Extrait du Figaro, 11 mai 2022


Temps courbe à Krems (Tempo curvo a Krems),
trad. de l'italier de Jean et Marie-Noëlle Pastureau, Gallimard, 128 p.

Cinq nouvelles :
- Le gardien
- Leçons de musique
- Temps courbe à Krems
- Le prix
- Extérieur jour – Val Rosandra

Quatrième de couverture : À Trieste et dans ses environs, mais aussi dans le Piémont et au bord du Danube, un écrivain au sommet de son art déroule ici cinq histoires sur le thème de la vieillesse. Cet âge de la vie pourrait-il receler une forme de bonheur et de liberté secrète ? C’est un temps où l’horizon se resserre, mais où l’attention aux épiphanies des choses immédiates nous ouvre à un rapport différent au mouvement du monde. La vieillesse, aux yeux de Claudio Magris, est aussi un temps de retrait et de furtive dissidence face à la part de comédie sociale qui accompagne nombre d’entreprises humaines. Entrelaçant le dit et le non-dit, l’ambiguïté et l’ironie, les nouvelles de Temps courbe à Krems varient les éclairages sur la "guérilla de la vieillesse", une bataille infime mais de longue portée, toujours menée à bas bruit. L’autre grand thème du livre est celui du temps et de ses énigmes, de son mouvement qui conduit aussi bien vers la source que vers l’embouchure. Le recueil prend l’aspect d’un petit kaléidoscope déroulant cinq histoires d’une admirable richesse dans la perception des destins et la connaissance de l’humain.

Claudio MAGRIS (né en 1939)
Temps courbe à Krems (2019, traduction 2022)
Nous avons lu ce livre pendant notre sixième Semaine lecture du 9 au 16 juillet 2022 dans les Hautes-Alpes (voir la présentation ICI).

Les livres lus pendant la semaine
- Samedi : C.-F RAMUZ, La grande peur dans la montagne (Suisse)
- Dimanche : Ludmila OULITSKAÏA, Sonietchka (Russie)
- Lundi : Iván REPILA, Le puits (Espagne)
- Mardi : Amos TUTUOLA, L'ivrogne dans la brousse (Nigéria)
- Mercredi : Georg BÜCHNER, Lenz (Allemagne)
- Jeudi : Claudio MAGRIS, Temps courbe à Krems (Italie)
- Vendredi : David SPECTOR, 7500 € : pastiches politico-littéraires (France)

Et le palmarès ›ici

Nos 21 cotes d'amour pour le livre de Magris

(13 participants à la semaine lecture
et 8 lecteurs à distance)

Brigitte TGeneviève Renée
DanièleEtienneCatherineManuel •Monique L
EntreetJacqueline
Annick A
Brigitte LFanfanFannyFrançoiseManuela •Rozenn
Entre etClaireMuriel
 Lisa
NathalieSabine

