Quatrième de couverture : Aaliya Saleh, 72 ans, les cheveux bleus, a toujours refusé les carcans imposés par la société libanaise. Cette femme irrévérencieuse et un brin obsessionnelle traduit en arabe les uvres de ses romanciers préférés : Kafka, Pessoa ou Nabokov. À la fois refuge et "plaisir aveugle", la littérature est l'air qu'elle respire. Cheminant dans les rues, Aaliya se souvient ; de l'odeur de sa librairie, des conversations avec son amie Hannah, de ses lectures à la lueur de la bougie tandis que la guerre faisait rage, de la ville en feu, de l'imprévisibilité de Beyrouth. Lauréat du Prix Femina étranger 2016, Rabih Alameddine signe un roman éblouissant et une véritable déclaration d'amour à la littérature. LES DEUX AUTRES LIVRES TRADUITS EN
FRANÇAIS Beyrouth, 2003. Après de nombreuses années passées aux États-Unis, Osama Al-Kharrat revient au Liban pour renouer avec son père mourant. Durant une semaine, autour du lit, la famille se raconte souvenirs, anecdotes, fables et légendes. Car le grand-père dOsama était un conteur, un hakawati, et ses histoires se mêlaient à des légendes classiques du Moyen-Orient : Abraham et Isaac, Fatima
L'ange
de l'histoire, éd. Les Escales, 2018, 360 p. Le portrait bouleversant
et tout en finesse d'un homme hanté par les souvenirs et par deux
voix, celles de Satan et de la Mort, qui se disputent son âme. |
Rabih Alameddine (né en 1959)
|
Les
33 cotes d'amour des trois groupes |
AUTOUR
DU LIVRE
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Parcours
de l'auteur Ses publications Le traducteur Interviews Repères historiques Littérature libanaise |
Les
9 cotes d'amour du nouveau groupe parisien
réuni le 14 mars 2021 Ana-Cristina Anne Anne-Marie François Christine Katherine Nathalie B Séverine G Valérie |
Ana-Cristina
Je n'ai pas tout lu, une soixantaine de pages, et je n'ai pas eu envie
de poursuivre. Je n'ai pas aimé. J'ai trouvé ce livre mal
écrit. Est-ce dû à une mauvaise traduction ?
Je n'ai en tout cas pas aimé le style et me suis demandé
pourquoi l'auteur a eu envie d'écrire sur une vieille femme. Je
n'ai pas non plus compris la cohérence du titre, "Les vies
de papier", je trouve que cela n'a pas de rapport avec l'histoire.
Il y a aussi toutes ces citations qui n'apportent rien en fait. Et puis
j'ai mis un certain temps avant de comprendre qu'il s'agit d'une femme.
L'auteur est masculin
Déjà le début de l'histoire
des cheveux bleus m'a semblé peu intéressant. Je trouve
que le personnage n'a pas d'intériorité. Je ferme le livre.
Anne-Marie
C'est un livre déconcertant. Est-ce un essai ? Un journal ? Un
roman qui parle d'un mariage raté avec un mari disparu antipathique.
Le thème concernant la vie patriarcale dans Beyrouth en temps de
guerre est intéressant, mais la façon de le raconter avec
la librairie, les traductions, part dans tous les sens. Certes il y a
des trouvailles
On aimerait savoir plus de choses sur la ville.
Il y a de l'humour comme l'histoire avec la mitraillette dans son lit,
mais il y a trop de digressions sur la littérature et on ne sait
pas pourquoi elles sont introduites là, sans rapport avec les situations.
Aussi, les moments intéressants ne durent pas, ils sont entrecoupés.
Pas de continuité. Seule la relation avec Hannah me semble touchante
et le portrait en est bien tracé. C'est un texte que j'ai trouvé
désordonné, fatigant, ce sont des bouts de scénarios
mis bout à bout. Je trouve même que l'auteur ne s'est pas
vraiment mis dans la peau d'une femme.
Katherine
J'ai lu ce roman dans sa langue originale, l'anglais, et dont le titre
est An
Unnecessary Woman. Je n'avais pas terminé ma lecture au
moment de nos échanges, mais je l'ai achevé peu après
et mon impression positive n'a pas du tout été gâtée !
J'ai adoré l'histoire de cette femme. Elle est indépendante,
auto-suffisante, sereine : ce personnage a suscité chez moi une
forme d'admiration et de sympathie, qui m'ont donné envie de la
connaître à travers ses pensées et ses souvenirs qu'elle
émaille dans ce livre-journal.
Elle vit à Beyrouth, divorcée, célibataire et sans
enfant, ce qui est extrêmement rare et marginal pour l'époque
(et encore aujourd'hui). Alors que plusieurs trouveraient éminemment
triste une telle vie, elle semble y avoir un trouvé un équilibre
paisible entre ses projets de traduction et son emploi dans une librairie.
Elle a acquis une très vaste culture et évoque sans fioriture
ces écrivains et musiciens qu'elle aime et dont les uvres
l'ont marquée. Elle est solitaire, mais sa vie est riche de rencontres
avec ces auteurs qu'elle lit et traduit. Leurs personnages, ces vies de
papier, font partie de sa vie terrestre et la remplissent.
J'ouvre en grand !
Nathalie B
J'ai beaucoup aimé ce roman écrit pas un homme sur une femme
au soir de sa vie. Sur quelques jours, comme pour un journal, cette femme
à la vie solitaire raconte sa vie entière. Les premières
pages m'ont fait craindre ce que dit Ana-Cristina, un côté
superficiel avec juste un égrenage de titres et d'auteurs sans
lien particulier avec le récit. Il y a bien plus d'une centaine
d'auteurs qui sont cités. Ce roman est rempli de titres de livres
divers, de citations nombreuses énoncées au gré des
réflexions et souvenirs d'Aaliya. Et puis, en réalité,
non. En découvrant peu à peu ce personnage, on comprend
progressivement ses références, son rapport aux livres qui
sont les fondations de sa vie et le sel de son existence. J'ai beaucoup
de sympathie pour cette femme si particulière qui, après
avoir suivi le chemin assigné aux femmes, a très tôt
dû s'en détourner, construit sa propre route avec et par
les livres qu'elle dévore et savoure. Cette femme est comme Beyrouth
qu'elle traverse : elle a connu son âge d'or, a été
démolie, puis s'est reconstruite. Par petites touches, l'auteur,
par le biais de cette femme, nous fait frôler du doigt les difficultés
de la vie quotidienne à Beyrouth pendant les années de guerre,
comme par exemple le rapport à l'eau, son manque d'eau. Cette eau
si importante et qui à la fin du livre détruit tout ce qu'elle
avait essayé de bâtir. Elle s'est progressivement totalement
isolée et s'est réfugiée totalement dans les livres
qu'elle lit, qu'elle traduit pour elle seule, même si ses espoirs
ont été autres. Elle se vit comme une femme inutile, mais
qui a réussi à trouver la sérénité
ou presque, le bonheur parfois lorsqu'elle est contente de sa traduction.
Elle a progressivement perdu ses illusions. L'auteur, par le biais de
son héroïne, car c'en est une, nous montre sans les édulcorer
les tracas de la vieillesse. Mais la vie n'a pas dit son dernier mot.
Et la tragédie qu'elle va devoir subir sur ses vieux jours lui
permettra peut-être une autre vie, moins seule, et qui peut-être
laissera la trace qu'on aimerait tous laisser avant de disparaître.
On sort de ce roman emplie de vitalité. Je l'ouvre en grand. Ce
roman restera dans ma mémoire.
Christine
J'avais lu ce livre en décembre 2016 et je l'avais trouvé
beau et très poétique. Certes il y a des digressions, mais
elle revient toujours sur le sujet. J'ai été conquise par
cette femme qui s'est créé son univers. Celui des livres.
J'ai été impressionnée par cette idée d'une
masse de papiers qui s'entassent. Je ne trouve pas que la référence
aux auteurs vienne comme des cheveux sur la soupe. C'est d'ailleurs plutôt
un récit qu'un roman et elle raconte comment les livres l'ont aidée
à se construire, comment elle vit à travers l'existence
des personnages dont ils parlent, comment ils l'interrogent. Le style
est un peu comme un langage oral avec des discontinuités, des phrases
pas construites.
Françoise H
Je n'ai pas lu le livre, mais à travers ce qui est dit, cela me
donne envie de le lire.
François
Un beau livre, merci de me l'avoir fait connaître ! Troublante,
la façon dont Rabih Alameddine (que je ne connaissais pas) est
entré dans la peau de sa narratrice pour nous faire partager son
existence jusqu'à sa vieillesse de vieille dame indigne, limite
punkette, après un shampoing aussi décapant que sa vie d'ancienne
libraire passionnée par les livres, la musique et les traductions
qui s'entassent dans son vieil appartement au cur de Beyrouth, "l'Elizabeth
Taylor des villes démentes".
De cette confrontation avec une vie qui ne l'a pas épargnée,
ressort une folle passion pour la culture. Magie des citations littéraires
et musicales, pour le lecteur heureux de retrouver des auteurs qu'il aime :
Walter Benjamin, Proust, Kertész, Pessoa et d'autres qu'elle vénère.
Et il y a aussi la musique, avec ses compositeurs et ses interprètes :
très beau, le passage sur Richter et Chopin. Il faut dire que la
culture du personnage donne le vertige. Et surtout la passion quasiment
délirante qu'elle voue jusqu'au bout à la traduction ou
plutôt aux traductions de traductions en arabe. Elles s'accumulent
sans être publiées, au rythme d'une par an, dans le bazar
infernal de la chambre de bonne. Le rituel qui les accompagne est impressionnant.
Mais c'est tout le roman qui est peut-être une traduction du féminin,
tant l'empathie de l'auteur avec son personnage est évidente. Alameddine
n'évite pas toujours le pathos, les circonvolutions et un rien
d'esbroufe mais il parvient à nous plonger dans le chaos et les
méandres de Beyrouth et de la vie d'Aaliya qui mérite bien
tous ces détours ! Mari, amis, voisines gravitent autour d'elles
comme des planètes souvent inquiétantes dont on guette le
retour !
J'ai aimé le côté pathétique et dérisoire
du roman qui rappelle Beckett. Curieusement, la magie toute orientale
du récit malgré l'histoire plutôt âpre et désespérante
m'a fait penser au génial Albert
Cossery. J'ouvre aux ¾.
Anne
Je suis impressionnée par les élaborations positives que
l'on fait de ce livre. Ça me donne envie de le lire après
l'avoir fermé, et je dois dire avec un fort agacement. Au début
j'ai fait l'effort, me rendant compte qu'il devrait m'intéresser.
Il devrait, il devrait
mais doit-on forcer ce que l'on ne ressent
pas ? Idéalement, ce livre parle de choses émouvantes :
une vieille femme (mais ça commence mal, j'ai d'emblée trouvé
inutile ce passage avec les cheveux bleus), Beyrouth en guerre, une femme
en révolte contre l'entourage, contre le monde conventionnel (et
cela doit être dur au Liban), une passion des livres, une librairie
et un magnifique bureau ancien. De quoi se frotter les mains et s'installer
avec plaisir le livre en main
Oui mais voilà, pourquoi ai-je vécu ce livre sans émotion
aucune, sauf d'avoir ressenti de l'agressivité ? Je me suis
sentie flouée. Un maniérisme dans le style ? Oui, je
pense. De constantes interruptions lorsque l'émotion aurait pu
gagner ? Oui, je pense. Des interruptions intellectuelles incessantes
avec utilisation de l'érudition (à n'en plus finir : zut
je ne connais pas cet auteur, ni celui-là, ni
: ça
fait trop
il me jette de la poudre aux yeux ?) et justement au moment
où il se passait quelque chose d'intense !! La mère
par exemple dont personne ne veut, beau morceau de tragédie
,
mais mille citations, questionnements intellectuels, viennent affadir
ce passage qui tombe à l'eau. La passion de la narratrice pour
les livres donne certainement le titre au livre, "les vies de papier",
bonne idée, mais c'est gâché par la façon de
traiter le sujet.
