"Japon, 1614.
Le shogun formule un édit dexpulsion de tous les missionnaires
catholiques. En dépit des persécutions, ces derniers poursuivent
leur apostolat. Jusquà ce quune rumeur enfle à
Rome : Christophe Ferreira, missionnaire tenu en haute estime, aurait
renié sa foi. Trois jeunes prêtres partent au Japon pour
enquêter et poursuivre luvre évangélisatrice
|
Shûsaku Endô (1923-1996)
|
Denis,
Françoise D, Lisa
Brigitte,
Christian, Marithé, Nathalie
R, Séverine
Chantal, Claire, Fanny, Jacqueline, Monique L, Richard Entre etCatherine, Danièle Annick A, Christine, Édith, Émilie, Etienne, Monique M, Marie-Odile, Yolaine Entre etNathalie B Ana-Cristina, Anne-Marie, Audrey, Cindy, Claude, Françoise H, Valérie Impossible de se prononcer : Monique S, Rozenn |
Nous étions 9 pour visionner le film de Scorsese Silence, adapté du livre, avant de se retrouver film que d'autres avaient vu par ailleurs.
Des précisions transmises par
Monique S (que nous lisons avant de lire son avis)
En 1542, pour la première fois, un navire
portugais accoste au Japon. C'est le début de relations fructueuses
pour le Portugal. Les marchands sont suivis par des missionnaires jésuites.
Le premier est Saint François Xavier. Sa prédication rencontre
un immense succès : trente ans après son passage, on
compte 150 000 convertis et 200 églises, principalement
autour de Nagasaki.
En 1600, un navire hollandais accoste involontairement sur l'île
de Kyushu. Les Hollandais, de confession calviniste (protestante), tiennent
les catholiques pour des agents du diable et médisent sur eux auprès
des autorités.
Irrité, le shogun (général en chef) Leyasu interdit
le christianisme en 1612. Son fils et successeur Hidetada fait brûler
vif cinquante chrétiens à Edo en 1623.
Treize ans plus tard, le 22 juin 1636, par un décret du shogun
Tokugawa Iemitsu, le Japon se ferme aux influences étrangères.
Au XIXe siècle, les Occidentaux interviendront militairement pour
obliger le Japon à s'ouvrir au commerce international.
Claire ajoute : En ce moment, il y a une exposition au musée Guimet Meiji, Splendeurs du Japon impérial (1868-1912), qui raconte l'ouverture alors, ultra rapide, du Japon féodal à des formes de modernisme, après deux siècles de fermeture totale à l'Occident : c'est passionnant le démarrage de l'ère Meiji.
Monique S (avis transmis)
Cette lecture me fut une épreuve... Quelle noirceur ! Tout
se passe la nuit, en clandestinité, ou alors de jour mais dans
la nuit du cachot, de la prison. J'ai lu ce livre en ayant toujours l'impression
de manquer d'air, de souffle...
Je connaissais l'histoire des chrétiens au Japon. J'aurais aimé
que le roman présente cette histoire un peu en amont : le
peuple japonais était ouvert aux différentes religions,
accueillants, pensant trouver quelque chose de positif à apprendre,
à prendre chez les croyances des autres. Ils ont donc bien reçu
les chrétiens, les invitant comme membres d'honneur à leur
assemblée, dans leurs lieux de pouvoir, jusqu'à ce que les
chrétiens comme un cheval de Troie en place forte se mettent à
défier les pouvoirs en place, soutenant un autre shogun que celui
qui était en place, mettant à mal les dignitaires bouddhistes.
Les Japonais qui se sont sentis trahis et naïfs ont alors fait preuve
d'une violence implacable à leur égard, finissant par interdire
toute entrée d'étrangers sur leur sol.
Il nous est difficile de comprendre les Japonais, car nous mettons des
"ou" ou eux peuvent mettre des "et" sans aucun malaise.
Restés encore aujourd'hui très shintoïstes (animistes
si l'on veut), ils sont en grande partie bouddhistes (mais contrairement
à ce que l'on pourrait croire, pas tous du même bouddhisme,
qui présente de très nombreux courants) et parfois chrétiens,
sans que cela ne leur pose problème. Les Japonais disent en riant
d'eux-mêmes : "Un
Japonais naît shintoïste, il est chrétien quand il se
marie, mais il meurt bouddhiste." Je regrette que cela
n'apparaisse pas dans le roman. Je le trouve donc un peu réducteur,
comme les passages de comparaison trop faciles et trop répétées
entre le Christ et le prêtre. Et j'ai été souvent
agacée par la présentation des Japonais, toujours "petits",
"cruels" et "faux".
J'ai donc souffert tout au long du livre, de cette épreuve humaine
que traverse Rodrigues, mais aussi des scènes cauchemardesques
de torture et de mise à mort à petit feu des croyants dans
les vagues. Je n'ai pas compris le changement subit de personne ;
à un moment, le récit passe à la troisième
personne ; j'ai retourné les pages en arrière en me
demandant si j'avais raté quelque chose ? Après je
me suis dit qu'il est un moment où l'on ne peut plus suivre le
prêtre que "de l'extérieur", car en fait le prêtre
n'est-il pas convaincu dans sa foi lorsqu'il piétine la représentation
du Christ, et qu'enfin ! celui-ci lui parle et lui dit "Piétine-moi,
je suis venu pour que les hommes me maltraitent" ?
On ne voit donc son apostasie que de l'extérieur, par ses actes.
Mais qu'en est-il dans son for intérieur ? En fait, ce qui
m'intéresse dans le livre ce sont les dernières pages. Toute
la dernière partie laisse croire que le prêtre n'est plus
qu'une loque, mais lorsqu'on l'enterre, on découvre ici et là,
venus d'où ?, de mini-signes chrétiens, comme si son
apostasie l'avait "voilé" pour continuer en secret sa
prêtrise auprès du peuple japonais. J'aime bien que le "mystère"
subsiste à la fin... J'ai du mal à "noter" ce
livre.
Brigitte(avis
transmis)
Ce livre aborde un sujet dont j'ignorais tout. C'est bien écrit,
les descriptions de paysages sont plutôt réussies, mais on
observe de nombreux anachronismes, aussi bien dans le style que dans les
détails : la pomme de terre (encore inconnue en Europe au
XVIIe siècle), le "Notre père" (qui présente
une version qui date de la seconde partie du XXe siècle).
Contrairement au livre d'Anna Enquist, où
j'entrais très facilement dans les pensées de la femme de
James Cook, je n'ai pas du tout pu m'identifier au héros Sébastien
Rodrigues.
J'ai été contente de découvrir cet épisode
de l'histoire du Japon et des missions jésuites, mais finalement,
cela ne m'a pas beaucoup intéressée.
J'ouvre ¼, parce que, même si je n'ai pas aimé le
livre, il m'a fait découvrir un épisode de l'histoire du
Japon que j'ignorais absolument. De toute façon, je connais très
peu l'histoire du Japon.
Fanny(avis
transmis)
Je n'ai pas encore terminé le livre, j'irai jusqu'au bout mais
je dois dire que je peine à le reprendre à chaque fois que
je le pose.
Dès les premières pages, je me suis souvenue que j'avais
vu le film au cinéma lors de sa sortie. Je me rappelle un peu confusément
que j'étais ressortie avec un sentiment mitigé : bien
filmé, captivant mais
je ne sais plus au juste quels étaient
mes points de réserve, probablement que le film était un
peu long et peut-être aussi en raison de quelque chose insuffisamment
abouti pour ce qui est des personnages.
Toujours est-il que deux ans plus tard ce film continue d'envahir, voire
de parasiter ma lecture. Au fil des pages, la vision des scènes
me revient et je n'arrive pas à m'en détacher pour me centrer
sur l'écriture. Cela me ramène au film et au rapport à
l'image, Scorsese y excelle je trouve.
Mais quelle place cela laisse-t-il justement à la progression de
l'intrigue ? Finalement le devenir de Ferreira, le mystère
sur le fait qu'il ait ou non apostasié reste-t-il un élément
central ? Sur cette question, je me souviens que le film m'avait
laissée sur ma faim, le doute qui subsiste ne m'avait pas convaincu
d'un point de vue narratif. Peut-être la fin du livre est-elle différente ?
Cela me permettrait alors de dissocier le livre et le film qui restent
pour moi extrêmement proches à ce stade de ma lecture.
Difficile dans ces conditions de dire comment j'ouvre le livre, je vais
rester sur mes hésitations et mon ambivalence et l'ouvrir à
moitié.
Catherine
J'ai eu la même impression que Fanny. J'ai vu le film à sa
sortie, je l'ai trouvé très long. J'avais eu une sensation
de malaise lors du visionnage ; je ne l'avais pas aimé, mais
l'avais trouvé visuellement beau et très bien réalisé,
il m'avait marquée. Le film a beaucoup parasité ma lecture ;
les images me sont revenues en mémoire tout au long du livre. J'aurais
préféré la séquence inverse, mais si j'avais
lu le livre avant, je ne serais sans doute pas allée voir le film.
Le livre m'a paru long aussi. J'ai une impression mitigée. Il y
a beaucoup de thèmes : la foi, l'universalité des religions,
la compassion
Les Japonais sont décrits comme petits, crasseux ;
l'ensemble est très sombre. On ne se sent pas très bien.