Etienne 
Encore une belle découverte que ce Claudio Magris, une écriture très bien équilibrée avec une plume lucide mais rêveuse et aussi bien grave que drôle. La vieillesse vécue comme une forme de libération, un temps où l’attention et l’esprit est capable plus que jamais de s’émerveiller de la vie, ce n’est pas quelque chose que l’on lit souvent et j’ai donc trouvé cette lecture très rafraichissante. Les divagations temporelles m’ont évoquées la fin du Temps où nous chantions avec cette circularité temporelle troublante. Ouvert aux ¾.
Brigitte L 
Magris est un auteur que je ne connaissais pas du tout. J'avais envie de le lire pour découvrir la littérature moderne de l'Italie du nord.
Il parle ici de la vieillesse, sujet intéressant, qu'il aborde à travers cinq nouvelles. Le vieillard qui porte un regard très décalé sur le monde où il vit. Il est amusant de voir comment l'ancien homme d'affaires du secteur immobilier se plaît à devenir gardien d'immeuble. Pour le reste c'est sa vie d'artiste qu'il regarde dans l'après-coup.
La nouvelle qui donne son nom au recueil, fait à mon avis une trop grande place à un discours philosophique que j'ai eu du mal à suivre, sans faire l'effort de le comprendre complètement. Finalement, il se contente d'évoquer l'artiste vieilli devant l'évolution du monde qu'il a fréquenté. Mais il y a beaucoup d'autres choses à dire sur ce thème, qu'il n'aborde absolument pas.
J'aurais aussi aimé qu'il parle un peu plus de Trieste et de la vie dans cette région. J'ouvre à moitié.
Nathalie 
Que dire sur ce livre ? J’ai eu le malheur de commencer par "Temps courbe à Krems" qui est une nouvelle ardue dont certains passages trop complexes sont restés obscurs...
Je crois avoir déjà lu des choses sur cette notion de temporalité. Je n’ai jamais bien compris ou alors seulement l’instant fugitif où le concept a eu un peu de sens. Trop abstrait pour moi. Je pense que j’aurais placé la nouvelle en dernière partie car c’est la plus difficile à appréhender intellectuellement.
l’ensemble de l’œuvre est tissé sur la notion de temps et rapporte d’une façon ou d’une autre les propos d’un vieil homme. J’ai particulièrement aimé la nouvelle du gardien : je la trouve très intéressante et émouvante. Ce détachement progressif des biens matériels, des préoccupations personnelles, des liens affectifs, je trouve ça formidable. Quelle bonne idée que de redescendre les marches de l’ascension sociale et de se mettre volontairement au sous-sol d’une vie qui se poursuit à la fois sans soi et avec soi. Je trouve que c’est la meilleure nouvelle du livre et elle propose de nombreuses pistes de réflexion tout en étant drôle et légère. La petite voix intérieure de cet homme, l’écriture simple, les visions fugitives peu à peu construisent un ensemble cohérent. C’est un bijou.
Quant au reste…
Je reste réservée cependant sur l’aspect nostalgique de l’œuvre, car elle me semble plutôt de tonalité triste, offrant un constat amer sur ce temps que nous ne maîtrisons pas et qui, bien qu’il permette de savoir que certaines choses ont été et resteront quoi qu’il nous arrive, nous conduit à une forme de solitude et de désintérêt volontaire faute de ne plus pouvoir en faire partie. J’ouvre au ¼.
Brigitte T 
Difficile de poser en quelques phrases... un feu d'artifice d'idées que vais essayer d'organiser. Un peu prise par le temps car en famille.
Livre grand ouvert car il respire la vie, réflexion sur la fuite du temps.
Cinq nouvelles à la fois ironiques et subtiles sur la vieillesse. Le passé imbriqué dans le présent... sans vraiment parler de l'avenir de cette fin deux chemin de la vue.
Il y a l'homme d'affaires qui contourne les "barricades" d'une vie de vieux dessinée. Un hymne à la liberté de penser et de profiter des choses simples.
Il y a le Maître musicien, qui malgré sa vieillesse sa passion de la musique laisse intact son plaisir de compositeur et il fait fi de l'avis des autres.
Il y a le conférencier toujours fier de son éloquence refuse le faux-semblant proche du mensonge. Il assume ses cicatrices de la vie ce qui le conduit vers sa finitude dans des eaux bleues.
Il y a Serra mal à l'aise dans son rôle de senior avec les autres qui "pensent" pour lui. Il revendique pouvoir voyager, avoir une sexualité, avoir la liberté de ses choix musicaux et littéraire sans "devenir hors norme".
Il y a le vieux lecteur de scénario pour qui participer au tournage de son autobiographie est une autre façon d'assister à sa propre vie avec ses difficultés car en racontant sa vie on est toujours un peu mensonger, mais laisser des témoignages, des photos... est-ce utile de laisser des souvenirs ?
Monique L  
J'ai apprécié le style de cet auteur, son ton retenu, un raffinement dans la forme. C'est ironique et subtil.
Ces 5 nouvelles sur la fuite du temps sonnent juste, entre souvenirs, fantasmes et réalités. Passé, présent et avenir se télescopent.
Elles présentent la vieillesse comme un âge où l'on entretient un autre rapport au temps et au monde et où l'on retrouve une certaine liberté. Cet optimisme est apaisant même si les signes du vieillissement ne sont pas absents et même certains remords pour le professeur de musique.
Le rapport au temps y est remarquable, on ne doit pas le retenir mais le laisser glisser.
La nouvelle la plus complexe est celle qui donne son titre au recueil. Je ne suis pas sure d'en avoir saisi toute la subtilité autour de cette Nori réelle et fantasmée et la sorte de boucle du temps autour d'elle.
En tout cas, j'ai beaucoup apprécié cette découverte. J'ouvre aux ¾.
Catherine  
J’ai découvert l’histoire de Trieste, je ne savais même pas qu’elle avait été autrichienne avant d’être italienne. Ça m’a donné envie d’y aller.
J’ai bien aimé ce livre, ses personnages, particulièrement le premier, l’entrepreneur qui devient concierge dans un de ses immeubles, qui fait des détours pour ne pas voir la mer, qui se brosse les dents en pensant que ça ne sert à rien, qui a aimé sa femme sans savoir très bien ce que ça veut dire et qui n’a jamais aimé commander. Il y a de la mélancolie, une réflexion sur le temps, parfois un peu difficile suivre d’ailleurs comme dans temps courbe à Krems, ce qui aurait pu être et n’a pas forcément été. La Shoah est en toile de fond de toutes ces histoires, l’Europe centrale. J’ai bien aimé le style. Je l’ouvre aux ¾.
Fanny
Je suis assez partagée sur ce livre et il m'est difficile de dire si je l'ai aimé ou pas. J'y ai vu un intérêt intellectuel sur la perception du temps qui passe et du cours de la vie, mais ma lecture a été assez laborieuse. Malgré la brièveté de chacun des récits, j'ai systématiquement peiné passées les premières pages. C'est peut-être dû au style qui accroche, à certaines phrases qui se perdent en conjectures.
Sur "Temps courbe à Krems", je n'ai pas compris grand--chose aux explications sur la physique du temps et j'ai trouvé peu agréable de passer du récit à ces explications, comme si je me trouvais écartée entre une lecture romanesque et un article scientifique. Les deux auraient pu m'intéresser, mais ne s'accordaient pas bien, bien que ce soit ce qui fait l'originalité du récit.
"Extérieur jour" m'a intéressée sur la réflexion sur l'histoire du narrateur.
Sur "La leçon de musique", impossible de retenir quoi que ce soit, même en parcourant une seconde fois la nouvelle.
En revanche, même si ma lecture du "Gardien" et du "Prix" n'a pas été fluide non plus, j'ai été touchée par les personnages et par la nostalgie qui se dégage de ces deux nouvelles.
Renée
Subtil, titre superbe. Grand ouvert.