L'auteur ne supporte pas les émotions qu'il propose ? Il reprend
d'une main ce qu'il a donné de l'autre ? Bon, j'ai finalement laissé
ce livre fermé après l'avoir ouvert plus de soixante pages
et je ne le rouvrirai pas. Habituellement j'aime l'humour et n'y ai pas
vraiment été sensible ici. Et l'histoire avec le jeune homme
qu'elle laisse venir lire puis travailler à la librairie
,
voilà qui pouvait être subtil, émouvant, mais quelle
tristesse la façon dont ça évolue (si on peut parler
d'évolution), une relation érotique peu ragoûtante
qui finit en eau de boudin avec un excitant tortionnaire et pour obtenir
une kalachnikov qui dormira dans son lit... Comme Ana-Cristina, je trouve
que les personnages manquent d'intériorité, et ce n'est
pas cela qui est ennuyeux car certains livres sont beaux sans être
dans le registre de l'intériorité, mais l'auteur utilise
des procédés qui font croire qu'ils en ont. Il y a du faux-semblant,
c'est frustrant, et, tout de même, on aimerait authentiquement avoir
de l'empathie pour Beyrouth en temps de guerre, connaître cette
ville souffrante. Peut-être après la soixantième page ?
Mais j'ai refusé de faire l'effort d'aller plus loin.
Je me rends compte avoir un avis réactif et insuffisamment élaboré.
Ce serait intéressant d'y réfléchir. Pourquoi cet
auteur me fait-il vivre ça ? Oh et puis, après tout,
passons à autre chose, allons vers d'autre livres pour éprouver
en profondeur des émotions, tendresse, déception, érotisme,
malheur, bonheur, amour, courage, violence, scatologie, vie et mort, culpabilité,
remords
Valérie
(avis transmis)
Avec son roman, Rabih Alameddine nous plonge dans une histoire savoureuse
pleine de tendresse, d'ironie et d'humour. Il nous promène, nous
emmène à Beyrouth (intéressant de noter que ce nom
signifie "puits") en compagnie d'une vieille dame : Aaliya,
tout à la fois traductrice et libraire. Rabih Alameddine nous pousse
la porte de cette librairie qu'on imagine sans peine dans une rue de Beyrouth,
tout comme il nous transporte dans la chambre de lecture d'Aaliya, on
voit très bien ses lunettes de lecture suspendues à une
lampe. Cette femme nous livre ses réflexions sur la genèse
et le déroulement de sa vie solitaire, plongée dans ses
livres et auteurs préférés qu'elle traduit juste
pour le plaisir. Ce livre est un grand livre ouvert sur les autres écrivains
de ce siècle, on apprend à les connaître par les citations
égrenées, par des lambeaux de vie de ces auteurs, par le
sens profond qu'évoque chaque citation de la vieille dame. Aaliya
est la mal-aimée de sa mère qui elle-même est une
mal-aimante. Mais que de tendresse et de cruauté quand Aaliya lave
les pieds de sa mère pour la soulager de la souffrance. Et cette
amitié unique et merveilleuse qu'Aaliya entretiendra avec Hannah
mais qu'elle ne sauvera pas de la mort. Et, puis, bien sûr, il y
a la ville de Beyrouth décrite sans fard tout au long des 15 années
de la guerre civile au Liban. J'ai énormément aimé
ce roman. Ce livre restera gravé dans ma mémoire. J'étais
très heureuse de lire ce livre, car d'entrée de jeu ce titre
me paraissait très évocateur. Des vies de papier : tout
un programme ! Et, oui, une vie de papier correspond bien à un
être de chair qui a vécu et éventuellement beaucoup
marqué son temps. Je pense à la référence
très émouvante concernant la mort de Garcia Lorca ou celle
encore de Bruno Schulz. J'ouvre en grand.
Séverine G(avis
transmis)
Je n'ai pas fini le livre, mais voici tout de même un avis pour
alimenter la réunion, auquel je regrette de ne pouvoir me joindre,
ni en réel ni à distance. Ce livre m'a beaucoup plu et touchée,
même si c'est un objet littéraire assez inclassable. Journal
décousu ? Récit patchwork de vie ? Roman diariste ?
Je n'ai pas été regarder la genèse de cette uvre
et en suis rendue à des suppositions sur le caractère autobiographique
partiel ou total, sur l'identité de l'auteure et (?) de la narratrice,
sur le contexte de la création de ce petit ovni littéraire.
En tous cas j'ai aimé, je dirai de plus en plus en avançant
dans ma lecture, ce personnage, son histoire, sa manière un peu
digressive de relier les sujets les uns aux autres, son humour tragi-comique,
sa pudeur, sa tendresse, son amour fou pour Beyrouth. Cette femme m'a
fait souvent penser à l'héroïne de L'élégance
du hérisson de Muriel Barbery. Son retrait du monde, son
renoncement à la féminité et à toute forme
de séduction même amicale, ce repli passion sur la culture,
les livres, la musique. Le grand plus étant l'aspect témoignage
sur la vie des civils beyrouthins, cette vie d'otages dans un chaos répété,
absurde et dantesque. Situation que l'auteure nous dévoile par
touches fortes mais pudiques, réalistes mais froides, sans pathos,
ce qui saisit encore plus la lectrice que je suis. Certaines réflexions
philosophiques d'une grande sagesse en émanent. Ce livre est aussi
un mille-feuille de citations et d'évocations extrêmement
pertinentes par rapport au récit. Nul étalage snob ici,
nul parade, la littérature sourd réellement de son être,
est consubstantielle à sa vie, irrigue son âme. J'aime aussi
tendrement son travail admirablement "inutile", gratuit, sans
cesse achevé, sans cesse recommencé, ce travail de Sisyphe
heureux. Je m'y retrouve un peu sans doute...
Même sans l'avoir achevé, j'ouvre en grand ce livre, et remercie
celle ou celui qui nous l'a proposé.
Synthèse des AVIS DU GROUPE BRETON
réuni par zoom le
8 avril 2021
rédigée par Yolaine (suivie des avis détaillés)
Les
cotes d'amour |
Nous avons été également partagées sur l'intérêt
de ce livre, mais l'enthousiasme des unes a largement compensé
les réticences des autres. Elles ont exprimé une profonde
empathie pour le personnage principal, femme forte, indépendante,
pas ordinaire et même extraordinaire, sensuelle, et intellectuelle
introvertie (le portrait-type des fidèles de notre club de lecture ?).
Son destin sacrifié de femme arabe divorcée d'un mari impuissant,
ses amours fugitives avec Ahmad, et les portraits des autres femmes, Hannah,
son amie, sa petite-nièce, ses voisines, chaleureuses et solidaires
dans la détresse, les ont bouleversées. Elles ont trouvé
que Rabih Alameddine avait fait preuve d'une étonnante compréhension
de la gent féminine dans la description de ce gynécée.
Elles ont adhéré totalement à ce récit et
avalé d'une seule traite les 350 pages que les autres ont dégustées
de façon plus laborieuse. Elles ont admiré son amour des
livres, de la musique, de la langue arabe et aussi son humour et sa pratique
constante de l'autodérision.
À l'inverse, la relation distante et teintée d'indifférence
que l'héroïne entretient avec sa mère n'a pas paru
complètement vraisemblable à tout le monde.
L'évocation de la ville de Beyrouth meurtrie par la guerre, par
petites touches au fil du quotidien et avec beaucoup de pudeur, ajoute
à l'intérêt et à l'émotion éprouvée
par tous.
Les divergences se sont révélées plus nettement autour
de l'autre sujet central du roman, occupé par la littérature.
Aaliya s'est en effet emmurée dans la lecture et dans la routine
disciplinaire de ses traductions pour ne pas sombrer dans l'effroi et
le désespoir. En porte-à-faux avec le monde réel,
elle divague de façon poétique entre les citations des personnages
de roman avec qui elle cohabite plus étroitement qu'avec ses voisins
de palier. L'omniprésence des références littéraires
en a gavé plus d'une, même si elles ont le mérite
d'inspirer nos futurs programmes de lecture.
Le style décousu de ce long discours un peu incohérent,
sans chapitre pour le structurer, a un peu décontenancé,
même s'il reflète assez justement le vieillissement et la
confusion mentale de l'héroïne. On distingue plusieurs histoires
imbriquées dans l'histoire, comme des matriochkas, qui pourraient
faire l'objet de nouvelles à part entière, comme celle de
la vie d'Hannah. L'écriture est cinématographique, et on
pourrait imaginer une adaptation à l'écran pour prolonger
le plaisir de lecture des fans de Rabih Alameddine. Un bémol pour
la qualité de la traduction, pas toujours limpide, ce qui est dommage
pour un roman sur la traduction (plus vénérée dans
ce contexte comme gymnastique que comme outil de diffusion). Mais une
adhésion unanime pour la fin, positive et même jubilatoire,
les manuscrits d'Aaliya trouvant enfin une raison d'être dans le
partage et la communication.
Yolaine entre
et
Je n'ai pas aimé et n'ai pas grand chose à dire. C'est un
peu dommage de lire ce livre pendant le confinement ; les circonstances
font que je n'ai pas apprécié de me retrouver dans l'univers
confiné de la narratrice.
Par ailleurs beaucoup de choses m'ont paru invraisemblables, comme cet
amour de Beyrouth qui nest pas vraiment décrite. La femme
elle-même, dans ses rapports mère-fille, ni amour ni haine,
mais indifférence étrange, n'est guère vraisemblable.
Quant aux références littéraires, je les ai trouvées
ennuyeuses et artificielles, je n'ai pas aimé cette façon
d'aller rechercher la littérature de façon stérile.
La fin m'a paru assez réussie, mais lire et traduire m'ont semblé
d'un désespoir absolu.
Par ailleurs, j'ai trouvé le livre pas très bien traduit,
avec des phrases mal construites (ou alors c'est une façon de l'auteur
de s'exprimer), ce qui m'a gênée.
J'ouvre entre ¼ et ½ parce que c'est original et intéressant,
mais le plaisir de lecture était absent et la lecture laborieuse.
Édith
Le titre "Les vies de papier", la couverture du livre, ainsi
que la quatrième de couverture, m'ont engagée favorablement
à la lecture. Je sais que - comme pour la plupart des autres livres
- "je plonge et je m'immerge" dans le texte
: ce ne fut
pas le cas pour cette fois-ci. J'ai repris la lecture de ce livre à
de nombreuses reprises et, suivant les moments du récit, je me
suis retrouvée plus ou moins emportée par la narration.
Dommage. Toutefois, je me suis tout de suite sentie en présence
d'une héroïne bien que l'auteur en soit un homme ! Cela aurait
dû bien fonctionner.
Les références aux livres "traduits" par Aaliya
sont nombreuses et leurs évocations renforcent ou élargissent
l'à-propos du récit. Je n'ai pas spécialement apprécié
cela. Pour moi, une impression de manque d'unité de dispersion.
J'ai souvent apprécié l'humour des situations et leurs traductions
littéraires (très nombreuses), ainsi que l'autodérision
d'Aaliya au sujet de son aspect. Dès le début du roman,
elle souligne : "je
n'ai qu'une seule glace chez moi, et encore elle est sale (
)
Je ne pense pas qu'il nous
faille consulter Freud
pour savoir qu'il y a là un problème"...
Elle a les cheveux bleus et je pense que, ayant les cheveux blancs, elle
utilise un shampoing bleu pour effacer le jaune ! (Je connais, il ne faut
pas dépasser la dose sinon les cheveux restent bleus !) Tout le
long du récit, les corps, les odeurs, les défauts physiques,
seront décrits très précisément, enrichissant
le récit si parfois elle se risque à des détails
scatologiques : la merde, le transit de Thomas Mann, le cadavre de
son premier mari
au plus près de l'humain de sa vulnérabilité
et de sa déchéance qu'elle veut pour elle, joyeuse
semble-t-il.
Chaque épisode de sa vie pourrait en soi devenir une nouvelle.
C'est ce que j'ai préféré :
- La relation à Hannah et surtout le récit du suicide de
Hannah, seule amie, qui est à l'origine de sa place en librairie.
Sobriété du récit et surréalisme de la première
tentative de suicide par médicament de Hannah
juste la vessie
trop pleine, le valium pour dormir absorbé avec deux verres d'eau !
