Un
héros de notre temps, trad. du russe Marc Chapiro, Gingko éditeur, coll. "Petite Bibliothèque Slave", 256 p.

Quatrième de couverture : Le "héros de notre temps", c'est Grigory Petchorine, jeune officier cynique et désabusé de cette première moitié du XIXe siècle. Petchorine séduit les femmes mais s'en lasse presque aussitôt et les délaisse. Envoyé en garnison au Caucase, dans la splendeur des montagnes et des vallées verdoyantes, il croise tour à tour une belle Circassienne, fille du chef d'une indomptable tribu montagnarde, puis une jeune princesse Pétersbourgeoise en villégiature, qu'il ne pourra s'empêcher de vouloir séduire.
Petchorine est en partie un double de Lermontov lui-même, mais c'est avant tout un lointain cousin de l'Onéguine de Pouchkine : le héros tue en duel et son auteur mourra en duel. Quatre ans après la mort de Pouchkine, une année après la parution du Héros de notre temps, premier chef-d'œuvre du roman psychologique russe, la Russie perdait encore une fois tragiquement son autre plus grand poète.

L'auteur : Mikhaïl Lermontov, né en 1814 à Moscou, est un poète et écrivain russe. Son poème La Mort du poète, écrit en 1837 après le duel qui fut fatal à Pouchkine, lui vaut d'être en sorte d'exil envoyé combattre au Caucase où il trouve la mort, lui aussi en duel, à l'âge de vingt-six ans.

Illustration de couverture : portrait de Lermontov par Piotr Zabolotski (1837)



Mikhaïl Lermontov
Un héros de notre temps, présentation et traduction Déborah Lévy-Bertherat, GF - Bilingue, 2003

Quatrième de couverture : On a souvent fait d'Un héros de notre temps le premier roman psychologique de la littérature russe. Mais l'analyse y est toujours subordonnée à cette ironie dominante, à ce regard distancié et critique que Petchorine, personnage principal et narrateur, jette sur ses aventures. À juste titre, on y lira les signes d'un certain essoufflement de la sensibilité romantique ; mais on verra aussi en Petchorine l'aîné de ces héros sombres qui peupleront les plus grands textes de Gontcharov, Tourgueniev ou Dostoïevski. À bien des égards, en effet, le court roman de Lermontov, étrange, décousu, fascinant, annonce les romans russes de la deuxième moitié du XIXe siècle.

Mikhaïl Lermontov (1814-1841)
Un héros de notre temps (1840)

Nous avons lu ce livre pour le 14 février 2025.

Un héros de notre temps est constitué de 5 récits :
Bèla
(ou, selon les traductions, Béla, ou Bela ou Bella), Maxime Maximitch
(ou
Maximytch ou Maximovitch), Taman (ou Taman' ou Tamagne),
La
Princesse Marie (ou Mary), Le Fataliste (ou Un fataliste).

Nos 13 cotes d'amour
Manuel Rozenn
BrigitteCatherineClaire
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Monique Renée Thomas
entre etJacqueline
Fanny
Danièle Françoise


Des infos ›en bas de page autour du livre :
Lermontov et Tourgueniev
Se mettre dans l'ambiance 12 traductions
Autres livres de Lermontov Ils causent tous de Lermontov Au cinéma

Fanny(avis transmis)
J'ai eu du mal à rentrer dans le livre. Trop de personnages en trop peu de pages pour les premiers récits qui, pour moi, s'apparentent à des nouvelles. Même si j'ai été touchée par l'histoire de Bela, je n'ai pas eu "l'espace-temps" pour m'attacher aux personnages et éprouver de l'empathie.
De Maxime Maximitch, il ne me reste presque plus rien moins d'une semaine après l'avoir terminé.
Très peu de choses de Taman, si ce n'est une ambiance mystérieuse, voire surréaliste, lors de la scène de la barque.
J'ai donc débuté le "long" Princesse Marie avec une certaine appréhension. Mais ce format m'a davantage convenu. Même si les tournures stylistiques sont parfois très appuyées, j'y ai été sensible et je me suis intéressée au parcours de chacun. Contrairement aux premiers récits, j'étais tenue en haleine et j'avais envie de connaître la suite.
Même si quelques pistes sont données dans la préface, j'ai trouvé un peu ambiguë le titre "un héros de notre temps" et justement cela m'a plu. Petchorin est présenté comme le reflet de la société, ce qui permet de mieux le comprendre, malgré l'antipathie qu'il a pu m'inspirer par ailleurs. J'ai aimé le cynisme avec lequel l'auteur dépeint Petchorin ("il y a des moments où je comprends le vampire" ou encore à propos des femmes "pour comprendre leur dialectique, il faut renverser dans son esprit toutes les règles de la véritable logique", "serais-je amoureux ? Quelle absurdité !")
Mon engouement est retombé avec Le fataliste dont je n'ai rien retenu.
Ensuite j'ai lu Le démon, proposé à la suite dans ma version du livre. La notion du bien et du mal est racontée de manière très manichéenne et les descriptions romantiques très exacerbées. Néanmoins j'ai été sensible à ce court récit et à la manière dont les descriptions de la nature font écho à la dialectique entre l'ange et le démon.
J'ouvre ½ pour l'ensemble.
Hâte de lire vos avis.
Jacqueline entre et
Au fond, c'est un peu décousu : quatre ou cinq récits qui s'emboîtent avec des formes différentes. Mais cela ne m'a pas du tout déplu.
J'étais contente de me trouver dans le Caucase et dans une ambiance intéressante.
La première histoire et Tamagne (dans
mon édition en fait Taman, un port très ancien) m'ont rappelé un peu Mérimée, ses rudes histoires corses ou même l'ambiance de Carmen...
J'étais très contente de me trouver dans le Caucase que je ne situais pas très bien et sur lequel je ne savais pas grand-chose, hormis l'intérêt stratégique dont parle Les Bienveillantes. J'ai bien aimé découvrir les paysages, les multiples populations "sauvages" et les points de vue que chaque histoire fournit sur des lieux très variés : de l'exotisme de la montagne à l'atmosphère de villégiature en passant par le port, lieu d'autres trafics. J'ai cherché tous ces lieux sur internet, leur seul lien est géographique : quoique peu proches, ils sont tous caucasiens.
Petchorine est l'autre lien entre toutes les histoires. Je crois que je ne me suis pas du tout attachée au personnage, j'ai eu du mal à le trouver sympathique… L'histoire de La Princesse Mary m'a fait penser à celle de Le Rouge et le Noir. Mais j'aime Julien Sorel et je comprends son projet de séduction raisonnée... Ici, je retrouve une histoire un peu analogue : Véra, la femme que Petchorine aime toujours, et la jeune princesse qu'il décide de séduire. Il est pourtant sans projet d'ascension sociale, tout cela est presque gratuit, contrairement au héros de Bel ami, qui, lui, est arriviste et d'emblée antipathique. C'est plus difficile de le situer autrement que comme quelqu'un sans espoir, ce que développe la dernière partie.
Ce livre m'a intéressée. J'hésite quand même à l'ouvrir ¾, disons entre ½ et ¾.
Danièle
Je suis épatée par les références littéraires que Jacqueline arrive à trouver dans ce roman, moi qui suis restée muette de déplaisir au cours de ma lecture. Il faut dire que, pour des raisons matérielles, j'ai dû me contenter d'une lecture en diagonale, et je n'ai même pas pu lire le livre jusqu'au bout (je n'ai pas lu le dernier récit), ce qui entache certes beaucoup mon jugement.
J'entends parler d'attachement aux personnages. Ce n'est pas le sentiment que j'ai éprouvé. Au contraire, le personnage de Petchorine a un côté artificiel et outrancier d'homme méchant et content de l'être, malgré quelques sursauts de remords et de questionnement qui restent en fait très intellectualisés. Il en fait tellement trop, que c'en n'est pas crédible. Et ce trop m'empêche de le trouver antipathique ou sympathique. Comment faire de la psychologie à partir de la construction d'un tel être, en fait totalement hors sol. Quelle différence avec le Bazarov de Tourgeniev dans Père et fils, qui se trouve en quelque sorte dans la même situation que Petchorine dans La princesse Mary. Tous les deux sont prisonniers de leurs théories concernant le fait de tomber amoureux, ils croient dominer la situation, et se retrouvent amoureux malgré eux. Mais nous avions souligné ensemble, lors de la lecture de Tourgueniev combien Bazarov était touchant dans ce revirement qu'il s'ingéniait à dénier. Ce qui, à mon avis n'est pas le cas avec Petchorine, qui constate le phénomène avec froideur.
Bien sûr, j'ai lu la princesse Mary jusqu'au bout, par curiosité, et j'ai apprécié la scène du duel et quelques passages pleins d'humour sur les relations entre les personnages.
Surtout, j'ai beaucoup apprécié, dans l'ensemble du roman, les descriptions de paysages et d'atmosphères.
Cela n'a hélas pas suffit à me rendre la lecture de ce roman agréable sur le fond.
Manifestement, il faudra que je le relise dans de meilleures conditions et à la lueur de vos avis…
Monique L