En direct à 2000 m

Rozenn
J'ai beaucoup aimé, mais j'avais vraiment mal à la tête (covid !!!) et je vais avoir du mal à en parler. Ce qui a trait à la vieillesse est fabuleux. La nouvelle sur le gardien, c'est un peu facile, il rentre chez lui le soir !
La nouvelle du milieu, "Temps courbe à Krems", je me suis arrêtée : je faisais semblant de comprendre ; j'aime qu'il dise que la littérature est plus forte que la science. L'auteur est fabuleux. Je le relirai. J'ouvrais ¾ mais après coup ½.

(Toujours après coup) Je viens de lire Secrets, tout petit livre que j'ai beaucoup aimé : subtil et profond à la fois.
Fanfan 
J'ai bien aimé, à part celle du milieu, "Temps courbe à Krems", que j'ai lue ce matin, j'étais folle furieuse ! J'avais l'impression d'être bête. Les autres nouvelles, j'ai aimé. J'y ai trouvé de petites réflexions bien vues. Et ce mec qui a plein de thunes et qui fait gardien, j'ai trouvé ça drôle.
Et à propos de ses petits-enfants :

Cela lui faisait plaisir, même s'il aurait mieux aimé écouter que parler ; quand on l'interrogeait sur la Moravie d'avant la Grande Guerre, il lui semblait avoir une foule de choses à dire, mais ensuite elles mouraient sur ses lèvres et alors il faisait semblant d'avoir perdu le fil.

Sur "Les leçons de musique", j'ai bien aimé le décalage entre les leçons de philosophies et les remarques sur la réalité (la pisse jaune du chien). Quant au "Prix", l'observation sur la graisse, c'est bien vu :

Il regarda l'assiette de son voisin, qui racontait à voix haute, à demi tourné de l'autre côté, quelque chose d'amusant, et il observa la graisse qui s'était gelée sur le fond. Cette sauce, un moment auparavant, était délicieuse. Qui sait où et quand les choses commençaient à se défaire, s'il y avait un point précis, une solution de continuité entre le col bien apprêté et le col imprégné de sueur.

Et dans "Extérieur jour - Val Rosandra" :

Quand il voit, a dit un de ses collègues lors d'une conférence très applaudie, l'œil reconnaît, les images qui parviennent à la rétine sont un livre - ou les fragments d'un livre - déjà écrit dans la mémoire et replacé dans l'ombre de quelque étagère surchargée d'où il ressurgit.