(p. 297-298). Et puis, sécheresse du
récit pour le second suicide : "elle
mit les chaussures les plus confortables, gravit l'escalier jusqu'au toit
du bâtiment et sauta."
- La relation à sa mère, évoquée aux différents
âges de sa vie et devenue grabataire et silencieuse, traverse tout
le récit. L'épisode du soin des pieds qu'Aaliya lui concède
lors d'une rare visite, la présence des neveux et nièces
(la mère d'Aayala veuve a épousé son oncle) est truculente
; scène peut être "religieuse" (cf. le lavement
des pieds du Christ dans le Nouveau Testament). Dans le livre le religieux
est parfois suggéré.
- Le récit en fin de livre de l'inondation des salles d'eau communicantes
depuis ses voisines "les trois sorcières", récit
drôle pittoresque et tendre, fait miroir à l'anecdote des
livres de Primo Levi détruits par l'eau quand Berlusconi en eut
fait acquisition.
- Récit de la non-demande en mariage du lieutenant pour Hannah
: la méprise de cette dernière sur la réalité
amoureuse du lieutenant à son égard. Drôle et tendre.
J'ai moins aimé les insertions littéraires comme je l'ai
dit, tout en reconnaissant que c'est le thème même du récit
: la littérature, c'est sa vie.
J'ai mesuré aussi la force des descriptions de Beyrouth traversée
par les guerres se succédant, les démolitions, sans vraiment
aller voir la documentation concernant l'histoire du Liban.
En résumé Aayala m'est très sympathique : identification
possible dans l'imaginaire seulement, car je ne me sens pas à la
hauteur de son anticonformisme. Je me sens en littérature à
l'inverse d'Aayala : quand un livre me plaît, ou pas d'ailleurs,
j'ai envie d'en parler et l'isolement ne me séduit aucunement.
Peut-être qu'une relecture me ferait mieux apprécier le livre ?
Chantal
Dès le début du roman, cette vieille dame Aaliya - 72
ans ! - m'a été sympathique. Dès les premières
pages, fantaisie, humour, autodérision, laissent deviner une douleur
jamais comblée, celle de la perte de son amie Hannah : "avant
elle, ma voix n'avait pas de patrie"...
Dès ce moment, l'auteur s'est effacé (avec quel talent !).
Totalement. C'est Aaliya qui parle. Ce ne peut être que le langage
d'une femme. La force de l'auteur, c'est ce talent de nous faire "voir",
très en détail, cette vieille femme, cloîtrée
volontairement, dans son appartement d'un vieil immeuble déglingué
de Beyrouth, sur fond de guerres incessantes. Guerres que j'ai vite renoncé
à comprendre sur Wikipédia... trop compliqué !
Elle se terre là, dans son cocon de livres et ses traductions,
à la retraite, "époque
de l'atroce temps libre"... Elle est entrée en
littérature comme on entre en religion. Avec l'absurdité
de ses traductions jamais publiées, mais qui la font vivre :
"je me suis enfuie en
littérature"...
De nombreuses digressions peuvent nous faire perdre le fil, elle s'en
excuse, mais non, quand on paraît sortir, un pan de sa vie apparaît.
Moyen pour l'auteur de mieux nous faire entrer plus avant dans la vie
d'Aaliya. Et plus on avance dans la lecture, plus ses blessures se découvrent
: son enfance mal aimée, son mariage forcé et raté,
sa soif d'amour, Hannah sa seule amie... la vieillesse, la mort, le vide
: "je ne suis rien,
je ne serai jamais rien".
Et tout au long, des citations d'auteurs, de personnages, de vies de papier,
ses raisons de vivre... nostalgie constante "de
cet autre que j'aurais pu être, qui me désagrège et
qui m'angoisse".
Et puis la fin, que j'ai trouvée belle, lumineuse, visuelle ++,
ses traductions inondées, et ses trois sorcières ses voisines,
qui l'entourent, la consolent, l'aident, quelles scènes !!
Et l'ouvrent sur l'avenir : "les
femmes m'entourent une fois de plus, me prennent par les mains et les
coudes et me conduisent vers la lumière", que c'est
beau. Littérature et Vie peuvent cheminer de concert : ses
trois sorcières aiment Anna Karénine ! Et j'oublie
le passage - transmission grand-mère, fille, petite-fille - de
la toilette des pieds de la mère. Quelle force dans ce passage !
Dans un premier temps j'ai ouvert aux ¾. Mais c'est plutôt
en entier : Aaliya est derrière moi et elle regarde ce que j'écris !
Sylvie
Je n'ai lu qu'un tiers du livre. La narratrice est en porte-à-faux
avec l'extérieur d'où viennent beaucoup de souffrances et
s'enferme avec une muraille de livres. La littérature la protège.
Elle se construit un monde, avec des trouées sur son passé,
ses voisines : elle divague et... je décroche. C'est une forteresse
perforée d'où elle s'échappe.
La littérature est souvent un vecteur vers le social, pour elle
non, ça la protège telle une coquille, une carapace, une
forteresse. L'extérieur est dangereux et, certes, il l'est. Il
n'y a pas de confiance vis-à-vis de l'humain, sauf les livres.
Pour ce qui est des digressions me font décrocher, je manque de
prise, ça file entre les pattes. On est assis dans une tempête,
et elle vous brinquebale.
Mais, à vous entendre, ça donne envie
de poursuivre.
Cindy
Alameddine est écrivain mais aussi peintre : de là viennent
peut-être ces descriptions, ces détails. Et quel talent pour
écrire et - j'ai cru d'abord que l'auteur était une femme
- d'écrire du point de vue d'une femme - ce qui rend le livre encore
plus attirant.
C'est une histoire et des histoires. Aaliya c'est un joli nom, qui chante.
Une femme d'emblée atypique, avec ses cheveux bleus ; sa description
en fait déjà une femme hors du commun. Ce sont des gourmandises
à lire, dès la première page avec sa brosse à
dents. On a l'impression de passer d'un sujet à
l'autre - je m'égare, dit-elle - mais non !
Le style est renforcé par les belles citations : "Écoutez
les mots, écoutez la magie. Écoutez le rythme, écoutez
la poésie", dit un personnage. L'auteur a voulu
qu'on écoute les mots, ces descriptions, ces sentiments. La culture
et les citations renforcent ce qu'il veut nous faire comprendre, avec
ce récit rythmé, cette évocation du quotidien, dans
ce Beyrouth délabré.
Elle aborde des sujets philosophiques, l'art, la littérature, la
poésie ; à chaque citation qu'elle utilise, je dis : elle
a raison. "Si vous craignez
la solitude, ne vous mariez pas" (Tchekhov) Il y a de
belles réflexions sur la ville. Pessoa semble être pour elle
un catalyseur.
J'ai aimé le livre aussi pour les histoires parallèles,
comme celle d'Hannah. Cela pourrait être, comme dit Hannah, une
autre histoire.
J'ai été également intéressée par sa
manière de traduire. Elle traduit et personne ne la lira. Beaucoup
de choses sont irrationnelle, faisant des ricochets. Pour ce qui est du
roman lui-même, c'et vrai qu'il y a des phrases un peu bizarres.
Mais je suis bluffée par les références, dont certaines
font écho à ce que j'ai vécu, par exemple les disques
avec le label jaune Deutsche Grammophon qui lui font dire : "le
rectangle jaune apporte une touche de panache dans ma vie"
m'ont rappelé mon état d'esprit au Gabon quand j'achetais
ces disques.
Elle est une femme délaissée, membre superflu, appendice
de la famille. Elle est douleur, mais aussi bonheur avec sa vie solitaire.
L'auteur en fait une femme vivante : d'ailleurs avec Ahmad, c'est le mot
qui lui vient plutôt que belle. Elle nous bouscule, elle nous touche.
Et à nouveau, que cela vienne d'un auteur homme, c'est incroyable,
par exemple elle dit : "j'ouvre
une bouteille de champagne pour célébrer mon existence sans
descendants" (p. 140) J'ai aimé cette femme moderne,
arabe, râleuse, sans émotions mais sensible, indépendante,
mais pas si isolée. Elle a pas mal réussi, elle s'est construite
par la littérature. Et il y a cette merveilleuse scène de
réconciliation avec sa mère dont elle lave les pieds. Le
livre est une leçon de vie. Une leçon de confiance. Et surtout
aujourd'hui. Je le recommanderai, je le prêterai.
Sylvie
Le lavage des pieds et la lumière finale donnent décidément
une note religieuse...
Par ailleurs, je n'avais pas fait le lien entre l'auteur, un homme, qui
écrit l'histoire d'une femme, comme l'a souligné Cindy,
et là j'avoue que je vais envisager la lecture sous un autre angle.
Marie-Thé(avis
transmis)
J'ouvre aux ¾.
J'ai beaucoup aimé ce livre, foisonnant, riche, dense, se prêtant
à l'échange ; c'est d'ailleurs pour cela que je l'avais
proposé, conséquence pour moi : synthèse difficile...
Impossible ici de confondre auteur et narrateur ; ceci dit, la description
et le cheminement du personnage féminin me donnaient l'impression
que ces pages étaient écrites par une femme.
Si j'enlève ¼ à ce livre, c'est pour la forme : tout
simplement, j'aurais aimé des chapitres et non une succession de
pages ininterrompue, afin de reprendre mon souffle, peut-être...
Pour une autre raison aussi : j'ai été lassée par
les lamentations d'Aaliya décrivant la décrépitude
de son corps vieillissant (elle n'a que 72 ans....), geindre sur un corps
paraissant être une charge pour elle, oui, mais que c'est répétitif
! Ce sont mes seules réserves.
Si elle ne s'épargne pas, elle n'épargne pas les "autres"
non plus, mais je ne vois point de jérémiades lorsque je
découvre des portraits pittoresques et souvent... répulsifs
! J'ai été impressionnée par la mère, surgissant
tel un spectre, pâle, vêtue de noir, ses cris... scène
de tragédie grecque. Et pour anticiper sur une prochaine rencontre,
j'ai pensé à Bergman, au personnage représentant
La Mort dans Le septième sceau. Les cris en moins. Les relations
avec la mère occupent une place importante, le lavement des pieds
évoquant une scène biblique pourrait être vu comme
une forme de réparation. Je suis tout de même frappée
par l'image laide donnée des corps.
Quel contraste avec Aaliya, l'érudite, la traductrice, entourée
de ses livres, vivant au milieu de ses traductions disséminées
dans tout son appartement. Je l'ai aimée parlant de son travail,
du choix de ses traductions, de ses rites, des deux bougies allumées
pour Walter Benjamin, contente qu'elle ait traduit Austerlitz de
Sebald. Aaliya traduit en arabe des traductions anglaises ou françaises.
"Mes traductions sont
des traductions de traductions... moins fidèles à l'original".
"Traduire et ne pas
publier" "C'est
le processus qui me captive, et non pas le produit fini."
Et la transmission ??? Reste Aaliya engloutie par les traductions, en
compagnie de Pessoa, Cioran, Nabokov, Yourcenar, etc.
La situation de la femme au Liban, le poids des traditions, de la religion,
l'évolution de la société libanaise, l'évocation
du féminisme, Aaliya et Fadia libérées, tout cela
m'a bien sûr interpellée. Je retiens aussi le parcours sinueux
d'Hannah, dans sa tête, jusqu'à sa chute finale. "Elle
plongea dans son propre abîme avant que Beyrouth ne plonge dans
le sien". Hannah parfois écartée à
cause de ses cheveux roux : "ses
ancêtres ont couché avec des croisés."
Avec ce livre passionnant, Beyrouth nous est décrite dans l'espace
et dans le temps. La ville est un personnage, elle est imprévisible,
attachante, aimée par dessous tout. Ville "défigurée"
aussi par les années, la guerre (je me souviens de l'année
1984), la modernité, mais Aaliya lui reste fidèle. Avec
elle, j'ai aimé respirer l'atmosphère particulière
des villes du Levant, me réfugier au musée, traverser les
vieux quartiers, Sabra. Beyrouth l'hivernale étant la préférée
d'Aaliya, à l'hiver de sa vie apparemment... Et encore : au milieu
de la ville gangrenée par le béton, la "bâtisse
ottomane... détonne autant qu'une femme au Parlement."
