Joseph ROTH, La Crypte des capucins, avec une préface de Dominique Fernandez, postface de la traductrice Blanche Gidon, Points, 2010, 224 p.

Quatrième de couverture :

À la Belle Époque, François-Ferdinand fait partie de la jeunesse insouciante de Vienne. Entouré de ses amis, il tourne en dérision l’amour et le temps qui passe, s’amuse et s’instruit. Un autre François-Ferdinand, l’archiduc, est assassiné. Les jeunes gens s’engagent avec enthousiasme dans la guerre, sans deviner que le déclin de la monarchie austro-hongroise aura bientôt raison de leurs illusions.

Joseph Roth, journaliste et intellectuel autrichien né en 1894, laisse à sa mort en 1939 une œuvre importante, dont La Rébellion, Tarabas et La Marche de Radetzky, disponibles en Points.

"Si vous ne recherchez que votre pur plaisir tout en essayant de vous faire une idée de ce qu’était le génie de Vienne, ne retenez qu’un seul nom : Joseph Roth." L’Express


La Crypte des capucins
, traduction et préface de Blanche Gidon, Seuil, 2014, 224 p.

Si La Marche de Radetzky illustrait la gloire et le déclin de l’Autriche-Hongrie au rythme enjoué de la marche militaire de Johann Strauss, le titre même de La Crypte des capucins, qui décrit le désordre de l’Autriche disloquée, évoque une marche funèbre.

Le roman débute au printemps 1914 et se termine à l’Anschluss de 1938. Le narrateur, François-Ferdinand von Trotta, lointain parent des Trotta de La Marche de Radetzky, a connu une jeunesse insouciante dans la Vienne de la Belle Époque. Mais la guerre, qui l’entraîne aux confins de l’Empire, où il sera un temps prisonnier des Russes, provoque l’écroulement de son pays, la débâcle de sa fortune et de ses illusions. À son retour, Vienne, autrefois riche, lumineuse, joyeuse, n’est plus que ruines, misère, amoralité. En mars 1938, les nazis entrent dans Vienne. Alors, le dernier Trotta pressent les temps de barbarie. Il va chercher refuge sur la tombe de l’empereur François-Joseph, qui dort son dernier sommeil dans la crypte des Capucins.
Mélancolique et lucide, cet ultime roman de l’auteur apparaît comme son testament-confession.

"Ici, le dernier fils de la vieille Europe refuse de se soumettre au nationalisme et au nazisme. Le héros antimoderne, conservateur, est le seul qui ne cède pas au fascisme ni à l’inflation morale." Claudio Magris

Joseph Roth, né en Galicie austro-hongroise en 1894 de parents juifs, mène parallèlement à sa carrière de journaliste à Vienne, Berlin, Francfort, Paris, celle de romancier et nouvelliste. Opposant de la première heure au national-socialisme, il quitte l’Allemagne dès janvier 1933 pour venir s’installer à Paris, où il meurt en 1939.
Traduit de l’allemand et préfacé par Blanche Gidon

Rabats jaquette :

Joseph Roth est né en Galicie austro-hongroise en 1894, de parents juifs. Après des études de philologie à Lemberg et à Vienne, en 1916, il s’engage dans l’armée autrichienne. Au sortir de la guerre, il se tourne vers le journalisme tout en menant une carrière de romancier. Opposant de la première heure au national-socialisme, Roth quitte l’Allemagne dès janvier 1933 pour venir s’installer à Paris, où il meurt en 1939. Il laisse une œuvre abondante et variée : treize romans, huit longs récits, trois volumes d’essais et de reportages, un millier d’articles de journaux.

Blanche Gidon, confidente et amie de Joseph Roth, était professeur dans un lycée parisien et traductrice littéraire. De Roth, dont elle a défendu l’œuvre avec passion, elle a traduit plusieurs romans et nouvelles.


Traduction et introduction Blanche Gidon, Plon, 1940


Seuil, 1983


Points, 1986


Points, 1996, avec préface de Dominique Hernandez


Points, 2010

Les éditions de La Crype des capucins :
publiée en 1938, la première traduction (et introduction) par Blanche Gidon, Plon, 1940 ; rééd. Seuil, 1983 ; Poche Points, 1986 ; Points, 1994 ; un coffret comprenant La Marche de Radetzky, La Crypte des capucins, La Rébellion, Points, 1994 ; Points 1996 avec une
préface de Dominique Hernandez ; Points, 2010 ; Seuil, 2014. Selon les éditions, un texte de Blanche Gidon, la traductrice, figure en préface ou postface.

Et un film allemand de Johannes Schaaf, adapté du roman en 1971 : Trotta

Joseph Roth (1894-1939)
La Crypte des capucins
(1938, traduction en 1940)

Nous avons lu ce livre pour le 12 mai 2023 et le groupe breton pour le 15 juin.

Le nouveau groupe a lu pour le même jour La marche de Radetzky (1932, traduit en 1934) que nous avions lu en 1989.

Afin de se mettre historiquement et visuellement dans le bain austro-hongrois, nous avons regardé le film austro-franco-allemand La Marche de Radetzky d'Axel Corti, adapté du roman en 1994, avec Max von Sydow, Charlotte Rampling et Claude Rich (deux soirées d'1h 45).

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Pourquoi lire Joseph Roth

Nos 17 cotes d'amour
Monique L

Entreet Danièle
Annick AAnnick LBrigitte Claire Fanny GenevièveJérémy MaëvaManuel

Entre etCatherine
EtienneJacqueline Renée
Nathalie
Laura

Fanny(avis transmis)
J'ai vite été happée par cette lecture, la thématique me laissait penser que l'approche serait plus ardue.
J'ai aimé la dimension instructive de la peinture sociale qui traverse le récit. Je trouve aussi qu'à plusieurs moments Roth donne un regard décalé qui amène un angle de vue intéressant.
Par exemple sa définition de la guerre mondiale (p. 71, éd. du Seuil) : "Non parce qu'elle a été faite par le monde entier mais parce qu'elle nous a tous frustrés d'un monde..."
Ou encore sur la vision des matins :"faux ami, morose et doucereux, perfide bienfaiteur".
L'entrée dans la guerre marque un point de rupture avec un saut dans le temps entre l'annonce du début de la guerre et une immersion directement deux ans plus tard (p. 81).
Cette rupture se retrouve dans le basculement de la relation aux autres des personnages principaux, en particulier dans leurs relations amoureuses. Au début du chapitre 30, en quelques mots Roth dresse une peinture du statut marital qui est très éloignée du romantisme passionné et vient en quelque sorte répondre au positionnement volage en début de roman et corroborer les craintes des jeunes étudiants. Le glissement du "je" sur le "on" au deuxième paragraphe embarque, je trouve, le lecteur dans cette position ("Je couchais donc dans notre maison aux côtés d’Élisabeth. C’était ma maison. Elle était ma femme. En vérité, le lit conjugal devient une maison secrète, au beau milieu de la maison visible, ouverte. Et la femme qui nous y attend a notre amour tout simplement parce qu’elle est là, présente. Elle est là, présente à toute heure de la nuit, quel que soit le moment où l’on rentre. Par conséquent, on l’aime. On aime ce qui est sûr, on aime tout particulièrement ce qui nous attend, ce qui se montre patient.")
Quelques bémols cependant au niveau du style : je trouve que régulièrement les chapitres se terminent sur des envolées lyriques un peu lourdes. Heureusement que ce n'est pas davantage présent, car je pense que j'aurais trouvé cela surfait, d'autant que cela a parfois un côté poncif par exemple sur l'instinct de maternité "qui ne connaît pas de bornes" ou trop emphatique, par exemple : "fardeau chéri de nous tous".
J'ouvre aux ¾ et j'ai hâte de découvrir vos avis.
Laura

Je suis dans la dernière ligne droite de mes partiels et de fait je me suis peu plongée dans le livre même si on avait beaucoup de temps pour le lire…
J'ai tout de même lu jusqu'à la page 78 (chapitre 17), mais je n'ai pas du tout accroché. Je ne sais pas vraiment ce qui m'a bloquée : son style d'écriture qui m'a semblé parfois maladroit, l'idée d'avoir un narrateur à la première personne et pourtant omniscient, ou le fait d'avoir l'impression que l'auteur repoussait toujours le "vrai" sujet du livre à plus tard, comme s'il y avait nécessairement des détails inintéressants à raconter avant. J'ai vraiment eu l'impression qu'il cherchait à cocher des cases : j'ai raconté l'histoire du cousin, bon, maintenant il faut le marier, allez hop en une demi-page, c'est fait ! Ce survol m'a rapidement lassée, et m'a sincèrement empêchée de m'attacher aux personnages. Et puis, c'est quoi cette manie de répéter 3 ou 4 fois en 78 pages "au-dessus des verres où nous buvions ensemble, la mort croisait ses mains décharnées", ce n'est pas le dernier vers d'Apollinaire, non plus ! Je serai néanmoins charitable : j'admets que le sujet aurait pu être intéressant s'il avait été bien traité, le déclin et la décadence d'une génération qui fait face à la réalité de la guerre, c'est intriguant. Seulement, les romantiques y ont déjà pensé. Conclusion : soit j'ai vraiment loupé quelque chose - ce qui est possible vu mon rythme de lecture - soit le livre est bâclé, maladroit, inabouti, et se veut de la bonne littérature sans parvenir à l'être. Hâte de lire les avis de tout le monde, je changerai peut-être d'avis.
Mais pour l'instant, je le ferme.
Nathalie
Bonsoir, je ne peux pas être parmi vous ce soir et je vous envoie quand même une petite participation en espérant que j'arriverai à finir le livre ce week-end.
J'ai réussi à en lire à peu près la moitié. J'avoue que j'ai un peu traîné la patte… les chapitres sont courts, c'est agréable à lire, mais j'ai du mal à comprendre sa programmation.
À mon stade de lecture, je trouve le texte trop simple et surtout un peu répétitif.
Le narrateur ne cesse de faire des prolepses* qui nous conduisent après la guerre et après la modification profonde d'une organisation sociale et politique. C'est assez vite pénible.
La description de la jeunesse oisive et décadente (qui a un rapport aux femmes assez particulier) et la mention de ses activités sont répétées également plusieurs fois - de même que la métaphore de la mort qui plane au-dessus d'eux.
Il me semble que certaines affirmations auraient pu être approfondies. Par exemple, la construction identitaire d'une nation par les membres qui en sont d'une certaine manière extérieurs - parce que raccordés - est très intéressante. Cela va également avec le costume qui semble pour le narrateur la garantie d'une âme slave !
Bref pour le moment j'ouvre un quart. Je crois que je sature un peu des œuvres nostalgiques et pour moi ce roman manque de dynamisme.