Il y a beaucoup de références à la passion du Christ,
dans un parallèle avec le prêtre, et à Judas pour
Kichijiro. Le titre fait référence au silence de Dieu j'imagine
J'ai ressenti aussi une impression d'irréalité et absurdité
pour tous ces Japonais qui meurent pour une foi qui n'est pas la leur ;
on a envie qu'ils piétinent l'efumi tout de suite. Je ne peux pas
dire que j'ai vraiment aimé ce livre, mais je l'ai trouvé
intéressant, surtout la deuxième moitié, et marquant ;
il décrit très bien jusqu'à quel aveuglement a mené
la foi religieuse à cette époque. Je n'ai pas eu le sentiment
que l'auteur faisait l'apologie de l'évangélisation chrétienne,
plutôt l'inverse. Je l'ouvre aux trois quarts.
Des mines éloquentes
Ah quand même ?...
Catherine (après la soirée)
Les ¾ ne sont finalement pas très cohérents avec
l'avis, c'est plutôt entre ½ et ¾...
Etienne
De façon intéressante cette programmation fait suite à
ma lecture du Journal
d'un curé de campagne. Je projette prochainement de lire
du Mauriac.
Plusieurs
Ça tombe bien !
Etienne
Oui, ça fait écho. Le livre m'a touché, même
si j'ai eu des difficultés à le lire. Pour commencer, ce
genre de thème mintéresse énormément,
je trouve que la foi religieuse nest jamais aussi belle que lorsquelle
traverse un doute : luniversalité dune foi existe-t-elle ?
Est-il légitime de prêcher sa foi et si oui comment ?
Quels sont les liens entre extériorité et intériorité ?
Lauteur soulève énormément de questions spirituelles
mais qui, que lon soit croyant ou non, peuvent être transposées
à dautres champs. Est-il légitime dapporter
ce que lon considère comme un progrès ou un savoir
sans réfléchir à limpact à dautres
peuples ? Je trouve que lauteur répond tout en subtilités
à partir de la moitié du roman. Le personnage de Kichijiro
est à mon sens un des plus réussi, figure repoussante, enchaînant
des cycles de trahison et de repentir sincère, impose à
mettre en application concrète les principes damour et de
pardon. Toutefois la lecture fut éprouvante, entre les descriptions
de paysage crépusculaire et les scènes de tortures, jai
eu du mal à enchaîner les pages. Est-ce que l'auteur est
dépressif ?... C'est un thème assez puissant, qui m'a
rappelé La
puissance et la gloire que je relirai volontiers.
Plusieurs (ayant entendu Lisa dire pendant la projection
que l'ayant lu à moitié, elle ne le finirait pas après
avoir vu le film)
Ben alors !
Lisa
Oui en 20 min dans le métro. J'ai détesté le film
que j'ai trouvé insupportable. Je ne veux plus jamais revivre ça,
quel ennui ! Mais quel ennui ! J'ai détesté le
livre que j'ai trouvé insupportable : je n'ai aimé
ni le style ni l'histoire racontée. L'évangélisation
on connaît et on sait ce que ça donne. J'ai trouvé
l'écriture pénible et lourde, mais qui correspond bien à
l'idée que je me fais de personnages mystiques comme celui qui
nous est présenté. Le seul point positif est la découverte
de cette période de l'évangélisation du Japon que
je ne connaissais pas. Je n'ai pas envie de lire d'autres livres de cet
auteur. Il y a une chose que je ne comprends pas : la position décrite
comme accroupi sur les talons.
Démonstration immédiate par plusieurs...
:
Danièle entre
et
Moi aussi j'ai été étonnée d'apprendre la
présence des chrétiens au Japon depuis le 16e siècle.
J'ai mis du temps à entrer dans le livre, me demandant : où
m'emmène l'auteur ? Dans une apologie du catholicisme ou l'inverse ?
Puis j'ai vu, en revenant à l'introduction, que sa mère
était chrétienne, et qu'il avait donc par elle une vision
de l'intérieur des rapports du Japon au christianisme et non pas
seulement une vue extérieure théorique. J'ai donc continué
ma lecture en me laissant porter par sa vision personnelle. J'ai surtout
aimé la fin dans le livre : l'échange d'arguments entre
l'Inquisiteur et le Père Rodrigues, puis l'échange entre
les deux prêtres sur la religion, sur le colonialisme. Ce sont des
moments forts, par exemple quand le Père Rodrigues sensible aux
arguments de l'Inquisiteur et à l'exemple de Ferreira, se laisse
convaincre de renoncer extérieurement à sa foi, ou son idéal,
pour sauver des vies humaines, ce qui serait l'attitude du Christ, en
qui il croit toujours. C'est une manière de dire non, tout en pensant
oui. Car on ne peut rien contre la liberté de conscience. On peut
se dire qu'il agit en fonction des véritables préceptes
de la foi chrétienne, mais aussi que l'auteur adopte un point de
vue qui occulte la responsabilité historique de l'église
chrétienne.
J'ouvre entre moitié et trois quarts.
Contrairement à certains d'entre vous, j'ai détesté
le film. Le film est un anti-livre : il n'y a pas d'atmosphère,
les personnages n'ont aucun charisme sauf Liam
Neeson, représentant Ferreira, et Issey
Ogata, représentant l'Inquisiteur japonais Inoué, tout
en finesse. Celui qui joue le Père Rodrigues se regarde jouer et
se force à pleurer. Les scènes de torture sont réalistes,
mais c'est justement ce que je reproche au film : cela ne suffit
pas à susciter l'émotion. C'est en tout cas comme cela que
je l'ai ressenti. Là aussi, à mon avis, seuls les échanges
de la fin avec les deux protagonistes sont émouvants.
Françoise D
Ça va pas être long. Le livre m'est tombé des mains,
j'ai eu un mal fou à lire le premier tiers. Rien ne m'a intéressée,
l'écriture est chiante, plate. J'ai eu du mal à supporter
les tortures. Je suis en colère contre les religions et le colonialisme.
Je ferme et c'est tout. Le film ne m'a pas donné envie de finir
le bouquin. Je ne connaissais pas l'histoire des chrétiens au Japon,
mais c'est pareil partout. On se demande où se situe l'auteur.
Rozenn
J'ai vérifié si l'auteur était bien japonais parce
que j'ai cru qu'il était raciste. Un livre sur la foi chrétienne
au Japon, c'est exotique. J'ai bien aimé lire le livre. Je me suis
posé des questions techniques sur les tortures.
Claire (montrant un livre)
Dans Le
ciel ne parle pas, qui est un roman très documenté
sur Ferreira, Morgan Sportès te raconte en détails horribles
le truc du goutte à goutte...
Rozenn (intéressée par l'aspect technique, mais modérément
finalement...)
Ce n'est pas un livre qui me touche. Je ne comprends rien à la
foi. C'est un symbole qui n'existe pas. J'avais une impression curieuse
parce que je l'ai trouvé bien écrit. Je ne le prêterai
à personne et je ne le relirai plus jamais. Je ne sais pas comment
l'ouvrir, mais il m'a fascinée d'étrangeté. Ce qui
m'a fascinée, c'est que lorsque tu as cru quelque chose toute ta
vie, si tu abandonnes, tu remets en cause tout ce que tu as vécu.
C'est comme lorsqu'on attend le bus et que finalement on s'en va, ça
remet en question toute l'attente...
Jacqueline (manifestant intempestivement son accord)
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
Denis
Je suis parti avec un a priori positif parce que j'avais vu le film que
j'ai trouvé extraordinaire. Le film était long, mais la
fin était ouverte. En lisant le bouquin, je me suis ennuyé,
puis indigné. C'est un livre de djihadistes ! Il s'en fout
que tout le monde meure, car il s'agit d'aller au paradis. J'ai trouvé
le bouquin insupportable. C'est horrible, Je ne l'ouvre pas. J'ai détesté.
Il y a sûrement des choses intéressantes, mais pas pour moi.
Claire
Je suis très partagée. Comme plusieurs d'entre nous, je
me suis certes instruite sur la christianisation des Japonais et leurs
persécutions abominables. Mais pour ce qui est du livre, j'ai trouvé
bancale sa structure : avant-propos, lettres de Sébastien
Rodrigues (qu'on retrouve dans le film où on ne voit pas non plus
la poste
), récit à la troisième personne, extraits
de journal ; j'ai trouvé que ça ne tenait pas la route.
Quant au statut de la vérité et celui de la fiction, ça
m'a paru désagréablement bâtard.
Je me suis rendu compte qu'il s'agissait d'une traduction de traduction,
ce qui interroge sur le produit fini... Halloween m'a intriguée
(à l'époque) et j'ai eu confirmation de l'anachronisme,
mais bon c'est un détail je n'ai pas aimé les
reculassent, désirassent, l'expression elle faisait eau,
la mention c'était l'heure du Sanglier sans note ;
j'ai lu après une belle
analyse fouillée du triple texte qui est assez accablante ;
certes, c'est le livre le plus connu d'Endô, mais est-ce une bonne
idée d'avoir choisi celui-là du fait de la traduction ?
