Milan KUNDERA, L'insoutenable légèreté de l'être, Folio, 480 p.
Édition revue par l'auteur. Nouvelle édition en 2020 (le dessin de couverture est signé Kundera)

Quatrième de couverture
:
"Qu’est-il resté des agonisants du Cambodge ?
Une grande photo de la star américaine tenant dans ses bras un enfant jaune.
Qu’est-il resté de Tomas ?
Une inscription : Il voulait le Royaume de Dieu sur la terre.
Qu’est-il resté de Beethoven ?
Un homme morose à l’invraisemblable crinière, qui prononce d’une voix sombre : 'Es muss sein !'
Qu’est-il resté de Franz ?
Une inscription : Après un long égarement, le retour.
Et ainsi de suite, et ainsi de suite. Avant d’être oubliés, nous serons changés en kitsch. Le kitsch, c’est la station de correspondance entre l’être et l’oubli."


L'insoutenable légèreté de l'être, Folio, 2019


L'insoutenable légèreté de l'être, Folio, 1990


L'insoutenable légèreté de l'être
, coll. Blanche, 2007


Œuvre, tome I
, Pléiade, 2011

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Lu par le nouveau groupe :

Milan KUNDERA, Le livre du rire et de l'oubli, Folio, 352 p.

 

Quatrième de couverture : "Tout ce livre est un roman en forme de variations. Les différentes parties se suivent comme les différentes étapes d’un voyage qui conduit à l’intérieur d’un thème, à l’intérieur d’une pensée, à l’intérieur d’une seule et unique situation dont la compréhension se perd pour moi dans l’immensité.
C’est un roman sur Tamina et, à l’instant où Tamina sort de la scène, c’est un roman pour Tamina. Elle est le principal personnage et le principal auditeur et toutes les autres histoires sont une variation sur sa propre histoire et se rejoignent dans sa vie comme dans un miroir. C’est un roman sur le rire et sur l’oubli, sur l’oubli et sur Prague, sur Prague et sur les anges."

Milan Kundera (1929-1923)
L'insoutenable légèreté de l'être (publié en 1984)

Nous avons lu ce livre pour en juin 2024.
Le groupe avait programmé en 1986 La Valse aux adieux et L'immortalité en 1990.

Nous avons pu visionner le film L'insoutenable légèreté de l'être de Philip Kaufman (1988), avec Juliette Binoche.

Des infos autour de Kundera et du livre en bas de page : Repères biographiques Livres publiésPresse  : articles, entretiensL'histoire rocambolesque des traductions de Kundera.

Le nouveau groupe a lu Le livre du rire et de l'oubli (publié en 1979).

Nos 14 cotes d'amour ce 28 juin 2024
ClarisseFanny Jérémy Monique L
EntreetCatherine
Thomas

Entreet Brigitte
Annick L Françoise Rozenn Sabine

Entreet Claire
JacquelineRenée

Clarisse(avis transmis)
Je n'ai pas lu L'insoutenable légèreté de l'être. Je précise, je ne l'ai pas relu. C'est un acte manqué. J'ai bien acheté le livre. Je n'ai pas réussi à m'y plonger. Je ne l'ai même pas ouvert. J'ai lu ce livre lors de ma première année de classes préparatoires, je l'avais emprunté au CDI de mon lycée. J'ai tout de suite adoré, les références nietzschéennes à l'Éternel Retour, l'histoire d'amour compliquée. Bizarrement, je ne me souviens pas ou peu de l'histoire. Juste que le couple meure à la fin dans un accident de voiture… Je ne m'explique pas pourquoi ce livre m'a tant marquée. En tout cas, par la suite, j'ai lu presque tous les livres de Kundera. Et de même, je ne me souviens jamais des histoires, je ne me l'explique pas. L'insoutenable légèreté de l'être a laissé sa trace et je ne veux pas altérer mon souvenir. Alors je le lirai pendant l'été en prenant mon courage à deux mains, lorsque je sentirai le moment venir. En attendant, j'ouvre le livre en grand, pour rendre hommage à ma première lecture révélatrice.
Monique L(avis transmis)
Il est difficile de parler d'un tel roman et de ses considérations philosophiques. Tout me paraît complexe, profond et compliqué à dénouer. Beaucoup de sujets sont abordés.
La construction elle-même est particulière car ni chronologique, ni logique, en utilisant des sauts temporels et des flashbacks, ce qui crée une structure narrative complexe.
À travers les destins entrelacés des divers personnages, Kundera aborde des thèmes essentiels comme l'amour, la sexualité, la liberté individuelle, la responsabilité personnelle et l'absurdité de l'existence. Il remet en question les notions de bien et de mal, de destin et de libre arbitre, de vérité et de réalité. Cela nous invite à réfléchir sur notre propre existence, aux choix que nous faisons dans nos vies et à la manière dont ils façonnent notre existence.
Tout d'abord, j'ai eu beaucoup de mal avec le premier chapitre que j'ai dû relire plusieurs fois.
Les personnages principaux sont décrits avec une profondeur et une complexité remarquables et les conséquences de leurs choix sont bien analysées. Tous les quatre avancent en quête de vérité, se cherchent et se perdent entre pesanteur et légèreté. Tomas et Sabina symbolisent la légèreté de l'être. Franz et Teresa symbolisent la pesanteur. Ils sont fidèles. Tereza ne sait pas être légère. Au final : Tomas en finit avec ses infidélités ; Sabina réalise la vacuité de son existence ; Tereza se libère de Tomas et Franz quitte sa femme pour vivre ses rêves sexuels et ses idéaux politiques.
Ce roman est une réflexion sur la liberté individuelle et sur les forces contraires qui secouent nos existences. C'est une vision assez désabusée. La vie est un éternel tiraillement entre tout et son contraire qui se construit sur des hasards.
Même l'amour est accidentel, fortuit et fugace. Les relations entre les êtres sont basées sur des malentendus, d'où l'incompréhension qui en découle.
La politique apparaît comme une toile de fond, l'intrigue se déroulant dans les années 1960. L'auteur met en évidence les contradictions et les paradoxes du régime communiste, qui prône l'égalité mais réprime les aspirations individuelles. Il dénonce un système qui nie la diversité et l'unicité de chaque être humain. Il va jusqu'à le rapprocher du nazisme dans la mesure où leur idéologie partage le refus de l'individualité.
Kundera décrit très bien la difficulté à affirmer ses convictions à être compris et à ne pas les trahir. Toute l'aventure autour des propos sur Œdipe décrit bien le piège qui se referme sur une personne dénoncée à tort ou à raison dans un régime totalitaire. La mésaventure des soignants partis aider le Cambodge se transformant en spectacle est un récit édifiant. Le passage sur le fils de Staline est à la fois ironique et terrible. Certains passages questionnent l'actualité, comme le kitch de la Grande Marche. L'enterrement de Franz est affligeant mais tellement plausible.
Difficile de donner un avis exhaustif de cette lecture très riche où les personnages servent à la démonstration d'une vision philosophique de l'existence. Un récit captivant qui fait réfléchir longtemps après avoir tourné la dernière page. J'ouvre en entier.
Thomas(avis transmis)
Je ne pourrai malheureusement pas être des vôtres ce vendredi. En revanche, voilà mon avis écrit :
Tout comme la rencontre entre Tereza et Tomas (encore un homonyme !), ma première rencontre avec Kundera (ou plutôt son œuvre) est le fruit de pas moins de 6 hasards :
1. Le hasard que je me sois trouvé dans ce train-là, ce jour-là, pour un trajet que j'ai oublié mais qui n'était sûrement pas habituel ;
2. Le hasard (mais en est-ce vraiment un en train ?) qui a voulu que nous nous croyions arrivés à destination alors que nous étions arrêtés en pleine voie ;
3. Le hasard qui a fait que, coincé entre les autres voyageurs fourvoyés s'étant levés, je me sois retrouvé à côté de cette prévoyante lectrice de Kundera, encore assise, elle ;
4. Le hasard que celle-ci ait tout juste terminé un recueil (Risibles Amours ?) du grand Milan et l'ait posé sur sa tablette, 4e de couverture bien en évidence ;
5. Le hasard qui a porté mes yeux sur cette échappatoire provisoire à mon ennui ;
6. Le hasard enfin, que cette lectrice, se rendant compte de ma curiosité - et peut-être pour alléger ses valises - se décide à m'offrir son livre.
Et, comme entre Tereza et Tomas, cela a plutôt commencé d'un bon pied ! Je n'en attendais pas grand-chose, étant à l'époque un peu trop réfractaire à tout ce qui pouvait s'apparenter à de la philosophie, mais j'ai assez vite accroché au style léger de Kundera. Par ailleurs, si j'avais parfois la désagréable impression de ne pas saisir toutes ses métaphores, je trouvais que ça n'en faisait pas moins un bon support de réflexion !
Puis, il y a quelques années j'ai voulu m'y replonger, avec La lenteur. Là encore, le style aérien de sa prose m'a plu. En revanche, j'avais été très déçu du fond, où, malgré quelques fulgurances, j'avais surtout l'impression de lire une suite de fantasmes érotiques sans intérêt, et où il y aurait eu beaucoup à redire sur comment les personnages féminins étaient considérés...
Dans L'insoutenable légèreté de l'être, j'ai retrouvé ces deux aspects, avec d'une part une écriture aussi simple qu'enthousiasmante, drôle, qui nous ne cesse de nous emmener là où on ne l'attend pas forcément, sans pour autant négliger, au moins par moments, une réelle réflexion de fond. (Même si j'ai parfois eu l'impression que Kundera jouait davantage avec les mots qu'avec les idées... mais peut-être est-ce juste mon manque de discernement !). De l'autre côté, plusieurs passages sous la ceinture m'ont ennuyé. Et que dire de la place donnée à la pauvre Tereza, dont la fidélité, totalement unilatérale, serait la pierre de voûte du couple qu'elle forme avec Tomas ?
Heureusement, si cela m'a dérangé à plusieurs reprises, le positif l'emporte quand même sur le négatif, et j'ai globalement passé un bon moment. J'ouvre donc aux ¾ !
Sabine(avis transmis)
J'ai replongé dans l'univers de Kundera avec nostalgie et étonnement : cela me semble si loin : 40 ans...
Je me permets un petit historique sur ma rencontre littéraire avec Kundera : mes parents ont son premier roman La Plaisanterie dans la bibliothèque. Mon oncle adoré (substitut d'un grand-père disparu) prend le livre et me dit : "Tiens, mon petit chou, voici un grand livre que tu dois lire !". J'ai 16 ans, c'est un choc. Je vais avaler les quatre livres qui suivent. Puis c'est l'entrée à Paris XII et l'année de la maîtrise, en 1984, Kundera vient de publier L'Insoutenable légèreté de l'être. Je décide de travailler sur son œuvre, soit six romans. C'est le prof de "littérature comparée" qui doit encadrer mon travail et là... surprise ! C'est André Lorant, prof hongrois, qui a facilité l'entrée de Kundera en France, et... ma participation au séminaire de Kundera à l'EHESS : j'assisterai donc durant un an et demi à ce drôle de séminaire, rue de la Tour. Une belle rencontre donc.
Pour autant, je pense que vous avez choisi sans doute son roman le moins bon. Il marque un vrai virage dans son parcours : il théorise beaucoup sur l'art du roman qu'il compare volontiers aux compositions musicales (il a une formation musicale), avec l'art du contrepoint notamment. Ses grands thèmes se confirment mais qu'il souligne au travers d'un narrateur très stendhalien : c'est tout d'abord les images du cercle et du rang omniprésentes, la détestation du kitsch et du lyrisme, les thèmes du vertige et de la frontière (pour un émigré, c'est un peu normal !), et, bien sûr, le paradoxe de "l'insoutenable légèreté de l'être", où la valeur épithétique de l'adjectif antéposé (je vois d'ici Claire qui lève les yeux au ciel...) est bien différente de la valeur attributive : "L'insoutenable ne s'inscrit pas comme une qualité existentielle de la légèreté (c'est-à-dire comme une qualité qui s'inscrit dans le temps), mais bien comme une qualité inhérente et constante de cette légèreté, d'où le paradoxe" (Sabine dans son texte !). Très honnêtement, il m'a été un peu pénible de relire mon livre souligné, surligné de toutes parts. Son roman "flirte" avec la philosophie, la critique littéraire, un peu à la manière de Diderot, dont il admire Jacques le fataliste (à cet égard, son adaptation théâtrale, Jacques et son maître, est remarquable). Mais ce roman m'a moins convaincue, tout comme les suivants. Évidemment, sa mort l'été dernier m'a beaucoup peinée. Il méritait le Prix Nobel de littérature.
Paris, le 1er décembre 1985
Chère Sabine Adler,
pardonnez-moi mon impardonnable lenteur ! Mais j'ai vécu un très mauvais été, et je ne pouvais rien lire. Donc, c'est aujourd'hui que j'ai lu. Votre texte me paraît tout à fait remarquable, conçu d'une façon très originale, et plein d'observations qui même pour moi sont tout à fait nouvelles. Et tout est marqué par une intelligence toujours vigile.
Je vous envoie l'invitation à la projection de la Plaisanterie organisée par la lettre internationale.
Et je vous envoie la vraie Plaisanterie !
Amicalement à vous
Milan Kundera

