Extrait de LARB, 2019


Amit CHAUDHURI, Ami de ma jeunesse, éd. Globe, 2019, 192 p.

Quatrième de couverture : Il est de retour dans la ville et le pays qu’il a quittés il y a trente ans pour présenter son dernier livre, donner un concert, et aussi échanger deux paires de chaussures de luxe, pour sa mère et sa femme.
Tout a changé à Bombay. Partout règne le désir frénétique d’acheter et de vendre. Dans le quartier où il a vécu enfant, un pont est apparu, des tours snobent les villas, l’aluminium remplace le bois, "et le geste d’ouvrir une fenêtre est effacé de la carte du monde".
Pourtant, rien ne change. Car c’est avec Ramu qu’il déambule, s’étonne d’un détail architectural, s’émerveille d’un plat parsi. Ramu, son seul ami d’ici, qui a survécu à une overdose et s’est enfui du centre de désintox où on le frappait. Ramu, qui excellait en boxe, en gym et n’est devenu champion que de son propre échec. Ramu toujours disponible, qui lui a dit un jour, face au portail de leur ancienne école : " C’est pas pour tout le monde, la vie."
Avec qui d’autre errer, lost in translation, dans ce paysage de ruines invisibles devenues des fondations, dans la ville qu’il n’aimait pas mais à laquelle il appartient, définitivement ?

Une étrange et sublime adresse, Picquier, 2004, 272 p.

Quatrième de couverture : En cette Étrange et sublime adresse, un jeune garçon de Bombay vient à Calcutta passer ses vacances en famille. Il fait chaud bien sûr, sa mère et sa tante passent de longues journées allongées sur le grand lit. Sandeep et ses cousins chahutent sur le petit, un lézard lorgne un moustique égaré, le temps semble être arrêté. On attend le soir pour monter sur la terrasse observer les terrasses voisines – une jeune fille dans un sari fraîchement repassé, une autre qui apprend à chanter – tandis qu’en bas, le cinéma en plein air bat son plein. Parfois, à la recherche d’une faible brise, la famille s’entasse dans la voiture en direction des ghats, et assiste au déferlement des lumières et des néons mystérieux.

Amit Chaudhuri

En mars 2020, nous avons lu de cet auteur Ami de ma jeunesse (dernier roman publié en 2017 en Inde, en 2019 en France) + si possible, Une étrange et sublime adresse (premier roman publié en 1991 en Inde, en 2004 en France).

La séance devait avoir lieu en présence de la traductrice, Simone Manceau, qui, outre bien d'autres romans de l'Inde, a traduit 7 livres d'Amit Chaudhuri. Le coronavirus en a décidé autrement.

Quelques informations
  - Des repères concernant Amit Chaudhuri
- Ses publications
- La traductrice d'Amit Chaudhuri

- Articles, vidéo, radio sur Amit Chaudhuri

- On a failli le rencontrer...

- La littérature indienne peu connue ? Du moins par nous...
- Les attentats de 2008 mentionnés dans le livre
 
Nos cotes d'amour decrescendo
 


Le président de la République est intervenu pour demander aux moins juvéniles d'entre nous de rester at home... (nous sommes le 13 mars, 4 jours avant le confinement pour tous).
Jacqueline(avis transmis)
J'ouvre au moins aux ¾ les deux livres à la tonalité si différente, mais deux volets complémentaires pour mieux connaître l'Inde et pour apprécier Amit Chaudhuri. Peut-être même que je profiterai de ma retraite obligée pour en lire un troisième emprunté avant d'avoir reçu Une étrange et sublime adresse....