Pendant une bonne partie du livre j'étais lassée, mais le
suspense a pris le dessus dans ce thriller chrétien et j'ai tenu
jusqu'au bout en espérant que ce ne serait pas trop horrible. J'ai
trouvé les dilemmes bien cornéliens. La folie de la religion
est bien montrée et m'a permis de constater que j'arrive de moins
en moins à comprendre la foi. Je me suis demandé comment
l'auteur se situait par rapport au narrateur. J'ai trouvé percutant
le point de vue d'Inoué qui j'ai cru comprendre après
ma lecture qu'il est en partie porte-parole d'Endô.
J'ouvre à moitié.
Séverine
Si ça n'avait pas été pour le groupe, je ne serai
pas allée loin. J'ai appris des choses concernant la christianisation
du Japon. Je pense que quelqu'un de croyant ne lit pas le livre de la
même façon. Pour moi, il n'y a pas de dilemme : on marche
sur l'image et terminé.
Claire
Mais il faut aussi cracher en traitant la Vierge de pute.
Séverine
J'ai compris envoyant le film l'expression l'opium du peuple. Le
film m'a permis de mettre des images. Je l'ouvre un quart.
Jacqueline
J'ai eu l'impression de me reconnaître dans tout ce qui s'est dit
jusque là et que je ne vais pas répéter... J'ai trouvé
aussi le film très fidèle au livre. Paradoxalement, il ne
m'a pas paru long malgré ses 2h45 (sans doute parce que j'en attendais
un éclairage), au contraire du livre pourtant petit. Venant d'une
famille anticléricale sur plusieurs générations,
je n'ai pas eu de culture religieuse, sauf les images d'Épinal
de l'école laïque de mon enfance et tout ça ne me passionnait
pas... Cependant, l'envie de comprendre, comme le groupe lecture, m'ont
poussée à continuer une lecture qui devenait plus intéressante
à partir du moment où Rodrigues rencontre Inoué.
Je venais de lire un livre africain qui raconte l'histoire d'un autre
prêtre de langue portugaise à la même époque
La reine
Ginga de l'Angolais José Eduardo Agualusa. Je retrouvais
un même contexte d'expansion, de rencontres entre cultures et de
luttes de pouvoirs, d'échanges commerciaux avec leurs alliances
et leurs rivalités... Je faisais un parallèle avec la mondialisation
que nous connaissons, mais aussi avec les échanges littéraires
entre le Japon et l'Occident depuis l'entre-deux-guerres et après.
Je pensais aux références à Dostoïevski chez
Kenzaburô Ôé, aux récits new-yorkais de Murakami...
à la rencontre d'Endô avec les écrivains catholiques
Graham Greene, Mauriac, Bernanos... Je m'interroge sur ses intentions
en écrivant Silence...
J'ouvre à moitié.
Annick A
La partie historique du livre qui décrit la persécution
des chrétiens au 17e siècle au Japon et la vie japonaise
à cette époque est intéressante et donne envie de
s'informer d'avantage. Cependant je n'ai lu qu'en diagonale la première
moitié du livre que j'ai trouvée pénible : les tortures,
le discours catho, la crédulité de ces chrétiens
qui se laissent martyriser, leur peur de ne pas aller au paradis étant
plus forte que la peur de la torture m'ont été assez insupportables.
Par contre la deuxième partie m'a paru beaucoup plus passionnante
avec l'arrivée d'Inoué qui, par ses questions complexes
théologiques et politiques, questionne le sens de l'évangélisation
et sa dimension colonialiste. Que cherche à dire l'auteur, quelle
est sa position, pour qui est-t-il ? Le personnage de Sébastien
Rodrigues est également fort intéressant. Il a structuré
sa personnalité en s'identifiant dès son plus jeune âge
au Christ. Le renier c'est renier tout ce par quoi il a bâti sa
vie et se renier lui-même. Le déchirement dans lequel il
se trouve est très bien décrit. Il sort de ce dilemme en
se disant que le Christ dans sa position aurait piétiné
l'efumi par amour, pour sauver les chrétiens de la torture. Il
peut ainsi se décider à piétiner cette image tout
en restant fidèle à lui-même et à son Dieu.
J'ouvre aux ¾.
Nathalie R
J'ai trouvé la lecture du roman facile, malgré quelques
passages répétitifs, et le contenu très intéressant.
J'ai réfléchi aux questions qu'il soulevait et aux réponses
qu'il apportait. Comme la plupart des réactions que j'entends ce
soir, j'ai longtemps pensé que l'on pouvait apostasier facilement
comme l'ont fait certains juifs marron (les "marranes") tout
en conservant leur foi. Je ne comprenais pas en quoi l'idée de
revendiquer son appartenance pouvait avoir de l'intérêt puisque
j'imaginais la survie d'une foi intérieure qui ne se montre pas
et qui ne fait pas de prosélytisme. Je trouve que les réactions
de rejet que j'ai entendues sont davantage un rejet de la religion (et/ou
du cléricalisme) que du livre. Pour moi, ces réactions sont
faciles parce que la nécessité d'embrasser une religion,
dans une société où l'idée d'égalité
est profondément ancrée en chacun de nous dès la
naissance, n'a pas de sens. Mais luvre montre clairement qu'elle
devient un chemin de liberté pour ceux et celles qui sont considérés
comme des moins que rien dans la hiérarchie sociale à laquelle
ils appartiennent, quelle que soit la terre sur laquelle on se trouve.
Et cela peut fonctionner dans de nombreuses sociétés où
ce sentiment d'égalité n'existe pas. J'ai vu en Afrique
ce que la religion enseigne et suis sortie horrifiée en entendant
certains discours basés sur des peurs et des désirs basiques.
Être dans une position inférieure en général
rend vulnérable.
Je me suis intéressée à la religion et au dilemme :
qu'est-ce que j'accepte de piétiner par rapport à ce que
je veux sauver ? C'est facile d'être tolérant quand
on est né dans la tolérance, libre quand on est né
libre. J'ai ressenti les missionnaires du livre comme des sortes de kamikazes
qui vont sciemment vers la mort qui les attend. Kichijiro peut être
considéré comme le double du prêtre, c'est-à-dire
tout ce qu'il peut avoir de lâche en lui. Et en même temps,
sa présence récurrente un peu trop facile m'a agacée.
J'ai été impressionnée par ces lettres qu'on écrit
sans jamais être sûr de les voir arriver et pourtant non seulement
elles arrivent mais elles survivent à ceux qui les ont écrites.
Quel espoir incroyable doit-on avoir en soi pour les écrire ! Elles
m'ont rappelé le journal de bord et les lettres
de Cooke.
Le rôle de lorganisation hiérarchique et de la nécessité
de se regrouper, pour partager quelque chose autour d'une relique ou d'un
objet sacré, m'apparaît très émouvant et en
même temps archaïque (on pourrait se demander quel objet sacré
a de nos jours remplacé ce comportement).
Les supplices m'ont fait penser à une émission de téléréalité
qui propose une épreuve de maintien
sur un poteau en plein soleil (sic).
Une religion basée sur la confession m'exaspère au plus
haut point et rien ne change de la cruauté humaine quels que soient
le lieu et l'époque. Pour réagir à cette idée
qu'on peut apostasier très facilement, je demande simplement de
réfléchir à ce que nous considérons comme
sacré et voir en quoi, refuser d'apostasier en fin de compte se
rapporte tout simplement à ce qu'on appelle la résistance !
Claire
Ça me rappelle le livre que nous avons lu de Bayard Aurais-je
été résistant ou bourreau ?
Nathalie
Et pour ceux qui condamnent le comportement de Rodrigues, je veux rappeler
qu'il a à peine 30 ans quand on lui demande de choisir. Je ne suis
pas sûre que la vie préalable qu'il a vécue lui permette
de trouver cette force de caractère. Et personnellement, je suis
de celles qui pensent que l'on peut imaginer que son dieu lui permet de
choisir cette voie pour qu'il puisse continuer à accomplir sa mission
tout en étant un renégat aux yeux des autres...
J'ouvre au quart, la forme n'est pas formidable, le contenu me dérange.
Richard
Je l'ouvre à moitié. Je n'ai pas apprécié
le style particulièrement. J'ai lu en diagonale la deuxième
moitié, alors que c'est visiblement la plus intéressante.
Le thème le plus développé est : jusqu'où
on peut pousser sa foi ? Ce que j'ai apprécié, ce sont
les références à la nature (qu'on retrouve d'ailleurs
chez tous les auteurs japonais). Un autre thème abordé est
celui de la mer qui est morte comme Dieu ; mais ce thème
n'est pas développé : l'auteur aurait pu se lancer
dans une réflexion plus profonde. La partie la plus intéressante
est la discussion avec Inoué, et ses réflexions internes.
Il faut noter que les Japonais, même aujourd'hui, sont fermés
à l'extérieur. Je me souviens quand j'étais DG dans
une agence japonaise et que j'avais fait la maladresse de dire au PDG
que j'étais en train d'apprendre le japonais : il n'appréciait
pas que je rentre dans son jardin secret.
Monique L
Il est difficile pour moi de critiquer ce livre que je trouve troublant.
A première vue, la lecture de ce livre a été aisée
et m'a intéressée : le côté historique,
la découverte d'un pays aux murs rudes et d'une société
particulièrement répressive et féodale, mais également
les doutes et les atermoiements du jeune missionnaire qui donne au récit
une tournure plus spirituelle et métaphysique. J'ai curieusement
lu sans difficulté ce livre dont le sujet aurait pu être
répulsif pour moi, vu mon éducation dans une école
religieuse, jésuite qui plus est. Dans mon enfance, on parlait
de l'église du silence derrière le rideau de fer.