(À la découverte de la lettre, cris et pâmoisons... Puis l'on se reprend pour commenter, en s'en gargarisant, la "valeur épithétique de l'adjectif antéposé" mise en avant par Sabine...)
Renée(avis transmis)
Le titre est magnifique, quelques belles phrases dans ces 550 pages, mais quel ennui !
J'avais eu la même réaction lors d'une première lecture il y a 40 ans. Bonne élève, j'ai relu en entier : même accablement.
Les amours multiples de Tomas, de Sabina, de Tereza, je m'en tamponne le coquillard avec un os de langouste.
Livre ouvert au ¼ pour de courts passages sur son pays.
Françoise (avis très très concis)
Encore un qui m'est tombé des mains.
Fanny(avis transmis)
J'avais lu il y a bien longtemps La fête de l'insignifiance et je garde le souvenir d'une lecture agréable.
Je suis entrée très vite dans L'insoutenable légèreté de l'être. J'aime cette lecture qui est fluide et profonde à la fois, signe que l'on peut aborder des sujets à la fois politiques, sociétaux et philosophiques avec une écriture accessible.
Pour moi, il s'agit à la fois d'un roman et d'un essai. J'ai aimé la construction des différentes parties, comme une pyramide qui finit par cheminer.
Le côté romanesque, dans lequel s'imbriquent parfois de manière indifférenciée le rêve et le réel, donne un premier niveau de lecture plaisant : je l'ai lu un peu comme une balade parsemée d'escales et de surprises.
J'ai aimé le personnage de Karénine, support à la réflexion sur l'humanité et en même temps très poétique.
Je serais également curieuse d'assister à un débat philosophique sur certaines questions notamment :
- la notion de kitsch
- la coquetterie (chapitre 8 p. 213)
- la mémoire poétique (p. 309)
- le rapport au regard (chapitre 23 p. 404)
- la différence entre l'horreur et la tristesse (p. 454)
- l'amour.
Par ailleurs, le rapport au corps et à l'intimité abordé à travers le personnage de Tereza m'a beaucoup touchée.
J'ouvre en grand.
Claire, entreet (avis en direct comme ceux qui suivent)
J'ai trouvé Monique très convaincante, présentant la richesse de ce livre...
J'ai aimé Kundera, j'ai lu ses livres quand ils sortaient, avec le bonheur de suivre la littérature en train de se faire, et y compris L'art du roman. Avec le groupe, j'ai lu L'immortalité. J'ai saisi nos avis d'alors et cela m'a amusée de voir que Sabine trouvait déjà qu'on avait choisi un titre "loin d'être son meilleur livre"...
Quand Jérémy a proposé Kundera, je n'étais pas emballée, mais bon. C'est comme si on proposait de lire Michel Tournier - ah non, pitié ! -, que j'ai beaucoup aimé, et d'ailleurs ce n'est pas sans ressemblance avec Kundera. J'ai aimé, justement, l'originalité de ce "genre" où le romanesque est mêlé à des réflexions, distanciées, et, en plus, avec le narrateur à la Jacques le Fataliste.
Mais aujourd'hui, pour moi, c'est comme retrouver un ancien amour important plus de 20 ans après : on sait que l'amour et le désir étaient forts, mais plus rien de tout ça n'existe, c'est froid.
Assez vite, j'ai été partagée entre l'impression d'une harlequinade germanopratine et une impression d'artifice : je gardais en mémoire l'expression d'egos expérimentaux (qui me plaît beaucoup et que représentent les personnages que Kundera utilise dans ses récits), clé que j'avais trouvée vraiment intéressante et qui, là, a renvoyé concrètement à de l'artifice.
J'ai ressenti de la déception, aussi bien dans le récit que dans les réflexions que j'ai trouvées parfois blablateuses ; un exemple avec deux parenthèses affectées :

"C’était donc non pas le désir de volupté (la volupté venait pour ainsi dire en prime) mais le désir de s’emparer du monde (d’ouvrir au scalpel le corps gisant du monde) qui le jetait à la poursuite des femmes." (p. 296)

Je me suis souvenue que le kitsch m'avait intéressée et j'ai cherché en quoi en lisant les passages... En revanche, j'ai sursauté avec les interrogations sur ce qui unit des émigrés de même nationalité :

"pourquoi devrait-elle fréquenter des Tchèques ? Qu’avait-elle en commun avec eux ? un paysage ? (...)
Ou bien la culture ? Mais qu’est-ce que c’est ? La musique ? Dvorak et Janacek ? Oui. Mais si un Tchèque n’aime pas la musique ? D’un seul coup, l’identité tchèque n’est que du vent.
Ou bien les grands hommes ? Jean Hus ? Ces gens-là n’avaient jamais lu une ligne de ses livres.
" (p. 148)

Ce qui m'a le plus plu, ce sont la situation de laveur de carreaux, le chien Karénine et les temps où le narrateur apparaît ; par exemple, ici, on est avec Tomas :

