Les
quatrièmes À Visegrad, cest
sur le pont reliant les deux rives de la Drina mais aussi la Serbie
et la Bosnie, lOrient et lOccident que se concentre
depuis le xvie siècle la vie des habitants, chrétiens, juifs,
musulmans de Turquie ou "islamisés". Cest là
que lon palabre, saffronte, joue aux cartes, écoute
les proclamations des maîtres successifs du pays, Ottomans puis
Austro-Hongrois.
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Ivo Andric (1892-1975)
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Nos
cotes d'amour pour Le Pont sur la Drina
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Les avis transmis
Séverine
J'ai commencé la lecture avec beaucoup d'enthousiasme car je ne
crois pas avoir lu de roman serbe. Je me suis arrêtée à
presque la moitié car mon intérêt a faibli et je n'étais
peut-être pas dans les bonnes conditions pour apprécier ce
livre tout de même exigeant. Peut-être gênée
aussi par le fait que c'est l'histoire d'un pont, d'une ville et que l'on
ne peut pas s'intéresser aux personnages qui se succèdent
car finalement ils ne sont pas le cur du sujet. En tout cas, je
reste marquée par la description de l'empalement au début
du livre
terrifiant ! Je pense reprendre la lecture car ce roman
m'intrigue tout de même. Donc peut-être mon avis viendra-t-il
plus tard... Pour l'instant, j'ouvre ¼, ça peut s'améliorer.
PS : je suis tout de même un peu en Serbie grâce à
Fred Vargas car je lis Un
lieu incertain
envie d'un polar, seule lecture possible
en ce moment.
Rozenn
J'ai lu une centaine de pages.
Ce livre me déroute complètement. Est-il un peu flou hors
sol où est-ce que cette impression vient de moi ?
Il me déroute et me séduit en même temps.
Tout tourne autour du pont.
Des gens, des événements qui restent comme esquissés.
Des horreurs absolues et du quotidien.
J'ai envie de continuer la lecture et j'aurais eu bien envie d'échanger
avec vous, mais je ne pourrais encore pas être des vôtres.
Vous me manquez.
Denis (à Névache avec un groupe de
randonneurs...)
La vie en groupe de ce genre n'est pas propice à la lecture, surtout
de ce livre-là, qui demande pas mal de concentration. À
vrai dire, je ne suis pas arrivé à dépasse les 75
premières pages. J'ai même failli craquer lors du supplice
du pal...
Je ne peux vraiment rien dire d'autre sur ce livre. Il ne m'attire absolument
pas.
Monique L
J'avais lu ce livre il y a plusieurs années. J'en avais gardé
un bon souvenir mais trop lointain. Je l'ai relu pour pouvoir en parler
et cela a été avec plaisir.
J'avais été en Bosnie à la fin des années
80. Je n'ai pas vu le pont sur la Drina, mais le Stari Most de Mostar
avant qu'il ne soit détruit puis reconstruit (entre Croates et
Serbes). Je n'ai pu m'empêcher d'y penser pendant ma lecture.
Pour en revenir au livre, c'est une chronique empreinte de sagesse populaire
et de nostalgie. C'est une sorte de conte oriental qui donne voix à
toute une population dans sa diversité. C'est dépaysant.
On voyage dans le temps et dans l'esprit des différentes époques
abordées et des diverses communautés (et sans manichéisme
dans le traitement de ces diverses communautés).
Le récit se situe à mi-chemin entre le récit historique
et la fiction. Le fait historique se mêle à la légende
et il est difficile de faire la part des choses entre les deux.
Ce qui m'a intéressée dans ce récit, c'est que Andric
ait privilégié les destins individuels à la grande
histoire. Cela permet d'approcher l'âme des Balkans, sa complexité,
sa fierté. On suit ces hommes ancrés dans leurs attachements,
dans leur religion de naissance. Ils coexistent, construisent, détruisent,
s'affrontent et sont soumis à des États qui les asservissent.
J'ai apprécié le découpage en chapitres s'échelonnant
chronologiquement, depuis l'édification du pont jusqu'à
sa destruction, mais j'ai trouvé déroutant qu'ils soient
séparés par de longs intervalles de temps. Parfois, j'ai
eu du mal à suivre.
Les générations défilent. Fort heureusement, au fil
du récit, on arrive à suivre les destinées de certains
personnages et de leurs descendants (les noms ne m'ont pas aidée).
Sans trop de difficulté, on peut suivre la lente évolution
des mentalités de générations en générations.
