce récit un peu mièvre. Mais mon intérêt est monté en puissance, au fur et à mesure que leur amour s'affirme : quelle initiation sentimentale et sensuelle magnifique ! Et là j'ai apprécié la fraîcheur du regard du narrateur qui traduit bien l'émerveillement de cette premiere fois. J'admire vraiment la capacité de l'auteur du texte (un homme dejà mature !) à ressusciter cette expérience. C'est d'ailleurs la première qualité reconnue aux grands écrivains pour la jeunesse. Et puis je n'avais jamais rien lu sur le drame vécu par la communauté juive de Thessalonique, littéralement rayée de la carte pendant la Seconde Guerre mondiale : autre intérêt majeur de ce "témoignage" rapporté de l'extérieur. C'est un très joli livre que j'ai envie d'offrir largement.

Henri
J'ai beaucoup aimé ce récit, ce témoignage qui a la forme d'un livre. J'ai du mal à l'analyser sous forme d'œuvre littéraire. L'expression "sale juif" qui est évoqué fait office de parabole. De même quand sont mentionnées "l'incroyable fatalisme et la fierté de leur race" ; cela intime à la vigilance car on n'est jamais à l'abri. Cela m'évoque Jorge Semprun avec L'écriture et la vie.
Je suis chiffonné pas tant au niveau de la traduction que de l'écriture. Il y a par moment des glissements gênants entre son adolescence (quand c'est écrit au présent) et le présent de l'adulte (qui écrit au passé). Il nous présente à nous lecteurs la fin comme une évidence, du haut de ses 15 ans, un peu comme si adolescent il savait déjà.

Claire
Mais il parle alors au passé : "Elle fut mon amie la plus proche depuis que nous sûmes parler jusqu'au jour ou elle partit, à quinze ans, avec toute sa famille, emmenée par les Allemands." (p. 13)

Geneviève
L'auteur remet en scène des émotions qu'il a vécues avec son regard d'adulte.

Henri
Il y a le poids d'une forme d'idéalisation de la mémoire. Par exemple la famille juive est idéalisée (froncement de sourcils de Rozenn et Claire). Les scènes d'amour corporel sont magistrales, les écrivains érotiques devraient s'en inspirer. C'est un objet que j'offrirai moi aussi volontiers mais qui est d'un autre statut que le livre.

Lisa
Je l'avais lu à Thessalonique. J'avais été subjuguée. Et je voulais conserver cette impression. Mais je crois que je vais le relire ce soir après vous avoir entendus. Les scènes de sexe sont magnifiques. J'étais presque jalouse de ne pas avoir vécu une telle histoire d'amour à l'adolescence – sans la fin tragique…

Richard
Le problème c'est qu'avec la distance de la narration, j'ai du mal à y croire. L'histoire d'amour est belle et on peut se demander combien de gens ont pu s'aimer comme cela. Globalement je n'ai pas aimé le livre, mais j'ai réagi émotionnellement à la fin. J'ai pleuré. Pour un Anglais ce n'est pas mal.

Geneviève
C'est un exploit de la part du livre !

Monique L (avis transmis)
Je n'ai rien trouvé d'original dans cette œuvre. C'est bien écrit, certes. L'idée du livre comme trace d'une personne disparue pour conserver sa mémoire n'est pas un scoop, la découverte de l'amour et de la sensualité par un adolescent non plus. Je lirai avec beaucoup d'intérêt ce que vous direz.