"Il est à la fenêtre et regarde dans la cour le mur de l’immeuble d’en face.
Il est né de cette image. Comme je l’ai déjà dit, les personnages ne naissent pas d’un corps maternel comme naissent les êtres vivants, mais d’une situation, d’une phrase, d’une métaphore (...)
Les personnages de mon roman sont mes propres possibilités qui ne se sont pas réalisées. C’est ce qui fait que je les aime tous et que tous m’effraient pareillement. Ils ont, les uns et les autres, franchi une frontière que je n’ai fait que contourner. C’est cette frontière franchie (la frontière au-delà de laquelle finit mon moi) qui m’attire. Et c’est de l’autre côté seulement que commence le mystère qu’interroge le roman. Le roman n’est pas une confession de l’auteur, mais une exploration de ce qu’est la vie humaine dans le piège qu’est devenu le monde. Mais il suffit. Revenons à Tomas.
Il est à la fenêtre
et regarde dans la cour le mur sale de l’immeuble d’en face.
" (p. 328)

Ces moments de passage (en route) sont remarquables et m'apportent une sorte de jubilation.
J'ouvre entre ¼ et ½, avec déception presque attendue.
Pour ce qui est du film, à la différence du livre, il n'y a ni mélange récit/essai ni narrateur. Mais je l'ai trouvé captivant, le contexte politique ayant une présence plus poignante. Les acteurs sont des merveilles, chien et porcelet compris.
Jacqueline
Je me suis sentie idiote avec l'impression d'un humour qui m'échappe. Tant de gens aiment ce livre et moi je n'arrive pas à y entrer ! Quand il est sorti, une amie proche l'adorait. Pourtant, alors, ça ne m'avait guère emballée : j'avais du mal à m'intéresser aux personnages et je me souviens du kitsch que je ne comprenais pas bien. Tout cela me rendait curieuse de le relire et de comprendre.
Je reste cependant toujours dehors ! La position du narrateur m'agace. Pourquoi la référence à Nietzsche ? Pourquoi ces réflexions pseudo-philosophiques qui me rappellent les livres de développement personnel au rayon librairie de Monoprix... Pourquoi faire naître Tereza d'un borborygme ? Peut-être pour faire du neuf avec l'avertissement ordinaire "toute ressemblance..." Mais est-il nécessaire de casser tout bovarysme? Bien auparavant, j'avais lu La Plaisanterie qui, à sa parution, m'avait beaucoup intéressée et j'ai gardé le souvenir de grandes discussions autour du sérieux à lui accorder... Je le relirais bien... Mais j'aimerais aussi lire La pesanteur et la grâce, titre auquel celui-ci m'a fait penser sans compter mon intérêt pour la vie de Simone Weil. Celui-là , je voudrais bien savoir ce que vous y trouvez. J'ouvre au quart.
Catherine, entreet
Je n'avais jamais lu Kundera. J'ai complètement marché, je me suis laissé happer par le livre. J'ai trouvé la lecture assez fluide. J'ai aimé la construction, notamment le mélange roman/essai, le passage d'un personnage à l'autre, les retours en arrière… J'ai aimé le titre, même s'il est très connu, le dessin du chien Karénine. J'ai aimé les titres des chapitres, le chapitre sur le lexique des mots incompris.
Les personnages ne sont pas forcément très attachants mais je me suis intéressée à l'histoire de ces deux couples qui s'entrecroisent. J'ai aimé le personnage de Sabina, un peu moins celui de Tereza, trop faible, trop dépendante. Les rapports entre l'amour, la jalousie, la dépendance, le rôle du hasard dans les rencontres, la difficulté de communication au sein d'un couple (d'où le lexique des mots incompris) sont très bien analysés.
Outre le romanesque, il y a cet arrière-plan historique qui est ce qui m'a le plus intéressée - j'avais 10 ans quand la Tchécoslovaquie a été envahie, j'en ai gardé un souvenir assez flou, surtout des images de chars dans les rues. Dans le roman de Kundera, on vit avec les personnages l'arrivée de la dictature, les répercussions sur la vie quotidienne, la question de la résistance, les compromissions de certains, l'impact sur la vie de Tomas d'un article, écrit presque par hasard sur Œdipe, responsable, indépendamment de sa volonté, d'une tragédie et qui en assume les conséquences. Cet article lui fait perdre son statut, son métier. J'ai beaucoup aimé de ce qu'il dit à cette occasion sur l'impression de liberté qu'il ressent au début en devenant laveur de carreaux. Son métier était une mission, avec le fardeau qui va avec et il en est libéré. Ça m'a paru très juste.
Il y a toutes les réflexions philosophiques, mêlées à l'histoire, la légèreté de la vie puisqu'elle est unique, l'engagement avec le chapitre sur la grande marche, le kitsch qui, pour moi, se limitait aux nains de jardin. Au passage, le livre est d'ailleurs parfois un peu kitsch aussi, un peu lyrique par moments.
Mais j'ai beaucoup aimé la richesse, la construction, l'originalité. J'ouvre entre ¾ et grand ouvert.
J'en ai commencé un autre, je suis aux deux tiers du Livre du rire et de l'oubli où j'ai vu un peu plus les ficelles. Mais lire ce livre m'a donné envie d'en lire d'autres. Merci Jérémy !
Brigitte, entreet (qui a été mordue par un chien et hospitalisée, mais qui est bien là à l'écran)
Étant donné ce qui m'est arrivé, je pensais ne pas parvenir au bout de cette lecture, mais finalement miracle, je l'ai terminée…
Quand le livre est sorti, avec ce titre magnifique, j'ai voulu le lire, mais je n'y suis pas arrivée… Dès le début, je n'y comprenais rien. Alors, pourquoi programmer un livre aussi ennuyeux ?