Denis
Je suis les consignes et ne viendrai pas ce soir. En outre, je n'ai vraiment rien à dire sur le bouquin, que je ressens comme un aimable bavardage narcissique que je ne conseillerai pas, surtout à des lecteurs ne sachant rien de Bombay. J'ouvrirai ¼. Bonne soirée quand même !
Brigitte(avis transmis)
Je l'ouvre à moitié. En effet, je pense que je ne fais pas partie du public à qui ce livre est destiné. De mon point de vue, l'auteur s'adresse essentiellement à ceux qui connaissent Bombay et qui y ont vécu, ce qui n'est absolument pas mon cas. J'ai passé une quinzaine de jours dans le nord du Pendjab, au Pakistan, et je retrouve ici quelques éléments dont j'avais pu mesurer le poids, à savoir l'importance pour la population de la Séparation d'août 1947, ainsi que la présence de nombreux éléments architecturaux (plus ou moins bien entretenus) dus aux Britanniques.
Je remarque aussi que la vie des classes moyennes est presque la même dans toutes les grandes villes du monde, malgré des cultures profondément différentes.
La construction du livre est assez particulière, dans le sens que 75% du texte est consacré à une sorte d'introduction. C'est seulement autour de la page 123 (sur 160) qu'apparaît enfin Ramu ! Ce qui relance l'intérêt de la lecture, un peu "lente" pour ceux qui n'ont jamais mis les pieds à Bombay, ni en Inde.
Sinon, la lecture est facile, on sent que l'auteur a du métier, il maîtrise tout à fait son art.
Pour nous, les membres du groupe lecture "Voix au chapitre", il est particulièrement savoureux de trouver cités des livres que nous avons lus ensemble (Rue des boutiques obscures, Le Dieu des Petits Riens). On retrouve également beaucoup de nos préoccupations, à commencer par notre obsession concernant le distinguo entre Auteur et Narrateur, mais aussi des sujets comme l'écriture, la nouvelle (Maupassant), le roman… et les livres courts !
Catherine (un collègue étant contaminé, préfère ne pas nous exposer)
Ami de ma jeunesse ne m'a pas enthousiasmée. Je n'ai pas réussi à accrocher à cette déambulation nostalgique dans Bombay.
Je ne connais pas l'Inde ; j'ai lu très peu d'auteurs indiens, le seul roman qui me vienne en tête étant L'Équilibre du monde de Mistry ; j'étais donc très motivée par cette lecture mais elle m'a laissée sur ma faim. J'ai eu le sentiment d'un récit décousu ; on parcourt Bombay à la suite du narrateur (qui semble très proche de l'auteur même s'il qualifie son œuvre de roman) et on s'y perd un peu ; il m'a manqué les notes en bas de page qui m'auraient aidée à ne pas me mélanger dans les noms, les rues... Le personnage de Ramu m'a semblé assez insaisissable, à la fois absent et omniprésent. J'ai malgré tout été sensible à l'ambiance du livre, à la réflexion sur le temps, les lieux du passé, aux descriptions du Taj, de la nourriture pârsi.
J'ouvre Ami de ma jeunesse à moitié. Je viens de commencer Une étrange et sublime adresse, qui me plaît nettement plus de prime abord.
Laura(internaute espérant intégrer un jour le groupe)
J’ai voulu lire Ami de ma jeunesse et Une étrange et sublime adresse, mais, évidemment, il fallait que le premier n’arrive jamais par la poste. En revanche j’ai bien reçu Une étrange et sublime adresse que j’ai lu en grande partie (il doit me rester une cinquantaine de pages) mais je n’ai pas eu le temps de le terminer, il y a tellement d’autres livres à lire en même temps à la fac... Mais je vais quand même donner mon avis sur celui-ci !
En le commençant, je ne me suis pas du tout sentie dépaysée comme avec Les Heures. On peut presque dire que le livre m’a tout de suite mise en confiance. (J’ai déjà des difficultés à écrire cette critique, parce qu’en réalité le livre ne me donne pas un avis tranché, mais il n’en ressort aucun paradoxe non plus, j’ai plutôt une impression évanescente et atmosphérique.) Que dire ! Ce n’est pas un livre remarquable qui marquera l’histoire, du moins la mienne, mais ce n’est pas non plus un livre que je dédaigne et méprise, loin de là. En me plongeant dedans à plusieurs reprises dans la journée, je garde cette impression étrange : celle de rentrer à la maison, dans la sécurité et la douceur. J’y perçois les différentes senteurs, la lourdeur des baumes et des parfums ; les couleurs chatoyantes des saris ; la chaleur de l’air. Je pense que c’est un livre sans histoire, dans les deux sens du terme : il n’y a pas de récit précis qui pourrait attiser l’intérêt d’un lecteur frivole, et c’est aussi un livre qui ne fait pas de vagues, ce n’est pas À rebours, il n’en émane pas un lieu sombre intellectuel et décadent. Ce livre respire l’innocence, peut-être grâce aux descriptions de la vie des enfants, de la famille, je ne sais. Du côté de l’écriture, je n’ai rien à redire, même si c’est une traduction, c’est particulièrement agréable et fluide. Et le récit laisse percevoir des touches d’humour, parfois innocent, parfois un peu douteux tout de même (l’employée des voisins qui se rince l’œil sur les fesses nues des enfants), mais qui n’a fait que rajouter un peu plus de charme. Alors j’avoue que ça me fait énormément de bien, le temps de quelques jours, de sortir de mes livres de philo ou de la noirceur de Lautréamont ou d’Aurevilly. Amit Chaudhuri a vraiment écrit un bon livre à mes yeux. Je suis heureuse d’avoir pu découvrir ne serait-ce qu’un peu la littérature indienne. Pourtant, ce ne sera pas un livre que je recommanderai, probablement afin de le garder pour moi, dans ma sphère personnelle, dans ce qu’il y a de secret chez moi. Bien que j’aie peur de l’oublier vite, on verra bien.