Nathalie (avis transmis)
J'ai lu Gioconda deux fois. C'est un livre court et pur, très facile à lire. Il nous montre un entre-deux suspendu, une histoire idéalisée qui n'aura aucun risque d'être salie par la réalité d'un avenir qui n'a pas existé.
Mon problème, c'est que même en le lisant deux fois, j'ai du mal à voir ce que je pourrais en dire. J'ai pensé un temps que ce serait bien que chacun d'entre nous apporte une photo de ses 14 ans afin qu'on la glisse à côté de notre critique. Une sorte d'écho visuel à ce que je venais de lire et que je cherchais à mettre en parallèle. Une interrogation entre eux et moi. Entre elle et moi. Entre ceux qui à cet âge ont pu m'aimer et ceux que j'ai aimés. Mon parti pris est que je refuse de lire ce livre à l'aune de la guerre ou de circonstances exceptionnelles. Je pense qu'il ne prend de valeur que si je l'aborde en ayant une lecture de ce qu'est l'innocence des sentiments à un moment précis de notre enfance, avant toute forme de calculs conscients ou inconscients. J'ai également cherché à savoir ce qu'il y avait en moi d'aussi pur au même âge. Et je suis arrivée à la conclusion que je n'en savais rien parce que je pense que nous ne pouvons pas être conscients de cette pureté. Ai-je aimé le texte ? Oui, j'ai aimé, bien sûr. J'ai aimé comme on aime lire une lettre trouvée au fond d'un grenier. Ça sent bon, c'est doux et ça fait rêver. Ça donne envie aussi de retrouver un point de non retour, celui où l'on perd quelque chose dont on ne connaît pas la valeur, que l'on ne savait même pas être détenteur. Je trouve que ce roman provoque chez moi une forme de nostalgie et en même temps, toujours ce léger agacement face à une narration elliptique. Que pensait-elle vraiment ? Que se passe-t-il entre le premier baiser de la page 41 et l'année suivante page 42 ?
C'est un vieil homme qui nous raconte ses premiers émois. Il fait cela en cherchant dans sa mémoire un passé qui n'existe plus. Comment croire à ce qu'il nous rapporte ? J'ai du mal avec cette écriture à distance temporelle. Je trouve qu'il y a un travail sur les choix de ce qui nous est raconté (ou pas) qui me dérange.

Monique S
Je suis un peu partagée.
Oui, c'est une belle histoire, heureuse, d'un premier amour, et de cœur et de corps.
Mais une chose pourtant me gêne : c'est la première phrase "Ceci est une histoire vraie".
Un premier amour avec une toute jeune femme juive, qui mourra dans un camp de concentration. Épouvantable en effet !
Difficile alors de donner un avis...
Peut-on, si l'histoire est vraie (mais est-elle vraie ? ou a-t-on affaire à une histoire de marketing éditorial ?), sans se culpabiliser de toucher à la mémoire due aux victimes des camps, se poser la question du style littéraire ?
Parce qu'en ce qui me concerne, si l'histoire n'était pas vraie, et que mon capital émotionnel tombait, j'oserais alors dire que, même si le récit est bien mené, en faisant fonctionner tous les cordes de l'émotionnel, je trouve la construction et l'écriture très conventionnelle. Très, trop classique.

Michel Volkovitch répond à nos questions

Puisque vous avez eu des contacts avec lui, est-ce que l'auteur vous a parlé de son travail d'écriture de Gioconda ?
MV - Je connais peu de choses de la vie de l'auteur qui resté très discret lors de notre rencontre, de nos échanges. Il a d'ailleurs un côté très anglais...

On peut s'étonner que Gioconda n'ait pas été porté au cinéma.
MV - Cela ne sera pas fait en Grèce en rapport avec cette culpabilité concernant les Juifs. Il ne s'agit pas de négationnisme, mais ils minimisent par culpabilité.
Thessalonique exerce une fascination car de nombreux bâtiments ont disparu sous la pression immobilière. De même il n'y a plus beaucoup de Juifs. C'est une ville fantôme.

Cela vous arrive-t-il de traduire des livres que vous n'aimez pas ?
MV - Je ne recherche pas, mais cela m'arrive. C'est un bon exercice qui permet sinon d'aimer du moins de mieux comprendre. Il reste toujours le plaisir de traduire voire d'améliorer le texte. Traduire c'est de toute façon jouissif. A l'inverse, il ne m'est pas arrivé d'aimer un livre au départ et de ne plus l'aimer ou l'aimer moins après l'avoir traduit.

