Portrait d'André Breton vers 1927,
utilisé par André Breton pour illustrer Nadja
Folio, 192 p.
Coll.
Blanche, 1928
(première édition)
Quatrième
de couverture :
"J'ai pris, du premier au
dernier jour, Nadja pour un génie libre, quelque chose comme un
de ces esprits de l'air que certaines pratiques de magie permettent momentanément
de s'attacher, mais qu'il ne saurait être question de se soumettre.
J'ai vu ses yeux de fougère s'ouvrir le matin sur un monde où
les battements d'ailes de l'espoir immense se distinguent à peine
des autres bruits qui sont ceux de la terreur et, sur ce monde, je n'avais
vu encore que des yeux se fermer."
Livre de poche, 1964
Nadja,
Gallimard/BNF, 2019
Ce coffret contient le fac-similé
du manuscrit autographe de 1927, avec le dossier iconographique que l'écrivain
a rassemblé après l'édition de 1928
Nadja, Folioplus,
1998
en
ligne ici
Folioplus
classique, 2007
Édition reliée d'après la maquette
de Mario Prassinos, coll.
Reliures d'éditeur, Gallimard, 1945
Quatrième
de couverture :
"Je n'ai dessein de relater,
en marge du récit que je vais entreprendre, que les épisodes
les plus marquants de ma vie telle que je peux la concevoir hors de son
plan organique, soit dans la mesure même où elle est livrée
aux hasards, au plus petit comme au plus grand, où regimbant contre
l'idée commune que je m'en fais, elle m'introduit dans un monde
comme défendu qui est celui des rapprochements soudains, des pétrifiantes
coïncidences, des réflexes primant tout autre essor du mental,
des accords plaqués comme au piano, des éclairs qui feraient
voir, mais alors voir, s'ils n'étaient encore plus rapides que
les autres."
La Pléiade,
4 tomes :
le tome 1 contient Nadja
Affiche de librairie pour
les uvres de Breton
dans la Pléiade, 2008
Album André Breton, Robert Kopp, iconographie
commentée, 2008
|
|
André Breton (1896-1966)
Nadja (1928)
Je
persiste "à ne m'intéresser qu'aux livres qu'on
laisse battants comme des portes, et desquels
on n'a pas à chercher la clef. Fort heureusement
les jours de la littérature psychologique
à affabulation romanesque sont comptés."
Nadja
Nous
avons lu ce livre pour le 23 janvier 2021, le groupe
de Tenerife l'a lu pour le 9 février (Breton se rendit à
Tenerife pour l'exposition internationale du Surréalisme qui y
fut organisée en 1935, voir ici).
Séverine(avis
transmis)
Je dois dire que si ça n'avait pas été pour le groupe,
j'aurais stoppé assez rapidement ma lecture et cela aurait tout
de même été dommage. Il faut dire que j'ai trouvé
les premières pages illisibles, imbuvables : de la pure masturbation
intellectuelle
Même si je dois dire que j'ai tout de suite
été charmée par l'intégration des illustrations.
J'ai survolé les premières pages car je ne comprenais rien
à cette succession de mots difficilement signifiante
J'ai
noté que les fans de série du groupe seront ravis de savoir
que déjà à l'époque de Breton, ça existait
au cinéma ! (L'étreinte
de la pieuvre).
Malgré cette première approche rebutante, j'avoue que j'étais
tout de même titillée et avais envie de savoir où
l'auteur voulait en venir. Mon intérêt a commencé
à être stimulé quand il rencontre Nadja. Là,
le texte devient de suite plus lisible, bêtement narratif pour la
plus grande joie d'un lecteur de base ?
J'ai aimé cette rencontre amoureuse, cette balade dans Paris, cette
posture surréaliste de l'auteur pour aborder le quotidien (aller
au cinéma sans savoir ce qui se joue dans la salle, etc.), mais
là encore, je dois reconnaître que j'ai survolé le
texte, je n'ai pas accroché plus que ça.
Mais je suis contente tout de même d'avoir lu ce classique qui représente
un objet éditorial charmant. Je n'ai guère lu de choses
autour du livre, mais je pense que le fait que cette Nadja ait existé
ajoute de l'intérêt au livre (à l'envie d'enquêter
sur cette femme, sur les lieux cités
). Juste pour finir,
une formule de Breton qui m'a bien plu au sujet de la psychanalyse :
"méthode que j'estime et dont je pense qu'elle ne vise
à rien moins qu'à expulser l'homme de lui-même, et
dont j'attends d'autres exploits que des exploits d'huissier".
Tout ceci étant dit, je l'ouvre un quart.
Dans un autre genre, mais autour d'une femme mystérieuse et une
super enquête dans Paris : Leïlah
Mahi 1932. J'ai beaucoup aimé ce livre.
Françoise
J'ai regardé et lu quelques-unes des infos mises
en ligne. Mais je ne participerai pas à la réunion.
Breton pour moi est illisible, je n'arrive à trouver aucun intérêt
à ce livre, il me tombe des mains. Comme le dit Gracq, il n'est
pas romancier, pas parlatif, pas à l'aise, je trouve que ça
se ressent... Autobiographie ? Par les photos, si j'ai bien compris Compagnon.
Et ?... Bref, n'étant ni Ernaux ni Patti
Smith, je vais m'arrêter là en reprenant à mon compte
cette phrase de Breton lui-même : "Je veux qu'on se taise
quand on cesse de ressentir"... Livre fermé.
Anne-Sophie(avis
transmis)
Merci au groupe d'avoir remis sur ma route Nadja, et ensuite L'Amour
fou. Je ne les aurais peut-être pas rouverts
Quel choc
pourtant de retrouver intacte l'émotion forte de mes 25 ans. Je
peine à expliquer l'attraction de ce petit livre. La personne de
Nadja, la "créature inspirée et inspirante aux yeux
de fougère", ne m'intéresse guère au fond.
Ce sont des phrases ici ou là qui exercent sur moi une immense
fascination : l'interrogation du début sur ce qui fonde notre
identité, "notre différentiation", le récit
"des rapprochements soudains, des pétrifiantes coïncidences",
des "faits de valeur intrinsèque sans doute peu contrôlable
mais au caractère absolument inattendu, violemment incident, [
]
qui présentent chaque fois toutes les apparences d'un signal,
sans qu'on puisse dire au juste de quel signal, qui font qu'en pleine
solitude, je me découvre d'invraisemblables complicités".
J'aime ce livre parce qu'il me parle de ma liberté perdue (ou peut-être
pas), de ma jeunesse, de Nantes (mais c'est un hasard), de l'époque
où tout pouvait arriver, où "la vie demandait à
être déchiffrée comme un cryptogramme". La
lecture de Nadja me reconnecte à une lecture poétique de
la vie, la seule qui vaille, à l'interprétation des coïncidences,
et le fait même d'avoir retrouvé ce livre aujourd'hui devient
signifiant et me plonge dans un plaisir inégalable. Grand ouvert
forcément.
Fanny(avis
transmis)
Je vais prendre le temps de lire cet
article qui m'éclairera peut-être.
Quel pensum ! Heureusement les phrases défilent et se lisent assez
rapidement...
Le début m'a profondément ennuyée et même agacée.
Je veux bien rechercher la démarche intellectuelle et littéraire,
mais au niveau du plaisir de lecture le rendez-vous est en ce qui me concerne
manqué. Je dois dire que je n'ai éprouvé aucun intérêt
pour ce qu'il raconte de ses pérégrinations parisiennes.
J'ai trouvé son récit et ses descriptions très égocentrés,
je n'ai pas réussi à y lire une portée plus "universelle",
transposable à des émotions partageables.
J'ai cependant apprécié le recours aux illustrations et
l'idée que les descriptions ne sauraient remplacer les images.
J'ai un peu respiré à l'apparition de Nadja, espérant
y trouver pas nécessairement un fil narratif, mais une trame à
travers le portrait de cette femme. Mais ici encore les émotions
n'ont pas été au rendez-vous, ni empathie, agacement, amusement...
ou que sais-je encore ; Nadja n'évoque rien pour moi. Il me
semble qu'elle est le support aux élucubrations et prises de position
de Breton, c'est peut-être pour cela que je vois un côté
factice au personnage, bien que le livre soit inspiré d'une rencontre
réelle.
J'ai essayé de m'accrocher au moment du passage sur la psychiatrie,
intéressée par le débat. Mais le style est je trouve
pompeux et péremptoire et vient à mon sens obscurcir la
compréhension du contenu.
En résumé, cette lecture a provoqué beaucoup d'agacement,
mais cela est également lié à une incompréhension
majeure du contenu. J'espère que vos avis me permettront d'y comprendre
humblement quelque chose.
En attendant, je ferme le livre.
Hâte de vous lire mais surtout de vous retrouver dans le monde réel
quand la situation nous le permettra.
Nathalie
D'emblée, je peux annoncer que je ferme le livre en son entier,
quelles que soient les qualités qu'il peut avoir s'il m'arrive
d'en citer quelques-unes.
Je n'ai pas aimé ce livre. Peut-être en attendais-je trop ?
Sa réputation, son aura, ce que chacun.e autour de moi pouvait
en dire, m'avaient donné du goût pour le lire.
Quelle déception à tous points de vue ! L'écriture
est abominable, les phrases trop longues, la plupart du temps à
la forme négative pour dire quelque chose de positif (ce serait
intéressant de passer le livre à la moulinette pour savoir
combien de fois il use et abuse de cette tournure négative).
J'ai dû plusieurs fois physiquement mettre le livre à distance
pour essayer d'appréhender son propos dans son entier, tant j'étais
incapable de reconstruire son idée au fil du déroulement
et du tricotage absurde des propositions et des subordonnées.
Je n'ai pas aimé le personnage (et qu'on ne se trompe pas, je ne
mélange pas auteur et narrateur, mais à partir du moment
où il s'agit d'une écriture de soi et d'un projet d'écriture
autobiographique, il me semble logique que je m'intéresse aussi
à l'auteur).
Je n'ai pas aimé la construction. Et je n'en ai pas aimé
l'histoire.
Quel homme est-ce celui qui, au-delà de toute comparaison, cherche
à savoir "De
quel message unique" il est "le
porteur" ? Quel homme est-ce celui qui abandonne
la femme, dont j'avais cru comprendre qu'elle était "la
femme" ? Qui abandonne celle dont il vient de croiser
la vie pendant des mois et dont il fait l'objet d'une écriture ?
Qui apprend somme toute par hasard ("on
est venu m'apprendre") son enfermement arbitraire ?
Comment comprendre qu'il ne se soit pas préoccupé de ce
qu'elle était devenue ? Qui considère que pour elle
il ne peut y avoir de différence entre "l'intérieur
d'un asile et l'extérieur" (je l'y collerais bien
quelque temps moi !)
Quel homme est-ce, celui qui dit de la femme aimée qu'elle est
pauvre et qu'il a sûrement participé à l'aggravation
de sa folie mais qui ne fait rien pour l'en sortir et qui passe son temps
à se dédouaner ? ("je
n'ajouterai pour ma défense").
Quel pleutre est-il, celui qui, une fois qu'elle appuie sur l'accélérateur
et lui cache les yeux, refuse l'expérience ultime et révolutionnaire
du choix de la mort ? Enfin, quel est cet homme qui parle avec sa
femme de cette femme dont en vérité il semble éperdument
jaloux ?
Bref, j'ai trouvé, et l'auteur et le narrateur, terriblement décevants,
tourné (chacun) uniquement vers lui-même, vers son projet.