Mais pour le moment, ¾ ouvert !
Nathalie (avis transmis juste après la décision de fermeture de tous les établissements scolaires)
Je ne serai pas longue car je n'ai pas le temps aujourd'hui, dans cette folle journée où l'on doit quitter "tout" en quelques heures et surtout mes élèves pour rédiger une longue critique.
J'ai beaucoup aimé les deux textes bien que l'on puisse considérer les deux comme deux textes de genres différents. Le premier dont on ne sait s'il est autobiographique bien que le nom de l'auteur y apparaisse tardivement, et le deuxième sous-titré "roman", mais où l'on croit deviner derrière chaque page l'ombre de l'auteur.
Comment parler des deux sans se mélanger ? Le premier est absolument sensationnel dans sa façon non linéaire d'aborder les moments d'une vie, mais aussi la réflexion sur ce qu'est l'exil et ce que peut représenter le "retour au pays natal". Le narrateur exprime que bien que n'habitant plus la ville, il est un habitant de la ville à part entière. J'ai aimé l'amitié entre ces hommes, j'ai aimé les descriptions qui, si elles sont moins recherchées dans le premier, sont vraiment souvent très justes et très évocatrices dans le deuxième. J'ai aimé la construction de l'œuvre. Il m'a semblé qu'elle était pleine de virages et d'angles droits. Ce livre est vraiment original et je comprends qu'il puisse dérouter.
J'ai aimé cette vie à volets clos sous la torpeur, les moments de sieste (dans le deuxième), la transcription de la vision de la vie des adultes par les enfants.
Tout est rendu avec précision, joie et fantaisie. C'est un livre propice à la rêverie. Un qui vous fait toucher du doigt un ailleurs. J'aime les tableaux très visuels qu'il offre, les scènes d'intérieurs nuancées et plongées dans la lumière dorée d'une fin de journée, le bruit de la douche, la moiteur du lit où s'allongent les femmes.
Évidemment, j'ai eu envie de me dire que l'Inde qu'il partage ne peut être qu'une Inde intime, subjective, réduite à une lorgnette. Je n'ai pas cherché à le lire de façon sociologique. Il est flagrant que les castes inférieures sont des ombres à peine visibles. On sent bien que celles qui sont à l'extérieur du "harem familial" (cf. Le harem et les cousins de Germaine Tillion — une référence à lire pour ceux qui ne connaissent pas !) n'existent pas pour la famille. La servante a une existence mais on se moque d'elle, celui qui vient nettoyer les toilettes n'est qu'une ombre dont on se moque aussi et dont le nouveau-né ressemble à un petit paquet de viande (comme le fait le personnage principal de La Tresse) n'existe pas non plus en tant qu'être humain au sens d'humanité. Mais je m'en fiche. Je me dis qu'il serait dommage d'en faire une lecture "politique". J'ouvre aux ¾.
Annick L
Au début j’ai trouvé que cette sorte de journal de voyage était agréable à lire, et dépaysante ; mais je me suis vite lassée. Je ne me sens pas concernée par la méditation qui accompagne le récit du narrateur, de retour dans la ville de sa jeunesse. Sauf en ce qui concerne l’évocation de son vieil ami Ramu, comme une ombre à laquelle il prête vie par petites touches, ou celle qui renvoie à l’histoire de Bombay, son évolution au fil du temps, les séquelles de l’attentat.
Par rapport à ce que dit Nathalie, ma lecture est sans doute plus politique : son point de vue, celui d’un gosse de riche auto-satisfait, est trop étroit. Il ne s’intéresse qu’aux lieux et aux personnes qui le renvoient à son milieu social, et tout ça m’a paru assez vain et futile. Enfin l’ensemble est décousu, sans fil cohérent.
Peut-être que si j'avais lu l'autre livre, ma lecture en aurait été éclairée. Mais, en comparaison, par exemple, d’une œuvre comme Le Dieu des Petits Riens, il manque tout ce qui peut en faire la richesse : une puissance d'évocation, une véritable composition, et des enjeux intéressants. Je l’ouvre au quart.
Si la traductrice avait été là je lui aurais posé des questions sur l'éditeur, qui appartient au groupe L'École des loisirs, et sur son catalogue de non-fiction.
Françoise
J'ai été déçue aussi par L'ami de ma jeunesse. J'ai trouvé chouette de découvrir un autre auteur indien.
Je me suis dit ça vient de la traduction : il y a des tournures bizarres, des répétitions. Mais c'est le récit, qui part dans tous les sens. Son ami, on le voit par petites touches, mais on ne voit pas qui c'est, l'impression n'est pas suffisante, ne permet pas de le capter.
J'aurais souhaité des renvois d'édition pour expliquer des expressions qui figurent telles quelles. On reste sur sa faim.
Le personnage véritable, c'est le Taj, avec ces attentats de 2008 traumatisants. C'est vaguement évoqué. Là aussi je suis restée sur ma faim. Si on se laisse porter, bon d'accord, mais ça reste en surface.