J'avais découvert Kundera avec La plaisanterie, que j'avais beaucoup aimé. La valse aux adieux fut le premier livre que j'ai lu quand je suis arrivée dans le groupe en 1986, il m'avait plu.
Là, il s'agit de lire vraiment L'insoutenable légèreté de l'être, j'ai commencé à reculons. Finalement, je l'ai trouvé beaucoup plus intéressant que mon impression d'il y a 40 ans.
La lecture de ce livre est particulièrement laborieuse. L'auteur intercale un roman dans un essai pour incarner ses idées. C'est un beau projet, mais il est malaisé d'y intéresser le lecteur.
J'ai beaucoup aimé les dialogues, où l'un dit un mot, l'autre le reçoit comme une mise en cause (surtout quand il s'agit de Tereza ou de Franz), et répond sans répondre. Kundera décrit magistralement cette succession de malentendus et d'incompréhension entre ses personnages, qui n'ont pas toujours des intentions agressives, mais qui sont très sensibles aux positions de pouvoir ou de trahison.
L'origine du conflit avec le régime politique est anodine, comme le sont les quelques mots écrits sur une carte postale dans La plaisanterie. Ici, il s'agit d'un article à peine lu par l'éditeur, publié presque par hasard, où Tomas explique qu'Œdipe est responsable de la mort de Laïos, son père, et d'inceste avec sa mère, Jocaste, sans l'être vraiment ; en effet, il n'avait pas reconnu ses propres parents qui l'avaient abandonné à la naissance. Tomas est alors prié de renier cet écrit ou de quitter sa profession de chirurgien. Cet épisode montre que le gouvernement a besoin de médecins obéissants plus que de médecins compétents.
C'est la vie quotidienne dans ces pays totalitaires qui m'intéresse, ces témoignages. Comment peut-on vivre sous un tel régime ? Comment choisir ses études et sa vie professionnelle ? Quelle part de spontanéité reste-t-il dans la vie des citoyens ? Il leur est impossible de parler sincèrement à leurs enfants : comme le montre le cas de cette fillette russe qui fait à l'école un dessin au sujet de l'Ukraine, le résultat est que son père a été mis en prison pour 10 ans.
C'est un livre qui m'intéresse, mais qui est fatigant. En lisant un roman, j'aime bien partir à l'aventure avec les personnages et, là, l'auteur impose à son lecteur de réfléchir à ceci, puis à cela. Il faut s'adapter à chaque registre d'écriture, passer de l'un à l'autre. Kundera est un virtuose du roman, mais il ne veut pas s'en tenir là. Il nous oblige à le suivre dans des réflexions beaucoup plus étendues.
J'ouvre entre ½ et ¾.
Annick L
J'ai découvert Kundera quand j'étais étudiante et j'ai lu plusieurs de ses livres. Mon souvenir est celui d'une grande découverte. Il était de plus auréolé de son statut de réfugié.
Je me suis plongée dans la relecture - mais peut-on parler de relecture car j'avais tout oublié ! Et cela m'a un peu ennuyée. Certes j'ai bien aimé la forme mixte de ce récit tissé de réflexions philosophiques autour du destin de quatre personnages dont l'existence est retracée par fragments. Mais j'avais la tête occupée par l'actualité et ces histoires de rencontres amoureuses, de séduction et de désir jamais assouvi m'ont laissée de marbre. Sans doute qu'à l'époque cette liberté de propos sur la sexualité m'avait paru vraiment novatrice.
Les personnages eux-mêmes ne sont pas attachants, ils me semblent fabriqués, en particulier les deux personnages féminins : d'un côté Tereza qui subit son attachement passionnel et malheureux pour Tomas, de l'autre Sabina, une artiste, très libre dans ses choix de vie, au prix d'une grande solitude.
Mais, à partir du moment où le récit nous ramène en Tchécoslovaquie, sous la botte du communisme, j'ai été beaucoup plus intéressée. Ce tableau d'une société victime d'un pouvoir répressif et sous surveillance généralisée est très crédible. On sent le vécu, l'authenticité. Et les questions que se posent les personnages sont fortes : il y a ceux qui résistent, ceux qui s'adaptent, ceux qui collaborent…J'ai été d'ailleurs très touchée par l'évolution de Tomas, ce médecin reconnu devenu laveur de carreaux, qui cherche à trouver un sens à cette situation absurde. J'ouvre donc à moitié.
Rozenn(à l'écran)
Je ne savais pas ce que j'allais dire avant de venir. Je suis très ambivalente. Moi aussi, je suis en ce moment complètement ailleurs.
Dans le détail, j'aime :
- le personnage de Tereza (transfuge) et son rapport à sa mère et à ses origines
- certaines situations
- certaines formulations acérées comme au ch. 2 : "En peu de temps, il réussit donc à se débarrasser d’une épouse, d’un fils, d’une mère et d’un père" ; ou plus profondes : "Est-on innocent parce qu’on ne sait pas ?".
- les interventions du narrateur : "la soudaineté de sa décision me surprend. Ne cache-t-elle pas quelque chose de plus profond" ?
Mais la construction me paraît trop complexe, le tout manque de fluidité. Il insère dans le roman des thèmes, comme le kitsch, qui me paraissent trop plaqués, trop forcés et pas toujours clairs même si j'aime encore une formule : "le véritable adversaire du kitsch totalitaire, c’est l’homme qui interroge. La question est comme le couteau qui déchire la toile peinte du décor pour qu’on puisse voir ce qui se cache derrière" - ce qui résonne avec les toiles déchirées. Bon. Bon.
C'est ce qu'il revendique dans L'art du roman, mais pour moi, ça manque de fluidité, n'est-ce pas trop ambitieux ? Ça me gâche le plaisir de lecture, comme si j'étais trop guidée.
Ses grandes références sont Jacques le Fataliste, Don Quichotte, Vie et opinions de Tristram Shandy… et même Les Démons - tout ce que j'aime…
Les passages sur la dictature sont très forts ; il dit qu'il ne veut pas faire de témoignage.
Quand je repense à des moments de lecture, j'ai été séduite. Sans doute faudrait-il que je le relise à un autre moment. Il m'avait plu autrefois. J'ai ouvert à moitié, mais j'ai sans doute été trop sévère, frustrée, agacée.
Jérémy (étant donné la ferveur de Jérémy et son désir de nous faire goûter la prose de Kundera par de nombreuses citations, exceptionnellement, la longueur de son avis ne sera pas censurée...)
Avant la lecture : C'est un livre que j'ai découvert quand j'étais en prépa, je me revois le lire à Toulouse, au Jardin des Plantes.
Je l'ai relu plusieurs fois depuis, j'ai dû le lire 4 fois en tout, dont la dernière fois à voix haute avec mon copain. C'est un livre qui me suit, qui m'habite, auquel je reviens et me réfère sans cesse, comme une sorte de manuel. Et je crois que si je l'aime tant c'est justement parce que pour moi ce livre c'est un peu "La Vie mode d'emploi".
Je suis donc content d'avoir réussi à le faire inscrire au programme pour entendre ce que vous avez à en dire.
J'ai lu pas mal d'autres livres de Kundera, que j'ai presque tous aimés, à l'exception peut-être du dernier en français, La Fête de l'insignifiance.
C'est un auteur qui fait partie de mon panthéon personnel, avec Amos Oz, Vargas Llosa et Céline peut-être, et c'est le seul auteur avec lequel je me sente une telle communauté d'esprit, une telle osmose. Un peu comme Flaubert disait "Emma Bovary, c'est moi", je crois que je pourrais dire "Milan Kundera, c'est moi."
Je l'aime tellement qu'à l'occasion du mariage d'une amie l'été dernier je lui en ai recopié un passage, avec la rencontre de Marius et Cosette dans Les Misérables, la rencontre de Vronski et Anna dans Anna Karénine. La fin du passage en question :

"Tomas se disait : coucher avec une femme et dormir avec elle, voilà deux passions non seulement différentes mais presque contradictoires. L'amour ne se manifeste pas par le désir de faire l'amour (ce désir s'applique à une innombrable multitude de femmes) mais par le désir du sommeil partagé (ce désir-là ne concerne qu'une seule femme)."

Après la lecture : Je ne l'ai pas relu car j'avais fini de le relire en décembre mais je l'ai reparcouru.
Si j'aime tant ce livre c'est, sur la forme, pour son style, que je trouve d'une grande élégance, ciselé, des phrases courtes, sobres, efficaces, d'une grande économie, sans effusion ni effets de manche mais qui arrive à dire des choses très belles et très profondes de manière simple et très accessible
Sur le fond, les thèmes développés, à mon sens sont universels et pourtant extrêmement simples, très concrets et terre à terre d'une certaine manière et pourtant abyssaux, et les clés de lecture sont, si ce n'est infinies, en tout cas multiples et très riches :
- La vie :

"l'homme ne peut jamais savoir ce qu'il faut vouloir car il n'a qu'une seule vie et il ne peut ni la comparer à des vies antérieures ni la rectifier dans des vies ultérieures. […] Il n'existe aucun moyen de vérifier quelle décision est la bonne car il n'existe aucune comparaison. Tout est vécu tout de suite pour la première fois et sans préparation. […] Mais que peut valoir la vie, si la première répétition de la vie est déjà la vie même ? C'est ce qui fait que la vie ressemble toujours à une esquisse. Mais même "esquisse" n'est pas le mot juste, car une esquisse est toujours l'ébauche de quelque chose, la préparation d'un tableau, tandis que l'esquisse de notre vie est une esquisse de rien, une ébauche sans tableau Tomas se répète le proverbe allemand : einmal ist keinmal, une fois ne compte pas, une fois c'est jamais. Ne pouvoir vivre qu'une vie, c'est comme ne pas vivre du tout." (p. 17)

Cela semble être une lapalissade, et pourtant c'est également extrêmement profond.
- L'amour :

"Tant que les gens sont encore plus ou moins jeunes et que la partition musicale de leur vie n'en est qu'à ses premières mesures, ils peuvent la composer ensemble et échanger des motifs (comme Tomas et Sabina ont échangé le motif du chapeau melon), mais, quand ils se rencontrent à un âge plus mûr, leur partition musicale est plus ou moins achevée, et chaque mot, chaque objet signifie quelque chose d'autre dans la partition de chacun." (p. 135)

- Le sexe :

"Tomas est obsédé du désir de découvrir ce millionième et de s'en emparer et c'est cela, à ses yeux, le sens de son obsession des femmes. […] On est évidemment en droit de se demander pourquoi il n'allait chercher que dans la sexualité ce millionième de dissemblable. Ne pouvait-il le trouver, par exemple, dans leur démarche, dans leurs goûts culinaires ou dans leurs préférences esthétiques ? Bien entendu, ce millionième de dissemblable est présent dans tous les domaines de la vie humaine, seulement il y est partout publiquement dévoilé, on n'a pas besoin de le découvrir, on n'a pas besoin de scalpel. […] C'est seulement dans la sexualité que le millionième de dissemblable apparaît comme une chose précieuse, car il n'est pas accessible publiquement et il faut le conquérir. […] C'était donc non pas le désir de volupté (la volupté venait pour ainsi dire en prime), mais le désir de s'emparer du monde (d'ouvrir au scalpel le corps gisant du monde) qui le jetait à la poursuite des femmes." (p. 295)

- La jalousie :

"Il n'était rien de plus facile que d'imaginer Tereza et ce jeune collègue amants. C'était même cette facilité avec laquelle il pouvait les imaginer qui le blessait ! Le corps de Tereza était parfaitement pensable dans l'étreinte amoureuse avec n'importe quel corps mâle, et cette nuit le mit de mauvaise humeur. Tard dans la nuit, quand ils furent de retour, il lui avoua qu'il était jaloux. Cette absurde jalousie, née d'une possibilité, était la preuve qu'il tenait sa fidélité pour une condition sine qua non. Mais alors, comment pouvait-il lui en vouloir d'être jalouse de ses maîtresses tout à fait réelles ?" (p. 31)

- Le rapport aux animaux :

"La vraie bonté de l'homme ne peut se manifester en toute pureté en toute pureté et en tout liberté qu'à l'égard de ceux qui ne représentent aucune force. Le véritable test moral de l'humanité […], ce sont les relations avec ceux qui sont à sa merci : les animaux. Et c'est ici que s'est produite la faillite fondamentale de l'homme, si fondamentale que toutes les autres en découlent." (p. 431)

- Public/privé :