Seul le passage sur la psychiatrie et la condamnation des pratiques d'une
autre époque (?) m'ont intéressée. J'ai trouvé
cela très fort, mais en même temps, il se pose en donneur
de leçon (il va même jusqu'à imaginer "assassiner
avec froideur, un de ceux, le médecin de préférence,
qui [lui] tomberait sous la main" et ce, pour obtenir
"un compartiment seul".
Il me semble qu'il ne fait cependant allusion qu'à une forme de
folie légère : celle qui se met en travers d'une opposition
aux codes bourgeois d'une société policée. Son propos
est donc pour moi, peu engagé, de la même façon que
ses actes ne semblent pas nuire à sa façon de vivre, lui,
qui peut vivre sans travailler (j'aimerais savoir comment, que je puisse
en profiter aussi).
Bref, ce livre me semble être une supercherie qu'on porte aux nues
et je suis étonnée de savoir qu'on a pu le faire étudier
à des collégiens. Quand je l'ai lu, je me suis sentie souvent
complètement demeurée parce que ce qui était dit
me semblait abscons.
Je reste persuadée qu'on peut écrire une uvre à
un moment T et observer avec ironie son parcours, une fois qu'elle nous
a échappé. Si je dois lire l'exégèse d'une
uvre pour pouvoir l'apprécier, je pense que celle-ci n'en
fait pas partie et qu'elle ne peut être appréciée
peut-être que dans la réception de son époque. Je
pense aussi que je n'ai eu aucun plaisir ou émotion positive à
lire ce livre et que seules, souvent la colère et l'exaspération
m'ont envahie.
Manuel(avis
transmis)
Breton a failli passer par la fenêtre. La beauté sera CONVULSIVE
ou ne sera pas. Ah bon ? J'ai beau chercher des signes de convulsion
de beauté dans Nadja, je n'en ai pas trouvé. Finalement,
ce qui m'aura énormément plu dans ce livre ce sont les descriptions
de Paris, "ville distraite
et abstraite". Je passe souvent au square place Dauphine.
Le décrire comme un terrain vague est étonnant. J'ai déambulé
dans Paris. Sa théorie sur les hôpitaux psychiatriques est
fumeuse. Encore des hôpitaux psychiatriques après ma lecture
de la bio de Carrère sur Philip
K. Dick Je suis vivant et vous êtes mort. Dans l'ensemble,
je n'ai pas compris grand chose.
Annick L
J'ai une histoire particulière avec ce livre, puisque j'avais fait,
dans les années 1970, un mémoire de maîtrise sur "l'image
de la femme dans l'uvre d'André Breton", principalement
à partir de Nadja et de L'amour fou. J'aurais bien
relu ce que j'avais écrit mais j'ai dû perdre le document.
J'étais passionnée par le surréalisme et par ce sujet
- je le suis toujours un peu. Mais je me souviens de ma conclusion :
la "Femme" chez Breton n'est qu'une inspiratrice, une muse utile
à la construction de son oeuvre... tout sauf une personne bien
réelle. Une posture très conventionnelle (chez les écrivains)
pour celui qui voulait "révolutionner" l'ordre et les
conventions sociales. Je l'ai donc relu avec curiosité mais j'ai
été déçue : que c'est ennuyeux et pédant !
Je suis surtout frappée par le rapport qu'il instaure avec cette
femme dont il évoque la grande fragilité. Nadja lui a ouvert
un horizon fascinant, un ailleurs, loin de cette vie ordinaire qu'il stigmatise
(voir les pages sur les travailleurs).
Et pourtant il la laisse disparaître, sans se préoccuper
de ce qu'elle va devenir une fois internée : cette expérience
va trop loin pour lui, une fois posé le diagnostic de "la
folie". Cette rencontre est pourtant censée incarner le mythe
de "l'amour fou" (auquel beaucoup de lectrices - lecteurs -
ont sans doute adhéré), Elle, de son côté,
est captivée, en adoration, prête à mourir avec lui
(cf. la scène dans la voiture) ! L'écart entre le discours
assené par André Breton et son attitude enlève du
crédit à ce qu'il prône.
Ce que je continue à apprécier tout de même, c'est
le parti-pris original de ce livre, qui est à la fois un manifeste
et un récit, authentifié par les photos des lieux et les
dessins mystérieux de Nadja.
Merci en tout cas pour l'article
paru ce jour qui permet de mieux cerner qui était cette icône,
cette femme dont l'existence fut si tragique. Une façon d'en raviver
la mémoire, au-delà du personnage mis en scène par
André Breton.
Monique L
Il s'agit d'un ouvrage particulier difficilement classable. Je le craignais
hermétique car surréaliste, ce n'est pas le cas.
Ce que j'en retiens c'est une ambiance, un ton.
La lecture ne m'a pas toujours été facile à cause
de phrases longues comprenant de nombreuses virgules. Je devais les relire.
Ce qui n'arrangeait rien, ce sont les nombreuses notes en bas de page
et les photos.
Dans la première partie, j'ai apprécié toutes les
rencontres dans le Paris de l'époque : les promenades dans la ville,
les boutiques bois-charbon, Paul Éluard, Benjamin Péret,
Desnos, le film L'étreinte
de la pieuvre, la pièce
Les Détraquées. Des images surréalistes y
font apparition : le cauchemar de Breton, la dame au gant, l'illusion
d'optique concernant la maison rouge. C'est une déambulation au
hasard.
La seconde partie consacrée à Nadja décrit une aventure
plus psychique que physique avec une femme mystérieuse, éthérée
et fantasque. Elle est intuitive, elle navigue à la frontière
de l'inconscient. Sa sensibilité touche Breton. Je ne sais pas
s'il l'a aimée mais elle l'a intéressé. Nadja apparaît
plus surréaliste que Breton. Elle semble étrangère
à la rationalité. C'est ce qui fascine Breton. Je pense
que Breton l'encourage dans sa créativité : les dessins
et les descriptions imagées. (Il parle d'elle à sa femme,
ça m'a paru curieux !). Je ne vois pas le récit d'un amour
de la part de Breton mais une analyse de lui-même.
La troisième partie m'a surprise, voire décontenancée,
par l'irruption d'un nouveau personnage "Toi", "la Merveille"
et par le message de l'aviatrice qui s'est abîmée à
l'Île au Sable.
J'ouvre à ½.
Rozenn
Je n'ai pas grand-chose à dire. Je l'avais lu autrefois et m'étais
ennuyée. Je n'en avais aucun souvenir, mais je n'avais pas envie
de le relire.
Moi midinette, j'aime les histoires.
Je n'ai pas accroché : je lis la moitié, je lis autre chose,
ça m'ennuie ça m'ennuie ça m'ennuie et je décide
de ne pas le finir. Mais je suis venue pour vous entendre.
Je sais qu'il est important dans l'histoire de l'art et de la littérature.
Mais ça m'ennuie, la vie est trop courte.
Je ne l'ouvre pas et ne le ferai lire à personne !
Etienne
Le scepticisme est le sentiment qui domine, pour ma part, après
la lecture de Nadja.
Je n'ai qu'effleuré l'abondance de documents
ayant trait à Nadja et Breton, tout cela semble passionnant.
Je pense donc avoir saisi grossièrement quel était le postulat
du surréalisme et trouve la réflexion intéressante :
tous ces gens devaient vraiment avoir l'impression d'être des défricheurs
à l'époque. De même, quand on voit le nombre d'auteurs
(est que j'apprécie tout particulièrement) se réclamant
de près ou de loin de ce mouvement, on peut se dire qu'il a réussi
son coup, ce mouvement
Mais parlons de Nadja puisque j'ai l'impression d'avoir parlé
d'une recette mais pas du plat. Eh bien ce livre m'a déçu.
En un mot, je le trouve globalement mal écrit. Précisons
: sur-écrit. La langue de Breton est d'une complexité artificielle
- c'est un euphémisme - qui donne l'impression d'observer une cathédrale
de verre (puisque l'on parle de Hegel !). Ni spontanéité,
ni poésie mais une suranalyse suffocante, des gesticulations verbeuses,
une amourette décousue et plate : pas vraiment la pêche miraculeuse.
Est-ce la faute de la réécriture ?
Quelle ironie cette suranalyse pesante et écrasante, lorsqu'on
entreprend de sonder son subconscient ! Mais peut-être s'agit-il
d'une attitude scientifique et alors dans ce cas, l'enjeu est autre. Excepté
quelques fulgurances à propos de Nadja - ses yeux de fougère,
l'évocation de sa maladie mentale -, pour l'émotion il faudra
repasser.
Patti Smith, Ernaux, Gracq, semblent avoir tiré le meilleur du
surréalisme. Peut-être fallait-il le laisser sédimenter.
Peut-être que Breton est un mauvais écrivain, tout simplement.
Ainsi Nadja est la mise en application d'une fouille mentale et
mérite au moins son quart d'ouverture pour la primauté du
geste, mais le résultat fut stérile pour moi.
Danièle
Il y a des lectures difficiles qui me procurent du plaisir. Je n'ai eu
aucun plaisir à lire Nadja, mais plutôt une sorte
de mauvaise humeur à essayer de déchiffrer cette écriture
laborieuse. En même temps, je me disais que je devais passer à
côté de quelque chose, puisque la renommée d'André
Breton n'est plus à faire, et que Nadja est presque considéré
comme le manifeste du surréalisme, mouvement que j'apprécie
dans d'autres domaines : peinture, films... C'est donc avec mauvaise
conscience que j'ai poursuivi jusqu'au bout ma lecture, d'autant plus
que les références, interviews, études envoyées
au fur et à mesure par Claire, que je remercie encore une fois
au passage pour ses recherches, semblait indiquer par leur quantité
que l'uvre et l'auteur étaient vraiment dignes d'intérêt.
Certes je conviens a priori de l'intérêt de la description
presque clinique de phénomènes supra-normaux, tels que les
coïncidences, les intuitions ou les rêves prémonitoires
réitérés donnant lieu à une réflexion
sur une vie parallèle, gérée par un don de seconde
vue... Mais d'où viennent cet ennui et cette mauvaise humeur à
la lecture ? Le malaise vient à mon avis de l'incapacité
de l'auteur à traduire l'immédiateté des étrangetés
qu'il veut décrire. C'est une question de style et de rythme :
les phénomènes décrits se passent à la vitesse
de l'éclair, quelque chose sur un visage, la télépathie,
la voyance... Or il nous décrit minutieusement et lourdement tous
ces phénomènes, si bien que le décalage entre la
chose décrite et la façon dont il la décrit ruine
l'effet d'étrangeté et tout ce que le mouvement surréaliste
peut avoir d'évanescent, de spontané, d'inconscient. Un
tableau de Dali ou de Magritte, ou un film de Buñuel, rend beaucoup
mieux ce genre de phénomènes.
Après les descriptions selon moi très ennuyeuses et sans
intérêt de la première partie, l'entrée de
Nadja dans le roman laisse préfigurer un intérêt humain
plus marqué. Mais je n'ai éprouvé aucun empathie
pour elle, ni pour l'auteur. Je me suis moins ennuyée, mais ennuyée
quand même ; ça manque de passages magnifiques. Nadja
reste pour moi un OVNI sans véritable personnalité.
J'ouvre ¼. Pourquoi au quart ? Pour le passage des "yeux de
fougère", c'est très beau, ça donne le quart
à l'ouvrage
Brigitte
J'ai lu Nadja avec beaucoup d'intérêt. Je connaissais
très mal André Breton, c'était le moment de le découvrir.