Les nombreuses anecdotes rendent le livre vivant. On perçoit la
montée progressive des conflits et des divergences de vue et d'aspiration.
Il faut quand même parler du pont qui est le décor immuable
des bonheurs et tragédies de la population et le fil conducteur
de ce roman. Il peut être par moment un lieu de communication, de
rencontre, de circulation, d'échange et à d'autres une frontière,
un lieu de torture, un lieu de passage pour conquérir de nouveaux
territoires.
C'est un livre long, c'est vrai, mais un roman foisonnant. L'écriture
est très belle. J'ouvre aux ¾.
Anne-Sophie
Quel démarrage éprouvant ! Une fois le cadre posé,
le pont présenté dans son environnement géographique
et ses détails architecturaux, avec son intrigante kapia, les mythes
qui l'entourent ; puis la caravane des petits chevaux emportant dans des
paniers vers Istanbul les enfants chrétiens enlevés et l'évocation
du destin extraordinaire de l'un d'entre eux devenu grand vizir
Au moment où la curiosité est éveillée, où
l'on est pleinement immergé dans le roman, cette scène d'empalement
insoutenable et minutieusement détaillée ! Non !! Pourquoi
ces pages ? Sont-elles absolument nécessaires ? Doit-on y voir
une préfiguration de l'histoire impitoyable de cette région
toujours déchirée ? Je continue pourtant. Pour le mystère
qui se dégage de ces premiers chapitres, pour l'intérêt
pour cette région incontournable de nos livres d'histoire mais
qu'on connaît pourtant si mal. Parce que ce début était
si beau, ce pont à la pierre claire, son eau verte, la magie des
légendes. Parce que j'ai mordu à l'hameçon, et parce
qu'il y a le groupe sûrement aussi.
Les horreurs aussi insoutenables que celle de l'empalement, il n'y en
aura plus, enfin presque plus. Du malheur, du désespoir, de la
tragédie, toujours en revanche. Avec de rares épisodes lumineux,
dans ces moments simples de "doux silence", de convivialité
populaire les étés sur la kapia, de cohabitation heureuse
des communautés serbes, musulmanes, juives. L'auteur réussit
la prouesse de couvrir quatre siècles en nous rendant vivante,
humaine, palpitante, l'histoire de ces communautés meurtries, alternativement
du côté des bourreaux ou des victimes. Sans véritablement
de personnages principaux (même si certaines figures marquantes
resteront, Ali le Hodja, le pope Nikola, Lotika, la belle Fata
).
Juste ce pont, majestueux, immuable, qui voit passer le flot des destinées
humaines comme le flux de la Drina sous ses arches. Il y a un vrai souffle
dans ce roman, un équilibre subtil entre la grande Histoire et
les petites histoires, réelles ou imaginaires, transformées
au fil des siècles. Sans aucun doute un chef d'uvre. Un récit
dont je me souviendrai. Mais il reste que cette lecture m'a pesé.
Trop lourd. Besoin de davantage de légèreté en ce
moment. C'est pourquoi, si je dois évaluer l'expérience
de lecture, je n'ouvre le livre qu'à moitié. Pour de mauvaises
raisons certes, conjoncturelles, émotionnelles. Il en vaut beaucoup
plus mais moi je n'en peux plus de cette ambiance mortifère.
Laura
Je n'ai en réalité pas grand-chose à dire sur ce
livre. Non parce qu'il ne m'a pas plu, il a provoqué en moi plutôt
l'effet inverse. Je l'ai trouvé quasiment parfait quasiment
parce qu'il faut bien toujours chipoter un peu. Il a été
plus long à lire que le dernier, et
même si j'ai été un peu gênée au départ
(écrit tout petit, ça paraissait vraiment interminable),
j'ai fini par le trouver presque trop court ! Je voulais en lire
davantage, notamment à propos de la période post-1GM, et
de la reconstruction du pont
(que j'ai trouvé en très
bon état aujourd'hui grâce à Google maps
).
Ce livre fait voyager, j'ai adoré découvrir l'histoire de
chaque siècle, toujours en lien avec le pont. Il est le souffle
de vie de Viegrad. Rares en réalité sont les romans
qui décrivent la ville, j'ai bien pensé au Berlin
Alexanderplatz de Döblin, mais Le pont sur la Drina
m'a paru tellement plus doux. Il laisse une impression de soleil campagnard,
presque de vacances, en tout cas surtout de paix et de simplicité
(malgré toutes les tortures, les crues et les guerres décrites).
