La quatrième de couverture 
:
"Il supporte mal toute image de lui-même, souffre d’être nommé. Il considère que la perfection d’un rapport humain tient à cette vacance de l’image : abolir en soi, de l’un à l’autre, les adjectifs ; un rapport qui s’adjective est du côté de l’image, du côté de la domination, de la mort."

En 1975 sortait au Seuil, dans la collection "Écrivains de toujours", Roland Barthes par Roland Barthes. Véritable événement (comment Barthes allait-il se sortir de l’exercice autobiographique ?), cet autoportrait s’est imposé comme un livre culte.

Roland Barthes (1915-1980)
Sémiologue, essayiste, il a élaboré une pensée critique singulière, en constant dialogue avec la pluralité des discours théoriques et des mouvements intellectuels de son époque, tout en dénonçant le pouvoir de tout langage institué. Il est notamment l’auteur du Degré zéro de l’écriture (1953) et de Fragments d’un discours amoureux (1977).

Roland Barthes par Roland Barthes est traduit en anglais sur le site The Charnel-House, avec d'autres livres de R.B. : ICI

Photo de Roland Barthes ci-dessus extraite du site The Charnelhouse : ICI

Roland Barthes par Roland Barthes

Nous avons lu ce livre en février 2016.

Comment est né le livre, publié en 1975 ? "Tout commence le 19 septembre 1972 par un déjeuner rue Jacob où l'on parle de la collection "Écrivains de toujours" et où son directeur depuis 1970, Denis Roche, lance sous forme de boutade qu'il serait plaisant de demander à un écrivain vivant de faire vraiment "Untel par lui-même". Barthes dit aussitôt qu'il trouverait amusant de relever le défi."
Pour voir ce que Tiphaine Samoyault dit d'autre sur Roland Barthes par Roland Barthes dans sa biographie de référence sur Barthes de 2015, allez ICI (et pour consulter les 40 premières pages de cette biographie : LÀ).

Pour augmenter encore le vertige de la mise en abyme, La Quinzaine littéraire publie en mars 1975 "Barthes puissance 3" : Roland Barthes écrit la critique sur le livre Roland Barthes par Roland Barthes, à laquelle s'ajoutent les commentaires de Maurice Nadeau qui dirige La Quinzaine littéraire et qui a commandé à R.B. cette critique (pour voir ce document, dégoté puis copié sur microfilm... allez ICI).

Un article savant permet de plonger dans "les manuscrits de Roland Barthes par Roland Barthes, style et genèse", d'Anne Herschberg Pierrot, Institut des Textes et Manuscrits Modernes (CNRS, 2002)

Pour goûter et picorer, voici des fragments de Roland Barthes par Roland Barthes auxquels nous nous référons ci-dessous :
- La côtelette
- La papillonne
- Emploi du temps

- Le temps qu'il fait
- J'aime, je n'aime pas
- Anamnèses
- Amphibologies
- Je vois le langage
- L'écriture commence par le style
- Qu'est-ce que l'influence ?
- Qu'est-ce que ça veut dire ?
-
L'idée comme jouissance
- D
oxa/paradoxa
- Le vaisseau Argo
- Pluriel, différence, conflit

- Éloge ambigu du contrat
- Violence, évidence, nature - Exclusion
- Hétérologie et violence

Et, parce que notre soirée lecture se déroulait exceptionnellement au pied de la Tour Eiffel...
- La Tour Eiffel
selon Roland Barthes.

Un peu de futilité... :
- pour connaître le rapport de Barthes au tricot… : ICI (interview du Monde de 1979)

- pour le centenaire de sa naissance,
le timbre Roland Barthes : LÀ
- le foulard Hermès Roland Barthes (pour hommes) : OUI !
- et pour les midinets et midinettes littéraires : un potin fondant sur
les amours de Barthes, littéraires forcément : ICI !
- un extrait du livre de
pastiche Le Roland-Barthes sans peine : sommaire + une leçon : comment dire en R.B. “j’ai de la peine à me lever le matin”...)