Évidemment, Nadja n'est pas un roman. C'est un texte qui
nous met en contact, sans filtre, avec un moment de la vie d'André
Breton : cette rencontre brève avec Nadja, jeune femme très
borderline, qui agit en fonction de ses impulsions du moment. Elle va
jusqu'à provoquer des situations vraisemblablement très
dangereuses. On ne sait pas ce qui s'est passé la nuit du 13 octobre
dans la forêt de Saint-Germain-en-Laye, mais le passage où
Breton évoque le trajet en voiture Versailles-Paris, où
pendant qu'il conduit sa passagère lui ferme les yeux tout en exerçant
une pression supplémentaire sur l'accélérateur (note
de Breton), permet de supposer que Nadja a dû vouloir passer
"la tête, puis
un bras entre les barreaux ainsi écartés
de la logique, c'est-à-dire de la plus haïssable des prisons".
On ne peut certes pas s'identifier aux protagonistes, mais j'ai beaucoup
aimé les déambulations de l'auteur dans le Paris des années
20. L'écriture est très sobre, avec certaines échappées
poétiques, par exemple la note
de Breton où il est question d'un peintre qui lutte de vitesse
avec la lumière au moment du coucher du soleil.
Ce que je retiens particulièrement c'est l'approche dite surréaliste,
dont Nadja est une sorte de prototype : essai de décrire
l'instant de vie, d'où le rôle des photos et dessins, qui
sont partie prenante de l'ouvrage.
J'ai particulièrement retenu ces deux phrases :
"Il se peut que la
vie demande à être déchiffrée comme un cryptogramme."
"Émerveillé
que je continuais à être par cette manière de se
diriger ne se fondant que sur la plus pure intuition et tenant sans
cesse du prodige."
Selon moi, elles résument l'attitude de Breton et celle de Nadja.
J'ouvre aux ¾ en raison de l'intérêt puissant de cette
prise de contact avec le surréalisme.
Laura(avec
un super maquillage à la Nadja)
J'ai lu Nadja très rapidement, pour supporter les longues
journées qui passent. C'est étrange, mais pour une fois
je n'ai pas de véritable avis. Je n'ai ni aimé, ni détesté.
Pourtant, je m'attendais à quelque chose d'extraordinaire, j'avais
fantasmé le livre. J'ai été très surprise
de la première partie de l'ouvrage, une partie de présentation
qui se révèle comme une réflexion sur l'écriture.
Ceci dit, je n'ai rien retenu
Quelle piètre philosophe je
fais là
Mais bon, tout de même, je m'attendais à
une folle histoire d'amour passionnée qui m'aurait emportée
très loin dans mon imaginaire. Alors j'ai attendu ce développement
jusqu'à la toute dernière partie du livre, qui elle, m'a
vraiment plu, comme la réflexion sur le beau (mais bien sûr,
rien compris rien retenu ; sauf ! sauf la dernière phrase
"La beauté sera
CONVULSIVE ou ne sera pas"). C'est vraiment dans cette
dernière partie que Breton nous donne son avis sur Nadja. Parce
que finalement, moi, je m'en fiche de la personne réelle de Nadja,
ce que je veux, c'est me plonger dans le regard du narrateur. Par ailleurs,
il faut dire que je me suis un peu ennuyée en lisant ce journal
de neuf jours, mais c'est dû au personnage de Nadja. Je n'ai pas
été fascinée ni emportée par son rôle,
je la trouvais un peu étrange, soumise à des sortes de "crises"
mystiques. Ce qui en soi est tout à fait fascinant et intéressant,
mais je suis restée extérieure à son comportement.
Peut-être aussi un peu comme Breton, qui manifestement avait la
sensation d'avoir le rôle d'une plante verte. Quoique si on réfléchit
à cela, c'est plutôt Nadja qui reste toujours extérieure,
extérieure au monde. Ce qui semble d'ailleurs plutôt risqué,
morale de l'histoire : restez dans le moule au risque de terminer
dans un asile sans échappatoire ! Pourtant, ce que j'ai apprécié
dans le personnage, c'est l'allégorie qu'elle devient pour Breton,
Nadja, c'est le surréalisme en son entier, dans sa pureté
première et extrême. Nadja, c'est l'idéal. C'est la
main de feu. Étrange image : elle m'a fait penser à quelque
chose de très destructeur et d'attirant à la fois. Comme
si Nadja pouvait percevoir la fin des temps, et la trouver belle. Peut-être
que de là provient la convulsion de la beauté, je ne sais.
Ouvert à moitié car mitigée.
Henri
J'ai adoré le bouquin car il m'a permis de renouer avec le groupe.
Jacqueline
Merci Henri !
Henri
Malheureusement on n'a pas les petites préparations culinaires
surréalistes de Jacqueline.
Je suis en effet tombé, parmi 900 mèls non lus, sur celui
de Claire qui a cherché à m'appâter avec Julien
Gracq...
(Claire interrompt Henri pour expliquer à ceux
qui l'ignorent qu'Henri est en effet un groupie de Gracq ; quand il aime
un auteur, il apprend par cur - carrément - ses textes ;
ainsi lorsque nous avions programmé Un
balcon en forêt qui avait suscité une exceptionnelle
unanimité dans notre groupe, nous avions, après notre tour
de table, resserré les chaises, et Henri, debout face à
nous, avait DIT de mémoire l'intégrale du livre Les
eaux étroites de Gracq)
Henrià
C'était donc lundi, je vais à la médiathèque,
la bibliothécaire me lance un regard de biche sortant de derrière
les fougères : "ah un classique ! un roman d'amour !"
; je me suis dit : super !
À l'épreuve des faits, et avec mon principe habituel de
ne rien lire avant sur l'uvre, je dois dire que ça a été
assez pénible ; peut-être était-ce parce que j'avais
peu de temps, je l'ai lu en deux soirées. Même si ça
s'améliore un peu à partir du moment où arrive Nadja.
Je suis passé complètement à côté, je
me suis dit je n'aï pas les codes, il me manque la théorie
du surréalisme.
Après, en voyant une partie des vidéos
indiquées par Claire, j'ai eu le bonheur d'entendre Gracq, puis
j'ai écouté Breton et je me suis dit tiens ils ne jouent
pas tous les deux dans la même catégorie.
Le personnage de Nadja peut être intéressant, désaxé,
avec une part de folie dans son approche du monde ; ce qui me gênait,
c'est l'impression que Breton la tire de force dans son système
surréaliste plutôt que d'entrer dans son univers, en ne faisant
aucun pas pour elle.
J'avais beaucoup d'appréhensions, t'as été brouillon,
t'as lu trop vite... En vous entendant je m'aperçois qu'il y a
pas mal d'avis négatifs. Je ricanais en mon fort intérieur
en pensant que ça parle d'une rencontre avec quelqu'un d'un peu
fou et dire qu'ils ont mal supporté Cosmos
de Gombrowicz ils vont être bien servis...
Et quant à l'histoire d'amour - je n'ai rien vu en termes d'histoire
d'amour - l'auteur y revient bien longtemps après. Et cela m'a
remémoré ce merveilleux livre qu'on avait lu ensemble Gioconda
de Nìkos Kokàntzis : j'avais trouvé qu'avec
l'écriture, vue du passé avec une forme de remords d'avoir
loupé quelque chose, sur fond de rafle des Juifs en Grèce,
on avait une prodigieuse histoire d'amour, tandis que là on a peut-être
un ovni ; d'ailleurs je suis d'accord avec Annick, c'est lui faire justice
en mettant en valeur la vraie Nadja à la place du personnage qui
a dépéri et est morte de faim - ce du point de vue moral
Donc, une lecture plutôt pénible, moins sa deuxième
partie. J'ai du mal à dire que je le ferme, car il me manque tout
un tas de codes et je suis complètement passé à côté.
Par contre ces illustrations au contraire de l'une d'entre vous, ont eu
un effet inverse, donnant un aspect daté, le livre a très
mal vieilli ; s'il avait décrit comme le fait si bien Gracq, il
aurait traversé le temps, on aurait projeté la rencontre
dans un Paris. Excepté gant qui m'a touché, le reste m'est
passé à cote, les statues, dessins, n'étaient pas
de suffisante qualité en édition Folio pour pouvoir en explorer
une dimension surréaliste.
Bon je suis bien content d'être là même si je crains
que les spécialistes des surréalistes ne découvrent
nos fadaises : on sent bien qu'il y a un fond poétique, des fulgurances
mais c'est un gloubi glouba assez indigeste.
Annick A
La lecture de ce livre m'a beaucoup ennuyée. L'écriture
est très pénible avec ses longues phrases dont le coté
abscons nécessite un retour en arrière pour en comprendre
le sens. La rencontre entre André Breton et Nadja est un malentendu
amoureux. On navigue entre la passion de Nadja et sa voyance à
la limite du délire où chaque mot est entendu comme signal
d'un arrière monde, et l'attirance de Breton pour le coté
devineresse et magique de Nadja qui le conforte dans son approche surréaliste
mais qui finit par le lasser. Leur histoire n'a suscité chez moi
aucun intérêt.
Je ferme donc ce livre. Par contre j'ai pris grand plaisir à surfer
sur les nombreux documents envoyés par Claire
Rozenn
Nous avions programmé ce livre en raison d'une exposition
que nous n'avons pas pu voir. Le livre alors aurait eu peut-être
plus de sens pour nous.
Jacquelineà
Mes grands-parents m'avaient transmis leur culte de Flaubert. En lisant
Nadja, j'ai bien aimé découvrir qu'avec Madame
Bovary, il avait voulu donner l'impression d'un recoin
grouillant de cloportes. Je voudrais bien pouvoir résumer ainsi
à une image mon impression de Nadja : peut-être le
soleil écrasant de L'étranger,
ou bien Sisyphe peinant sous son fardeau, ou, plus personnel, cet été,
dans les Landes, en dégageant un tas de planches, dernier reliquat
des pins abattus par la tempête de 2009, la découvertes de
deux squelettes momifiés : celui d'une longue couleuvre et,
non loin, celui d'un rat avec tout leur mystère : se sont-ils
entretués ou ont-ils, tout à fait indépendamment,
trouvé là un refuge pour mourir ?
Par ailleurs, en écho à ma lecture de Nadja, et comme
pour ajouter un poids de réel à ce que dit Breton, une amie
vient de m'apprendre qu'elle se trouve en clinique psychiatrique et atteinte
de covid. Comme Breton, je me reproche de n'avoir pas su "prendre
conscience du péril qu'elle courait"... Le
texte revient souvent sur ces "concours
de circonstances qui passent notre entendement". J'y
cherchais une citation là-dessus et j'ai trouvé cette longue
phrase :
"Je n'ai dessein de relater, en marge du récit
que je vais entreprendre, que les épisodes les plus marquants
de ma vie telle que je peux la concevoir hors de son plan organique,
soit dans la mesure même où
elle est livrée aux hasards, au plus petit comme au plus grand,
où regimbant contre l'idée commune que je m'en fais, elle
m'introduit dans un monde comme défendu qui est celui des rapprochements
soudains, des pétrifiantes coïncidences, des réflexes
primant tout autre essor du mental, des accords plaqués comme
au piano, des éclairs qui feraient voir, mais alors voir,
s'ils n'étaient encore plus rapides que les autres." (Folio
plus, p. 19)
Je ne comprends pas bien ce qu'est le plan organique d'une vie,
mais je passe... Dans cette lecture laborieuse, je bute surtout sur le
soit que je n'arrive à
rattacher à rien. Ailleurs, aussi, j'ai buté sur un pluriel
qui me paraissait tout à fait illogique
Autant Proust, à
peu de chose près contemporain et qui fait des phrases encore plus
longues, me donne l'impression de pouvoir suivre sa pensée, autant
je peine avec Breton...