Comme Annick l'a évoqué, Arundhati Roy, avec
Le Dieu des Petits Riens

et son dernier livre
Le Ministère du Bonheur Suprême, formidable,
c'est vraiment la pointure au-dessus.


Voilà Françoise dans le train de Calcutta
où elle a acheté le livre d'Arundhati Roy
The Ministry of Utmost Happiness
("Le Ministère du Bonheur Suprême").

Certes ce n'est pas le même propos, l'Inde et ses conflits, on est loin de tout ça, avec ce petit microcosme de gens aisés, être membre du club, etc. ce n'est pas son sujet, on ne sort pas de là. Il donne l'impression — que ce soit vrai ou faux — d'ignorer tout le reste. On n'a pas l'impression qu'il s'intéresse à quoi que ce soit d'autre.
Et il aurait pu placer Bombay dans son contexte.
J'ouvre au quart. Pourtant il a une bonne tête…

Annick
Il est charmant !

Françoise
Mais il n'y a pas le moindre recul, la moindre critique par rapport à sa vie. Je trouve ça dommage, même si ce n'est pas son propos.

Geneviève
J'ai plus aimé que vous. D'abord je suis très sensible aux grands hôtels, qui sont comme des cocons ; si je pouvais, je vivrais dans un hôtel. Le fait que les gens te reconnaissent ou pas, c'est très intéressant. Et il y a aussi ses points de vue : sous un pont, d'un balcon. J'aime aussi la nostalgie.

Claire
Le narrateur dit pourtant qu'il ne ressent pas la moindre nostalgie.
Geneviève (qui a lu le texte original en anglais)
Petit à petit, je me suis accrochée à la relation avec son ami. On ne sait pas en quoi on a changé, soi-même, l'ami qui change, lui, nous renvoie à soi-même. Le fait que la relation est difficile à caractériser, c'est intéressant. Je ne suis pas gênée que ça se passe dans un milieu bourgeois, ça existe et ça change des livres qui mettent toujours en scène une Inde pauvre ; ça m'intéresse, ce point de vue. Certes il y a de la frustration. À propos des attentats de 2008, j'ai espéré avoir quelque chose autour de ça. Il y a aussi le déclassement de la famille : j'attendais plus. Mais je me suis laissé capter. Et j'aime la fin.
Pour autant cette histoire un peu flottante, légère, m'a donné du plaisir, mais qui ne me laissera pas grand-chose. Il y a beaucoup de charme, c'est un peu flottant, un peu modianesque.
Quant à l'anglais, il est un peu étrange, très simple.
J'ouvre à moitié.

Claire (qui va abuser au nom du fait qu'on est peu nombreux)
Pour être dans le bain indien, j'ai assisté à une conférence sur Bombay dans la littérature indienne contemporaine à la librairie Le Phénix où je n'étais jamais allée.