Bien sérieux, le site de référence consacré uniquement à Roland Barthes : http://roland-barthes.org/
Pour entendre et voir Roland Barthes en vidéo : ICI. Pour entendre en parler ceux qui l'aiment et le connaissent :

Reproduit sur la couverture du livre, le dessin de Roland Barthes "Souvenir de Juan-les-Pins" a été réalisé l'été 1974 dans la maison de Daniel Cordier. On peut voir la présentation des dessins de Roland Barthes sur le site de la BNF : ICI


Annick L (avis transmis)
Dossier passionnant, avec en particulier (interview qui évoque le tricot) une réflexion très personnelle sur le rapport à la "paresse" dans notre société qui permet de la considérer sous un angle inédit (c'est ce qui m'intéresse tant chez Barthes, comme un effet de surprise permanent), l'analyse de son "œuvre" plastique (méconnue), un exercice brillant de double mise en abyme sur ses écrits (Barthes "critiquant" un livre de Barthes sur lui-même... il faut le faire !). Je ne peux malheureusement pas être des vôtres et je le regrette drôlement (Barthes a été l'un de mes "maîtres" à penser dans ma jeunesse et je le relis encore avec intérêt). Je suis sûre que les échanges seront très riches.

Geneviève (avis transmis)
Bon, je crois que j'abandonne. J'ai acheté le livre, je l'ai lu, je l'avoue, très vite. Et j'ai commencé à imaginer les commentaires acerbes et ironiques. Comme Barthes fait partie des souvenirs les plus chers de mon adolescence, je n'ai pas envie de voir détruites mes illusions, une fois de plus. En fait, j'avais surtout été passionnée par S/Z, une analyse d'une nouvelle de Balzac, qui m'avait montré qu'il existait autre chose que les indigestes et surtout stériles paraphrases et exégèses qu'on m'avait appris à faire depuis le lycée. J'avais aussi beaucoup aimé Fragments d'un discours amoureux, beaucoup plus accessible. A mon avis, Roland Barthes par Roland Barthes est réservé aux inconditionnels qui veulent tout savoir de leur idole... donc, pour ce soir, je préfère préserver mes souvenirs. Bonne discussion, que j'imagine déjà assez féroce !