La construction de ce livre est intéressante et déroutante. Lermontov nous présente son protagoniste Petchorine sous différentes approches : on le découvre par ce qu'en disent des tiers, puis à travers une courte rencontre et enfin à travers des fragments du journal intime de Petchorine lui-même.
Les narrateurs changent : on passe du voyageur (dont le nom demeure inconnu) à Maxime Maximovitch, on retourne au voyageur pour passer à Petchorine.
J'ai lu ce livre comme une suite de cinq nouvelles presque indépendantes, liées seulement par le personnage de Petchorine. La dernière m'est apparue comme un conte. Le thème qui revient au fil de ces nouvelles est celui de la prédestination, de la fatalité, des coïncidences.
Il y a de très belles descriptions des paysages caucasiens. On voyage dans des contrées inconnues : entre l'Ossétie, la Géorgie, l'Arménie et autres..., on y rencontre aussi bien la haute société militaire et civile, mais aussi des habitants de coins reculés et sauvages de montagne. Lermontov fait bien ressentir le profond ennui des officiers rebelles et déchus, envoyés dans le Caucase.
Présenté par des tiers, Petchorine m'est apparu très antipathique, froid, calculateur, individualiste, vicieux. Je me suis demandé pourquoi le narrateur était si curieux de connaître ce personnage fat et brutal, mais à la lecture de son journal et dans l'épisode de la Princesse Marie, il apparaît beaucoup plus intelligent, complexe, ambigu et dans la lignée romantique. Je ne l'ai pas trouvé aussi détestable qu'au début. Son attitude m'est apparue comme découlant d'une rébellion intérieure, d'une certaine recherche de vérité.
C'est un héros romantique qui traîne son désenchantement du monde, il est désinvolte, arrogant, blasé, désabusé, mélancolique, cynique voire sadique, et joue de son intelligence et de son charisme pour manipuler les gens et les torturer. Il aime séduire les femmes pour ensuite les délaisser, une fois la passion éteinte. Rien ne comble le vide qu'il ressent en lui. Sa nature ne lui permet pas de trouver le bonheur, même illusoire, ni dans l'amour, ni dans l'amitié. Il méprise tout, y compris sa propre mort. Malgré tout, il est capable d'un grand courage.
J'ai aimé sa franchise ; il dévoile sans pudeur ses pensées les plus secrètes. Il analyse froidement ses faiblesses et ses erreurs. Il porte sur lui-même et sur ses aventures un regard plein d'ironie.
Dans la princesse Marie, il s'explique sur son caractère. C'est la partie que j'ai préférée bien que très classique dans sa composition.
J'ai apprécié le style de Lermontov qui est riche, soutenu, d'un rythme agréable.
Le ton est parfois mordant et ironique et certaines descriptions sont acerbes. J'ai aimé les phrases poétiques que j'ai trouvées sans longueurs ni mots superflus, ce qui n'est pas si fréquent de mon point de vue.
J'ouvre aux ¾.
Rozenn

Je ne me souviens de rien alors que c'est la deuxième fois que je le lis.
La première fois, c'était lorsque je lisais plein de livres russes, j'ai dit alors à l'éditeur qu'il fallait tout refaire.
La deuxième fois, j'ai eu beaucoup de plaisir sur le moment. Le personnage est trop ; mais c'est bien. Concernant les barbares et les colons, racistes, pour qui tout est tellement négatif chez les barbares : on voit comment marche la colonisation.
J'ai eu à la fois du plaisir et de l'intérêt. Mais quelque chose m'échappe. J'ai envie de le lire une troisième fois. J'ouvre trois quarts ou une petite moitié.

(Après la séance) Comme je reste perplexe et que, encore une fois, j'ai du mal à fixer mon avis et que, si je le relis, ce ne sera pas avant très longtemps, je me suis tournée vers ChatGPT :

Qu'est-ce que je pense d'Un héros de notre temps ?
ChatGPT répond :
Tu cherches à savoir ce que Un héros de notre temps t'a inspiré ou tu veux un avis plus général sur l'œuvre ? C'est un roman fascinant de Lermontov, avec un protagoniste complexe, désabusé et cynique. Petchorine incarne à la fois le romantisme et le réalisme, une figure à la fois attirante et repoussante.
Si tu l'as lu, qu'en as-tu pensé ?

Je reste perplexe après une deuxième lecture.
ChatGPT répond :
C'est compréhensible ! Un héros de notre temps est un roman troublant, notamment parce que Petchorine est un personnage ambigu, difficile à cerner. Il oscille entre détachement cynique et moments de lucidité presque douloureuse.
Qu'est-ce qui te laisse perplexe ? Son comportement, la structure du roman, ou le message que Lermontov veut faire passer ?

Le message que Lermontov passe.
ChatGPT répond : Lermontov ne donne pas un message simple et direct, ce qui explique peut-être ta perplexité. Un héros de notre temps est à la fois une critique et une analyse de son époque. Petchorine incarne le "héros superflu", un homme intelligent et fort, mais incapable de trouver un sens à sa vie, ce qui le pousse à agir de manière destructrice, envers lui-même et les autres.
Lermontov semble dénoncer la vacuité de la génération post-napoléonienne, qui, privée de grandes causes à défendre, se retrouve désabusée et cynique. Mais en même temps, il ne juge pas Petchorine de manière tranchée : il le montre comme un être complexe, ni totalement mauvais ni totalement admirable.
Tu as l'impression que le roman critique la société ou qu'il met juste en lumière la psychologie d'un homme perdu ?

Critique-t-il le colonialisme russe ?
ChatGPT répond : Oui, on peut voir dans Un héros de notre temps une critique implicite du colonialisme russe, même si ce n'est pas le thème central du roman. Lermontov décrit avec réalisme la présence russe dans le Caucase, montrant à la fois la brutalité des conflits et le mépris des officiers russes envers les populations locales.
Petchorine, par exemple, traite les Circassiens avec une certaine condescendance, tout en étant fasciné par leur mode de vie. Cette ambiguïté reflète la vision de nombreux Russes de l'époque : à la fois admiratifs et dominateurs. De plus, des passages comme l'enlèvement de Bela illustrent bien l'arrogance et l'insensibilité des officiers russes, qui se croient supérieurs aux peuples conquis et s'approprient ce qu'ils veulent sans remords.
Penses-tu que Lermontov critique ouvertement le colonialisme ou qu'il se contente de le décrire sans le condamner ?

Quelle était la position de Lermontov ?

ChatGPT répond : La position de Lermontov sur le colonialisme russe est complexe et ambivalente. Il ne semble pas être un opposant déclaré à l'expansion russe dans le Caucase, mais il en donne une représentation nuancée, loin de la propagande impériale. Son roman montre les aspects violents et absurdes de la domination russe, sans pour autant en faire une critique politique explicite.
D'un côté, Lermontov participe à la mythologie romantique du Caucase, courant chez les écrivains russes de l'époque. Il décrit cette région comme exotique, sauvage et fascinante, avec une admiration évidente pour la liberté et la bravoure des montagnards. Petchorine lui-même ressent une certaine attirance pour ce monde, tout en restant un étranger qui ne peut s'y intégrer.
D'un autre côté, Un héros de notre temps expose la brutalité des officiers russes et le mépris avec lequel ils traitent les peuples conquis. L'histoire de Bela est particulièrement révélatrice : Petchorine la considère presque comme un objet de divertissement et ne ressent aucun remords après sa mort. Cette scène met en lumière l'indifférence des Russes face aux souffrances des peuples colonisés.
En résumé, Lermontov ne dénonce pas frontalement le colonialisme, mais il en révèle les contradictions : fascination pour l'Autre, violence du pouvoir impérial, et sentiment d'absurdité qui habite les officiers russes en poste dans ces régions. (voir ›ici l'ensemble du dialogue avec Rozenn)