"Pour Sabina, vivre dans la vérité, ne mentir ni à soi-même ni aux autres, ce n'est possible qu'à la condition de vivre sans public. Dès lors qu'il y a un témoin à nos actes, nous nous adaptons bon gré mal gré aux yeux qui nous observent, et plus rien de ce que nous faisons n'est vrai. Avoir un public, penser à un public, c'est vivre dans le mensonge. Sabina méprise la littérature où l'auteur révèle toute son intimité, et aussi celle de ses amis. Qui perd son intimité a tout perdu. Et celui qui y renonce de plein gré est un monstre. Aussi Sabina ne souffre-t-elle pas d'avoir à cacher son amour. Au contraire, c'est le seul moyen pour elle de vivre 'dans la vérité'.
Franz, quant à lui, est certain que dans la séparation de la vie en domaine privé et domaine public se trouve la source de tout mensonge : on est un autre en privé et un autre en public. Pour Franz, 'vivre dans la vérité', c'est abolir la barrière entre le privé et le public.
"
"Le camp de concentration, c'est un monde où l'on vit perpétuellement les uns sur les autres, jour et nuit. Les cruautés et les violences ne sont qu'un aspect secondaire (et nullement nécessaire). Le camp de concentration, c'est l'entière liquidation de la vie privée." (p. 204)

- Le bruit :

"Elle pensait alors que l'univers communiste était le seul où régnait cette barbarie de la musique. À l'étranger, elle constate que la transformation de la musique en bruit est un processus planétaire qui fait entrer l'humanité dans la phase historique de la laideur totale. Le caractère total de la laideur s'est d'abord manifesté par l'omniprésente laideur acoustique : les voitures, les motos, les guitares électriques, les marteaux piqueurs, les haut-parleurs, les sirènes. L'omniprésence de la laideur visuelle ne tardera pas à suivre." (p. 142)

- La pesanteur/la légèreté :

"Le drame d'une vie peut toujours être exprimé par la métaphore de la pesanteur. On dit qu'un fardeau nous est tombé sur les épaules. On porte ce fardeau, on le supporte ou on ne le supporte pas, on lutte avec lui, on perd ou on gagne. Mais au juste, qu'était-il arrivé à Sabina ? Rien. Elle avait quitté un homme parce qu'elle voulait le quitter. L'avait-il poursuivie après cela ? Avait-il cherché à se venger ? Non. Son drame n'était pas le drame de la pesanteur, mais de la légèreté. Ce qui s'était abattu sur elle, ce n'était pas un fardeau, mais l'insoutenable légèreté de l'être." (p. 184)

- Et bien sûr la vie sous un régime communiste/dictatorial !
Kundera ne juge pas ses personnages, il n'est pas en surplomb, il les accepte et il les aime avec leurs faiblesses.
J'ouvre donc ce livre en très grand, c'est pour moi un livre essentiel, qui m'irrigue, qui est une source inépuisable de réflexion et que je n'en finis pas de (re)lire.


Les cotes d'amour du nouveau groupe
réuni le
17 mai 2024
pour Le livre du rire et de l'oubli
Le groupe avait lu Risibles amours en 2018
AnneDavid LahcenMonique M
Nathalie B
Entreet Audrey
Anne-Marie

Audrey entre    et     
Je l'ai lu il y a 3 ou 4 mois, je ne me souviens pas très bien. On dirait que l'auteur partage avec nous ses réflexions au fur et à mesure, avec des conclusions un peu péremptoires par moment. On voit l'urgence de se réapproprier les traces de son passé. Tamina veut retrouver ses carnets. On sent bien la douleur de l'exil, le régime qui détruit des vies jusque dans l'intimité. L'auteur est très présent et s'adresse à nous.
David
Je l'ai lu il y a peu de temps et pourtant j'en ai déjà oublié une partie. J'ai ri aussi, ou plutôt souri, le personnage est caustique. C'est un homme intéressant qui vit dans son époque, mais est très lucide. On sent l'ombre du communisme et une forme d'acceptation pour s'en échapper. Ce n'est pas si étouffant, ce n'est pas un goulag, c'est un monde dans lequel on se débrouille avec l'humour et l'ironie, avec l'amour et l'érotisme parfois. Il y a aussi un peu de pédagogie et du péremptoire aussi. Il est parfois un peu trop démonstratif. Les deux. Rires du diable et de l'ange : très bien. Le diable finalement est le plus fort, l'ange est le gardien de l'ordre ou de l'idéal, de la moralité. Personne ne nous interroge mieux que la police. L'intérêt de l'amour a pour négatif la police. C'est un système de survie dans ce pays : pour survivre, on drague ou on écrit. L'amour et la culture, finalement, sont deux bons moyens d'échapper à la dictature. Kundera parle d'ailleurs de graphomanie, chacun, sourd aux autres, s'écoutant écrire. Il a un rapport à son père très touchant. Kundera, dans ses dernières années, a été touché par l'oubli (Alzheimer ?). Je fais un parallèle avec Les variations de Beethoven : ce livre est un livre de variations, qui offre de nombreuses directions.
Anne
Je veux revenir sur deux choses : ce pays n'est pas un goulag, mais c'est l'effacement d'un peuple, c'est un témoignage de toutes les disparitions, d'un peuple et d'une civilisation. Lors de l'émission sur lui chez Pivot, Kundera n'apparaît pas blessant ou prétentieux, qui aurait peur du monde, non, je sens un homme humble qui parle de son livre avec simplicité, il m'a énormément plu dans cet entretien. Dans ce livre, je me suis un peu perdue, mais ce n'était pas du tout désagréable, je m'y retrouvais. Il y a trois nouvelles ou histoires dans ce livre, et beaucoup d'idées, des choses intéressantes, c'est foisonnant. L'histoire de la Bohême, de Prague, bien racontée. Il y a de la poésie, un côté surréaliste (Tamina et les enfants). La sexualité est abordée, mais pas trop, les individus se rencontrent dans l'érotisme, ils en tirent quelque chose, c'est bien inséré dans le livre. La première nouvelle est un thriller, le héros est poursuivi par la police. Il touche juste sur le plan social. On sent un fil entre ces histoires, mais c'est un texte sur la mémoire, et cette idée du rire qui revient beaucoup, les milieux mondains, à la fin, "à côté de la plaque" c'est très drôle, même dans les scènes dites érotiques.
Lahcen        
Le massacre de la culture par les Russes est tragique. J'ai beaucoup apprécié le thème de l'oubli qui fait mal. Il y a des touches de légèreté malgré la tristesse. Et des rires qui dédramatisent. C'est un livre très dense, et plein de passages qui sonnent réels. Il faut le lire et le relire.
Nathalie   
Je pensais ne pas avoir lu ce livre de Kundera alors que j'en avais lu beaucoup d'autres (La plaisanterie, La valse aux adieux, La vie est ailleurs, L'insoutenable légèreté de l'être…). En réalité, je l'avais lu et… oublié. Et en le réalisant, je me suis aperçue que ce livre m'avait imprégnée et que j'avais intégré à ma philosophie nombre de ses réflexions. Je pense même qu'il m'a protégée. Il m'a aidé à me défendre en politique, à savoir garder un regard distancié et critique, à ne jamais être "une croyante" aveugle. Kundera décortique bien les réactions humaines, notamment en cas de difficultés. L'auteur décrit bien l'incommunicabilité dans les rapports amoureux. Nancy Huston le qualifie de misogyne ou "gynophobe" (terme utilisé par Kundera lui-même), ce qui n'est pas faux, mais pas au sens où elle l'entend, me semble-t-il. Kundera donne lui-même sa propre définition, si c'est bien lui qui se cache derrière un de ses poètes : "le misogyne donne toujours la préférence à la femme sur la féminité" (p. 217) car il n'aime pas la féminité au sens des valeurs féminines traditionnelles (dans les années 70) comme "sentiment, foyer, maternité, fécondité" (p. 216) qui lui font peur. Personnellement j'aime bien ce misogyne-là. Ces valeurs ont longtemps été assignées à la femme dans notre société et le sont encore dans bien des milieux et bien des pays, ce qui est quand même très enfermant ! Kundera nous invite toujours à la rébellion, notamment quand lui-même prononce des phrases définitives comme si c'étaient des vérités absolues. Ce livre sur le rire et l'oubli mérite d'être lu et relu, d'autant qu'on l'oublie facilement, peut-être parce qu''il ne semble pas y avoir de ligne directrice. Cela ne facilite pas notre mémoire. J'ouvre aux ¾ par ce que ce n'est pas mon Kundera préféré, même si je trouve l'idée de mêler fiction et essai intéressante.

