La quatrième de couverture : "Il supporte
mal toute image de lui-même, souffre dêtre nommé.
Il considère que la perfection dun rapport humain tient à
cette vacance de limage : abolir en soi, de lun à lautre,
les adjectifs ; un rapport qui sadjective est du côté
de limage, du côté de la domination, de la mort."
En 1975 sortait au Seuil, dans la collection "Écrivains
de toujours", Roland Barthes par Roland Barthes. Véritable
événement (comment Barthes allait-il se sortir de lexercice
autobiographique ?), cet autoportrait sest imposé comme
un livre culte.
Roland Barthes (1915-1980)
Sémiologue, essayiste, il a élaboré
une pensée critique singulière, en constant dialogue avec
la pluralité des discours théoriques et des mouvements intellectuels
de son époque, tout en dénonçant le pouvoir de tout
langage institué. Il est notamment lauteur du Degré
zéro de lécriture (1953) et de Fragments dun
discours amoureux (1977).
Roland Barthes par Roland Barthes est traduit
en anglais sur le site The
Charnel-House, avec d'autres livres de R.B. : ICI
Photo de Roland Barthes ci-dessus extraite du site The
Charnelhouse :
ICI
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Roland Barthes par Roland Barthes
Nous avons lu ce livre en février 2016.
Comment est né le livre, publié
en 1975 ? "Tout
commence le 19 septembre 1972 par un déjeuner rue Jacob où
l'on parle de la collection "Écrivains de toujours" et
où son directeur depuis 1970, Denis Roche, lance sous forme de
boutade qu'il serait plaisant de demander à un écrivain
vivant de faire vraiment "Untel par lui-même". Barthes
dit aussitôt qu'il trouverait amusant de relever le défi."
Pour voir ce que Tiphaine
Samoyault dit d'autre sur
Roland Barthes par
Roland Barthes dans sa biographie
de référence sur Barthes de 2015,
allez ICI (et
pour consulter les 40 premières pages de cette
biographie : LÀ).
Pour augmenter encore le vertige de
la mise en abyme, La Quinzaine littéraire publie en mars
1975 "Barthes puissance 3" : Roland
Barthes écrit la critique sur le livre Roland Barthes par Roland
Barthes, à laquelle s'ajoutent les commentaires de Maurice
Nadeau qui dirige La Quinzaine littéraire et qui a commandé
à R.B. cette critique (pour voir ce document, dégoté
puis copié sur microfilm... allez
ICI).
Un article savant permet de plonger
dans "les
manuscrits de Roland Barthes par Roland Barthes, style et genèse",
d'Anne Herschberg Pierrot,
Institut des Textes et Manuscrits Modernes (CNRS, 2002)
Pour goûter et picorer, voici
des fragments de Roland Barthes par Roland Barthes auxquels
nous nous référons ci-dessous :
- La
côtelette
- La
papillonne
- Emploi
du temps
- Le
temps qu'il fait
-
J'aime, je n'aime pas
- Anamnèses
- Amphibologies
- Je
vois le langage
- L'écriture
commence par le style
-
Qu'est-ce que l'influence ?
-
Qu'est-ce que ça veut dire ?
- L'idée
comme jouissance
- Doxa/paradoxa
- Le
vaisseau Argo
- Pluriel,
différence, conflit
- Éloge
ambigu du contrat
- Violence,
évidence, nature - Exclusion
- Hétérologie
et violence
Et, parce que notre soirée lecture
se déroulait exceptionnellement au pied de la Tour Eiffel...
- La Tour Eiffel
selon Roland Barthes.
Un peu de futilité... :
- pour connaître le rapport de Barthes
au tricot
: ICI
(interview du Monde de 1979)
- pour le centenaire de sa naissance,
le timbre Roland Barthes : LÀ
- le foulard Hermès Roland Barthes (pour
hommes) : OUI
!
- et pour les midinets et midinettes littéraires : un potin fondant
sur les amours de Barthes, littéraires
forcément : ICI
!