Je note aussi ceci : Beyrouth n'a jamais été "une
arche de Noé où les bêtes de toutes races se sentaient
à l'aise et non menacées." Mais je n'aime
pas que soit associée à des "balivernes
nazies" l'histoire du déluge.
Ironie, une forme de déluge a bien failli anéantir "Les
vies de papier" de celle qui dit : "Je
me suis enfuie en littérature." et : "Je
pensais aussi que l'art ferait de moi un être supérieur à
vous." Grâce à l'intervention généreuse
des "trois sorcières" (quel mépris !), Aaliya
pourra de nouveau se replonger dans les traductions, délicieuses
hésitations entre deux personnages : Hadrien de Yourcenar
ou le Magistrat de Coetzee...
Les
18 cotes d'amour
de l'ancien groupe parisien réuni par zoom le 16
avril |
Fanny(avis
transmis)
Voici mon avis sur cette plongée dans les papiers.
Tout d'abord je dois dire que cette lecture a été pour moi
une expérience. Les premières lignes d'entrée en
matière avec cette vieille dame aux cheveux bleus m'ont immédiatement
captée, mais échaudée par le goût âpre
des kakis, j'ai frémi quand j'ai vu qu'il n'y avait aucun chapitre.
L'effet plongée en apnée m'a fait un peu peur.
Je dois dire que je ne sais pas trop quoi penser de cet exercice de style ;
je n'ai finalement pas boudé mon plaisir immédiat, j'ai
lu les cent dernières pages quasiment d'une traite hier soir.
Loin de moi l'idée de vouloir confondre l'auteur et le narrateur,
mais je me suis plusieurs fois demandé quelle pouvait être
la part autobiographique dans ce roman.
Sur la forme, je me demande comment l'auteur a construit ce roman relativement
long d'une seule pièce, du fait de l'impression en tant que lectrice
qu'il fait sans cesse des allers retours et des digressions, mais pourtant
il avance, semble suivre un certain cheminement.
Les références culturelles et littéraires sont, je
trouve, trop nombreuses, leur omniprésence a à mon sens
un côté un peu pédant. C'est peut-être en accord
avec le portrait de cette femme qui a passé sa vie dans les livres,
mais en même temps cela contraste avec l'extrême modestie
du personnage par rapport à son érudition.
Si certaines réflexions sur la vie m'ont intéressée,
de même que ce qui concerne le mécanisme de traduction mis
au point par cette femme, c'est surtout la dimension romanesque qui m'a
plu.
J'ai aimé la lecture du parcours de vie de cette femme, son enfance
avec le personnage si peu affectif du beau-père, son mariage raté,
sa condition féminine, le rapport à Beyrouth (même
si j'aurais aimé que la ville soit plus présente, j'ai passé
trois mois au Liban il y a 20 ans).
J'ai trouvé aussi assez subtil le rapport à sa mère
tout au long de sa vie et, enfin, j'ai été très touchée
par le personnage d'Hannah.
Pour conclure je vais rester en accord avec mon plaisir brut et immédiat
et ouvrir ¾.
Bel échange à vous tous, hâte de vous lire en attendant
de vous retrouver.
Manuel (avis
transmis)
Jai pris un réel plaisir à être parti en littérature
(pour paraphraser la formule p. 141). Jai aimé déambuler
dans Beyrouth durant cette journée particulière. Des images
fortes me restent : la crise de la mère, le béton qui est
un cancer, lévocation des différentes guerres civiles
(dailleurs je vous conseille un doc sur Arte, encore), les trois
"sorcières", Hannah, le mari qui bande mou (pourquoi
tant de haine ? rire), lillet perdu dans un coin du parking
et évidemment tous les livres quon a lus ou à lire.
Comme dans ses réflexions sur Beyrouth jai aimé lévocation
des souvenirs d'Aaliya. Elle est cultivée et curieuse de tout :
la musique (Rubinstein, Richter
, mes héros), la peinture
(Matisse), le livres est truffé danecdotes et jadore
! De plus jai noté plein de formules sur la vieillesse, le
temps qui passe, la musique. Je dois reconnaître que parfois jai
trouvé le livre un peu long. La fin est de trop je trouve
Bonne soirée à tous !
Nathalie R(avis
transmis)
On entre dans ce roman comme on entre dans un mythe. On y entre cependant
par la plus simple des portes, celle d'un immeuble vétuste perdu
au milieu des nouvelles constructions clinquantes du Beyrouth d'aujourd'hui.
Beyrouth est une ville dans laquelle depuis des années, j'ai envie
de me rendre. L'idée que je m'en fais est le résultat d'une
construction tout aussi imaginaire, née de toutes ces familles
libanaises que j'ai fréquentées au cours de ma vie, mais
aussi de tous les souvenirs partagés au sein d'une famille dont
plusieurs membres ont vécu au Liban (années 40, 50). Une
ville folle où les câbles électriques se croisent
dans un enchevêtrement anarchique comme autant de destins insondables
à l'il nu. J'ai une amie à Beyrouth qui m'a envoyé
la photo d'un de ces arbres centenaires pour lesquels des comités
se battent et qui sont définitivement arrachés pour satisfaire
les ambitions démesurées d'entrepreneurs insatiables.
Ce livre m'a semblé être tout entier un livre sur la perte
et sur le manque. Cette vieille femme survit entre deux mondes. Le monde
des vivants, le monde des morts, un entre-deux à la fois spatial
et temporel dans lequel la traduction du monde (et celle des livres) ne
peut se faire à partir de la langue d'origine non maîtrisée.
Elle reste alors entreposée dans l'obscurité d'une boîte
en carton. J'ai eu l'impression également que cette femme s'était
maintenue ou avait été maintenue (par le carcan social ?)
dans une zone qui n'était pas celle de la vie. Il ne semble pas
y avoir de place pour l'amour (les hommes sont souvent ridiculisés
et l'impuissance ou la virginité sont régulièrement
moquées), une zone où même celles qui se sont "secourues
et soutenues mutuellement pendant les combats" p. 99
ne deviendront pas des amies.
J'ai commencé à le lire de façon très joyeuse
et enthousiaste (l'onomatopée récurrente "Tfeh !"
y étant sûrement aussi pour quelque chose), j'aimais beaucoup
ces portraits de femmes (la narratrice les nommait les sorcières,
ça tombait bien, je venais juste de finir Sorcières
de Mona Chollet), mais au fil des pages, une forme de tristesse m'a envahie.
En retournant aux premières pages, pourtant, la note était
déjà donnée, suis-je la seule à avoir été
trompée ?
Mon rythme de lecture s'est ralenti au fur et à mesure que je me
laissais guider dans les méandres de ses souvenirs. Je ne suis
pas convaincue par le procédé des citations littéraires
qui jalonnent l'uvre. J'ai cru comprendre que c'était un
des artifices qui justifiait que ce livre soit "une déclaration
d'amour à la littérature" mais en fait, j'ai eu
l'impression que c'était l'auteur et non la narratrice qui les
prenait en charge. J'ai également été gênée
par l'absence volontaire de trame narrative (qui me semble revendiquée,
mais je ne retrouve pas la page). Bien que ses sources d'inspiration m'intéressent
et me semblent formidables, j'ai très souvent eu l'impression que
l'auteur rédigeait à partir de notes grappillées
qui alimentaient le récit, ce qui freine une certaine fluidité.
Ce serait intéressant de savoir s'il écrit à partir
d'un plan ou au fil de l'eau (ce qui me semble être plutôt
le cas). J'avais l'impression au bout d'un moment de tourner en rond.
Je crois que mon passage préféré - et le plus
visuel pour moi - est celui de la nuit d'amour entre la narratrice
et le milicien devenu homme. Je trouve cette scène formidable et
très visuelle. J'ai beaucoup aimé aussi toutes les petites
remarques moqueuses sur la place de la littérature dans la communauté
libanaise (il n'a pas dû se faire que des amis !). Et pour
finir, je dirai que l'expression latine "non fui, fui, non sum,
non curo" semble résumer cette vie.
Bref, j'ouvre à demi.
Etienne(avis
transmis)
Je suis un peu gêné pour donner mon avis sur Les vies
de papier. Le malaise vient du cur du livre : un hommage à
la littérature. Je pense être parti avec un a priori négatif
dès le départ, me disant que le livre devait partir automatiquement
avec un crédit de points de sympathie, ce qui m'a donné
l'impression d'être un peu piégé. Quand on évoque
avec tant de goût et d'à-propos tous ces auteurs (Flaubert,
Dostoïevski, Cioran, la liste est longue) c'est que l'on les a lus
et digérés. Donc premièrement un peu de retenue dans
les nombreuses citations m'aurait bien plu, ensuite (mais on me dira que
c'est le personnage qui est comme cela), j'ai trouvé que ses goûts
littéraires avaient un tropisme particulièrement occidental,
c'est un peu comme si l'on enfilait des chaussons hein ? Je n'ai
pas besoin que l'on me réexplique Emma Bovary ou que l'on me raconte
des anecdotes sorties de nulle part sur un chef d'orchestre excentrique.
A-t-il voulu faire du Sebald ? Il faut son talent
Peut-être
espérais-je plus de références locales, de découvertes.
C'est tout juste si, à la suite de son épiphanie, Aaliya
envisage de lire de la littérature "exotique".
Par la suite, la narration m'a semblée assez maîtrisée
dans son style, l'absence de chapitre ne m'a pas gêné, l'écriture
est léchée et maligne, mais donne l'impression de nous observer
d'un petit air de premier de la classe séchant les cours.
Mon intérêt pour les personnages a fluctué : autant
l'irrévérence convenue d'Aaliya, ses aphorismes bruyants
et pompeux m'ont souvent ennuyé, autant les trois goules hamletiennes
m'ont bien plu, c'est d'ailleurs d'elles que vient l'épiphanie.
C'est la principale réussite de ce roman : ce portait de ces trois
femmes improbables bien plus que celui d'Aaliya, n'en déplaise
à Mathias Enard.
La trame de l'histoire est un peu frustrante, elle fourmille de pistes
que l'on souhaiterait voir développées (sa mère,
Hannah, Ahmad, je veux dire vraiment développées), mais
on n'arrive pas vraiment à faire le lien entre tout ça.
En résulte un maillage complètement terne et décousu
qui sert probablement et volontairement de la part de l'auteur de tremplin
pour les quelques dernières pages, mais bon, à ce niveau
le sentiment de remplissage prédomine un peu.
Je me suis dit que j'allais l'ouvrir entre ¼ et la moitié
mais en me relisant je suis forcé de constater que je l'ouvre au
mieux à ¼. Et pourtant je l'ai lu facilement et sans réel
déplaisir
Séverine
(avis transmis)
Ma lecture de ce roman a été aussi digressive que la structure
du livre. Je le prenais, passais à autre chose, le reprenais
et cela n'était pas finalement pas trop dérangeant pour
ce roman qui suit un fil mais fait beaucoup d'apartés. J'ai bien
aimé le personnage d'Aaliya. Elle est assez touchante, émouvante.
On pourrait trouver triste son existence et cette fin de vie, mais finalement,
non : son quotidien, c'est les livres, les traductions, pour le seul
plaisir de lire, de traduire, sans en attendre rémunération
ou reconnaissance. Un vrai destin romanesque ! C'est aussi un bon plaidoyer
pour les femmes qui veulent vivre autre chose que le destin qu'on leur
assigne. Je dois dire aussi que plusieurs de ses saillies verbales m'ont
fait sourire (je garde en tête celle où elle déplore
le fait que l'on met de la musique de partout, dans les rues, les magasins
elle en revient à regretter la guerre moins terrible aux oreilles
!). Je ne doute pas que Claire aura relevé toutes les références
littéraires : c'est vrai que c'est une mine de bonnes suggestions
de lecture. Tout ceci dit, je ne sais pas ce qu'il me restera de ce livre
Je l'ouvre à moitié.