Brigitte (avis transmis)
J'ai lu Barthes par Barthes, c'est très intelligent et très intéressant, mais je ne suis pas capable d'émettre un avis. En effet, c'est trop décousu, ça passe d'un sujet à l'autre (toujours autour des mots). Quand je lis un fragment, je pense que je devrais m'y arrêter plusieurs heures pour vraiment comprendre, ce que je ne fais pas ; je passe à un autre fragment et le problème est le même...
Nathalie (avis transmis)
Il y a quelque chose de rassurant dans l'échange au sein du groupe, c'est que je vais pouvoir me rendre compte, une fois les commentaires publiés, si j'ai été la seule à être en sérieuse difficulté. L'exercice aura eu au moins le mérite de me placer dans la position de celui qui ne comprend rien à ce qu'il lit. C'est toujours intéressant d'être ainsi déstabilisé, ça permet de comprendre la nécessité d'être clair dans ses propos. Ma lecture s'est faite au sein d'un brouillard permanent épais et obscur. Tout m'a semblé jargonnant, prétentieux et autocentré. Les mots que je ne comprenais pas, je n'ai pas eu envie de les noter contrairement à ceux si riches de Julien Gracq. Si parfois, mon cerveau a perçu quelques éclats de sens et s'y est agrippé coûte que coûte*, lire ce texte de Barthes a été pour moi un véritable pensum et j'ai lâché à la moitié. Certaines idées m'ont fait sursauter comme par exemple la façon dont il envisage la prostitution comme un contrat équilibré ("Éloge ambigu du contrat") et son rapport à l'homosexualité (plusieurs fois mentionnée et que j'ai cru comprendre qu'il considérait comme une perversion). Et quand il s'essaie à l'humour (?) par exemple à l'article "La côtelette", on ne sourit qu'à moitié surtout quand il jette son os par dessus le balcon. Il n'y a qu'un seul article que j'ai apprécié, c'est l'article sur "Pluriel, différence, conflit". Mais là encore, comme R.B. cite Freud, je ne sais à qui attribuer les mots suivants : "Un peu de différence mène au racisme. Mais beaucoup de différences en éloignent irrémédiablement."
Bref, pour moi, c'est du gaspillage de temps, une coquetterie d'artiste en vogue et je ferme le livre complètement.
Jacqueline
Je croyais ne connaître Barthes que par ouï-dire et ne jamais avoir rien lu de lui. J'ai été très intéressée par les photos (le grand dadais pendu au cou de sa mère ou la bonne grand-mère, comme on en a tant connues...) et les souvenirs d'enfance à Bayonne (le parfum ou l'accent, la nostalgie d'un Sud-Ouest familier...), l'ironie du rapport texte/image (avec par exemple ces illustrations ou ce contre-pied) qui tracent effectivement un portrait, et ce pour arriver à une définition de l'écriture...
Et puis, après les photos, j'ai été surprise de la forme : des fragments que j'ai d'abord cru rassemblés par ordre alphabétique comme dans le beau livre de Monique. Par contre, que Barthes parle de lui à la troisième personne ne m'a pas surprise : cela m'évoquait plutôt un discours intérieur, un mode de distanciation familier à l'enfant grand lecteur qui pense à lui comme au héros d'un roman... Ensuite, rapidement, j'ai commencé à n'y rien comprendre : plus d'ordre alphabétique ! Sens qui m'échappe ! Indépendamment, me semble-il, des mots bizarres comme asyndète ou anacoluthe dans "L'écriture commence par le style" : en reparcourant je ne retrouve pas une autre énumération des figures de style et je crains de confondre (il y a plus de 25 ans, je tentais de lire le texte d'un séminaire de Lacan, qui en citait une longue liste et, pour comprendre, j'avais cherché dans le dictionnaire chaque définition. Comme je n'arrivais pas plus à la retenir qu'à la distinguer des autres, j'avais fini par renoncer à comprendre rationnellement pour me laisser bercer par la musique du texte en espérant qu'il m'en resterait quelque chose !) Avec Barthes, je n'ai donc même pas pris le dictionnaire. J'ai continué... J'arrive au discours esthétique, à "Violence, évidence" et à "L'exclusion" : non seulement je crois comprendre, mais je suis séduite, je deviens le "il" de Barthes, je pourrais apprendre par cœur ces fragments, en tout cas les recopier. Même chose avec "Hétérologie et violence"... Cela me parle.
Denis
Je suis assez déçu. J'avais trouvé drôles les Mythologies. Là, j'ai l'impression d'un canular. La troisième personne me paraît totalement artificielle. Je n'ai eu aucun plaisir à lire. J'ai aimé les photos. J'en ai soupé de ses théories ; j'aime mieux les écrits de Todorov ; ou Greimas, sémioticien aussi. C'est un mauvais livre, un repoussoir de Barthes.
Richard
Les photos n'ont rien de spécial, premier inconvénient. Je n'avais pas de dictionnaire sous la main, deuxième inconvénient. Il m'aurait fallu un prof de philo et du temps pour digérer ce que je lisais, une fois les premières images passées. J'ai fait une spécialité de philo française à la fac, et je trouve Barthes par Barthes aussi difficile que les Données Immédiates de Bergson... (mais je n'ai jamais bien maîtrisé la sémiologie...). J'ai pioché pour comprendre, mais non... ça me dépasse.
Liz
Honnêtement je l'ai trouvé très difficile. La complexité de la théorie de littérature m'a perdue. J'ai trouvé une copie en ligne en anglais, mais je ne peux même pas la comprendre ! Mais lentement, j'ai commencé à l'apprécier. J'aimais que ce n'était pas possible pour Roland Barthes de séparer la théorie de la littérature de son sens de lui-même ; elle était enracinée avec son existence.
- J'aimais ses insécurités : par exemple son besoin d'attaquer les critiques avant la publication de son livre ; en réponse au fait que le livre est une collection de pensées sans ordre, il dit "l'incohérence est préférable à l'ordre qui déforme" ; il reconnaît qu'il a été souvent fiché sous l'accusation intellectualiste.
- J'aimais ses descriptions : l'amitié ("De même que l'on décompose l'odeur de la violette ou le goût du thé, quelques éléments dont la combinaison subtile produit toute l'identité de la substance, de même il devinait que l'identité de chaque ami tenait à une combinaison délicatement dosée et des lors absolument originale"), le fantasme ("un petit roman de poche" que "l'on peut ouvrir partout sans que personne n'y voie rien"), l'expression "je t'aime" ("on n’aurait pas besoin de dire ce mot, si ce n’était pas obscurcir, comme la seiche fait de son encre, l’échec du désir sous l’excès de son affirmation").
- J'aimais aussi beaucoup l'introduction que ce livre m'a apportée à la French culture et à son histoire : les cafés (le Flore, le Bonaparte), les gens auxquels il se réfère (Gide, Proust, Michelet, les fouriéristes, la "grammaire sadienne") : je m'en suis ainsi familiarisée.
- Il a jugé, et je l'ai apprécié, que les contenus intellectuels étaient très lourds et il a essayé d'introduire des "objets sensuels" pour aider le lecteur, comme Werther qui, dans le discours de l'essai, passe de temps à autre à un objet sensuel, par exemple "les petits pois cuits au beurre"...
- Il est un homme isolé : son exclusion sévère en raison de son homosexualité mais aussi parce que "l'écriture est une jouissance sèche". Il faut passer beaucoup de temps seul pour avoir les pensées si profondes !
- Juste une observation : Barthes parle beaucoup de moralité, peut-être en résultat de son homosexualité. J'ai cherché un peu sur les personnages de littérature dont un, Gide, était une des grandes influences sur Barthes ("how could he have failed to recognize himself, to desire himself in this writer ?). Gide était aussi homosexuel : il a pris un garçon de 15 ans comme amour (quand Gide avait plus que le double de son âge) ; puis il l'a adopté ; ce garçon était son témoin de mariage. Puis Gide a eu un baby avec la fille de sa meilleure amie !...
Lisa
J'ai lu Mythologies que j'ai bien aimé même si c'est parfois daté (Minou Drouet par exemple...). Dans Roland Barthes par Roland Barthes, j'ai aimé les photos, le texte en regard, puis après, je n'ai rien compris. Dans les passages théoriques, ce n'est pas de lui dont il parle : je n'apprends rien sur lui. Il représente l'intellectuel bobo, de gauche. C'est trop pompeux, je ferme le livre !
Monique L
J'ai lu Fragments d'un discours amoureux. Le degré zéro de l'écriture m'a échappé. Et avec mon mari qui aime Barthes !... Là je ne suis pas allée jusqu'au bout, c'est obscur, où veut-il aller ? Ça me barbe. Des instants sont intéressants, mais je reste dans l'incompréhension. Oui, c'est pompeux, nombriliste, surfait. J'ouvre ¼ car quelques choses ouvrent à la réflexion.
Monique S
Je suis une inconditionnelle. Barthes est pour moi un phare. C'est toute une époque : il y avait Lévi-Strauss, Foucault, Barthes. Il nous a appris à penser. C'était une époque de paix où on interrogeait nos habitudes de pensée. Il a une culture très littéraire, une réflexion sur la langue. Il était seul dans l'université...