De même pour l'écriture, fluide et simple. Bref, je suis
charmée par tant de délicatesse, et j'ai aujourd'hui envie
de découvrir Viegrad en vrai.
Grand ouvert !
Geneviève
Cela fait longtemps que j'avais envie de lire ce livre. L'histoire du
pont sur la Drina évoquait pour moi toute l'histoire des Balkans,
si complexe et si violente. Je ne suis pas déçue par ce
que j'ai lu, même si je comprends qu'on puisse trouver le roman
touffu et difficile à lire. Raconter l'histoire des Balkans, des
affrontements entre chrétiens et musulmans, de la chute de l'Empire
ottoman et celle de l'Autriche-Hongrie à travers la micro histoire
des habitants d'une petite ville est un pari ambitieux. Plus qu'un roman,
c'est une mosaïque de vignettes, de portraits, de contes et de légendes,
autour de personnages rusés ou naïfs, pleins de bonté
et de colère. Et au travers de ces portraits, c'est toute l'évolution
des mentalités qui se dessine, marquée par des résistances
farouches et des mouvements irrésistibles.
La symbolique du pont, point de passage entre les cultures et enjeu de
pouvoir, est passionnante. À travers l'histoire de chaque personnage,
souvent traitée comme un conte, c'est toute l'histoire de la fin
de l'Empire ottoman, de l'avènement puis du démembrement
de la Mitteleuropa qui défile, celle aussi de la chute d'un monde
et de ses certitudes, incarné par le pont apparemment indestructible
et pourtant miné. L'exploit est de ne jamais prendre parti, de
peindre chaque portrait avec tendresse, tout en montrant les naïvetés,
les obstinations, les mensonges.
La postface est très utile parce qu'elle permet de mieux situer
le contexte et d'ouvrir les perspectives sur d'autres uvres, notamment
La
Chronique de Travnik qui met en scène les Français
du consulat en Bosnie, et que j'ai bien envie de lire.
Bref, ça prend du temps mais la lecture en vaut la peine !
Je l'ouvre aux ¾ et je suis heureuse de l'avoir lu.
Les avis des présents
Claire
Mon avis est proche de celui de Séverine et Anne-Sophie.
Ça a pour moi commencé de façon enlevée, embarrassée
sur les bords de ne pas savoir si le pont existait pour de bon, si on
était dans la fiction ou pas, mais l'histoire de la construction,
la coexistence harmonieuse de populations qui se déchireront, tout
cela était bel et bon. Too much l'histoire du pal oui,
comment l'auteur peut-il insister autant et pourquoi ?!
Une fois le pont construit, ayant compris qu'on allait se taper l'histoire
entière du pont, l'ennui s'est immiscé ainsi que le découragement
en voyant le pavé qu'il allait falloir se taper en petits caractères,
j'ai lâché le livre pour essayer que l'intérêt
revienne avec la découverte de l'auteur (voir ci-dessous),
qui m'a effectivement ramenée vers le texte.
Mais non, les histoires (par exemple la mariée qui se jette du
pont, le soldat de garde qui détruit sa vie pour avoir laissé
passer la fausse grand-mère) sont bien troussées, mais on
abandonne ces personnages. Oui, on retrouve Lotika qui a de l'allure,
mais mon intérêt ne reste pas. J'ai parcouru le livre, ai
vu l'alternance bien faite entre Histoire et histoires. En fait, j'ai
trouvé le principe génial, le projet vraiment séduisant
intellectuellement, d'une grande ambition certainement tenue, mais le
livre me barbe, ça n'accroche pas. Je préférerais
un exposé sur l'Histoire
Je me suis demandé comment
l'auteur avait composé son livre, s'il avait fait des recherches
approfondies, quels étaient les personnages inventés (qu'en
est-il de Lotika par exemple ?)
J'ai trouvé p. 297 une adresse au lecteur qui m'a plu : "Nous
avons oublié, dans le cours de notre récit, de mentionner
encore une nouveauté dans la ville. (Vous avez sûrement vous-mêmes
remarqué que l'on oublie facilement de dire ce dont on n'a pas
envie de parler)". Trop tard !