Monique L
Au début ce roman m'a beaucoup plu. J'ai aimé cette femme,
son côté irrévérencieux, son détachement
des contingences de la vie ordinaire, une certaine maladresse, sa façon
de se servir de la littérature mais aussi du cinéma et de
la peinture, non pas en intellectuelle, mais pour nous faire comprendre
ce qu'elle veut dire, son comportement face à Ahmad, les descriptions
qu'elle fait de ses voisines.
On ressent bien les difficultés pour vivre à Beyrouth avec
les coupures d'eau et d'électricité. Les allusions à
l'histoire et aux conflits sont discrètes mais bien présentes.
Les descriptions de la ville sont sans concession (celle de Sabra, celle
du quartier où vit sa mère, le trou dans le trottoir, les
arbres disparus.)
J'ai apprécié l'univers d'Aaliya qui vit dans sa bulle et
qui est accaparée par ses lectures, ses acquisitions, et ses choix
de traduction. Ma culture étant limitée, beaucoup d'auteurs
et surtout poètes me sont inconnus. Cela m'a donné envie
d'en découvrir quelques-uns.
Je n'ai pas compris la nécessité du personnage d'Hannah
que j'effacerai très volontiers du roman. L'essai de son frère
de la forcer à prendre sa mère chez elle et l'aide de ses
voisines à empêcher que cela se réalise est un moment
très fort.
La visite dans le musée ne m'a pas vraiment convaincue à
l'exception du prétexte pour sortir de chez elle. La scène
chez son frère auprès de sa mère m'a vraiment intéressée
: le comportement des adolescents ainsi que celui d'Aaliya.
Le comportement des voisines après la fuite d'eau est surprenant.
Pourquoi continuer à sauver les traductions qui sont destinées
à rester dans l'appartement ? La fin reste ouverte et c'est tant
mieux.
J'ouvre aux ¾.
Rozenn
Je trouve le titre en anglais tragique et fascinant : "Unnecessary
woman" = Femme inutile. Et tellement plus fort que "Vies de
papier" en français avec une couverture joyeuse. Mais qui
ne correspond guère à la tonalité du livre. Et j'ai
essayé d'imaginer la couverture qui correspondrait au titre anglais,
à la lecture que j'ai faite : je choisirais un dessin de Sempé.
Inutile ? Parce que sans histoire d'amour. Trop tôt mariée,
mal mariée. Elle évite les rencontres et limite les contacts.
Inutile parce que solitaire. Solitaire par choix autant que par orgueil
peut-être. Solitaire et pas isolée, sa solitude est peuplée.
Un choix de vie, de liberté. Sensation d'accomplissement (moments
de "flow") quand elle traduit.
Pour moi un personnage de femme exceptionnelle. Autodidacte en arts ;
elle aurait voulu être conseillée mais s'est aventurée,
elle a cheminé ; chaque rencontre d'un auteur, d'un compositeur,
d'un interprète l'accompagne et la guide vers une autre.
Refusée par sa mère, par sa famille, jalousée, rejetée.
Elle ne s'étend pas là-dessus. Elle refuse de se laisser
prendre son appartement, son temps. Elle refuse de se laisser accaparer.
Les scènes avec la mère sont épouvantables : mais
tout y résonne tellement véridique, tellement douloureux.
J'ai trouvé complètement incongrue la pédicurie,
il me semble que son rapport à sa mère ne permet pas cette
intimité.
Isolée dans son travail. Mais
il lui permet de "s'enfuir"
dans la littérature
dans la musique et la peinture aussi,
les arts.
Elle se rend à peine compte qu'elle est protégée,
dans son immeuble. Elle ne se sent pas digne d'intérêt, ne
partage pas les intérêts des autres. De nos jours on dirait
qu'elle est : "hypersensible" - elle se sent différente,
elle est renvoyée à sa différence et elle fait de
sa différence son identité, jusqu'à revendiquer l'erreur
de coloration bleue de ses cheveux, puis, encore plus fort, elle les rase.
Mais elle aurait été tentée un moment par la reconnaissance
(allusion à un éventuel éditeur ?). Je me demandais
comment le livre pourrait se terminer en évitant la causalité
psychologique simplifiée dénoncée
Elle entremêle ses pensées et ses lectures : noms d'auteurs,
titres de livres et citations avec ses sentiments et ses réflexions,
avec une grande finesse, mais s'est bloquée dans un système
de traduction différée. Elle est touchée quand "les
trois sorcières" l'aident et parvient ensuite à faire
éclater - un peu - le système de traduction dans lequel
elle s'était enfermée et évoque alors la traduction
comme elle ne l'avait pas fait jusque là - son épiphanie
?! On peut même espérer qu'elle ira vraiment déjeuner
avec les trois sorcières et peut-être moins les éviter
ensuite. La catastrophe, l'inondation lui permettra-t-elle de briser quelque
peu son armure.
J'ai aimé la construction : les retours en arrière. L'autodérision,
surtout. Les adresses au lecteur, aussi. Les images fortes. Les rythmes
variés : une pirouette avant ou après une longue digression.
Glissement sur un mot vers un long souvenir. Les cadres construits autour
du personnage : fouillis, détruits, gris
Ses vêtements.
Son appartement. Sa ville. La pudeur, la retenue dans les évocations
de ses relations avec les autres. Son horrible famille, son mari (si peu
mari), son amie, elle seule si présente, mais évoquée
furtivement. Les récits de ses deux suicides sont des scènes
si délicates (précises et effleurées) que j'hésite
à les relire.
J'ouvre ce livre très grand et je le relirai certainement. Ce personnage
de femme (jeune encore !!! 72 ans) m'accompagnera je pense longtemps.
Je reprendrai aussi ce livre pour retrouver ses sensations de lecture
ou de musique. Elle évite toute recommandation, tout jugement sur
auteurs ou uvres, mais vit avec, s'exprime à travers eux.
Elle donne envie de partager leur compagnie avec elle.
Renée
J'avais déjà lu et avais aimé ce livre en 2016.
D'emblée je suis rentrée dans le monde de ce personnage,
c'est mon habitat. Elle a une culture littéraire prodigieuse et
dit : "la littérature
est mon bac à sable" ou "la
littérature m'apporte la vie". Le premier livre
qu'elle nous dit aimer est 2666
de Roberto Bolaño, pour moi un summum des romans sud-américains.
J'ai éprouvé une telle empathie pour cet auteur que je dois
absolument lire les livres qu'il cite et que je n'ai pas lus : Austerlitz
de Sebald et Microcosmes
de Claudio Magris. Comme Aaliya, "je
croyais que l'art ferait de moi un être humain meilleur".
Je ne suis pas sûre d'avoir compris si c'était vrai ou faux.
Il y a beaucoup d'humour dans ce texte : "je
me sens vivante, cheveux bleus et vin rouge", la façon
de regarder le sexe de son mari impuissant avec des allumettes, de raconter
les pets de son oncle...
Les pages sur la traduction sont magnifiques, avec Walter Benjamin : "aucune
traduction ne serait possible si son essence ultime était de ressembler
à l'original. Car dans sa survie, elle ne mériterait pas
ce nom si elle n'était pas mutation et renouveau du vivant".
Idem pour les pages sur les transports que lui provoque la lecture. Elle
traduit ces textes pour elle seule, pour s'approprier leur substantifique
moelle : elle les lit dans deux langues, puis les traduit, puis les relit,
avant de les ranger : c'est inutile et magnifique à la fois. Elle
cite Pessoa dans Le
livre de l'intranquillité : "la
seule attitude digne d'un homme supérieur, c'est de persister tenacement
dans une activité qu'il sait inutile". Les pages
sur la musique et Bruckner en particulier sont superbes également.
J'ai un peu moins aimé la seconde partie plus intime. Cependant
le symbole d'amour et d'humilité que représente le lavement
des pieds de sa mère m'a énormément touchée.
Elle dit qu'elle est seule par choix, que les enfants l'agacent, que ses
voisines ne l'aiment pas, MAIS elle pleure lorsqu'un enfant est giflé,
lorsque sa voisine perd son amant et lorsque la fille de Joumana est acceptée
à la Sorbonne. Elle est donc plus sensible qu'elle ne le croit
aux sentiments d'autrui.
À la fin, les voisines l'aident à sécher ses précieuses
traductions et Joumana, prof d''université va même demander
à ses étudiants de les classer et les étudier - fin
un peu facile - mais c'est un livre formidable. Ouvert en entier.
Annick L
Quel roman extraordinaire, avec ses multiples facettes !
J'ai été d'abord séduite par le personnage de cette
narratrice peu banale, Aaliya, "vieille Beyrouthine" de 72 ans,
qui a traversé bien des épreuves en préservant sa
singularité de femme célibataire, rejetée par sa
famille (cf. la scène violente ou son demi-frère essaie
de lui imposer la garde de sa mère), puis répudiée
par son mari, "l'insecte impuissant", et sans enfants, qui a
pour seule passion la lecture, la littérature et l'écoute
de la musique. Tour à tour libraire puis traductrice, elle s'est
assumée matériellement en se créant un petit cocon,
contre la violence du monde extérieur, recluse dans ce grand appartement
qui a vieilli avec elle. J'admire son courage, surtout dans cette société
libanaise, conservatrice et patriarcale : pendant la guerre, elle
a dû s'acheter une kalachnikov pour se protéger des intrusions
des milices ! Peut-être a-t-elle trouvé la force d'affirmer
sa différence, depuis l'enfance, dans la projection faite par son
père à travers son prénom : "Aaliya
l'élevée, celle au-dessus" ? Une vraie
féministe, en révolte contre la condition faite aux femmes
dans son pays. Mais en posant simplement des actes, sans aucune prétention
militante.
Aaliya a consacré toute sa vie de femme adulte à son travail
de passeuse de littérature - du monde entier -, traduisant en arabe
des dizaines de romans déjà traduits en français
ou en anglais (un choix étonnant : pourquoi ne pas traduire des
textes en langue originale ?) : "La
littérature est mon bac à sable. J'y passe un temps merveilleux.
Pour filer cette métaphore sableuse, si la littérature est
mon bac à sable, alors le monde réel est mon sablier - un
sablier qui s'écoule grain par grain. La littérature m'apporte
la vie, et la vie me tue". Je me suis sentie très
proche de ce personnage de lectrice compulsive et j'ai plongé avec
bonheur dans ce foisonnant palimpseste littéraire, même si
bien des références m'échappaient. Mais je me demande
encore pourquoi elle n'a jamais cherché à publier ses traductions
(une révélation qui arrive à mi-parcours du récit) ?
Par manque de confiance en soi ?
Du coup, elle s'est coupée des relations sociales, avec son ex-famille
ou avec ses voisines, et n'a même pas noué de relation amoureuse
durable. Une seule figure émerge, celle de l'amie au long cours,
la douce et bienveillante Hannah, qui s'est suicidée il y a longtemps.
Aaliya a mené une vie par procuration, à travers les livres
(citations et dialogue avec ses écrivains préférés).
Mais aussi à travers l'observation de la vie des autres, comme
celle du trio des "sorcières", ses voisines, des femmes
qui ont une existence bien remplie et qui aiment le partage. Une présence
chaleureuse qui anime le silence pesant du vieil immeuble délabré.
Pendant qu'elle-même constate, jour après jour, seule devant
son miroir, la dégradation de propre corps auquel elle n'a jamais
accordé l'attention et les soins nécessaires.
Le monologue qui porte l'ensemble du récit pourrait être
sinistre, morbide
, mais il n'en est rien et c'est la grande réussite
de ce livre. Car Aaliya a une voix et un point de vue saisissant, tantôt
passionnée, tantôt mélancolique, tantôt caustique
et drôle, elle fait preuve d'une capacité d'observation et
d'autodérision jouissive pour le lecteur, toujours surpris par
ses changements de ton et ses remarques inattendues. On va-et-vient entre
ses souvenirs et sa vie présente, ses petits soucis du quotidien
et ses réflexions philosophiques, comme dans un flux de conscience
désordonné. Pourtant il y a une unité de bout en
bout, grâce à la tonalité de sa voix, vive et incisive,
son franc-parler en toutes circonstances. Une vraie présence !