On priait pour les missionnaires. Je tiens à préciser que
depuis je suis agnostique. Le livre a réveillée en moi des
questionnements profonds.
- Jusqu'où sommes-nous prêts à défendre
nos idées ?
- La foi est-elle une doctrine à défendre ou un comportement
moral ?
- Aux yeux de l'église, Ferreira et Rodrigues sont des apostats,
mais au regard de leur foi ? La grande question souvent débattue
entre les errements de l'église en tant qu'institution et les valeurs
défendues par des croyants sincères et altruistes.
- Le reniement obtenu sous la torture est-il condamnable et a-t-il un
sens ?
- Quelle est la limite de l'engagement personnel s'il implique la torture
d'autres êtres ?
Certaines de ces questions restent d'actualité. J'ai particulièrement
été choquée lorsque ces pauvres êtres évoquent
leur croyance dans un paradis. Les personnages qui m'ont principalement
intéressée sont Ferreira et Kichijiro : ceux qu'on
pourrait voir comme des lâches, mais c'est beaucoup plus complexe
que cela. La fin est rude : le prêtre finit sa vie dans la
solitude, méprisé par les Japonais, sans les consolations
de la religion.
J'ai trouvé certaines longueurs et des lourdeurs principalement
dans les parallèles entre des événements et la passion
du Christ. La forme est intéressante et a sans doute rendu la lecture
moins ennuyeuse : il débute sous forme épistolaire,
il poursuit avec une narration neutre pour clore sur des extraits de journaux.
Je reste mal à l'aise avec ce livre dont le genre me dérange
et j'ai du mal à comprendre l'engouement qu'il a suscité :
il est considéré comme le chef-d'uvre de Endô,
il y a eu plusieurs adaptations au cinéma : celle de Scorsese et
celle de Masahiro
Shinoda en 1971. Le compositeur japonais Teizo
Matsumara en a fait un opéra (Chinmoku) en 1993 et le
musicien écossais James
McMillan une symphonie en 2002.
J'ouvre le livre ½.
Claire
J'ai regardé le bonus du DVD du film Silence et c'est stupéfiant
d'entendre chaque membre de l'équipe du film témoignant
de l'expérience spirituelle qu'a constituée le film qui
avait pour conseiller religieux un Jésuite. L'acteur qui joue le
héros, Sébastien Rodrigues, déclare qu'il a pris
le dit Jésuite comme directeur de conscience, faisant les exercices
spirituels pendant le film, ça ne rigole pas du tout sur le plateau...
Rozenn
Pouvez-vous me donner un adjectif sans privatif qui veut dire que l'on
ne croit pas ?
(Essais infructueux en réponse à cette question credolinguistique, suivis d'une tentative de Rozenn également inaboutie de nous emmener sur les terrains non littéraires d'un projet qui la hérisse de modification de la loi de 1905...)
Claire
Je voudrais ajouter à nos avis sur le livre celui de Jacqueline
Pastre, qui eut en France une relation amoureuse avec Edo quand ils étaient
étudiants en France et qui, plus tard, vint travailler à
Tokyo et à qui alors il demanda de traduire Silence livre
d'ailleurs qu'il souhaita qu'on mît dans son cercueil....
Plusieurs
Ah la modestie...
Claire
Justement, à propos de sa modestie, elle dit ceci dans une
lettre à sa sur : "Ce
roman est un document, à mon avis unique sur le Japonais et ses
rapports avec l'Occident (et vice-versa, en particulier avec le christianisme).
On y trouve là-dessus des vérités premières
qu'on n'apprend qu'en vivant ici ; mais le style est, dans la ligne
du thème étrangement a-japonais, clair jusqu'à
la monotonie, jusqu'à la banalité, sans relâchement
pour autant. C'est comme si chez Paul [il
se fit appeler par elle par son nom de baptême],
toute la fameuse sensibilité japonaise si délicieusement
obscure à l'Occidental, avait été déracinée,
parce qu'il se pose les problèmes en Occidental. En ce sens ce
style n'est pas beau. [...]
Le
pire, c'est lorsque, heurtant ce problème, je lui en ai parlé
franchement (à notre façon à toutes les deux !) ;
j'ai déterminé un drame : il a été blessé
dans son orgueil (et ça, on peut dire que l'orgueil est, chez lui,
une verrue monumentale à la japonaise, à la Fellini japonaise,
c'est-à-dire avec de moins tendres nuances). Son milieu, sa femme,
ses amis, incapables de le juger, ni de l'aider sainement, l'ont entretenu
dans une constante adoration de soi-même. Ses disciples lui sont
dévoués à la féodale. Alors tu imagines, moi
qui arrive là-dessus ! Je me demande d'ailleurs si j'ai le
droit de troubler une sûreté aussi inébranlable. A
quoi bon ? Mais me taire serait le mépriser. Quel que soit
le nom qu'on puisse mettre sur les rapports qui existent entre nous (et
je pense qu'aucune langue n'en donnerait un satisfaisant), s'il n'est
pas possible de nous mettre en question mutuellement totalement, ça
n'a pas de sens. Je me révolte toujours à l'idée
de ne pas traiter quelqu'un en homme."
Jacqueline Pastre est morte avant de finir la traduction, dommage. Voici ce qu'elle dit dans une lettre à Endô, elle ne prend pas de pincettes... : "Ton héros Rodrigues m'a dégoûtée vraiment. Persuadé de la mission qui lui est confiée, il ne fait pas un geste quand les paysans sont sacrifiés à sa place et se contente de regarder du haut de son observatoire et d'en appeler à Dieu. Quel salaud ! Est-ce que le Christ aurait laissé un homme mourir à sa place ? sous prétexte d'une mission à accomplir ? Ton héros est préoccupé de lui et pas des autres. C'est un solitaire. Encore heureux qu'à la fin il ne s'entête pas, mais lorsqu'il insiste sur ses propres souffrances, je le trouve odieux. Les souffrances, les difficultés, un chrétien soucieux des hommes les tait. Rodrigues est une femmelette. Lorsque tout au long de la discussion, il dit que Inoué a raison, ce sont toutes ses souffrances qui perdent leur sens. Qu'est-ce que ça peut foutre, c'est le destin de l'homme de voir sa vie..."
Témoignage de Monique S (ancienne
du groupe qui vit maintenant à Angers, japonophile avertie, qui
a gagné plusieurs concours de haïkus au Japon, nous a fait
connaître un livre japonais classique Journal
des derniers jours de mon père d'Issa que nous avons beaucoup
aimé et qu'elle a préfacé ; voir ICI
les écrits de Monique)
J'ai une amie proche japonaise qui est descendante d'une famille de samouraïs
chrétienne (depuis combien de générations ?
On ne sait). Il faut savoir en effet qu'au 20e siècle, il n'était
pas rare que des Japonais fassent baptiser leurs enfants pour avoir accès
à la bonne éducation des écoles privées occidentales.
Mais pour sa famille, c'est depuis plusieurs générations,
ce qui selon elle n'était pas si rare dans les familles de samouraï.
Elle l'explique en disant que les samouraïs étaient très
souvent soumis à une mort violente et prématurée,
que cela sans doute les rendaient plus enclins à se tourner vers
la religion chrétienne qui propose une vision de salut.
Elle m'a tellement parlé de cet écrivain, "son écrivain",
que j'avais eu tendance à l'éviter...
Jacqueline (après la soirée, et qui ne
perd pas de vue ce qui permet de vivre)
On pense anachronisme pour les pommes de terre parce qu'en France elle
a été adoptée difficilement, tardivement et c'est
même devenu une belle histoire.
Mais qu'en est-il au milieu du 17e siècle au Japon ?...
En tout cas, il semble qu'une espèce particulière de patate
douce violette provenant d'Amérique et qui est devenue spécifique
au Japon y ait été introduite dès le 16e siècle...
Synthèse
des AVIS DU GROUPE BRETON réuni le 17 janvier, rédigée
par Yolaine (suivie de 2 avis détaillés)
Cindy,
Claude Christine,
Édith, Marie-Odile,
Yolaine
Chantal
Christian, Marithé
Il y a ceux qui ont eu du
mal à entrer dans l'histoire, et ceux qui l'ont dévorée.
Alertés par Claire sur les problèmes de traduction, du japonais
à l'anglais puis de l'anglais au français, ce qui donne
lieu à des maladresses et lourdeurs manifestes, nous nous sommes
demandé si le problème venait du fond ou de la forme, de
la lenteur du récit ou bien de la noirceur de cette tragédie.
L'écriture est limpide, certains l'ont même trouvée
plate.
Sur le fond, la description des conditions de vie terribles des paysans
japonais au XVIIe siècle, où le christianisme, malgré
les persécutions, est seul à apporter une lueur d'espoir
dans ces existences sordides et misérables, a un peu cassé
le moral des lecteurs. La cruauté raffinée du shogun Inoué,
les supplices subis par les chrétiens, l'écrasante culpabilité
des pères jésuites Ferreira et Rodriguez qui les mène
à cette si douloureuse apostasie, tout n'est que doute et désespoir,
et prend une dimension absurde.