Claire
... il n'était pas "dans" l'université...

Monique
... à l'école des Hautes études. Sa nouvelle critique de Racine fut une révolution. Il a été honni par bien les universitaires traditionnels. On ne pense plus la littérature de la même manière depuis son passage. Quand il parle de la "doxa" - les stéréotypes, les habitudes de pensée conventionnelles - il soulève comme une pellicule de cellophane, et montre en dessous ce qui vit, ce qui vibre. J'aime ce qu'il dit sur la littérature : il veut un "je" vivant, avec un corps, un désir.
Barthes a un goût spécial pour les glissements : il part sur une idée connue, puis pousse à autre chose. Et les mots qui ont deux sens, les amphibologies... Bien sûr, je n'ai pas tout compris, mais cela ne m'a pas dérangée ; c'est comme dans la poésie, il faut accepter de ne pas tout comprendre. J'aime son goût pour le fragment, et tout particulièrement certains comme "La Papillonne", "Le Vaisseau Argo" changé entièrement sans que sa forme n'ait été modifiée. Dans les ateliers d'écriture, on a beaucoup travaillé à partir de ses écrits : "J'aime, je n'aime pas", les anamnèses, le mot-mana... J'ai lu aussi Incidents, Mythologies, L'Empire des signes.

Rozenn
Incidents, un livre qui m'a choquée en raison de la pédophilie !

Monique
Pour moi, c'était un intellectuel au sens noble du terme. C'est un penseur et un grand écrivain ; il nous a ouvert l'esprit. Bref, j'ouvre en grand.