- un extrait du livre de pastiche Le Roland-Barthes sans peine :
sommaire + une
leçon :
comment dire en R.B. jai de la peine à me lever le
matin...)
Bien sérieux, le
site de référence consacré uniquement à Roland
Barthes : http://roland-barthes.org/
Pour
entendre et voir Roland Barthes en vidéo :
ICI.
Pour entendre en parler ceux qui l'aiment et le
connaissent : LÀ
Reproduit sur la couverture
du livre,
le dessin de Roland Barthes "Souvenir de Juan-les-Pins" a
été réalisé l'été
1974 dans la maison de
Daniel Cordier. On
peut voir la présentation
des dessins de Roland Barthes sur le site de la
BNF : ICI
Annick L (avis transmis)
Dossier passionnant, avec en particulier (interview qui évoque
le tricot) une réflexion très personnelle sur le rapport
à la "paresse" dans notre société qui permet
de la considérer sous un angle inédit (c'est ce qui m'intéresse
tant chez Barthes, comme un effet de surprise permanent), l'analyse de
son "uvre" plastique (méconnue), un exercice brillant
de double mise en abyme sur ses écrits (Barthes "critiquant"
un livre de Barthes sur lui-même... il faut le faire !). Je
ne peux malheureusement pas être des vôtres et je le regrette
drôlement (Barthes a été l'un de mes "maîtres"
à penser dans ma jeunesse et je le relis encore avec intérêt).
Je suis sûre que les échanges seront très riches.
Geneviève (avis transmis)
Bon, je crois que j'abandonne. J'ai acheté le livre, je l'ai lu,
je l'avoue, très vite. Et j'ai commencé à imaginer
les commentaires acerbes et ironiques. Comme Barthes fait partie des souvenirs
les plus chers de mon adolescence, je n'ai pas envie de voir détruites
mes illusions, une fois de plus. En fait, j'avais surtout été
passionnée par S/Z,
une analyse d'une nouvelle de Balzac, qui m'avait montré qu'il
existait autre chose que les indigestes et surtout stériles paraphrases
et exégèses qu'on m'avait appris à faire depuis le
lycée. J'avais aussi beaucoup aimé Fragments
d'un discours amoureux, beaucoup plus accessible. A mon avis,
Roland Barthes par Roland Barthes est réservé aux
inconditionnels qui veulent tout savoir de leur idole... donc, pour ce
soir, je préfère préserver mes souvenirs. Bonne discussion,
que j'imagine déjà assez féroce !
Brigitte (avis transmis)
J'ai lu Barthes par Barthes, c'est très intelligent et très
intéressant, mais je ne suis pas capable d'émettre un avis.
En effet, c'est trop décousu, ça passe d'un sujet à
l'autre (toujours autour des mots). Quand je lis un fragment, je pense
que je devrais m'y arrêter plusieurs heures pour vraiment comprendre,
ce que je ne fais pas ; je passe à un autre fragment et le
problème est le même...
Nathalie (avis transmis)
Il y a quelque chose de rassurant dans l'échange au sein du groupe,
c'est que je vais pouvoir me rendre compte, une fois les commentaires
publiés, si j'ai été la seule à être
en sérieuse difficulté. L'exercice aura eu au moins le mérite
de me placer dans la position de celui qui ne comprend rien à ce
qu'il lit. C'est toujours intéressant d'être ainsi déstabilisé,
ça permet de comprendre la nécessité d'être
clair dans ses propos. Ma lecture s'est faite au sein d'un brouillard
permanent épais et obscur. Tout m'a semblé jargonnant, prétentieux
et autocentré. Les mots que je ne comprenais pas, je n'ai pas eu
envie de les noter contrairement à ceux si riches de Julien Gracq.