*Question à Nathalie : peux-tu donner un exemple de "prolepse", car on risque de ne pas comprendre ta critique et juste visualiser une maladie de peau. Voir des éléments de réponse ›ici
Manuel(en Inde)
J'ai fini la lecture de La Crypte des capucins et j'enchaîne la lecture de La Marche de Radetzky. Je ne comprenais pas pourquoi le héros François-Ferdinand revenait de la guerre tel un paria. C'est qu'il était déshonorant de ne pas avoir combattu. Il est décrit comme un perdant. J'ai trouvé étonnant le personnage de la femme tiraillée entre son mari et sa compagne créatrice ou la mère seule qui est forcée de convertir sa maison en pension. La Crypte est un livre crépusculaire traversé de la nostalgie d'un empire perdu. D'ailleurs, j'ai parcouru les pages Wi-Ki de l'histoire de l'empire austro-hongrois et pour situer les pays qui le composaient. Il y a tellement de choses apprises à l'école dont on ne se souvient plus. Comme dans La Marche, on suit l'épopée du héros lors de différentes situations et époques : Joseph Roth nous fait passer d'une situation à une autre en une phrase. La Guerre de 14 est survolée, on perd de vue le cousin qui fait une rapide apparition au retour de Vienne. Le fils du cocher rappelle le contexte politique.
Des tournures poétiques m'ont parfois paru alambiquées et il y a beaucoup de répétitions : les mains de la mort.
J'ai beaucoup pensé aux Buddenbrook qui est une espèce de pendant prussien du roman de Roth. Le passage de la mort de Jacques est bouleversant ainsi que la scène dans le café avec l'arrivée des nazis. J'ouvre aux ¾ en recommandant La Marche qui donne l'impression d'un roman plus achevé, travaillé et virtuose. Philip Roth a terminé la rédaction de La Crypte à la fin de sa fin pendant son exil. Ce qui explique cela je pense.
Etienne
J'aime beaucoup les romans historiques, mais La Crypte des capucins n'a emporté qu'une (petite) moitié de mon adhésion, je dois avouer que je m'attendais à un peu mieux. Je vais commencer par ce qui m'a plu :
- L'atmosphère globale du livre est très bien sentie ; on arrive presque à palper cette ambiance de fin de règne et la grande connaissance de l'auteur de son empire, ses ethnies, coutumes, rend le récit assez poignant.
- La lecture est fluide ; l'écriture est ce qu'il faut de sophistiquée pour avoir un charme désuet.
- L'effet de surprise total de la deuxième partie avec le ménage à trois est cocasse.
Cependant, même s'il est sympathique, ce roman m'a paru avoir des défauts gênants :
- de (très) nombreuses répétitions de tournures de phrases, d'aphorismes donnent véritablement l'impression d'avoir lu un brouillon. Je cite : "la mort croisait ses mains décharnées", les "blondes aux formes généreuses", "nous étions jeunes…" et j'en passe probablement, répétées parfois 4 fois sur 40 pages. Joseph Roth m'a souvent donné l'impression d'un gentil grand-père gâteux qui rabâche… S'il-vous-plaît, dites-moi que je ne suis pas le seul à avoir ressenti ça !
- Même amusante, son écriture faite d'hyperboles a fini par me lasser et surtout m'a rendu complètement désincarnés les personnages : impossible de ressentir de l'empathie pour François-Ferdinand, Elisabeth, Joseph Branco et consorts.
- Des ellipses trop brutales, surtout que ces dernières ne me paraissaient pas vraiment servir un propos.
En résumé je dirais que, même s'il possède le charme d'avoir su retranscrire l'atmosphère de déliquescence d'une époque, j'ai été déçu. Je pense aussi qu'inconsciemment j'en attendais une sorte de
Le pont sur la Drina version autrichienne et qu'il a souffert de la comparaison.
Je l'ouvre à moitié.
Catherine, entre et (à Annecy)
Je connaissais Joseph Roth de nom, mais n'avais jamais lu ses livres. J'ai donc commencé par La marche de Radetzky, avant de lire La Crypte des capucins, un peu dans l'idée que l'un était la suite de l'autre, ce qui n'est pas vraiment le cas en fait. Les périodes se chevauchent et il s'agit de deux branches différentes de la famille Trotta. Dans les deux cas, on assiste à la fin de l'empire austro-hongrois, mais l'ambiance est différente, le style aussi. La Crypte des capucins est un récit à la première personne ; j'ai apprécié le ton plutôt nostalgique, et l'ambiance un peu funèbre, comme l'indique le titre, d'un monde en train de sombrer. Cette fin est annoncée dès la première page. La mort est régulièrement évoquée, avec une phrase stéréotypée qui revient régulièrement comme un leitmotiv, "la mort croisait déjà ses mains décharnées au-dessus des verres", contrastant avec le milieu dans lequel évolue le personnage principal, de jeunes bourgeois, désenchantés, oisifs et inconscients du fait que la guerre approche et qu'ils vont tout perdre.
J'ai trouvé le personnage de François-Ferdinand attachant, avec son côté un peu décalé. On est assez surpris qu'il soit fasciné par son cousin Joseph, le vendeur de marrons et de pommes cuites, et par Manès, le cocher de fiacre, au point qu'il accepte de se faire plumer sans protester, et qu'il aille séjourner sans hésiter à Zlotogrod. Cela permet à l'auteur de nous expliquer, via le comte Chojnicki, le rôle essentiel dans l'empire des États entourant l'Autriche. La vision de Vienne, donnée par Joseph Roth, m'a parue très différente de celle donnée par Zweig dans
Le monde d'hier.
Il y a très souvent des moments d'humour, la description des deux Slovènes, les beignets de quetsches au moment du départ de François-Ferdinand pour la guerre, le beau-père chapelier qui se transforme en fabricant de képis lorsque la guerre éclate, puis se lance dans le commerce des arts décoratifs, la mère qui devient beaucoup plus gaie quand elle est sourde et qu'elle perd un peu la tête. Le personnage d'Elisabeth, que l'on retrouve après la guerre, vivant avec une femme, et qui finit par s'enfuir avec elle, après être retournée plusieurs fois dans le lit de son mari, est plus inattendu, surtout pour l'époque.
Le contexte historique m'a beaucoup intéressée, bien qu'il ne soit qu'ébauché, vu uniquement à travers le vécu du personnage principal. C'est parfois un peu frustrant mais ce n'est pas un roman historique. Ça m'a donné l'occasion d'aller réviser un peu. L'histoire est évoquée par petites touches. La guerre se limite à une retraite et un séjour plutôt bref dans un camp russe, la chute de la république via l'enterrement du fils de Manès, presque incidemment et l'arrivée des nazis par l'irruption d'un personnage bizarre dans le restaurant où dînent François-Ferdinand et ses amis. Là encore, le contraste entre son aspect assez ridicule (son chapeau ressemble à un pot de chambre et on pourrait le confondre avec un préposé aux lavabos) et la terreur qu'il inspire à tous les dîneurs qui s'enfuient, est très réussi.
J'ouvre l'ensemble (Marche et Crypte) entre ½ et ¾.

Annick L(avis transmis)
S'engager dans la lecture de ce roman est un peu déroutant : il faut s'habituer au point de vue très subjectif du narrateur (dans lequel l'auteur s'est visiblement beaucoup projeté), avec toutes ses lacunes. Le lecteur n'a pas forcément les repères historiques et géographiques (où se trouvait la Galicie ?) qui permettraient de contextualiser le récit. Et François-Ferdinand von Trotta lui-même a un comportement erratique, comme s'il avait perdu le sens de son existence et se laissait porter par les événements : il se marie, il retrouve un lointain cousin, s'engage dans une division militaire périphérique... Quelles sont ses motivations au juste ?
Ce personnage de grand bourgeois oisif est d'ailleurs peu attachant, avec son absence totale d'empathie, son cynisme, sa frivolité. Mais il a une qualité essentielle : sa capacité d'auto-dérision ! Et cela en fait un observateur remarquable de cette époque de fin de règne, de cette société en pleine décadence. J'ai beaucoup pensé à un autre roman d'un auteur autrichien qui se situe dans le même contexte : L'Homme sans qualités de Robert Musil.
L'entrée en guerre précipite l'intrigue et ramène FFVT à des enjeux essentiels : comment survivre ? Comment se reconstruire quand les fondements même de sa vie antérieure se sont effondrés : sa famille est ruinée, beaucoup de ses amis sont morts et l'empire austro-hongrois n'existe plus, réduit à la seule Autriche.
J'ai été touchée par cette vision nostalgique, hantée par la mort, d'un monde qui disparaît, mais aussi par l'évocation de la confrontation d'un homme ordinaire avec la violence et l'absurdité de la guerre, puis avec la barbarie du nazisme (la scène dans le café est saisissante). Comme l'auteur, il ne reste plus à FFVT que l'exil.
On ne peut rester indifférent au côté testamentaire de ce dernier roman de Joseph Roth, un an avant sa mort à Paris.
Au-delà de ce roman il me reste une interrogation : comment Joseph Roth a-t-il pu rester monarchiste, fidèle au mythe de l'empire austro-hongrois salvateur ?
J'ouvre aux ¾ à cause de mes difficultés à entrer en lecture.

Annick A(en direct pour les avis qui suivent)
C'est un livre historique profondément mélancolique sur la chute de l'empire austro-hongrois et sa destruction jusqu'à l'Anschluss, qui nous fait remarquablement ressentir le désespoir des personnages et l'ambiance de l'époque. La mort est omniprésente avec de beaux moments d'écriture. Par exemple : "à mon retour de la guerre, et parce que je n'en revenais pas seulement mûri mais foncièrement vieilli, les nuits de Vienne aussi me montrèrent leurs rides, telles des femmes âgées, assombries par les ans. […] La mort me gratifiait en somme d'un congé illimité, mais il lui était loisible de l'interrompre à tout instant et les affaires d'ici-bas ne me concernaient plus guère."
François-Ferdinand, un Trotta, est un personnage très attachant, profondément humain, qui s'attache aux gens différents de lui, tels son cousin Joseph Branco le marchand de marron et Manès Reisiger, cocher. La scène où il accompagne son serviteur Jacques mourant est très émouvante. Il est clairvoyant quant à l'avenir. J'ai beaucoup aimé le passage entre la mère et le fils, très pudiques quant à leurs sentiments qui les lient ; leur amour mutuel se dit à travers des petits riens et de bons petits plats. J'aime le personnage de la mère. C'est une forte femme froide et dure avec son fils, mais sachant lui montrer son amour et qui ne s'en laisse pas conter. La description de sa mort est comique : "Faites vite, mon père, le Bon Dieu n’a pas autant de loisir que l’Église se l’imagine parfois […]  Si tu revois Élisabeth, mais je crois que cela n’arrivera pas, dis-lui que je n’ai jamais pu la souffrir."
Très belle écriture poétique et très fine dans ses descriptions. La fin est tragique. François-Ferdinand se retire du monde : "Je me trouvais exclu du circuit des vivants ! Exclu, oui, quelque chose comme exterritorialisé. C’est bien cela, j’étais exterritorialisé de la terre des vivants, voilà." Dans ses derniers moments près de la crypte des Capucins où il ne peut entrer, nous pouvons y lire l'amour de Joseph Roth pour les Habsbourg.
C'est un bien beau roman qui m'a plongée dans un monde qui m'était inconnu. Je ne l'ouvre qu'
aux ¾ car quelques passages
m'ont ennuyée.

Brigitte
(à l'écran)
Nous avions lu dans le groupe La marche de Radetzky.
La Crypte des capucins se place aussi dans le contexte de la fin de l'empire austro-hongrois, mais un peu différemment.
C'est un livre très pessimiste sur la fin d'un monde et l'échec de l'ancienne classe aisée viennoise à s'y adapter. Mais peut-on s'adapter à une société qui plonge dans le totalitarisme ?
L'écriture est vraiment intéressante, même s'il s'agit d'une traduction. Je suis très impressionnée par cette phrase : "La mort croisait déjà ses mains décharnées au-dessus des verres que nous vidions." Elle revient comme un leitmotiv tout au long de la description de la vie à Vienne avant le début de la Guerre de 14. C'est un procédé littéraire que je découvre ici, dont l'efficacité est redoutable pour produire une ambiance plutôt macabre, comme les visites à la crypte des Capucins, dans la seconde partie, au retour de la guerre.
Beaucoup de scènes sont à retenir : tout ce qui concerne la relation du héros avec sa mère figée dans son monde ancien, dont l'affection pour son fils est évidente, mais peu manifeste ; la scène de la mort du vieux serviteur, à qui François-Ferdinand sacrifie sa nuit de noces. Je passe sur les péripéties de sa relation avec Élisabeth, pour retenir la dernière scène, où un militant nazi intervient dans un café, provoquant l'effondrement total et définitif du monde viennois.
L'empire austro-hongrois n'était plus qu'un monde de pacotille, qui finit balayé par les nazis.
Pour terminer, je citerai quelques phrases qui m'ont fait réfléchir : il est question du vacarme spécial causé par "ces individus qui n'ont plus de présent mais qui sont sur le chemin menant du passé à l'avenir, d'un passé familier à un avenir extrêmement incertain" (p. 58) et dans la seconde partie : "Il est dans la nature humaine de préférer au chagrin particulier la calamité générale qui dévore tout." (p. 145)
J'ouvre aux ¾.
Jérémy

Avant la lecture
Je connaissais Joseph Roth de nom, mais ne l'avais jamais lu. Je dois avouer que je ne savais même pas vraiment qu'il était autrichien, je pensais plus à lui comme à un auteur allemand. J'étais impatient de le lire. D'une part parce que je vais bientôt en Autriche et ai découvert l'existence, en préparant mon voyage, de la fameuse crypte des Capucins où sont enfermées les sépultures des Habsbourg. La lecture de ce livre me semblait donc particulièrement à-propos en guise "d'amuse-bouche". D'autre part, tant l'époque, début du XXe siècle, que l'origine géographique de l'auteur, la Mitteleuropa, m'attirent. J'étais enfin heureux de pouvoir découvrir un nouvel auteur autrichien, n'ayant lu jusqu'à présent que Zweig.
Après la lecture