Tout cela pour illustrer mes difficultés de lecture. Mais aussi
l'intérêt que j'ai pris à ce texte.
Après ou avec Nadja, j'aurais souhaité lire Le
manifeste du surréalisme et Les
pas perdus.
Je ne l'ai pas fait mais j'ai aimé l'ouverture que j'ai trouvé
sur tout le surréalisme, j'ai aimé que Breton ait été
au centre de tout un courant de gens, écrivains ou peintres, qui
ont compté pour moi (Éluard, Aragon dont j'ai emprunté
les correspondances avec lui, Ernst) mais aussi d'autres que je j'ai découvert
tardivement (Gracq, Chirico
) ou que je ne connais pratiquement pas....
J'ai aimé les photos qui illustrent le texte (comme dans Austerlitz
de Sebald lu dans le groupe et bien postérieur) et j'aurais
voulu lire L'amour
fou, écrit de la même manière. J'ai surtout
aimé me promener dans ce Paris lointain des années vingt
avec la précision de détails que donne Breton sur un quartier
assez familier pour moi aujourd'hui. J'ai un peu pensé aussi à
Modiano qui évoque les rues proches, une vingtaine d'années
plus tard
J'ouvre entre ½ et ¾ à cause de cette plongée
dans un monde à la fois proche et si inconnu.
Renée
Je ne connaissais que Le manifeste
du surréalisme : je déteste Breton tellement il
est misogyne et intolérant.
Après avoir lu les 20 premières pages, je me suis dit je
ne sais plus lire : j'ai eu du mal à rentrer dans le livre, puis
après, au contraire, j'ai trouvé ça très facile,
l'histoire de Nadja. Les hommes adorent les filles un peu éthérées,
un peu perchées, le contraire de moi (un peu de jalousie peut-être
)
: Breton pontifie, m'agace, se prend au sérieux... J'ai essayé
de ne pas m'occuper de l'histoire.
Nadja est une mise en abyme du surréalisme ; c'est après
la Guerre de 14 - ce livre a été écrit il y a 100
ans - il s'agit de détruire le monde cartésien et de reconstruire
le monde autour du rêve, de la magie, mais c'est un échec.
Et ce livre est un échec : il adore cette femme qui le fait rêver
et Nadja finit dans un asile. Il est plus près de son projet qu'il
ne l'aurait voulu. Car c'est un échec comme sa révolution
et la destruction du travail.
Pape du surréalisme, il y accepte tout le monde, il faut rêver,
mais il n'a fait qu'exclure ceux qui n'étaient pas dans la ligne.
Totalement libertaire ce bonhomme, je le déteste.
Je ne supporte pas non plus cette fascination pour la folie : n'oublions
pas que la schizophrénie provoque des douleurs morales et physiques
insupportables, c'est excessivement douloureux à vivre. Cette esthétique
du délire surréaliste est digne d'adolescents attardés.
J'ouvre ¼, car c'est intéressant vis-à-vis du surréalisme,
mais c'est tout. Et je déteste Breton encore davantage...
Claireà
J'étais très contente de trouver ce vieux livre de poche
pas lu ou oublié dans ma bibliothèque avec des articles
à l'intérieur :
Je ne me souvenais pas du contenu bien sûr... Peut-être tenais-je
ce livre d'une époque lointaine où je fus fascinée
par le surréalisme (Claire sort son parchemin
surréaliste).
D'emblée, j'ai été frappée par la langue,
sa musicalité, avec des périodes, une certaine emphase :
j'ai tout de suite pensé à Huysmans, avec une prose très
contorsionnée, avec des subjonctifs, cessassent et existassions,
et j'ai été contente de voir qu'il l'évoquait,
Huysmans, comme si on était entre copains.
Hélas, je me suis sentie parfois exclue, et même très
vite, dès la première page, en raison de références
obscures, du genre "feuille de charmille de Lequier, à
toi toujours !", kekseksa (voir
l'explication). Je me suis demandé si les nombreuses références
que l'on gagne à déchiffrer grâce à des notes
étaient claires pour les lecteurs contemporains de Breton, ou s'il
s'agit vraiment de clins d'il entre gens cultivés. Ce n'était
pas très gênant mais quand même...
J'ai ressenti aussi le plaisir d'être intriguée, même
si ça ne sentait pas le suspense à plein nez... (l'ennui
pointe son nez).
J'ai été impressionnée par le
name dropping : noms d'écrivains, de peintres, de philosophes
ou autres célébrités, en veux-tu, en voilà...
Mon attention s'est surtout centrée sur les photos qui m'ont captivée.
J'ai pensé à des livres que nous avions lus contenant des
images :
- Austerlitz
de Sebald que Jacqueline a évoqué (auteur qu'il est question
de lire cet été ad libitum)
- Histoires vraies de Sophie
Calle
- Roland
Barthes par Roland Barthes
- M
Train de Patti Smith
- Proust
contre la déchéance de Joseph Czapski.
Que des livres hors norme, inclassables ! Comme ce livre-là. Mais
mon plaisir a été nettement moindre que pour tous ces livres.
Les images à leur tour sont chargées de référence
: pour nombre d'entre elles, elles suscitent le charme vertigineux des
vues d'un Paris disparu, le ressuscite en 2021 avec la force réaliste
de la photo (c'est vrai ! ce fut vrai !), mais elles ont aussi des sens
multiples, cachés.
Quant au texte lui-même, je suis comme Breton au cinéma :
"Je comprends,
du reste, assez mal, je suis trop vaguement." (p.
38). Comme Breton, je suis dans "l''impatience puis la consternation"
(p. 89).
J'ai navigué entre :
- l'accroche de l'écriture
- l'ennui relevé par une certaine antipathie pour le narrateur
un peu hautain, jugeant par-ci, jugeant par-là ("les
crétins de bas étage"), sans cur ("Le
mépris qu'en général je porte à la psychiatrie,
à ses pompes et à ses uvres, est tel que je n'ai pas
encore osé m'enquérir de ce qu'il était advenu de
Nadja"), révolutionnaire de salon (quoi ! les gens
prennent le métro pour travailler au lieu de se révolter ! :
"Ces gens ne sauraient
être intéressants dans la mesure où ils supportent
le travail, avec ou non toutes les autres misères. Comment cela
les élèverait-il si la révolte n'est pas en eux la
plus forte ?") et bourgeois gilet jaune, se réjouissant
des pillages lors des émeutes opposées à la mort
de Sacco et Vanzetti ("des
magnifiques journées de pillage")
- et ce nez au vent genre soif de vivre qui semble le propos.
J'ai lu plein
de choses ensuite sur et autour de Nadja. J'ai repris cette expression
"ne m'intéresser
qu'aux livres qu'on laisse battants comme des portes, et desquels on n'a
pas à chercher la clef". Par conséquent,
j'ai ouvert le livre ici et là, lisant une page, tournant les pages,
m'arrêtant à une photo, lisant un paragraphe, et alors j'ai
aimé cette nouvelle lecture partielle, retrouvant la musique du
texte, sans chercher à suivre une intrigue, mais ça a duré
cinq minutes. J'ouvre
le livre entre quart et moitié.
Geneviève
Encore une fois je n'ai pas fini le livre jusqu'au bout, j'ai lu les deux
tiers. Ce que vous avez dit corrobore l'impression ressentie : j'ai eu
beaucoup de mal à entrer dans le livre, je me suis d'abord contrainte
en survolant un peu, puis mon impression a été plus positive.
Je savais que Nadja avait existé, qu'elle avait fini en hôpital
psychiatrique. Je partageais l'a priori de Renée par rapport à
Breton, très négatif par rapport à beaucoup de gens
qu'il rassemblait. Pourquoi ? C'est une question de charisme personnel,
il soudait autour de lui, puis s'enfermait dans la rigidité et
le dogme pour ne pas perdre son statut.
Ce qui m'a frappée aussi, c'est une forme de naïveté
vis-à-vis des femmes, en l'occurrence Nadja : évanescente,
un peu folle, romanesque ; il en parle avec sa femme, sa relation est
ambiguë avec Nadja : il se fascine lui-même dans ce jeu vis-à-vis
de la folie, la différence.
Je partage avec Henri l'impression de ne pas avoir toutes les clés,
par ignorance au sujet du surréalisme.
J'ai été moi aussi frappée par le passage sur le
travail - ceux qui prônent la valeur du travail aucune valeur -
et j'ai touché un peu du doigt le côté politique du
surréalisme.
Nadja représente quelque chose plus que ce que ça n'est.
Quant aux photos, elles ne m'ont pas gênée, j'aime bien le
vieux Paris. Et si Jacqueline a l'image d'un soleil écrasant, pour
ma part ce serait dans un brouillard humide que passe une créature,
dans le Paris que j'aimais quand je venais adolescente au Quartier Latin
qui n'a plus rien à voir aujourd'hui.
Je ne suis pas mécontente d'avoir lu ce livre, c'est un mythe qui
tombe. Ça ne redore pas l'image de Breton, son image des femmes
et son écriture : mais j'en ai une idée plus précise,
prétentieuse (moi qui aime les écritures plates...)
J'ouvre ½, car j'aime bien être allée voir, je n'aurais
pas eu l'idée ou l'énergie de le lire toute seul, ça
me donne ainsi une information de plus : tous ces personnages, comme Éluard,
ce foisonnement, et ce qui reste, c'est fascinant...
Discussion ensuite sur la valeur dingue du manuscrit devenu "trésor
national" (et puis quoi encore...), sur l'éventuelle supercherie
que constitue le livre..., sur le fait que certains lisent le livre sans
rien en savoir et disent qu'il les fait ch... en se fichant que ce soit
un monument..., que ça vaut le coup de comprendre comment le surréalisme
a innervé l'art, que nous ne regrettons pas d'avoir lu le livre,
qu'il met à mal notre adage "Nul n'entre ici s'il confond
l'auteur et le narrateur", etc.
Catherine(avis
transmis après la séance)
Voici mon avis sur Breton, un peu tardif et plutôt succinct. En
effet, ce livre est resté assez énigmatique pour moi. Je
connais peu le surréalisme, un peu mieux la peinture peut-être
que la littérature, et je n'avais jamais rien lu d'André
Breton.
Cette lecture n'a pas été aisée pour moi ; je
pense que je n'ai pas vraiment compris le livre. Il débute par
des réflexions générales et enchaîne sur l'évocation
d'auteurs, de pièces de théâtre, de différents
lieux de Paris qui ne m'ont pas vraiment passionnée. J'ai davantage
aimé le cur du livre, c'est-à-dire la description
des déambulations du narrateur et de Nadja rencontrée par
hasard. Il découle de cette rencontre une relation assez étrange,
de fascination réciproque. Elle se déroule sur une période
courte, écrite au présent. Nadja est un personnage inclassable,
qu'on sent d'emblée au bord du délire, ce qui donne un côté
assez envoûtant au récit et laisse penser qu'il finira mal.
Effectivement, il finit mal mais pour Nadja seulement et le narrateur
a finalement un rôle d'observateur assez détaché.
On sent une influence importante de la psychanalyse, du rôle attribué
aux coïncidences, aux associations, ce à quoi j'ai un peu
mal à adhérer. Les phrases sont souvent assez complexes,
l'ensemble m'a paru un peu décousu. Au final, j'ai plutôt
eu l'impression d'un exercice de style brillant, mais assez froid et artificiel.
Ce livre étant considéré comme un chef-d'uvre,
je me dis qu'il m'a manqué des clefs pour être capable de
l'apprécier. Ceci dit, je ne regrette pas de l'avoir lu, mais pas
sûr que j'en lirai d'autres. Je l'ouvre à moitié.