Etienne
J'ai commencé le livre il y a 15 jours et j'ai dû m'organiser
pour en lire suffisamment chaque jour pour le finir. Le livre m'a fasciné,
j'ai eu beaucoup de plaisir à découvrir ce sujet dont je
ne connaissais rien. À la fin, comme pour Laura, c'était
trop court pour moi. C'est brillantissime, comme une tapisserie. Quel
talent de conteur ! J'ai pensé aux Mille et une nuits,
comme l'évoque la postface. Faire un personnage du pont, c'est
sensationnel ! C'est vraiment un prix Nobel ! (Suivez mon regard pour
Tokarczuk.) J'aurais aimé des allers-retours entre les époques,
c'est peut-être là ma toute petite réserve. C'est
très intéressant, ce lieu à découvrir donc
je connais peu de choses. J'ouvre en grand. C'est je crois le livre que
j'ai le plus aimé depuis que je participe au groupe.
Danièle
Je rejoins l'enthousiasme d'Etienne. Je n'ai lu que 149 pages. J'ai
aimé les descriptions. Je trouve que ce n'est pas du tout hors-sol
comme le dit Rozenn. Le livre arrive à nous faire rentrer par la
petite histoire dans les différentes cultures des Balkans. Le style
d'une grande légèreté rend compte des ethnies qui
se côtoient. L'empalement et c'est la première
fois que cela m'arrive en lisant un livre m'a donné
envie de vomir. On ne peut pas lire ce livre vite. On est plongé
dans la vérité historique, dans la subtilité, avec
un aspect de légende. Je vais continuer ! C'est une découverte
! Et j'ai moi aussi envie d'aller à Viegrad. Je l'ouvre à
200 %.
Nathalie
Alors, c'est vraiment un livre au sujet duquel je me sens profondément
partagée. Il ne me reste que 30 pages. Je vais avoir du mal parce
que je n'ai pas pris le temps de synthétiser mes notes et ça
part un peu dans tous les sens. Pour revenir sur la violence présente
dans l'uvre, j'avoue que techniquement
l'empalement, je ne
peux pas le lire
Oui, en fait, émotionnellement.
Je n'ai cessé de passer du rire aux larmes. Par exemple avec le
destin tragique du jeune homme amoureux, c'est terrible cette mort en
plein printemps. Il y a également beaucoup de grotesque, par exemple
au moment où les femmes se mettent à la suite des convois
des enfants ravis ou des jeunes conscrits car certaines ne sont même
pas concernées (p. 195 Livre de poche)
!
J'aime certains aspects, mais je vais me concentrer surtout sur ce que
je n'aime pas. Par exemple, je suis extrêmement en colère
et choquée de la vision des femmes que ce livre donne à
voir ! Une vision très violente, une vision archaïque :
elles sont décrites comme des harpies, incultes, idiotes, pleureuses,
jalouses
Chaque femme est potentiellement un objet que l'on s'échange
à l'égal des chevaux et des armes (p. 96).
Il n'y en a pas une pour sortir du lot. Même Lotika, femme habile
et belle, n'est pas mise en valeur et est décrite comme une manipulatrice
qui, dès qu'elle entre dans sa sphère privée, révèle
sa vraie nature : "rejetait
alors son masque souriant, son visage devenait dur et son regard aigu
et sombre" (p. 207). Et elle,
si belle au début, a droit à un vieillissement spectaculaire
qui semble vouloir rendre compte de ce qu'elle a toujours profondément
été : "Elle
était maigre avec le teint jaune ; ses cheveux ternes étaient
clairsemés sur le dessus de sa tête ; et ses dents naguère
étincelantes et dures comme des grêlons, étaient rares
et jaunies" (p. 301). Même
Fata, d'une "beauté
exceptionnelle" et pourvue de "vivacité
d'esprit et de verve" se donne la mort par orgueil au
lieu d'essayer de se choisir par elle-même un homme à aimer
et que le peuple se gargarise de sa "future
humiliation". Cette image me révolte.
Je déplore également une absence de créativité
de ce peuple, c'est stéréotypé : soit ils sont
aimables, bienveillants, soit cons ou ignares. Quant aux enfants, ils
sont affreusement méchants, harceleurs
ce sont des monstres
sans cur qui s'acharnent sur les plus faibles.
Bien sûr, le livre est riche, la construction intéressante.
J'ai énormément aimé la première partie. Le
grand vizir, on ne sait rien de ce qui lui arrive. Mais quelle image de
l'homme nous donne ce livre ! J'aimerais savoir combien de fois le
mot "s'habituer" est utilisé par le narrateur. Les habitants
s'habituent aux changements. J'ai ri de la numérotation des maisons.
L'aspect politique m'a ennuyée.
Etienne
Tu n'as pas aimé les discussions des étudiants anarchistes
?