J'ai l'impression d'avoir fait sa rencontre. Et ma plus grande surprise
a été d'apprendre que l'auteur est
un homme
chapeau ! Rabih Alamedine a d'ailleurs confié qu'il y avait une
large part autobiographique dans ce roman.
Autre centre d'intérêt pour moi : l'évocation
très suggestive de Beyrouth, cette ville matricielle bien-aimée
et détestée à la fois, à travers des scénettes
et des détails très concrets, presque photographiques. Il-Elle
revient aussi, par bribes, sur l'histoire tragique du Liban, surtout durant
les années noires de la guerre civile, avec ses séquelles
jusqu'à la période actuelle : " Tout
Beyrouthin d'un certain âge a appris qu'en sortant de chez lui pour
une promenade, il n'est jamais certain qu'il rentrera chez lui, non seulement
parce que quelque chose peut lui arriver personnellement mais parce qu'il
est possible que sa maison ait cessé d'exister".
J'ai été très marquée, entre autres, par l'histoire
de son ami palestinien et de sa communauté (je ne connaissais pas
cet épisode).
J'ai donc adoré ce roman, que je vais conserver à portée
de main et dont je voudrais saluer le dénouement, magnifique :
toute son "uvre", soigneusement rangée dans des
cartons qui occupent deux pièces, est détruite par une inondation.
C'est terrible mais la séquence finale, grâce à la
solidarité des trois "sorcières" qui découvrent
son "secret" avec stupeur et admiration, ouvre sur une note
d'espoir : peut-être qu'Aaliya sera capable d'une forme de
résilience et s'engagera dans un nouveau projet ? La "vieille
dame" ne manque pas de ressources
Merci pour cette grande découverte. J'ouvre en grand, grand grand.
Danièle
Je n'ai pas été conquise tout de suite par ce livre. Je
prenais du plaisir au fur et à mesure de la lecture, car je trouvais
l'écriture magnifique, mais j'avais du mal à suivre et retenir
le fil de l'histoire, car il y avait un peu de tout, en particulier pas
mal d'aphorismes et de citations. Bref, je trouvais ça bizarre,
je ne comprenais pas : ce n'était pas un roman, pourquoi tant
de digressions, où voulait-elle en venir ? C'est seulement à
la fin que tout converge dans une fin mélodramatique, je tenais
là mon roman.
La traduction du titre, Vies de papier, à mon avis, n'est
pas si mal que ça ; c'est un livre sur l'amour des livres : le
seul amour de la narratrice, sa passion, en fait. Dans un pays divisé
et martyrisé comme le Liban, elle étanche sa soif de beauté,
de tolérance et d'universalité dans la lecture d'auteurs
de tous les pays. Il s'agit d'une ode à l'universalité de
la littérature. En tant que traductrice passionnée, elle
pouvait être le maillon qui permet la connaissance d'uvres
étrangères. Mais elle ne publie pas, elle n'assume pas le
rôle de passeur. Pourquoi cette incohérence ? Elle qui dit
ne pas choisir d'uvres en français ou en anglais, parce que
tout le monde au Liban comprend ces langues. L'épisode traumatique
de la fin, malgré l'aide de ses voisines dans cette lutte contre
l'anéantissement d'une vie... de papier, peut apparaître
dans un premier temps comme une tragédie.
Mais cette mort devient renaissance puisqu'elle lui indique un autre chemin,
qui est l'accès à la traduction immédiate (sans médiateur),
plutôt que traduction de traduction. En un sens, elle croit reconnaître
l'erreur d'une vie, mais se veut optimiste (ou velléitaire ?)
en envisageant de traduire directement des livres écrits aussi
en anglais et en français. Ce n'est donc pas pour moi simplement
un rebondissement comme dit Annick, mais vraiment une renaissance.
J'ai bien aimé les passages sur Hannah, extraordinaire de sensibilité.
C'est un livre aussi sur la vieillesse, regard parfois distancié,
parfois cruellement réaliste.
La scène du lavement des pieds de sa mère a quelque chose
de biblique, même si ce n'est sans doute pas la culture de l'auteur.
S'agenouiller est un geste de soumission, mais de soumission à
quelque chose qui la dépasse. C'est un geste d'amour qu'elle ne
s'attendait pas à faire. Cet amour ressurgit à la vue d'objets
qui sont les témoins d'un amour lointain et sans doute méconnu.
Mais on n'est pas loin de l'amour-haine. Elle voudrait savoir ce qui la
pousse à faire cela malgré elle.
Sachant que l'auteur était un homme, je me suis demandé
tout le temps de la lecture si cela se voyait dans l'écriture.
Vraiment non. On peut vraiment croire que l'auteur est une femme. Sauf
peut-être dans la manière dont la narratrice parle de son
ex-mari. Cette avalanche d'injures concernant l'impuissance de son mari
ne me paraît pas authentiquement féminine. C'est plutôt
l'injustice de la répudiation dans cette société
machiste qui est douloureuse. C'est le retournement de la responsabilité.
Il la répudie, laissant entendre que c'est elle la responsable
de l'échec de leur vie sexuelle, alors que c'est lui qui est impuissant.
Alors, est-ce un roman ? Oui, un peu !
C'est aussi une ode émouvante à la ville de Beyrouth et
au Liban, bien calibrée et authentique.
J'ouvre aux ¾.
Annick A
La façon dont Aaliya Saleh intègre dans sa vie ses nombreuses
lectures littéraires m'a d'emblée fascinée. J'ai
beaucoup aimé le passage sur sa découverte de Microcosmes
; elle décrit à merveille le bonheur de la lecture. De même
les quatre pages sur la traduction sont très intéressantes
: "Dans son propre style
déconcertant, Benjamin dit que si vous traduisez une uvre
d'art en collant à l'original, vous pouvez montrer le contenu en
surface de l'original et expliquer les informations contenues à
l'intérieur, mais vous passez à côté de l'essence
ineffable de l'uvre. Autrement dit, vous traitez l'inessentiel."
(p. 133)
Par contre, je suis tout à fait en porte-à-faux par rapport
à tout le bien qui vient d'être dit sur ce livre et sur Aaliya
Saleh. J'ai très vite été lassée par toutes
les digressions. Terminer le livre m'a demandé un effort car les
histoires qu'elle se remémore ne m'ont pas intéressée.
L'histoire d'Hannah m'a semblé totalement invraisemblable. Aaliya
est une personne qui a une culture littéraire et musicale très
riche, mais qui est totalement centrée sur elle-même. Elle
n'aime que les personnages fictifs, ne s'intéresse pas aux gens
réels, reste enfermée dans sa solitude et ne souhaite pas
faire bénéficier les lecteurs potentiels de ses traductions.
Elle vit dans les livres mais pas dans la vie réelle.
Concernant Beyrouth, je trouve que l'auteur n'a pas su en rendre l'atmosphère.
J'aurais aimé que l'histoire du Liban en arrière-plan soit
plus approfondie. Le massacre de Sabra et Chatila est à peine effleuré
et on ne ressent pas du tout d'émotion. Par contre la fin est assez
réussie et laisse à penser une ouverture d'Aaliya au monde
réel.
J'ouvre le livre à moitié.
Jacqueline
Ce gros livre, surtout au début, ne m'a pas été vraiment
facile à lire.
Parce que cette vieille femme isolée, peu amène et peu séduisante,
dont la vie n'est faite que de citations et de livres me renvoie caricature
de ce que je suis peut-être ?
Parce que par contraste avec ses aspirations intellectuelles, ses conditions
de vie apparaissent si particulières et si précaires et
que son récit ne nous épargne aucun détail trivial
et affligeant ?
Parce que le portrait déchiré de Beyrouth qu'il trace à
travers le regard d'Aaliya est assez terrifiant ?
Parce que l'activité de traductrice d'Aaliya avec sa routine paraît
gratuite et inutile, qu'elle en est parfaitement consciente et qu'elle
s'y complaît obsessionnellement ?
Tout cela me paraissait assez effrayant même si c'était bien
vu. D'autant que c'est écrit de manière saisissante. Je
n'avançais que lentement dans ma lecture...
Et puis, il se trouve que j'ai écouté Erri de Luca (dans
L'Heure
bleue de Laure Adler) parler du plaisir qu'il avait à trouver
le mot juste en traduisant, pour lui, la poésie de Tsvetaïeva.
Pour cela, il avait un peu appris le russe et il s'appuyait sur une édition
bilingue. Il expliquait que le mot juste revenait toujours au corps, il
insistait sur "le corps" et je pensais à la sensation...
Je savais aussi déjà que, de même, il avait appris
l'hébreu pour traduire la bible... C'est un peu comme si la simplicité
et le naturel d'Erri de Luca dans cet entretien venait mettre du sens
dans l'activité d'Aaliya et en même temps dans le roman d'Alameddine.
Je l'ai fini d'une traite
J'ai aimé la sortie au musée,
la visite à la mère et l'espèce de réconciliation
en même temps que la rencontre prudente mais un peu complice avec
la petite nièce
J'ai aussi aimé que se refonde une
espèce de sociabilité avec les voisines autour du désastre
de l'inondation. Je ne crois cependant pas que c'est un livre que je recommanderais...
j'ouvre aux ¾.
Françoise D
Je n'ai vu qu'après que c'était écrit en anglais
Le titre original, une fois de plus, reflète beaucoup mieux le
contenu du livre.
J'ai été extrêmement, agréablement, surprise
que l'auteur soit un homme. C'est vrai, Madame Bovary c'est Flaubert,
mais c'est assez exceptionnel d'avoir une voix de femme portée
par un auteur, avec cette authenticité, cette vérité
de femme, remarquables.
J'ai beaucoup aimé ce livre.
Beyrouth est en toile de fond, mais on sent l'atmosphère. C'est
très intéressant, cet immeuble vide et ces quatre femmes
qui se retrouvent m'ont rappelé Steaming
de Losey. Pour ce qui est du mec impuissant, elle le méprise et
alors...
J'ai apprécié les références littéraires
de temps en temps, mais c'était un petit peu too much. J'avais
le livre aux éditons Les Escales, avec beaucoup de coquilles, du
genre "c'est là
qu'elle s'asseya"...
Mais c'est une belle découverte. J'ai aimé cette femme qui
s'enferme seule dans cette non-vie qui est riche.
Le lavement des pieds : pourquoi pas une connotation chrétienne
? Il y a des Chrétiens au Liban.
Brigitte
Elle est allée à l'école coranique.
Françoise
À la fin, l'inondation, avec les femmes qui s'entraident, c'est
en quelque sorte l'apothéose. J'ouvre aux ¾, ¾ parce
que ça m'a un petit peu gonflée l'accumulation de références
littéraires, un peu trop systématiques.
J'oubliais de dire que l'humour bien présent ajoute au plaisir
de la lecture. Je suis contente d'avoir découvert ce livre.
(Ouf, on est loin du goût âpre des kakis
!...)
Geneviève
Il me reste 100 pages du livre. J'y suis entrée très facilement.
Et ça m'a étonnée, car ça raconte quoi ? me
suis-je dit ; ça m'est égal. Danièle a remarqué
qu'il n'y a pas de chapitres, oui, c'est vrai. Je me suis laissé
guider. J'ai eu très peu de réticences.
Vous êtes étonnée qu'elle fasse ses traductions sans
essayer de les publier. Elle s'est donné des protections :
il n'y a rien de moi, je suis à distance des autres langues. Et
avec une forte ritualisation : pas de traduction d'une langue qu'elle
connaît, début d'une nouvelle traduction toujours à
la même date, livres collés sur la traduction. Elle s'est
mise à l'abri de la guerre, de sa famille, des hommes ; et
à l'intérieur de l'immeuble, les autres femmes la protègent
efficacement.
Ce personnage est intéressant ; j'ai aimé l'ambivalence
de sa réaction par rapport à ses cheveux devenus bleus,
entre désespoir et amusement. Un personnage complexe, pas sarcastique,
pas dans l'autodérision, avec une perplexité permanente
sur sa place, sauf quand elle affirme que le mariage n'est pas son objectif :
le malheureux homme qui lui échoit a pour qualité majeure
de lui avoir laissé son appartement ; elle n'a pas d'histoire d'amour
; l'homme fécondeur a échoué ; elle le méprise,
mais sans en faire des tonnes. La relation avec les femmes dans l'immeuble
est faite d'indifférence, de rejet, mais aussi de profond respect.