Françoise
La librairie des anciens maos ?
Claireet
Peut-être... mais aujourd'hui, elle se consacre outre la Chine au reste de l'Asie. Bref, la conférence faite par un journaliste spécialiste de l'Inde, Patrick de Jacquelot, était très intéressante, car il présentait rapidement auteur et livre, disait pourquoi il l'aimait et en lisait un extrait. Il a bien expliqué comment cette mégapole monstre est, selon le mot de Rohinton Mistry (auteur que nous avions lu) "une usine à histoires" et on voyait bien l'impact de la ville sur les personnages et la narration (voir les livres ici). Je suis tombée de haut en découvrant notre roman et ses déambulations à Bombay dans des milieux plus feutrés les uns que les autres — même si cela donne un côté documentaire au livre... Le narrateur m'a très vite agacée et j'ai fini exaspérée. L'écriture fade déportait en effet mon attention sur le narrateur : ses valeurs, sa condescendance si ce n'est son mépris, ses intérêts (suis-je reconnu, mes livres sont-ils bien là), l'intérêt vital de son entourage féminin (la couleur de chaussures de marque), son côté m'as-tu-vu avec ses lectures, tout ça sans aucun recul ne serait-ce qu'humoristique. Les attentats sont au même niveau que "j'ai mangé du homard". L'intensité dramatique arrive quand il voit un cafard et, ouf, on le change de chambre... Certes un personnage peut être même abject et le livre génial de par l'écriture. Il ne se passe rien (exprès, car j'innove dans le roman)... et c'est surtout dans l'écriture qu'il ne se passe rien pour moi. L'ami, susceptible d'être central, n'a pas d'existence. L'intrigue est nulle et l'écriture ne pallie pas ce vide, ne donne aucune ampleur à la superficialité de son personnage et à sa démarche de retour sur le passé. Le livre fini, le clou a été pour moi la présentation blablateuse qu'il fait de son propre livre (vidéo ici), j'en étais mal pour lui... J'ouvre ¼ pour le voyage en classe de luxe.
Après ça, j'ai lu Une étrange et sublime adresse : quelle bonne suprise ! C'est très différent ! Il ne se passe pas grand chose non plus, mais il y a une jolie peinture de la famille élargie indienne, du point de vue du héros qui est un enfant et que l'on associe à l'auteur même si le livre est à la troisième personne : j'ai aimé être plongée dans l'univers décrit, l'importance des rites religieux alors qu'on est athée ; j'ai aimé des comparaisons fortes (par exemple la servante se nettoie chaque soir avec un torchon qui a l'air sale mais qui est en fait "aussi propre que l'âme d'un criminel accusé à tort", les femmes drapent "leur corps dans des saris chatoyants, soigneusement lissés, comme du papier brillant autour de bonbons", "les bras de son grand-père l'emprisonnaient comme la Muraille de Chine"). Je rejoins là l'impression positive de Nathalie et j'ouvre aux ¾ (cela me fait une moyenne de ½...). On retrouve dans ce livre l'attitude hautaine, regardant de haut, figée vis-à-vis des serviteurs et par rapport aux femmes : on perçoit une adhérence à l'organisation hiérarchisée, voire sclérosée de la société, d'autant plus étonnante vue d'ici que l'auteur est parfaitement oxfordisé.
Vers les trois quarts du livre, les têtes de chapitres qui avaient un numéro prennent un titre tout à coup et le "je" apparaît, puis disparaît dans le chapitre suivant, j'ai trouvé ça intéressant en me disant : on passe 20 ans plus tard quand il est devenu adulte. Il s'agit en fait d'un roman suivi de nouvelles. Je n'avais absolument pas vu, n'ayant pas regardé la page de garde, ni le sommaire ; et je vois que ce n'est d'ailleurs indiqué ni sur la première de couverture, ni sur la quatrième. Je n'avais pas vu non plus qu'il y avait un glossaire et m'en suis aperçue à la dernière page.

Geneviève
Si, regarde, c'est indiqué :


Claire
Je n'avais pas regardé ça et étais entrée directement dans le texte, mais de toute façon, il n'y a pas d'astérisques qui auraient permis de savoir quand se reporter au glossaire...
J'aurais aimé poser des questions à la traductrice :
- sur l'auteur (puisqu'elle le connaît) qui a vraiment beaucoup de cordes à son arc (romancier, prof de fac et essayiste, donc théoricien sur la littérature, et chanteur : j'ai écouté des morceaux et j'aime beaucoup)
- sur la littérature indienne et notamment la définition de la non fiction, sur la place littéraire de Chaudhuri par rapport aux autres auteurs
- sur la traduction bien sûr : choix de traductrice ou d'éditeur de ne pas mettre de notes ? de mettre un glossaire ou non ? pourquoi certains mots y figurent et d'autres pas ? pourquoi le titre du livre Le Dieu des Petits Riens n'est pas celui de la traduction en vente (mais Le Dieu des petites choses) ? et surtout des questions sur les difficultés rencontrées, par exemple, je me suis arrêtée sur un jeu de mots difficile à rendre :

La traduction
L'original
Je m’étends sur le lit. La chambre a été “rénovée”. Je déteste ce mot, ce son vibrant, comme si une personne enrhumée essayant de dire “refourguée” ; je ne l’utilise jamais sans une pointe d’ironie.

I lie back. They’ve ’refurbished’ the room. I loathe the word, its blunt sound (as if someone with a cold were trying to say ‘furnished’), and don’t use it without irony.

Richard (après la soirée)

Quand j'ai lu ces phrases en anglais je me suis dit : cela ne va pas être facile à traduire, s'agissant d'un jeu de mots anglais. Je suggère "comme si une personne enrhumée essayait de dire "remeublée". Si 'refurbish' correspond bien à 'rénover', 'refurnished' ne renvoie pas à "refourgué" mais "meublé à neuf" (et non "refilé").