Jean-Paul
Je n'ai lu que 30 pages, et je ne suis pas entré dedans, mais après tout ce que j'ai entendu ici, je vais peut-être le lire.
Anne-Marie 
J'ai lu la moitié de ce livre récemment, et pourtant je l'ai déjà oublié, j'arrive à me souvenir de quelques éléments en vous entendant, mais ce livre s'efface ! Je n'ai pas aimé les personnages, qui m'ont profondément agacée, le ton aussi, hésitant entre le cynisme et la tristesse. Je n'ai pas eu envie de rire, ou alors de manière grinçante. Quelques observations pertinentes ici où là, et des passages poétiques aussi. Seul m'a intéressée l'étouffement politique bien décrit. C'est tout ce que j'en ai retenu, je ne suis pas entrée dans cet auteur (déjà j'avais abandonné L'insoutenable légèreté de l'être…), donc je ferme.
Monique M  (avis transmis)                      
Le viol de la nation tchécoslovaque par les troupes soviétiques traverse tout ce livre. Tamina est l'allégorie du peuple qui le subit. Ce qui est étrange et magnifique dans ce livre, c'est qu'à travers des univers très divers, des récits apparemment étrangers les uns aux autres, l'auteur montre à quel point la société entière, à tous les niveaux, jusque dans son intimité la plus profonde, est pénétrée par ce viol, cette intrusion délétère, cette tentative d'aliénation, de réduction à l'infantilisme dont l'île aux enfants est le symbole. Ce livre est le récit de la lutte d'un peuple pour préserver sa mémoire, son identité, une lutte contre l'oubli. Beaucoup d'images fortes illustrent cette emprise : le cercle, le rire, l'oubli, les frontières. Il ne faut pas sortir du cercle, mais être conforme, se soumettre à la loi imposée par l'envahisseur. Mort à l'intellectuel à l'imaginaire puissant, capable d'analyse critique et de rébellion envers l'occupant, mort à l'intellectuel capable de sortir du cercle (Marek, Milan Kundera…), Zdena inféodée au régime reproche à Marek de faire l'amour comme un intellectuel et Marek, qui est effectivement sorti du cercle, sera filé par la police secrète, perquisitionné, arrêté. Maman elle, songe à ses poires, ce qui est une façon de lutter contre l'oubli, en se préoccupant de l'ordre normal, naturel, des choses, car bien que les chars soviétiques aient envahi le pays en plein mois d'août, c'est le moment où les poires mûrissent, et les poires, issues du sol tchèque, liées à son patrimoine, sont plus importantes. Tamina se fait dévorer symboliquement par les enfants et parce qu'elle a franchi la ligne du jeu de la marelle (symbole du cercle), elle est punie. Les enfants (symbole du régime) la regarderont ensuite se noyer sans un geste de secours. Il y a aussi l'image du rire, le rire éclatant de jouissance symbole de joie de vivre, de liberté, qui s'oppose aux gloussements (rire convenu et innocent accepté par le régime) des deux élèves qui ne comprennent rien au Rhinocéros de Ionesco. Et puis, la "litost", ce sentiment de frustration et d'impuissance du peuple vaincu, illustré de façon fantasque et rocambolesque par l'étudiant privé de sa nuit d'amour avec Christine et par l'auteur lui-même exilé à Rennes d'où il imagine visualiser son pays, par ses fenêtres orientées à l'est. C'est un livre profond, à l'imaginaire puissant, une analyse originale et brillante de la façon dont un régime autoritaire peut détruire l'âme d'une nation, dans sa vie quotidienne, ses aspirations, ses raisons de vivre.


 AUTOUR DE KUNDERA et L'insoutenable légèreté de l'être
Repères biographiques
Livres publiés
Presse : articles, entretiens

    - Articles juste après la mort de Kundera le 11 juillet 2023
     - L'insoutenable légèreté de l'être
: le livre en 1984
     - L'insoutenable légèreté de l'être
: le film en 1988
     - L'actualité de Milan Kundera traverse les années : d
e 1968 à 2024
L'histoire rocambolesque des traductions de Kundera 

REPÈRES BIOGRAPHIQUES

- Né en 1929 à Brno (Tchéquie actuelle). Père musicologue important, pianiste : Milan apprend le piano. Sa mère est éducatrice.
- Études de littérature à Prague avant de changer rapidement d’orientation pour des études de cinéma.
- Inscrit au parti communiste à 18 ans en 1947, il en est exclu en 1950 pour des raisons assez floues. En 1956, il est réadmis au parti mais est expulsé une seconde fois en 1970. Il sera déchu de sa nationalité en 1979 qui ne lui sera restituée qu'en 2019.
- Premier livre publié en 1953, un recueil de poèmes marxiste. Dans les années 60, le Printemps de Prague l’inspire beaucoup. En 1967, il publie La Plaisanterie. En 1968, l'invasion de la Tchécoslovaquie entraîne la suppression de la liberté d’expression. Kundera perd son poste de maîtres de conférence en littérature à l'Institut des hautes études cinématographiques de Prague et ses livres sont retirés des librairies et des bibliothèques.
- Il continue à écrire : La vie est ailleurs est publié en 1973, Gallimard faisant passer clandestinement le manuscrit en France. Il part pour la France en 1975 avec sa seconde femme Véra Hrabankova. Il enseignera à l'université de Rennes, puis à l'EHESS à Paris. En 1981, il obtient la nationalité française grâce à François Mitterrand. On découvrira qu'il est resté sous surveillance des services de renseignements tchécoslovaques en France. Il écrit ses textes en français à partir de 1993.
- L’insoutenable légèreté de l’être sort en 1984 et est un succès. Milan Kundera a reçu plusieurs prix de renom pour ses œuvres : Prix Médicis étranger, Prix Jérusalem, Prix de la BnF... Ses œuvres entrent dans la Pléiade de son vivant, tome I en 2011, puis tome II en 2017.
- Il décède en juillet 2023 à Paris, à l'âge de 94 ans, "à la suite d'une longue maladie". On sait juste que l'incinération a été accompagnée de l'enregistrement de La sonatine de Janacek, jouée au piano par Ludvik Kundera, le père de Milan.

Potins : Kundera s'est mariée deux fois.
En 1956, il épouse la chanteuse d'opérette Olga Haasová-Smrcková, fille de son professeur compositeur très aimé Pavel Haas dont la mère médecin et russe, était en effet la première épouse du célèbre médecin d'origine russe Sonia Jakobson, était la première épouse de Roman Jakobson.
En 1967, il épouse Véra Hrabankova, de six ans sa cadette, qui joue au théâtre avant de devenir une vedette du petit écran. En France, elle est son assistante, protectrice de Kundera par rapport au monde extérieur.

LIVRES PUBLIÉS

Tous publiés par Gallimard.

Écrits en tchèque
- 1967 : La Plaisanterie, trad. Marcel Aymonin, Gallimard, 1968, préface de Louis Aragon : "Sans lui, La Plaisanterie n’aurait jamais vu le jour en France et mon destin aurait pris un chemin tout à fait différent (et bien moins heureux, sûrement.) Au moment où, en Tchécoslovaquie, mon nom était gommé des lettres tchèques (...), la parution de La Plaisanterie aux Éditions Gallimard a lancé mon roman dans le monde entier, en sorte qu’à la place des lecteurs tchèques subitement perdus j’ai eu (tout aussi subitement) des lecteurs nouveaux" ("Note de l’auteur", La Plaisanterie, trad. révisée par Milan Kundera et Claude Courtot, 1980).
- 1963 : Risibles Amours, nouvelles, trad. François Kérel, 1970
- 1973 : La vie est ailleurs (première édition mondiale en français), trad. François Kérel
- 1976 : La Valse aux adieux (première édition mondiale en français), trad. François Kérel
- 1979 : Le Livre du rire et de l'oubli (première édition mondiale en français), trad. François Kérel
- 1984 : L'Insoutenable légèreté de l'être, trad. François Kérel
- 1990 : L'Immortalité, trad. Eva Bloch.

Écrits en français
- 1995 : La Lenteur
- 1998 : L'identité
- 1986 : L'Art du roman, essai
-1993 : Les Testaments trahis, essai
- 1998 : Jacques et son maître précédé d'Introduction à une variation, Hommage à Denis Diderot en trois actes
- 2005 : Le Rideau, essai en sept parties
- 2003 : L'Ignorance (première édition mondiale en espagnol)
- 2009 : Une rencontre, essai
- 2014 : La Fête de l'insignifiance.

PRESSE

Le nombre d'articles publiés est dingue. Voici une sélection pour en montrer la diversité.

Articles juste après la mort de Kundera le 11 juillet 2023

- "Mort de Milan Kundera, un militant de l'art du roman", Muriel Steinmetz, L'Humanité, 12 juillet 2023.

- Le Figaro :
   › "Mort de Milan Kundera, monstre sacré de la littérature", Paul-François Paoli, 12 juillet 2023
   › "La voix personnelle et angoissée de Milan Kundera a retenti dans tous les pays de l’Est", entretien avec Pierre Nora par Eugénie Bastié, Le Figaro, 13 juillet 2023.

- Libération, la Une du 13 juillet sur Kundera, 8 pages sur l'écrivain :
   › "L'Insoutenable légèreté de l'être, le livre d'une vénération", Thomas Stélandre
   › "Milan Kundera au cinéma malgré lui", Didier Péron
   › "L’infinie liberté des lettres, Mathieu Lindon
   › "C’était un romancier absolu", Jack Lang
   › "La vie n’est qu’un long enchaînement de paradoxes", Christian Salmon
   › "Mort de Milan Kundera : sa vie est ailleurs", Dov Alfon
    "C’est pour moi un grand écrivain de l’exil", Atiq Rahimi.

- Au Monde, Florence Noiville :
   › Responsable de la littérature étrangère, venue dans le groupe Voix au chapitre d'ailleurs, fut proche de l'auteur et venait de publier Milan Kundera : "Écrire, quelle drôle d’idée !”, Gallimard, 2023.
   › Ce n'est pas elle (donc ?) qui fait l'article relatif à sa disparition, mais une universitaire, Martine Boyer-Weinann.
   › En revanche, le même jour, 12 juillet, elle dialogue en un tchat avec les lecteurs, en ligne ici.
   › Elle recueille pour
Le Monde du 15 juillet les propos de l'écrivain Norman Manea : "Avec Milan Kundera, nous perdons un témoin-clé et un grand penseur de l'Europe du XXe siècle".
   › Un entretien qu'elle avait fait,
"Chez Kundera, c’est l’œuvre qui parle", 25 mars 2011, est republié le 14 juillet 2023.
   › Et elle est elle-même objet d'un entretien chez un confrère :

- "Milan Kundera, cet homme de mots, m'aura appris à savourer le luxe du silence", entretien avec Florence Noiville par Martin Bernier
Le Figaro, 14 juillet 2023.