Nathalie
Non, j'ai détesté. J'aurais aimé que l'auteur aille
jusqu'aux guerres récentes. J'ai été intéressée
par le thème de désuvrement. J'ai adoré la
présentation des communautés avec les trois religions et
les langues qui entrent dans la communauté. Les descriptions du
printemps sont magnifiques et poétiques. Il y a beaucoup de prolepses.
Je n'ouvrirai qu'¼. Je ne le prêterai pas.
Françoise
J'ouvre ¼. Je rejoins l'avis de Claire et celui de Nathalie. L'empalement,
je l'ai oublié ! Heureusement, sinon je me serais arrêtée
net. J'ai lu les deux tiers ou les trois quarts, mais ça m'est
tombé des mains, je n'ai pas eu le courage d'aller au bout. C'est
foisonnant, mais fouillis : j'aurais aimé avoir des repères,
des dates plus précises, ce n'est pas assez structuré à
mon goût. Et puis c'est écrit petit... Le livre nous présente
la manière dont l'auteur voit ces sociétés qui se
succèdent et évoluent peu ; j'ai été intéressée
par les histoires individuelles, mais j'ai eu très peu de plaisir
de lecture. J'étais amusée par l'histoire de Hodja cloué
par l'oreille qui est libéré par l'envahisseur. J'ai été
sensible à l'histoire de la jeune fille qu'on veut marier de force
et qui se jette dans la Drina. Mais je n'ai pas vraiment accroché.
Pourtant il y a de la matière, dommage. Pour moi, le style n'est
ni sobre, ni lapidaire.
Jacqueline
Je l'ai fini, il y a huit jours d'une traite, en confinement prolongé.
C'est vraiment très intéressant et j'ai été
tenue d'un bout à l'autre. C'était un plaisir de lecture
si riche que j'ai oublié beaucoup de choses, dont l'histoire du
pal... C'est un livre extraordinaire, je comptais le revoir avant d'en
parler mais je me suis laissée absorber par des questions autour
du "serbo-croate" dont il est traduit et tous les enjeux que
soulève sa perception dans les états d'aujourd'hui y compris
par les spécialistes. Je ne connais pas cette région. Je
retrouvais l'empire ottoman croisé chez Kadaré
et illustré autrement dans Après
Constantinople de Sophie van der Linden. Cette histoire du pont
balaye des siècles, avec les légendes dont on voit la naissance.
J'ai aimé qu'elle soit racontée au travers de scènes
de la vie quotidienne. J'étais très intéressée
par la manière dont ces cultures différentes cohabitent
d'une manière qui n'est pas la nôtre. Moi aussi, j'aurais
bien aimé que le livre continue. Contrairement à Nathalie,
j'ai trouvé qu'il s'en dégageait un grand humanisme. J'ai
aimé le personnage de Lotika, une belle image de femme qui se prend
en main, elle, et tous les siens, et la dure description de sa vieillesse.
J'ai beaucoup aimé à la fin, le récit de la mort
d'Ali Hodja. Le livre rend très bien cette impression des choses
éphémères et inéluctables et, après
ma lecture, j'ai été très contente de découvrir
que la partie du pont détruite avait été reconstruite.
En voulant relire j'étais tombée sur une scène avec
le Borgne, au bar, "il
avait le cur fondant et son intelligence se répandait comme
de l'eau" Je suis admirative de la justesse d'expression
d'Andric. J'ouvre aux ¾.
Brigitte
J'avais lu Un pont sur la Drina il y a une vingtaine d'années
avant d'aller à Sarajevo, à la fin des années 90.
Je l'ai relu avec le groupe lecture. Cette seconde lecture a été
très profitable ; je n'avais pas tout saisi lors de ma première
lecture. Je comprends que certains aient du mal à s'y retrouver
au premier abord dans ce livre si touffu et si riche.
J'ai aimé le livre pour bien des raisons. J'ai particulièrement
été intéressée par la description de cette
vie à la frontière, dans la frontière. J'ai
parfois eu du mal à me situer, ne sachant pas toujours si on était
sur la rive gauche ou la rive droite de la Drina.
Mais revenons à l'idée de frontière. Des décisions
concernant les habitants sont prises par des gens qui ne sont jamais venus
jusqu'à cette frontière, ceux qui habitent là ne
sont pas vraiment informés, ou ne comprennent pas bien ce qu'il
se passe. On décide de construire un pont, pourquoi ? Ils
vivaient très bien sans ! Donc, certains s'y opposent. Quelques
siècles plus tard, ils ne peuvent plus concevoir leur vie sans
le pont et vivront mal l'arrivée du chemin de fer qui diminue l'intérêt
économique du pont.