Ma conclusion, s'il en faut une : le groupe m'éclaire plus que ChatGPT.
Je reprends la question du point de vue du plaisir de lecture : à la première lecture, j'ai été gênée par la construction du livre ; je me suis dit que peut-être il avait été publié avant d'avoir été suffisamment travaillé.
À la deuxième lecture (je n'écris pas seconde, parce que je n'exclus pas une suite), j'ai eu beaucoup de plaisir : des petits événements, des descriptions des interactions vivantes, enlevées, une douceur des phrases dans un monde violent, des points de vue multiples…
Il me semble très moderne. C'était encore le début du roman d'analyse psychologique en Russie.
J'ouvre en entier.
Renée (à l'écran depuis Narbonne)
Difficile de juger un écrivain à la lecture d'une seule œuvre.
Le but de Lermontov dans ce texte est de représenter les vices de "toute notre génération" et ça reste d'actualité.
Le récit reste décousu, mais les différents points de vue permettent une écriture distanciée, qui rend une impression de froideur et lucidité.
Certains passages sont magnifiques, comme le voyage en calèche, j'ai adoré, d'autres, comme la séduction de Mary, m'ont agacée.
La première histoire de Bella est insérée dans un récit de voyage hyper dangereux, alors que les protagonistes restent fatalistes, comme si la mort n'était qu'un épisode, une éventualité, pas un souci. Et tout le long de ce texte, on a la même impression de l'acceptation de la mort, du destin. Pietchorine agit comme un sauvage dans l'histoire de Bella, en s'appropriant une femme comme si c'était un animal et se lasse d'elle aussi vite. Idem lorsqu'il séduit la princesse. Il est cynique, immoral, le sait et s'en vante même. C'est un don Juan comme il en a existé de tous les temps.
L'histoire de Taman ne m'a pas trop intéressée. L'aveugle qui saute dans de rocher en rocher n'est pas crédible.
Quant à l'histoire de Mary, elle m'agaçait au début avec ses sempiternels "je t'aime, je te fuis, donc tu m'aimes encore davantage, etc." C'était lassant. Puis l'autodénigrement et le retour sur sa vie de Pietchorine deviennent plus intéressants : "Je sens en moi des forces immenses [...] je n'ai pas compris mon destin [...] je me suis laissé entraîner par les passions futiles et stériles."
La construction est intéressante ; l'auteur nous prend à témoin de son récit, puis conclut par le journal qui est assez lucide sur l'arrogance de Pletchorine et sur l'échec de sa vie.
J'ai aimé la dernière histoire du revolver qui s'enraye : la vie est un jeu sans importance.
J'ai aimé la phrase sur Rousseau : "Le défaut des confessions de Rousseau c'est qu'il les a lues à ses amis".
J'ouvre aux ¾, après une hésitation (½) due à mon envie de littérature contemporaine.
Brigitte
(à l'écran)
Il y a vraiment longtemps, dans un roman de Tolstoï que j'ai lu, certains personnages évoquent Lermontov et Un héros de notre temps, en particulier. J'ai alors décidé de lire Un héros de notre temps. J'ai été très déçue par cette lecture. Je trouvais le livre décousu, je ne réussissais jamais à comprendre qui était le narrateur par rapport aux personnages du roman. De plus, je trouvais le personnage de Petchorine très antipathique, j'ai donc laissé tomber.
Je viens de le relire. Mes anciennes objections sont toujours présentes. Cependant, j'ai fait l'effort de m'y retrouver au milieu des divers narrateurs, et j'ai maintenant suffisamment de recul pour comprendre qu'un personnage antipathique n'est pas forcément un personnage sans intérêt, au contraire.
Finalement, j'ai beaucoup aimé les nombreuses descriptions de la nature, des montagnes du Caucase, des levers ou couchers de soleil, des paysages enneigés… On a l'impression de les voir, de ressentir la marche dans la nuit ou le froid… C'est surtout vrai avec la nouvelle Taman.
Le personnage de Petchorine m'a semblé être plus ou moins une préfiguration de Bazarov de Pères et fils. La subtilité avec laquelle ce personnage retourne totalement la situation dans La princesse Marie, puis la description du duel, préfiguration de sa mort prochaine, sont impressionnants.
J'ai moins aimé Le fataliste.
C'est vraiment une grosse perte pour la littérature russe, et pour la littérature en général, que Lermontov soit mort tellement jeune.
J'ouvre aux ¾.

Claire
J'étais très contente de découvrir le livre de cet auteur totalement inconnu, chaudement recommandé à Voix au chapitre par Xavier Mottez, créateur de "la Bibliothèque russe et slave" et éditeur spécialisé :

Quand je regarde la liste des livres que le club a lus, j'ai l'impression que vous avez fait un bon tour des plus grands livres de la littérature russe [...] Il y en a un qui, de ce que je vois des goûts des membres du club, est peut-être le plus susceptible de plaire, et c'est d'ailleurs un des plus grands classiques de la littérature russe : Un héros de notre temps, de Lermontov. La traduction que j'ai éditée est des années 1940 mais elle est sublime. Marc Chapiro était un Suisse d'origine russe, et un grand ami d'Albert Cohen. Si les membres ne connaissent pas ce livre, il faut absolument le lire. [Après avoir cité d'autres auteurs] Mais je pense que le Héros de notre temps a la priorité, en tant que grand classique qu'il faut vraiment connaître.

J'ai commencé à le lire dans cette traduction, quasiment dépourvue de notes, et j'étais un peu perdue. Je me suis rabattue sur l'édition GF et me suis sentie plus confortable. De plus je n'ai plus été gênée par des passés simples (dans un récit oral plein d'action : "Nous n'eûmes pas de chance, et nous dispersâmes" devient "Nous n'avons pas eu de chance, et nous nous sommes dispersés") et la traduction m'a semblé beaucoup plus fluide.

Manuel
Ah bah oui le passé simple ça fait daté ! Pourtant c'est le temps fini ! Ça ne m'a pas du tout gêné dans la traduction Gingko.

Claire
Dans un récit oui, mais pas dans un dialogue relatant une action sur le vif : "hier nous participâmes à la manif, nous reçûmes des gaz lacrimogènes et nous plaignîmes sur Instagram"...
Toujours prête à faire du tourisme, j'ai aimé l'ambiance exotique. J'ai lu sans exception et au fur et à mesure les 164 notes. Je me suis instruite sur la colonisation russe..., en même temps que celle par la France de l'Algérie - nous précise judicieusement la traductrice.
L'histoire de Bela m'a rappelé un manga que j'ai découvert récemment qui se passe dans ces peuples de l'Est avec enlèvement des femmes et chevauchées (Brides stories, 15 tomes, j'en ai lu 3...)
D'un récit à l'autre, je me suis perdue dans les narrateurs, ne sachant plus était qui était qui, la personnalité et le statut des uns et des autres. M'a également échappé l'absence de succession chronologique des récits ; et quand j'ai découvert l'ordre reconstitué par l'un des traducteurs (›ici) j'ai été étonnée. Mais ces pertes de repères ne m'ont pas outre mesure gênée.
Je me suis laissé prendre par les péripéties des récits, des récits variés, même si je n'ai pas intégré leur montage. En ce qui concerne La princesse Mary, j'ai trouvé le narrateur comment dire grossièrement... pervers ? sans aller plus loin et n'ai pas eu d'interprétation métaphysique ou politique, je repartais à cheval sans trop me poser de questions. Et j'appréciais ses ratiocinations intérieures poussées. J'essayais d'imaginer les fastes des réceptions et les tempêtes dans les défilés rocheux. J'ai vibré au moment du duel. Bref, la midinette qui m'accompagne en tournant les pages a également lu le livre.
L'écriture percutante, tranchante, m'a retenue. Un humour piquant n'est pas absent : "je vous ferai grâce de la description des montagnes, des exclamations qui n'expriment rien, des tableaux qui ne représentent rien, surtout pour ceux qui n'y étaient pas" (de plus l'écriture en train de se faire est moderne).
J'ai lu après la préface de l'auteur qui m'a semblé originale, percutante, ébouriffante même, et ce n'est que le dossier et les lectures autour du livre qui ont pu donner une valeur au livre que la seule lecture, comme si c'était un texte d'aujourd'hui, ne m'a pas permise.
J'étais contente d'apprendre que les descendants de Petchorine étaient Oblomov et Bazarov que nous avons rencontrés dans nos lectures.
Thomas
Plutôt d'accord avec ce qui a déjà pu être dit sur la structure et le style, que j'ai tous deux appréciés, je voudrais surtout revenir sur le personnage de Petchorine.
Comme tout le monde, en lisant l'avant-propos puis Bèla, je m'attendais à le trouver sacrément antipathique. J'ai complètement changé d'avis avec La princesse Mary, où il m'a semblé beaucoup plus fin que cela. Il n'en reste pas moins un personnage auquel on peut reprocher un bon nombre de choses, à commencer par sa séduction de ladite princesse, plus pour des raisons d'orgueil que sentimentales. Pour autant, il est assez lucide sur la chose et sur ses propres travers, et, surtout, on comprend pourquoi il est poussé à le faire. Cela ne l'excuse pas pour autant, mais ça ne m'a pas paru relever de la cruauté gratuite. Plutôt de la fierté face à ce Grouchnitski assez imbu de lui-même et à l'attitude assez hautaine, dans un premier temps, de la Princesse. Ce qui ne l'empêche d'ailleurs pas de sembler proche de tomber amoureux ! Il est pris dans ce jeu et, à la fin, je l'ai senti plus désolé que pervers. Ses passions sont courtes (cf. Bèla), mais elles n'en existent pas moins. Enfin, il ne faut pas oublier ce duel, où il fait preuve d'un grand courage : il sait très bien qu'on essaye de "la lui mettre à l'envers", que les dés sont pipés, et il y va quand même, avec un réel panache.
Tant et si bien que je l'ai finalement trouvé assez attachant. On le sent un peu perdu, désabusé de la vie parfois, mais il reste acteur, il cherche. Alors, certes, je ne l'emmènerai pas à la guerre avec moi, mais je partagerai volontiers, et avec curiosité, un dîner avec lui !
J'ouvre aux ¾.