C'est très juste.
"Gris est l'arbre de la théorie mais toujours vert celui de la vie" : l
'écriture est un peu… il délaye. J'ouvre à moitié.
Muriel entre et
Ce que j'ai lu m'a plu, sauf la nouvelle incompréhensible qui m'a cassé les pieds. J'ai aimé celle du gardien : il trouve une jouissance à ne pas commander. J'ai aimé aussi la nouvelle sur la musique.

Sabine
Est-ce crédible ?

Muriel
À moitié. Il veut composer, il apporte son œuvre à 65 ans.

Plusieurs
C'est l'inverse.

Muriel
C'est pas très clair... J'ouvre entre ¼ et ½.
Jacqueline, entreet
J'aimais bien "Le gardien" qui s'est fait tout seul. Le trajet qu'il fait dans Trieste pour éviter de voir la mer m'a surprise. Je n'avais pas compris que je lisais des nouvelles et j'étais un peu frustrée de le quitter alors que je commençais à m'attacher à lui. J'ai aimé toutes les nouvelles et certains passages sur la vieillesse m'ont particulièrement touchée :

Toute la vieillesse, du reste, se résume à cela : avancer pour reculer, s'engager en territoire inconnu pour se soustraire à la réalité qui presse de toutes parts, anguleuse et envahissante.

Il avait involontairement pris cette habitude de souffler de temps à autre sans nécessité, une petite manie que son corps avait inopinément réclamée, comme les vieux se permettent des caprices, des incartades, petits riens versés à titre d'acomptes pour le règlement du grand désaccord avec la réalité.

C'est plein de choses qui me parlent.

"Temps courbe à Krems" était plus difficile. Je n'ai pas trop cherché à comprendre, tout en appréciant les références à des connaissances scientifiques contemporaines. Cette histoire de courbe dans le temps m'a rappelé "L'anneau de Moebius" de Desnos :

Le chemin sur lequel je cours
Ne sera pas le même quand je ferai demi-tour
J'ai beau le suivre tout droit
Il me ramène à un autre endroit
Je tourne en rond mais le ciel change
Hier j'étais un enfant
Je suis un homme maintenant
Le monde est une drôle de chose
Et la rose parmi les roses
Ne ressemble pas à une autre rose

Un poème que j'aime beaucoup où une nouvelle connaissance mathématique sert aussi de métaphore pour évoquer la mémoire et le cours d'une vie...
J'ai aimé ce recueil de nouvelles et la découverte de Trieste que j'y ai faite. J'ouvre entre ½ et ¾.
Manuela 
Le livre parle beaucoup :
- de Trieste, ville où j'ai habité pendant quatre mois : c'est une ville d'écrivains, un carrefour entre l'Autriche, l'Italie et la Slovénie ; on y retrouve le contexte historique européen ;
- et aussi de la vieillesse : c'est une vieillesse qui a baissé les bras. La vieillesse est un moyen de se libérer. Les personnages laissent passer la vie. Ils ne sont rien. Le livre est passéiste : beaucoup d'amertume, de nostalgie. Je ne sais pas si je serai comme ça plus tard. J'y vois des souvenirs personnels et sociétaux.
La meilleure nouvelle est pour moi la première, "Le gardien" : c'est audacieux. La dernière reprend la première où les deux personnages sont moldaves. Dans la deuxième, "Leçons de musique", il y a un changement de rôles : l'élève devient le maître, le maître pense que la vie n'a pas été généreuse avec lui. Je n'ai pas compris la nouvelle "Temps courbe à Krems" : c'était compliqué, ça m'a stressée… J'aimerais lire le livre en espagnol. "Le prix", c'est bien ; il renonce à tout. La dernière, "Extérieur jour - Val Rosandra", j'ai aimé : "L'école allait bientôt finir et ensuite viendrait la vie ?"
J'ouvre à moitié.
La thématique récurrente chez les écrivains âgés, c'est se remémorer leur passé et les histoires d'amour. Cette remarque est d'autant plus étonnante :

Quelle odeur avait-elle alors, quand elle grimpait en transpirant sur ces roches, son cou tout près de mon visage… Je ne sais pas, je ne m'en souviens pas, les odeurs ont une vie brève.