Si parfois, mon cerveau a perçu quelques éclats de sens
et s'y est agrippé coûte que coûte*, lire ce texte
de Barthes a été pour moi un véritable pensum et
j'ai lâché à la moitié. Certaines idées
m'ont fait sursauter comme par exemple la façon dont il envisage
la prostitution comme un contrat équilibré ("Éloge
ambigu du contrat") et son rapport à l'homosexualité
(plusieurs fois mentionnée et que j'ai cru comprendre qu'il considérait
comme une perversion). Et quand il s'essaie à l'humour (?) par
exemple à l'article "La
côtelette", on ne sourit qu'à moitié surtout
quand il jette son os par dessus le balcon. Il n'y a qu'un seul article
que j'ai apprécié, c'est l'article sur "Pluriel,
différence, conflit". Mais là encore, comme R.B.
cite Freud, je ne sais à qui attribuer les mots suivants :
"Un peu de différence mène au racisme. Mais beaucoup
de différences en éloignent irrémédiablement."
Bref, pour moi, c'est du gaspillage de temps, une coquetterie d'artiste
en vogue et je ferme le livre complètement.
Jacqueline
Je croyais ne connaître Barthes que par ouï-dire et ne jamais
avoir rien lu de lui. J'ai été très intéressée
par les photos (le grand dadais pendu au cou de sa mère ou la bonne
grand-mère, comme on en a tant connues...) et les souvenirs d'enfance
à Bayonne (le parfum ou l'accent, la nostalgie d'un Sud-Ouest familier...),
l'ironie du rapport texte/image (avec par exemple ces
illustrations ou ce contre-pied)
qui tracent effectivement un portrait, et ce pour arriver à une
définition
de l'écriture...
Et puis, après les photos, j'ai été surprise de la
forme : des fragments que j'ai d'abord cru rassemblés par
ordre alphabétique comme dans le beau
livre de Monique. Par contre, que Barthes parle de lui à la
troisième personne ne m'a pas surprise : cela m'évoquait
plutôt un discours intérieur, un mode de distanciation familier
à l'enfant grand lecteur qui pense à lui comme au héros
d'un roman... Ensuite, rapidement, j'ai commencé à n'y rien
comprendre : plus d'ordre alphabétique ! Sens qui m'échappe !
Indépendamment, me semble-il, des mots bizarres comme asyndète
ou anacoluthe dans "L'écriture
commence par le style" : en reparcourant je ne retrouve
pas une autre énumération des figures de style et je crains
de confondre (il y a plus de 25 ans, je tentais de lire le texte d'un
séminaire de Lacan, qui en citait une longue liste et, pour comprendre,
j'avais cherché dans le dictionnaire chaque définition.
Comme je n'arrivais pas plus à la retenir qu'à la distinguer
des autres, j'avais fini par renoncer à comprendre rationnellement
pour me laisser bercer par la musique du texte en espérant qu'il
m'en resterait quelque chose !) Avec Barthes, je n'ai donc même
pas pris le dictionnaire. J'ai continué... J'arrive au discours
esthétique, à "Violence,
évidence" et à "L'exclusion" :
non seulement je crois comprendre, mais je suis séduite, je
deviens le "il" de Barthes, je pourrais apprendre par cur
ces fragments, en tout cas les recopier. Même chose avec "Hétérologie
et violence"... Cela me parle.
Denis
Je suis assez déçu. J'avais trouvé drôles les
Mythologies. Là, j'ai l'impression d'un canular. La
troisième personne me paraît totalement artificielle. Je
n'ai eu aucun plaisir à lire. J'ai aimé les photos. J'en
ai soupé de ses théories ; j'aime mieux les écrits
de Todorov ; ou Greimas, sémioticien aussi. C'est un mauvais
livre, un repoussoir de Barthes.
Richard
Les photos n'ont rien de spécial, premier inconvénient.
Je n'avais pas de dictionnaire sous la main, deuxième inconvénient.
Il m'aurait fallu un prof de philo et du temps pour digérer ce
que je lisais, une fois les premières images passées. J'ai
fait une spécialité de philo française à la
fac, et je trouve Barthes par Barthes aussi difficile que les Données
Immédiates de Bergson... (mais je n'ai jamais bien maîtrisé
la sémiologie...). J'ai pioché pour comprendre, mais non...