Ce livre, vous l'avez aimé ?
MV - Ce livre m'a profondément touché, sa traduction a été pour moi une forme de réparation. Traduire ce livre m'a fait du bien, mais ne m'a pas rendu aveugle sur le livre. Je n'aime pas le mot littérature. Je ne l'emploie pas. Ici j'ai du mal à distinguer ce qui relève du témoignage et de l'écriture. Il ne s'agit pas d'un écrivain professionnel, il n'a pas la technique. Il fait le choix de la simplicité. Il ne s'épanche pas trop sur les sentiments, ce qui n'est pas mal pour un Grec… Il est vrai qu'il y a des aspects un peu mélo. Je me suis permis d'intervenir sur certains passages dans la traduction, ainsi l'écriture est plus maîtrisée à certains moments, ce qui est contribue peut-être à expliquer le plus grand succès en France… (MV nous donne plusieurs exemples de modifications par rapport à une traduction mot à mot qui donnerait un côté grandiloquent dans la formulation : par exemple, plutôt que "la période cosmogonique de ma vie" il choisit "période fondatrice", à "nous transportions en nous des fleurs", il préfère "nous étions un jardin plein de fleurs", ou encore il réduit une densité de huit adjectifs à cinq.)

L'éditeur lui a-t-il fait retravailler son texte ?
MV - Peut-être, mais il y avait encore des points à revoir…

Quelle est votre liberté par rapport au texte original ?
MV - Dans ce cas, je me sens redevable à l'auteur auquel je n'ai pas demandé son avis (puisqu'il est mort). En cas de contestation de l'auteur c'est l'éditeur qui décide.
Tant que l'auteur est vivant, il n'y a pas de problème, on arrive à s'entendre, on est du même métier. Les ennuis commencent après la mort de l'auteur avec les ayants droit.
Je suis aussi confronté au relecteur dans les grandes maisons d'édition. Mais il s'agit de questions et de suggestions, on ne m'impose rien. La traduction peut-être plus courte, plus condensée, ce qui ne tient pas forcément aux langues. L'anglais est une langue tellement concise qu'il y a une augmentation de 25 à 30 %. Avec le grec on peut ne pas perdre le combat de la concision.
BD - Et du chinois au français, on multiplie par trois ou quatre. Et on rencontre les mêmes problèmes avec les éditeurs.

Et votre rencontre avec la langue grecque ?
MV - Elle s'est faite tardivement, vers 30 ans. Ce qui m'a séduit dans la langue et le pays, c'est la distance idéale. Il y a des parallèles avec mes origines russes. J'étais prof d'anglais mais je n'ai jamais traduit d'anglais.

Qu'est-ce qui est jouissif quand on traduit ?
MV - C'est un type particulier d'écriture. On a les mains dans les mots, comme un enfant avec de la pâte à modeler, c'est très concret. C'est une affaire de mots et de musique. Et par rapport à l'écriture, il y a des rails. Je ne suis jamais totalement satisfait de mon travail mais je me rends compte que cela peut être suffisant pour toucher un lecteur lambda. La traduction de la poésie est plus complexe, mais pour moi il est toujours question de mots, de rythme et de musique qu'il s'agisse de prose, de poésie ou de théâtre. Il y a une recherche de l'ordre dans lequel placer les mots pour produire l'effet dramatique comme au théâtre.
BD - En traduisant le chinois, on est tout le temps décalé par une culture différente et par l'écriture. Derrière chaque caractère se profile une foule de sens différents. Contrairement à Michel Volkovitch, la traduction n'est pas pour moi une jouissance, mais une frustration. Il y a de fait une impossibilité dès le départ, il peut y avoir une forme de masochisme… Mais les phrases sont tellement belles en chinois ; en fait, c'est la lecture qui est jouissive, sensuelle ; ensuite on fait ce qu'on peut. La langue chinoise comporte beaucoup d'expressions, beaucoup de citations aussi, de références, qui sont très difficiles à traduire. Pour ma part, je n'ai jamais traduit de texte que je n'aime pas.

La dimension de liberté renvoie alors plus à une interprétation plus qu'à une traduction ?
MV - J'espère que je vous choque un peu. Je quitte une fidélité de surface pour une fidélité plus haute, non plus celle du sens, mais celle de l'effet produit par la phrase sur le lecteur. On travaille sur les impressions, c'est très sensuel.