Etienne
(à l'écran depuis Rennes)
J'étais très content de le lire dans l'édition GF : c'était un vrai plus, avec toutes les notes. J'ai lu le dossier hier. J'avais vu dans l'intro que ce n'était pas chronologique.
J'ai vu un lien avec Pères et fils. J'ai trouvé extrêmement intéressant cette genèse de Bazarov.
J'ai préféré Pères et fils car on a accès de façon plus intégrale à la psychologie de Bazarov. C'est cette génération qui garde l'honneur et qui a un détachement, un désenchantement.
Le voyage m'a beaucoup plu. Je regardais la carte. L'écriture faisait écho. Il y a des descriptions superbes. C'est incroyable. J'ai beaucoup voyagé. Et il y a le contexte historique qui est très intéressant.
Ce qui m'a moins plus est l'aspect décousu. Le fataliste ne m'a pas semblé utile. Est-ce qu'il l'a vraiment conçu comme une œuvre ? Ou ce sont des textes rassemblés ? Bela et Princesse Mary pourraient suffire. Dans Taman, ce n'est pas exactement le même personnage. Dans La princesse Mary, il y a quand même ce sens de l'honneur, il propose d'arrêter le duel, avec un certain panache.
Il y a beaucoup d'humour, grinçant. C'est assez moderne. C'est étonnant dans un roman russe.
J'ouvre trois quarts et j'aurais ouvert entièrement si je n'avais pas lu Pères et fils.
Catherine
Je partage pas mal de choses qui ont été dites (par ceux qui ont aimé). C'est un livre qui m'a beaucoup intéressée. Je ne connaissais pas l'auteur, ni le Caucase d'ailleurs.
C'est un roman assez particulier dont la composition est compliquée qui m'a décontenancée au premier abord, puisqu'elle ne suit pas l'ordre chronologique. J'avais un peu de mal à situer les épisodes les uns par rapport aux autres. J'ai compris en ayant lu l'ensemble et encore mieux en lisant l'introduction de l'édition GF. J'ai trouvé néanmoins la lecture relativement fluide, la lecture des notes facilite la compréhension du récit, même s'il faut aller les chercher à la fin. J'ai aimé les changements de narrateur, le voyageur dont on ne sait rien, Maxime Maximitch, Petchorine lui-même via son journal. Il y a donc plusieurs récits, genre nouvelles, mais toutes avec le même héros. Un autre point commun tout au long du livre, la nature montagneuse, sauvage, et les paysages grandioses. Il y a beaucoup de belles descriptions. J'ai aussi aimé les changements d'ambiance d'un récit à l'autre, le récit de Maxime Maximytch entremêlé au voyage du narrateur, qui nous fait découvrir Petchorine, Taman, assez énigmatique, au milieu des contrebandiers avec un aveugle qui gambade comme un cabri, Princesse Mary beaucoup plus long que les autres, plus classique avec une ambiance mondaine, dans une ville d'eau qui m'a presque rappelé Bath dans
Northanger abbey.
Le héros est également spécial, il est complètement cynique, désenchanté, désabusé, immoral, il s'ennuie même au cœur du danger, séduit des femmes jeunes et vulnérables pour le plaisir de les séduire et les abandonne ensuite sans même vouloir forcément les posséder. Il ne peut pas être sympathique, mais on est frappé par sa lucidité, son courage parfois. Je n'ai pas réussi du coup à le détester tout à fait. J'ai bien aimé le personnage de Maxime Maximytch, le deuxième narrateur, le vieux militaire qui reste sentimental malgré tout ce qu'il a traversé. On est déçu avec lui que Petchorine le traite si mal alors qu'il croyait être son ami. La façon dont il parle des populations du Caucase est malgré tout assez choquante (p. 47).
J'ai fini ma lecture avec l'impression de l'avoir lu trop vite, il faudrait le lire au moins deux fois, comme l'a fait Rozenn, mais Paul Auster m'attend.
J'ouvre aux ¾. La lecture de ces deux livres russes m'a donné envie d'en lire un autre (russe) dans la foulée (pourquoi pas Eugène Onéguine).
Manuel

Les Caucasiens, les Circassiens, les Asiates, le Caucase… J'étais assez perdu car l'édition Gingko comporte très peu de notes, mais j'ai persévéré et je ne regrette pas du tout ! Grâce au site j'ai pu retrouver plusieurs informations et la carte qui m'ont permis de situer les différentes villes et comprendre le contexte historique.
Comme dans Proust que je lis, j'ai retrouvé la même ambiance fin de siècle avec une critique de l'aristocratie. Petchorine porte les stigmates féminins de sa classe sociale ou ses caractères : "Ni la vie de débauche de la capitale, ni les remous violents de l'âme ne paraissaient avoir altéré sa vigueur native"
(p. 84) : "C'est une singularité que vous avez déjà observé peut-être chez certains hommes… Elle révèle ou un naturel méchant, ou une âme accablée par une tristesse profonde, incurable." (p. 86)
Ce que j'ai préféré, ce sont les descriptions de la psychologie de Petchorine qui se meut dans les paysages grandioses du Caucase. Certaines nouvelles m'ont moins intéressé. Par exemple celle du cheval qui est échangé contre la sœur. Peut-être que c'est une anecdote rapportée et que la chose était probable dans le Caucase.
La princesse Mary et Le fataliste sont pour moi les plus intéressants. Pour La Princesse Mary, les réflexions de Petchorine m'ont fait me questionner…
La description des colonisateurs et de ces peuples lointains par rapport à ceux de Saint-Pétersbourg est subtile et bien amenée. D'une part il y les "vrais" Russes et d'autre part ceux de la colonisation.
Petchorine ne sait pas où il a mal, il dit qu'il ne tombera pas amoureux, ce serait une coquetterie féminine : "Je demande souvent pourquoi je mets tant de persévérance à conquérir une jeune fille que je n'ai pas l'intention de séduire et que je n'épouserais jamais. À quoi rime cette coquetterie féminine ?" (p. 167, le 6 juin)

(Ceux qui ont la traduction en GF recherchent la "coquetterie féminine" et ne la trouvent pas au 6 juin, mais au 3 juin ; l'une des traductions tient peut-être compte de la différence entre calendrier julien et grégorien...)