J'ai lu ce livre presque entièrement sur une journée, le 1er mai, alors que je ne suis pas un lecteur particulièrement rapide. La lecture est donc très fluide et agréable sans qu'on puisse dire que Roth est un grand "styliste".
Je crois que si j'ai aimé ce livre, ce n'est pas tant ni pour son style que pour l'empathie que j'ai ressentie envers François-Ferdinand, représentant d'un monde sur le point de disparaître et qui ne sent pas/plus à sa place, ni avant, et encore moins après la guerre : "Je ne suis pas fils des temps présents. Il me paraît même difficile de ne pas me déclarer absolument leur ennemi."
J'ai aimé son côté intrinsèquement réactionnaire et pourtant attachant, ainsi que la description, par touches, du monde tel qu'il est et surtout tel qu'il vient, décadent, marqué un renversement des valeurs et de l'ordre établi et qui est décrit par le biais de ses représentants : Elisabeth, qui croise les jambes de manière indécente, qui a des lectures frivoles pour ne pas dire inconvenantes, qui fume et qui s'adonne au lesbianisme, qui se met aux arts décoratifs (cf. mots de la mère du narrateur sur ce point : "Si nous nous mettons à fabriquer avec des matériaux sans valeur des choses qui ont l'air d'en avoir, où cela nous mènera-t-il ?"), le professeur Yolande : "Où est le vieux ?" (en parlant du père d'Elisabeth, ce qui marque la perte du respect pour les anciens par la nouvelle génération). Stettenheim qui parle fort, fait de grands gestes, est mal élevé, grotesque, vulgaire.
Et pourtant le passé ne vaut pas mieux ; les aristocrates que le narrateur fréquente sont décrits ainsi : frivolité sceptique, mélancolie impertinente, laisser-aller coupable, air de distraction hautaine, etc. Ils ne pensent qu'à s'amuser, se complaisent dans leur cynisme. Sous le vernis du raffinement, il n'y a que pourriture.
Les seuls à sauver sont Joseph, Manès et le Polonais qui les recueille : simplicité, droiture, jovialité, solidarité, une vie simple et laborieuse, au contact de la terre les caractérisent, et non une vie faite d'oisiveté et de plaisirs faciles.
J'ai aussi aimé le livre pour les portes qu'il m'a ouvertes : je ne connaissais pas du tout l'histoire de l'empire austro-hongrois. Je me suis un minimum renseigné au moment où il est question de la Cisleithanie (partie allemano-autrichienne) et de la Transleithanie (partie hongroise) et ce livre m'a donné envie d'aller plus loin. J'aime les livres qui amènent vers autre chose.
J'ai aimé le personnage de la mère que j'ai trouvé à la fois touchant et très drôle : "Faites vite, mon Père, le bon Dieu n'a pas autant de loisir que l'Église se l'imagine parfois.", "Oh ! alors mon garçon n'insiste pas. Ces amitiés-là je les connais de ouï-dire. Ça me suffit. J'ai pas mal lu, mon petit ! Tu ne te doutes pas combien j'en sais, des choses ! Un amant aurait mieux valu. Les femmes, à peine si on peut s'en débarrasser. Et depuis quand y a-t-il des femmes professeurs ?"
J'aurais cependant préféré que le livre m'en donne plus. Le narrateur qualifie l'aristocratie décadente plus qu'il ne la donne à voir. J'aurais aussi aimé qu'il m'en dise plus sur cet empire, sur sa substance, sur les raisons pour lesquelles il y était tant attaché. J'ai l'impression qu'il est un peu resté au milieu du gué. Par manque de temps ? D'énergie ? Par volonté de produire un roman très ramassé ?
La fin du livre m'a particulièrement marqué. Le narrateur dit que les affaires d'ici-bas ne le concernaient plus guère et signe ainsi son renoncement et son apathie. Malgré tout, les affaires d'ici-bas finissent par le rattraper, pour le pire : il se retrouve avec une croix gammée sur les bras... Son renoncement et sa passivité sont coupables. Pour moi, ce passage est très intéressant et nous interroge aujourd'hui : on ne peut pas vivre de manière "extraterritorialisée" comme le souhaite le narrateur en se repliant sur sa vie d'individu privé et en délaissant la chose publique et ses devoirs de citoyens. Cela m'a fait penser à ce mot de Montalembert : "Vous avez beau ne pas vous occuper de politique, la politique s'occupe de vous tout de même."

Renée
(à l'écran depuis Narbonne)
On nous parle d'une une Europe avant la Guerre de 14. Toutes ces provinces sont compliquées.
Ceci mis à part, j'ai lu ce livre avec plaisir.
Roth décrit parfaitement l'effondrement de l'Autriche, de la société, des valeurs morales.
L'épisode entre Élisabeth et son amie m'ont rappelé que début 20e il y a eu une libération des femmes qui ont osé (voir l'exposition "Pionnières") fumer, travailler et revendiquer leur homosexualité (pensons aux amies de Colette). Malheureusement la guerre a arrêté cette évolution.
Roth montre bien la destruction des hommes par la guerre ; les rescapés envient quelquefois les morts car ils se sentent "inféconds", "impropres à la mort".
Il y a des passages grotesques : la nuit de noce ou l'ami qui a rasé sa moustache pour ressembler à son domestique, puisqu'il est réellement son "propre domestique" et joue les deux personnages en se donnant des ordres, c'est risible !
Le symbole du rideau baissé dans le bar à la fin est très beau.
Le pessimisme de Roth m'a touchée, mais je n'ouvre le livre qu'à moitié à cause de mon inculture historique...
Geneviève

C'est un livre que j'ai beaucoup aimé. Il n'a pas la même puissance, la même force que d'autres livres de Roth que j'ai lus, mais il y a une finesse, une tendresse que j'ai appréciées.
Il commence ainsi : "Nous nous appelons Trotta. Notre race est originaire de Sipolje, en Slovénie. Je dis bien race, et non famille, car nous ne sommes pas une famille."
Et se termine par ces mots : "Où aller à présent ? Où aller ? Moi, un Trotta ?"
Le livre commence et finit par ces questions d'identité. Cela m'a beaucoup plu.
Un autre aspect du livre qui domine pour moi, c'est l'originalité de ce personnage qui devient ami avec ceux qui ne sont pas de son monde. Il choisit ces deux hommes qui incarnent des valeurs.
La relation avec sa mère est d'abord distante, mais elle bouge énormément. C'est lui qui comprend ce qui se passe, c'est lui qui la sauve, qui la comprend : "De jour en jour d’ailleurs, ma mère devenait de plus en plus injuste, particulièrement depuis que j’avais pris l’hypothèque sur notre maison. Arts décoratifs, Élisabeth, dame professeur, cheveux coupés, Tchèques, sociaux-démocrates, jacobins, Juifs, viande en conserve, papier-monnaie, papiers en Bourse, beau-père, toutes ces choses-là excitaient son mépris et son animosité."
Quant à sa judéité, il n'y attache pas vraiment d'importance : c'est être Trotta qui compte.
J'ai aimé la finesse et la subtilité pour évoquer la relation entre des personnes et des lieux, et la perplexité de ces gens qui vivent cette période. J'ouvre aux ¾, contente d'avoir lu ce livre.

Danièle (qui a lu en allemand, puis en français pour découvrir la traduction)
Je la trouve excellente ! J'avoue que je n'ai pas tout relu en entier. Mais j'ai éprouvé un réel plaisir à lire alternativement les deux. Rien à redire, sauf, pour pinailler, l'expression fréquenter, qu'elle utilise en intransitif dans l'expression "des milieux où je fréquentais". J'aurais dit "des milieux que je fréquentais". Mais ce n'est rien par rapport au style, aussi raffiné que celui de l'auteur. Je n'ai pas vu de trahison dans la traduction. Bref, j'étais fort satisfaite.