AVIS DES LECTEURS
DU GROUPE DE TENERIFE
réuni le 9 février 2021
Nieves
Qu'est-ce que je peux dire de ce texte après une lecture pas trop
approfondie et vu ma méconnaissance de l'auteur et, en général,
du mouvement littéraire surréaliste ?
C'est, sans doute, un livre très particulier. Bien qu'il soit classé
comme un roman, on ne peut pas s'attendre à lire un roman comme
ceux qu'on a l'habitude de lire. Breton, comme haut représentant
du courant surréaliste, prétend, bien entendu, que ce soit
différent des codes romanesques en vigueur jusqu'alors. Ceci dit,
je trouve qu'il y a deux procédés narratifs intéressants.
D'une part, le fait de présenter le récit - deuxième
partie - sous forme de JOURNAL pour lui accorder le maximum de véracité
comme quelqu'un qui, en train de vivre une expérience exceptionnelle,
écrit les événements de la journée pour pas
les oublier, pour qu'ils soient bien présents dans sa mémoire,
et peut-être, pour les réécrire après.
D'autre part, cet aperçu global de la vie courante où il
met en rapport les lieux (noms des lieux comme le boulevard Bonne Nouvelle,
le Théâtre de Deux-Masques, le musée Grévin
et les images - photos et dessins - insérés dans
le texte), les actions et les sensations vécues dans son quotidien
où il se cherche lui-même. On a l'impression qu'il est en
train de construire un puzzle dans sa tête avec tout ce qu'il fait
et éprouve dans Paris essayant de trouver sa "différenciation",
cette "nouvelle réalité" à laquelle il
aspire. Pourtant, dans ce puzzle, il manque une pièce qui va être
remplie par la rencontre fortuite avec Nadja.
Cependant, malgré l'entente en apparence si parfaite avec cette
fille, possible grâce au fait que Nadja, dit-il, est un "esprit
libre", manquant de codes moraux, esthétiques ou autres, ils
ne sont pas destinés à être ensemble.
Peu de temps après s'être rencontrés, Breton, ne supportant
pas le désordre et le chaos où vit Nadja, décide
de la quitter. C'est qu'ils proviennent de milieux sociaux très
différents. Elle, fille pauvre qui vit dans un hôtel à
Paris, obligée parfois à toute sorte de trafics pour pouvoir
subsister. Lui, bourgeois bien installé à Paris, sans problèmes
économiques manifestes, avec un entourage social convenable. D'ailleurs,
si Nadja aime vraiment Breton, lui ne s'intéresse pas vraiment
à ses difficultés quotidiennes bien qu'il l'ait aidée
quelques fois économiquement.
Or, ce journal à courte durée, à la description minutieuse
et documentée de tout ce qu'ils font ensemble, ne va pas si loin
qu'on pouvait imaginer. On a alors l'impression que cette expérience
si authentique, si exceptionnelle qu'il vit avec Nadja, n'est qu'une construction
"artificielle" qu'il fait à postériori, quand
il apprend qu'elle a été internée dans un asile de
fous (genre d'institution dont il fait une critique féroce dans
la troisième partie du livre) et il sent le devoir moral d'écrire
le livre qu'elle lui avait prédit dans une de leurs rencontres.
Je vais oser dire que j'ai eu l'impression, en lisant ce texte, que l'auteur
fait preuve d'une attitude un peu présomptueuse. Dans ses spéculations
mentales il estime avoir trouvé la preuve matérielle, LE
SIGNAL, des idées qu'il avait en tête, mais il abandonne
trop vite cette immense découverte, quitte la fille et continue
à vivre comme un bon bourgeois, entouré d'amis, occupé
à déchiffrer ses cryptogrammes
Bref, avec le recul du temps, vu les changements sociaux et idéologiques
survenus depuis lors, je trouve ce récit "expérimental"
un peu révolu, mais il me semble tout de même une expérimentation
narrative très curieuse, un nouveau modèle pour raconter
une histoire qu'il aurait peut-être fallu continuer dans le temps
Nathalie
Ma lecture a été peu aisée et du coup, superficielle,
je n'ai pas réussi à accrocher. Néanmoins, si c'était
possible, je crois que j'aimerais l'étudier
plus en profondeur, à la fac par exemple.
Pourtant, Nadja et son halo de gloire, ouvrage emblématique
du surréalisme, j'avais hâte surtout que je n'avais jamais
rien lu de Breton. Adolescente, avec mes camarades de lycée, nous
nous étions essayées à l'écriture automatique,
à noter nos rêves sur des carnets, pour accéder aux
messages cryptés de notre inconscient. On avait vu Un chien
andalou de Buñuel, découvert Dali, Magritte, très
en vogue à la fin des années 70. Nous lisions Aragon, les
poésies de Desnos, Éluard au lycée, étions
attirées par ce mouvement empreint de révolte et de politique,
étant moi-même militante trotskiste pour Lutte Ouvrière.
Époque aussi de l'antipsychiatrie.
Avant d'entreprendre la lecture avec enthousiasme, ayant appris à
travers une vidéo "la véritable histoire de Nadja",
que Breton avait remanié son écrit
et retiré
quelques scènes
, j'ai senti une petite pointe de déception,
sentiment qui se confirmera tout au long du livre.
Avec tous mes aprioris, j'avoue que j'ai eu du mal à pénétrer
dans l'essence de la première partie, bien que Breton fasse allusion
à ses fameuses rencontres fortuites avec d'autres artistes de l'époque.
J'ai un peu apprécié les descriptions de Paris, ces errances,
déambulations à la quête de l'imprévisible,
de ses secrets. Le culte du hasard. Les photos, bon
Quant au style,
phrases trop longues, difficiles à suivre, requérant une
grande concentration et peu de plaisir.
Je me suis forcée à continuer, pensant qu'il s'agirait d'un
hymne à l'amour, à l'amour libre : amour fou, l'amour scandale,
dépouillement de préjugés, de carcans, découverte
d'un moi libéré de toute entrave, accédant aux entrailles
de l'être, sans censure, une libération, érotisme,
onirisme, surnaturel et entrevoir quelques clés du surréalisme.
J'ai trouvé un peu de cela, mais de la part
de Nadja. Dans la deuxième partie, Nadja m'a éblouie, du
bord de sa folie, en initiatrice de Breton, osant sentir, si frêle,
exprimant sa fêlure qui l'enfonça dans une déchéance
innommable. Un sort d'autant plus cruel que Breton en avait connaissance
et n'a pas pu l'affronter (j'ai été surprise de voir Nadja
si cultivée).
Certains critiques ont qualifié cette rencontre de malentendu,
qui a peut-être plongé Nadja dans sa psychose, une rencontre
catastrophique pour elle. Breton est sincère, il n'est pas tombé
amoureux de Nadja qui vit "dans
une forêt de symboles, un monde d'analogies et de métaphores,
un monde clos". Breton a-t-il utilisé Nadja ?
Son incompréhension a été dangereuse pour elle. Breton
est sincère quand il annonce "Qui
suis-je" : ce récit est écrit pour
lui-même, c'est son voyage initiatique. Il poursuit sa quête,
"qui suis-je"
dans la ligne du surréalisme.
Alors que Breton reproche à Nadja de ne pas correspondre à
sa vision de l'amour "tout
ce qui fait qu'on peut vivre de la vie d'un être, sans jamais désirer
obtenir de lui plus que ce qu'il donne, qu'il est amplement suffisant
de le voir bouger ou se tenir immobile, parler ou se taire, veiller ou
dormir, de ma part, n'existait pas non plus, n'avait jamais existé
: ce n'était que trop sûr" cette vision
de l'amour m'a semblé très idéaliste. (Lors de notre
rencontre mensuelle, les autres personnes du groupe m'ont dit avec humour,
que peut-être alors je n'avais jamais connu l'Amour) (hahaha).
J'ai eu le sentiment dans les trois dernières pages de la deuxième
partie, il se justifiait d'une part de son abandon, de ne l'avoir jamais
revue mais loue aussi la liberté de Nadja, la liberté :
"l'émancipation
humaine, conçue en définitive sous sa forme révolutionnaire
la plus simple, qui n'en est pas moins l'émancipation humaine à
tous les égards, entendons-nous bien, selon les moyens dont chacun
dispose, demeure la seule cause qu'il soit digne de servir. Nadja était
faite pour la servir (
.) en passant la tête, puis un
bras entre les barreaux ainsi écartés de la logique, c'est-à-dire
de la plus haïssable des prisons." Breton la qualifie
"d'esprit libre".
Dans ces dernières lignes de la deuxième partie, j'ai eu
le sentiment que Breton interpelle Nadja, humble reconnaissance d'un disciple
à son initiatrice : "Qui
vive ? Est-ce vous, Nadja ? Est-il vrai que l'au-delà, tout l'au-delà
soit dans cette vie ? Je ne vous entends pas. Qui vive ? Est-ce moi seul
? Est-ce moi-même ?".
Je n'ai pas bien saisi la troisième partie
de nouveau lecture
superficielle de ma part.
Pour conclure, je suis passé à côté du livre.
Déçue, un peu, mais convaincue que l'ouvrage mérite
une lecture plus approfondie mais guidée. Le style de Breton m'a
paru original, hostile par le ton extérieur, objectif comme un
rapport d'expert qui analyse de l'extérieur, détaché,
clinique. Ce ton voulu contraste avec la personnalité de Nadja,
pure émotion débridée.
L'aspect philosophique m'a laissé plutôt froide. De fait,
lors de notre réunion, nous ne savions pas définir de quel
type d'ouvrage il s'agissait : roman, autobiographie, journal intime,
essai
Nos avis étaient très partagés. Pour
ma part, je l'ai lu comme un journal intime, en aucun cas comme un roman.
À la rigueur comme un essai, un condensé de la vision surréaliste
incarnée en Nadja.
José Luis
Je ne suis pas, aujourd'hui, un amoureux et moins encore un adepte du
surréalisme. Je l'ai été, dans ma jeunesse et dans
ma première maturité (peut-être me faudrait-il écrire
immaturité ?) mais je ne le suis plus. Rien d'étonnant,
donc, à ce que je me sois mis à lire Nadja sans aucune
attente et avec une certaine prévention. Et je l'ai fait, comme
toujours dans cet exercice mensuel pour le groupe, sans lecture ou visionnage
de documents préalables. C'est dans l'après-coup que je
préfère ce faire.
Ceci dit : j'ai vu Nadja comme un livre hétéroclite,
moitié roman, moitié essai, dans lequel je distingue quatre
parties.
1. D'abord - et c'est le volet qui m'a le plus intéressé,
sinon le seul - une longue introduction théorique, sorte d'essai,
comme je viens de le dire, où il est question, entre autres, de
présenter des personnages du monde littéraire de la mouvance
surréaliste : Éluard, Benjamin Péret, Desnos...
Mais d'abord, le texte s'ouvre par une réflexion sur la singularité
de chaque personne, sur sa "différentiation" - concept
proche, me semble-t-il, de celui d' "ipséité"
cher à Jankélévitch ou à Ricur -
qui, pour Breton, serait le résultat de l'action du hasard plus
que de la volonté et se définirait par "ce
qu'il a fallu que je cessasse d'être, pour être ce que je
suis". Dans ces conditions, ce que nous vivons peut n'être
qu'une réalité rêvée ou fantasmée, et,
en conséquence, "il
se peut que ma vie ne soit qu'une image de ce genre, et que je sois condamné
à revenir sur mes pas tout en croyant que j'explore, à essayer
de connaître ce que je devrais fort bien reconnaître, à
apprendre une faible partie de ce que j'ai oublié".