La description de l'uniforme de Grouchnizki m'a beaucoup fait rire p. 178 : "Une demi-heure avant le bal, Grouchnitzki est venu me trouver dans la splendeur toute neuve de son uniforme d'officier d'infanterie de ligne. Une chaînette de bronze, fixée au troisième bouton, retenait un double face-à-main. Les épaulettes, de dimensions démesurées, étaient relevées aux extrémités, pareilles aux ailes d'un Cupidon. Ses bottes crissaient. Il tenait dans sa main gauche sa casquette et une paire de gants bruns vernis, tandis que sa droite se portait continuellement à son toupet frisé pour le redresser."
(p. 178) J'adore le côté vachard de Petchorine !
Et dans Le Fataliste, j'ai aimé : "Nous sommes devenus incapables de grands sacrifices, que ce soit pour le salut de l'humanité ou pour nous-mêmes, car nous ne croyons plus au bonheur, et nous passions avec indifférence d'un doute à l'autre, comme nos ancêtres se jetaient d'une erreur dans l'autre, mais sans avoir leurs espoirs, sans éprouver non plus cette satisfaction imprécise, quoique profonde, qu'engendre dans l'âme toute lutte avec le destin ou avec les hommes..."
(p. 265)
J'ouvre en grand !!
Françoise
J'ouvre un quart seulement, j'ai trouvé ça cafouillis, difficile à suivre. Les notes, ça ne facilite pas les choses, il faut sans cesse aller à la fin du livre. Ce serait tellement plus facile d'avoir les notes en bas de page !
Pour moi Bela et La princesse Mary ressortent. J'ai été assez touchée par l'histoire de Bela. Avec Princesse Mary on a l'apothéose du pervers. J'ai pensé aux Liaisons dangereuses, mais ici il n'y a pas le plaisir de l'écriture. Il est infect, calculateur, antipathique, même - et surtout - avec ses amis. Il est incapable d'aimer, de s'engager, et interdit aux autres de le faire. Le duel n'en finit pas, il trouve une échappatoire, s'en sort au prix de la vie de son ami. Tout est négatif. Ça m'a gavée.
Alors, oui, il y a le Caucase : je suis allée en Géorgie, j'ai beaucoup aimé, et ça m'y a fait penser. En Svanétie, nous avions vu un film sur la vie en hiver dans ce pays, dans une grande une rudesse. Dans les villages médiévaux, je me souviens des oshkis, des tours défensives en pierre, construites à partir du IXe siècle contre les invasions, on dirait de grosses cheminées, ça donne un paysage beau et très étrange. L'histoire du Caucase explique les conflits et dissensions actuels. La Russie occupe toujours 20% de la Géorgie.
Pour revenir au livre, le style, l'écriture, me paraissent désuets. Je rejoins Renée concernant les classiques, mais il y a des exceptions.

Claire
Après la lecture, autour du livre et de l'auteur, j'ai été étonnée de découvrir une thèse sur Lermontov publiée à Paris en 1910 (!), traduite en russe alors (!) car il n'existait pas en Russsie de biographie de Lermontov, thèse qu'on trouve aujourd'hui dans maintes bibliothèques universitaires à travers le monde (en ligne ›ici).
J'ai été amusée d'apprendre l'existence de trois volumes
d'Augustin Cabanès, médecin, journaliste et historien de la médecine (1862-1928), intitulés Grands névropathes : malades immortels, 3 volumes en ligne publiés de 1930 à 1935, consacrés aux écrivains les plus célèbres ; tous y passent, et Lermontov aussi (le "diagnostic" ›ici).
J'ai été stupéfaite de découvrir l'existence de 12 traductions et comparer quelques passages est comme d'habitude instructif sur l'impact de la traduction (quelques exemples en ligne
›ici).

Parmi les traducteurs, j'ai eu envie d'inviter Eulalie Piccard à participer à notre soirée pour nous donner son avis sur le livre. Née en 1879 à Saint-Pétersbourg, mais suisse, elle passe en Russie la Première Guerre mondiale et les débuts de la Révolution aux premières loges... Son avis date de 1948 et propose des impressions de lecture d'une tonalité différente des nôtres...
Eulalie
Un Héros de notre Temps se lit avec un intérêt soutenu. On trouve dans cet ouvrage d'une fraîcheur extraordinaire une étonnante connaissance du cœur humain, une psychologie fouillée une probité absolue ; dans la description des personnages, de leur mentalité, de leurs actions et de leur entourage. Que ce soit Pétchorine, type d'officier brillant, riche et blasé, ou le capitaine en second Maxime Maximitsch, si sympathique dans sa naïve le et sa rudesse affectée de vieux troupier sentimental, ou Grouschnitsky, type de jeune officier russe, insignifiant et vaniteux, ou Voulitsch, le fataliste, ou le docteur Werner, grand connaissent du corps et du cœur humain, sceptique, matérialiste et... poète ou bien le sauvage et cruel Kazbitsch, possesseur d'un cheval merveilleux, ou bien encore Azamate, ce très jeune Circassien têtu et passionné, et combien d'autres encore, comme les Ossiètes, conducteurs de bœufs, les contrebandiers de Tamagne, des cosaques, toutes sortes de montagnards de différentes tribus et même des laquais esquissés en quelques traits de plume, - tous se présentent à nos yeux en chair et en os, vivants comme en réalité, chacun avec ses particularités distinctives. Quant aux femmes, pour n'en citer que quelques-unes : la charmante, coquette et futile princesse Mary, digne représentante du high life de tous les pays civilisés et de tous les temps, puis Viéra G..., jeune femme maladive mariée à un riche vieillard, touchante ; par la profondeur de ses sentiments qu'elle est obligée de cacher, tout en n'arrivant pas à le faire à la longue, et l'exquise Bêla, grande, svelte, fière et sauvage aux yeux noirs comme ceux des chamois.
Et la plume magique de l'enchanteur anime pour toujours, avec tout leur charme, leurs déceptions, leurs chagrins et leurs larmes, ces femmes - victimes de l'éternel et inconscient égoïsme masculin, si exactement et si impitoyablement dépeint par l'auteur. Oui, ceux qui critiquaient si sévèrement Lermontov voyaient sûrement dans son roman plus de vérité qu'ils n'auraient voulu.
Un des meilleurs prosateurs russes, le célèbre écrivain Nicolas Gogol parle, dans son article En quoi consiste enfin l'essence de la poésie russe, de la prose de Lermontov en ces termes : "Personne encre n'a écrit chez nous en une prose si correcte, si belle et si parfumée."

 DES INFOS AUTOUR DU LIVRE
Lermontov et Tourgueniev
Se mettre dans l'ambiance
12 traductions

Cinq récits et un ordre compliqué
Autres livres de Lermontov
Ils causent tous de Lermontov

Au cinéma

LERMONTOV ET TOURGUÉNIEV

Un mois avant cette séance, nous avons lu Tourguéniev. Tourguéniev rencontre Lermontov en 1839, d'abord lors d'une soirée chez la princesse Chakhovskoï :

"Blotti dans un coin, j'observais, de loin, le jeune poète entré si vite dans la gloire. Il s'était installé sur un tabouret bas, en face d'un divan, où était assise, vêtue d'une robe noire, l'une des beautés célèbres de la capitale"...

Puis à l'occasion du nouvel an 1840, lors d'un bal costumé au Cercle de la Noblesse, où Lermontov est pris dans un tourbillon de jeunes femmes aux robes multicolores et aux visages barrés par un loup noir... :

"On ne lui laissait pas de repos, on s'attachait à lui, on le prenait par la main, les masques se succédaient autour de lui sans interruption"...

Pour en lire davantage sur ces deux rencontres grâce à Henri Troyat, cliquez=>ici.

Et la biographie de Lermontov par Tourguéniev ? La voilà en deux coups de cuiller à pot, en avant-propos du Novice de Lermontov que Tourguéniev a traduit en français :

"Michel Lermontoff, né en 1814, orphelin, élevé par sa grand'mère, puis étudiant à l'université de Moscou, fut admis, à vingt-deux ans, dans les hussards de la garde impériale. C'était à l'époque où Pouchkine venait de succomber dans un duel. Lermontoff déplora sa mort prématurée dans une élégie que la Russie entière admira, mais dont quelques vers exprimant je ne sais quelle soif de liberté déplurent en haut lieu. On l'envoya au Caucase. À son retour, au bout de trois ans, il publia un petit recueil de poésies, où se trouvait la pièce que nous offrons à nos lecteurs. Tout le monde lettré s'unit pour saluer en lui le successeur du poète qu'il avait célébré. Mais bientôt à l'occasion d'une dispute avec le fils d'un ambassadeur, on lui donna de nouveau l'ordre de retourner au Caucase. C'est là, qu'à la suite d'une querelle futile, il fut provoqué par un de ses camarades de régiment, et périt comme Pouchkine. C'était en 1841 ; Lermontoff avait vingt-sept ans." (Avant-propos de la traduction de Tourguéniev, revue par Mérimée, de Le Novice, Revue Moderne, 1er juillet 1865 : en ligne sur gallica, p. 31).