Si on se met à la place d'un auteur, ce n'est pas difficile à vivre, d'autant modifier, que l'écrit d'origine soit autant transformé par le traducteur ? C'est presque un rapt…
MV - C'est ce que j'appelle le syndrome de la vierge : c'est souvent douloureux la première fois, ensuite les auteurs s'y font...
BD - Cela peut rester difficile, même par la suite. Certains traducteurs étrangers prennent des libertés avec les textes qui seraient impensables en France. Comme d’intervertir des chapitres, par exemple, chose qui s’est passée pour un roman de Mo Yan, aux Etats-Unis. Kundera évoque dans un livre ses expériences malheureuses de traduction française.

Pouvez-vous nous expliquer les doubles registres de langue en grec dont vous parlez dans une interview ?
MV - Il y avait une langue savante qui a été reconstruite au XVIIIe siècle qui a été reconstruite, posée comme langue officielle jusqu'à la fin de la dictature. À l'école, des enfants apprenaient la grammaire d'une langue qu'ils ne parlaient pas. Ceci a changé en 1974. Maintenant que la langue savante n'est plus à abattre, on la retrouve davantage dans le démotique. Il y a toute une palette de nuances à introduire par le traducteur. En français il y a peu de mots qui ont un doublet, comme raide et roide. C'est constant en grec. Le jeu sur le lexique est donc limité ; mais il y a d'autres possibilités : jouer sur l'ordre des mots, sur la syntaxe, sur la longueur de la phrase, sur le rythme en introduisant un alexandrin caché....
BD - Aujourd'hui on peut rencontrer ces problèmes dans la traduction avec l'émergence de dialectes.
MV - Comme en Italie. En Grèce, les dialectes sont peu présents dans les textes. Les Grecs sont polarisés par la langue au détriment de l'aspect stylistique.

Avez-vous fait des traductions à deux ?
MV - Par passion de la pédagogie, J'ai beaucoup travaillé avec des jeunes traducteurs : ils signent mais je peux me permettre de les corriger, de leur donner des suggestions. Sinon, je suis beaucoup trop individualiste pour pratiquer à quatre mains.

Avez-vous le plaisir de faire découvrir, au-delà des auteurs, la littérature grecque ?
MV - C'est là aussi jouissif, on se fait des amis auteurs qui apprécient d'être traduits, cela permet également de rencontrer des lecteurs.
La littérature grecque est mal connue, on pense à la mer et aux îles, mais pas suffisamment l'autre Grèce, urbaine avant tout, et à la partie nord plus balkanique. La pauvreté de la Grèce fait également qu'elle n'a pas les moyens de soutenir l'édition.
Lisa - J'ai eu du mal avec les livres grecs que j'ai lus. Ils sont très poétiques et je n'aime pas la poésie.
Séverine - Globalement ceux que nous avons lus n'ont pas été tellement appréciés. Certains romans sont publiés par des petits éditeurs qui ont des difficultés à faire valoir les œuvres.
MV - Hormis Actes Sud, Le Seuil avec mes best-sellers de Petros Màrkaris, il y a Cambourakis, Quidam. Depuis cinq ans j'ai ma propre maison d'édition consacré à la Grèce, Le Miel des anges : je l'ai créée par frustration de ne pouvoir publier ce que je veux. Les ventes sont réduites mais les subventions nous permettent de vivre.
Claire - On a lu des livres que vous avez traduits qu'on a aimés : le très court livre La femme du métro de Mènis Koumandarèas qui avait été beaucoup apprécié, Quelques femmes de Mihàlis Ganas, Le vent d'Anatolie de Zyrànna Zatèli. Mais le livre grec qu'on a choisi, c'est Gioconda. Avez-vous une idée des ventes de Gioconda en France ?

MV - Les éditions de l'Aube ne me tiennent pas au courant...

Rozenn - Quoi ! Vous n'avez pas un relevé régulier ?!

(Michel Volkovitch dit tout ce qu'il pense des éditions de l'Aube...)

Avez-vous le temps de lire la littérature française ?
MV - Oui et par nécessité. Sur mon site, je fais le journal de mes lectures mensuelles : contemporaines, XXe siècle, classiques, étrangères. Cela m'oblige à rester en contact avec ce que font les autres...