Claire entre et
Comme Oulitskaïa, cet auteur était récemment à la Maison de la poésie ; j'étais contente de voir et entendre cette grande personnalité italienne intellectuelle (journaliste, romancier, essayiste, universitaire) qui a tant fait (même député) et tant écrit (romans, essais, pièces de théâtre, articles, leçon au Collège de France…). Il m'a paru très sympathique et pas prétentieux du tout. Il était là pour notre livre (c'est bien connu que l'actualité littéraire s'efforce de suivre le programme de Voix au chapitre...) et en dépit d'excellentes questions d'un connaisseur de son œuvre, il a digressé sans arrêt et sans beaucoup de contenu : rencontre décevante donc, à propos de notre livre et de l'écriture en général. Mais bon, nul n'entre ici s'il confond l'auteur et le narrateur…
Pour ce qui est de Trieste, à l'étonnante ambiance Mitteleuropa qu'a évoquée Manuela, j'ai eu la chance d'y faire un voyage dit "littéraire" (à Trieste : Svevo, Saba, Joyce, Rilke et Magris), buvant un coup forcément au Caffè San Marco fréquenté par Magris. Bon, je ne parle pas du livre... j'étais donc pleine d'appétit. Et cinq variations sur le thème du temps : formidable !
Je n'ai pas du tout été accrochée. J'ai trouvé marrantes la situation du gardien et celle du délégué des amoureux, et c'est à peu près tout. Je n'ai pas été touchée, n'ai pas trouvé de "matière" - un peu comme à la rencontre à la Maison de la poésie. Je lisais sans intérêt, rien n'avait de relief ; j'avais l'impression d'un exercice : rédigez cinq nouvelles sur le thème du temps, les cinq idées de situations sont bonnes, mais à lire, ça me laisse froide. J'ouvre entre ¼ et ½, en faisant un effort.
Geneviève
J'ai l'impression que mon point de vue est l'inverse de celui de Claire. Je ne me suis pas intéressée à la vraisemblance de chaque nouvelle. J'étais attirée par l'histoire très riche de la ville de Trieste, multilingue et multiculturelle. J'ai beaucoup aimé aussi dans chaque nouvelle un point de vue différent sur la vieillesse, loin des stéréotypes et des lamentations. Il y a toujours quelque chose de doux - amer : tristesse du temps écoulé mais aussi liberté face à l'absence d'enjeux, notamment dans la première nouvelle, où le patron s'amuse à se faire passer pour le gardien. Beaucoup de douceur aussi entre le vieux professeur de musique et son ancien élève, ou dans les souvenirs d'une jeunesse avant la guerre.
La vision de chaque individu est pleine de finesse. Quant à la nouvelle sur "Le temps courbe", certes elle est parfois difficile à comprendre, cf. phrase de 10 lignes page 63 :

Les ondes sonores qui avaient à l'époque répandu ces paroles parmi les rochers et les frondaisons, au-delà du sphinx de marbre qui, au pied du château, regarde la mer sphingienne, au-delà du canal auditif et du tympan qui les avaient transmises aux synapses sagaces et bien éduquées des auditeurs reconnaissants de l'occasion de somnoler offerte par cette conférence, secourable comme elles le sont toutes, s'étaient propagées plus loin encore dans le bois sombre qui, l'enveloppant presque hormis du côté du rivage, fait face à ce château blanc mélancolique, et s'étaient répandues plus loin encore, dans les années qui avaient dérivé de cette heure comme les sentiers partent dans toutes les directions depuis la fontaine centrale du parc, et maintenant elles m'avaient rejoint par-delà l'épaisseur du temps, elles résonnaient en vibrations d'un autre type, ondes du cœur.

Mais j'ai beaucoup aimé l'idée de l'irréalité de nos souvenirs, de l'impression que chacun croit avoir faite sur l'autre.
J'ai été totalement captivée par cette écriture, ces nouvelles. C'est une découverte, j'ouvre en grand !
Danièle
J'ai bien aimé dans l'ensemble, surtout la première ("Le gardien") et la dernière ("Extérieur jour - Val Rosandra"). J'aurais aimé aimer celle du milieu ("Temps courbe à Krems"). On traverse l'histoire de l'Italie depuis la Grande guerre. Moi aussi je connais Trieste, à l'histoire mouvementée - ça m'a intéressée ; Trieste est un peu surannée, avec les différentes architectures. Et les différentes langues. Les thèmes - la guerre, le sort des Juifs - c'était intéressant.

Claire
Les Juifs eurent un statut plus favorable à Trieste.

Sabine
Quand ça ?

Claire
A partir de la fin du 18e siècle.