Claire
Quand j'ai pris Roland Barthes par Roland Barthes dans ma bibliothèque, je me suis demandé pourquoi j'avais autant de livres de et sur Roland Barthes. J'ai retrouvé des notes de cours datant de sur Le Plaisir du texte, sans doute est-ce ainsi que je l'ai découvert. Je suppose qu'après j'ai fait partie de ces lecteurs et spectateurs fascinés par sa personne, d'où tous ces livres et quantité de vieilles coupures de journaux, y compris une interview dans Playboy de 1977 que j'avais donc acheté… J'ai aussi le livre cruel et si réussi de pastiches Le ROLAND-BARTHES sans peine. J'avais pour référence dans les relations amoureuses le couple Simone de Beauvoir-Sartre et le NVS (non-vouloir-saisir)… dans Fragments d'un discours amoureux. Il y a eu plein de manifestations à l'occasion du centenaire et je suis allée à la Maison de la poésie à la soirée de clôture (se prolongeant tard dans la nuit pour attendre qu'il ait juste cent ans) - j'ai adoré cette soirée de bartholatres, de barthomania. Je suis également allée plus sérieusement - d'ailleurs elle n'était pas à la soirée d'idolâtres - à une rencontre à l'Odéon avec la biographe Tiphaine Samoyault, très intéressante, à qui la question a été posée de la place de Barthes aujourd'hui à l'Université : il est peu étudié comme théoricien, c'est l'écrivain qui maintenant intéresse. Mais je n'ai pas encore dit un mot du livre.

Jacqueline
J'allais le dire !
Claire entreet
J'ai été partagée entre l'exaspération et la séduction. L'exaspération du jargon, de l'obscurité - je ne trouve pas que c'est difficile à comprendre, je trouve que parfois ça ne veut rien dire !

Rozenn
T'as un exemple ?

Claire
Non... A certains moments, ça frise le ridicule. Et le livre de pastiche ne le rate pas (y compris des photos pastiches, tordantes), montrant bien comment à force de charger la phrase elle devient obscure, c'est rigolo. Parfois, le texte frise le rien ou la prétention, et la sensibilité le maniérisme. Le passage que tu as lu sur la mouche et le libéralisme, Jacqueline, m'agace. Je trouve ça pire dans la première partie du livre - à moins que je me sois habituée - et ça gâche le plaisir. L'essai de se définir par des fragments est intéressant (c'est joli quand il dit "Écrire par fragments : les fragments sont alors des pierres sur le pourtour du cercle : je m'étale en rond : tout mon petit univers en miettes ; au centre, quoi ?"), mais je trouve comme Lisa qu'il en dit assez peu sur soi, du fait de l'implicite, d'une sorte d'entre-soi, des références. La table des matières par exemple m'énerve, avec des sortes de chapitres qui n'apparaissent pas au fur et à mesure des fragments et dont la logique m'échappe ; je n'avais pas même pas vu l'alphabet. Il change de pronom dans le même paragraphe, comme Jaume Cabré : c'est bien plus convaincant dans Jaume Cabré, mais RB reste précurseur ; de même pour les anamnèses, Perec, avec ses "je me souviens", aurait pu en 1978 rendre hommage à Barthes.
Je parlais de gâcher le plaisir, car PLAISIR IL Y A : plaisir du jeu, des bonheurs d'écriture, de la sensibilité et de la pensée qui renvoient à sa propre sensibilité, à sa propre réflexion. Et les bonheurs d'écriture ce ne sont pas que des effets de style, c'est bonheur de la forme et du contenu : j'adore le récit de la côtelette et la Papillonne. Un art de vivre affleure (dans son emploi du temps), un sens du second degré ("Le second degré est aussi une façon de vivre"). Il y a des moments délicieux qui donnent plaisir de la langue et plaisir de la pensée : quand, dans les amphibologies, il donne à sentir la jouissance de la langue, quand il s'interroge le plaisir de pisser dans le jardin ("Qu'est-ce que ça veut dire ?"), la différence d'état en train ou en avion. J'ai pensé à nous quand il parle de la lecture : "Quand je lis, j'accommode : non seulement le cristallin de mes yeux, mais aussi celui de mon intellect, pour capter le bon niveau de signification (celui qui me convient)." Très intéressant aussi ce qu'il dit des échanges sur le temps avec la boulangère : on peut parler du temps qu'il fait, mais quand on parle de la lumière…

Fanny
... cela renvoie à la classe sociale.