Claire, qui avait eu vent de cette remarque et pour pinailler
J'ai vu dans le dictionnaire que fréquenter est trans et intransitif, avec un exemple pris chez Marcel : "Ce n'est pas que la duchesse de Guermantes eût un salon plus aristocratique que sa cousine. Chez la première fréquentaient des gens que la seconde n'eût jamais voulu inviter" — construction intransitive qui va bien avec la décadence...
Danièle entre et
Merci pour cette recherche qui me fait d'autant plus admirer la traduction : trouver l'équivalent du style de cette époque dans la langue surannée de de Proust, c'est du grand art !
Je me sens proche de ce qu'a dit Annick A. C'est un livre touchant et intéressant du point de vue historique, et parce qu'il livre une atmosphère, celle de la fin d'une époque : et j'ai retrouvé la nostalgie (plus ou moins justifiée !) du monde d'hier, comme dans Stefan Zweig.
Mais aussi la nostalgie d'un empire en décadence, comme l'empire tsariste puis soviétique que défend tant Poutine... j'ai donc été ramenée aussi à notre époque, et cherché à comprendre le sentiment de perte et de dégradation que peuvent éprouver les ressortissants d'un pays qui a connu une certaine grandeur par l'étendue de son territoire mais aussi, par l'assujettissement des populations qui le constituent, il ne faut pas l'oublier. Or, le narrateur idéalise ce monde, pas si rose, pour en avoir la nostalgie... !
Le livre nous fait entrer dans sa vie : il regrette la monarchie, l'empire austro-hongrois. Il montre que les Juifs font partie intégrante d'un monde qui n'a pas de frontières, comme si l'antisémitisme n'existait pas à l'époque. Tolérant, il apprécie la richesse de la diversité, tout en remarquant au passage que tout le monde n'en profite pas de la même manière : "Les tziganes de la plaine hongroise, les Houzoules subcarpathiques, les cochers juifs de Galicie, mes propres parents, marchands de marrons à Sipolje, les Souabes, planteurs de tabac de la Bacska, les éleveurs de chevaux de la steppe, ceux de Bosnie et d’Herzégovine, les maquignons de l’Hanakie en Moravie, les tisserands de l’Ersgebirg, les meuniers et les marchands de corail de Podolie, tous, ils nourrissaient généreusement l’Autriche. Plus ils étaient pauvres et plus ils étaient généreux. Tant de souffrances, tant de maux, volontairement offerts comme une chose toute naturelle, avaient été nécessaires afin que le cœur de la monarchie pût passer dans le reste du monde pour la patrie de la grâce, de la gaieté, du génie !"
C'est donc une vision finalement assez subtile qu'il nous livre des rapports entre les populations de l'Empire.
Une certaine veine romantique apparaît aussi dans sa déclaration de se sentir plus en communion avec son cousin Joseph Branco, vendeur de marrons, et Manès Reisiger, cocher de fiacre, qu'avec ses relations un peu dandy de l'époque d'avant. Un peu une constante dans la littérature germanophone, et en particulier chez Goethe, dans Werther, qui explique qu'il éprouve de la joie dans les petits plaisirs simples de la vie, ou encore ce passage où il se sent en totale empathie avec un paysan qui a les mêmes déboires amoureux que lui.
Par ailleurs je me suis délectée de découvrir des noms et des régions totalement inconnus de moi. Cette région du monde a connu de tels bouleversements !
La guerre, il n'en parle pas, il a été prisonnier très vite, et se déclare lui-même "impropre à la mort", vivant pour constater avec amertume le déclin de l'Empire austro hongrois et l'arrivée du nazisme.
Trotta lui-même est un personnage attachant, qui livre honnêtement ses sentiments profonds envers les gens qui l'entourent, en particulier les liens très ambigus avec sa mère, d'apparence froide, mais qui cache ses sentiments pour lui. Mais c'est vers elle qu'il revient en premier après la guerre. C'est elle qui le pousse à revoir Élisabeth, malgré son antipathie pour sa belle-fille. Elle le pousse à trouver une solution, devant la nouvelle situation à laquelle il est affronté au retour de la guerre. Pragmatique mais non pas insensible, elle ne cherche pas à savoir ce que son fils a vécu pendant la guerre.
Lui a surtout perdu ses illusions : les amis qu'il s'est choisis en opposition à sa classe sociale l'ont déçu, la vie qu'il a subie pendant la guerre, ne lui a pas coûté la vie, il n'a même pas été vraiment blessé, mais il a traversé géographiquement et socialement cette époque sans y mettre vraiment du sien. Seul son caractère trempé et son honnêteté lui ont fait bénéficier d'avantages matériels
Élisabeth, sa femme par la force des circonstances, est un personnage à part. En contraste avec le style traditionnel représenté par la mère du narrateur, elle a adopté un style de vie "moderne" pour l'époque (cheveux courts, vie de bohème…). Elle mène sa vie comme elle le veut à l'intérieur du couple, délaisse son enfant pour profiter de sa liberté (de créer ?). La mère, qui semblait figée dans son espace de vie, se met à apprécier sur le tard une vie plus chaotique et moins routinière. Dans ce livre, les femmes bougent ! Et Trotta, conscient des manipulations exercées par les uns et les autres, essaie de faire la part des choses. Il n'entrera en colère qu'une seule fois, lors de la dépossession des biens de sa mère. Il semble plutôt le reste du temps considérer cela avec humour.
Ce livre, dans un style très agréable à lire et une langue riche et précise, fourmille de détails qui donnent bien l'atmosphère de l'époque et fouille aussi la psychologie des personnages. J'ai beaucoup aimé, sauf quelques longueurs à la fin.
J'ouvre entre ¾ et grand ouvert.
Claire
J'avais lu La marche de Radetsky dans le groupe il y a 34 ans, donc je n'en ai aucun souvenir : mes vagues notes indiquent "quelques scènes fortes", "des bouts de style dans une marée de grisaille"... J'ai beaucoup aimé voir le film de 3h30 que nous avons regardé en deux parties, plongeant agréablement dans l'Histoire et dans l'histoire des Trotta, une bonne introduction à notre livre, puisque le frère du grand-père de notre narrateur était le héros était de la bataille de Solférino qui sauva la vie de l’empereur François-Joseph et qui d'obscur péquenot et petit lieutenant d’infanterie devint baron — ce dont découle toute La marche de Radetzky. Comme Manuel, j'ai pensé aux Buddenbrook "transgénérationnel sur fond historique" qu'on a lu l'été dernier. Bref !
La Crypte m'a bien plu. J'ai suivi avec un intérêt constant :
- la description de sa bande d'aristocrates décadents avec ses modes et conformismes intéressants : par exemple, notre narrateur doit cacher qu'il est amoureux car c'est mal vu, mais il frime avec le gilet à ramages acheté à son cousin slovène vendeur de marrons
- les deux ploucs auxquels il s'attache, hauts en couleur
- le surgissement de la guerre et les aventures qui s'ensuivent, les nationalismes qui montent dangereusement
- les relations avec les femmes (gratinée avec sa mère - j'ai adoré - et surprenantes avec Élisabeth et la vilaine Yolande) et celle avec le nouveau-né ("l'avoir engendré ne suffisait plus. J'aurais voulu l'avoir porté et mis en au monde. Il trottait dans la pièce, vif comme un furet.")
- et le narrateur auquel je me suis vraiment attachée, contrairement à Annick L.
La fin est dramatique à souhait. Si je n'ouvre pas en grand, c'est que j'aurais aimé moins d'ellipses à la fin pour bien tout comprendre des événements politiques ; la crypte elle-même m'a laissée un peu... froide.
Enfin, très important, car c'est la raison de la raison de l'intérêt, j'ai vraiment apprécié l'écriture, la voix, le ton mêlant :
- dérision ("Tous auraient eu plaisir à m'acheter mon cousin tout entier, ma parenté, mon cher Sipolje.")
- vague désespoir ("Nous savourions notre tristesse avec la même étourderie que notre plaisir.")
- ou carrément humour ("l'amour passait pour un égarement, on considérait les fiançailles comme une espèce d'attaque d'apoplexie, et le mariage comme une maladie chronique").
Il y a une densité d'événements, de descriptions, de réactions que j'ai lues avec un très grand plaisir.
Monique L
C'est un roman de la nostalgie irrépressible de la fin d'un monde, de sa décomposition, de la désagrégation de la mosaïque culturelle qu'a pu constituer aux temps de ses fastes la monarchie austro-hongroise.
Cela nous est relaté, non pas d'un point de vue historique ou guerrier, mais au moyen de la biographie d'un jeune aristocrate qui passe d'une vie de bourgeois insouciant de Vienne à celle d'un prisonnier dans un camp de Sibérie, puis son retour dans un monde qu'il ne reconnaît plus.
Le pouvoir d'évocation de l'auteur ressuscite avec talent cette période et surtout la différence entre la Vienne d'avant et après la Guerre de 14.
Pour le narrateur, mais également pour des personnes plus modestes, comme le marchand de marrons, tout devient méconnaissable. Leur monde est mort et ne reviendra plus.
Le narrateur se décrit comme un mort parmi les vivants : "Je me trouvais exclu du circuit des vivants !"
L'intime se mêle ici à l'Histoire qui est juste évoquée, comme les fusillades de février 1934 par l'enterrement du fils révolutionnaire de Manès Reisiger.
L'auteur exprime son amertume, son regret et sa nostalgie du passé mais aussi son pessimisme quant à l'avenir. Il regrette une Europe cosmopolite qu'il oppose à une Europe des nations qui est bien plus divisée (la réapparition des passeports).
Roth se montre conscient des problèmes futurs : le nazisme, la question des nationalités, du nationalisme, des frontières, des libertés.
Je comparerais ce roman à un tableau qui par touches nous décrit une époque. L'écriture est élégante et la mélancolie qui se dégage m'a beaucoup touchée.
Cet excellent roman m'a donné envie de lire La Marche de Radetzky que je n'avais pas encore lu, que j'ai apprécié, mais finalement j'ai une préférence pour La Crypte des capucins que j'ouvre en entier.
Jacqueline
Le livre, lu il y a un mois, m'avait bien plu, mais je l'avais beaucoup oublié et ne savait plus guère comment en parler. Je suis contente de vous avoir écouté pour le retrouver... J'avais vu la deuxième partie du film La Marche de Radetzky qui ne m'avait pas emballée bien que ce soit joli  peut-être était-ce parce que je n'avais pas vu la première. Cela m'a amené à lire le roman, finalement très proche de La Crypte des capucins, et j'ai du mal à séparer les deux. Cependant, je préfère La Crypte dont le narrateur est plus sympathique que le héros de La marche  même s'ils ont beaucoup de points communs…
Je me suis beaucoup retrouvée dans tout ce qui a été dit. J'aurais aussi aimé que certains passages soient plus développés notamment quand il est prisonnier en Sibérie. C'est très ramassé et ça m'a laissée sur ma faim. Mais d'un autre côté, le procédé est intéressant, avec un livre court mais très dense.
J'ai commencé aussi un autre livre de Roth La Toile d'araignée, l'histoire d'un jeune ambitieux dans la montée du nazisme qui m'a rappelé L'Enfance d'un chef de Sartre, mais je l'ai abandonné en cours de route…
Je suis assez ignare en histoire mais, justement, j'ai aimé avoir cet éclairage sur l'empire austro-hongrois  points de vue légèrement complémentaires entre La Crypte des capucins et La marche de Radetzky où il est question de l'actuelle Hongrie. Sur une même période et avec un même sentiment de perte, il m'a semblé que Roth parlait plus de l'empire que Zweig dans Le monde d'hier qui était centré sur Vienne… J'ai pensé à d'autres livres que nous avions lus sur cet empire et son éclatement, comme Le pont sur la Drina d'Andric ; cela résonnait aussi pour moi avec les figures ruthènes et les Carpathes de Appelfeld
J'ouvre à moitié parce que j'avais beaucoup oublié, mais j'ai été très intéressée par ce que j'ai entendu ce soir.
Maëva(à l'écran depuis Toulouse)
Cette œuvre est la première de Joseph Roth que je découvre et j'avais peu de repères historiques avant de commencer. Pour être honnête, j'ai eu du mal à entrer dans le récit. Les répétitions et les images stéréotypées de la mort ("la mort croisait ses mains décharnées" p. 41 et p. 47 par exemple), assez prévisibles, me laissaient à une distance respectueuse du narrateur.
Celui-ci se présente comme sans ambition, il se laisse vivre oisivement au début du roman et se délite au retour de la guerre. Il semble impuissant et assiste simplement aux événements. Cette passivité m'a un peu questionnée au départ.
Les mentions répétées de la mort à travers le roman m'ont fait penser à une marche funèbre et on sait très vite le délitement à venir. Cette présence témoigne aussi des illusions de cette jeunesse qui ne s'attend pas à la longueur et à la dureté de la guerre. Le passage p. 64 en est un exemple, avant de partir au front le narrateur dit à sa mère : "je reviens bientôt" et elle lui répond simplement : "je t'attends pour déjeuner".
Par ailleurs, j'ai noté certains passages sur les femmes qui sont décrites avec leurs "formes généreuses" ou la description de Yolande comme ayant un "fort duvet ombrageant les lèvres" p. 123 ou encore celle de sa femme comme ayant un "goût très prononcé pour ce qu'on appelle 'le ménage' et la manie de l'ordre, de la propreté, comme bon nombre de femmes" p. 167.
Je trouve que les points forts du livre sont :
- le délitement de la société austro-hongroise vécu à travers celui du narrateur, ainsi que le personnage de la mère ;
- l'absence de récit de guerre (on évite le côté cru des champs de bataille) ;
- l'épilogue, que je trouve particulièrement concis et efficace.
Comme beaucoup d'entre vous, j'ai été touchée et marquée par la relation du narrateur avec sa mère. Je trouve qu'elle symbolise à elle seule le délitement de la société, tant elle transmet ces valeurs traditionnelles auxquelles le narrateur est tant attaché. Le passage du retour après la guerre, comme si les horreurs ou la destruction de la monarchie n'avaient pas eu lieu, l'infirmité que la mère tente de cacher, sa lente déchéance et sa mort, qui précède tout juste l'arrivée des nazis au pouvoir, sont autant d'éléments significatifs et particulièrement intéressants.
J'ai trouvé le décalage du monde de l'après-guerre avec le narrateur saisissant, il y a une véritable fracture entre deux périodes. Cette distinction est d'autant plus frappante que le "monde d'après" s'est construit sans la présence des combattants, ils n'ont plus de place : Zlotogrod a disparu, les marrons sont véreux et le narrateur n'a aucun métier.
Si au début la posture du narrateur m'a un peu ennuyée, je trouve, après avoir terminé le livre, qu'il fonctionne avec cette émotion nostalgique et mélancolique qui traverse le récit. Le traitement des personnages, que ce soit le narrateur, la mère, Élisabeth ou l'amitié avec Branco et Manès, montre avec subtilité les enjeux historiques.
C'est une bonne découverte et je pense lire La Marche de Radetzky pour compléter ! Je l'ouvre aux ¾.

Claire
C'est l'écriture d'une histoire, mais aussi l'histoire d'une écriture... Comment prendre cette petite mise en abyme à deux moments, au ch. VII : "ll me faut parler ici d'une chose importante et que j'avais espéré pouvoir passer sous silence quand j'ai commencé d'écrire ce livre. Il ne s'agit en effet de rien moins que
de la religion."
Et au ch. XX : "Il conviendrait d'exposer ici les sentiments qui animent un prisonnier de guerre. Mais je ne sais pas trop quelle grande indifférence rencontrerait actuellement ce genre de récit. J'accepte volontiers le destin d'être un disparu, mais je ne puis me résigner à devenir le narrateur de choses disparues. À peine serais-je compris si j'entreprenais de parler aujourd'hui de la liberté, par exemple, ou de l'honneur, à plus forte raison de la captivité. Mieux vaut se taire provisoirement. Je n'écris que pour y voir clair en moi-même et aussi pro nomine Dei. Qu'il me pardonne le péché." Est-ce utile ? Quel effet ça créé — me suis-je demandé : une sorte de distance supplémentaire, et peut-être un après... ce Trotta va écrire...

Comme le livre se termine sur les lieux d'un tombeau, j'en ai fait autant et me suis livrée au fétichisme littéraire...

Je suis d'abord allée non loin d'ici voir rue de Tournon où il avait logé à l'hôtel, au-dessus du café Tournon :
Voilà la plaque :

Pire que ça, après avoir lu le récit de son enterrement folko, je suis allée voir sa tombe, ce qui m'a permis de découvrir le cimetière parisien de Thiais, absolument gigantesque. Le livre La Crypte des capucins se termine par la visite d'une tombe, j'ai fait de même... Je voulais voir aussi les tombes de Paul Celan, Severo Sarduy et Zamiatine, mais c'est tellement étendu qu'il aurait fallu prévoir une randonnée de trois jours. Voilà la photo d'une allée au loin, les gens peuvent circuler en voiture tellement c'est grand :

Une fois dans la division 63, j'ai cherché la tombe repérée par une photo sur la fiche wikipedia de Roth :

Facile avec cette pierre grise à deux niveaux, et surtout avec ce petit arbuste, je vais la reconnaitre sans tarder...

Et effectivement... J'ai alors éclaté de rire (intérieurement, étant donné la dignité des lieux) en découvrant l'arbuste...
1=> Voici l'arbuste au pied de la tombe : 2=> Et l'arbuste vu de l'autre côté de la tombe :

J'ai trouvé que ce gag allait très bien à Joseph Roth...
Son enterrement est commenté par plusieurs contributeurs
au Cahier de L'Herne consacré à Roth : je ne peux résister à les citer... :
Paula Jacques - Il y aura cet enterrement inénarrable. On se dispute la dépouille spirituelle du mort. Il y a ceux qui veulent un rabbin et des prières en hébreu et ceux qui disent : vous n'y êtes pas, il s'était converti… Le problème, c'est qu'on ne trouve pas le certificat de baptême… Bref, les juifs, les communistes, les anarchistes - il avait écrit des articles sous le pseudonyme de Joseph le Rouge - tous ceux qui le revendiquent sont furieux. Et l'enterrement se termine comme une comédie à l'italienne.
Florence Noiville - Une comédie qui se termine à Thiais… Pourquoi Thiais ? Personne ne sait vraiment très bien. Il voulait être enterré à Montmartre où reposait le grand Heine qu'il admirait beaucoup. Mais… c'était trop cher. Alors il a cette petite tombe à Thiais. Une petite tombe envahie par les herbes… La tombe se trouve dans la section catholique du cimetière. L'inscription sur la pierre tombale dit : "écrivain autrichien - mort à Paris en exil." Je ne crois pas que beaucoup d'admirateurs aujourd'hui viennent lui rendre visite de façon posthume [si si si, MOI, mes photos le prouvent !]. Mais ça aussi, Roth l'avait anticipé : "Ma mort, disait-il, sera aussi solitaire que l'aura été ma vie."

Blanche Gidon, sa traductrice et amie, était présente aux funérailles à Thiais : voir ›son récit

Jérémy, quant à lui, a filé directement à Vienne après la séance afin de faire un reportage photographique sur la crypte des Capucins où logent 149 Habsbourg, dont 12 empereurs et 19 impératrices et reines...

Au centre François-Joseph, à gauche Rodolphe, à droite Sissi :
Sissi... (1854-1898) = Élisabeth de Wittelsbach, impératrice d'Autriche,
reine de Hongrie, de Bohême et de Lombardie-Vénétie :
Rodolphe, prince héritier (1858-1889), fils de François-Joseph et Sissi :
Marie-Thérèse (1717-1780)
et son époux l'empereur François Ier (du Saint Empire) :
L'entrée de la crypte des Capucins (Kapuzinergruf) :

Les cotes d'amour du groupe breton
réuni à Rennes le 15 juin 2023

avec la participation de 4 Parisiens venus pour la journée à Rennes

La séance se déroule dans le jardin plein de charme de Suzanne
en pleine ville de Rennes. Elle sera suivie par la découverte
des mosaïques Odorico dans la ville.