Quant à la mère, c'est aussi une relation complexe, elle
la rejette mais quand la mère hurle, ça la touche. Je suis
intéressée par la fin, avec ses traductions cachées
exposées au regard de tous et devenues objet de recherche.
J'ai aussi beaucoup aimé les flashs sur Beyrouth et son amour de
la ville, dans sa beauté et sa laideur ; mais aussi les flashbacks
sur des épisodes de la guerre, sans dramatisation, comme s'ils
s'étaient peu à peu normalisés. La relation avec
Hannah apporte une tension romanesque, une intrigue plus classique.
Et pour ce qui est de la traduction du titre - "vies de papier",
c'est pas mal - mais "la femme inessentielle", ce n'est pas
le même sens. On est aux limites de la liberté du traducteur
(ou de l'éditeur)...
Bref, c'est le genre de livre que j'adore, que j'adore découvrir
par hasard. J'ouvre en grand.
Denis
J'ai bien aimé ce livre qui m'a fait beaucoup rire. J'adore l'humour
noir, et la parole de cette femme bien âgée mais vive et
alerte est profondément réjouissante. Il y a beaucoup de
trouvailles d'expression. J'aurais bien aimé connaître cette
femme pour discuter de nos goûts communs, en littérature,
cinéma ou musique. Elle m'aurait peut-être fait aimer les
symphonies de Bruckner... Dès les premières pages, je me
suis senti en terrain de connaissance : Austerlitz
de W.G. Sebald, est un de mes livres préférés. Et
cela a continué, j'ai retrouvé nombre de mes références,
et au-delà - ce qui m'a évidemment donné envie de
suivre cette piste. Par exemple, j'avais lu et relu, et emporté
en voyage, Danube
de Claudio Magris, mais j'ignorais l'existence de Microcosmes.
Parfois, il y en a un peu trop, quand même, ça tourne un
peu au procédé ; mais elle s'en explique dans le livre (passage
sur le plagiat, l'écriture avec les mots des autres). Je me suis
donc fait tout un roman autour de cette femme, notamment autour du fétichisme
des livres, dont je suis moi aussi victime.
Aussi suis-je tombé des nues en apprenant juste avant notre réunion
que c'est en réalité un homme ! Je n'avais pas ouvert le
dossier jusque là. Quoi ! Cette vieille femme est en réalité
un homme d'âge moyen ? Est-ce possible ? Je me suis senti floué,
mené en bateau, et ce sentiment a jeté le discrédit
sur mon expérience de lecture. Curieux, n'est-ce pas, et pourquoi
donc ? Au fond, qu'est-ce que ça change ? C'est toujours
du roman, pas vrai ? Eh, c'est sans doute que je n'avais pas lu ce texte
comme un roman, mais comme un témoignage. Sans doute y ai-je été
poussé par le souvenir d'une ancienne amie libanaise qui vivait
en France, et avait avec sa mère des rapports aussi difficiles
que notre héroïne. Elle adorait Beyrouth où elle prenait
ses vacances en pleine guerre civile, affirmant "il n'y a que là
que je me repose !". Le tableau de la vie bourgeoise dans cette ville
m'a rappelé par contraste le livre de Sorj Chalandon, Le
quatrième mur, que nous avions lu dans le groupe et dont
les scènes de guerre m'avaient horrifié. Le Beyrouth d'Alameddine
est chaleureux, rigolard, malgré les milices et les bombardements.
Plusieurs fois, la narratrice se déclare pessoïste. Pessoa
étant une énigme pour moi, j'ai saisi la perche et ouvert
au hasard Le
livre de l'intranquillité. Je suis tombé p. 302
où je lus : "J'ai
créé en moi diverses personnalités. J'en crée
constamment de nouvelles. Chacun de mes rêves s'incarne, dès
son apparition, en quelqu'un d'autre, qui se met à rêver
à ma place." Il me semble que la pratique de la
traduction d'amateur correspond bien à la déclaration de
Pessoa : pendant une année au moins, notre traductrice vit de la
parole d'un autrui. Les trois lignes suivantes sont plus inquiétantes
: "Pour créer,
je me suis détruit ; je me suis extériorisé au dedans
de moi à tel point qu'en moi, je n'existe plus qu'extérieurement.
Je suis la scène vide où passent divers acteurs, jouant
diverses pièces."
Car la traduction vous établit dans une relation très intime
avec la parole que vous traduisez. J'ai eu à effectuer dans le
cadre de mon travail quelques traductions de l'anglais ou de l'allemand,
et c'était à chaque fois une aventure, une plongée
dans un esprit autre que le mien, et qui s'offrait à l'enquête
sur le sens.
Je l'aurais bien ouvert en grand, tellement ce livre est intéressant,
mais je lui en veux de m'avoir mené en bateau en se faisant passer
pour une femme. Cela a, du coup, attiré mon attention sur certaines
aspects déplaisants de l'uvre : le ressassement, l'amertume,
le repliement sur soi...
Donc, je l'ouvre aux ¾, mais je suis trop sévère
: on ne rencontre pas souvent de livres de ce niveau et de cette qualité.
Laura
Je n'ai pas terminé le livre, par manque de temps, mais aussi d'intérêt.
Je ne me retrouve pas dans cette histoire. Pourtant la protagoniste adore
les livres, les traduit, lit des auteurs que je vénère (Kafka,
Pessoa
), mais non, ça ne prend pas avec moi. Peut-être
est-ce la différence d'âge, je ne sais pas. Je ne supporte
pas son caractère ; pourtant c'est une femme indépendante
qui sait ce qu'elle veut. Mais cette force de caractère est poussée
à son extrême, et moi, je n'ai plus envie de l'entendre.
En réalité, mon agacement à commencé violemment
dès les premières pages : cette manie de parler au lecteur
"que je vous explique", me met très mal à l'aise
; de même, ses cheveux bleus et son nez imposant ne semblent être
là que pour planter le caractère du personnage, mais m'ont
paru particulièrement inutiles, et m'ont rendu le personnage encore
plus détestable.
Par ailleurs, j'ai eu cette impression qu'il n'était, au fond,
question que des pensées de la protagoniste. Seules ses pensées
existent, ses perceptions, ses douleurs. Aucunement celles des autres,
qui lui sont nécessairement inférieurs en tout. C'est presque
emprunt de solipsisme : "mais
bien sûr, il n'y a que moi pour remarquer une chose pareille"
(p. 114). Non, je ne pense pas qu'elle soit
la seule à remarquer un buisson. Mis à part mon énervement,
si l'auteur a décidé de rendre son personnage détestable,
il a parfaitement réussi ; mais je ne trouve pas assez de qualité
d'écriture ou d'histoire pour continuer à me torturer. Les
seuls passages que j'ai appréciés sont les souvenirs de
la guerre, j'y ai enfin trouvé un certain intérêt
(le passage de l'arme à feu est génial). Mais ce fut de
courte durée. Bon, j'avoue avoir tout de même plié
quelques pages pour garder en mémoire les écrivains que
je souhaite désormais lire
Je ferme le livre.
Brigitte entre
et
Selon moi, il s'agit enfin d'un livre pour le groupe
lecture.
Je n'avais jamais entendu parler ni de l'auteur, ni du livre, mais
lire un livre libanais me semblait une bonne idée.
Si j'avais su qu'il s'agissait en fait des ressassements d'une vieille
femme de 72 ans sans pratiquement aucune action, j'aurais hésité
à m'y engager. Finalement, j'ai été très intéressée
et j'ai tenu jusqu'au bout (plus de 300 pages).
Ce livre ouvre un nombre important de sujets de discussion et c'est cela
qui m'a plu : d'abord le titre "An unnecessary woman" devient
"Les vies de papier" pourquoi ? Cela nous conduit immédiatement
vers une réflexion sur la traduction littéraire et tous
ses aspects.
Un autre thème : quels sont les ouvrages qui constituent la culture
littéraire du monde occidentalisé actuel ?
Sans oublier le portrait de la femme libanaise des classes moyennes, le
témoignage sur la vie à Beyrouth, avant les récentes
catastrophes, etc.
Pour en revenir à la culture générale, j'étais
particulièrement contente d'avoir identifié immédiatement
le film cité dans l'épisode de l'inondation.
Et, j'allais oublier d'évoquer le rôle de l'épiphanie
littéraire dans les préoccupations d'Aaliya.
J'ouvre finalement entre ½ et ¾.
Claire
J'ai été happée par l'humour. Au bout d'un moment,
j'ai eu une impression comparable à ma lecture de Ponthus
: c'est bien, mais j'ai compris, je vais pas me taper tout ça,
y a pas beaucoup de narratif... Est arrivé alors un long développement
sur la traduction et je n'ai plus lâché. J'ai adoré
ce livre, je le trouve brillantissime. J'ouvre en grand de chez grand.
J'ai commencé à noter les noms des auteurs cités,
puis j'ai arrêté, la liste étant considérable
; mais je n'ai pas eu du tout l'impression de too much ressentie par Françoise
et Denis. Ce qui est extraordinaire justement (pour moi), c'est que ce
n'est jamais artificiel. À rendre jaloux l'Oulipo qui en aurait
fait une contrainte lourdasse. Ce n'est pas décoratif, ça
fonde le personnage. Rozenn a bien montré à quel point l'auteur
peut faire adhérer à ce personnage : je l'adooore et admire
cette faculté d'Alameddine pour lui donner, par sa voix, une telle
présence (non pas physique, je ne la vois pas, mais une intensité).
Je ne sais pas si l'abominable politiquement correct nous ferait ch...
aujourd'hui au point d'empêcher l'auteur de faire paraître
un roman où la narratrice est une femme...
J'ai bien aimé comment l'Histoire libanaise est évoquée
: je suis ignare mais ça me suffit pour comprendre.
Concernant la dernière scène avec les fils tendus et les
pages qui sèchent, et les femmes qui repassent les pages des traductions,
Françoise parlait d'apothéose, oui, c'est grandiose :
j'ai hâte de voir au cinéma, avec les trois autres femmes
genre Almodovar.
Contrairement à plusieurs, je trouve le titre français très
bien, bien mieux que le titre original dont il est éloigné,
la "femme inessentielle".
Que de moments savoureux ! (Et Claire d'abuser dans la longueur...)
La joie de lire, merveilleusement montrée : "Ah, splendide Microcosmes, le délice de découvrir un chef-d'uvre. La beauté des premières phrases, le "Qu'est-ce que c'est que ça ?", le "Comment cela se peut-il ?", le coup de foudre comme au premier jour, le sourire de l'âme." (p. 146)
Et les adresses au lecteur, que contrairement à Laura, j'ai aimé retrouver, sans parler de ce passage auquel Rozenn faisait allusion, de recherche de complicité avec le lecteur : "Si ceci était un roman, vous seriez en mesure de comprendre pourquoi ma mère a hurlé. ( ) La recherche de causalité est un vilain défaut. ( ) j'aimerais envisager une hypothèse quant à notre besoin incessant de causalité, que ce soit dans les livres ou dans la vie. Je me suis entraînée à ne pas constamment rechercher ou attendre de la causalité en littérature" (p. 122-123)
Sur les traducteurs : j'ignorais tout de Constance Garnett, traductrice de 71 romans russes qui a suscité la controverse, vertement critiquée par des écrivains (comiquement même, voir l'article du New Yorker "Translation wars"). Notre traductrice cite Brodsky : "La raison pour laquelle les lecteurs anglophones peuvent à peine faire la différence entre Tolstoï et Dostoïevski, c'est qu'ils lisent la prose ni de l'un ni de l'autre. Ils lisent Constance Garnett." (p. 131)
Meryl Streep joua le rôle de Constance Garnett dans The Idiots Karamazov en 1974 - la pièce avait l'air délirante.