Claire
La différence auteur/narrateur est plus que jamais en jeu dans ce livre et je ne me prive pas d'aimer l'homme qui se trouve être l'auteur et l'objet du livre.
Fanny
Je suis très partagée. J'ai compris une infime partie. Je suis agacée. Les photos, c'est accrocheur, elles sont jolies et j'ai été touchée notamment par le texte qui accompagne les portraits des grands-pères. Le reste est ardu. J'ai été jusqu'au bout, mais avec l'envie de le poser. C'est un mélange de plaisir et déplaisir. Il y a l'envie de découvrir une idée ; mais quand on attrape une idée, on passe à autre chose ; les idées "attrapées" m'ont donné l'envie d'en débattre plus longuement pour essayer justement d'en comprendre davantage. L'autoportrait fragmenté, c'est original. C'est impossible de résumer ce livre. Des réactions mêlées donc, qui me font ouvrir "à moitié".
Annick A
Le texte sur les photos, j'ai passé, cela ne m'a pas intéressée. Les anamnèses ne m'ont pas passionnée, j'ai passé. Plus je suis entrée dans le livre, plus j'ai aimé. C'est beaucoup plus difficile que Fragments d'un discours amoureux qui est plus accessible. J'ai été agacée parce que c'est centré sur lui, c'est incompréhensible ; alors que si je ne comprends pas, cela ne me gêne pas. Et pourtant j'avais plaisir à retrouver ce livre. C'est en fait le plaisir des mots. Et j'aime tout ce qu'il dit sur la langue. C'est comme une partition, avec le pouvoir magique du signifiant. J'ai entendu dans un séminaire Hélène Cixous parler du pouvoir des mots porteurs de sens, c'est tout-à-fait ça. J'étais saisie du pouvoir de ces mots que je ne comprenais pas. Il parle de son amour des mots et de la langue. Il dit dans "La chambre d'échos" que le nom "garde avec son système d'origine un cordon qui n'est pas coupé mais qui reste : tenace et flottant. La raison de cela est sans doute qu'on ne peut en même temps approfondir et désirer un mot : chez lui, le désir du mot l'emporte, mais de ce plaisir fait partie une sorte de vibration". Et le plaisir de la jouissance intellectuelle dont parle ce livre ("L'idée comme jouissance"), je l'ai ressenti.
Il y a de l'humour (avec la côtelette) ou encore quand, dans "Les idées méconnues", il dit à propos du fait que "l'on écrit pour être aimé" : "on me rapporte que M.D. a trouvé cette phrase idiote ; elle n'est en effet supportable que si on la consomme au troisième degré ; conscient de ce qu'elle a été d'abord touchante, et ensuite, imbécile, vous avez enfin la liberté de la trouver peut-être juste (M.D. n'a pas su aller jusque là)."
On voit Barthes : la personne, les idées dont les idées politiques. J'aime beaucoup l'homme.

J'ai aimé ce qu'il dit de la doxa.
Je vous livre une anecdote : je lisais sur le bord de la piscine où j'accompagne ma petite fille : et je m'endors en lisant Barthes. Quand je me réveille, l'homme qui s'occupe du groupe d'enfants, une sorte d'appariteur, me dit qu'effectivement Barthes est un auteur qui peut parfois endormir et il me conseille de lire Mythologies !... J'avoue être restée abasourdie par une telle intervention qui dérangeait mes stéréotypes et venait à point nommé illustrer la doxa que dénonce Barthes. J'en suis restée sans voix. La prochaine fois que je le vois je le questionnerai d'avantage...
Françoise D
Je n'avais rien lu de Barthes et le livre m'est tombé des mains : c'est plat, pas intéressant. Il y a un parallèle entre plaisir de la lecture et jouissance : pour moi, ni plaisir ! Ni jouissance ! J'ai été plus intéressée par ce que j'ai pu entendre que par ce qu'il écrit, par exemple l'émission d'Apostrophes avec Françoise Sagan et l'auteure (qui n'a aucune chance d'être programmée ici...) de Marquise des anges, Barthes étant très à l'aise avec tout ce monde-là... Livre fermé !

Manuel
Ça m'est tombé des mains, mais ce que le dit le groupe me donne envie de continuer la lecture. J'aime ce qu'il dit sur la musique, le toucher. Moi ça me pose problème d'aimer quelque chose qu'on ne comprend pas. Il y a une espèce de progression des fragments, c'est un livre qu'on lit deux fois. Il a une plume que j'aime beaucoup. Tout ça pour ça ? A quoi ça sert ? C'est un jeu qui m'a fait penser à Alain Delon dans les Guignols qui parle de lui aussi à la troisième personne... La façon de travailler de Barthes m'intéresse.