Brigitte (avis transmis)
Ce roman inspiré de la vie de l'auteur Joseph Roth est plaisant à lire. La préface de la traductrice qui a connu l'auteur est très intéressante pour situer le livre dans son époque. La lecture est facile alors que, vu le sujet, je m'attendais à une lecture plus ardue. Facile : je me dis que cela cache peut-être des éléments que je n'ai pas vus... De plus ce livre est riche en références historiques, ce que je trouve intéressant pour se replonger dans l'Histoire.
Je vois trois parties dans le roman : la vie d'un jeune aristocrate viennois avant, pendant et après la Première Guerre mondiale et les conséquences de cette dernière sur la société viennoise.
Dans la première partie je fais connaissance avec François Ferdinand Trotta, le narrateur - même prénom que l'archiduc François Ferdinand d'Autriche, héritier de l'Empire austro-hongrois dont un ancêtre des Trotta a sauvé la vie à Solferino. Je n'ai pas lu La Marche de Radetzky, mais j'ai regardé la mini-série allemande. L'atmosphère est sombre, avec la chute de l'empire austro-hongrois au rythme de la musique militaire de Strauss. Je souligne des répétitions imagées sur la mort… c'est, je pense, un choix de l'auteur pour nous imprégner de l'atmosphère viennoise du début du XXe et partager l'ambiguïté entre la jeunesse aristocratique qui se noie dans un tourbillon de vie (surtout festif et nocturne) et la mort qui plane.
Revenons à François Ferdinand. Ce jeune homme a de l'humour, il m'est sympathique. C'est un homme bon, un grand noctambule, membre de l'aristocratie viennoise à l'aube de la Grande Guerre, qu'il qualifie à son retour de "fête de la mort". La mort plane et Trotta s'étourdit dans des occupations frivoles et coupables à la recherche d'une confirmation de la vie car la mort menace : "au-dessus de nos verres que nous vidions gaiement, la mort invisible croisait déjà ses mains décharnées".
Puis Trotta se marie rapidement avec une sobriété militaire et part de suite à la guerre. Alors, j'attendais un récit chargé d'émotion. Mais c'est comme si, pour se protéger ou pudiquement, le narrateur n'avait pas envie de partager ces mois/années en Russie. Trotta survole son parcours de soldat captif. A-t-il honte de ne pas avoir été un soldat combatif au front dans la lignée de ses ancêtres, de ne pas être un héros ? Lorsque sa femme lui demande : "Et toi qu'as qu'as-tu fait tout ce temps-là ?" Il répond sobrement : "Je me suis laissé pousser par les événements." Il ne veut ou ne peut pas le lui raconter. Revenir pour lui c'est être "impropre à la mort". La blessure est forte.
Enfin, le retour (c'est la partie que je préfère) tant espéré à Vienne arrive pour lui et ses amis sauvés des mains de la mort. Mais la ruine, le désespoir sans borne les attendent. Sa mère s'est ruinée en emprunts de guerre, mais d'autres comme son beau-père ont tiré profit de la guerre et se sont enrichis. Les titres de noblesse sont abolis. Il dit : "nous avions tous perdu notre position, notre maison, notre argent, notre valeur, notre passé, notre présent, notre avenir." Leur vie perd de son sens et vivre leur donne un mal être et de grandes souffrances morales. "Et chacun de nous enviait ceux qui étaient tombés au champ d'honneur". Arrivera-t-il à vivre sans illusion ? Il se dit aussi incapable de prendre des responsabilités : "je ne craignais pas la mort mais un bureau, un notaire, un postier me faisaient peur." Il apprend à se fâcher… : trop drôle ! Mais l'Histoire ne l'épargne pas. Il reste seul, perdu, abandonné face à la tentative d'hégémonie allemande : même la crypte des Habsbourg ne sera pas un refuge.
J'ai bien aimé les personnages : sa mère vieillissante et sourde, bien sévère pour son fils et elle-même, mais qui se révèle séductrice et sociable, sa femme Elisabeth (même prénom que la princesse Sissi, femme de Francois Joseph Ier empereur d'Autriche), artiste et émancipée accompagnée de son amie la vilaine Yolande, ses deux amis d'un autre milieu social, surprenants hommes rustiques que sont son cousin Joseph Branco et le cocher Manès Resiger… Les personnes sont souvent dépeintes avec une pointe d'humour et force de qualificatifs. Chapitre XXX, je m'amuse de sa vision du foyer conjugal.
Roth posent des questions autour des territoires, des unités linguistiques et ethniques, des frontières et de la complexité de cohabitation de multiples nationalités, à la fois source de richesses et source de conflits. Guerre entre les peuples et souffrance d'hier, d'aujourd'hui et de demain !?
Ce livre me ramène à une fresque historique que j'ai lue l'été dernier, un roman qui a comme point de départ l'exil d'un couple autrichien juif vers la République dominicaine dans les années trente : Les déracinés de Catherine Bardon. Je n'oublie pas un clin d'œil à Thomas Mann et les Buddenbrook.
Chantal(avis transmis)
Voici mon avis, pas très étoffé, j'ai oublié mes notes à Houat. Acte manqué ? Peut-être, parce que la chose qui me revient sans cesse de cette lecture, ce sont les menaces de mort qui planent au-dessus des verres de ces jeunes gens insouciants à la veille de la guerre de 1914. Quelquefois, j'ai peur qu'elles ne planent au-dessus de nos verres !
J'ai lu ce livre il y a deux mois, beaucoup trop vite, et il m'en reste peu d'impressions - enfin je le croyais - sinon d'une écriture remarquable et d'une grande nostalgie du narrateur et de l'auteur de ce temps passé, l'empire austro-hongrois où le peuple était "gouverné", où l'ordre et la stabilité régnaient.
Mais en relisant certains chapitres, je réalise un texte beaucoup plus riche, plus profond que ce que j'en avais perçu.
La narration me semblait "froide", les faits , rien que les faits, ce que Roth nomme "la réalité transformée", avec pour moi pas assez d'émotion… les faits, le départ à la guerre, les camps de prisonniers, le retour, les retrouvailles avec les amis rescapés de la guerre, les faits, les faits... Mais cette sobriété de narration met en relief, bien plus que s'ils étaient étalés, l'amour de sa patrie, l'amour de sa mère, de sa famille Trotta, et surtout sa douleur de l'explosion de cette patrie !
Il y a de la poésie dans ces phrases concises, un moment, Dieu sait pourquoi, j'ai pensé à l'écriture de contemporains, Marguerite Duras.
Enfin le dernier chapitre, en 1939, dans le café de Vienne où se retrouvent les amis, l'arrivée du jeune nazi, là c'est, comment dire ? Après ces chapitres linéaires, le bouleversement total ! Le mouvement, la précipitation, la peur, l'effroi même, la fuite. Changement d'écriture, moi lectrice, j'ai peur.
Et le départ du narrateur avec le chien, vers la crypte des Capucins, seul, le désespoir total. Quelle chute !
Et... dès l'arrivée des nazis au pouvoir, les livres de Joseph Roth sont brûlés ! Bien sûr, juif, pacifiste.
Je l'ouvre aux ¾, le ¼ enlevé, c'est moi, ma lecture trop superficielle.
Un auteur injustement méconnu. Merci Voix au chapitre !
Édith
Mon avis est très proche de celui de Chantal.
Je me suis précipitée sur le texte sans regarder préface ou post face : miam miam, une lecture qui coule toute seule. Mais une écriture que j'ai eu envie de qualifier de blanche. J'étais un peu déçue. Puis j'ai regardé le film
La Marche de Radetzky et ai eu beaucoup de plaisir. J'ai saisi tout à coup l'émotion qui manquait. Puis j'ai lu la documentation sur le site et tout s'est rassemblé.
J'ai alors repris le texte et corné presque toutes les pages, y trouvant beaucoup d'humour, des dialogues superbes, une situation parfois abracadabrante, des descriptions de scènes formidables comme la nuit de noce.
Il m'a fallu tout ça (première lecture, film, documentation, reprise du texte) pour pouvoir voir la force du texte.
Grâce à tous ces éléments, L'auteur et le narrateur me semble très proches
Ce qui explique cette lecture "blanche" c'est mon rapport à l'empire austro-hongrois, vague souvenir de la 5e et de la 4e ; autre est une lecture concernant l'Algérie par exemple, dont l'histoire me concerne plus émotionnellement.
Un seul lien unissait tous ces gens alors : la langue et l'empereur, relevant de l'imaginaire.
J'ouvre aux ¾ avec le regret que la première lecture de ce livre ne m'ait pas embarquée, mais du coup j'ai vécu avec lui pendant un mois.

Suzanne
Quand j'ai commencé, je me suis dit c'est bon, c'est comme Les Buddenbrook, le déclin d'une famille.
Mais j'ai lu sur cette époque Elisabeth Badinter.
Comme j'ai déjà lu cette histoire du déclin quand on voit tous les peuples qui étaient dans cet empire sous la fascination de l'empereur, j'aurais pu éviter de lire La Crypte des capucins, que j'ai trouvé pas compliqué à lire, mais pas inoubliable.
J'ai cependant apprécié le leitmotiv sur la mort et j'ouvre à moitié.
Marie-Thé
J'ouvre ce livre aux ¾ et si je le ferme ¼, c'est à cause d'un je ne sais quoi que je n'arrive donc pas définir...
J'ai aimé suivre François Ferdinand Trotta, depuis sa jeunesse privilégiée insouciante à Vienne, jusqu'à son errance tourmentée s'achevant devant la crypte des Capucins (notre basilique Saint-Denis à nous...). À l'origine de ce parcours, je vois la figure importante du père. "Mon père, lui, fut un rebelle (...) un rebelle et un patriote." Il fallait "réformer l'empire et sauver les Habsbourg". "Dans son testament, il me désigna comme l'héritier de ses idées." J'ai été attentive à la préface de Dominique Fernandez, nous rappelant l'intérêt de ce fils Trotta pour "l'autre", sa sensibilité à celui qui est différent, grand bourgeois accueillant le "déclassé" de sa famille ou venant en aide à l'ami de celui-ci, l'humble cocher, pour son fils Éphraïm. Je reconnais là Joseph Roth tel qu'il est présenté dans la postface, attentif aux nécessiteux "enfermés en Autriche". Désespéré, il allait se suicider. Son Autriche d'autrefois avait disparu. Ceci me ramène à la dernière ligne du texte de Joseph Roth : "Où aller à présent ? Où aller ? Moi, un Trotta ?" Parallèle avec la monarchie austro-hongroise :
"La grandeur de l'empire, selon Roth, ne tenait pas à sa capitale autrichienne, mais aux nombreuses provinces hétérogènes dont il était constitué (...). Toute la richesse était dans les marges." Où est ce "métissage intelligent entre peuples divers" qu'aurait souhaité Joseph Roth ?
Joseph Roth était juif, Trotta, son personnage, ne l'était pas, mais ils étaient proches.
Ce livre me fait penser à une marche funèbre, c'est aussi une quête.
Insouciance et pressentiments, confusion des sentiments, antisémitisme, amitiés pesantes, mère souveraine, portraits de femmes peu flatteurs, hommes lâches, religion (pour le pardon ?), effondrement d'un monde, de tous ("Nous avions tous perdu... notre passé, notre présent, notre avenir."). Tout y est.
Mort et amour sont mêlés (quand même, la nuit de noces, il envoie un papier vierge juste signé à sa femme, tout y est dit...) Est-ce drôle ? Tout comme l'échange de la mère avec le conducteur de fiacre la menant au Prater : "Tous ceux qui vivent sans travailler sont des capitalistes ", sauf les mendiants...
J'ai beaucoup aimé les portraits, savoureux et parfois drôles (le notaire, et même le redoutable M. von Stettenheim qui parle très fort). La nature est belle, jusqu'au ciel étoilé de Sibérie.
Effondrement d'un monde amenant à ceci : "c'est probablement ainsi que les gens vivront un jour (...) embrassant comme mère de la fécondité une terre en train de se dessécher" Résonance avec aujourd'hui.
J'ai bien sûr pensé à Stefan Zweig, à Robert Musil. Intéressant rapprochement avec Le Guépard, mais Roth et Lampedusa sont bien différents.
Manuel
J'ai lu La Crypte des capucins puis La Marche de Radetzky. Je ne comprenais pas pourquoi le héros François-Ferdinand revenait de la guerre tel un paria. C'est qu'il était déshonorant de ne pas avoir combattu. Il est décrit comme un perdant. J'ai trouvé étonnant le personnage de la femme tiraillée entre son mari et sa compagne créatrice ou la mère seule qui est forcée de convertir sa maison en pension. La Crypte est un livre crépusculaire traversé de la nostalgie d'un empire perdu. D'ailleurs, j'ai parcouru les pages wikipédia de l'histoire de l'empire austro-hongrois et pour situer les pays qui le composaient. Il y a tellement de choses apprises à l'école dont on ne se souvient plus. Comme dans La Marche, on suit l'épopée du héros lors de différentes situations et époques : Joseph Roth nous fait passer d'une situation à une autre en une phrase. La Guerre de 14 est survolée, on perd de vue le cousin qui fait une rapide apparition au retour de Vienne. Le fils du cocher rappelle le contexte politique.
Des tournures poétiques m'ont parfois paru alambiquées et il y a beaucoup de répétitions : les mains de la mort.
J'ai beaucoup pensé aux Buddenbrookqui est une espèce de pendant prussien du roman de Roth. Le passage de la mort de Jacques est bouleversant ainsi que la scène dans le café avec l'arrivée des nazis. J'ouvre aux ¾ en recommandant La Marche qui donne l'impression d'un roman plus achevé, travaillé et virtuose. Philip Roth a terminé la rédaction de La Crypte à la fin de sa fin pendant son exil. Ce qui explique cela je pense.