ça me dépasse.
Liz
Honnêtement je l'ai trouvé très difficile. La complexité
de la théorie de littérature m'a perdue. J'ai trouvé
une copie en ligne en
anglais, mais je ne peux même pas la comprendre ! Mais lentement,
j'ai commencé à l'apprécier. J'aimais que ce n'était
pas possible pour Roland Barthes de séparer la théorie de
la littérature de son sens de lui-même ; elle était
enracinée avec son existence.
- J'aimais ses insécurités : par exemple son besoin
d'attaquer les critiques avant la publication de son livre ; en réponse
au fait que le livre est une collection de pensées sans ordre,
il dit "l'incohérence est préférable à
l'ordre qui déforme" ; il reconnaît qu'il a été
souvent fiché sous l'accusation intellectualiste.
- J'aimais ses descriptions : l'amitié ("De même
que l'on décompose l'odeur de la violette ou le goût du thé,
quelques éléments dont la combinaison subtile produit toute
l'identité de la substance, de même il devinait que l'identité
de chaque ami tenait à une combinaison délicatement dosée
et des lors absolument originale"), le fantasme ("un
petit roman de poche" que "l'on peut ouvrir partout sans
que personne n'y voie rien"), l'expression "je t'aime"
("on naurait pas besoin de dire ce mot, si ce nétait
pas obscurcir, comme la seiche fait de son encre, léchec
du désir sous lexcès de son affirmation").
- J'aimais aussi beaucoup l'introduction que ce livre m'a apportée
à la French culture et à son histoire : les cafés
(le Flore, le Bonaparte), les gens auxquels il se réfère
(Gide, Proust, Michelet, les fouriéristes, la "grammaire sadienne") : je
m'en suis ainsi familiarisée.
- Il a jugé, et je l'ai apprécié, que les contenus
intellectuels étaient très lourds et il a essayé
d'introduire des "objets sensuels" pour aider le lecteur,
comme Werther qui, dans le discours de l'essai, passe de temps à
autre à un objet sensuel, par exemple "les petits pois
cuits au beurre"...
- Il est un homme isolé : son exclusion sévère en
raison de son homosexualité mais aussi parce que "l'écriture
est une jouissance sèche". Il faut passer beaucoup de
temps seul pour avoir les pensées si profondes !
- Juste une observation : Barthes parle beaucoup de moralité,
peut-être en résultat de son homosexualité. J'ai cherché
un peu sur les personnages de littérature dont un, Gide, était
une des grandes influences sur Barthes ("how could he have failed
to recognize himself, to desire himself in this writer ?). Gide
était aussi homosexuel : il a pris un garçon de 15
ans comme amour (quand Gide avait plus que le double de son âge) ;
puis il l'a adopté ; ce garçon était son témoin
de mariage. Puis Gide a eu un baby avec la fille de sa meilleure amie !...
Lisa
J'ai lu Mythologies
que j'ai bien aimé même si c'est parfois daté (Minou
Drouet par exemple...). Dans Roland Barthes par Roland Barthes,
j'ai aimé les photos, le texte en regard, puis après, je
n'ai rien compris. Dans les passages théoriques, ce n'est pas de
lui dont il parle : je n'apprends rien sur lui. Il représente
l'intellectuel bobo, de gauche. C'est trop pompeux, je ferme le livre !
Monique L
J'ai lu Fragments d'un discours amoureux. Le
degré zéro de l'écriture m'a échappé.
Et avec mon mari qui aime Barthes !... Là je ne suis pas allée
jusqu'au bout, c'est obscur, où veut-il aller ? Ça
me barbe. Des instants sont intéressants, mais je reste dans l'incompréhension.
Oui, c'est pompeux, nombriliste, surfait. J'ouvre ¼ car quelques
choses ouvrent à la réflexion.
Monique S
Je suis une inconditionnelle. Barthes est pour moi un phare. C'est toute
une époque : il y avait Lévi-Strauss,
Foucault, Barthes. Il nous a appris à penser. C'était
une époque de paix où on interrogeait nos habitudes de pensée.