Toutes les ethnies qui se côtoient à Viegrad réussissent
à cohabiter tant bien que mal, dans une région où
les conflits entre Serbes, Turcs, Autrichiens, Juifs sont très
fréquents, mais il leur faut vivre ensemble !
J'ai été frappée par l'incompréhension absolue
des notables ottomans devant l'obsession des Autrichiens à être
occupés en permanence. Jamais ils ne comprennent le sens ni la
nécessité des choix et de l'organisation mise en place par
les Autrichiens : c'est la confrontation de deux cultures (islamique
et européenne) fondamentalement différentes.
Avec le temps qui passe, on voit arriver le progrès technique,
puis l'avènement d'une classe intellectuelle, et ses discussions
abstraites et peu réalistes. Comme l'étaient jadis les anciens
échanges entre fumeurs sur la kapia.
Il est vrai que les femmes ne sont pas magnifiées ; je ne
pense pas qu'on puisse le reprocher à l'auteur car c'était
la réalité à ces époques-là, et on
ne peut pas oublier le personnage de Lotika.
J'ai beaucoup aimé la description des divers personnages, ils sont
très bien campés ; cela m'a rappelé les nouvelles
de Maupassant dans une toute autre culture.
Le sujet qui m'a le plus retenue, c'est le genre littéraire :
le personnage principal est un lieu, c'est très original, et l'auteur
conduit son projet avec virtuosité, avec maestria. Le lecteur finit
lui aussi par s'habituer au pont et a du mal à le quitter quand
le livre s'achève ; il voudrait continuer à vivre sur
le pont, et à y suivre le passage des saisons.
Dans l'ensemble, j'ai beaucoup aimé l'écriture. Le style
est discret. J'ai été un peu surprise par l'adresse au lecteur
assez inattendue, concernant le bordel des Peupliers. Le narrateur n'emploie
pratiquement jamais le je. Il a essentiellement recours au nous,
il fait partie des habitants de Viegrad.
Pour terminer, je citerai quelques phrases lapidaires, signalées
par Pedrag Matvejevitch, qui signe la postface :
"Les gens intransigeants
et qui ont le cur dur vieillissent lentement"
"Plus on avait d'argent, plus on en manquait"
"Tout ce qui se passait avait l'apparence de la dignité
et l'attrait de la dignité"
Je l'ouvre aux ¾.
Échanges et prolongements
: sur les langues, les haines Serbes/Musulmans, la complexité de
l'histoire et de la géographie.
Ainsi Viegrad est en Bosnie-Herzégovine, République
fédérale de trois entités autonomes, c'est à
y perdre son latin... :
la Fédération de Bosnie-et-Herzégovine
où se trouve la capitale Sarajevo
la République serbe de Bosnie où
se trouve Viegrad
et le district de Broko.
La Bosnie-Herzégovine, avec environ 3,5 millions d'habitants, comporte
trois principaux groupes ethniques, désignés comme "peuples
constitutifs" par la Constitution : les Bosniaques, les Serbes
et les Croates. Elle est entourée par la Croatie au nord, à
l'ouest et au sud, la Serbie à l'est, le Monténégro
au sud-ouest, et dispose d'une ouverture réduite sur la mer Adriatique,
large d'une vingtaine de kilomètres :
Une BD "documentaire" a permis à
Etienne de faire le point :
Gorazde,
du journaliste Joe Sacco.
Andric masquerait pour certains, là-bas
dans les Balkans, un nationalisme serbe exacerbé : voir un article
à ce sujet, dont Claire lit un petit
extrait.
DES INFOS sur l'auteur, son uvre, les traductions et... le pont | |
Deux
traductions Des repères biographiques Les uvres d'Ivo Andric Un pont d'Andric qui précède notre Pont sur la Drina Articles et vidéos Le prix Nobel Un film Le pont |
Deux traductions (aux titres légèrement différents) | |
Première traduction :
|
Nouvelle
traduction :
|
Il
est un pont sur la Drina : chronique de Vichégrad
traduction et préface de Georges Luciani, Plon, 1956 |
Le
pont sur la Drina, traduction
de Pascale Delpech
postface Predrag Matvejevitch, Belfond, 1994 |
|
|
Voir le point
de vue en 1959 du
premier traducteur, Georges Luciani :
"À propos de la traduction française dIl est un pont sur la Drina dIvo Andritch". |
La
traductrice, Pascale Delpech a eu reçu le Prix Halpérine
Kaminsky pour son travail de traduction du serbo-croate (voir son
portrait et sa carrière impressionnante).
|
Pour la
seconde traduction, plusieurs couvertures en format poche
|
||
1997
|
1999
|
2008
|
Des
repères biographiques
Très complets et agréables à lire sur
le site Serbica, portail de la littérature serbe en langue
française.