Fanny
J'avais l'impression de passer à côté du livre. Plus j'avançais, moins j'avais envie de continuer.
Les phrases sont assez jolies. La référence à la différence auteur/narrateur m'a fait sourire.
Mais c'est trop référencé, car je ne connais pas l'Inde, cela ne m'a pas parlé. Le rapport à son ami aurait pu être prenant, c'est plat : un support pour parler de lui. Parmi les souvenirs, je n'ai pas vu les sentiments, ce qui rend le livre un peu ennuyeux. Ce que je regrette.
J'ai vu autrement les attentats : avec une pudeur pour ne pas en dire plus.
Les chaussures : je n'ai pas été passionnée et cela ne m'a pas fait sourire.
Il n'y a pas de titre dans les chapitres, pas de sens au découpage. Il n'y a pas de fil narratif.

Claire
Pas de fil évidemment... il écrit au fil de la plume.

Monique L
Je l'ai lu très facilement. Je n'ai pas ressenti d'agacement. Mais je n'ai pas accroché à cette ballade légère. J'ai apprécié la nostalgie, l’évocation des changements mais ne connaissant pas la ville, j’ai manqué de repères.

Claire
Pardon Monique, j'ajoute que j'avais installé ma tablette à côté du livre et j'ai regardé sans arrêt des images des lieux évoqués. Et aussi quand il évoque l'artiste Nikhil Chaganlal :

"N'y figure aucun personnage, seulement des preuves de leur activité. Il y a un échiquier sur le lit, un sitar et des tablas près du canapé, une canette de Coca sur le tapis rouge vif : des couleurs d'une gaieté insupportable" (p. 36)
Monique
Moi aussi et j'avais même le plan de Bombay sous les yeux. Mais je suis resté extérieure, déçue par la ville. Il ne me reste pas grand-chose de cette lecture. Trop en surface. Je n'étais pas gênée que ce soit quelqu'un d'aisé ; il n'a pas la même attitude que son père ; il cherche les traces de ce qu'avait été sa famille.

Geneviève
Il y a la question de la non-appartenance.

Françoise
Le personnage c'est le Taj. Il y a même des visites de touristes liées aux attentats qu'il évoque.
D'où l'intérêt qu'il y aurait eu à rester sur ce thème.

Fanny
C'est trop référencé, c'est pour ça que ce livre ne m'a pas parlé.

Annick
Oui le livre n'est pas auto-suffisant.

Geneviève
Je suis contente de l'avoir lu.

Claire
Moi aussi, comme TOUS les livres que nous avons lus cette année que je n'ai guère aimés (Trouillot, Gombrowicz, Woolf, Chantal Thomas, Tolkien, Cunningham)...
Lisa (avis transmis après la soirée)
J’ai peu lu de livres indiens, j’avais hâte de commencer la lecture de celui-ci.
Et pourtant, dès le début, le livre m’est tombé des mains. Quel ennui ! Je n’ai pas du tout accroché à cette histoire. C’est de l’autofiction, mais dans quel but ? Plus que de l’autofiction, je dirais une sorte d’autofiction philosophique, avec des aphorismes inutiles : page 74 "regarder c’est rêver". Ah merci, c’est profond.
Je n’ai ressenti de l’empathie ni pour le narrateur, ni pour Ramu.
La construction m’a perdue, je n’ai pas réussi à me situer temporellement. Je ne trouve pas que l’auteur ait réussi à faire vivre Bombay, même en lisant je ne visualisais rien.
Page 105 : "J’adore les livres courts : dès la première page on sait que ça va bientôt se terminer". C’est exactement ce que j’ai ressenti en lisant le livre.
Je ferme.
Etienne
On respire enfin après ces deux dernières lectures qui m'avaient fort déçu. Ne connaissant pas grand chose à l'Inde d'une manière générale, j'ai trouvé tout d'abord qu'Amit Chaudhuri était une porte d'entrée assez réjouissante, car il est un transfuge à plusieurs niveaux, ce qui nous permet d'entrer en véritable cheval de Troie dans un pays, une ville, une culture, une Famille.
Malgré le maintien de sa classe sociale, je n'ai pas pu m’empêcher de penser à Annie Ernaux avec une certaine insouciance teintée de nostalgie (bien qu'il s'en défende) en plus (et certainement pas à Marcel Proust comme j'ai pu le lire ; les critiques littéraires manquent tout de même singulièrement d'imagination...). Le narrateur est issu de la très haute bourgeoisie et maîtrise les codes de la culture anglo-saxonne (et a fortiori occidentale), mais reste viscéralement attaché à ses racines.
Mais quelles racines ? Et c'est là que tout s’emmêle volontairement : Calcutta ? Bombay ? L'image mentale d'un lieu fantasmé de son enfance ? Sans donner véritablement une réponse, il nous suggère que plutôt tout lieu possède une charge émotionnelle qu'il est possible de réveiller instantanément en se laissant porter. Cela m'a fait un peu penser à cette notion de psychogéographie de Guy Debord : c'est finalement le lieu le personnage principal, qui dicte les lois du récit.
Le verre reste tout de même à moitié plein, car il manque une dimension symbolique ou transcendante au récit à mon goût et je reprocherais une certaine nonchalance à l'écriture.
J'ouvre donc à moitié.