Il a une culture très littéraire, une réflexion sur
la langue. Il était seul dans l'université...
Claire
... il n'était pas "dans" l'université...
Monique
... à l'école des Hautes études. Sa nouvelle
critique de Racine fut une révolution. Il a été honni
par bien les universitaires traditionnels. On ne pense plus la littérature
de la même manière depuis son passage. Quand il parle de
la "doxa"
- les stéréotypes, les habitudes de pensée conventionnelles -
il soulève comme une pellicule de cellophane, et montre en dessous
ce qui vit, ce qui vibre. J'aime ce qu'il dit sur la littérature :
il veut un "je" vivant, avec un corps, un désir.
Barthes a un goût spécial pour les glissements : il
part sur une idée connue, puis pousse à autre chose. Et
les mots qui ont deux sens, les amphibologies...
Bien sûr, je n'ai pas tout compris, mais cela ne m'a pas dérangée
; c'est comme dans la poésie, il faut accepter de ne pas tout comprendre.
J'aime son goût pour le fragment, et tout particulièrement
certains comme "La
Papillonne", "Le
Vaisseau Argo" changé entièrement sans que sa forme
n'ait été modifiée. Dans les ateliers d'écriture,
on a beaucoup travaillé à partir de ses écrits :
"J'aime,
je n'aime pas", les anamnèses,
le mot-mana...
J'ai lu aussi Incidents,
Mythologies, L'Empire
des signes.
Rozenn
Incidents, un livre qui m'a choquée en raison de la pédophilie !
Monique
Pour moi, c'était un intellectuel au sens noble du terme. C'est
un penseur et un grand écrivain ; il nous a ouvert l'esprit.
Bref, j'ouvre en grand.
Claire
Quand j'ai pris Roland Barthes par Roland Barthes dans ma bibliothèque,
je me suis demandé pourquoi j'avais autant de livres de et sur
Roland Barthes. J'ai retrouvé des notes de cours datant de sur
Le
Plaisir du
texte, sans doute est-ce ainsi que je l'ai découvert. Je
suppose qu'après j'ai fait partie de ces lecteurs et spectateurs
fascinés par sa personne, d'où tous ces livres et quantité
de vieilles coupures de journaux, y compris une interview dans Playboy
de 1977 que j'avais donc acheté
J'ai aussi le livre cruel
et si réussi de pastiches Le
ROLAND-BARTHES sans peine. J'avais pour référence
dans les relations amoureuses le couple Simone de Beauvoir-Sartre et le
NVS (non-vouloir-saisir)
dans Fragments
d'un discours amoureux. Il y a eu plein de manifestations à
l'occasion du centenaire et je suis allée à la Maison de
la poésie à la soirée
de clôture (se prolongeant tard dans la nuit pour attendre qu'il
ait juste cent ans) - j'ai adoré cette soirée de bartholatres,
de barthomania. Je suis également allée plus sérieusement
- d'ailleurs elle n'était pas à la soirée d'idolâtres
- à une rencontre
à l'Odéon avec la biographe Tiphaine Samoyault, très
intéressante, à qui la question a été posée
de la place de Barthes aujourd'hui à l'Université :
il est peu étudié comme théoricien, c'est l'écrivain
qui maintenant intéresse. Mais je n'ai pas encore dit un mot du
livre.
Jacqueline
J'allais le dire !
Claire entreet
J'ai été partagée entre l'exaspération et
la séduction. L'exaspération du jargon, de l'obscurité
- je ne trouve pas que c'est difficile à comprendre, je trouve
que parfois ça ne veut rien dire !
Rozenn
T'as un exemple ?