POUR SE METTRE DANS L'AMBIANCE

Regardez sur Arte
- "Le Caucase rebelle du poète Lermontov", film de Lisa Alissova,
série Invitation au voyage, 2023, 14 min.
- "Caucase : un carrefour d'influences
", Emilie Aubry, Le dessous des cartes, 2021, 13 min.

• Regardez sur Herodote.net
- "Histoire des peuples du Caucase", un super diaporama, très clair de Vincent Boqueho, 25 septembre 2023, 8 min (merci Vincent Boqueho !)

Écoutez
- "Mikhaïl Lermontov" : des textes de Lermontov mis en musique par les plus grands, François-Xavier Szymczak, Dans l'air du soir, France Musique, 3 octobre 2014, 52 min.

• Découvrez avec curiosité
- le musée Lermontov où Lermontov a résidé lors de son exil au Caucase (si votre édition n'a pas de bio, voir la vie de Lermontov sur wikipédia)
- le manoir de Tarkhany, devenu musée, où Lermontov a passé sa jeunesse, élevé par sa grand-mère ; en 2014, pour le bicentenaire de Lermontov, la "Maison russe des sciences et de la culture à Paris" a organisé une conférence en visio depuis ce musée, longue, mais très intéressante.

• Lisez, si vous voulez partir loin et jadis
- Le Caucase d'Alexandre Dumas père : en 1858, Dumas entreprend un long voyage de 9 mois en Russie puis au Caucase, avec comme compagnon de voyage le peintre Jean-Pierre Moynet, dont voici l'affiche pour le livre :
Il relate dans deux récits, Le Caucase et La Russie, ses aventures pittoresques dans l'Empire russe puis lors de sa traversée du Caucase, depuis Bakou jusqu'à la mer Noire : il séjourne notamment à Tiflis, croisant les traces de Lermontov. Voici la première page :

"Nous allons dire à nos lecteurs, d’une façon aussi succincte que possible, ce que c’est que le Caucase, topographiquement, géologiquement, historiquement parlant.
Nous ne doutons pas que nos lecteurs ne sachent la chose aussi bien que nous ; mais, à notre avis, l’auteur doit toujours procéder comme s’il savait ce que ses lecteurs ne savent pas.
La chaîne caucasique – ou caucasienne, comme on voudra – située entre les 40e et 45e degrés de latitude nord et les 35e et 47e degrés de longitude orientale, s’étend de la mer Caspienne à la mer d’Azof, depuis Anapa jusqu’à Bakou.
Trois grands pitons la surmontent : l’Elbrouz, haut de seize mille sept cents pieds ; le Kasbek, d’abord appelé le Mquinwari, haut de quatorze mille quatre cents ; et le Chat-Elbrouz, haut de douze mille pieds.
Nul n’a jamais gravi la cime de l’Elbrouz. Il faudrait pour cela, disent les montagnards, une permission particulière de Dieu ; c’est sur son sommet que, selon la tradition biblique, se posa la colombe de l’arche."

• Avant de partir en voyage
Dumas va trop traîner. Il nous faut quelques repères.
Les monts du Caucase constituent une barrière entre l'Europe et l'Asie, entre le Nord et le Sud.
Ils sont habités par des populations diverses : Tchétchènes, Tcherkesses, Kabardes, Ossètes, Nogaïs, Abdkhases, et plus au Sud Géorgiens et Arméniens.
Les différents peuples caucasiens sont parfois confondus par des personnages du roman, sous le terme méprisant d'Asiates.
Le premier récit se situe en Tchétchénie : parmi les "montagnards", certains sont "pacifiés", c'est-à-dire alliés aux Russes, et souvent contre leur gré, et les autres sont des ennemis :
des rebelles tchétchènes et tcherkesses veulent repousser l'occupant russe qui a colonisé la région.
L'itinéraire du narrateur suit sur 200 km environ,
par des routes très escarpées, la "route militaire de Géorgie", qui traverse la chaîne du Grand Caucase, du sud vers le nord, de Tiflis (capitale aujourd'hui de la Géorgie) à Vladikavkaz (capitale de la république russe d'Ossétie-du-Nord-Alanie). Voici une carte du Caucase à l'époque de Lermontov.

extraite de
Un héros de notre temps

12 TRADUCTIONS INTÉGRALES en 166 ans, entre 1853 et 2019 !

Les traducteurs sont souvent des personnalités qui valent le détour romanesque...
Après des extraits traduits dès 1845, par exemple par Léouzon Le Duc
(en tant que chargé de mission dans les pays nordiques et en Russie, il fut entre autres fut chargé de trouver la pierre adaptée pour le cercueil de Napoléon...) ou Eugène de Lonlay (pas seulement traducteur, mais aussi chansonnier...), la première traduction intégrale (1853) est celle de Jean-Marie Chopin, né à Saint-Pétersbourg et dont le père sculpteur fut recruté par Catherine de Russie..., puis Xavier Marmier (1856), Albert de Villamarie (1884), Boris de Schlœzer (1926), J.D. Abelsen et Bella Chabot (1945), Pierre Josse (1946), Marc Chapiro (1946), Robert Rodov (1947), Eulalie Piccard (1948), Alain Guillermou (1954), Georges Arout (1969), Déborah Lévy-Bertherat (2003) et Michel Tessier (2019).

En cette année 2025, on trouve, en éditions imprimées aisément disponibles, les traductions de Marc Chapiro (trad. 1946, éd. Gingko) et Déborah Lévy-Bertherat (trad. 2003, la plus récente, éd. GF bilingue).
En ligne, sont disponibles les traductions de Jean-Marie Chopin (1853), d'Albert de Villamarie (1884) et Pierre Josse (1946) : voir les liens ci-dessous.

Si nombreuses, les traductions diffèrent-elles ? Pour voir deux passages, traduits selon une dizaine de traductions, cliquez=>ici.

"La princesse Mary" est le premier texte de Un héros de notre temps publié en 1845. Il faudra attendre 1853 pour lire le texte intégral. Voici les traducteurs et les différentes éditions.

• Traduction de Léouzon Le Duc
de "La princesse Mary" sous le titre Une saison de bains au Causase, Jules Labitte, 1845 : en ligne sur gallica ; Une saison de bains au Caucase. Extrait de Lermontoff, rééd. Hachette Livre/BNF, 2016


• Traduction du Comte Eugène de Lonlay
de "La princesse Mary" sous le titre Un duel à mort, Cournol, 1863

La première traduction intégrale date de 1853.
• Traduction de Jean-Marie Chopin
in Choix de nouvelles russes de Lermontof, Pouchkine, von Wiesen, etc., C. Reinwald, 1853 : en ligne sur gallica.

Traduction de Xavier Marmier d'Un Héros de notre temps
in Au bord de la Néva : contes russes, Michel Lévy Frères, 1856
in Contes russes, Calmann-Lévy, 1889 (sans "Un fataliste")
  

• Traduction d'Albert de Villamarie
Un héros de notre temps, Librairie parisienne, 1884 ; rééd. Stock 1904, rééd. 1922 ; en ligne sur Bibliothèque russe et slave ou sur Gallica ou sur Wikisource ; en numérique : Ink Book édition, 2013, avec Le Démon.
    

Un héros de notre temps, traduction d'Albert de Villamarie revue et annotée Valentina Chepiga, Macha publishing, coll. Merveilles de la littérature russe, bilingue, 2019, 444 p.

Traduction de Boris de Schloezer
Un héros de notre temps, éd. de la Pléiade, coll. Auteurs Classiques Russes, J. Schiffrin, 1926.

in Œuvres, Alexandre Griboïèdov, Michel Lermontov, Alexandre Pouchkine, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1973.
"La très belle traduction de 1926, par Boris de Schloezer, de Un héros de notre temps, a été reprise dans le volume de la Pléiade consacré aux œuvres en prose de Pouchkine, Griboïedov et Lermontov", dit Hubert Juin dans Le Monde du 25 juillet 1986.