On retrouve, invitée chez Aaliya, Yourcenar et sa traduction de Cavafy : nous avions pu voir un exemple avec Michel Volkovitch, rencontré dans le groupe, qui montrait comme elle exagérait, mais Aaliya, elle, lui pardonne. (p. 132)Sur le féminisme : "Le féminisme au Liban n'a pas encore atteint les espadrilles ou les chaussures de course à pied ; les talons plats, voilà où l'on en est. Le choix de ne pas se marier ne figure pas encore au tableau." (p. 158)
Je suis d'accord avec Geneviève sur le fait qu'Hannah apporte "du narratif" : à partir d'un mystère, on apprend petit à petit son histoire, et de surcroît à travers des passages où Hannah prend ses désirs pour des réalités, qui étaient "d'une exubérance élaborée, les phrases débordaient, les mots se culbutaient à saute-mouton, des mots qui quittaient la page d'un bond pour se retrouver sur mes genoux". (p. 186)
Par-dessus le marché, cette Hannah se nourrit de fiction puisqu'elle se croit aimée et toute sa vie est fondée sur ce malentendu énorme ; la mort de l'aimé est un sommet, car elle pleure "la fin de son avenir", elle pleure "les enfants qui étaient morts avant même d'avoir été conçus. Elle fit l'éloge des trois, deux garçons et une fille, l'enfant du milieu, qu'ils n'élèveraient pas, elle pleura les fleurs du jardin de la petite maison de montagne qu'ils ne construiraient pas." (p. 190)
Shulem Deen et ce livre auront été deux immenses plaisirs de lecture de l'année pour moi tellement rares...
Des noms ont été cités à programmer dans le groupe : Claudio Magris, Sebald, Danielo Ki, Antonio Muñoz Molina...
Parcours
de l'auteur Ses publications Le traducteur Interviews Repères historiques Littérature libanaise |
PARCOURS de Rabih
Alameddine
- Né en 1959 à
Amman en Jordanie de parents libanais, il
grandit au Koweït : "Dès 10 ans, mes parents m'envoyaient
passer l'été à Beyrouth près de ma tante et
de mes cousins. C'était un paradis..." : un quartier multiconfessionnel,
devenu chiite aujourd'hui, après avoir été chrétien
durant la guerre.
- Rabih Alameddine a 15
ans lorsque, au début du conflit, ses parents l'envoient en Angleterre
pour finir ses études secondaires. Puis il étudie à
l'université de Los Angeles (UCLA) où il obtient un diplôme
d'ingénieur, avant de trouver un emploi : "Sur ces neuf
mois de travail, j'en ai passé six en vacances. Ensuite j'ai passé
un master de business and finance, mais c'était pire. Je me suis
alors tourné vers des études de psychologie."
- Sans grand succès, car à cette époque c'est la
peinture qui l'attire. Il
expose à New York
(voir ses uvres
ici) : "Je suis
obsessionnel. Dès que j'entame quelque chose, je ne pense et ne
vis que pour ça." Ainsi en est-il de l'écriture,
pour laquelle il a abandonné ses pinceaux. "J'avais toujours
rêvé d'écrire, mais je n'osais pas."
- Il partage sa vie entre
San Francisco et Beyrouth.
SES LIVRES,
tous publiés en anglais aux USA
Les trois premiers livres ne sont pas traduits en français :
- 1998 : Koolaids: The
Art of War : dans ce roman, il dépeint, non sans audace,
la guerre du Liban à travers le prisme du sida.
- 1999 : The Perv: Stories
(nouvelles)
- 2001 : I, the Divine:
A Novel in First Chapters
Les trois suivants sont traduits par Nicolas Richard :
- 2008 : Hakawati
(The Hakawati),
Flammarion, 2009
- 2014 : Les
vies de papier (An
Unnecessary Woman), Les Escales, 2016, prix Femina étranger
2016
- 2016 : L'ange
de l'histoire (The
Angel of History: A Novel), Les Escales, 2018, prix Lambda Literary
2017 du meilleur roman gay.
LE TRADUCTEUR
Nous avons déjà rencontré sa plume puisqu'il a traduit
deux autres livres que nous avons lus dans le groupe : Le
Temps où nous chantions de
Richard Powers et M
Train de Patti Smith.
On peut s'interroger sur sa rencontre avec le personnage d'Aaliya, sa
collègue, d'une certaine manière... Restant dans l'ombre
quant à elle, alors que Nicolas Richard connaît la lumière.
Il est aussi écrivain (voir "Nicolas
Richard, bricoleur de génie", Florence Bouchy, Le Monde,
11 mars 2018).
Il a été un des premiers traducteurs en France à
participer à des joutes
de traduction. Voici ce qu'il dit des traducteurs :
"C'est une population discrète, à peine visible, qui fait le plus beau métier du monde, et qui permet que des livres inatteignables (car écrits dans une langue étrangère) deviennent lisibles ! Le traducteur est un transformateur, une sorte de "transfo" comme on dit en électricité. Grâce à lui, une voix au départ inaudible est entendue, ou lue. Il doit être attentif à l'intensité du courant. Ce métier consiste à s'investir corps et âme pour réussir à donner une voix à un auteur. Il faut réfléchir, faire appel à ses lectures, puiser dans sa culture, écrire, raturer, enquêter, se renseigner, reprendre un texte, le relire jusqu'à arriver à façonner un texte recevable. Ce n'est pas juste un plat qu'on fait passer à l'identique dans une autre langue. Il y a tout un travail de mutation, de transmutation. La remise d'une traduction à l'éditeur est d'ailleurs souvent l'occasion de discussions passionnantes entre traducteurs, correcteurs et éditeurs." (linternaute.com, 29 janvier 2020)
Après nos échanges, Voix au chapitre a envoyé un message à Nicolas Richard pour lui dire que grâce à lui, nous avons découvert ces trois livres Le Temps où nous chantions, M Train et Les vies de papier, avec le lien sur nos avis, en précisant que nous sommes très sensibles au rôle du traducteur. Une question figure dans le message :
Vous avez traduit tant et tant : auriez-vous une autre merveille à nous recommander ?"
En moins de 24h, la réponse nous arrive :
Bonjour,
Votre message me fait bien plaisir, je les aime tellement, moi aussi, ces auteurs.
Des conseils de lecture ? L'Ange de l'histoire de Rabih Alameddine est splendide.
Autre roman lumineux : D'Os et de lumière de Mike McCormack : un vrai chef-d'uvre.
Un dernier ? La contrée immobile de Tom Drury : ce roman est magique.
Arrêtez-moi, sinon la liste s'allongera indéfiniment !
Je suis ravi de savoir que là-bas, pas loin, un groupe de lecteurs et de lectrices se passionne pour de très bons textes.
Je signale au passage que j'ai écrit un livre qui passe en revue tous les auteurs que j'ai traduits, dont le but est à la fois de raconter en quoi ça consiste, la traduction, mais aussi de donner envie de lire des auteurs pas toujours très connus; ce livre s'intitule Par instants, le sol penche bizarrement - carnets d'un traducteur et sort le 4 septembre 2021 aux éditions Robert Laffont.
Bien amicalement.
Nicolas
INTERVIEWS
de Rabih Alameddine
Après
la sortie du livre en 2014 aux États-Unis
Les
mères sont souvent les protagonistes de vos romans, n'est-ce pas
?
"Eh bien, je suis l'un de ces écrivains qui pense en fait que rien ne se passe en dehors de la famille nucléaire. Vous pouvez regarder une famille nucléaire et voir la dynamique du monde entier. Donc, chaque fois que quelqu'un dit : 'Comment résolvez-vous les problèmes du Moyen-Orient ?', je dis : 'Je ne sais pas. Je ne peux même pas parler à ma mère, encore moins comprendre les choses.'" (suite ici de l'interview très intéressante sur le livre)
Après la réception
du prix Femina 2016 pour Les vies de papier
- À L'Orient-Le
Jour, quotidien francophone libanais, l'écrivain libano-américain
se dit honoré et flatté :
"Le prix doit être partagé avec ma mère et mes surs qui m'ont soutenu dans tout ce que j'ai fait. Il est incroyablement gratifiant qu'un roman à propos d'une femme de 72 ans vivant à Beyrouth soit acclamé de la sorte."
Que dirait-il à son héroïne, Aaliya Saleh ? "Je ne peux rien lui dire, elle ne m'adresse plus la parole et elle s'en fiche des reconnaissances."
- À l'écrivaine et journaliste au Point Sophie Pujas :
"Cette femme de soixante-douze ans, c'est moi. Nous avons le même caractère. C'est le plus autobiographique de mes livres, ce que personne ne suppose jamais, parce que le personnage est une femme. Il m'a fallu trois ans pour l'écrire. La difficulté n'était pas de me glisser dans la peau d'une femme, mais de trouver sa voix à elle, spécifique, savoir de l'intérieur comment elle réagirait à telle ou telle situation "
Kafka, Pessoa, Nabokov, Roberto Bolaño
Aaylia est une lectrice boulimique, qui traduit pour elle seule de grands
noms de la littérature mondiale. Avez-vous le même panthéon
littéraire qu'elle ?
"Oui, à ceci près qu'elle est plus radicale que moi. Il y a des écrivains qu'elle déteste, comme Hemingway, qui ne m'intéresse pas spécialement, mais envers qui je n'ai aucune animosité Ce qui est radical aussi chez elle, c'est de traduire tous ces textes sans jamais chercher à être publiée. J'aimerais être capable d'écrire seulement pour moi. J'aimerais être elle, ne pas me soucier de la façon dont on me voit. Mais je dois l'avouer : quand j'ai une mauvaise critique, ça me tue ! Et pourtant, mes écrivains favoris sont des auteurs qui n'ont pas vraiment publié : Pessoa, Kafka, Bruno Schulz Des écrivains en marge, en dehors du monde."
L'un des sujets de scepticisme, pour Aaylia, c'est la religion. Un point de vue que vous partagez ?
"Sa religion à elle, c'est la littérature. Je suis athée, comme elle. J'aime la religion comme réservoir d'histoires, de mythes, mais je n'y crois pas. Pourtant je vis entre deux pays très religieux. Ce sont deux pays fous. Tout le monde pense que Beyrouth est un endroit insensé, mais la folie est plus grande encore aux États-Unis ils présentent simplement une meilleure façade. C'est très bien pour un écrivain, qui a toujours intérêt à être là où la folie se manifeste." (suite ici de l'interview sur le livre)
REPÈRES
HISTORIQUES : les guerres au Liban
La
guerre civile, ponctuée dinterventions étrangères,
sest déroulée de 1975 à 1990 en faisant entre
130 000 et 250 000 victimes civiles. Elle a
deux grandes phases délimitées par l'intervention israélienne
de 1982.
En
2006, commence le conflit entre Israël
et le Liban aussi appelé la Guerre des Trente-trois-jours.
Voir ICI l'impact sur la ville de Beyrouth
évoqué dans le livre.
La
narratrice évoque p. 52 l'histoire de la famille d'Ahmad, chassée
par les Yishuv (les Juifs présents en Palestine avant la création
de l'État d'Israël) durant la nabka de 1948 (déplacement
forcé de 700 000 Palestiniens à la création
de lEtat dIsraël) : voir
ICI l'histoire de l'exode palestinien pendant la guerre israélo-arabe
de 1948.
Elle garde aussi la photo découpée dans le journal d'Ahmad
quittant Beyrouth en 1982 parmi les
Palestiniens forcés de quitter la ville pour mettre fin au
siège et bombardements des Israéliens (p. 300).
LITTÉRATURE
LIBANAISE
Hormis Wajdi Mouawad, né au Liban, dont nous
avions lu Anima,
nous n'avons lu aucun.e écrivain.e originaire du Liban (comme Andrée
Chedid ou Amin
Maalouf, Vénus
Khoury-Ghata parmi les plus connus) et encore moins un auteur vivant
au Liban.
La catastrophe
de Beyrouth de 2020 a attiré l'attention vers la littérature
libanaise, avec quelques articles sur la littérature contemporaine
:
- par le CNL
ici
- par Lire magazine
là
- par wikipedia.
Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme
au rejet :
|
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à
la folie
grand ouvert |
beaucoup
¾ ouvert |
moyennement
à moitié |
un
peu
ouvert ¼ |
pas
du tout
fermé ! |
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