Claire (après la soirée)
Deux jours après notre soirée, j'ai écouté les critiques du Masque et la plume se disputer sur la nouvelle traduction de 1984 et le débat m'a vraiment rappelé ce que nous a dit Michel Volkovitch sur la liberté du traducteur.
L'émission : ICI (le débat est au début de l'émission)
Une comparaison entre la nouvelle traduction et la précédente à partir de la première page du livre

QUELQUES INFOS SUR LE LIVRE ET LE TRADUCTEUR

Dans la presse sur Gioconda

- "Kokàntzis, pour mémoire", Florence Noiville, Le Monde, 8 mai 1995 : "C'est le drame de la communauté juive de Salonique ces dizaines de milliers de juifs venus d'Espagne et qui furent presque entièrement exterminés pendant la deuxième guerre mondiale, qui se lit en toile de fond de ce récit"... suite
-
"Histoires d'amour, histoire de guerres", Jean-Luc Douin, Le Monde, 24 décembre 1999 : "Gioconda est aussi une histoire vraie : c'est celle de la passion vécue à Thessalonique par Nikos Kokàntzis"... suite
- "Dans la bibliothèque de Dominique A", Ysaline Parisis, Le Vif, 31 octobre 2013 : "Le livre que vous possédez en plusieurs exemplaires ? Gioconda de Nikos Kokàntzis : mon bouquin de chevet, et un modèle pour moi"... suite

Repères biographiques concernant l'auteur

- Nikos Kokàntzis est né à Thessalonique en 1930 et mort en 2009.
- Il s'éveille à l'amour en compagnie d'une de ses compagnes de jeux, durant la guerre en 1943. Juive, celle-ci sera déportée à Auschwitz et n'en reviendra pas.
- Il a étudié la médecine puis la psychiatrie à Londres où il vécut de nombreuses années.
- En 1975, Kokàntzis décide de raconter leur histoire d'amour, pour que Gioconda et cet amour revivent à travers ses mots. Ce sera son seul récit traduit. Il a par ailleurs écrit un recueil "Neuf histoires et un livret" et des poèmes réunis sous le titre Quarteto qui eux ne sont pas encore traduits.

Notre invité Michel Volkovitch

- Traducteur : il a traduit une trentaine de romans, 30 pièces de théâtre, 9 anthologies poétiques. Il a traduit plus de 180 poètes grecs et chypriotes. Voir la liste ICI.
Il a obtenu plusieurs prix de traduction.

- Éditeur : il a fondé les éditions Le miel des anges où il édite des auteurs grecs.

- Spécialiste de traduction : il a enseigné la traduction à l'université Paris VII (DESS, puis Master 2 de traduction littéraire professionnelle) et au CETL de Bruxelles de 1991 à 2012 ; il continue de l'enseigner à l'ETL (Ecole de traduction littéraire) de Paris. Il est membre des jurys du prix de traduction poétique Nelly-Sachs.

- Auteur : il a publié plusieurs livres dont Verbier : herbier verbal à l'usage des écrivants et des lisants (2000) et Coups de langue (2007) aux éditions Maurice Nadeau.
Il a
un site très fourni sur la littérature grecque : www.volkovitch.com

- "Entretien avec Michel Volkovitch" par Ulysse Baratin, En attendant Nadeau, journal de la littérature, des idées et des arts, été 2017. Parmi les questions :
Alors que la Grèce continue à s'enfoncer dans la crise, quel est l'état de l'édition hellénique aujourd'hui ? Que signifie traduire du grec dans un tel contexte ?
Pourquoi, alors que vous traduisiez déjà de nombreux ouvrages, avez-vous fait le choix de fonder une maison d'édition dont vous êtes le principal traducteur ?

- Pour illustrer le rôle essentiel de la traduction, Michel Volkovitch fait une démonstration magistrale en comparant et commentant 9 traductions de deux strophes de Constantin Cavàfis ; au passage Marguerite Yourcenar en prend pour son grade...

- Et pour finir, et en clin d'œil, une citation pour illustrer le rôle de passeur du traducteur : "les femmes prennent un verre avec le traducteur en toute amitié avant d'aller se donner à l'auteur..." (Michel Volkovitch)

 

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