C'est pourquoi, la voix qui parle avouera plus loin qu'il y a des faits
dans sa vie (et donc dans la nôtre, car il semble avoir l'ambition
de décrire la condition humaine) "qui
font qu'en pleine solitude, je me découvre d'invraisemblables complicités,
qui me convainquent de mon illusion toutes les fois que je me crois seul
à la barre du navire", et, au passage, en bon surréaliste,
annonce que, par la suite, il se bornera dans le livre, "à
me souvenir sans effort de ce qui, ne répondant à aucune
démarche de ma part, m'est quelquefois advenu, de ce qui me donne,
m'arrivant par des voies insoupçonnables, la mesure de la grâce
et de la disgrâce particulières dont je suis l'objet; j'en
parlerai sans ordre préétabli, et selon le caprice de l'heure
qui laisse surnager ce qui surnage".
Mais, peut être que la thèse à laquelle l'écrivain-critique-philosophe
tient ici le plus est celle qu'il concrétise par l'affirmation
que la connaissance de données de la vie des auteurs est indispensable
pour la compréhension de leurs uvres et il propose en exemple
les cas de Victor Hugo, Flaubert - auquel il dit ne vouer aucune admiration
-, Courbet, De Chirico... et Huysmans, dont il dit qu' "il
m'est peut-être le moins étranger de nos amis".
Bref, renchérit-il, prétendre occulter par des orthopédies
quelconques le caractère biographique des uvres, est un fait
scandaleux, et c'est la raison par laquelle il "persiste
à réclamer les noms, à ne m'intéresser qu'aux
livres qu'on laisse battants comme des portes, et desquels on n'a pas
à chercher la clef", déclaration qui ne
peut qu'étonner chez un surréaliste, partisan en plus de
la psychanalyse. Il me faut avouer qu'autant je suis d'accord avec les
affirmations et arguments qui précèdent celle-ci, autant
je refuse radicalement cet appel à la biographie des auteurs comme
condition de la compréhension de leurs livres. La biographie a
sans doute intérêt - et beaucoup - pour les tenants de la
critique littéraire sociologique et/ou psychologique, voire psychanalytique
- et j'en parle en connaissance de cause, puisque je les ai pratiquées
- mais cela est toute une autre affaire.
2. Ce long essai s'arrête encore à développer d'autres
sujets, notamment un long résumé - barbant, pour moi - de
la pièce (surréaliste ?) Les Détraquées
("drame en deux actes
de de Joseph Babinski et Pierre Palau") dont je rachèterai
ici la seule phrase qui m'ait touchée : "L'attente
absurde, terrible, où l'on ne sait quel objet changer de place,
quel geste répéter, qu'entreprendre pour faire arriver ce
qu'on attend". Viennent après, d'abord, le récit
et l'interprétation - à la manière freudienne -
d'un rêve désagréable, cauchemardesque, suivi de références
à d'autres auteurs, Rimbaud, Nietzsche, Aragon, avant que cette
composite première partie ne vienne mourir presque sur cette formidable
phrase : "L'événement
dont chacun est en droit d'attendre la révélation du sens
de sa propre vie, cet événement que peut-être je n'ai
pas encore trouvé mais sur la voie duquel je me cherche, n'est
pas au prix du travail". Et à partir de là
meurt aussi mon intérêt pour Nadja, juste au moment
où le roman de la vie de son héroïne commence.
3. Ce "roman", constitue, pour moi, la troisième des
quatre parties du livre dont il a été question au début.
Comme je viens d'annoncer, j'ai été incapable d'accrocher
à ce récit... à l'exception de deux moments : celui
ci, d'abord : "Je ne
veux plus me souvenir, au courant des jours, que de quelques phrases,
prononcées devant moi ou écrites d'un trait sous mes yeux
par elle, phrases qui sont celles où je retrouve le mieux le ton
de sa voix et dont la résonance en moi demeure si grande :
'Avec la fin de mon souffle,
qui est le commencement du vôtre.'
'Si vous vouliez, pour vous je ne serais rien, ou qu'une trace.'
'La griffe du lion étreint le sein de la vigne.'
'Le rose est mieux que le noir, mais les deux s'accordent.'
'Devant le mystère. Homme de pierre, comprends-moi.'
'Tu es mon maître. Je ne suis qu'un atome qui respire au coin
de tes lèvres ou qui expire. Je veux toucher la sérénité
d'un doigt mouillé de larmes.'
'Pourquoi cette balance qui oscillait dans l'obscurité d'un trou
plein de boulets de charbon ?'
'Ne pas alourdir ses pensées du poids de ses souliers.'
'Je savais tout, j'ai tant cherché à lire dans mes ruisseaux
de larmes.'"
Et, après, un peu plus loin, les quelques pages où l'on
met radicalement, et très courageusement, en question la pratique
psychiatrique de l'époque, mise en question qui n'est pas sans
rappeler ce que Foucault en dira quelques années plus tard.
4. Enfin, quatrième partie, bilan et/ou conclusion, où
je n'ai souligné que le tout dernier paragraphe où l'on
parle de "la beauté". Il y aurait à ce
sujet des choses à dire et à redire, mais je vous assure,
chères lectrices/chers lecteurs, que je suis pris d'une grande
fatigue, c'est pourquoi je m'arrêterai là, chose dont j'en
suis sûr - je ne perdrai pas à le parier - vous me saurez
gré.
Donc, point final.
4e et 1ère de couverture par Pierre
Faucheux de Nadja (Livre de Poche 1964) et quelques
pages intérieures
|
Radio : émissions sur Breton et Nadja |
- 4 émissions d'une heure, La Compagnie
des auteurs, par Matthieu Garrigou-Lagrange, France Culture, du
6 au 9 mai 2019 :
1/4
"L'or du temps" : parcours dans la vie d'André
Breton, "mage" autoritaire à la personnalité
complexe.
2/4
"Lire enfin André Breton" : le surréalisme,
théorisé dans les manifestes et mis en uvre par
André Breton, au cur de son art.
3/4
"La magie de l'art" : les rapports d'André Breton
aux arts plastiques, toutes époques confondues, dans une étroite
connivence avec la littérature et la vie....
4/4
"Nadja et Chance" : "Nadja" sous deux
angles différents, celui du roman et celui de la psychanalyse.
- "André Breton
(1896-1966), la recherche du point sublime", Une Vie,
une uvre, par Colette Fellous et Jean-Claude Loiseau, France
Culture, 12 décembre 1985, 1h 26, avec André Pieyre
de Mandiargues, Jean Shuster, François-René Simon, René
Alleau, Jean-Jacques Lebel, Julien Gracq, Annie Lebrun, Joyce Mansour,
Roger Blin, Jean Shuster, Radovan Ivsic, qui pour la plupart ont rencontré
André Breton.
- "Le
Dictionnaire André Breton", Tire ta langue,
par Antoine Perraud, France Culture, 12 mai 2013, 29 min.
-
"André Breton et les pois sauteurs", par François
Sureau, France Culture, 24 juillet 2020, 8 min.
(en ordre chronologique, dont certaines constituent de
véritables documents historiques)
- Interview d'André
Breton par Judith Jasmin dans son atelier, Premier plan, Radio Canada,
27 février 1961 : la journaliste demande d'entrée de jeu
à l'écrivain de lui définir le surréalisme,
26 min.
- Entretien
avec Philippe Soupault : Breton et les origines du surréalisme,
Panorama, ORTF, 30 septembre 1966, 5 min 30.
- Entretien avec Julien Gracq
à propos de Breton, ORTF, 19 avril 1970, 5 min 39. Nota
bene : Gracq est l'auteur du livre André
Breton, éd. José Corti, 1948. Voir aussi son article
"Revenir à Breton"
après sa mort en
1996.
- Passage Breton,
documentaire de Robert Benayoun, produit par Michel Polac, ORTF, 19 avril
1970, avec Salvador Dalí, Jean-Christophe Averty, Julien Gracq,
André Pieyre de Mandiargues, Jean Schuster, José Pierre,
Jacques Baron, Robert Lebel, Roberto Matta, Joyce Mansour, René
Alleau et Man Ray, 1h 19 (+ un
montage à partir de ce film de 6 min).
- Maison André Breton
à Saint-Cirq-Lapopie, Terre d'Artistes, France 2, 29 mars
2016, 5 min. Maison d'André
Breton, Collection Maisons d'écrivains, Librairie Mollat, 22
décembre 2016. Voir le site
de la maison ici.
- La véritable
histoire de "Nadja" de Breton, Art et création, par
Camille Renard, 9 janvier 2020 : après la découverte de
manuscrits, de lettres et de carnets de Breton, 5 min 40.
- Nadja,
André Breton, avec Saphia Richou. ESCE (École supérieure
du commerce extérieur), Forum des Humanités, 10 janvier
2020, 20 min.
- Trésors
de Richelieu : Le manuscrit de Nadja dAndré Breton
acquis en 2017 : présentation Jacqueline Chénieux-Gendron
(CNRS) et Olivier Wagner (BnF), 25 février 2020, 1h.
Les uvres d'André Breton (actuellement
disponibles) |
Signalons que Breton
a publie trois textes illustrés de photographies : Nadja
en 1928, puis 1955 : Les
vases communicants en 1932, et L'amour
fou en 1937.
Aux Éditions Gallimard : les poèmes,
essais et autres textes
- 1919 : LES
CHAMPS MAGNÉTIQUES (en collaboration avec Philippe Soupault,
voir le fac-similé), suivi de VOUS M'OUBLIEREZ et
de S'IL VOUS PLAÎT (Poésie/Gallimard)
- 1924 : LES
PAS PERDUS (L'Imaginaire) en partie en
ligne ici
- 1924 : MANIFESTE DU SURRÉALISME (Idées/Gallimard,
1963), en ligne ici
- 1927 : INTRODUCTION
AU DISCOURS SUR LE PEU DE RÉALITÉ (Tirages restreints)
- 1928 : LE
SURRÉALISME ET LA PEINTURE (Folio essais)
- 1928 : NADJA
(Folio)
- 1932 : LES
VASES COMMUNICANTS (Folio essais)
-
1934 : POINT
DU JOUR (Folio essais)
- 1937 : L'AMOUR
FOU (Folio), en partie en ligne
ici
- 1949 : POÈMES
(Reliures d'éditeur)
- 1952 : ENTRETIENS
(1913-1952) (Idées/Gallimard) : un extrait
audio de 2 min 52 avec André Parinaud
- 1967 : MANIFESTES
DU SURRÉALISME (Folio essais) Manifeste du surréalisme.
Poisson soluble, éd.
du Sagittaire, 1924 - Second manifeste du surréalisme,
éd. Kra, 1930 - Manifestes
du surréalisme (Idées/Gallimard, 1963) - Poisson
soluble (préfacé par Julien Gracq, Poésie/Gallimard,
1996, à l'origine préfacé par le Manifeste du
surréalisme)
- 1966 : CLAIR
DE TERRE, précédé de MONT DE PIÉTÉ,
suivi de LE REVOLVER À CHEVEUX BLANCS et de L'AIR DE
L'EAU (Poésie/Gallimard) en
ligne ici
- 1968 : SIGNE
ASCENDANT, suivi de FATA MORGANA, de LES ÉTATS
GÉNÉRAUX, de DES ÉPINGLES TREMBLANTES,
de XÉNOPHILES, L'ODE À CHARLES FOURIER, de CONSTELLATIONS,
et de LE LA, illustrations de Joan Miró (Poésie/Gallimard)
- 1970 : PERSPECTIVE
CAVALIÈRE (L'Imaginaire)
- 1991 : JE
VOIS, J'IMAGINE : poèmes-objets, préface
d'Octavio Paz (coll. Livres d'Art) : 143 uvres plastiques
d'André Breton.