Danièle
Le temps existe-t-il ? Ce n'est pas rien comme question…
La question de l'identité, on voit cela dans "Le gardien" : je me sens concernée, les gens de mon âge se sentent concernés ; la retraite est passée, j'aimais mon boulot ; mais maintenant, c'est autre chose ; dans la nouvelle, il y a un petit suspense ; c'est un secret, il sait qu'il ne va pas être compris : et pourquoi pas ? Il y a une forme de sagesse et non de nostalgie. Il y a des stratégies de contournement quand on devient vieux. Je vois beaucoup de finesse et de légèreté, et une critique sociale.
"Je voudrais l'avoir fait […]. Je voudrais lui avoir parlé, même avant ; l'avoir embrassée, donc l'embrasser…" : c'est intéressant ce présent infini, erreur de raisonnement ; il pousse le raisonnement à l'extrême et parfois se casse la figure ; je préfère la philosophie hindoue.
"Le prix" et "Leçons de musique", je n'ai pas aimé. Et la dernière "Extérieur jour - Val Rosandra", j'ai aimé : le temps s'interpose. J'ouvre aux ¾.
Manuel   
J'ai beaucoup aimé. Je vais le relire. C'est un livre très savant, avec beaucoup de citations. Je viens de finir la dernière nouvelle : je n'ai pas compris pourquoi le Doktor Faustus était là.
C'est très poétique et percutant. Parfois, j'étais à côté du sujet, c'est une lecture difficile.
Etienne a cité Le temps où nous chantions, j'y avais pensé.
Le passage sur la traduction est intéressant.
J'ai aimé les passages sur Trieste, notamment dans la première où il évite la mer ; il y a une ambiance à Trieste qui est bien rendue : je ne savais pas que Trieste est un carrefour culturel. J'ai appris plein de choses, par exemple sur le camp de concentration en Italie.
J'ouvre aux ¾ voire en grand. Cela me donne envie de lire d'autres œuvres de Magris. Ici il s'éparpille et il étale (physique, histoire, musique). J'aime ces livres qui nous donnent une ouverture sur autre chose.
Françoise 
En général j'aime pas trop les nouvelles. Je vais parler globalement du bouquin. Ce qui m'a plu, c'est les fils conducteurs : la vieillesse et Trieste. À certains moments, on aimerait en savoir plus sur Trieste, mais ça lie le livre : différentes vies y passent. Il nous en donne un échantillon : le musicien, l'écrivain, celui dans l'immobilier. Avec les nouvelles, en général je me sens frustrée et déçue que ça s'arrête ; pour autant, j'ai apprécié ce livre.
"Le gardien" m'a plu : il y a de l'humour ; il n'a jamais commandé chez lui, mais seulement au travail ; c'est ça la vieillesse : on lâche prise. "Leçons de musique", c'est très drôle cette inversion des rôles : on dirait qu'il n'a pas aimé cet élève ; je n'ai pas trouvé ça lourd et pesant. "Temps courbe", ça m'a échappé, mais curieusement je l'ai lu avec application :

J'étais donc ce vieillard de Svevo, qui ne retrouve que bien des années plus tard une jeune fille entrevue un soir, soldant seulement dans son souvenir le compte laissé ouvert, ou plutôt même pas ouvert un demi-siècle auparavant, parce que dans le présent la lumière de la vie est offusquée par l'angoisse de vivre ? La légère brise estivale qui entrait par la fenêtre, près du téléphone, était un vent venu d'espaces infinis, dans lesquels tout est présent et simultané, la révolution d'une planète et la lumière d'une étoile qui arrive de très loin.

Ça m'a touchée, même si je n'ai pas tout compris. C'est poétique.
J'ouvre à moitié : j'aimerais lire un roman de cet auteur.
Annick A 
Comme Manuel, j'ai appris beaucoup de choses de Trieste. C'est assez original de traiter la vieillesse de cette façon, même si je ne m'y suis pas retrouvée. J'ai aimé l'écriture vivante, à distance, avec de l'humour.
Dans "Le gardien", la retraite est joyeuse ; mais je n'ai pas aimé le personnage, c'est un sale bonhomme ; au début de sa vie, il était pauvre : serait-ce un retour aux sources. "Leçons de musique", c'est ma nouvelle préférée ; mais ce n'est pas clair ; j'ai aimé le passage sur l'histoire ; et le passage sur les regards, c'est extrêmement intéressant :

[Il croisa un instante ses yeux], essaya de s'en détacher avant que l'autre puisse lire dans les siens ce qu'ils disaient, mais il comprit que l'ordre hésitant et contradictoire émis par son cortex cérébral pour voiler son regard et le dissimuler sous ses lourdes paupières était arrivé trop tard.