Etienne
J'aime beaucoup les romans historiques, mais La Crypte des capucins n'a emporté qu'une (petite) moitié de mon adhésion, je dois avouer que je m'attendais à un peu mieux. Je vais commencer par ce qui m'a plu :
- L'atmosphère globale du livre est très bien sentie ; on arrive presque à palper cette ambiance de fin de règne et la grande connaissance de l'auteur de son empire, ses ethnies, coutumes, rend le récit assez poignant.
- La lecture est fluide ; l'écriture est ce qu'il faut de sophistiquée pour avoir un charme désuet.
- L'effet de surprise total de la deuxième partie avec le ménage à trois est cocasse.
Cependant, même s'il est sympathique, ce roman m'a paru avoir des défauts gênants :
- de (très) nombreuses répétitions de tournures de phrases, d'aphorismes donnent véritablement l'impression d'avoir lu un brouillon. Je cite : "la mort croisait ses mains décharnées", les "blondes aux formes généreuses", "nous étions jeunes…" et j'en passe probablement, répétées parfois 4 fois sur 40 pages. Joseph Roth m'a souvent donné l'impression d'un gentil grand-père gâteux qui rabâche… S'il-vous-plaît, dites-moi que je ne suis pas le seul à avoir ressenti ça !
- Même amusante, son écriture faite d'hyperboles a fini par me lasser et surtout m'a rendu complètement désincarnés les personnages : impossible de ressentir de l'empathie pour François-Ferdinand, Elisabeth, Joseph Branco et consorts.
- Des ellipses trop brutales, surtout que ces dernières ne me paraissaient pas vraiment servir un propos.
En résumé je dirais que, même s'il possède le charme d'avoir su retranscrire l'atmosphère de déliquescence d'une époque, j'ai été déçu. Je pense aussi qu'inconsciemment j'en attendais une sorte de
Le pont sur la Drina version autrichienne et qu'il a souffert de la comparaison.
Je l'ouvre à moitié.
Jean
Personnellement je n'ai pas trouvé d'intérêt à ce livre qui n'est ni historique (manque de mise en perspective des événements personnels du narrateur), ni empathique (la décadence de la famille Trotta ne m'a fait ni chaud ni froid). Enfin l'Anschluss de Hitler ne peut manquer de nous ramener à "l'Anschluss" du jour, celui de Poutine... et sur ce qui semble "normal" : le règlement des conflits pas la violence. Sur le temps long, la "démocratie" grecque aura-t-elle été une parenthèse ? Cela aurait-pu être la question du livre de Roth.

Intellectuel autrichien d'origine juive, Joseph Roth décrit dans La Crypte des capucins la fin d'un monde, celui du vaste empire Austro-Hongrois. Un empire qui s'écroule après la mort de l'Empereur François Joseph et surtout après la défaite de la première guerre mondiale. Pour Joseph Roth, c'était un emp
ire multiculturel comprenant différentes langues et peuples (Hongrois, Slaves, Allemands, Tchèques, Croates, Serbes, Bosniaques, Italiens, Slovènes…). Face à la montée du nazisme, Joseph Roth sera contraint de s'exiler à Paris en 1933. Il décédera en 1939 à l'âge de 45 ans.
La crypte des Capucins se trouve à Vienne dans le sous-sol d'une église. On y découvre les gisants d'une quinzaine d'Empereurs et d'Impératrice ayant régné sur le vaste empire Austro-Hongrois, depuis 1633. La "maison des Habsbourg" administrera le saint Empire romain germanique (Autriche, Hongrie et Bohème) jusqu'à François Joseph qui meurt en 1916. La Crypte des capucins commence juste avant la guerre.
Le narrateur appelé François Ferdinand est un cousin des "Trotta", famille dont l'histoire est relatée sur trois générations un autre roman La marche de Radetzky". C'est un riche bourgeois de Vienne qui mène une vie insouciante, quand surgit la guerre et la mobilisation. A la recherche de ses origines Slovène, il sera affecté dans un régiment de paysans et d'artisans en Galicie Orientale, limite extrême de l'empire face aux cosaques. Prisonnier des Russes et sera envoyé dans un camp en Sibérie. De retour à Vienne, il retrouvera sa mère vieillie, et sa femme sous influence d'une autre femme artiste et homosexuelle. L'empire a disparu et c'est un monde nouveau dans lequel François Ferdinand ne se reconnaîtra pas. L'ancienne Autriche, celle de Vienne, capitale des arts, il la retrouve alors dans la crypte des capucins où dorment "ses" empereurs oubliés. Une époque où l'on pouvait être différent, être autrichien et citoyen du monde… " j'ai perdu mon pays. J'appartiens à une époque, en apparence ensevelie où l'on trouvait tout naturel qu'un peuple fut gouverné parce qu'il ne pouvait pas se gouverner lui-même sans précisément cesser d'être un peuple ".
C'est un roman écrit à la première personne du singulier, qui passe pour une sorte de confession de Joseph Roth sur son époque et sur la nostalgie qu'il éprouve à propos de l'ancien l'empire austro-hongrois. La Crypte des capucins est un de ces ouvrages que les nazis brûleront en 1933 lors de leurs fameux autodafés en place publique car contraire à "l'esprit allemand" selon eux.

Catherine, entre et
Je connaissais Joseph Roth de nom, mais n'avais jamais lu ses livres. J'ai donc commencé par La marche de Radetzky, avant de lire La Crypte des capucins, un peu dans l'idée que l'un était la suite de l'autre, ce qui n'est pas vraiment le cas en fait. Les périodes se chevauchent et il s'agit de deux branches différentes de la famille Trotta. Dans les deux cas, on assiste à la fin de l'empire austro-hongrois, mais l'ambiance est différente, le style aussi. La Crypte des capucins est un récit à la première personne ; j'ai apprécié le ton plutôt nostalgique, et l'ambiance un peu funèbre, comme l'indique le titre, d'un monde en train de sombrer. Cette fin est annoncée dès la première page. La mort est régulièrement évoquée, avec une phrase stéréotypée qui revient régulièrement comme un leitmotiv, "la mort croisait déjà ses mains décharnées au-dessus des verres", contrastant avec le milieu dans lequel évolue le personnage principal, de jeunes bourgeois, désenchantés, oisifs et inconscients du fait que la guerre approche et qu'ils vont tout perdre.
J'ai trouvé le personnage de François-Ferdinand attachant, avec son côté un peu décalé. On est assez surpris qu'il soit fasciné par son cousin Joseph, le vendeur de marrons et de pommes cuites, et par Manès, le cocher de fiacre, au point qu'il accepte de se faire plumer sans protester, et qu'il aille séjourner sans hésiter à Zlotogrod. Cela permet à l'auteur de nous expliquer, via le comte Chojnicki, le rôle essentiel dans l'empire des États entourant l'Autriche. La vision de Vienne, donnée par Joseph Roth, m'a parue très différente de celle donnée par Zweig dans
Le monde d'hier.
Il y a très souvent des moments d'humour, la description des deux Slovènes, les beignets de quetsches au moment du départ de François-Ferdinand pour la guerre, le beau-père chapelier qui se transforme en fabricant de képis lorsque la guerre éclate, puis se lance dans le commerce des arts décoratifs, la mère qui devient beaucoup plus gaie quand elle est sourde et qu'elle perd un peu la tête. Le personnage d'Elisabeth, que l'on retrouve après la guerre, vivant avec une femme, et qui finit par s'enfuir avec elle, après être retournée plusieurs fois dans le lit de son mari, est plus inattendu, surtout pour l'époque.
Le contexte historique m'a beaucoup intéressée, bien qu'il ne soit qu'ébauché, vu uniquement à travers le vécu du personnage principal. C'est parfois un peu frustrant mais ce n'est pas un roman historique. Ça m'a donné l'occasion d'aller réviser un peu. L'histoire est évoquée par petites touches. La guerre se limite à une retraite et un séjour plutôt bref dans un camp russe, la chute de la république via l'enterrement du fils de Manès, presque incidemment et l'arrivée des nazis par l'irruption d'un personnage bizarre dans le restaurant où dînent François-Ferdinand et ses amis. Là encore, le contraste entre son aspect assez ridicule (son chapeau ressemble à un pot de chambre et on pourrait le confondre avec un préposé aux lavabos) et la terreur qu'il inspire à tous les dîneurs qui s'enfuient, est très réussi.
J'ouvre l'ensemble (Marche et Crypte) entre ½ et ¾.