Claire
Non... A certains moments, ça frise le ridicule. Et le livre de
pastiche ne le rate pas (y compris des photos pastiches, tordantes), montrant
bien comment à force de charger la phrase elle devient obscure,
c'est rigolo. Parfois, le texte frise le rien ou la prétention,
et la sensibilité le maniérisme. Le passage que tu as lu
sur la mouche
et le libéralisme, Jacqueline, m'agace. Je trouve ça
pire dans la première partie du livre - à moins que
je me sois habituée - et ça gâche le plaisir.
L'essai de se définir par des fragments est intéressant
(c'est joli quand il dit "Écrire par fragments : les
fragments sont alors des pierres sur le pourtour du cercle : je m'étale
en rond : tout mon petit univers en miettes ; au centre, quoi ?"),
mais je trouve comme Lisa qu'il en dit assez peu sur soi, du fait de l'implicite,
d'une sorte d'entre-soi, des références. La table des matières
par exemple m'énerve, avec des sortes de chapitres qui n'apparaissent
pas au fur et à mesure des fragments et dont la logique m'échappe
; je n'avais pas même pas vu l'alphabet. Il change de pronom dans
le même paragraphe, comme Jaume Cabré : c'est bien plus convaincant
dans Jaume Cabré, mais RB reste précurseur ; de même
pour les anamnèses,
Perec, avec ses "je
me souviens", aurait pu en 1978 rendre hommage à Barthes.
Je parlais de gâcher le plaisir, car PLAISIR IL Y A : plaisir
du jeu, des bonheurs d'écriture, de la sensibilité et de
la pensée qui renvoient à sa propre sensibilité,
à sa propre réflexion. Et les bonheurs d'écriture
ce ne sont pas que des effets de style, c'est bonheur de la forme et du
contenu : j'adore le récit de la
côtelette et la Papillonne.
Un art de vivre affleure (dans son emploi
du temps), un sens du second degré ("Le second degré
est aussi une façon de vivre"). Il y a des moments délicieux
qui donnent plaisir de la langue et plaisir de la pensée :
quand, dans les amphibologies,
il donne à sentir la jouissance de la langue, quand il s'interroge
le plaisir de pisser dans le jardin ("Qu'est-ce
que ça veut dire ?"), la différence d'état
en train
ou en avion. J'ai pensé à nous quand il parle de la
lecture : "Quand je lis, j'accommode : non seulement le cristallin
de mes yeux, mais aussi celui de mon intellect, pour capter le bon niveau
de signification (celui qui me convient)." Très intéressant
aussi ce qu'il dit des
échanges sur le temps avec la boulangère : on peut parler
du temps qu'il fait, mais quand on parle de la lumière
Fanny
... cela renvoie à la classe sociale.
Claire
La différence auteur/narrateur est plus que jamais en jeu dans
ce livre et je ne me prive pas d'aimer l'homme qui se trouve être
l'auteur et l'objet du livre.
Fanny
Je suis très partagée. J'ai compris une infime partie. Je
suis agacée. Les photos, c'est accrocheur, elles sont jolies et
j'ai été touchée notamment par le texte qui accompagne
les portraits des grands-pères. Le reste est ardu. J'ai été
jusqu'au bout, mais avec l'envie de le poser. C'est un mélange
de plaisir et déplaisir. Il y a l'envie de découvrir une
idée ; mais quand on attrape une idée, on passe à
autre chose ; les idées "attrapées" m'ont
donné l'envie d'en débattre plus longuement pour essayer
justement d'en comprendre davantage. L'autoportrait fragmenté,
c'est original. C'est impossible de résumer ce livre. Des réactions
mêlées donc, qui me font ouvrir "à moitié".
Annick A
Le texte sur les photos, j'ai passé, cela ne m'a pas intéressée.
Les anamnèses
ne m'ont pas passionnée, j'ai passé. Plus je suis entrée
dans le livre, plus j'ai aimé. C'est beaucoup plus difficile que
Fragments d'un discours amoureux qui est plus accessible. J'ai
été agacée parce que c'est centré sur lui,
c'est incompréhensible ; alors que si je ne comprends pas,
cela ne me gêne pas. Et pourtant j'avais plaisir à retrouver
ce livre. C'est en fait le plaisir des mots. Et j'aime tout ce qu'il dit
sur la langue. C'est comme une partition, avec le pouvoir magique du signifiant.