L'insoutenable légèreté de l'être : le livre en 1984

• Conséquence de la mort de Kundera en 2023 : "On s’arrache Kundera", Yves Jaeglé, Le Parisien, 28 juillet 2023. Depuis la mort de Kundera survenue le 11 juillet, les libraires ont dû réapprovisionner leurs stocks : cette semaine, l’Insoutenable Légèreté de l’être est en tête des ventes...

• Revenons en arrière, en 1984, juste après sa publication pour consulter quelques réactions :
- Le Monde du 27 janvier 1984 fait très fort avec trois articles : du feuilletonniste et pas encore académicien Bertrand Poirot-Delpech, de Nicole Zand responsable de la littérature étrangère et de Kundera lui-même qui expose son art du roman... :
   › "L’Insoutenable Légèreté de l’être de Milan Kundera : le fatalisme magnifique", Bertrand Poirot-Delpech
   › "Kundera et le rapt de l'Europe centrale", Nicole Zand
   › "Le piano de Chopin", Milan Kundera.

- "Kundera : le refus d'être "occupé"", André Brincourt, Le Figaro, 10 février 1984.
- "Kundera au creux de l'humain", Françoise Xénakis, Le Matin, 24 janvier 1984.

Le passage de Kundera à Apostrophes est un événement... :
- "Kundera sur un plateau", de Daniel Rondeau, Libération, 27 janvier 1984.
- Visionnons Apostrophes, pour L'Insoutenable légèreté de l'être, 27 janvier 1984.

• Il faut attendre 2006 pour que L'insoutenable légèreté de l'être soit traduit en tchèque, 32 ans après : "Kundera enfin en son pays", Stéphane Kovacs, Le Figaro, 30 novembre 2006.

• Le livre continue à être commenté :
- "L'insoutenable légèreté de l'être", Magazine littéraire, décembre 2016.

- "L'insoutenable légèreté de l'être" vu par Leïla Sliman, Philippe Claudel, Marie-Hélène Lafon, qui avoue : "en ce qui me concerne, chez Kundera, je n'entends à peu près rien (...). Pour moi, cela n'a pas de corps", avec François Busnel, La Grande Librairie, 7 juillet 2022, 6 min 30.

- La petite Librairie, François Busnel, 2023, 1 min 48.
- "L'insoutenable légèreté de l'être", Nicolas Luiset, Un livre, une histoire, podcast France Télévision/Académie de Paris, avec Alain-Gérard Slama, 6 septembre 2023, 30 min.

L'insoutenable légèreté de l'être : le film en 1998

Plusieurs journaux publient un article critique ET une interview du réalisateur. Le film est très médiatisé.

- Marie-Noëlle Tranchant, dans Le Figaro, écrit un premier article AVANT la sortie du film : "Jean-Claude Carrière a adapté L'Insoutenable légèreté de l'être : une histoire d'amour avec tanks", 5 novembre 1986.
- "Kundera-Kaufman : les feux du crépuscule", Pierre Billard, Le Point, 29 février 1988.
- Marie-Noëlle Tranchant a vu le film maintenant et écrit pour Le Figaro deux articles à deux jours d'intervalle : "Variations sur un thème de Milan Kundera", 2 mars 1988 ; "Images pesantes", 4 mars 1988.
- "Kundera-Kaufman : rencontre au sommet", propos recueillis par Anne Andreu et Michel Boujut, L'événement du jeudi, 25 février au 2 mars 1988 : "Un chef-d'œuvre de la littérature devient un chef-d'œuvre au cinéma".
- Libération, 2 mars 1988, Ange-Dominique Bouzet : "Tchèques sans provision", interview de Philip Kaufman et "Un peu lourds sur l'amour, un peu monotone sur la longueur" : "Une hirondelle (de Chicago) ne fait pas le Printemps (de Prague)".
- Télérama, Gérard Pangon, 2 mars 1988, "La fête est finie" et "Entretien en toute simplicité".
- "Et la nuit tomba sur Prague" : "Philip Kaufman en a tiré un film-fleuve ? Fidélité ou trahison ?", propos recueillis par Aurélien Ferenczi, Le Quotidien de Paris, 2 mars 1988.
- Le Monde, 2 mars 1988, Michel Bradeau, "Entretien avec le réalisateur : une question de grammaire", "La puissance et la grâce : "Philip Kaufman a pris beaucoup de libertés avec le roman de Milan Kundera. Mais l'important - l'humour, l'érotisme, la puissance de l'histoire d'amour - reste intact".
- "Une Histoire de l'Amour/L’insoutenable légèreté de l’être", Tewfik Hakem, avec Atiq Rahimi, écrivain, réalisateur, France Culture, 18 janvier 2012, 28 min (à l'occasion de la nouvelle sortie en salle du film).

L'actualité de Milan Kundera traverse les années : de 1968 à 2024

Quelques exemples divers :

• A la radio
- Une interview rare de Milan Kundera : "Un roman politique, ce n'est pas un roman", avec Roger Vrigny et Roger Grenier, Paris à l'heure du monde, France Culture, 22 octobre 1968, rediffusion 7 janvier 2021, 12 min. La Plaisanterie vient de sortir en 1968, Kundera est de passage à Paris.
- "Milan Kundera, légèreté de lettres", 4 émissions d'une heure, Matthieu Garrigou-Lagrange, La Compagnie des œuvres, France Culture, 3 au 6 décembre 2018.
- "Milan Kundera, entrée en Pléiade", Guillaume Gallienne, Ca peut pas faire de mal, France Inter, 19 août 2011, 40 min. Cette émission permet de s'immerger dans plusieurs œuvres de Kundera.
- "En compagnie de Milan Kundera", Alain Finkielkraut, Répliques, France Culture, avec Florence Noiville et Benoît Duteurtre, 24 juin 2023, 51 min.

• Dans la presse écrite
- "Kundera, le roman d’une vie : une série en six épisodes d'Ariane Chemin, Le Monde, 17-22 décembre 2019. A 90 ans, Kundera vient de récupérer sa nationalité tchèque, perdue au temps du communisme. De Prague à Paris, Ariane Chemin mène l'enquête dans une série d’articles pour restituer le parcours de cet homme secret : 1/ L’écrivain qui venait du froid 2/Sous haute surveillance 3/En route vers l’Ouest 4/Un professeur particulier 5/En français dans le texte 6/La nostalgie de Prague.
- Dernier article en date, de ce mois, une longue analyse dans la revue Esprit d'un juriste et politologue : "Milan Kundera et l’Europe centrale", Yves Plasseraud, Esprit, juin 2024, p. 109-118.

L'HISTOIRE ROCAMBOLESQUE DES TRADUCTIONS DE KUNDERA

L'édition des œuvres complètes de Kundera dans La Pléiade comporte un avertissement mentionnant le fait que "entre 1985 et 1987, les traductions des ouvrages contenus dans le présent volume ont été entièrement revues par l'auteur et, dès lors, ont la même valeur d'authenticité que le texte tchèque".

Dans une "Note de l’auteur", à la fin de la réédition de La Plaisanterie, Kundera explique l'importance et la raison qui le poussent à réagir de cette manière :

Un jour, en 1979, Alain Finkielkraut m'a longuement interviewé pour le Corriere della Sera : "Votre style, fleuri et baroque dans La Plaisanterie, est devenu dépouillé et limpide dans vos livres suivants. Pourquoi ce changement ?"
Quoi ? Mon style fleuri et baroque ? Ainsi ai-je lu pour la première fois la version française de La Plaisanterie. (Jusqu'alors je n'avais pas l'habitude de lire et de contrôler mes traductions ; aujourd'hui, hélas, je consacre à cette activité sisyphesque presque plus de temps qu'à l'écriture elle-même.)
Je fus stupéfait. Surtout à partir du deuxième quart, le traducteur (ah non, ce n'était pas François Kérel, qui, lui, s'est occupé de mes livres suivants !) n'a pas traduit le roman ; il l'a réécrit :
Il y a introduit une centaine (oui !) de métaphores embellissantes (chez moi : le ciel était bleu ; chez lui : sous un ciel de pervenche octobre hissait son pavois fastueux ; chez moi : les arbres étaient colorés ; chez lui : aux arbres foisonnait une polyphonie de tons ; chez moi : elle commença à battre l'air furieusement autour d'elle ; chez lui : ses poings se déchaînèrent en moulin à vent frénétique (…)
Oui, aujourd'hui encore, j'en suis malheureux. Penser que pendant douze ans, dans nombreuses réimpressions, La Plaisanterie s'exhibait en France dans cet affublement !… Deux mois durant, avec Claude Courtot, j'ai retravaillé la traduction. La nouvelle version (entièrement révisée par Claude Courtot et l'auteur) a paru en 1980.
Quatre ans plus tard, j'ai relu cette version révisée. J'ai trouvé parfait tout ce que nous avions changé et corrigé. Mais, hélas, j'ai découvert combien d'affectations, de tournures tarabiscotées, d'inexactitudes, d'obscurités et d'outrances m'avaient échappé !
En effet, à l'époque, ma connaissance du français n'était pas assez subtile et Claude Courtot (qui ne connaît pas le tchèque) n'avait pu redresser le texte qu'aux endroits que je lui avais indiqués. Je viens donc de passer à nouveau quelques mois sur La Plaisanterie.