J'ai vu de la jalousie dans cette nouvelle.
"Temps courbe", ça m'a amusée au début : il vit un temps retrouvé qui n'a jamais existé ; je me suis un peu endormie, mais c'est intéressant.
"Le prix", je n'ai pas du tout aimé ; le vieux est déjà mort, c'est abominable :

Le prix littéraire que la munificence de Lanzani avait institué pour les jeunes romanciers et qui était attribué par un jury sur lequel il n'y avait rien à redire, était le pourboire d'un patron, mais aussi l'offrande d'un dévot.

J'ouvre à moitié ou ¾. La dernière nouvelle, j'ai beaucoup aimé, avec ce décalage entre l'époque d'un vieux et l'époque de la jeunesse. C'est le seul moment où il y a du désir sexuel. Enfin, il peut y avoir du désir chez les vieux !
Sabine 
M'étant trompée dans les livres choisis et pas choisis, je l'ai lu il y a un mois et le livre m'avait très vite embêtée.
Dans "Le gardien", je trouve l'écriture présomptueuse, vaniteuse, c'est boursouflé.
À certains moments, j'ai trouvé cela fabriqué. Oui, Jacqueline, on pense à Desnos effectivement. Ici, j'ai l'impression qu'on me donne des leçons.
Ce n'est pas un livre sympathique, je n'ai pas eu de plaisir. Il y a une forme de trop-plein et de vacuité.
J'ai aimé le contexte sur Trieste.
C'est fabriqué cette écriture, ça ne va pas de soi, et ça n'éveille rien dans mon imaginaire. J'ouvre ¼.
Lisa 
La première nouvelle est celle qui m'a le plus plu. C'est sympathique, cette histoire d'homme riche qui veut devenir concierge. OK, mais c'est pas transcendant.
Les autres nouvelles ne m'ont pas plu : je ne sais si c'est le thème de la vieillesse qui ne m'a pas intéressér ou le style de l'auteur… Peut-être un mélange des deux.
J'ai été néanmoins intéressée par le contexte histoire qui se dévoile en filigrane ici et là (la partie sur ce père immigré fan de Benito par exemple).
Ce recueil ne me donne pas spécialement envie de découvrir d'autres œuvres de cet auteur.

Annick
Je reviens au vieux qui renonce, c'est abominable.

Claire
C'est du détachement, il n'est pas malheureux.

Danièle
En quoi c'est bien une course effrénée aux honneurs ?

Annick
Mais on lui propose de parler de son œuvre !

Rozenn
Il n'a pas l'air très content d'être là.

Annick
Pour moi, il est dépressif.

Fanfan
Il n'a envie de rien, qu'on lui foute la paix.

Annick
T'es assis dans ta chambre d'Ephad et tu ne fais rien.

Danièle
Mais on ne sait pas ce qu'il y fait.

Claire
Vous avez vu que Magris nous renvoie à Lenz et à Goethe :

Éternelle dissolution, être éternel ; la fleur meurt dans le fruit, donc elle est le fruit, a écrit un génial et parfois pompeux professeur d’Iéna, démontrant ainsi que même le plus grand des philosophes peut être poète. Meurs et deviens, disait ce poète de Weimar beaucoup plus poète que lui, dont par ailleurs, en tant que conseiller du Duché, il augmentait le traitement de professeur d’université, mais avec parcimonie.


DES INFOS AUTOUR DU LIVRE
Repères biographiques
Les livres traduits en français 
Les traducteurs
Presse : articles, entretiens
BIOGRAPHIE (voir Wikipédiaa)
- Écrivain, germaniste, universitaire et journaliste.

- Diplômé en langue et littérature allemandes (en 1962).