Aux Éditions Gallimard, coll. Bibliothèque
de La Pléiade
- UVRES
COMPLÈTES, I (1988), II (1992), III (1999), IV (2008)
Aux Éditions Gallimard, coll. Blanche :
les correspondances
- 2009 : LETTRES
À AUBE (1938-1966), fille d'André Breton
- 2011 : LETTRES
À ANDRÉ BRETON (1918-1931) d'Aragon
- 2016 :
LETTRES À JACQUES DOUCET (1920-1926)
- 2016 :
LETTRES À SIMONE KAHN (1920-1960)
- 2017 : CORRESPONDANCE
(1920-1959) Breton-Benjamin Péret
- 2017 : CORRESPONDANCE
AVEC TRISTAN TZARA ET FRANCIS PICABIA (1919-1934)
- 2019 : CORRESPONDANCE
(1919-1938) Breton-Éluard
Le Livre de poche
- 1935 : POSITION
POLITIQUE DU SURRÉALISME
- 1944 :
ARCANE 17
- 1950 : ANTHOLOGIE
DE L'HUMOUR NOIR
- 1896-1913
: enfance et formation
- 1914-1918
: les rencontres littéraires pendant la période de la guerre
- 1919-1939
: entre les deux guerres
- 1941-1946
: cinq années en Amérique
- 1946-1966
: activités artistiques et politiques.
- Une exposition à la BNF "LInvention
du surréalisme : des Champs magnétiques à
Nadja" du 15 décembre 2020 au 14 mars
2021 (impossible à voir à cause de la pandémie ;
dossier de presse ici,
bibliographie André Breton là).
- Antérieurement, au Centre Pompidou, trois expositions :
André Breton, "La
beauté convulsive" du 25 avril au 26 août 1991
(programme ici)
"La
Révolution surréaliste" du 6 mars au 24 juin
2002 (programme ici)
"Le
Surréalisme et l'objet" du 30 octobre 2013 au 3 mars
2014 (programme
ici, dossier de presse là).
En cette saison de confinement,
certains d'entre nous ont réussi à voir |
trois expositions d'artistes
liés au surréalisme (où Breton ne manque pas
d'être cité, voire représenté) :
- au Musée dart moderne à partir du 18 septembre
2020 : "Victor
Brauner. Je suis le rêve. Je suis l'inspiration"
- au Musée du Luxembourg à partir
du 23 septembre 2020 : "Man
Ray et la mode"
- au Musée de l'Orangerie
à partir du 16 septembre 2020 : "Giorgio
de Chirico. La peinture métaphysique"
André Breton
raconte : "C'est une toile de Giorgio de Chirico, datée
de 1914, qui s'intitule Le
Cerveau de l'enfant.
Elle est douée, en effet, d'un pouvoir de choc exceptionnel.
Qu'il me suffise de rappeler que, passant en autobus rue La Boétie
devant la vitrine de l'ancienne galerie Paul Guillaume, ou elle
était exposée, mû par un ressort je me levai
pour descendre et aller l'examiner de près. Je mis longtemps
à me soustraire a sa contemplation et, à partir de
là, je n'eus plus de cesse avant de pouvoir l'acquérir."
C'est Aragon qui a baptisé Le Cerveau de lenfant
le tableau intitulé Le Revenant.
Voir l'article "Giorgio
de Chirico et la 'Bande Breton' 1918-1928", Gerd Roos et
Martin Weidlich, revue Ligeia,
janvier-juin, 2020
|
|
L'énigme de la journée, Giorgio de Chirico,1914
New York, The Museum of Modern Art
|
Portrait photographique d'André Breton
par Man Ray devant le tableau en 1922
|
|
- Le manuscrit de Nadja :
2 millions d'euros..., un trésor national...,
voir
l'histoire
- Contexte amoureux : Georgina, Simone, Lise, Suzanne, Jacqueline... et
les deux Nadja, voir
quelques détails
- Contexte politique :
des échos dans Nadja...
- Contexte littéraire : pas
question de faire sortir la Marquise à cinq heures... d'où
Nadja...
- Composition : Aragon écrit facilement, Breton peine, voir
le cheminement.
- Édition : d'abord un fragment, puis en anglais, puis intégralement
en 1928 ; réédition en 1963 avec 300 corrections...,
voir les étapes.
-
Les photos dans Nadja : plus du quart du livre est composé de photos.
De photos de quoi ? De lieux, objets, statues, portraits, tableaux,
affiches, textes, dessins. Voir le détail
des 48 images...
Pourquoi ne pas voir en Nadja, en dépit
des indications d'André Breton, seulement une uvre de fiction
?...
"La personne qui s'était elle-même
nommée Nadja a pourtant bien existé, mais on ne saurait
dire si elle a été le modèle, l'égérie,
ou l'occasion du récit.
Léona Delcourt est née dans le nord de la France en 1902
d'une famille modeste. Elle arrive à Paris vers 1923, après
avoir laissé à sa mère une fille née en
1920. À Paris, elle fréquente les milieux du spectacle
et vit de façon précaire, au gré de liaisons avec
des "amis" ou de rencontres tarifées. Cette jeune femme
attire par son charme étrange plus que par sa beauté.
Et c'est ce charme d'énigme qu'André Breton va percevoir,
explorer et pousser sans doute à son paroxysme dans sa rencontre
avec elle, par hasard, pendant neuf jours, du 4 au 13 octobre 1926.
Leurs rendez-vous sont marqués, d'emblée, par une passion
amoureuse totale de la part de Nadja et par une réserve certaine
de la part de Breton qui, pourtant, manifestait une attirance irrépressible
vers ce qui lui semblait en elle un savoir essentiel. Il lui faisait
lire quelques- uns de ses textes et l'amena même auprès
de ses amis surréalistes. Elle lui écrivit des lettres
où l'amour et la plainte se tissent avec des phrases parfois
poétiques au creux d'une fragmentation insolite des textes du
poète. Au lendemain d'une nuit à Saint-Germain, dont nous
ne savons rien, Breton essaie de rompre et espace ces rencontres. Le
désespoir de la jeune femme atteint des abîmes qui lui
font rejoindre par un délire manifeste une fragilité et
un malheur qui existaient déjà à bas bruit. Breton
la voit de moins en moins, essaie pourtant de l'aider financièrement.
Elle écrit et dessine, et envoie à Breton ses messages.
Au début de l'année 1927, en proie à des hallucinations,
elle est internée à l'hôpital Sainte-Anne puis à
l'hôpital Perray-Vaucluse. Ses parents facilitent un transfert
dans un hôpital proche de chez eux, où, malade, elle meurt
le 15 janvier 1941." (Christiane Lacôte-Destribats, Passage
par Nadja, éd. Galilée, 2015)
"Me
trouvant dans le Nord, à Bailleul, dans le cadre d'une célébration
de Marguerite Yourcenar - qui, elle, m'est absolument lointaine - j'ai
été abordée par une jeune écrivaine, Amina
Danton. Comme une messagère inespérée, elle m'a
proposé de me conduire au cimetière municipal sur la tombe
de Nadja, qu'elle avait trouvée en se rendant à la Mairie
et où elle venait d'aller. J'avais lu que Nadja était
morte dans un asile, je ne savais pas que c'était à Bailleul,
la ville même où Bruno Dumont a tourné ses premiers,
sombres, films. Devant la tombe - juste un carré de
terre avec une bordure en ciment et l'inscription "Léona
Delcourt 1902-1941" - je pensais à ses paroles : "André
? André ? Tu écriras un roman sur moi. De nous il faut
que quelque chose reste
". Je pensais que nous étions
dans ce cimetière sous un soleil de plomb par le pouvoir d'un
livre, la grâce agissante de la littérature." (Annie
Ernaux, 2018, site annie-ernaux.org)
Le jour même de notre rencontre paraît un
article de 4 pages "Léona
Delcourt, la femme qui inspira Nadja à André Breton",
par Emmanuelle Lequeux, M
le magazine du Monde, 23 janvier 2021.
- Le site André Breton, très rigoureux
: www.andrebreton.fr ;
Jacqueline Chénieux-Gendron, directrice de recherche émérite
au CNRS, membre du conseil
scientifique du site andrebreton.fr, auteure de nombreux ouvrages
sur le surréalisme, est aussi conseillère scientifique de
l'exposition
à la BNF.
- Tout sur Nadja : www.site-magister.com/nadja
- Le site Mélusine, production de l'Association pour létude
du surréalisme présidée par Henri Béhar, permet
laccès à quantité duvres et de
documents : www.melusine-surrealisme.fr
- Le site Philosophie et surréalisme : www.philosophieetsurrealisme.fr,
réalisé par Georges Sebbag, auteur
de nombreuses
publications sur le surréalisme.
- Publié quelques mois après notre séance par Gallica
(BNF), une balade dans le Paris des surréalistes, à la recherche
des hasards objectifs et du vent de léventuel
Un
périple illustré ici en compagnie dAndré
Breton, Robert Desnos et quelques autres...
Ce qu'en disent André Breton lui-même, Patti
Smith, Annie Ernaux, Maurice Blanchot, Antoine Compagnon et d'autres...
Ce que dit André Breton sur son livre Nadja
André Parinaud : "Il semble que vous prêtiez, au moins
dans l'état actuel des connaissances, une sorte de vertu magique
à la rencontre. Est-ce qu'un ouvrage comme Nadja ne constitue
pas, à cet égard, la meilleure illustration de votre pensée
?
Une sorte de vertu magique, oui, d'autant que pour
moi le plus haut période que pouvait atteindre cette idée
de rencontre et la chance de son accomplissement suprême résidait,
naturellement, dans l'amour. Il n'était même pas de révélation
sur un autre plan qui pût tenir à côté de
lui. Peut-être était-ce lui et lui seul, parfois sous un
déguisement, qui était l'objet de cette quête dont
je parlais. Il me semble, en effet, qu'un ouvrage comme Nadja est
pour l'établir clairement. L'héroïne de ce livre
dispose de tous les moyens voulus, on peut vraiment dire qu'elle est
faite pour centrer sur elle tout l'appétit de merveilleux. Et
pourtant, toutes les séductions qu'elle exerce sur moi restent
d'ordre intellectuel, ne se résolvent pas en amour. C'est une
magicienne, dont tous les prestiges jetés dans la balance pèseront
peu en regard de l'amour pur et simple qu'une femme comme celle qu'on
voit passer à la fin du livre peut m'inspirer. Il se peut, d'ailleurs,
que les prestiges dont s'entoure Nadja constituent la revanche de l'esprit
sur la défaite du cur. On a assisté à quelque
chose d'analogue dans le cas du fameux médium Hélène
Smith, dont les merveilleuses pérégrinations de planète
en planète, consignées dans Des
Indes à la planète Mars et dans Nouvelles
observations sur un cas de somnambulisme, semblent avoir pour
objet de concentrer sur elle seule, coûte que coûte, l'attention
de Théodore Flournoy, qui l'observait et dont elle n'avait pu
se faire aimer." (Entretiens)
Ce que dit Patti
Smith (que nous avons lue)
"J'ai lu Nadja, d'André Breton,
très jeune, et je m'étais toujours dit que j'aimerais
écrire un livre comme ça, qui aurait des photographies,
même si les miennes ne sont pas celles de Man Ray." (Écrire
sans destination : rencontre avec Patti Smith, par Elisabeth Franck-Dumas,
Libération, 22 avril 2016)
Ce que dit Annie
Ernaux (que nous avons lue)
"C'est
donc au travers de l'écriture d'André Breton que j'ai
reçu l'empreinte d'idées, de refus et de positions définissant
le mouvement certainement le plus déterminant du XXème
siècle dans l'art et sur la sensibilité" (voir
la suite).