Un héros de notre temps, précédé de La Princesse Ligovskoï, préface de Dominique Fernandez, trad. Boris de Schlœzer (pour Un héros), notice et notes de Gustave Aucouturier, Gallimard, Folio, 1976 :
  On s'étonne de voir une préface de Dominique Fernandez, spécialiste de l'Italie. Mais c'est qu'il a publié un Dictionnaire amoureux de la Russie ! Voici sa préface à Un héros de notre temps=>ici, avec une hypothèse étonnante à demi-mots sur la sexualité de l'auteur et d'un des narrateurs... Il reprend telle quelle cette préface dans son dictionnaire à l'article "Lermontov", pas gêné... Elle commence ainsi :

"De tous les grands écrivains russes du XIXe siècle, la plupart ont acquis en France une solide notoriété, si ce n'est la gloire ; Pouchkine, Gogol, Tolstoï, Dostoïevski, Tchékhov. D'autres sont restés inexplicablement dans l'ombre, comme Gontcharov, l'auteur d'Oblomov, ou y sont retournés, tel Tourgueniev, gui a pourtant vécu en France, où il était l'ami de Flaubert. Le cas le plus flagrant d'injustice reste le poète et romancier Michel Lermontov. Aussi célèbre dans son pays que Benjamin Constant ou Mérimée peuvent l'être dans le nôtre, quel obstacle jusqu'à présent l'a empêché de franchir les frontières ? S'agirait-il d'une de ces gloires locales que la chauvinerie de chaque pays érige dans le panthéon national à grands coups de fanfares patriotiques ? Ou d'une momie pieusement conservée par la dévotion laborieuse des professeurs de littérature ? Peut-on aujourd'hui présenter Lermontov comme un auteur qui a quelque chose à nous dire ?"

Toujours dans cette édition Folio, Gustave Aucouturier est l'auteur de la notice et de notes, dont voici la première à laquelle renvoie le titre "Un héros de notre temps" :

Le mot héros doit être pris ironiquement, comme il l’indiquera clairement dans la Préface qu’il écrivit après coup (pour la 2e édition) comme pour dire : "Voilà le genre de héros que peut produire un temps comme le nôtre."

Un héros de notre temps, trad. Boris de Schlœzer, révisée par Jean-Claude Roberti et Simone Sentz-Michel, préface de Jean-Claude Roberti, Folio bilingue, 1998, 464 p.

Cécile Wagner illustre le livre de gauche. Elle est l'auteure d'une adaptation sous forme de roman graphique : Un héros de notre temps, Actes sud, coll. "L'An 2", 2014, 152 p.
en ligne intégralement sur le site de l'artiste.

Traduction de J.D. Abelsen et Bella Chabot
Le héros de notre temps, préface de B. Charbot, notes sur le Caucase de H. Wellé et M. Strouvé, éd. Librairie Mercure, collection bilingue, 1945.

Traduction de Pierre Josse
Un héros de notre temps, éd. du Chêne, 1946, en ligne =>sur Gallica
     

Traduction de Marc Chapiro
Le héros de notre époque, éd. du Salève, Genève, Les Beaux livres russes, 1946.

Un héros de notre temps, 1946, Gingko éditeur, coll. "Petite Bibliothèque Slave", 2024, 256 p.

Traduction de Robert Rodov
Un héros de notre temps, Moscou, Editions en langues étrangères , 1947
illustrations de Serov, Vroubel et Komarov et portrait de l'auteur en frontispice

Traduction d'Eulalie Piccard
in Mikhaïl Lermontov, 1814-1841 : essai biographique, complété par quelques extraits de l'œuvre poétique de Lermontov, son roman en prose : Un Héros de notre temps, Neuchâtel, éd. du Lis Martagon, 1948


Traduction d'Alain Guillermou
Un héros de notre temps ou l'Orient dans la littérature russe, préface Pierre Pascal, ill. Jean Traynier, Club bibliophile de France, Maurice Robert éditeur, 1954.
Un héros de notre temps, éditions du Progrès, coll. Volga du Club Diderot, Moscou, 1970.

Un héros de notre temps, avant-propos de Jean Train, Robert Laffont, 1959 ; Classiques Pavillons, 1984, 187 p.
  

• Traduction de Georges Arout
Un Héros de notre temps suivi de Chtoss, le Fuyard, le Démon, Mtzyri, la Mort du poète, traduction et préface Georges Arout, ill. et frontispice de Maroussia Gardian, Évreux, Cercle du bibliophile, coll. Les Chefs-d'œuvre de la littérature russe, 1969.

• Traduction de Déborah Lévy-Bertherat
- Un héros de notre temps, préface Déborah Lévy-Bertherat, Flammarion, coll. "GF", bilingue, 2003, 433 p.

• Traduction de Michel Tessier
Traducteur amateur, il a mis en igne plusieurs traductions de livres sur son blog de Mediapart, dont Un héros de notre temps en 2019. Il se définit ainsi en russe et en français : fainéant, ex-loser, vaurien, imposteur, hypocrite, péremptoire, retraité sans gloire, probable escroc, possible usurpateur, politiquement suspect, traducteur très amateur de littérature russe.

****

Si l'on voulait fignoler à propos de la découverte de Lermontov en France, Louis Jousserandot, bibliothécaire à la Sorbonne (1910-1920), dans son livre, Lermontov (La Renaissance du livre, coll. Les Cent chefs-d'œuvre étrangers), inclut une bibliographie détaillée des textes de Lermontov traduits entre 1842 et 1904, notamment traduits dans des périodiques, et pas seulement par des inconnus... Ainsi :
- Alexandre Dumas traduit des vers de Lermontov dans Le Caucase, journal de voyages, 4 mai 1859 : en ligne sur wikisource (et illustré)
- Tourguéniev traduit Le Novice, histoire d'un jeune Caucasien enlevé par un général russe et élevé dans un monastère. Sa traduction est revue par Mérimée ("
M. Mérimée a bien voulu se charger de la révision de notre traduction : un pareil nom dispense de tout éloge et nous n'avons que des remercîments à lui adresser."), Revue Moderne, t. 34, 1er juillet 1865 : en ligne sur gallica, p. 31-43.

Ajoutons qu'Eugène Duchesne publie une thèse sur Lermontov en 1910, qui sera traduite en russe ! Michel Iouriévitch Lermontov : sa vie et ses oeuvres : thèse pour le doctorat ès lettres présentée à la Faculté des lettres de l'Université de Paris, publiée par Plon-Nourrit et Cie. La thèse est en ligne (sur le site de l'université d'Ottawa !) =>ici.

CINQ RÉCITS ET UN ORDRE COMPLIQUÉ

• Cinq récits

Un héros de notre temps est constitué de
5 récits :

1. Bèla (ou, selon les traductions, Béla, ou Bela ou Bella)
2. Maxime Maximitch (ou Maximytch ou Maximovitch)
3.
Taman (ou Taman' ou Tamagne)
4. La Princesse Marie (ou Mary)
5. Le Fataliste (ou Un fataliste).

• Un ordre compliqué

On trouve les 5 récits rassemblés en plusieurs parties, des chapitres numérotés sautant par-dessus les parties... :

Préface
Première partie

- Bèla
- Maxime Maximovitch
Journal de Petchorine
- Avant-propos
- I. Taman
Deuxième partie

- II. La princesse Mary
- III. Un fataliste


Dans l'édition Folio (1976), Gustave Aucouturier, auteur de la notice et des notes, donne les explications suivantes : c’est en 1837, revenant de son premier exil et plein de ses impressions caucasiennes, que Lermontov reprit son personnage de Piétchorine (ou Petchorine, selon les traductions) pour lui attribuer d'autres aventures que celles des salons pétersbourgeois.
Piétchorine est censé avoir été exilé au Caucase, comme d’autres jeunes officiers, au lendemain de l’affaire décembriste de 1825. L’action se déroule entre 1827 et 1833, et l’ordre chronologique des faits serait le suivant :

1. (Taman’) : Piétchorine, envoyé à l’armée du Caucase, passe une nuit à Taman’ en Crimée.

2. (La Princesse Mary) : Après avoir participé à des opérations militaires, il prend les eaux à Piatigorsk et Kislovodsk, où il tue en duel Grouchnitski

3. (Bella) : Envoyé après ce duel sur la "Ligne", dans un fort commandé par Maxime Maximytch, il y vit une nouvelle aventure amoureuse.

4. (Un fataliste) : Muté à une stanitsa cosaque, il y tient un étrange pari avec Voulitch.

5. (Maxime Maximytch) : Cinq ans plus tard, retiré du service, il se rend en Perse et rencontre à Vladicaucase son ancien chef.

6. (Avant-propos au Journal de Piétchorine) : Il meurt en revenant de Perse, et le narrateur publie son "Journal".

Lermontov a construit son roman en faisant se succéder les cinq textes qui le composent de manière à présenter son personnage d’abord de l’extérieur, par un tiers (Maxime Maximytch), puis de l'intérieur, en le faisant parler lui-même.