Claire
J'avais lu La marche de Radetsky dans le groupe il y a 34 ans, donc je n'en ai aucun souvenir : mes vagues notes indiquent "quelques scènes fortes", "des bouts de style dans une marée de grisaille"... J'ai beaucoup aimé voir le film de 3h30 que nous avons regardé en deux parties, plongeant agréablement dans l'Histoire et dans l'histoire des Trotta, une bonne introduction à notre livre, puisque le frère du grand-père de notre narrateur était le héros était de la bataille de Solférino qui sauva la vie de l’empereur François-Joseph et qui d'obscur péquenot et petit lieutenant d’infanterie devint baron — ce dont découle toute La marche de Radetzky. Comme Manuel, j'ai pensé aux Buddenbrook "transgénérationnel sur fond historique" qu'on a lu l'été dernier. Bref !
La Crypte m'a bien plu. J'ai suivi avec un intérêt constant :
- la description de sa bande d'aristocrates décadents avec ses modes et conformismes intéressants : par exemple, notre narrateur doit cacher qu'il est amoureux car c'est mal vu, mais il frime avec le gilet à ramages acheté à son cousin slovène vendeur de marrons
- les deux ploucs auxquels il s'attache, hauts en couleur
- le surgissement de la guerre et les aventures qui s'ensuivent, les nationalismes qui montent dangereusement
- les relations avec les femmes (gratinée avec sa mère - j'ai adoré - et surprenantes avec Élisabeth et la vilaine Yolande) et celle avec le nouveau-né ("l'avoir engendré ne suffisait plus. J'aurais voulu l'avoir porté et mis en au monde. Il trottait dans la pièce, vif comme un furet.")
- et le narrateur auquel je me suis vraiment attachée.
La fin est dramatique à souhait. Si je n'ouvre pas en grand, c'est que j'aurais aimé moins d'ellipses à la fin pour bien tout comprendre des événements politiques ; la crypte elle-même m'a laissée un peu... froide.
Enfin, très important, car c'est la raison de la raison de l'intérêt, j'ai vraiment apprécié l'écriture, la voix, le ton mêlant :
- dérision ("Tous auraient eu plaisir à m'acheter mon cousin tout entier, ma parenté, mon cher Sipolje.")
- vague désespoir ("Nous savourions notre tristesse avec la même étourderie que notre plaisir.")
- ou carrément humour ("l'amour passait pour un égarement, on considérait les fiançailles comme une espèce d'attaque d'apoplexie, et le mariage comme une maladie chronique").
Il y a une densité d'événements, de descriptions, de réactions que j'ai lues avec un très grand plaisir.
Marie-Odile
Jusqu'à la mobilisation, je me suis demandé où voulait en venir l'auteur même si le leitmotiv "Au-dessus des verres où nous buvions ensemble, la mort croisait déjà ses mains décharnées" ne laisse aucun doute sur la suite. La nostalgie de l'empire, l'attachement à la patrie, l'opposition entre l'Autriche et les pays de la Couronne imprègnent la vie du narrateur, mais les événements historiques ne me sont pas apparus de façon suffisamment claire à travers ce récit. La nostalgie de la monarchie et de l'aristocratie est toujours présente mais jamais vraiment justifiée. Que faut-il regretter de la vie d'avant ? De cette Vienne qui tirait son faste de "la sève des peuples asservis" qui "grandissait, mais sur un sol engraissé par la douleur et l'affliction".
Les lieux, les portraits évoqués m'auraient semblé plutôt ternes sans le pittoresque et la légère ironie qui les accompagne souvent. Mais je n'ai à aucun moment éprouvé de sympathie pour les personnages même pour les personnages féminins qu'il s'agisse de la mère figée dans son rôle (et dont la déchéance puis la mort fait écho à l'écroulement de la monarchie et à la désintégration de la société), ou d'Elisabeth au parcours imprévisible et pas vraiment émancipateur dans les Arts déco ou le cinéma.
Certains aspects m'ont intéressée : l'impact de la guerre sur la vie dans ce qu'elle a de plus privé, l'idée que la calamité générale est préférable au chagrin particulier, l'incapacité du narrateur à se lancer dans des opérations supposées productives. Mais le ton uniforme empreint de morosité, de désespoir, ne m'a pas séduite.
L'écriture m'a semblé manquer de relief. Tout est raconté de la même façon. Je n'ai ressenti aucune émotion. Même lorsque la décadence et le désenchantement s'infiltrent partout, dans le couple, la famille, les affaires, la finance, la vieillesse, etc.
Il s'agit de la fin d'un monde certes, mais rien à voir avec
Le monde d'hier de S. Zweig, œuvre qui rendait compte du même bouleversement de façon autrement bouleversante !
En résumé, le texte de Roth ne m'explique rien des événements historiques. Je n'ai pas réussi à les cerner vraiment à travers le vécu des personnages et le parcours de ces derniers ne m'a pas touchée.
J'ouvre à moitié (très petite moitié).
J'ai aimé la postface et Roth me semble plus intéressant que Trotta.
Soaz
Je n'avais pas d'attente, concernant ce livre.
J'ai apprécié l'écriture à la première personne du singulier, elle permet de s'identifier au narrateur. Lecture facile.
Je n'ai pas apprécié les répétitions de phrase, qui alourdissent le texte.
De nombreuses similitudes entre la vie et les événements entre Trotta et Roth : est-ce la même personne ?
Vienne qui rayonne n'est pas l'Autriche, pays constitué de nombreuses provinces - Slovénie, Galicie, Bosnie, Moravie, Transylvanie -, ce qui fait sa diversité, sa force, sa richesse, mais aussi sa perte par abandon des populations laissées pour compte.
La première partie, description de la jeunesse dorée, dissolue, inconsciente d'une guerre proche et longue de Vienne ne m'a procuré aucun plaisir de lecture. La décadence et la mort sont omniprésentes : "c'est une époque gaie, la mort il est vrai croisait déjà ses mains décharnées au-dessus des verres que nous vidions". Il se détache de son entourage frivole à la suite de la rencontre de son cousin Joseph et du cocher Manès : un moment d'humanité, de retour vers la réalité. Aucune démonstration affective de la part de sa mère, pas d'émotions, mais une note affective humoristique !! : "Nous avons des beignets aux quetsches, manifestation merveilleuse de maternité, en guise d'au revoir pour mes préparatifs vers la mort". Le mariage avec Elizabeth, en toute hâte, avant le départ à la guerre, pour concrétiser son amour, est une erreur : "j'eus la soudaine certitude que nous ne nous aimions pas".
Deuxième partie, il part à la guerre (la Première Guerre mondiale) sans connaissance des faits et sans lucidité. Il est fait prisonnier, il ne combattra pas, il vivra l'épreuve de la solitude. Il y a peu de détails sur les faits de guerre, par contre ce récit a ouvert ma curiosité sur l'histoire de l'empire austro-hongrois.
Troisième partie, le retour : c'est la période que je préfère, elle nous donne une description du quotidien, des mœurs, des évolutions. Il n'a plus de codes, il est ruiné, il doit se refaire une place dans un monde qu'il ne reconnaît plus. Il a perdu son rang et son argent. Il est impropre à la mort. Sa femme, distante, émancipée, vit avec une autre femme. Elle créée des bijoux art déco, elle est chef d'entreprise. Après la naissance de son fils, il reste seul. Sa mère son fardeau chéri décède et il abandonne son fils chéri... L'arrivée des nazis provoque une cassure définitive, il est juif. Son seul refuge, la crypte des capucins, tombeau de tous les dirigeants des Habsbourg. Il erre seul, avec un chien, perdu, c'est la fin…
Cindy (au téléphone)
Le livre était moins dense que j'espérais et j'ouvre un petit demi.
Mais j'ai eu un plaisir de lecture, on y entre comme dans une histoire contemporaine, racontée de manière réaliste, avec ses trois parties : une vie insouciante, la guerre et là on est porté par l'Histoire, et enfin alors que ça pourrait s'arranger, quelque chose de terrible va arriver.
J'ai apprécié les descriptions de la vie au quotidien, des paysages, par exemple "Souvent, la nuit, j'entendais les cris rauques et fréquemment interrompus de vols d'oies sauvages qui passaient très haut dans le ciel. Mais les marronniers imposants et vénérables commençaient à se dépouiller déjà de leurs feuilles dures, dorées et joliment dentelées."
J'ai trouvé le livre très humaniste.
Dans la vie du narrateur avec ses amis, on sent le coté très humain, sa préférence pour des personnages pittoresques.
Il y a aussi une dimension tragique, avec cette fin d'un monde, où quelque chose de grave va s'installer, qui va changer la vie des peuples.
On commémore plutôt des événements à partir de la Seconde Guerre mondiale et là, ça m'a plu qu'on se situe avant le début du siècle, dans un tout autre monde. On est assez ému et bouleversé, avec ce retour à la vie irrévocable du narrateur à la fin.
J'aurais aimé aller plus profondément dans les histoires racontées, par exemple quand il est prisonnier : "On eût dit que chacun d'eux, et chacun pour son propre compte puisqu'ils étaient brouillés, voulait me témoigner son mépris de ma non-intervention dans leur querelle. Ils s'attelèrent tous les deux à un travail superflu. L'un aiguisait un couteau mais sans rien de menaçant, l'autre mettait de la neige dans une marmite, allumait le feu, y jetait de petites bûchettes, posait le chaudron sur le foyer et gardait les yeux fixés sur la flamme. Une agréable tiédeur se répandit. La chaleur se réverbérait sur la fenêtre d'en face. Le reflet du feu bleuissait, rougissait, violaçait les fleurs de glace. Les gouttes d'eau gelées, par terre, juste sous la croisée, commencèrent à fondre".
On sent que toute chose est au bord du gouffre. Ça a été trop vite, j'aurais voulu rester encore.
Je suis sensible à la traduction et le livre m'a semblé très bien traduit.
J'ai appris des choses, j'ai bien aimé avoir ce livre en main. C'est un livre que je prêterais volontiers.
Et quelle coïncidence, un ami vient de me prêter un récit d'Elise Fontenaille N'Diaye Blue Book qui tombe bien après La Crypte : ce livre raconte une page bien sombre de l'Allemagne, puissante colonisatrice qui occupa l'actuelle Namibie de 1883 en 1916. On avait oublié que cette colonie fut le théâtre d'un premier génocide du 20e siècle, massacre des Hereros et des Namas. Et je découvre avec surprise malheureuse qu'un Von Trotha (Lothar), officier prussien, incarnation du militaire dans toute sa brutalité, est à l'origine de cette armée exterminatrice ! Voilà aussi quelque part, entre désert et presqu'île de Shark Island, une terrible préfiguration des exterminations à venir…


DES INFOS AUTOUR DU LIVRE
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Pourquoi lire Joseph Roth

La Marche de Radetzky, à travers l'histoire de la famille Trotta sur trois générations, commence en 1859 et va de l'apogée de l'empire austro-hongrois à son déclin annoncé par la guerre de 1914 ; le roman commence ainsi : "Les Trotta n'étaient pas de vieille noblesse. Le grand-père avait été anobli après la bataille de Solferino. Il était slovène et avait pris le nom de son village natal, Sipolje".
La Crypte des capucins commence à la veille de la guerre de 14 ainsi : "Nous nous appelons Trotta. Notre race est originaire de Sipolje, en Slovénie".
Afin de se mettre historiquement et visuellement dans le bain austro-hongrois, nous avons regardé le film austro-franco-allemande La Marche de Radetzky d'Axel Corti, adapté du roman en 1994, avec Max von Sydow, Charlotte Rampling et Claude Rich (deux soirées d'1h 45). Voici ce qu'en disait Le Monde, enthousiaste, quand le film est passé en deux parties en 1995 sur France 2 › "La Marche de Radetzky, deux soirées d'exception".

REPÈRES BIOGRAPHIQUES

Joseph Roth est né en Galicie (l'Ukraine aujourd'hui) en 1894, sous le règne de l'empereur François-Joseph, dans une famille juive modeste de langue allemande.
Au début de la première guerre mondiale, il travaille dans le service de presse des armées impériales. Après la guerre, il devient chroniqueur à Vienne et à Berlin. Ses articles très demandés, traduisent un regard lucide sur son époque et un monde qui disparaît.
Parallèlement, il entame une carrière de romancier. Son œuvre la plus connue est La Marche de Radetzky, publié en 1932, histoire de plusieurs générations d’une famille sous la Monarchie austro-hongroise finissante. Exilé en France dès l’arrivée au pouvoir des nazis – qui détruisent ses livres –, il s’installe à Paris en 1934. Malade, alcoolique et sans ressources il y meurt en 1939.
Pour des détails, voir la chronologie du Cahier de l'Herne consacré à à Joseph Roth ; voir aussi ›wikipedia.

Une photo de la réalité... : cortège funèbre de l'Empereur François-Joseph
se dirigeant vers la crypte des Capucins le 30 novembre 1916

LIVRES PUBLIÉS

On recense 13 romans, 8 longs récits (la frontière entre les romans et les récits est parfois difficile à établir), 3 volumes d'essais et de grands reportages et un millier d'articles de journaux. Et la création de cette œuvre n'a duré qu'une vingtaine d'années...

• Romans
(présentés en ordre chronologique de publication en allemand, avec pour certains des adaptations au cinéma)

- 1923 : La Toile d'araignée, trad. Marie-France Charrasse, Gallimard, 1970 ; rééd. L'Etrangère, 1991 ; rééd. L'Imaginaire, 2004.
=>film allemand de Bernhard Wicki, adapté du roman en 1989 : La Toile d'araignée.
- 1924 : Hôtel Savoy, trad. Françoise Bresson, Gallimard, 1969 ; rééd. L'Imaginaire, 1987.
- 1924 : La Révolte, trad. de Charles Reber, Valois, 1930 ; La Rébellion, trad. Dominique Dubuy et Claude Riehl, Seuil, 1988 ; rééd. Points, 1991.
- 1926 : Le miroir aveugle, trad. et préface Nicolas Waquet , Rivages poche, 2023.
- 1927 : Juifs en errance, suivi de L’Antéchrist (publié en 1934), trad. de Michel-François Demet, Seuil, 1986.
- 1927 : La Fuite sans fin, trad. Romana Altdorf et René Jouglet, Gallimard, 1929 ; rééd. L'Imaginaire, 1985.
- 1928 : Zipper et son père, trad. de Jean Ruffet, Seuil, 2004.
- 1929 : Gauche et droite, trad. de Jean Ruffet, Seuil, 2000 ; Les Belles Lettres, 2017.
- 1929 : Le Prophète muet, trad. Michel-François Demet, postface de Werner Lengning, Gallimard, 1972.
- 1930 : Incroyable ! Quatre traductions pour ce livre :
›Première traduction Job : roman d’un simple juif, trad. de Charles Reber, Valois, 1931
Deuxième traduction sous le titre Le Poids de la grâce, trad. Paule Hofer-Bury, Calmann-Lévy, 1965 ; rééd. Biblio, 1984 ; Presses Pocket, 1989 ; Livre de poche, 1992.
Troisième traduction : Job : roman d'un homme simple, trad. Silke Hass et Jean-Pierre Boyer, Tours, éditions Panoptikum, 2011 ; puis Genève, éd. Héros Limite, 2018.
Quatrième traduction
Job : roman d'un homme simple, trad. Stéphane Pesnel, Seuil, 2012 ; Points, 2013.
=>film américain d'Otto Brower, adapté du roman en 1936 : Le Chant des cloches
- 193
0 :
Le Cabinet des figures de cire, précédé d'Images viennoises : esquisses et portraits, trad. Stéphane Pesnel, Seuil, 2009.
- 1932 : La Marche de Radetzky, trad. de Blanche Gidon, Plon et Nourrit, 1934 ; Plon, 1957 ; Le Cercle du bibliophile, 1971 ; traduction revue par Alain Huriot, Seuil, 1982 ; Seuil, 1995 ; France Loisirs, 1995 ; Points, 2008 ; préface de Stéphane Pesnel, Seuil, 2013.
=> mini-série austro-franco-allemande d'Axel Corti et Gernot Rollen trois épisodes, adapté du roman en 1994 : La Marche de Radetzky, avec Max von Sydow, Charlotte Rampling et Claude Rich.
- 1934 : Tarabas : un hôte sur cette terre, trad. de Michel-François Demet, Seuil, 1985 ; Points, 1990 ; Points, 2009.
- 1934 : Juifs en errance (publié en 1927) suivi de
L'Antéchrist, trad. Michel-François Demet, Seuil, 1986 ; rééd. 2009.