-
Professeur titulaire de la chaire de Langue et Littérature allemande à l'université de Trieste (1968-1970), de Turin (1970-1978) et ensuite de Trieste ; à partir de 1990, directeur du département "Langages Littéraires et Langages Scientifiques" du Laboratoire Interdisciplinaire de la SISSA, à Trieste.
- Sénateur de la République italienne (XIIe Législature, 1994-1996).
- Titulaire de la chaire européenne au Collège de France en qualité de professeur associé (2001-2002). Leçon inaugurale ›ici.
- Chroniqueur à Corriere della Sera (en 2016).
- Époux de l'écrivaine Marisa Madieri (1938-1996) : voir le cours dédié à ce couple d'écrivains...
ŒUVRES DE MAGRIS traduites en français : romans, essais, pièces de théâtre
- Enquête sur un sabre, Desjonquères, 1987, puis Imaginaire Gallimard
- Danube, Gallimard, 1988, Folio, 1990, prix Bagutta Italie 1987, prix du Meilleur livre étranger 1990
- Trieste : une identité de frontière, Le Seuil, 1991, avec Angelo Ara
- Le Mythe et l'Empire dans la littérature autrichienne moderne, Gallimard, 1991
- Stadelmann, Scandéditions, 1993 (théâtre)
- Une autre mer, Gallimard, 1993, Folio, 2011
- Microcosmes, Gallimard, 1998, Folio 2000, prix Strega Italie 1997
- Utopie et désenchantement, Gallimard, 2001
- Les Voix, Descartes & Cie, 2002
- Déplacements : voyager avec Claudio Magris, La Quinzaine littéraire/Louis Vuitton, 2003 (chroniques)
- L'Exposition, Gallimard, 2003
- L'Anneau de Clarisse : grand style et nihilisme dans la littérature moderne, L'Esprit des péninsules, 2003
- Trois Orients : récits de voyages, Rivages, 2006, poche, 2017
- À l'aveugle, Gallimard, 2006, Prix Méditerranée étranger, Folio, 2008
- Vous comprendrez donc, Gallimard, 2008
- Loin d'où ? Joseph Roth et la tradition juive-orientale, Le Seuil, 2009
- Alphabets, Gallimard, 2012
- Enquête sur un sabre, Imaginaire Gallimard, 2015
- Secrets, Rivages, 2015, poche, 2017
- Instantanés, Gallimard, 2018

- Classé sans suite, Gallimard, 2017, Folio, 2019

- La littérature est ma vengeance :conversation, Claudio Magris, Mario Vargas Llosa, Gallimard, 2021
- Croix du sud : trois vies vraies et improbables
, Rivages, 2021
-
Temps courbe à Krems, Gallimard, 2022

LES TRADUCTEURS
Les traducteurs de notre livre sont considérés comme le couple de traducteurs attitrés de Magris.

Jean et Marie-Noëlle Pastureau
ont, outre Temps courbe à Krems, traduit 16 autres livres : À l'aveugle, Alphabets, Classé sans suite, Croix du sud : trois vies vraies et improbables, Danube, Instantanés, La littérature est ma vengeance, Le Mythe et l'Empire dans la littérature autrichienne moderne, L'Exposition, Loin d'où ? Joseph Roth et la tradition juive-orientale, Microcosmes, Secrets, Trois Orients : récits de voyages, Une autre mer, Utopie et désenchantement, Vous comprendrez donc.

PRESSE : ARTICLES, ENTRETIENS

Entretiens à lire
- Un long entretien très fouillé : "
Écrire, écrire, pourquoi ?" avec Oriane Jeancourt, BPI, Centre Pompidou, 2010
- Un entretien plus court où l'on apprend qu'il a traduit Ibsen que nous avons lu il y a peu... : "Qu'est-ce qu'on perd en écrivant ?", avec Pierre Assouline, La République des livres, 15 décembre 2015

- Un entretien sur l'actualité :
"On assiste à une forme de retour sans complexe à la barbarie", Pierre de Gasquet, Les Échos, 6 avril 2022

Entretien à écouter à l'occasion de la sortie de Temps courbe à Krems
- Rencontre à la Maison de la poésie, 9 avril 2022, Festival Italissimo, avec Fabio Gambaro, 50 min
- "Claudio Magris, écrire, se souvenir, et vieillir à Trieste", Catherine Fruchon, Littérature sans frontières, RFI, 16 avril 2022, 29 min.

Articles sur Temps courbe à Krems
- "Temps courbe à Krems de Claudio Magris : le futur du passé", François d'Alançon, La Croix, 24 février 2022.
- "Temps courbe à Krems de Claudio Magris, cinq nouvelles, subtilement ironiques, sur la vieillesse et ses attraits", Sophie Creuz, RTBF (site de la Radio Télévision Belge Francophone), 17 février 2022.


Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :
                                        
à la folie
grand ouvert
beaucoup
¾ ouvert
moyennement
à moitié
un peu
ouvert ¼
pas du tout
fermé !

 

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