La construction du récit, qui alterne les lettres de Rodriguez
à ses supérieurs à Lisbonne et le style narratif
après son arrestation, ainsi que les apparitions du personnage
énigmatique de Kishijiro (comparé à Judas) qui rythment
la narration, ont pu également sembler déstabilisants. Étrange
aussi le caractère très contemporain du roman alors qu'on
est plongé dans une histoire qui se déroule entre 1635 et
1645. Faut-il y voir un anachronisme ou est-ce dû à une implication
intime de l'auteur dans ces préoccupations spirituelles ?
L'intérêt historique de ces événements, mal
connus puisqu'ils se situent dans une période de fermeture complète
du Japon à l'Occident, a recueilli tous les suffrages. Le réalisme,
l'intensité des situations, le suspense, ont également "accroché"
l'intérêt de tous ; la richesse des images, la poésie
et la beauté des descriptions de la nature également.
Au-delà de la question religieuse, où la ferveur des mystiques
amateurs des histoires de martyrs et des vies extraordinaires des saints
s'oppose au désintérêt ou au rejet des "mécréants",
le silence de Dieu, la solitude de l'homme, la question du bien et du
mal, donnent à cette uvre forte et dense une dimension métaphysique
universelle. A tel point que plusieurs d'entre nous ont exprimé
l'ambition de le relire pour mieux y réfléchir.
Chantal
Principe essentiel pour moi : un livre doit parler à mon cur,
me toucher, m'émouvoir, ou à ma tête découverte
historique, géographique ou autre avec une écriture,
belle, ou poétique... bref, là, rien !
Je suis injuste, l'histoire m'a intéressée, je ne connaissais
pas cette époque japonaise, ces massacres de chrétiens au
17e siècle.
MAIS l'écriture (la traduction ?), m'a déplu dès
le début du livre : maladroite, avec des temps de verbes qui
sont incohérents, et puis ces lettres présentées
comme véridiques, écrites au 17e siècle dans un style
hyper contemporain, ça sonne faux, décalé !
J'ai suivi malgré tout le déroulement dramatique
certes de cette histoire, mais sans plaisir, sans émotion,
sans attachement aux personnages, l'écriture plate me tenant constamment
à distance.
J'ai oublié des phrases cucul la praline, par exemple "ce
temps s'écoulait bénignement dans son cur"
ou "la
voix de la cigale cascadait des arbres" !
J'ai aimé le personnage de Kichijiro que le prêtre juge du
haut de sa supériorité d'occidental instruit, et que je
considère moi comme son "miroir" : sincérité
dans sa foi, mais humain faible, lâche, chaque fois qu'il le voit,
le prêtre sait qu'il apostasiera ; beau thème, mal écrit.
J'ai aimé le thème du silence de Dieu qui laisse tranquillement
torturer et tuer les chrétiens japonais.
La question de la religion, et surtout du prosélytisme, de l'évangélisation,
de la détention de LA vérité aurait mérité
mieux...
Mais en entendant le débat post-débat que ce livre a suscité
autour des délices japonais et des breuvages français, je
conclus que la découverte de Shûsaku Endô valait la
peine !...
Je l'ouvre ½.
Marie-Odile
Si ce texte m'a attirée, c'est en raison des ponts qu'il jette
entre l'Occident et l'Orient, le Portugal et le Japon, aujourd'hui et
le 17e siècle, même si ces ponts sont parfois suspendus
au-dessus de gouffres immenses.
J'ai apprécié la richesse de ce texte, à la fois
journal de voyage, récit d'aventures et réflexion sur la
religion, la foi, les "missions".... Je connais comme tout le
monde des films et des livres sur ce thème, mais ils avaient tous
pour cadre l'Amérique du Sud, jamais l'Asie.
En refermant celui-ci, je n'ai aucune envie de voir le film qui me rendrait
insoutenables les scènes de cruauté qui parsèment
le récit jusqu'au paroxysme des dernières pages. J'ai noté
qu'au fil du roman, les descriptions de la nature (collines, arbres, mer,
pluie, cigales) ne sont jamais loin. Elles ont parfois la beauté
d'une estampe...
A travers Rodrigues, Kichijiro, Inoué, j'ai retrouvé les
figures du Christ, de Judas, de Pilate, mais ce qui m'a frappée
c'est la perspicacité du personnage principal, toujours prêt
à contester ses opposants (alors que moi j'avais facilement tendance
à me laisser convaincre...), et en même temps son incompréhension
et ses doutes récurrents face au SILENCE de Dieu, qui en font un
personnage complexe.
J'ai noté le rôle, certes de l'efumi, mais aussi de
la parole, dans un monde où dire "je suis" ou
"je ne suis pas chrétien" suffit à décider
de la vie ou de la mort d'un être humain, à en faire un martyre
ou un apostat. En même temps, on ne sait jamais si une parole prononcée
est vraie ou fausse, si elle n'est pas un piège tendu, une trahison,
une justification maladroite.
J'ai été fort impressionnée par les derniers chapitres,
le rôle de Ferreira, le sort de Rodrigues et j'approuve sa réflexion
concernant l'écart entre le clergé à l'abri et les
prêtres sur le terrain.
Au cours de ma lecture, j'ai été intriguée :
j'aurais aimé un plus grand éclairage sur ce qui a nourri
le succès du christianisme au Japon en des temps antérieurs
à ceux du récit (hormis les intérêts commerciaux
concomitants et la perspective réconfortante d'un au-delà
pour une population extrêmement pauvre), puis le rejet féroce
de ce même christianisme (hormis son soutien aux révoltes
des paysans surexploités et la fermeture programmée du Japon),
puis l'obstination de certains Jésuites à vouloir malgré
tout demeurer en milieu si hostile, malgré l'absurdité,
l'inefficacité de leur mission (hormis l'identification au Christ
).
Sans doute devrais-je me tourner vers la documentation proposée
par Claire... Certains propos, comme ceux du commissaire de Chikugo ou
de Ferreira, m'ont apporté quelques réponses, parfois à
grand renfort de métaphores. Mais là encore, impossible
de savoir s'il convient de les croire.
Quoi qu'il en soit, des choses échappent à ma compréhension,
mais n'est-ce pas le propre de toute religion, et aujourd'hui encore,
de relever de l'irrationnel, de prospérer sur le terreau de la
misère, de susciter des comportements extrêmes et
de
me laisser perplexe ?
J'ouvre aux ¾ ce livre dont la lecture m'a impressionnée
et que je suis contente de refermer.
Marithé
Ce sera bref, j'avais rédigé un avis détaillé,
tout s'est effacé... la main de Dieu ?
Je n'ai pas supporté ce père missionnaire borné,
dans son délire, voulant s'identifier au Christ, tout y est :
l'entrée à Jérusalem sur un âne, le chemin
de croix avec ses stations, ah ce calvaire !
Nous sommes à Gethsémani, Caïphe n'est pas loin, Pilate
non plus. Ferreira est la "brebis égarée", Kichijiro
est Judas, Inoué fait penser à Hérode, la foule est
hostile. Et Rodrigues en redemande, qu'il se rassure quand même,
il a souffert en piétinant l'efumi : "A
elle seule cette douleur est un rachat." Sa mort, de maladie,
sera pourtant bien banale.
Sans vouloir donner dans l'oxymore, pour moi le titre "Silence"
parle suffisamment : le silence terrifiant de Dieu, et toutes ces
souffrances.
J'ai été effarée par le mépris des deux jésuites :
"quel missionnaire avait
donné le prénom de la mère d'Augustin à cette
femme qui empestait le poisson ?" (Sainte Monique).
"Était-il vraiment
possible que le Christ eût recherché et aimé ces déchets
d'humanité ?"
La traduction m'a quelquefois dérangée : l'impression
de regarder un film japonais en version française (au fait, je
n'ai pas vu et ne veux pas voir le film de Scorcese : cruauté...)
Je retiendrai les passages poétiques, avec des descriptions de
la nature pouvant faire penser à une autre approche du divin. J'ai
aimé les métaphores : "Ce
pays est un marécage...le jeune arbre du christianisme
y pourrit", "Au
Japon, notre Dieu est en tout point pareil au papillon dans la toile d'araignée,
la forme demeure mais il n'en subsiste que le squelette."
J'ai été impressionnée par le réalisme, la
force, l'intensité de beaucoup de situations.
Du côté de l'histoire ce texte m'a beaucoup appris, des jésuites
portugais évangélisant le Japon, au-delà de Macao...
De la présence et des rivalités avec les Hollandais dans
ces contrées. A retenir encore, ces différences entre christianisme
et bouddhisme. J'ouvre ce livre au ¼.
AVIS des lecteurs du nouveau groupe
parisien
Ana-Cristina
J'ai apprécié le livre quand les deux prêtres
se séparaient. Ce qui m'a plu, c'est le conflit intérieur.
Si je devais croire, c'est en Dieu, pas en Jésus-Christ. Le cheminement
du prêtre jusqu'à apostasier a été un soulagement
pour moi.
Pendant tout le livre, il n'y a pas d'osmose entre la nature et l'homme.
Pour moi Rodriguez place Dieu au mauvais endroit. Et tout le long du livre,
on a la nature qui parle. Il y a cette présence de la nature. La
croix, c'est l'homme, sa vanité, sa volonté. Est-ce que
finalement ce n'est pas cette croix qui empêche d'entendre Dieu ?
Dans une phrase dans le livre, Inoué apparaît comme un enfant
candide. Est-ce que l'on ne peut pas faire un parallèle avec l'apparence ?