AUTRES LIVRES DE LERMONTOV PUBLIÉS EN FRANCAIS

- Le Démon, trad. Albert de Villamarie, Librairie parisienne, 1884, Stock, 1904 : en ligne sur wikisource ou dans Bibliothèque russe et slave.
- La Princesse Ligovskoï, Le Caucasien et
Achik-Kérib, in Œuvres, trad. Gustave Aucouturier, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1973. La Princesse Ligovskoï, Folio, 2€
- Le novice, trad. Guy Imart, postface d'Emmanuel Malherbet, bilingue, Alidades, Petite Bibliotheque Russe, 2024
- Chtoss, in Récits fantastiques russes, trad. Sophie Benech, José Corti, 2007
-
Un homme étrange, Bal masqué, Deux Frères, trad. André Markowicz, José Corti, 1998
- Œuvres poétiques, trad. Efim Etkind, L'age d'homme, 1985

- Poèmes, trad. Igor Astrow, Tricorne, 2000
.

Citons les poèmes traduits par Alexandre Dumas : Le blessé, Les nuages, Boutade, Gornaia-Vekchina, Les mercis

ILS CAUSENT TOUS DE LERMONTOV

Emmanuel Carrère cherche l'inspiration :

Sur quoi je compte écrire ? "Un peu sur Lermontov parce que Un héros de notre temps, qui est un de mes romans préférés, se passe à la frontière de la Russie et du Caucase." (dans un reportage pour la revue en ligne Kometa, 23 novembre 2023)

Albert Camus cite Lermatov dans L'homme révolté et plus étrange...

La Chute traduite en anglais (The Fall) commence par une citation en exergue de la préface de Lermontov à Un Héros de notre temps : "Les uns se sont terriblement offensés, sans plaisanter, qu'on leur donnât en exemple un homme aussi immoral que le héros de notre temps ; les autres ont très finement remarqué que le créateur avait peint son portait et les portraits de ses connaissances (...) Le Héros de notre temps, chers messieurs, est en effet un portait, mais pas celui d'un seul homme : c'est un portrait composé des vices de toute notre génération, dans leur plein épanouissement."

Tchekhov anticipe les ateliers d'écriture :

"Je ne connais pas de langue plus belle que celle de Lermontov. Voici ce que je ferais : je prendrais son récit, et je l'étudierais, comme on étudie dans les écoles, par propositions, par parties de propositions... C'est ainsi que j'apprendrais à écrire...

Nabokov a traduit Un héros de notre temps en anglais :

"Qu'est-ce donc qui fait le charme éternel de ce livre ? Pourquoi est-il si intéressant à lire et à relire ? Certainement pas pour son style - quoique, assez curieusement, les maîtres d'école russes y aient vu la perfection de la prose russe. [...]
Mais si nous le considérons comme un conteur, et si nous nous rappelons que la prose russe n'était encore que dans l'adolescence, et l'homme âgé d'environ vingt-cinq ans quand il l'écrivit, nous sommes en effet émerveillés par la superbe énergie du conte, et par le rythme remarquable auquel obéissent les paragraphes, sinon les phrases. C'est l'association de mots en soi insignifiants, et qui prennent vie. Quand nous commençons à séparer la phrase ou le vers en éléments quantitatifs, les banalités que nous percevons sont souvent choquantes, les raccourcis comiques ne sont pas rares ; mais, sur la durée, c'est l'effet d'ensemble qui compte, et cet effet final peut être attribué, chez Lermontov, à la belle organisation temporelle de toutes les parties et particules du roman. Son auteur a pris soin de se dissocier de son héros ; mais pour le lecteur enclin aux émotions, si le roman est si poignant et si fascinant, c'est en grande partie parce que le destin tragique de Lermontov lui-même s'est en quelque sorte surimposé celui de Petchorine."
Sur la couverture :
une partie d'un tableau de Lermontov

Nous avions lu jadis la Correspondance à trois entre Rainer Maria Rilke, Boris Pasternak et Marina Tsvétaïeva. Le poème de Lermontov "Je m’en vais tout seul sur la grand’ route" a été traduit par
-
Marina Tsvétaïeva en français =>ici
- Rainer Maria Rilke en allemand =>ici

Thomas Bernhard cite deux fois le roman de Lermontov dans sa pièce La société de chasse.

Milan Kundera dans La vie est ailleurs est intarissable :

Dès le premier chapitre : "Dans les maisons où les poètes ont vu le jour, règnent les femmes : la sœur de Trakl et celles d’Essenine et de Maïakovski, les tantes de Blok, la grand-mère de Hölderlin et celle de Lermontov, la nourrice de Pouchkine et surtout, bien entendu, les mères, les mères des poètes, derrière lesquelles pâlit l’ombre du père. Lady Wilde et Frau Rilke habillaient leurs fils en petites filles. [...]

À l’âge de dix-huit ans, Lermontov est devenu soldat pour échapper à sa grand-mère et à son encombrant amour maternel. Il a troqué la plume, qui est la clé de l’âme du poète, pour le pistolet qui est la clé des portes du monde. Car lorsque nous envoyons une balle dans la poitrine d’un homme, c’est comme si nous entrions nous-mêmes dans cette poitrine ; et la poitrine de l’autre, c’est le monde. [...]

Quoi ? Lermontov devrait renoncer à ses mots d’esprit ? Il devrait présenter des excuses ? Jamais !
Ses amis le mettent en garde. Il est insensé de risquer un duel pour une sottise. Il vaut mieux tout arranger. Ta vie est plus précieuse, Lermontov, que le dérisoire feu follet de l’honneur !
Quoi ? Y a-t-il une chose plus précieuse que l’honneur ?
Oui, Lermontov, ta vie, ton œuvre."

Bernard Pivot l'honore

Dans le chapitre "Le roman russe" de La bibliothèque idéale de Bernard Pivot, Un héros de notre temps fait partie des 10 premiers :
Il était temps de s'y mettre !

L'éducation nationale

Un héros de notre temps est au programme de l'agrégation de russe... : bon courage !

Et Jacques Chirac !
Lors du débat radiotélévisé pour le deuxième tour de l'élection présidentielle de 1995 entre Jacques Chirac et Lionel Jospin le 2 mai 1995, voici ce que dit Chirac :

"Sur la Tchétchénie, je partage le sentiment de M. Jospin. J'ai d'ailleurs eu l'occasion de le dire très clairement au Premier Ministre et au Président russe. Mais c'est une très vieille affaire.
Je me souviens, quand j'étais jeune, je lisais un poème de Lermontov dans les années 1850 qui s'est transformé en une berceuse que tous les petits Russes ont entendue et qui disait : mon petit, dors, le grand méchant Tchétchène est en train d'aiguiser son couteau, mais ton papa veille.
C'est une vieille, vieille affaire, l'affaire de Tchétchénie."

Voir en vidéo=>ici et l'ensemble du prononcé du débat=>ici

AU CINÉMA

- Un héros de notre temps, comédie italienne de Mario Monicelli (1955, avec Alberto Sordi et Giovanna Ralli) est adapté de façon très vague du roman de Lermontov : le film est avant tout le portrait d'un lâche, trouillard et baratineur. Il émeut tout en étant abject... (L'Obs, 16 novembre 2021)
- Dans le film Le Silence d'Ingmar Bergman de 1963, on voit le jeune fils lire le livre au lit. Dans la séquence d'ouverture du film suivant de Bergman, Persona (1966), on voit le même enfant acteur se réveiller dans ce qui semble être une morgue et chercher le même livre.
- Un cœur en hiver de Claude Sautet (1992), serait aussi inspiré de Un héros de notre temps (La princesse Mary) que le réalisateur a lu durant le tournage de son précédent long-métrage (Cinésérie, 3 mars 2021). Daniel Auteuil : "Il était fasciné par ces personnages opaques qui n'ont pas accès aux sentiments. Ce dernier film est inspiré d'Un héros de notre temps, un roman de Lermontov. Sautet tirait souvent un truc dans un roman qui lui permettrait d'inventer une histoire" (Le Figaro, 3 décembre 2020).
- Quant à l'adaptation effective, Un héros de notre temps, film soviétique de Stanislav Rostotski (1967), diptyque divisé en Maksim Maksimytch et Bela, Fille des steppes), elle est introuvable en France.

Et sur les scènes ?

Le roman a été adapté à l'étranger au théâtre.
Notons l'adaptation en 2015 en ballet de Héros de notre temps au Théâtre Bolchoï, chorégraphie de Yuri Possokhov du San Francisco Ballet, et mis en scène par Kirill Serebrennikov auteur également du livret, musique de Ilya Demutsky. Retransmis en France au cinéma.


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