Avis en attente de Annick A Christelle RichardSéverine


QUELQUES INFORMATIONS
 

- Des repères concernant Amit Chaudhuri
- Ses publications
- La traductrice d'Amit Chaudhuri

- Articles, vidéo, radio sur Amit Chaudhuri

- On a failli le rencontrer...

- La littérature indienne peu connue ? Du moins par nous...

Des repères concernant Amit Chaudhuri
- Né à Calcutta en 1962. Grandit à Bombay. Son père est le premier PDG indien de Britannia Industries, sa mère est chanteuse.
- Études à Bombay puis à Oxford en littérature. Thèse sur la poésie de D.H. Lawrence
- Professeur de littérature contemporaine à l’université anglaise de l’East Anglia. Il y a enseigné l'écriture créative et a supervisé des doctorants en creative writing, puis un cursus de creative writing a été inauguré à Calcutta sous sa direction.
- Premier roman : Une étrange et sublime adresse en 1991 (traduit en 2004) qui le fait connaître aussi bien dans les pays anglo-saxons qu’en Inde. Succès des romans suivants.
- Jouant de la guitare, ayant appris le chant avec sa mère et l'ayant étudié sérieusement, il est aussi un chanteur reconnu, se référant à la tradition classique de l’Inde du Nord ou y mêlant jazz, blues, rock : on peut écouter les deux styles ICI.
- Vit entre Londres et Calcutta. Marié à Rosinka Chaudhuri avec qui il a une fille, Aruna.

Ses publications
- 7 romans, dont nous lisons le dernier. Le seul roman non traduit est Odysseus abroad
- un recueil de poèmes, St. Cyril Road and Other Poems (2005) et des nouvelles Real Time (2002, classées "non fiction")
- des essais, une anthologie :

› une anthologie de littérature indienne moderne : The Picador Book of Modern Indian Literature (2001)
› sa thèse D. H. Lawrence and "Difference":Postcoloniality and the Poetry of the Present (2003)
Clearing a Space: Reflections on India, Literature and Culture (2008)
› sur Calcutta traduit en français Calcutta: Two Years in the City (2013)
Telling Tales: Selected Writings, 1993-2013 (2013)
On Tagore: reading the poet today (2013).
- Le site de l'auteur : amitchaudhuri.com

La traductrice d'Amit Chaudhuri
Simone Manceau a traduit, avant Ami de ma jeunesse que nous lisons, 6 autres livres d'Amit Chaudhuri :

Râga d'après-midi
Picquier, 2005
Freedom Song
Picquier, 2005
Un nouveau monde Picquier, 2007
Les immortels
Aux Forges de Vulcain, 2012

Simone Manceau a traduit de l'anglais également Radhika Jha (Inde), Shashi Despande (Inde), Kunal Basu (Inde), Amit Chaudhuri (Inde), Narendra Jadhav (Inde), Neel Mukherjee (d'origine indienne), Aatish Taseer (d'origine indienne), Tahmima Anam (née au Bengladesh), Feryal Ali Gauhar (Pakistan), Daniyal Mueenuddin (Pakistan) et de nombreux livres anglo-saxons mais non asiatiques (voir fiche de la BNF).