Puisque si c'était unité universelle, cet acte n'aurait
aucun sens ?
La description de la nature est très très belle, cela m'a
fait penser à du Chateaubriand.
Françoise H
Je n'ai pas pu lire le livre en entier, j'ai lu 175 pages.
J'ai pris beaucoup de plaisir à le lire, ce n'est pas le style
qui m'a plu, c'est l'histoire, l'histoire de foi. On pourrait dire même
une histoire de conviction. Apostasier, ne pas apostasier, être
tiraillé entre deux, cela m'a parlé. Dans la vie quotidienne,
la religion impose une éducation par devoir. Cela m'a fait plaisir
de lire un texte humain, de cas de conscience, de comment on fait notre
vie avec des valeurs par rapport à une religion. Cela m'a réconciliée
avec la foi.
Audrey
Tout d'abord j'ai été gênée par
la traduction par rapport à plusieurs choses, à des tournures.
C'est un texte presque fragile. Il y a un passage à la fin, où
il explique qu'il revoit Ferreira une fois, ce qui gêne la compréhension.
C'est une traduction relais et je comprends pourquoi j'ai pu ressentir
cela, du fait que ce n'est pas le texte d'origine qui a été
traduit. Je me suis posé la question s'ils se comprenaient entre
eux. Cela faisait barrage au texte. La manière dont il décrit
les sons, les paysages est intense. Son oreille devient il. Il vit
beaucoup à l'écoute.
François
Il y a un décalage dans le temps ; il semblerait qu'il n'y
a pas d'équivalent en français.
Audrey
Le silence est un point crucial. Le silence était le silence de
ces chrétiens, de la foi, de la résistance. Le silence de
la mer qui introduit le silence de Dieu. J'ai cru que cela allait être
le livre du doute sur la foi. Il y a une forme de silence, celui qui suit
l'apostasie. Ce qui prend le relais est ce monologue intérieur,
qui ressemble à de la torture sans fin. C'est un homme réduit
au silence, une forme de mort.
J'ai trouvé et senti que c'était un livre d'un homme profondément
chrétien. Il y avait une force à transmettre de l'intimité
et de la profondeur de la foi, du questionnement du doute. Il y a trois
moments sur cette question : la récurrence de la référence
à l'image du christ. Cela traduit une relation au christ très
touchante et bien rendue. L'image de la douceur et de la bonté.
Autre moment : celui de la bascule ; j'ai été
surprise de l'argumentaire théologique (comme si c'est le christ
qui lui demande). Les personnages fusionnent : "qu'advient-il
de ceux qui comme moi sont les faibles
"
Dernier point : le plaisir de lire un livre historique, c'est fascinant
cette histoire du Japon. La forme de lettre m'a gênée et
me laisse perplexe.
Valérie
J'aurai du mal à parler du livre, il m'a envoûtée.
J'ai été envoûtée par le style. C'est très
visuel. J'ai trouvé qu'il décrit bien cette osmose entre
nature et l'homme. Alors peut être que c'est dû au Japon.
Il y a un lien entre le silence de la mer et de Dieu. Cela se rejoint.
Ce n'est pas trois silences, c'est un même mystère. Le silence
de Dieu, qu'est-ce que cela veut dire ? On n'attend pas une réponse
de Dieu, on sait qu'il faut résister aux épreuves. Ferreira
a raison car ces deux sortes de travail de missionnaire, c'est un travail
de sape. C'est un livre très bien écrit et envoûtant
par le mystère de la foi. C'est très difficile d'écrire
sur le mystère de la foi.
Anne-Marie
Qu'est-ce qu'il allait advenir de la foi de cet homme ?
Le silence de la mer, je l'ai vécu comme l'engloutissement de tous
ces chrétiens. La mer est omniprésente. Impitoyable élément
tel le déroulement de l'histoire.
Sa foi n'est pas pure, cet homme est plein d'orgueil sa mission est née
des martyrs. Dois-je continuer, être missionnaire n'est-ce pas être
criminel, peut-on se demander. Sa foi se transforme jusqu'à l'apostasie
demandée par Dieu. Cette histoire c'est comment la foi subsiste
malgré cette folie. Il sauve sa foi malgré beaucoup de contorsions,
il veut mettre fin au sacrifice des chrétiens mais pour lui Dieu
est toujours là.
Puis il devient un Japonais. Il garde une vie intérieure, mais
on ne sait pas comment il vit cette nouvelle vie. Finalement cet homme
est victorieux parce qu'il garde sa foi.
Ana-Cristina
Ce ne sont pas des fanatiques justement, c'est pour ça qu'ils peuvent
apostasier
François
Ce sont des Jésuites, ils composent avec le monde, l'ambiguïté
c'est une qualité.
Anne-Marie
Finalement la fin est positive : il dépasse le regard de l'autre
"ma foi en vous diffère mais je vous aime toujours" ;
il est victorieux. J'ouvre en grand.
François
Le visage du Christ change, à la fin il devient méconnaissable,
il a perdu toute superbe.
On a l'impression que ce sont les questions de Endô au 20e siècle.
On se demande comment l'auteur a vécu sa foi entre France et Japon.
J'étais intéressé par l'aspect historique ;
difficile de trouver dans la dimension historique, la vérité.
Puis il y a une question philosophique riche autour du silence et ce besoin
d'être fort auquel il renonce : il accepte une faiblesse.
Le père revit la Passion du Christ et puis laissera finalement
tomber l'identification au Christ ; il décide de renoncer
à la souffrance exemplaire pour être plus humain.
Il se remet après dans les pas de ceux de Ferreira et se retrouve
dans sa cellule : c'est vraiment un beau livre. J'aimerais comprendre
bien la position de l'auteur et lire d'autres livres de lui.
Émilie
Kichijiro nous renvoie ce que l'on ne veut pas être : le faible,
plus personne ne veut l'entendre, c'est la mauvaise version de l'homme,
notre mauvaise facette.
A l'inverse d'Anne, je suis rentrée facilement dans le livre et
comme Audrey j'étais intéressée par l'aspect historique :
le 17e siècle au Japon et la thématique.
En revanche, les premiers témoignages du début et les lettres
de la fin, des commerçants, je n'en ai pas compris l'apport...
Pour moi, le fait d'apostasier ne tient pas au fait de marcher sur une
image.
Il y a beaucoup de séquences très répétitives,
toujours un peu les mêmes événements : va-t-il
se faire attraper ? Va-t-il apostasier ?
Je n'oublie pas que les catholiques persécutaient eux aussi et
d'une manière tout aussi barbare. L'adoration des icônes
est plus forte chez les Japonais que chez les catholiques ; pour
Rodriguez, c'est statutaire ; son honneur est à défendre,
pour lui marcher sur l'image ce n'est pas rien ! S'il abjure devant les
autres, il n'existe plus comme prêtre. Comme Ferreira qui était
le meilleur d'entre eux, père exceptionnel, n'est plus rien...
Son geste à la fin me paraît le plus chrétien, il
est plus fort que l'orgueil, il se dit, comme Jésus : je veux
sauver les autres.
Monique M
Il y a beaucoup de lumière dans ce livre. J'y suis entrée
à pas lents ; je ne me sentais pas très concernée
par le sujet (mission d'évangélisation, prosélytisme).
J'ai commencé à le lire comme un document historique instructif
sur les persécutions chrétiennes au Japon au 17e siècle
et peu à peu je me suis laissé prendre par la puissance
du récit ; le style sobre, imagé, poétique et
la lumière qui traverse ce livre. Lumière de la nature et
lumière intérieure du prêtre dont on partage le cheminement,
les angoisses, les interrogations, tout en étant fascinée
par sa détermination, son courage et sa foi.
Ce livre interroge la condition humaine, le sens de la vie et de la foi
en Dieu. Il y a de très beaux passages sur le silence de Dieu que
l'auteur ressent comme le silence de la mer qui, quoiqu'elle engloutisse,
reste toujours présente, immuable, et qui est aussi le silence
existentiel de l'être humain.
On sent la connaissance profonde, vécue, de Shûsaku Endô
de la religion chrétienne (sa mère était très
catholique et il a été baptisé sous le nom de Paul).
Tout au long du récit, l'auteur évoque les évangiles,
le reniement de Saint-Pierre avec le chant du coq, la trahison de Judas
que reproduit Kishijiro, établit un parallèle entre le supplice
de Rodriguez et le calvaire du Christ, jusqu'au passage hallucinant de
l'apostasie où c'est le Christ lui-même qui demande au prêtre
de le renier. Dans ces pages, on sent le déchirement du prêtre,
la profondeur de son trouble et sa délivrance par la parole du
Christ. C'est écrit, conduit, ressenti avec beaucoup de puissance,
de justesse, d'intériorité.
L'omniprésence de la nature, dont l'éclat ou les aspects
sombres fait écho aux émotions du prêtre, et celle
des animaux, ajoute à la dramaturgie des différents moments
du récit. On entend le bruit lancinant de la mer, le ressac des
vagues qui se brisent sur la grève ; l'aboiement incessant
des chiens signale l'arrivée des gardes, le croassement angoissant
des corbeaux accompagne l'errance du prêtre sur la montagne, les
alouettes jasent leur joie, les cigales crissent, le tourbillon des mouches
dans la prison se confond avec le susurrement d'un éventail, les
poules gloussent dans le lointain et toujours au moment fatidique retentit
le chant du coq
Les images sont belles, souvent poétiques ou d'une grande violence.