Rozenn (reformulant son avis après la séance)
En reprenant Roland Barthes par Roland Barthes dans ma bibliothèque pour le feuilleter dans les transports avant de venir, j'ai été étonnée de tout ce que je devais à ce livre en particulier, à Roland Barthes pour mon travail.
J'avais arrêté de le lire après la parution de fonds de tiroir posthumes - ce que j'avais jugé comme une ignominie et qui m'avait empêchée de le relire. Je ne pouvais plus ensuite séparer l'œuvre de ce que ce livre montrait de l'homme : j'y ai lu pédophilie et prostitution. Et j'ai été littéralement et profondément choquée. Je me suis souvenue de ce choc et cette rupture quand Monique a mentionné ce livre, Incidents. Depuis, je l'ai relu et je persiste dans ma lecture. Et je me demande toujours : que peut-on publier (moralement) après la mort d'un auteur ? Écrire dans RB par RB qu'il avait l'intention de publier des fragments ne signifie pas qu'ils étaient prêts pour la publication, ni que l'auteur aurait choisi ceux-là (voir "L'auteur et le droit au respect, par Antoine Compagnon). Et pourtant, c'est bien parce que sa volonté a été outrepassée qu'on peut lire tout Kafka…
Je n'aurais pas choisi ce livre pour le groupe lecture, mais il pose encore une fois la question de l'auteur : peut-on vraiment ne pas "lire un auteur" ? "Je ne lis pas un texte comme s'il était sans auteur" dit Compagnon. Surtout quand RB dans RB joue sur ce trouble en donnant à lire son personnage (voir la 2e de couverture du livre) comme lui-même (le titre) et propose ainsi, pas seulement un "auteur construit", mais un "ethos construit" très complexe, montré/caché… en dehors des règles de la collection, comme une pirouette.

Claire (après la séance)
C'est quoi l'"ethos", gloups ?

Rozenn
Cela renvoie à la (re)présentation de soi qu'on cherche à donner dans son discours (voir Wikipédia et un numéro de L'Education permamente).

Claire (après consultation)
Voici un extrait de Wikipédia et aussi des propos de Barthes sur l'ethos qui rappellent notre livre, l'éthos consistant entre autre à dire "je suis ceci, je ne suis pas cela" : .
Sur Incidents, à mon avis si pédophilie il y avait, il ne serait plus en vente. Voici des articles de proches de Barthes sur ses publications posthumes dont Incidents ICI.
Serge d'Avignon (avis transmis)
Merci de m'avoir permis cette nouvelle lecture tant désirée de ce livre ! Qui provoque des anamnèses, au sens où Barthes l'entend : c'est à dire une "remontée volontaire de la mémoire" (pour cet avis) et non "la madeleine" de Proust où le souvenir est provoqué par un élément extérieur.
Anamnèse : Tout ce qu'Élisabeth Barbier* m'a dit de leur folle nuit, au restaurant, à Avignon, hiver 1953 pour préparer la conférence que Barthes donnera en avril 1954 au TNP : leur religion commune, le protestantisme, le livre à venir, leur passion pour le théâtre.
Anamnèse : A l'hôtel, près d'Hayworth, à 23h30, où le domestique m'oblige à tremper mon after eight dans le bol de thé fumant qu'il m'a apporté tandis qu'à la télévision, en anglais, dans Les sœurs Brontë, on voit Roland Barthes, à la fin, garder les mains de Marie-France Pisier (Charlotte) dans les siennes et lui proposer de "monter dans sa loge". Quelle belle proposition entre amoureux de théâtre et écrivains...
Anamnèse : "J'aime, je n'aime pas" : j'en ai fait écrire des générations d'enfants pendant les 13 ans où j'ai été l'animateur bénévole de l'association "Voyage en Lectures".
Alors Claire va dire : "Tu aimes ou tu aimes pas ?" J'aime. J'aime. J'aime. Aussi important que la Bible ou le Coran, c'est LE livre à emporter sur une île déserte. A condition d'y avoir beaucoup de papier et des tonnes de stylos : il y a des propositions d'écriture à toutes les pages, si on s'arrête à un seul mot, on peut écrire des mois entiers, avec ce livre, une vie n'y suffira pas ! Par exemple l'anamnèse, le J'aime, je n'aime pas et le mot-mana.
*Serge a écrit une biographie d'Élisabeth Barbier.

 

Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :

à la folie, beaucoup, moyennement, un peu, pas du tout



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