Principales
uvres traduites en français
La France découvre Ivo Andric en 1956 : les éditeurs français
publient alors Le pont sur la Drina
et La Chronique de Travnik, deux de ses dix-huit ouvrages traduits
à ce jour en français.
- La
Chronique de Travnik, T. I et II, roman, trad. Michel Glouchtchevitch,
intro Claude Aveline, Club Bibliophile de France, 1956. Rééd.
et nlle trad. Pascale Delpech, préface Paul Garde, Belfond, 1996.
Rééd. Rocher, Motifs poche 2011
- L'Éléphant
du vizir : récits de Bosnie et d'ailleurs, nouvelles, trad.
Jeanine Matillon, préface Predrag Matvejevitch, Publications Orientalistes
de France, 1977. Rééd. Rocher, Motifs poche 2008
- Omer
Pacha Latas, roman, trad. Jean Descat, Belfond, 1992. Rééd.
Rocher, Motifs poche 1999
- Titanic
et autres contes juifs, nouvelles, choix et postface Radivoje
Konstantinovic, trad. Jean Descat, Belfond, 1987. Rééd.
Rocher Motifs poche 2001
- Contes
de la solitude, nouvelles, trad. Sylvie Skakic-Begic, Esprit des
péninsules, 2001. Rééd. Poche biblio 2006
- Visages,
nouvelles, trad. Ljiljana Huibner-Fuzellier et Raymond Fuzellier, Phébus
2006
Pour une bibliographie complète des traductions françaises,
voir le site Serbica.
Pour une bibliographie complète : voir le site de la Fondation
Andric ivoandric.org
Le
prix Nobel en 1961
- On peut lire
ici le discours de Ivo Andric. On peut entendre ici
un extrait prononcé en français, avec des images de
la cérémonie majestueuse...
- Interview en français, RTS
(Radio Télévision Suisse), décembre
1961, 8 min ("bâtir un pont c'est une chose presque sacrée")
Un
pont d'Andric qui précède notre Pont sur la Drina
Dans un petit essai intitulé Les Ponts, écrit en
1933, soit douze ans avant la parution du Pont sur la Drina, Andric
exprimait sa fascination pour les ponts, qui représentent "le
désir jamais assouvi de l'homme de relier, de réconcilier,
d'unir tout ce qui surgit face à notre esprit, à nos yeux,
à nos jambes, afin qu'il n'y ait nul partage, opposition ou séparation".
Cette structure invite à enjamber l'opposition, à franchir
la séparation : "Tous les faits parlants de notre
existence - les pensées, les efforts, les regards, les sourires,
les paroles, les soupirs -, tout aspire à gagner l'autre rive."
(voir le texte entier ici)
Articles
sur le livre Le pont
sur la Drina
En 1956 : publication de la première traduction
- "Un Tolstoï yougoslave ? Ivo
Andritch", Robert Escarpit, Le Monde, 17 décembre
1956. À noter de la part de ce célèbre billettiste
du Monde pour lequel il écrivit de 1949 à 1979 à
raison d'une vingtaine de billets par mois... l'intérêt pour
la traduction, rarement évoquée dans les critiques contemporaines.
- "Un roman serbo-croate de Ivo Andritch Le pont sur la Drina",
Marcel Brion, Le
Monde diplomatique, juillet 1957
- "Il est un pont sur la Drina, par
Ivo Andritch", Georges Perec, Les Lettres nouvelles, vol.
45, janvier 1957. Extrait :
"Disons-le tout de suite : cet ouvrage ne ressemble à rien de ce que nous avons l'habitude de connaître. En dépit de son sous-titre "Chronique de Vichegrad", il ne s'agit pas d'un livre historique ou semi-historique (...) tant les épisodes de fiction y sont importants. On ne peut pourtant pas le réduire à un roman, tant la richesse et la variété de ces éléments de fiction dépassent le cadre d'une simple intrigue romanesque. Il nous arrive de songer à un recueil de contes, mais jamais (un) recueil de contes (pas même les Mille et une nuits ou les Contes de l'Alhambra de Washington Irving) n'a possédé une telle continuité. En fait, nous ne pouvons définir d'une façon satisfaisante cet ouvrage et ce, croyons-nous, parce que l'esprit qui a présidé à son élaboration n'a pas son équivalent en France".