Ainsi :
- le mugissement de la mer tel que l'entendaient les deux
prêtres dans leur cachette : "
Le bruit de ces vagues, roulant dans l'ombre, comme un tambour voilé,
le bruit de ces vagues, déferlant sans raison, la nuit durant,
refluant et brisant à nouveau au rivage. La mer implacable qui
avait baigné les corps de Mokichi et d'Ichizo, la mer qui les avait
engloutis, la mer qui, après leur mort, se déroulait à
l'infini, pareille à elle-même. Tel le silence de la mer,
le silence de Dieu. Silence sans démenti" (p.
107)
- "Le
village avait été brûlé jusqu'au sol, tous
les habitants dispersés. La mer et la terre étaient silencieuses
comme la mort, seul le bruit sourd des vagues, se frottant à la
coque, éveillait un écho dans la nuit". "Pourquoi
nous avez-vous si totalement abandonnés ? priait-il d'une voix
éteinte
Ainsi priait-il. Mais la mer restait froide et les
ténèbres gardaient un silence obstiné, rompu par
la seule cadence monotone des rames, encore et encore
"
(p. 148)
- Le passage sur l'exécution du borgne : "Le
cri strident d'une femme jaillit de la prison et se prolongea comme un
hymne. Puis il s'éteignit et un calme de mort lui succéda.
Seules, les mains du prêtre tremblaient sur les barreaux, paralysées."
(p. 183)
J'ai aimé, pour leur valeur historique, la façon réaliste
dont l'auteur décrit la vie des paysans de l'époque qui,
écrasés d'impôts, vivaient et mouraient comme des
bêtes de somme, les perquisitions sauvages des samouraïs, le
système de délation mis en place pour capturer les chrétiens,
le raffinement pervers des interrogatoires et les supplices atroces auxquels
étaient soumis les condamnés.
J'ouvre ce livre au trois quarts pour sa puissance, sa lumière,
son style qui maintient le lecteur en haleine, sa valeur historique et
la richesse du récit et de sa documentation.
Nathalie B entre
et
J'ai beaucoup aimé Silence de Shûsaku Endô.
Le contexte de ce roman porte sur un sujet que j'ignorais totalement.
Je ne pensais pas forcément m'y intéresser. Et pourtant
dès les premières pages, je me suis trouvée happée
par ce récit qui repose sur une réalité historique.
Cristóvão Ferreira (dans
la traduction Christophe Ferreira),
né vers 1580 au Portugal et mort en 1650 à Edo (aujourd'hui
Tokyo) est un personnage qui a réellement existé. Prêtre
missionnaire jésuite portugais au Japon, il a apostasié
après avoir été torturé lors des persécutions
des chrétiens au Japon qui se sont étendues du 17e au 19e
siècle. On lui attribue (mais controverse sur le sujet) La
Supercherie dévoilée : une réfutation du catholicisme
au Japon au XVIIe siècle.
Tout dans ce livre est passionnant. L'histoire de cette quête du
jeune prêtre, Sébastien Rodrigues, pour savoir si le missionnaire
Ferreira, son ancien professeur, avait réellement commis l'acte
d'apostasie, son parcours qui ressemble à la Passion de Jésus,
mais aussi et surtout pour moi les interrogations que ce texte amène
le lecteur à se poser :
- Comment peut-il y avoir à la même époque
le même type d'"inquisition", dans deux territoires si
différents, qu'elle soit antichrétienne japonaise ou portugaise
contre toute personne qui suspectée de ne pas respecter la lettre
de l'Église ?
- Le christianisme, foi importée, peut-il trouver sa place au Japon,
fondée sur un rapport très différent au monde ?
Le rapport à Dieu avait-il la même signification ?
- Quel est le poids de la foi ou de ses convictions face à la torture,
devant l'angoisse de la torture ?
- Un croyant "lâche" sera-t-il pardonné ou seuls
les martyrs peuvent-ils être sauvés ?
- Qu'est-ce que l'apostasie à côté de la vie d'un
être humain ?
- Comment les croyants peuvent-ils croire en un Dieu silencieux s'il est
censé être tout-puissant ? Comment et pourquoi rester
chrétien devant les horreurs commises par d'autres êtres
humains ?
- Pourquoi malgré l'interdiction et les risques, certains Japonais
sont restés catholiques, tout en devant se cacher ?
- Quel sens cela peut-il avoir pour un non-croyant ?
- Quel est le poids de nos convictions face aux certitudes de l'autre ?
- Comment vit-on après avoir trahi ou renoncé à ses
propres croyances, convictions, principes ?
- Aujourd'hui, en Occident, peut-on encore penser pouvoir mourir pour
ses idées
?
Et tant d'autres questions que l'on se pose à presque chaque page
avec le père Rodrigues qui finira par trouver son propre chemin
dans un monde hostile et plus que dangereux, où il est prisonnier
et seul comme prêtre, et qui ne sera même pas reconnu par
sa propre Église
après son apostasie qui est alors un crime très grave.
La vie intérieure pleine de doutes et d'inquiétude du jeune
prêtre répond à la nôtre qui s'éveille
et s'enrichit de celles d'un autre temps et qui réinterroge le
nôtre.
Les dialogues entre le prêtre et le Shogun sont d'une
grande finesse. Le shogun, maître de la dialectique, se joue du
prêtre en usant de métaphores et se référant
à celles prêtées à Jésus. Il fait comprendre
que l'opposition à la chrétienté n'est nullement
spirituelle, mais politique et nationaliste.
La rencontre avec Ferreira est attendue par le lecteur au moins autant
que par Rodrigues. Et on comprend ce qui s'est passé pour lui mais
aussi ce qu'il est devenu. Ce livre est empreint d'une profonde humanité
qui touche à l'âme.
Je ne l'ouvre cependant qu'au 4/5e, car je regrette que la traduction
soit une traduction-relais, de l'anglais, même si j'en aime l'écriture
qui allie simplicité et complexité de questions essentielles.
Ce livre mériterait cependant d'être retraduit directement
du japonais. Et ce qui est certain, c'est que je vais lire d'autres livres
de ce romancier que je découvre.
QUELQUES
REPÈRES SUR LE CONTEXTE DE SILENCE et son auteur...
- Son enfance
- Sa formation
- Ses uvres
- Sa personne
- Les problèmes de traduction
- Des livres et des articles
sur Endô et le catholicisme au Japon
- Des musées consacrés à l'écrivain
et aux martyrs chrétiens
- Et des réactions à la sortie du film
de Scorsese
L'enfance
Né à Tokyo en 1923, il a un frère. Sa mère
est violoniste, son père employé de banque est envoyé
en Chine en Mandchourie, occupée alors par le Japon. Lorsque Shûsaku
Endô a 10 ans, ses parents divorcent. La mère revient au
Japon avec ses deux fils chez sa sur qui est catholique. Ils seront
tous trois baptisés en 1935, Shûsaku à 12 ans sous
le nom de Paul, sa mère de Marie.
La formation
Après des études de littérature française
à l'Université à Tokyo, il reçoit une bourse
"pour étudier la littérature chrétienne du XXe
siècle" : Bernanos, Claudel, Maritain, Mauriac, Peguy,
auteurs qu'il avait pour la plupart déjà découverts
au Japon. Il reste deux ans et demi à l'université de Lyon.
Il se rend compte combien sa religion et son expérience culturelle
diffèrent. Des problèmes de santé (tuberculose) l'obligeront
à rentrer au Japon (il aura même séjourné dans
un sanatorium en Haute Savoie) et à rester très longuement
hospitalisé.
Les uvres
-
Après un premier récit, Jusqu'à Aden, son
expérience en Occident et sa foi chrétienne lui fournissent
le sujet de son premier roman, L'homme blanc (non traduit en français)
pour lequel il obtient le prix
Akutagawa (le plus prestigieux du Japon).
- Une dizaine de livres, parmi
une uvre réunie
en 15 tomes, sont traduits en français,
romans et nouvelles. La moitié sont traduits du japonais, les autres
de l'anglais, traduction de traduction donc : c'est le cas, hélas,
du roman que nous lisons...
- Plusieurs de ses romans sont adaptés au cinéma.
- Pour consulter le détail de ses livres publiés en français
(La
Mer et le poison, Un
admirable idiot, Une
femme nommée Shizu, Le
Dernier souper et autres nouvelles, Volcano,
La
Fille que j'ai abandonnée, Douleurs
exquises, Silence,
En sifflotant,
L'Extraordinaire
voyage du samouraï Hasekura, Scandale,
Le
Fleuve sacré), voir ICI.
- La plupart de ses personnages
sont en proie à des dilemmes moraux : responsabilité
et culpabilité, le Bien et le Mal, le courage et la lâcheté,
avec en filigrane la rencontre difficile entre les valeurs de l'Est et
de l'Ouest, constituent les thèmes. Les livres
d'Endô furent accueillis avec suspicion par les Japonais chrétiens.
- Quelle est la part de vérité
et des faits dans ses romans ? L'importance du contexte historique dans
les livres de Shûsaku Endô interroge sur ses choix : "Je
n'ai pas l'intention de rapporter des faits. Si je le faisais, je ne serais
plus un romancier. Plus exactement, écrire un roman, c'est décrire
des vérités, non des faits. Ainsi, ce que je vois autour
de moi, je l'analyse... voir la suite.