Articles, vidéo, radio sur Amit Chaudhuri
- sur Ami de ma jeunesse : deux courtes critiques
     › Florence Noiville, Le Monde, 12 septembre 2019
     › Virginie Bloch-Lainé, Libération, 26 octobre 2019

- sur Ami de ma jeunesse : l'auteur présente son livre à la librairie Mollat (vidéo ici : 4 min 57, septembre 2019)

- sur Ami de ma jeunesse : titre d'un livre d'Alice Munro, livre qu'il aurait rêvé d'avoir écrit et qu'il a écrit (voir ici)

- sur Une étrange et sublime adresse :
› "Enfance à lire", Françoise Le Bouar, La Revue des livres pour enfants, n° 260, 2011 : un article détaillé sur le roman
Jeux de Bengale, Natalie Levisalles, Libération, 27 mai 2004
Amit Chaudhuri-Rohinton Mistry : les sentiments intouchables, Claude Michel Cluny, Le Figaro littéraire, 22 avril 2004

- sur les livres "qui l'ont fait" : Books that made me, The Guardian, 7 septembre 2018 (en anglais)

- sur sa musique :
    › son article prônant la fusion des musiques : "Le manifeste d'un grand musicien indien : pour une autre musique fusion", Courrier international, 23 janvier 2008
    › Amit Chaudhuri et le “lapsus auditif“, Matthieu Conquet, France Culture, 19 septembre 2014, 6 min

- dans le cadre d'une semaine sur les écrivains indiens à l'ENS : entretien entre Amit Chaudhuri et Laetitia Zecchini, traductrice, spécialiste de la littérature indienne contemporaine, 57 min, 17 septembre 2014 (uniquement en anglais)

- à France Culture, à l'occasion du Festival des écrivains du monde sur son livre sur Calcutta, La Grande Table, par Caroline Broué, 19 septembre 2014, 30 min.

On a failli le rencontrer...
L'Inde était justement invitée d'honneur au
Salon du livre 2020. Amit Chaudhuri devait intervenir
scène Agora le 20 et le 22 mars, ce qui nous aurait permis de l'entendre dans la foulée de la lecture ; le coronavirus en a décidé autrement.
Il est prévu au festival Étonnants Voyageurs en juin 2020...

• La littérature indienne peu connue ? Du moins par nous...
Quels livres indiens avons-nous lus dans le groupe ? Un seul
(!) auteur est vraiment indien :
- Le Dieu des Petits Riens d’Arundhati Roy, qui est bien indienne et vit en Inde
- L'Équilibre du monde de Rohinton Mistry, qui est canadien d’origine indienne
- Haroun et la mer des histoires de Salman Rushdie, britannique d’origine indienne
- À la courbe du fleuve, puis L'énigme de l'arrivée de Naipaul : britannique, né à Trinidad, grands parents venant d’Inde.

Compte rendu de deux rencontres récentes par Claire :
- sur Bombay dans la littérature contemporaine ICI
- sur la poésie indienne .

Et deux articles de ce mois-ci (mars 2020) :
- "L'Inde à la page", Gladys Marivat, magazine Lire : l'état de la littérature indienne
- "Écrivain en Inde, un métier à risques", Sophie Landrin, correspondante à New Delhi pour Le Monde, 20 mars 2020

Les attentats de 2008 évoqués dans L'ami de ma jeunesse
Les attaques de novembre 2008 à Bombay sont une série de dix attaques terroristes coordonnées qui ont eu lieu du 26 au 29 novembre 2008 à travers Bombay, la capitale financière et plus grande ville de l'Inde.
Ces attaques ont eu lieu à la gare centrale, dans deux hôtels de luxe, l'Oberoi Trident et le Taj Mahal Palace & Tower, au restaurant touristique populaire Leopold Cafe, à l'hôpital Cama, au centre communautaire juif Loubavitch, au siège de la police.
188 personnes, dont au moins 26 ressortissants étrangers, ont été tuées et 312 blessées.
L'équipe terroriste était composée de 10 militants islamistes entraînés au Pakistan sans appui direct du gouvernement, 9 d'entre eux ont été tués et un fait prisonnier.
Alors que ce seul rescapé, jugé en Inde, a été condamné à mort et exécuté le 21 novembre 2012, sept autres Pakistanais soupçonnés d'être liés à l'attentat sont en cours de jugement au Pakistan.

D'autres attentats eurent lieu antérieurement :
- Le 12 mars 1993, la ville de Bombay avait déjà été touchée par une série d'attentats à la bombe. Un total de 13 bombes explosent contre la bourse de Bombay, des banques, des hôtels, des marchés. La vague d'attentats fera 257 morts et plus de 700 blessés.
- Le 11 juillet 2006 a eu lieu une série de sept attentats à l'explosif commis quasi simultanément en fin de journée à l'heure de pointe dans des gares et trains de banlieue de Bombay en Inde,
dans un intervalle de 20 minutes. Les pompiers, qui ont dû lutter contre des incendies sur les sept sites des attentats. Les grandes villes du pays ont été placées en alerte après ces actes de terrorisme non revendiqués pour le moment, rappelant ceux de Madrid en 2004.



 

Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :
à la folie
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