Perec fréquente des intellectuels et des artistes yougoslaves. Il est alors étudiant en histoire, peu assidu. Il a rencontré Milka, la maîtresse dun peintre yougoslave, et elle ne le laisse pas indifférent, ce qui le décide à partir pour Belgrade, dans lespoir de la séduire... Il écrit à son ami Jacques Lederer :
"Je pars mercredi soit à Belgrade, soit sur la Drina, que je descendrai peut-être en bateau jusqu'à Vichegrad (3 jours de voyage) là où il y a le fameux pont."
Et c'est au retour que Perec à 21 ans écrira son premier roman, L'Attentat de Sarajevo, refusé et publié 60 ans plus tard (avec une longue préface de Claude Burgelin). Une des répliques du roman :
"Je pars à Visegrad. Je me jetterais du haut du pont dans la majestueuse Drina, comme la belle Fata, fille d'Avgada, qui voulait échapper à un mariage forcé."
En 1994 : pour la publication de la deuxième
traduction
- "D'autres mondes : le pont aux
onze arches", Nicole Zand, Le Monde, 8 avril 1994
- "Ah
Dieu! que la Bosnie est jolie...", François Maspero, Quinzaine
littéraire, 16 avril 1994
- "Le
Pont sur la Drina", Jacques Bonnet, L'Express, 21 avril
1994
- "Le pont sur la Drina",
Hédi Dhoukar, Hommes et Migrations, n°1177, juin 1994.
Articles ultérieurs
- "Un
pont dans la tourmente balkanique Ivo Andric et Ismaïl Kadaré",
Jean-Paul Champseix, Revue de littérature comparée,
n° 305, 2003
- "Chronique",
Patryck Froissart, 26 mars 2006
- "LEmpire
Ottoman dIvo Andric", Branka arancic, Cahiers
balkaniques, n° 36-37, 2008
- "Usage
subversif de l'histoire dans l'uvre d'Ivo Andric", Branka
arancic, Revue des études slaves, tome 79, 2008.
- L'Atelier
du roman, n° 72, décembre 2012, un numéro entièrement
consacré à Andric dont plusieurs articles se réfèrent
au Pont sur la Drina
- Présentation du roman et de l'histoire, avec des documents, Zélie
Waxin, site Classe
internationale, 5 avril 2018.
Vidéos
- "Un
livre, un jour", Olivier Barrot, France 3, Ina.fr, 30 mai 1994,
1min 41s
- Un
livre un jour, Aurélie Charon, France culture, 19 septembre
2019, 1 min 28
- Conférence "Les Lundis du Collège de France"
: "L'autre Europe : Ivo Andric", par Predrag
Matvejevic, préfacier du Pont de la Drina, 2 avril
2007, 46 min : lien
direct ou film téléchargé
ici.
Un film
(qui n'a pas vu le jour)
Emir Kusturica prévoyait d'adapter le roman :
-
L'Orient-Le Jour l'annonce, 28 février 2011
- Le
Monde aussi, 11 juillet 2012 "Viegrad : La ville qui
a coupé le pont avec son passé"
- LM
Magazine, en 2017, évoque Andricgrad édifiée
en prévision du film inspiré du roman dont Kusturica aurait
dû être le réalisateur...
- CQFD
, en novembre 2017, dénonce la mégalomanie du réalisateur
qui a investi une partie de sa fortune dans le projet.
Le pont
- Une page est dédiée au pont Mehmed Pacha Sokolovic sur
le site internet de lUnesco
- Le descriptif dans wikipedia
- Une approche touristique non négligeable, 13
février 2019 et style reportage
ICI
- Un documentaire non accessible qui a l'air très intéressant
de Xavier Lukomski, Un
pont sur la Drina, 2005. Présentation plus détaillée
du film ICI.
- Ivo Andric devant le pont sur la Drina :
- Et celui sans qui le roman n'existerait pas... : Mehmed
Pacha Sokolovic, grand vizir de lEmpire ottoman (1565-1579), qui
fit édifier le pont de Viegrad
Feridun Ahmed Bey (à gauche) et Sokollu Mehmed Pacha (à
droite). Illustration
ottomane 1568.
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