La personne
- D'une santé très fragile, tuberculeux,
il vivra de longues hospitalisations. Non sans humour, il raconte sa grave
maladie ICI.
- Silence rend-il compte de son esprit volontiers sarcastique,
imagine-t-on son auteur aimant rire et boire, amateur de tango... ?
- Il aura un fils, Ryunosuke, avec Okada Junko qu'il épouse en
1955 sans le dire à Françoise Pastre, avec qui une histoire
d'amour avait commencé en France à l'université en
1953, révélée tant
par sa sur Geneviève
Pastre que la veuve d'Endô dans le livre The Hill at Rouen.
F. Pastre vint enseigner au Japon ; elle commença à
traduire Silence sur la proposition de Endô, mais mourut
avant de terminer.
- Couronnée par les
plus grands prix littéraires du Japon, traduit en 21 langues, il
était aussi un homme de "l'establishment littéraire" :
membre de l'Académie des arts, président du Pen Club (1985-1989),
il avait reçu en 1995 le prix de la Culture (décerné
par l'État) que le Prix Nobel de littérature Kenzaburô
Ôé quant à lui refusa...
- Une dernière décoration : Shûsaku Endô
avait été fait "chevalier
de Saint Sylvestre" par Paul VI.
- Avant de mourir, il demande à être accompagné dans
son cercueil par deux de ses livres : Silence
et Le
Fleuve sacré.
Les problèmes de traduction en français
Sur les 12 uvres traduites
en français (dont 7 seulement directement
du japonais) :
- 5 livres traduits de l'anglais traduit lui-même du japonais,
chacun par un traducteur différent (!), éd. Buchet-Chastel
- 1 (le premier roman) traduit du japonais par des traducteurs non professionnels,
mais dont un universitaire japonais
- 2 traduits par une traductrice professionnelle du japonais Catherine
Ancelot (vivant au Japon)
- 4 traduits du japonais par le même traducteur professionnel Minh
Nguyen-Mordvinoff.
Il est à remarquer que les livres d'Endô
ont successivement trois éditeurs français :
- Buchet-Chastel (5 livres) de 1979 à 1987 ;
dans l'un des romans, L'Extraordinaire
voyage du samouraï Hasekura, figure une note
de l'éditeur : "L'éditeur est tenu, par contrat,
de faire traduire les uvres de Shûsaku Endô
de l'anglais"...
- Stock (1 livre en 1988), puis Denoël de 1991 à 1997 (5 livres).
Une étude remarquable sur la traduction de Silence
- Dans un article cruel pour le lecteur français,
Jean-Marcel Morlat et Janina Tomimoto mènent une comparaison entre
les trois textes : japonais, anglais et français.
- Ils analysent les conséquences pour le lecteur de la traduction-relais
"qui consiste à traduire à partir dune traduction
déjà réalisée dans une langue faisant office
dintermédiaire".
- Ils expliquent que les "traducteurs du japonais vers le français
étant rares en France dans les années 70, il était
alors courant pour les éditeurs de recourir à la traduction-relais"
(en passant par la traduction anglaise et non le texte original).
- "Silence, paru au Japon en 1966, appartient à
cette catégorie : en 1971, Henriette Guex-Rolle sest ainsi
reposée sur la traduction de William Johnston publiée deux
années auparavant. William Johnston, sil nétait
pas traducteur de métier, était tout de même armé
pour traduire Endô en raison de sa formation religieuse et de sa
connaissance du Japon et du japonais."
- "Pourtant, son travail est à remettre en question, tout
comme celui dHenriette Guex-Rolle, qui souffre de multiples problèmes
imputables à la version anglaise, mais qui sont parfois le résultat
de ses propres choix traductifs."
- Lobjectif de l'article est "d'analyser les problèmes
soulevés par ce genre de procédé à travers
ces deux traductions." : utilisation des notes de bas de page, façon
de retranscrire les faits culturels dans les deux langues, erreurs de
traduction depuis le japonais qui "affectent le travail de la traductrice
française, laquelle est aussi prisonnière de ses propres
choix de traduction depuis langlais."
- Pour consulter la démonstration : "La
traduction : Shûsaku Endô en traduction-relais : le cas de
Chinmoku (Silence)", Jean-Marcel Morlat et Janina Tomimoto,
OUKA (Osaka University Knowledge Archives), n° 43, 31 mars
2017.
La traduction manquée de Françoise
Pastre
Celle avec qui il eut une relation en France quand il était étudiant
vient des années plus tard à Tokyo et entreprend la traduction
de Silence en français, sur la demande de Endô : ses
réactions ICI.
Sur Endô
: un livre et des articles
- "Shûsaku
Endô ou la quête dun Christ japonais", Franck
Damour, Études, février
2017 : un article très intéressant dans la revue
jésuite, par le co-directeur de la revue de poésie Nunc,
également historien.
- Une
étude de fond sur
l'uvre d'Endô,
y compris des livres non traduits :
"Image
de l'Occident dans l'uvre romanesque d'Endô Shûsaku",
Toshio
Takemoto, Revue de littérature comparée, Didier
Érudition, n° 328, 2008
- "Shusaku Endo
: un écrivain japonais catholique", Philippe Pons, Le
Monde, 1er octobre 1996 (article rédigé à sa
mort du correspondant pendant de longues années du Monde au
Japon)
- "Shûsaku Endô
: l'apprentissage de la compassion", Diane de Margerie, Le
Magazine littéraire, suppl. littérature japonaise, 1997.
- Sur la relation de Endô au catholicisme (très proche de
celui du personnage d''Inoué dans le roman Silence...),
extrait ici d'un entretien avec lui.
"La
christologie du romancier japonais Shûsaku Endô",
Alle G. Hoekema : Bulletin EDA (Bulletin des Eglises d'Asie),
16 octobre 2000 : sur l'inconscient dans la réflexion d'Endô
- Le seul livre en français à ce
jour consacré à Endô (c'est un de ses mérites) :
Shûsaku
Endô (1923-1996), Pierre Dunoyer, éd. Cerf, 2014 :
partie biographique et présentation de dix livres de Endô,
avec un chapitre par livre ; voir le
chapitre sur le roman Silence. L'auteur, Pierre Dunoyer, a
vécu de nombreuses années au Japon, est prêtre de
la Société des missions étrangères de Paris
(qui ont pour but l'évangélisation dans les pays non chrétiens,
spécialement en Asie !) ; voir ses
ouvrages historiques.
Sur le catholicisme au Japon
: quelques articles instructifs voire surprenants
- "Une
Église catholique minoritaire et installée", Philippe
Pons (le point sur le catholicisme au Japon à l'occasion de la
venue de Jean-Paul II), Le Monde, 24 février 1981.
- "L'archipel
du Japon chrétien" (dans ce pays mariant bouddhisme et
shintoïsme, la route du Rosaire est semée de petites églises
néogothiques...), Le Monde, 21 septembre 2007.
- "Au Japon, ce dieu caché
au fond du débarras" (longtemps combattue
dans ce pays, la foi chrétienne se transmettait en secret), Philippe
Pons, Le Monde, 7 février 2017. Un article de fond, court
et récent.
A Nagasaki, deux
musées
- Un musée
littéraire est consacré à Shûsaku Endô
dans l'ancienne ville de Sotome : le musée surplombe la mer
de Goto et le village de Shitsu, où se dresse un monument dédié
au roman Silence. Sotome est célèbre pour être
le centre historique des chrétiens cachés et constitue le
décor pour le roman Silence.
Fondé en 2000, le musée présente des livres ayant
appartenu à Endo, des manuscrits, des lettres, des photographies
et ses objets personnels préférés, dont son écritoire,
sa Bible, son chapelet et une statue de Sainte Marie, héritée
de sa mère et conservée à son chevet tout au long
de sa vie.
- Un monument
et un musée sont consacrés aux vingt-six
martyrs crucifiés en 1597 et canonisés par la suite,
parmi lesquels figurent trois enfants.
Paravent
japonais : église et jésuites
Titre : Barbares du Sud - Date : entre 1593 and 1600 - Attribué à Kano Domi - École Kano (art Nanban) |
extrait de Wikimedia
|
Des critiques
à la sortie en France du film de Martin Scorsese
Les critiques s'en donnent à cur joie pour
titrer leur chronique à la sortie du film en février 2017... :
- "La
nouvelle tentation christique de Martin Scorsese", Télérama
- "Le
vrai martyr du film c'est le spectateur", Le Masque et la
plume
- "Il
était une foi au Japon", Le Monde
- "La
quête spirituelle de Martin Scorsese", La Croix
- "Malgré
une première heure bien ennuyeuse, il faut aller voir Silence",
Les Inrocks
- "Silence,
ça repousse", Libération
- "Un
long chemin de croix pour public averti", L'Express
Sans oublier :
- des histoires
de tournage
- le
making of
- la
bande annonce
Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme
au rejet :
|
||||
à
la folie
grand ouvert |
beaucoup
¾ ouvert |
moyennement
à moitié |
un
peu
ouvert ¼ |
pas
du tout
fermé ! |
Nous écrire
Accueil | Membres
| Calendrier | Nos
avis | Rencontres | Sorties
| Liens