J'ai entendu dans un séminaire Hélène Cixous parler
du pouvoir des mots porteurs de sens, c'est tout-à-fait ça.
J'étais saisie du pouvoir de ces mots que je ne comprenais pas.
Il parle de son amour des mots et de la langue. Il dit dans "La chambre
d'échos" que le nom "garde avec son système
d'origine un cordon qui n'est pas coupé mais qui reste : tenace
et flottant. La raison de cela est sans doute qu'on ne peut en même
temps approfondir et désirer un mot : chez lui, le désir
du mot l'emporte, mais de ce plaisir fait partie une sorte de vibration".
Et le plaisir de la jouissance intellectuelle dont parle ce livre ("L'idée
comme jouissance"), je l'ai ressenti.
Il y a de l'humour (avec la
côtelette) ou encore quand, dans "Les idées méconnues",
il dit à propos du fait que "l'on écrit pour être
aimé" : "on me rapporte que M.D. a trouvé
cette phrase idiote ; elle n'est en effet supportable que si on la consomme
au troisième degré ; conscient de ce qu'elle a été
d'abord touchante, et ensuite, imbécile, vous avez enfin la liberté
de la trouver peut-être juste (M.D. n'a pas su aller jusque là)."
On voit Barthes : la personne, les idées dont les idées
politiques. J'aime beaucoup l'homme.
J'ai aimé ce qu'il dit de la doxa.
Je vous livre une anecdote : je lisais sur le bord de la piscine
où j'accompagne ma petite fille : et je m'endors en lisant
Barthes. Quand je me réveille, l'homme qui s'occupe du groupe d'enfants,
une sorte d'appariteur, me dit qu'effectivement Barthes est un auteur
qui peut parfois endormir et il me conseille de lire Mythologies !...
J'avoue être restée abasourdie par une telle intervention
qui dérangeait mes stéréotypes et venait à
point nommé illustrer la doxa que dénonce Barthes. J'en
suis restée sans voix. La prochaine fois que je le vois je le questionnerai
d'avantage...
Françoise D
Je n'avais rien lu de Barthes et le livre m'est tombé des mains
: c'est plat, pas intéressant. Il y a un parallèle entre
plaisir de la lecture et jouissance : pour moi, ni plaisir ! Ni jouissance !
J'ai été plus intéressée par ce que j'ai pu
entendre que par ce qu'il écrit, par exemple l'émission
d'Apostrophes
avec Françoise Sagan et l'auteure (qui n'a aucune chance d'être
programmée ici...) de Marquise des anges, Barthes étant
très à l'aise avec tout ce monde-là... Livre fermé !
Manuel
Ça m'est tombé des mains, mais ce que le dit le groupe me
donne envie de continuer la lecture. J'aime ce qu'il dit sur la musique,
le toucher. Moi ça me pose problème d'aimer quelque chose
qu'on ne comprend pas. Il y a une espèce de progression des fragments,
c'est un livre qu'on lit deux fois. Il a une plume que j'aime beaucoup.
Tout ça pour ça ? A quoi ça sert ? C'est
un jeu qui m'a fait penser à Alain Delon dans les Guignols qui
parle de lui aussi à la troisième personne... La façon
de travailler de Barthes m'intéresse.
Rozenn (reformulant son avis après la séance)
En reprenant Roland Barthes par Roland Barthes dans ma
bibliothèque pour le feuilleter dans les transports avant de
venir, j'ai été étonnée de tout ce que je
devais à ce livre en particulier, à Roland Barthes pour
mon travail.
J'avais arrêté de le lire après la parution de fonds
de tiroir posthumes - ce que j'avais jugé comme une ignominie
et qui m'avait empêchée de le relire. Je ne pouvais plus
ensuite séparer l'uvre de ce que ce livre montrait de l'homme :
j'y ai lu pédophilie et prostitution. Et j'ai été
littéralement et profondément choquée. Je me suis
souvenue de ce choc et cette rupture quand Monique a mentionné
ce livre, Incidents.