Ariane Chemin raconte dans enquête "Milan Kundera, la langue française comme une arme" (Le Monde, 20 décembre 2019) :

L'auteur de l'outrage s'appelle Marcel Aymonin. On l'a oublié - et pour cause. La guerre froide a aussi infiltré le monde de la traduction. Autour de lui flotte un parfum de scandale. Adhérent du PCF en 1948, Aymonin était un ancien attaché culturel du "service diplomatique français" en Tchécoslovaquie. Le 27 avril 1951, quinze ans avant sa collaboration avec Kundera, il tient une conférence de presse à Prague pour dénoncer "la France, valet de l'impérialisme américain". Il va même jusqu'à demander le droit d'asile au pouvoir communiste. Qui était vraiment ce premier traducteur de Kundera ? Un militant aveugle ou acharné ? Un agent de Prague ? "Je me suis souvent posé la question", soupire François Kérel, 94 ans, le fidèle traducteur de Kundera. S'il était un espion, c'était un espion de très bas vol." (...)

Au milieu des années 1980, après le succès de L’Insoutenable Légèreté de l’être, l’écrivain se lance dans une "grande campagne de réécriture", selon l’expression de Ricard. Il s’agit de revoir, presque mot après mot, les traductions des textes tchèques. Ainsi, Kundera tique un jour sur ce passage de Risibles amours, traduit par François Kérel : "Son corps mit fin à sa résistance passive. Edouard était ému !" mu ? Ridicule. Excité ? Bof. Mais non ! impose le romancier, il faut écrire : "Edouard banda !" "Franchement, pour moi, ça n’allait pas, témoigne Kérel. Chez Kundera, il n’y a jamais rien de vulgaire, son vocabulaire est classique. Je n’étais pas d’accord et ne le suis toujours pas, mais j’ai cédé…"
Stylo à la main, l'écrivain met au point les "versions définitives" de ses livres, sorte d'appellation contrôlée, stipulant que "seul le texte revu par l'auteur a la même valeur que le texte tchèque". Un brin blessant. "Je l'avais un peu mal pris", convient Kérel. Est-ce un hasard ? En 1990, celui-ci décline la traduction de L'Immortalité : trop de travail à l'ONU, où cet ex communiste est salarié. Une certaine Eva Bloch s'y attelle. "Eva Bloch" ? Inconnue au bataillon des traducteurs. Les spécialistes de Kundera se cassent la tête, en vain. "Je suis quasi convaincu que c'était Milan lui-même, il adore la mystification", dit Finkielkraut. "Il m'a juré que c'était une amie, mais qui ? s'interroge Ricard. Tout ça est très kundérien…"
C’est comme s’il traduisait du français en français : dans les années 1990, Kundera passe presque davantage de temps à ses traductions qu’à l’écriture elle-même. Ratures, gribouillis, pas une page ne reste vierge.

La comparaison pour le premier chapitre du livre montre ce travail de bénédictin, entraînant des corrections infimes, mais finalement nombreuses :

L'insoutenable légèreté de l'être, trad. du tchèque François Kérel

Édition revue par l'auteur, 1987

L'éternel retour est une idée mystérieuse, et Nietzsche, avec cette idée, a mis bien des philosophes dans l'embarras : penser qu'un jour tout va se répéter comme on l'a déjà vécu et que cette répétition va encore indéfiniment se répéter ! Que veut dire ce mythe insensé ? L'éternel retour est une idée mystérieuse et, avec elle, Nietzsche a mis bien des philosophes dans l'embarras : penser qu'un jour tout se répétera comme nous l'avons déjà vécu et que même cette répétition se répétera encore indéfiniment ! Que veut dire ce mythe loufoque ?
Le mythe de l'éternel retour nous dit, par la négation, que la vie qui va disparaître une fois pour toutes et ne reviendra pas est semblable à une ombre, qu'elle est sans poids, qu'elle est morte dès aujourd'hui, et qu'aussi atroce, aussi belle, aussi splendide fût-elle, cette beauté, cette horreur, cette splendeur n'ont aucun sens. Il ne faut pas en tenir compte, pas plus que d'une guerre entre deux royaumes africains du XIVe siècle, qui n'a rien changé à la face du monde, bien que trois cent mille Noirs y aient trouvé la mort dans d'indescriptibles supplices. Le mythe de l'éternel retour affirme, par la négation, que la vie qui disparaît une fois pour toutes, qui ne revient pas, est semblable à une ombre, est sans poids, est morte d'avance, et fût-elle atroce, belle, splendide, cette atrocité, cette beauté, cette splendeur ne signifient rien. Il ne faut pas en tenir compte, pas plus que d'une guerre entre deux royaumes africains du XIVe siècle, qui n'a rien changé à la face du monde, bien que trois cent mille Noirs y aient trouvé la mort dans d'indescriptibles supplices.
Mais est-ce que ça va changer quelque chose à cette guerre entre deux royaumes africains du XIVe siècle de se répéter un nombre incalculable de fois dans l'éternel retour ? Cela changera-t-il quelque chose à la guerre entre deux royaumes africains du XIVe siècle si elle se répète un nombre incalculable de fois dans l'éternel retour ?
Oui, certainement : elle va devenir un bloc qui se dresse et perdure, et sa sottise sera sans rémission. Oui : elle deviendra un bloc qui se dresse et perdure, et sa stupidité sera sans rémission.
Si la Révolution française devait éternellement se répéter, l'historiographie française serait moins fière de Robespierre. Mais comme elle parle d'une chose qui ne reviendra pas, les années sanglantes ne sont plus que des mots, des théories, des discussions, elles sont plus légères qu'un duvet, elles ne font pas peur. Il y a une énorme différence entre un Robespierre qui n'est apparu qu'une seule fois dans l'histoire et un Robespierre qui reviendrait éternellement couper la tête aux Français. Si la Révolution française devait éternellement se répéter, l'historiographie française serait moins fière de Robespierre. Mais comme elle parle d'une chose qui ne reviendra pas, les années sanglantes ne sont plus que des mots, des théories, des discussions, elles sont plus légères qu'un duvet, elles ne font pas peur. Il y a une infinie différence entre un Robespierre qui n'est apparu qu'une seule fois dans l'histoire et un Robespierre qui reviendrait éternellement couper la tête aux Français.
Disons donc que l'idée de l'éternel retour désigne une perspective où les choses ne nous semblent pas telles que nous les connaissons : elles nous apparaissent sans la circonstance atténuante de leur fugacité. Cette circonstance atténuante nous empêche en effet de prononcer un verdict quelconque. Peut-on condamner ce qui est éphémère ? Les nuages orangés du couchant éclairent toute chose du charme de la nostalgie ; même la guillotine. Disons donc que l'idée de l'éternel retour désigne une perspective où les choses ne nous semblent pas telles que nous les connaissons : elles nous apparaissent sans la circonstance atténuante de leur fugacité. Cette circonstance atténuante nous empêche en effet de prononcer un quelconque verdict. Peut-on condamner ce qui est éphémère ? Les nuages orangés du couchant éclairent toute chose du charme de la nostalgie ; même la guillotine.
Il n'y a pas longtemps, je me suis pris moi-même sur le fait : ça me semblait incroyable mais, en feuilletant un livre sur Hitler, j'étais ému devant certaines de ses photos ; elles me rappelaient le temps de mon enfance ; je l'ai vécu pendant la guerre ; plusieurs membres de ma famille ont trouvé la mort dans des camps de concentration nazis ; mais qu'était leur mort auprès de cette photographie d'Hitler qui me rappelait un temps révolu de ma vie, un temps qui ne reviendrait pas ? Il n'y a pas longtemps, je me suis surpris dans une sensation incroyable : en feuilletant un livre sur Hitler, j'étais ému devant certaines de ses photos ; elles me rappelaient le temps de mon enfance ; je l'ai vécu pendant la guerre ; plusieurs membres de ma famille ont trouvé la mort dans des camps de concentration nazis ; mais qu'était leur mort auprès de cette photographie d'Hitler qui me rappelait un temps révolu de ma vie, un temps qui ne reviendrait pas ?
Cette réconciliation avec Hitler trahit la profonde perversion morale inhérente à un monde fondé essentiellement sur l’inexistence du retour, car dans ce monde-là tout est d’avance pardonné et tout y est donc cyniquement permis. Cette réconciliation avec Hitler trahit la profonde perversion morale inhérente à un monde fondé essentiellement sur l'inexistence du retour, car dans ce monde-là tout est d'avance pardonné et tout y est donc cyniquement permis.

 


Nos cotes d'amour, de l'enthousiasme au rejet :
                                        
à la folie
grand ouvert
beaucoup
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