Antoine Compagnon, dans
son cours au Collège de France, "Écrire la vie"
en 2009, il examine dans la séance "Le
récit en question" les partis pris
qui ont alimenté le débat sur la question de l'écriture
de vie depuis les années quatre-vingt. Malgré les critiques
et les préjugés formulés contre elle, certains écrivains
ont uvré à sa relégitimation, en usant de différentes
tactiques de contournement dont il retient trois exemples (des auteurs
que nous avons lus), présentés à rebours de la chronologie :
- L'entreprise autobiographico-romanesque d'Alain
Robbe-Grillet dans Le Miroir qui revient (1983) fournit l'exemple
d'une reconversion du Nouveau Roman à la littérature personnelle
- de même que L'Amant (1984) et La Douleur (1985)
de Marguerite
Duras, ou encore Enfance (1983) de Nathalie
Sarraute, dont le prologue répond aux griefs adressés
par ses contemporains à la littérature personnelle.
- Une autre voie entre la résignation à raconter une "vie
reçue" et le parti pris de la fiction mise au service de
la vérité du souvenir est incarnée par l'entreprise
menée dans Roland
Barthes par Roland Barthes, dont la mise en garde liminaire
"Tout ceci doit être considéré comme dit par
un personnage de roman"
- Le troisième exemple de contournement des dangers supposés
de l'écriture de vie est celui de Nadja d'André
Breton (1927-1928), qui constitue un jalon important dans l'histoire
du renouveau des pratiques de la littérature personnelle au XXe
siècle, depuis le défi relevé par le roman proustien
de rassembler tous les fragments d'une vie jusqu'aux écritures
de vie contemporaines privilégiant l'ébauche, la lacune,
la juxtaposition (voir
la suite ici).
Ainsi, trois tactiques de réhabilitation du récit
de vie sont-elles dégagées par Antoine Compagnon :
- le recours à la fable
prôné par Robbe-Grillet
- le recours au fragment utilisé par Barthes
- le recours à la photographie comme moyen dauthentification
chez Breton.
Maurice Blanchot (dont nous avons lu Thomas
l'Obscur...), souligne en 1967, l'importance de ce livre :
En refusant
le genre romanesque, coupable d'inventer sans invention d'une part,
d'autre part en refusant tous les autres genres coupables de ne pas
inventer sans dire vrai, ce n'est pas à une préoccupation
esthétique qu'André Breton veut répondre, c'est
une mutation bien plus décisive qu'il a en vue. Nadja
est en ce sens la grande aventure dont nous sommes loin d'avoir considéré
tout ce qu'elle nous demande, tout ce qu'elle nous promet.
Il y a d'abord cette difficulté : le texte (appelons-le récit)
est de l'ordre de la constatation. Ce qui s'y passe s'est effectivement
passé. Quelque chose a lieu qui a eu lieu dans un temps parfois
précisé par une date (comme on arrache une feuille à
un calendrier) et dans des endroits que les photographies rendent présents
(en les soustrayant à la fluctuation verbale). Le récit
exclut la fiction, il fait partie de ces livres qu'on laisse battant
comme des portes et desquels on n'a pas à chercher la clef.
(voir la suite ici)
Magali Nachtergael est l'auteure de :
- "Nadja.
Images, désir et sacrifice", Revue
Postures, Université du Québec à Montréal,
n° 7, 2005, 17 p.
- une thèse : Esthétique
des mythologies individuelles : le dispositif photographique de Nadja
à Sophie Calle Université Paris-Diderot - Paris
VII, 2008, 514 p.
Une approche psy à propos de la "confrontation
avec la toute-puissance de la pensée dé-lirante" :
"Plus
de magie : la pensée de Nadja. Un aperçu analytique",
Livio Boni, Cliniques méditerranéennes, n° 85,
2012.
"Des
incipit qui ne commencent pas. Le 'je', la 'rencontre' et l'envie'
de Breton", Licia Taverna, Revue Synergies des pays riverains
de la baltique, GERFLINT (Groupe détudes et de recherches
pour le français langue internationale),
n° 11, 2017, 18 p.
Licia Taverna discerne trois aspects :
- une structure apparemment éclatée, en partie abolie
en faveur dune progression discontinue et fluctuante quant au
style, aux sujets traités...
- un genre littéraire qui est à la fois un récit
de vie, un roman, un journal, un traité philosophique, un manifeste
théorique, le récit de la faillite dun amour et
un dialogue damour...
- un dialogue intertextuel entre Nadja et le Manifeste du
Surréalisme.
Pour les amoureux de Marguerite Duras : "Dialectiques
du sujet dans Nadja d'André Breton et L'amant de
Marguerite Duras", thèse de Juliana Duarte, Texas Tech
University, 2012.
"Images
de l'Amour dans Nadja d'André Breton", Pierre Taminiaux,
Revue des lettres et de traduction, n° 13, 2008.
"Nadja,
Breton à la folie" par Frédérique Roussel,
Libération, 9 août 2019 : enfin un article reposant,
simple à lire.
Réactions après la publication et fortune de l'uvre |
Mai 1928 :
parution de Nadja.
Le
9 août 1928, le poète se plaint à Éluard quon
fait "silence à peu près complet sur Nadja".
Quel impatient !
Voici des réactions en 1928 de ceux "qui comptent" :
- Jean Cocteau déclare avoir beaucoup aimé le livre (Les
Nouvelles littéraires du 4 août).
- Drieu La Rochelle écrit lui aussi tout le bien qu'il pense de
l'uvre (Candide 9 août).
- Chronique d'Edmond Jaloux (Les Nouvelles littéraires 22
septembre) qui est presque totalement consacrée à Nadja
: il se dit surtout frappé "par le monde à demi surnaturel
où règne Nadja" qui lui rappelle celui de William Blake.
- Paul Morand y voit "la fleur" du "roman surréaliste"
(Les Nouvelles littéraires, 10 novembre)
- René Daumal (Cahiers du Sud, novembre), montre que l'aventure
avec Nadja annonce et prépare la rencontre de Breton avec celle
qui va lui révéler "le principe de subversion totale"
que constitue L'Amour.
La plupart des critiques, même s'ils ne le comprennent pas toujours
très bien ou sont hostiles aux objectifs du surréalisme,
soulignent la nouveauté et l'importance du livre :
- Gabriel Marcel (L'Europe nouvelle, 7 juillet)
- Daniel-Rops (La Voix, 1er novembre)
- Léon Pierre-Quint qui en admire tout particulièrement
la structure et le style (L'Europe nouvelle, 3 septembre).
Étapes ultérieures au bénéfice de la place
de Breton dans l'"institution" littéraire :
- 1966 : "Entretiens
de Cerisy" sur Breton
- 1967 : numéro
spécial de la NRF sur Breton
- 1968 a porté certaines idées surréalistes qui avaient
en quelque sorte imprégné "l'air du temps" qui
a renforcé l'intérêt des intellectuels pour ce que
fut le mouvement avant et après la guerre.
- 1969 : numéro de la revue Europe sur Breton
- 1970 : inscription de Nadja au programme de l'agrégation
des lettres.
(Voir le détail de "la
fortune" de Nadja sur 50 ans ICI)
Des livres centrés sur Nadja |
Étonnants,
tous ces livres, qui mettent en scène Nadja...
Jaimerai
André Breton
de Serge Filippini, Phébus, 2018 : l'héroïne du
livre venue par hasard à Saint-Cirq-Lapopie où habite Breton,
rencontre un poète qui lui offre un exemplaire de Nadja :
une relation se noue avec l'auteur...
"Elle avait gardé toute la nuit Nadja
serré entre les cuisses comme si elle avait attribué
à ce livre un pouvoir magique. Mais le petit volume à
présent lui comprimait le ventre.
Elle lavait toujours à la main quand elle sest levée
pour aller aux toilettes. Elle a pris au passage, sur la table, un Bic
noir appartenant à lauberge. Dans le cabinet, elle a ouvert
Nadja sur ses genoux à la page de titre
et écrit méticuleusement Jaimerai au-dessus du nom
de lauteur, en script du même corps. Elle a tracé
avec art toutes ses lettres afin que la mention nouvellement composée
soit bien unifiée, et que ses propres caractères paraissent
eux-mêmes sortir de limprimerie."
Passage
par Nadja, Christiane Lacôte-Destribats, éd. Galilée,
2015, reproductions de dessins et de lettres de Nadja ; l'auteure est
psychanalyste à Paris, a été membre de lÉcole
freudienne de Paris et présidente de lAssociation lacanienne
internationale ; extrait
ici ; en vidéo, débat
autour du livre organisée par l'EPHEP (École pratique
des hautes études en psychopathologies) et l'ALI (Association lacanienne
internationale), 1h35.
Nadja
et Breton : un amour juste avant la folie, Julien Bogousslavsky,
éd. L'Esprit du Temps, 2012 ; l'auteur, suisse, est professeur
de neurologie, fils d'un faux monnayeur qui s'illustra par le vol d'un
Watteau au Louvre, lui-même jugé
pour avoir détourné des millions dans son hôpital
pour acheter des livres anciens..., c'est d'un romanesque...
Léona,
héroïne du surréalisme, Hester Albach, trad.
Arlette Ounanian, Actes Sud, 2009, extrait
ici : la romancière néerlandaise lit par hasard Nadja,
lecture qui la lance dans une enquête (qui est Nadja ?), dont
cet ouvrage est à la fois le récit et le résultat.
Moins
centrés sur Nadja que les précédents, deux romans
l'évoquent :
-
Le pire, c'est la neige, Jacqueline Demornex, Sabine Weispieser,
2009
- Si
tu me quittes, je m'en vais, Yvon Le Men, Flammarion, 2009.
Le groupe de Tenerife a des souvenirs sur place... |
Trois expositions internationales du surréalisme
en 16 mois :
- En mars-avril 1935, André et Jacqueline
Breton, Paul et Nush Éluard, séjournent à Prague.
- Le mois suivant, du 4 mai au 27 mai, le couple Breton et Benjamin Péret
voyagent aux Canaries.
- Un an après, en juin-juillet 1936, Breton, Éluard et Dalí
participent à lExposition internationale du surréalisme
à Londres.
Concernant Tenerife, voyage, exposition surréaliste, conférence
(à lAteneo de Santa Cruz de Tenerife), visites, interview
(dans la revue culturelle socialiste de culture Indice), polémiques
(dans le journal catholique de Tenerife outré par l'exposition)...,
sont relatés :
- "Le
voyage d'André Breton à Tenerife", Emmanuel Guigon,
Mélanges de la Casa de Velázquez, tome 25, 1989
- "Breton
aux Canaries", Georges Sebbag, Mélusine,
n° 18, novembre 1998.
- L'amour
fou d'André Breton, qui paraît deux ans après
le voyage, centré sur Jacqueline, a des pages sur Tenerife...
Inauguration de l'Exposition surréaliste à Santa Cruz de
Tenerife : au centre, André et son épouse (d'alors...)
Jacqueline
Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme
au rejet :
|
|
à
la folie
grand ouvert
|
beaucoup
¾ ouvert
|
moyennement
à moitié
|
un
peu
ouvert ¼
|
pas
du tout
fermé !
|
Nous écrire
Accueil | Membres
| Calendrier | Nos
avis | Rencontres | Sorties
| Liens
|