Depuis, je l'ai relu et je persiste dans ma lecture. Et je me demande
toujours : que peut-on publier (moralement) après la mort
d'un auteur ? Écrire dans RB par RB qu'il avait l'intention
de publier des fragments ne signifie pas qu'ils étaient prêts
pour la publication, ni que l'auteur aurait choisi ceux-là (voir
"L'auteur
et le droit au respect, par Antoine Compagnon). Et pourtant, c'est
bien parce que sa volonté a été outrepassée
qu'on peut lire tout Kafka
Je n'aurais pas choisi ce livre pour le groupe lecture, mais il pose encore
une fois la question de l'auteur : peut-on vraiment ne pas "lire
un auteur" ? "Je ne lis pas un texte comme s'il était
sans auteur" dit Compagnon. Surtout quand RB dans RB joue
sur ce trouble en donnant à lire son personnage (voir la 2e
de couverture du livre) comme lui-même (le titre) et propose
ainsi, pas seulement un "auteur construit", mais un "ethos
construit" très complexe, montré/caché
en dehors des règles de la collection, comme une pirouette.
Claire (après la séance)
C'est quoi l'"ethos", gloups ?
Rozenn
Cela renvoie à la (re)présentation de soi qu'on cherche
à donner dans son discours (voir Wikipédia et un numéro
de L'Education
permamente).
Claire (après consultation)
Voici un extrait de Wikipédia et aussi des propos de Barthes sur
l'ethos qui rappellent notre livre, l'éthos consistant entre autre
à dire "je suis ceci, je ne suis pas cela" :
LÀ.
Sur Incidents, à mon avis si pédophilie il y avait,
il ne serait plus en vente. Voici des articles de proches de Barthes sur
ses publications posthumes dont Incidents
ICI.
Serge d'Avignon (avis transmis)
Merci de m'avoir permis cette nouvelle lecture tant désirée
de ce livre ! Qui provoque des anamnèses, au sens
où Barthes l'entend : c'est à dire une "remontée
volontaire de la mémoire" (pour cet avis) et non "la
madeleine" de Proust où le souvenir est provoqué par
un élément extérieur.
Anamnèse : Tout ce qu'Élisabeth Barbier* m'a dit
de leur folle nuit, au restaurant, à Avignon, hiver 1953 pour préparer
la conférence que Barthes donnera en avril 1954 au TNP : leur religion
commune, le protestantisme, le livre à venir, leur passion pour
le théâtre.
Anamnèse : A l'hôtel, près d'Hayworth, à
23h30, où le domestique m'oblige à tremper mon after eight
dans le bol de thé fumant qu'il m'a apporté tandis qu'à
la télévision, en anglais, dans Les surs Brontë,
on
voit Roland Barthes, à la fin, garder les mains de Marie-France
Pisier (Charlotte) dans les siennes et lui proposer de "monter dans
sa loge". Quelle belle proposition entre amoureux de théâtre
et écrivains...
Anamnèse : "J'aime, je n'aime pas" : j'en ai fait
écrire des générations d'enfants pendant les 13 ans
où j'ai été l'animateur bénévole de
l'association "Voyage en Lectures".
Alors Claire va dire : "Tu aimes ou tu aimes pas ?" J'aime.
J'aime. J'aime. Aussi important que la Bible ou le Coran, c'est LE livre
à emporter sur une île déserte. A condition d'y avoir
beaucoup de papier et des tonnes de stylos : il y a des propositions d'écriture
à toutes les pages, si on s'arrête à un seul mot,
on peut écrire des mois entiers, avec ce livre, une vie n'y suffira
pas ! Par exemple l'anamnèse,
le J'aime,
je n'aime pas et le mot-mana.
*Serge
a écrit une biographie d'Élisabeth
Barbier.
Nos
cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :
à la folie, beaucoup,
moyennement, un peu, pas du tout
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