- 1935 : Le Roman des Cent-Jours, trad. de Blanche Gidon, Grasset, 1937 ; rééd. Seuil, 2004.
- 1936 : Notre assassin, trad.
de Blanche Gidon, R. Laffont, 1947 ; rééd. Christian Bourgois, 1994 ; rééd. Folies d'encre, 2008 ; nouvelle traduction Confession d'un assassin racontée en une nuit, Pierre Deshusses, Rivages, 2014.
- 1937 : Les Fausses Mesures, trad. Blanche Gidon, éd. du Bateau ivre, 1946 ; trad. Brice Germain, Sillage, 2009.
- 1938 : La Crypte des capucins, trad. Blanche Gidon, Plon, 1940 ; Seuil, 1983 ; Points, 1986 ; Points, 1994 ; un coffret comportant La Marche de Radetzky, La Crypte des capucins, La Rébellion, Points, 1994 ; Points 1996 avec
préface de Dominique Hernandez ; Points, 2010 ; Seuil, 2014. Selon les éditions, un texte de Blanche Gidon, la traductrice, figure en préface ou postface.
=>film allemand de Johannes Schaaf, adapté du roman en 1971 : Trotta
- 1939 : Conte de la 1002e nuit, trad. Françoise Bresson, Gallimard, 1973 ; rééd. 1990 ; L'Imaginaire, 2003.
-
1940 : Léviathan, trad. Brice Germain, Sillage, 2011.

• Nouvelles
- 1929 : Fraises, trad. Alexis Tautou, L'Herne, 2015.
- 1929 :
Viens à Vienne je t'attends, trad. et préface Alexis Tautou, L'Herne, 2015.

- 1934 : Le Marchand de corail, trad. de Blanche Gidon et Stéphane Pesnel, Seuil, 1996. Ce recueil comporte deux des nouvelles Le Triomphe de la beauté et Le Buste de l'empereur publiées en allemand en 1934 et republiées dans Le Buste de l'empereur, trad. par Blanche Gidon, Toulouse, éd. Ombres, 2014.

- 1939 : La Légende du saint buveur, trad. de Dominique Dubuy et Claude Riehl, Seuil, 1986 ; trad. Maël Renouard, Sillage, 2016.
=>film italo-français d'Ermanno Olmi, adapté de cette nouvelle en 1988 : La Légende du saint buveur.

- posthume : avant de fuir le nazisme, Roth avait remis à son ami et éditeur Kiepenheuer deux cartons d'archives ficelés qui, 40 ans plus tard, ont été exhumés à Berlin-Est : ils contenaient un roman inachevé qui fut publié en 1978, ainsi que 8 nouvelles écrites entre 1920 et 1929 : Perlefter, histoire d'un bourgeois, trad. Pierre Deshusses, Robert Laffont, 2020.

• Chroniques, articles, essais
- À Berlin, trad. Pierre Gallissaires, Monaco, Anatolia/Éd. du Rocher, 2003 ; Les Belles Lettres, 2021.
- Automne à Berlin, trad. de Nicole Casanova, préface de Patrick Modiano, La Quinzaine littéraire/Louis Vuitton, 2000 ; Les Belles Lettres, 2021.
- Croquis de voyage, trad. de Jean Ruffet, Seuil, 1994 ; Points, 2016.
- La Filiale de l'enfer : écrits de l'émigration, trad. Claire de Oliveira, Seuil, 2005.
- Le genre féminin, trad. de Nicole Casanova, Liana Levi, 2006.
- Symptômes viennois, trad. de Nicole Casanova, Liana Levi, 2004.
- Une heure avant la fin du monde, trad. de Nicole Casanova, Liana Levi, 2009 ; recueil d'articles politiques écrits entre 1924 et 1938.
- Le Deuxième Amour : histoires et portraits, trad. de Jean Ruffet, Monaco, Anatolia/Éd. du Rocher, 2005.
- L'autodafé de l'esprit, éd. Allia, 2019.
- Au bistrot après minuit, trad. et préface, Pierre Deshusses, Rivages, 2021.
- Poème des livres dispa
rus & autres textes, trad. Jean-Pierre Boyer, Silke Hass, Genève, Héros Limite, 2017.
- Joseph Roth, journaliste : une anthologie (1919-1926), trad. Hugues Van Besien, éd. Nouveau Monde, 2016.

• Correspondance
- Lettres choisies (1911 - 1939), traduites, présentées et annotées par Stéphane Pesnel, Seuil, 2007.
- Correspondance
Stefan Zweig, Joseph Roth, trad. Gisella Hauer, préface Roland Jaccard, Rivages, 2013.

LES TRADUCTEURS

Les traducteurs sont très nombreux.

La traductrice historique, amie de Joseph Roth, est Blanche Gidon (6 romans, des nouvelles) : La Marche de Radetzky (publié en 1932, traduit en 1934),
Le Roman des Cent-Jours (publié en 1935, traduit en 1937), Notre assassin (publié en 1936, traduit en 1947), La Crypte des capucins (publié en 1938, traduit en 1940), Les Fausses Mesures (publié en 1937, traduit en 1946), nouvelles "Le triomphe de la beauté" et "Le buste de l'empereur", "Le marchand de corail", parues dans Le Marchand de corail.

Viennent ensuite des traducteurs spécialistes : Stéphane Pesnel (4), Pierre Deshusses (3 livres et des nouvelles).

Puis Nicole Casanova (4), Jean Ruffet (4) et Michel-François Demet (3), Brice Germain (2), Charles Reber (2), Claude Riehl (2), Jean-Pierre Boyer (2), Dominique Dubuy (2), Silke Hass (2), Alexis Tautou (2 nouvelles).
Et n'ayant traduit qu'un seul texte : Maël Renouard, Marie-France Charrasse, Paule Hofer-Bury, Claire de Oliveira, Pierre Bec, Pierre Gallissaires, René Jouglet , Romana Altdorf. Alain Huriot a effectué la révision de traduction de La marche de Radetzky.

RADIO

Trois émissions de radio très intéressantes :
- "Spéciale Odéon : Joseph Roth", Paula Jacques, Cosmopolitaine, France Inter, 27 janvier 2013, enregistrée au Théâtre de L'Odéon , le 10 décembre 2012, 54 min, avec Florence Noiville et des textes lus par Michel Vuillermoz. Le dialogue Paula Jacques/Florence Noiville a été publié dans le Cahier de L'Herne consacré à Joseph Roth : voir ›ici.
- "Joseph Roth, l'écrivain aux patries de papier (1894-1939)", Perrine Kervran, Toute une vie, France Culture, 20 février 2016, 1h, avec des universitaires spécialistes de la littérature de langue allemande : Erika Tunner, Carole Matheron, Stéphane Pesnel (auteur de la préface à La marche de Radetzky), et Jacques Le Rider, historien spécialiste de l'Autriche, ancien directeur de l'institut français de Vienne, ainsi que Valérie Zenatti, autrice et traductrice.
- "L'amitié de Stefan Zweig et Joseph Roth", Alain Finkielkraut, Répliques, France Culture, 8 février 2014, 52 min, avec Pierre Deshusses traducteur et écrivain, et Philippe Lançon, écrivain et critique à Libération.

SUR et AVEC JOSEPH ROTH

- Un entretien chez la traductrice Blanche Gidon avec Joseph Roth, par le critique Frédéric Lefèvre, Les Nouvelles Littéraires, 2 juin 1934. Tout l'article vaut la lecture. Roth raconte ses débuts :

"J’avais vingt ans à la déclaration de la guerre. Je me suis engagé. Je me suis battu sur le front russe. J’ai été très fier d’être nommé sous-lieutenant. Fait prisonnier, je me suis évadé après trois mois de captivité.
En 1918, la guerre finie, je me suis trouvé désemparé. Plus d’armée, pas de métier. Je suis devenu journaliste. Au Neuer Tag, de Vienne, j’ai fait les "chiens crevés". Pendant deux ans, dans les commissariats de police, j’ai coudoyé des assassins, des communistes.
L’inflation m’a chassé de Vienne, on n’y pouvait plus vivre. Je suis parti pour Berlin où il y avait "quelque chose à gagner". Là, j’ai été l’unique rédacteur d’une petite feuille sur laquelle j’aime mieux ne pas m’appesantir. Quand elle était imprimée, j’allais la vendre dans la rue…
"

[Et plus tard j'ai] "publié Job en 1931. Le roman eut du succès, j’ai commencé à gagner beaucoup d’argent. Mon éditeur Kiepenheuer me donnait 3 000 marks par mois, ce qui, joint à mes appointements de journaliste, faisait une assez jolie somme. Pourtant je n’en avais jamais assez. Mes goûts de grand seigneur sont ruineux. Et maintenant les hitlériens m’ont fait perdre le plus sûr de mes ressources, ils ont aussi confisqué les 30 000 marks qui restaient chez mon éditeur parce que j’ai écrit un article contre eux. Le national-socialisme m’est odieux comme toute mystique collectiviste, quelle que soit son étiquette. Je suis individualiste.
Je n’ai pas consenti à être adopté par Hitler comme écrivain allemand bien qu’on me l’ait offert.
Je suis autrichien, j’ai une mère juive, je ne puis pardonner aux nationaux-socialistes leur attitude vis-à-vis de l’Autriche, ni les persécutions juives : on ne crache pas sur la tombe de sa mère.
Job a tiré à 30 000, La Marche de Radetzky à 40 000. Hitler interdit mes livres parce que je suis légitimiste. Restaurer les Habsbourg empêcherait définitivement la mainmise du Reich sur l’Autriche."

- La traductrice Banche Gidon évoque Joseph Roth et éclaire La Crypte des capucins, en une préface ou postface selon les éditions : à lire ›ici.

Voir également :
- la préface de Dominique Fernandez à La Crypte des capucins
- la préface de Stéphane Pesnel à La Marche de Radetzky
.

Jean-Louis de Rambures (1930-2006) qui contribua à la diffusion de la littérature allemande en France chronique pour Le Monde, où il écrivit pendant 25 ans, les deux romans de Joseph Roth réédités alors :
-
"La Marche de Radetzky : Joseph Roth et la nostalgie de l’empire", par Jean-Louis de Rambures, Le Monde, 5 novembre 1982
- L'agonie de l'Autriche dépeinte par Joseph Roth", Jean-Louis de Rambures, Le Monde, 9 décembre 1983 (sur La Crypte des capucins).

- Soma Morgenstern, journaliste, ami de Joseph Roth, Stefan Zweig et Alban Berg, fuit le nazisme et se réfugie à Paris en 1938, où il habite, comme Joseph Roth, à l'Hôtel de la Poste, 18 rue de Tournon, dans le 6e arrondissement de Paris. Il fait le récit de son amitié avec Roth dans le livre Fuite et fin de Joseph Roth, trad. Denis Authier, Liana Levi, 1997.

- Le Cahier de L'Herne Joseph Roth, 2015 est une mine : voir le sommaire ›ici et un texte de Roth intitulé "Dans la crypte des Capucins".

- Voir ›ici la (longue) préface de Patrick Modiano au livre de Joseph Roth
Automne à Berlin, trad. de Nicole Casanova, La Quinzaine littéraire/Louis Vuitton, 2000 ; rééd. Les Belles Lettres, 2021.

POURQUOI LIRE JOSEPH ROTH ?

Cette idée vient de l'Est... et de notre lecture il y a quelques mois du Mage du Kremlin qui se réfère à Joseph Roth dans les circonstances suivantes : Baranov, le "mage du Kremlin", de temps en temps écrit un essai sous un pseudonyme :

Le pseudonyme derrière lequel il se cachait à ces occasions, Nicolas Brandeis, ajoutait un élément de confusion ultérieure. Les plus zélés avaient reconnu sous ce nom le personnage mineur d’un roman secondaire de Joseph Roth. Un Tartare, sorte de deus ex machina qui faisait son apparition dans les moments décisifs de la narration pour s’éclipser aussitôt. "Il ne faut aucune vigueur pour conquérir quoi que ce soit, disait-il, tout est pourri et se rend, mais lâcher, savoir laisser aller, c’est cela qui compte." Ainsi, de même que les personnages du roman de Roth s’interrogeaient sur les actions du Tartare dont la formidable indifférence était la garantie de tout succès, les hiérarques du Kremlin, et ceux qui les entouraient, allaient à la chasse du moindre indice susceptible de révéler la pensée de Baranov et, à travers celle-ci, les intentions du Tsar. Une mission d’autant plus désespérée que le mage du Kremlin était convaincu que le plagiat était la base du progrès : raison pour laquelle on ne comprenait jamais jusqu’à quel point il exprimait ses propres idées ou jouait avec celles d’un autre. (Ch. 1, p. 15-16)

Le roman publié en 1929 où apparaît Nikolas Brandeis s'intitule Gauche et droite : ce roman politique entrecroise les destins de deux frères ennemis, Paul et Theodor Bernheim, qui incarnent chacun une facette de l'Allemagne de Weimar, et celui d'un émigré russe juif, Nikolas Brandeis.
À ce roman, nous avons préféré, dans le nouveau groupe La marche de Radetzky et dans l'ancien - où nous avions déjà lu ce livre le plus connu de Roth - La Crypte des capucins...


Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :
                                        
à la folie
grand ouvert
beaucoup
¾ ouvert
moyennement
à moitié
un peu
ouvert ¼
pas du tout
fermé !

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